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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 4 weeks 1 day ago

EURO 2016 : Quel bilan ?

Tue, 12/07/2016 - 16:21

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, répond à nos questions :
– Comment analysez-vous la victoire du Portugal à l’Euro 2016 ?
– Quel bilan peut-on tirer de l’Euro 2016 pour la France ?
– Le format de l’Euro 2016 est-il une réussite ?

Chine et Royaume-Uni après le Brexit : un saut dans l’inconnu ?

Tue, 12/07/2016 - 14:42

C’est l’un des nombreux effets collatéraux du référendum britannique du 23 juin sur la sortie de l’Union européenne. Le Brexit signe la fin d’une lune de miel qui avait débuté il y a moins d’un an. A la veille de la visite d’Etat du président Xi Jinping au Royaume-Uni, George Osborne, chancelier de l’Echiquier, avait alors déclaré : « Faisons corps ensemble et fabriquons une décennie en or pour nos deux pays. » De l’eau est passée sous les ponts depuis cette visite, où Xi fut reçu comme un invité d’honneur par la Reine Elizabeth II à Buckingham Palace et au parlement britannique.

Ces trois dernières années, le Premier ministre David Cameron et son ministre des Finances George Osborne – en charge de la politique chinoise du Royaume – ont décidé d’anticiper le résultat du référendum sur le Brexit. Des partenariats hors Union européenne ont été scellés avec un grand nombre de pays asiatiques – la Chine en particulier – dans le but de financer parmi les principaux projets d’infrastructures nécessaires au Royaume-Uni, dont les centrales nucléaires, les lignes à grande vitesse et les aéroports.

Maintenant qu’il a perdu le réréfendum sur l’appartenance britannique à l’UE, Cameron est sur le départ, tandis que l’avenir d’Osborne demeure incertain. Qu’adviendra-t-il des relations sino-britanniques alors qu’il est presque sûr que le Royaume-Uni va quitté L’Union européenne ? Les signaux intiaux émis par la Chine ont été pour le moins feutrés. Hua Chunying, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a récemment confié que l’impact du Brexit se ferait sentir à tous les niveaux – et pas seulement sur les relations entre Pékin et Londres.

« La Chine soutient le processus d’intégration européenne et voudrait voir l’Europe jouer un rôle pro-actif dans les affaires du monde, a déclaré Hua Chunying. Nous sommes très confiants dans le développement futur des liens sino-européens. » On est très loin des commentaires enthousiastes des médias chinois en 2015 sur la relation entre la Chine et le Royaume-Uni, lorsque Londres décida – au grand dam de Washington, Tokyo, Berlin et Paris – d’être le premier pays occidental à rejoindre la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), et lorsque les Anglais accueillirent le président Xi, espérant attirer une mâne chinoise d’investissements directs étrangers (IDE).

« Il n’existe pas dans le monde occidental de pays plus ouvert à l’investissement chinois que la Grande-Bretagne », avait fièrement déclaré David Cameron. Son pays est aujourd’hui la première destination des IDE chinois avec un investissement cumulé de 16,6 milliards de dollars (dont 3,3 milliards pour la seule année 2015). La dernière visite de Xi en octobre a permis de signer un grand nombre de MoU (memorandum of understanding). Ces derniers seront-ils mis en oeuvre maintenant que les Britanniques ont choisi de sortir de l’UE ? Il y a quelques mois, Wang Jianlin, Pdg du Wanda Group et investisseur majeur en Europe, avait prévenu : « Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, de nombreuses firmes chinoises songeront à déménager leur QG européen dans d’autres pays », ajoutant que « le Brexit ne serait pas un choix judicieux pour la Grande-Bretagne dans la mesure où il créerait davantage d’obstacles et de défis pour les investisseurs, notamment en terme de visa. »

Le Global Times, quotidien anglophone appartenant au très officiel Quotidien du Peuple, montra encore moins de sympathie à l’égard de la situation britannique. « Ce référendum sera probablement un événement marquant la direction prise par le Royaume-Uni : celle d’un petit pays avec une faible population, qui renonce à croire en lui et agit imprudemment. »

Les dirigeants de Pékin – qui, fait rarissime, sont plusieurs fois sortis du bois pour soutenir le camp du « Remain » – demeurent perplexes face au résultat du référendum. Celui-ci n’a pas seulement créé du désordre (terme insoutenable dans le langage du Parti communiste chinois), mais il a conduit également à la démission du Premier ministre britannique tout en aggravant le risque d’autres référendums autonomistes (comprendre : l’Ecosse). Aux yeux d’un PC chinois obsédé par son maintien au pouvoir, Cameron a commis une grave erreur en tant que leader d’un pays majeur.

Après tout, la Chine n’est pas armée de bonnes intentions à l’égard de la Grande-Bretagne. Les deux pays ont connu une histoire pour le moins compliquée. Le « siècle d’humiliation » est toujours l’expression employée par les Chinois pour désigner la période débutée au milieu du XIXème siècle avec les guerres de l’Opium menées par les Anglais. Par ailleurs, cela fait seulement 19 ans que Hong Kong a été rétrocédé à la Chine comme « Région administrative spéciale » (RAS). Non pas que le gouvernement Cameron ait fait grand-chose pour soutenir son ancienne colonie. Tandis que la « décennie en or » démarrait, Hong Kong s’est trouvé face aux pires difficultés en tant que RAS, avec nombre de dissidents arrêtés et plusieurs libraires disparus – dont Lee Bo, citoyen à la double nationalité hongkongaise et britannique – qui avaient publié des ouvrages controversés sur les dirigeants de Pékin.

