Le constat est unanime : l’Union a été et est toujours incapable de gérer la « pression » migratoire qui, même si on est loin des sommets atteints à l’été 2015, ne se dément pas. Cet échec a un prix politique élevé : un peu partout en Europe, des partis « populistes » (ou plutôt démagogues) et d’extrême-droite font des scores que l’on pensait impossibles depuis la chute des régimes fascistes en 1945, certains d’entre eux parvenant même à s’installer au pouvoir comme en Autriche ou en Italie. Plus inquiétant encore : des forces politiques classiques, qu’elles soient conservatrices, libérales ou sociales-démocrates, inquiètes de cette percée, ont fait leur une partie de la rhétorique des démagogues anti-immigration et adoptent des mesures qu’ils ne renieraient pas.
Les démagogues de tous poils l’ont bien compris : la sortie de l’Union et l’abandon de l’euro ne font plus recette depuis le référendum sur le Brexit. C’est pourquoi ils sont revenus à leur cœur de métier, le rejet de l’immigration, surtout musulmane. Bien sûr, l’europhobie n’est jamais loin, puisque l’Union est accusée tout à la fois d’être incapable de juguler ces arrivées jugées massives, de ne pas être solidaire des pays de la « ligne de front » (Grèce, Italie et, dans une moindre mesure, Espagne) ou, à l’inverse, de vouloir imposer une solidarité à des pays souverains.
Des démagogues en ordre dispersé
Autrement dit, les discours sont largement inconciliables, même si tous accusent l’Union, qui n’a pourtant aucune compétence en ce domaine, de ne pas contrôler ses frontières extérieures: les nationalistes au pouvoir en Autriche, en Pologne, en Hongrie, en Tchéquie, en Slovaquie ou encore en Slovénie s’opposent à la volonté de l’Union de les obliger à accueillir sur leur sol des étrangers dont ils ne veulent pas. En Italie, on reproche à l’Union de n’être pas parvenu à imposer un partage du fardeau, une ligne que partage l’Allemagne (qui doit compter avec une partie de la CDU et de la CSU de plus en plus opposées à l’immigration) et la Grèce. La plupart des pays d’Europe de l’ouest, comme la France les Pays-Bas ou la Belgique (dont le gouvernement est dirigé par la droite radicale flamande de la NVA) mènent, sans le clamer sur les toits une politique proche de celle des pays de l’Est à l’égard des nouveaux arrivants. Mais, au delà de ces différences d’approche, tous les pays européens, qu’ils comptent ou non des partis populistes dans leur majorité, sont d’accord sur un point : il faut rendre les frontières le plus étanche possible.
Dans une telle configuration, ceux qui défendent une politique européenne de l’immigration et de l’asile devraient donc y réfléchir à deux fois. Car changer une politique communautaire est encore plus difficile qu’au niveau national : l’Union n’étant pas une fédération, ce sont en réalité les Etats décidant à la majorité qualifiée et le Parlement européen qui auraient la haute main sur cette politique et non un organe fédéral. Or le Parlement est dominé par les conservateurs et les nationalistes, tout comme le Conseil des ministres de l’intérieur où siègent aujourd’hui deux membres de l’extrême droite (Autriche et Italie), cinq membres représentant la droite radicale et/ou nationaliste (Allemagne, Belgique, Pologne, Hongrie et sans doute Slovénie) sans compter ceux qui siègent dans des gouvernements allergiques à toute immigration : Tchéquie, Slovaquie, Danemark, Pays-Bas, etc.
L’Union, une communauté d’Etats forteresses
Autrement dit, si demain on communautarise le contrôle des frontières extérieures, le droit au séjour des étrangers et le droit d’asile (1), ce n’est pas précisément une politique d’ouverture et de solidarité entre Etats membres de l’Union qui s’imposera. On en a eu un bon aperçu en mars 2016 lorsque tous les gouvernements, y compris socialistes (notamment français), n’ont rien trouvé à redire à l’accord négocié par l’Allemagne avec l’appui la Commission (elle aussi dominée par la droite) qui a sous-traité le droit d’asile à la Turquie d’Erdogan pour les flux passant par son territoire. L’absence de compétence européenne permet au moins à un ou plusieurs Etats de se montrer un peu plus généreux par un simple changement de majorité politique.
Une telle communautarisation n’est, de toute façon, pas à l’ordre du jour, une majorité de gouvernement n’en voulant pas, à l’image du premier ministre tchèque, Andrej Babis qui a fermement rejeté lundi la proposition d’Angela Merkel de confier le contrôle des frontières extérieures à un corps de garde-frontières européens… On en est même tellement loin qu’une partie des Etats est de plus en plus tentée par un abandon de l’espace de libre circulation Schengen, un des principaux acquis européens, afin de contrôler eux-mêmes leurs frontières nationale. C’est la France et l’Allemagne qui ont donné l’exemple, la première le suspendant au nom de la lutte anti-terroriste, la seconde au nom de la lutte contre les sans-papiers… Bref, l’Union devient une communauté d’Etats forteresses, un enfermement sans garantie de succès, l’Europe n’étant pas une île.
(1) L’Union n’est compétente que pour harmoniser les conditions d’entrée pour les séjours de moins de 3 mois et les droits minimaux des étrangers.
N.B.: version longue de mon article paru le 5 juin
Photo: ATTILA KISBENEDEK / AFP Patrouille le long de la frontière entre la Hongrie et la Serbie