Maintenant que les Britanniques ont voté, les risques d’une violente réaction augementent de jour en jour. Pour commencer, la Chine est encline à maintenir une implication étroite avec l’UE – à la fois son deuxième partenaire commercial après les Etats-Unis, une source de transfert de technologie et l’allié des projets de Pékin comme la « Nouvelle Route de la Soie » (One Belt One Road – OBOR) en Europe et en Asie, ou la BAII. Il y a de fortes chances que la Chine veuille poursuivre son partenariat étroit à la fois avec les institutions européennes et les Etats, en particulier en Europe centrale et orientale où le projet OBOR a été chaleureusement accueilli. Xi Jinping a récemment voyagé en Pologne et en République tchèque, deux pays à qui le président chinois a fait des promesses financières substantielles.

Bien entendu, Londres va continuer à jouer un rôle-clé comme l’une des principales places financières internationales, avec les bons du trésor chinois émis en yuans. De même, les visiteurs de Chine (dont les investisseurs immobiliers en quête de nouvelles opportunités) ne cesseront pas d’affluer dans la capitale britannique. Mais lorsqu’il s’agira de servir de pont vers l’UE, il est clair que Pékin cherchera des solutions alternatives, en particulier en Allemagne, le premier partenaire commercial de la Chine en Europe. Il y a quelques semaines, la chancelière Angela Merkel a effectué son 9ème voyage en Chine, où elle est parvenu à aborder une longue liste de questions essentielles, allant du commerce à l’investissement et à la réciprocité, en passant par les droits de l’homme, les nouvelles lois sur les ONG et les revendications en mer de Chine du Sud. Le 12 juin dernier, dans un discours impressionant aux étudiants de l’université de Nankin dans la capitale chinoise, elle a souligné que la confiance des citoyens peut seulement être aquise par l’Etat de droit, « plutôt que le gouvernement par la loi ». Cela fait de nombreuses années que les dirigeants britanniques n’ont pas usé d’un pareil langage en Chine. Même si certains politiciens anglais appellent désormais à revoir la politique chinoise du Royaume, la Grande-Bretagne ne fera rien qui puisse indisposer la Chine, afin de préserver le commerce et l’investissement durant cette période post-brexit pleine de turbulences.

Malgré sa grande ouverture, le « nouveau Royaume-Uni » risque de devenir moins attractif en terme de marché. Après le Brexit, Pékin va également perdre un avocat du libre-échange au sein de l’Union européenne. Ce qui est une mauvaise nouvelle alors que l’Europe des 28 réfléchit à accorder ou non à la Chine le statut d’économie de marché, selon l’accord passé dans le cadre de l’Organbisation mondiale du commerce (OMC). Ce statut affecte directement l’usage des barrières douanières anti-dumping. En matière d’emploi, l’industrie européenne de l’acier reste vulnérable. Depuis l’adoption par le parlement européen d’une résolution non contraignante contre la reconnaissance à la Chine du statut d’économie de marché, plusieurs politiciens européens craignent qu’une implication plus forte des Chinois dans leurs économies nationales n’apporte guère de créations d’emploi mais davantage de biens de consommation bon marché rivalisant avec les produits fabriqués en Europe. D’où un contexte européen moins favorable à la Chine. Les chances d’adopter un accord de libre-échnage Chine-UE s’amenuisent, alors que Bruxelles se concentre en priorité sur la finalisation d’un accord plus global sur l’investissement avec Pékin. Les entreprises européennes ont conduit un lobbying intense en faveur d’un tel accord.

Même si elle tirera tout ce qu’elle peut d’un Royaume-Uni autonome – selon sa propre évaluation -, la Chine n’en déteste pas moins l’incertitude – en particulier dans une période de turbulences chez elle comme à l’étranger. Elle s’inquiète des défis rencontrés par les gouvernements en place, tout comme de la vague anti-mondialisation qui pourrait nuire à sa propre image de pays bénéficiaire de la globalisation. En Europe, l’Allemagne et la France conservent de fortes relations avec la Chine. Avec leur soutien, la Commission européenne vient de publier une ambitieuse nouvelle stratégie chinoise pour l’UE. Mais il y a peu de chances que le Royaume-Uni en fasse partie.

The politics of the LSE-Deutsche Börse Merger amid Brexit uncertainty

Tue, 12/07/2016 - 14:26

The LSE-Deutsche Börse merger seems to be on track to be agreed by the companies’ shareholders. What are the reasons for such a merger? How will it impact the financial sector at large?

The financial sector is experiencing a broad trend of centralisation and standardisation. Financial regulation itself encourages the consolidation of stock exchanges. An array of peer-to-peer contracts that were beyond the scope of stock exchanges and clearing houses now have to go through standardised clearing processes so as to support the illusion of stability and liquidity in a context where financial markets are flooded with central bank money.

The merger between the London and Frankfurt exchanges follows a clear financial and commercial logic in this respect. It is supposed to allow the combined entity to cut operating costs by up to 30 percent and to offload more than 1,000 jobs once the merger is completed. It is aimed at increasing the competitiveness of this new European exchange amid fierce global competition, as London strives, among other things, to secure its status as the yuan’s main trading centre outside Asia.

Meanwhile there is a geopolitical dimension to this deal. London is the financial centre of the European Union and in some way of the eurozone due to the extent of trading in euro-denominated derivatives there. This is an embarrassment to European institutions and especially to the ECB, which has tried over the years, long before the Brexit vote, to repatriate the financial activities and the clearing services surrounding these contracts to its jurisdiction, the eurozone. However, the EU’s judicial system has upheld London’s position on this issue, in virtue of the single market’s rules, which apply to capital markets throughout the EU, not only in the eurozone.

London is therefore keen to create a closer link with continental stock exchanges, Frankfurt in particular, in order to confront these attacks, which can only intensify in the context of Brexit. On the German side, a number of objections have been raised against the merger. Yet Germany’s Finance Minister, Wolfgang Schäuble, has adopted a relatively amenable stance to the merger. Generally speaking, Germany has every interest to keep the United Kingdom in the single market so as to preserve its large exports there. Conversely it is crucial for the UK as a whole, which already suffers from a very large trade deficit (with a current account deficit close to 6 percent in 2015) to retain the right to sell its financial services throughout the EU. The need to attract investments is the financial partner to the trade deficit, of which the property bubble is a key driver. In a sense, with the ongoing tension, all the traditional ingredients of a currency crisis are there. The pound’s depreciation is not a problem in itself. It even helps, to some extent, to restore the competitiveness of Britain’s industry after a long period of overvaluation. The problem lies in the dynamics of capital outflows and financial drying-up that depreciation fuels, as exchange rates tremors usually help deflate bubbles in a chaotic way.

In this regard any concrete disruption of the UK’s participation in the single market, in terms of trade and capital markets, would result in a genuine financial upheaval due to Britain’s dependency on its financial sector and foreign investments. The current market period of instability would retrospectively appear as a mere prelude if that were the case. That outcome would be in no European country’s interest, whatever their competitive goals.

What does the decision to have dual headquarters, in London and Frankfurt, reveal? Is this merger going to marginalise the Paris stock exchange and Euronext?

The idea of the double headquarters has come to the fore with the difficulties related to Brexit. The plan initially worked out and submitted to the shareholders favoured London headquarters while allowing Deutsche Börse’s CEO to head the conglomerate. The Brexit vote has changed this situation and prompted fears that Europe’s largest bourse would be managed from outside the European Union. It is this aspect which matters particularly since Amsterdam has also been mentioned as a possible host.

The British side strives to secure their financial and commercial position within the single market and retain London’s status as Europe’s financial centre. Beyond mere trade issues, Britain’s macro-financial stability is at stake because of the imbalance that undermines its economic model and the unintended consequences of the housing bubble. In Germany, while the government, and in particular Wolfgang Schäuble, has been rather supportive of the merger proposal and has shown an interest in the project, a portion of the political establishment, especially at the local level, remains opposed to the plan.

Diverging voices were also heard in France, whose government has stated its opposition to the merger and its desire to take advantage of Brexit and help its financial sector to gain new market shares. The Germans have opted for a starkly different strategy. As they understand that Frankfurt is not seen as a credible alternative to London as Europe’s main financial centre, even if London eventually left the single market, the German authorities rather tend to promote an association between London and Frankfurt.

Brexit was instrumental in the merger, since the European Commission would probably have dismissed it on the ground of abuse of a dominant position? Is it also a response to the economic consequences of Brexit?

The project of a merger between Frankfurt’s and London’s exchanges predates the British people’s vote to leave the European Union. The negotiations took place during the Brexit campaign, at a time when most observers believed that “remain” would prevail. So there was already a strong strategic interest in linking the two exchanges, particularly as London was threatened by its status outside the eurozone. At that time, this aspect seemed much more crucial and tangible than the remote threat of Brexit. In addition, in terms of EU competition laws, the case is technically hard to settle since LSE and Deutsche Börse tend to focus on different market segments.

More importantly however, the European Commission is increasingly threatened and deprived of its key prerogatives. Jean-Claude Juncker, whose skills fail to impress European capitals and whose “sacking” is being considered in Berlin, cannot afford to voice his concern if German interests are clearly at stake. This deal would be both a financial and a highly political one, in an inter-state fashion. The final outcome will speak volumes about the state of mind surrounding the negotiations on the UK’s participation in the single market. Despite tailored public statements, the negotiations on the terms of Brexit have undoubtedly started, in a down-to-Earth manner and under the threat of a financial crisis not only in the United Kingdom, but also in the eurozone.

Espagne : l’impasse politique comme seul horizon ?

Tue, 12/07/2016 - 10:15

Le Comité fédéral du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a rejeté la perspective d’une grande coalition gouvernementale avec le Parti populaire (PP). Quelles sont les options politiques qui s’offrent désormais à Mariano Rajoy ? Son investiture est-elle compromise par la décision du PSOE ?

Toutes les options sont ouvertes. Une nouvelle dissolution reste l’alternative la plus difficile, mais il ne faut pas l’écarter dans la mesure où les différentes formations politiques, issues des dernières élections législatives du 26 juin 2016, ne parviendraient pas à dégager une majorité. C’est une hypothèse d’autant plus crédible que les rapports de forces politiques actuels sont quasiment identiques à ceux des élections du mois de décembre 2015, qui n’avaient pas permis de construire une coalition stable. Si les lignes rouges adoptées par les uns et les autres se répètent, la situation ne pourra être réglée que par une nouvelle dissolution.

Cependant, le président du gouvernement sortant Mariano Rajoy pourrait essayer de trouver une porte de sortie en constituant une « unité des droites ». Cela pourrait se traduire par un compromis entre le Parti populaire de Mariano Rajoy, et le parti émergent de centre-droit Ciudadanos. Cette coalition pourrait éventuellement être élargie à des petits partis régionalistes, indépendantistes et libéraux tel que la Coalition canarienne, le Parti démocratique de Catalogne ou le Parti nationaliste basque.

Pour le moment, Mariano Rajoy n’a pas travaillé cette voie. En effet, le responsable du parti Ciudadanos, Albert Rivera, que Mariano Rajoy doit rencontrer le mardi 12 juillet, a annoncé être favorable à un accord mais pas à n’importe quelles conditions. Il ambitionne une refondation de la démocratie espagnole, afin d’éviter les scandales de corruption ayant émaillé la vie politique, et également une relève générationnelle à la tête du Parti populaire. Ces deux conditions expliquent la réticence de Mariano Rajoy à entrer en négociations avec Albert Rivera.
La décision du Parti socialiste ouvrier espagnol vise pourtant à l’y contraindre. En perte de vitesse par rapport aux dernières élections, le principal parti d’opposition ne souhaite jouer les béquilles du Parti populaire au risque de connaitre un destin similaire à celui du Pasok en Grèce.

Finalement, si tous les partis politiques maintiennent, comme après les élections législatives du 20 décembre 2015, leurs positions et leurs interdits, il n’y aura pas d’accord possible et les électeurs espagnols seront de nouveau conviés à des élections. Mais y compris dans le contexte actuel, avec un PSOE qui refuse toute alliance avec le Parti populaire, Mariano Rajoy peut espérer former une coalition avec les autres partis politiques de la famille libérale.

L’Espagne est partagée entre 4 forces politiques différentes. Pourquoi les divisions politiques sont-elles si profondément ancrées ? Malgré les scandales de corruption, comment comprendre la longévité des deux principaux partis politiques ?

Cette configuration politique est toute à fait nouvelle. Depuis le rétablissement de la démocratie en Espagne, deux partis politiques ont dominé la vie politique : un parti du centre-droit, l’Union du centre démocratique dans un premier temps, puis le Parti populaire, et au centre gauche, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Jusqu’aux élections législatives de décembre 2015, ces deux formations politiques bénéficiaient de 60 à 70 % de la représentation parlementaire. Ce n’est plus le cas depuis le 20 décembre qui a marqué l’éclatement des forces politiques.

Les divisions politiques sont le résultat de la crise économique et sociale. Le mécontentement est fort. Le chômage reste important. Salaires et couverture sociale ont été érodés. Les scandales de corruption qui ont frappé les deux partis de gouvernement participent également à la grogne sociale. Aujourd’hui, ces deux partis ne représentent plus qu’un peu plus de la moitié des sièges du parlement. Quant aux partis indépendantistes, autonomistes et / ou régionalistes, ils ont toujours existé. Il se trouve que le contexte politique leur est actuellement favorable dans la mesure où les deux partis traditionnels sont moins dominants qu’autrefois.

Barack Obama a félicité l’Espagne pour se progrès économiques lors de sa visite diplomatique le dimanche 10 juillet. L’embellie économique est-elle solide et durable ? Comment comprendre que parallèlement, l’Espagne soit menacée de sanctions par la Commission européenne ?

Barack Obama souhaite effectivement qu’un gouvernement espagnol pérenne se forme dans les meilleurs délais. En effet, l’Espagne constitue pour les Etats-Unis un « porte-avion » géopolitique situé entre l’Europe et l’Afrique. Divers accords ont été signés depuis 1953, puis élargis en 1988, 2011 et 2015, permettant d’intégrer l’Espagne dans le dispositif du bouclier anti-missile et de positionner des forces américaines sur le territoire espagnol en vue d’une intervention rapide en Afrique. Cette ambition stratégique suppose logiquement l’existence d’un gouvernement stable politiquement et économiquement.

En ce qui concerne la situation économique, l’Espagne est en train de sortir du tunnel dans lequel elle se trouvait il y a quelques années. Le pays a renoué avec une croissance à 3 %, l’une des plus dynamiques d’Europe. Le chômage s’est réduit même s’il demeure à un niveau élevé puisqu’il concerne 20 % de la population en âge de travailler. Les élections approchant, la politique de rigueur budgétaire souhaitée par Bruxelles n’a pas été respectée par le gouvernement de Mariano Rajoy. La dette publique s’est alourdie ces derniers mois et la menace des sanctions doit donc être comprise dans ce contexte-là.

[Geotalk] Ebola et la rumeur

Wed, 06/07/2016 - 11:28

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 23 juin 2016 autour de Alain Epelboin, médecin, anthropologue, chercheur au CNRS. Introduction de Isabelle Boubeix, directrice régionale des opérations pour l’Afrique de l’Est et de l’Ouest, ACF.

Irak : « L’attentat à Bagdad est lié à la reprise de la ville voisine de Fallouja »

Mon, 04/07/2016 - 17:08

Daesh n’avait pas commis d’attentat aussi sanglant en Irak depuis un an. Comment peut-on décrypter cet événement tragique en plein cœur de Bagdad ?

Cet attentat est directement lié à la situation militaire en Irak et plus précisément à la reprise récente de la ville de Fallouja par l’armée irakienne. Depuis un an, on assiste à un recul net de Daesh dans les villes irakiennes. Tikrit, d’abord. Puis Ramadi. Et maintenant Fallouja. C’est en réponse à cette défaite militaire que cet attentat a été perpétré. Car Fallouja n’est pas une ville comme les autres pour Daesh.

Pourquoi ?

Fallouja est une ville symbolique située à 40 kilomètres à peine de Bagdad. C’est comme si Fallouja était dans la banlieue de Bagdad. C’était une ville à majorité sunnite. C’est là que la branche irakienne d’Al-Qaïda s’est formée en 2003 avant de devenir progressivement l’Etat islamique en Irak et au Levant puis l’Etat islamique. C’est donc une perte très symbolique pour les combattants de Daesh.

En conséquence, peut-on dire que cet attentat a été commis pour remobiliser les troupes de Daesh ?

Oui. Le mouvement veut réaffirmer qu’il existe. Comme tous les attentats, il s’agit d’un outil de communication interne. Daesh veut envoyer un signal à ses partisans en Egypte, en Libye, un peu partout. Il veut marquer les esprits. Daesh dispose encore de cellules à Bagdad. Le groupe aurait donc très bien pu attaquer un consulat. Mais là, il a choisi de s’en prendre à un marché très populaire en plein ramadan. Le but était de faire quelque chose de spectaculaire.

Cet attentat peut-il, à votre avis, déstabiliser le pouvoir en place en Irak ?

Je ne crois pas que ce type d’attentat va intimider. Au contraire, cela risque plutôt d’encourager l’État irakien à lutter contre Daesh, notamment en visant désormais la ville de Mossoul. Le Premier ministre irakien est soutenu par la population et la communauté internationale.
Quant à l’armée, elle ne ressemble plus à ce qu’elle était en 2014. La coalition internationale a aidé à fond à sa reconstruction et à sa formation. Quarante milliards de dollars ont été investis pour acheter de l’équipement. Elle dispose désormais d’hélicoptères et d’avions de combat de type F16. Tout cela concourt à penser que Bagdad et l’Irak sont aujourd’hui dans de meilleures conditions pour lutter contre Daesh que la Syrie voisine.

Diriger en ère de rupture – 3 questions à Jean-Michel Palagos et Julia Maris

Mon, 04/07/2016 - 11:20

Jean-Michel Palagos, Officier, directeur d’administration centrale, créateur d’entreprise et directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, est Président Directeur général de Défense Conseil International (DCI), l’une des principales entreprises de l’industrie française de Défense chargée d’accompagner les exportations d’armement. Julia Maris, ancienne élève de l’ENA- commissions du livre blanc de 2007, Rising talent 2015 – est Directeur général adjoint de DCI. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de leur ouvrage, « Diriger en ère de rupture : Brouillard et solitude », qu’ils ont co-écrit, aux éditions Hermann.

Vous écrivez que « les entreprises les plus rentables ne sont pas toujours celles qui mettent le plus l’accent sur la rentabilité ». Comment expliquer ce « paradoxe » ?

Depuis une quarantaine d’années, la pratique des dirigeants est guidée par des théories financières qui consistent maximiser les « cash flows » de leur entreprise, trop souvent à l’exclusion de tout autre objectif. S’il est incontestable que la rentabilité est un enjeu primordial pour les dirigeants, nous pensons que cette théorie les a parfois conduits à prendre des décisions de court terme, finalement nuisibles pour les entreprises et la société, en amenant nombre d’entre eux à oublier ce qui légitime in fine l’existence des entreprises : créer de la valeur pour leurs clients et leurs parties prenantes, inventer et développer des produits et services innovants, efficaces et simples d’utilisation. Steve Jobs, que beaucoup citent en exemple, n’a pas repris un Apple moribond avec un simple objectif de rentabilité ; il a « réinventé » le secteur de la musique avec l’ipod, puis celui de la téléphonie et du numérique avec les autres « i ».

La meilleure façon d’améliorer la performance d’une organisation est d’avoir une conscience claire de sa raison d’être et du but qu’elle poursuit. Les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui définissent une vision claire de leur objectif et de leur proposition de valeur. Les différents exemples de success stories que nous abordons dans notre livre le montrent : s’attacher à définir des objectifs susceptibles de renforcer la mobilisation des équipes, la satisfaction du client ou la qualité du service proposé est la meilleure façon d’améliorer in fine la performance de l’entreprise. A l’heure de la complexité, le chemin qui mène vers la réussite n’est plus dans la ligne droite, mais davantage dans « l’obliquité » telle que l’a théorisée John Kay[1] : pour atteindre son but, il faut bien souvent passer par des étapes intermédiaires et indirectes.

L’histoire du groupe Boeing permet de comprendre ce paradoxe. L’avionneur américain a en effet connu une croissance exceptionnelle jusque dans les années 1980 car il structurait toute son activité autour d’un but : construire les meilleurs avions du monde en innovant en permanence. Les priorités étaient clairement hiérarchisées et, si les aspects financiers y étaient secondaires, cela n’a pas entravé le développement de l’entreprise. En revanche c’est au cours des années 1990, lorsque l’accent a été mis sur le rendement par actionnaire et le retour sur investissement, que les résultats ont connu une trajectoire inverse, précisément parce que Boeing se trompait d’objectif en renonçant au modèle qui avait fait sa réussite.

Vous évoquez « l’illusion technophile ». Comment la définir et quels sont ses dangers ?

Avant tout, l’illusion technophile que nous mettons en évidence dans notre ouvrage en passant en revue les échecs de grands projets menés dans le domaine informatique (public et privé) ne doit pas être interprétée comme un scepticisme de notre part vis à vis de la révolution numérique. Nous avons d’ailleurs mis en place une direction de l’innovation dans notre entreprise, chargée d’inventer de nouveaux services grâce aux technologies les plus récentes.

Ce que nous dénonçons, c’est la sacralisation de la technologie, comme si le seul recours à l’informatique et au numérique permettait de dépasser la complexité du réel. Nous pensons qu’il existe des problèmes qui relèvent de rapports humains, de questions politiques, de grands choix de valeurs, de choix d’organisation, et qui préexistent à l’approche technologique. Le projet Louvois le montre : le fiasco technique lié à un logiciel défaillant n’aurait pas eu cette ampleur si les décideurs s’étaient interrogés en amont sur l’adéquation des moyens humains avec les objectifs de ce projet. Personne n’avait anticipé que la fermeture trop rapide des centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC) qui géraient la paie jusque-là, et que le transfert des informaticiens RH vers d’autres services disperseraient les compétences et désorganiseraient ainsi complétement la remontée d’information. Dans un contexte où le contrôle de la fiabilité des données n’était plus assuré, et alors que l’outil présentait de nombreuses fragilités, décider malgré tout de son déploiement – sans véritables essais préalables – relève bien d’une sorte d’illusion, d’une croyance quasi magique et d’une incapacité même à envisager l’échec. En bref, il ne suffit pas de développer un logiciel pour régler en un instant tous les problèmes.

On peut retrouver dans les entreprises privées les mêmes faiblesses structurelles, notamment l’aveuglement des décideurs face aux promesses de la technologie et la déresponsabilisation généralisée des équipes. La crise des subprimes l’illustre parfaitement : les dirigeants des établissements bancaires et des administrations de contrôle ont laissé se développer des instruments financiers d’une complexité telle que plus personne ne pouvait plus en contrôler ni la qualité ni les risques, ce qui a conduit directement à la crise de 2008. Ici, encore une fois, les qualités du jugement humain se sont inclinées face à une technique financière « algorythmisée ».

Les dirigeants, précisément parce qu’ils ne sont pas techniciens et ne peuvent appréhender l’ensemble des paramètres technologiques, doivent être encore plus vigilants et, paradoxalement, faire davantage confiance à l’humain et à l’intuition en refusant de s’abandonner à la technique.

Pourquoi, selon vous, la codirection en binôme est le meilleur système de management?

Nous ne prétendons pas positionner la codirection en binôme comme l’unique solution aux problèmes de management. Nous avons cependant voulu développer une voie qui a été jusqu’à présent peu explorée et documentée dans la littérature managériale.

Nous pensons que le dirigeant actuel doit désormais gérer un tel degré de complexité qu’il a besoin auprès de lui d’une personne capable de challenger ses intuitions et ses idées, de le prémunir contre les biais cognitifs nombreux qui peuvent obscurcir son jugement, et de l’aider à conserver le discernement nécessaire pour poser les décisions pertinentes au bon moment. Cela est d’autant plus vrai en « ère de rupture », c’est-à-dire dans des époques marquées par la volatilité, l’instabilité, les changements de modèle, l’innovation.

La structuration d’une équipe permettant d’élaborer les décisions les plus optimales est l’un des plus vieux problèmes politiques et managériaux. Machiavel consacre déjà plusieurs pages à ce sujet. A vrai dire, contrairement au mythe du dirigeant seul, omniscient, providentiel que charrient la quasi-totalité des cultures et histoires humaines, aucun dirigeant n’a jamais réellement décidé seul : il a toujours existé des conseillers du prince, des rapports complexes entre le chief executive officer et le chief operation officer.

Pour autant, la codirection en binôme que nous mettons en œuvre est très différente de ce modèle habituel. Pour être effective, la codirection doit être égalitaire, afin que chacun de ses membres puisse jouer auprès de l’autre le rôle de contre-pouvoir. Pour cela, ils doivent partager des valeurs et une vision commune de l’avenir de la structure, de l’entreprise. Qui dit codirection ne dit en aucun cas dilution de la responsabilité, bien au contraire : il s’agit d’un co-leadership dans lequel la décision a d’autant plus de poids qu’elle a été pensée à deux, mais en évitant le risque de la prise de décision en dialogue fermé, coupé de la réalité de l’organisation. Cette décision sera d’ailleurs d’autant plus riche que les deux membres du binôme auront des personnalités, des profils et des parcours complémentaires.

Nous considérons que sa mise en œuvre est une chance pour les dirigeants et leur entreprises : entre autres, elle les oblige à veiller à une parfaite coordination avec leurs équipes et les invite à privilégier un management de responsabilisation et de délégation.

[1] John Kay, Obliquity, Why Your Goals Are Best Achieved Indirectly, Profile Books Ltd, février 2011.

Le Brexit en pratique, un processus politique inédit

Fri, 01/07/2016 - 17:28

Le jeudi 23 juin 2016, appelés à se prononcer lors d’un référendum sur la sortie ou le maintien de leur pays dans l’Union européenne (UE), les citoyens britanniques ont voté à 51,9 % en faveur de la sortie (« leave ») de l’UE. En même temps qu’il déstabilisait les marchés financiers et l’UE, ce vote ouvrait une grave crise politique au Royaume-Uni. Dès les résultats connus, le Premier ministre, David Cameron, annonçait qu’il démissionnerait à l’automne, laissant à son successeur au 10 Downing Street le soin d’enclencher le processus de sortie de l’UE. Depuis lors, les spéculations sont allées bon train sur la possibilité réelle du Royaume-Uni de quitter l’UE, donnant à accroire que rien de tel ne pourrait se produire, comme si l’épisode du référendum n’avait été qu’une farce sans effet ou une séquence toute droit sortie d’un monde virtuel. Certes le référendum en lui-même n’a aucune force juridique, et il faudra certainement attendre un vote du Parlement britannique pour enclencher le processus de sortie, cependant, il n’est pas sans effet politique.

Alors que le Pparti conservateur se déchire autour de la succession de David Cameron, le Labour party connaît une crise de leadership similaire, de nombreux parlementaires du Labour profitant de la situation pour remettre en cause l’autorité de Jeremy Corbyn, aux orientations politiques très à gauche et pourtant largement élu par les militants du parti en septembre 2015. Entre impréparations caractérisées pour les leaders politiques du Brexit et trahisons shakespeariennes au sein de la classe politique britannique, on en oublierait presque que le référendum s’est soldé par un vote en faveur de la sortie de l’UE et que le gouvernement britannique devra l’organiser dans un avenir proche, presser par les autres membres et les institutions de l’UE. Le processus de sortie de l’Union européenne, qui n’a jamais été éprouvé et qui véhicule de nombreuses incertitudes, pourrait prendre plusieurs années.

Le principe : la clause de retrait de l’article 50

L’article 50 du traité sur l’Union européenne fixe une clause de retrait de l’Union européenne par un État membre. Avant la signature du traité de Lisbonne, en décembre 2007 (le traité est entré en vigueur le 1er décembre 2009), les traités européens ne contenaient aucune référence à une clause de sortie. En rajoutant une telle clause, le traité de Lisbonne reprenait une disposition présente dans le traité constitutionnel européen rejeté en 2005.

L’article 50, qui se compose de cinq paragraphes relativement courts, acte la possibilité pour un État membre de quitter l’UE et fixe les grandes lignes du processus de sortie de l’UE. En revanche, il ne donne que peu de détails concrets sur la manière dont le retrait doit s’organiser.

Le paragraphe 1 indique que « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.” Le paragraphe 2 prévoit la procédure à suivre pour l’État concerné, qui doit notifier sa demande au Conseil européen (la réunion des chefs d’État ou de gouvernement). La prérogative d’enclencher la procédure de retrait appartient à l’État concerné, qui l’exerce de manière unilatérale et sans justification nécessaire, et à qui revient donc la décision du moment auquel il entend notifier sa sortie. Une fois cette notification de sortie intervenue, s’ouvre ensuite une période de négociation au cours de laquelle l’UE, par le biais du Conseil de l’UE (conseil des ministres), « négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait ». Le paragraphe 3 fixe les modalités temporelles relatives au retrait officiel. Les traités européens cessent de s’appliquer à l’État concerné au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou dans les deux ans suivant la notification de retrait – ce délais peut être allongé si les États membres du Conseil européen le décident. Jusqu’à ce moment, l’État en question, en l’espèce le Royaume-Uni, reste membre de plein droit de l’UE.

Inspiré par le député européen Alain Lamassoure, l’introduction d’une telle clause de retrait a fait l’objet de vifs débats juridiques et politiques au moment de son adoption. Ces débats portaient autant sur la nécessité d’une telle clause que sur le fait de savoir si elle ne remettait pas en cause l’essence même du projet européen et son caractère inéluctable. L’une des raisons majeures d’un tel ajout était d’éviter que l’UE puisse être confrontée à une situation de blocage du fait de décision issue d’un seul État, à l’image de la non ratification d’un traité européen. Par ailleurs, il s’agissait également pour les promoteurs de cet article de répondre à la critique en déficit démocratique de l’UE et de rappeler que l’appartenance à l’UE était le produit d’une décision librement consentie de la part des États.

La mise en œuvre : des impératifs immédiats contradictoires

En annonçant qu’il laisserait à son successeur la responsabilité d’engager la sortie du Royaume-Uni et les négociations avec l’UE, le Premier ministre britannique a renvoyé à l’automne le moment où le processus de sortie pourrait être engagé. De son côté, Boris Johnson, membre du Pparti conservateur et chef de file des partisans du Brexit, laissait entendre qu’il n’y avait pas d’urgence à engager un tel processus, dissimulant mal l’impréparation dans laquelle se trouvait les tenants d’une sortie de l’UE. En revanche, pour les États-membres de l’UE et les institutions européennes, il n’est nullement question de temporiser. Ils ont ainsi fait savoir à David Cameron, lors du Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles les 28 et 29 juin 2016, que le processus de retrait devait être enclenché aussi rapidement que possible.

Sur le plan institutionnel, pour les pays membres de l’UE, l’enjeu est d’éviter de voir l’agenda européen totalement accaparé par la question du Brexit. Sur le plan politique, il s’agit de couper court à la volonté potentielle d’autres États de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le vote britannique. En montrant qu’un vote de retrait aura des effets immédiats et occasionnera des conséquences négatives immédiates, les dirigeants de l’UE entendent éviter un effet domino et montrer que l’UE continue de fonctionner, conformément aux règles qu’elle s’est donnée.

Pour les dirigeants britanniques, en revanche, il s’agit d’éviter, dans un premier temps en tout cas, toutes précipitations qui pourraient déstabiliser encore davantage le pays, alors qu’il est déjà confronté aux soubresauts des marchés financiers et à de nombreuses incertitudes politiques intérieures. Le nouveau Premier ministre, qui aura àchargé de mener les négociations due retrait, aura davantage intérêt à ce que la procédure de retrait sortie se déroulent plus tard pour pouvoir être dans le meilleur rapport de force possible face aux autres membres et pour obtenir le meilleur accord possible au regard des intérêts du pays.

Les scénarios : place à l’inédit ?

Les négociations de sortie entre le Royaume-Uni et l’UE se diviseront en deux volets : la négociation d’un accord de retrait réglant une multitude de questions juridiques et fixant les conditions de départ, et la négociation d’un nouvel accord établissant la nature des relations entre les deux acteurs, notamment en matière commerciale. La question se pose de savoir si les deux volets seront négociés conjointement, ce que souhaiterait les Britanniques en s’appuyant sur les ambiguïtés de l’article 50 paragraphe 2 (« À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. »), ou bien si l’on va dissocier les deux négociations et procéder par étape, comme l’entendent les instances de l’UE. À cet égard, la commissaire de l’UE en charge du commerce, Cecilia Malmstrom, a clairement fait savoir jeudi 30 juin qu’aucune discussion commerciale ne débuterait tant que le Royaume-Uni n’aura pas quitté l’UE. Elle déclarait ainsi : « There are actually two negotiations. First you exit, and then you negotiate the new relationship, whatever that is ».

Sur le plan juridique, toutes les options sont possibles, car il n’y a aucun précédent susceptible de baliser cette procédure de retrait. On peut donc imaginer un accord de retrait qui se doublerait d’un accord fixant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Sur le plan politique, en revanche, il n’est pas improbable que les dirigeants de l’UE entendent faire du cas britannique un exemple en ne faisant aucune concession aux dirigeants britanniques et en se montrant très dur dans les négociations de retrait, puis sur le nouveau statut du pays, afin d’éviter que d’autres États membres n’aient la tentation d’imiter le Royaume-Uni. Dans ce cas de figure, l’UE s’attacherait d’abord à fixer les modalités du retrait, puis dans un second temps, entamerait des négociations quant aux relations entre les deux entités. Cette procédure repousserait le moment où le Royaume-Uni verrait sa relation avec l’UE se clarifier et se stabiliser, laissant le pays dans l’incertitude, avec les conséquences économiques que l’on peut imaginer.

Cette relation future entre les deux pourrait s’appuyer sur quelques expériences déjà à l’œuvre, mais dont on doute cependant qu’elles puissent convenir aux réalités britanniques. L’exemple norvégien est souvent mobilisé pour évoquer la relation entre l’UE et un État non membre mais ayant accès au marché unique européen (objectif avoué des Britanniques) via son adhésion à l’Espace économique européen. Cependant, la Norvège est contrainte d’adopter les législations européennes sans pour autant participer à leur élaboration ; en outre, le pays participe au budget européen. Le statut de la Suisse est également pris comme exemple. L’accord de libre-échange signé entre la Suisse et la CEE en 1972 s’est enrichi par la suite de la signature de nombreux accords sectoriels permettant au pays d’avoir un large accès au marché européen, tout en étant contraint par les règles et principes édictés par l’UE, à l’image du principe de libre circulation des personnes. Enfin, la dernière option consiste en l’élaboration d’une relation inédite dont les contours se dessineront au moment des négociations et au gré de l’état politique de l’UE et du Royaume-Uni.

Rapprochement Israël – Turquie : quels intérêts communs ?

Fri, 01/07/2016 - 10:50

Un accord synonyme de détente doit être signé entre la Turquie et Israël mercredi 29 juin à Rome. Quelles étaient les raisons de la brouille diplomatique entre les deux pays ? Les modalités de cet accord constituent-elles de réelles avancées ou seulement une réconciliation de façade ?

La raison principale de la tension importante entre l’Etat d’Israël et la Turquie remonte à 6 ans, presque jour pour jour. En mai 2010, une flottille de bateaux – dite « Flottille de la Liberté » – avait été affrétée par des organisations humanitaires turques avec l’objectif de participer à la levée du blocus mis en place à l’encontre de la bande de Gaza par les autorités israéliennes. Cette « Flottille de la Liberté », et notamment son navire amiral le Mavi Marmara, avait été pris pour cible par les commandos de l’armée israélienne qui n’ont pas hésité à attaquer des hommes et des femmes désarmés, transportant du matériel de reconstruction et des produits alimentaires vers la bande de Gaza. La brutalité de l’intervention a été telle que pas moins de 10 victimes, toutes turques et engagées dans l’humanitaire, furent à déplorer. A partir de là, des tensions extrêmement vives ont opposé les deux Etats, qui ont vu leurs relations se dégrader considérablement : de multiples invectives ont jalonné le dialogue entre les deux Etats et les échanges économiques se sont considérablement réduits. Pour autant, il n’y a pas eu de rupture diplomatique formelle, bien que le niveau de représentation diplomatique ait été restreint au niveau du deuxième conseiller de chacune des ambassades.

Depuis ce grave incident, la Turquie avait exprimé trois exigences dont des excuses de la part du gouvernement israélien. C’est chose faite depuis maintenant trois ans, puisque lors d’une visite en Israël, Barack Obama était parvenu à convaincre Benyamin Netanyahu de présenter ses excuses à l’ancien Premier ministre et désormais président turc, Recep Tayyip Erdogan. La deuxième requête, sur laquelle les tractations butaient depuis des mois, voire des années, portait sur l’indemnisation des victimes de cette attaque. Cela vient d’être accepté par les autorités israéliennes qui ont promis de verser 20 millions de dollars aux familles des victimes.

Ankara avait exprimé une dernière revendication : la levée du blocus à l’égard de la bande de Gaza. Sur cette question, les Israéliens sont restés intransigeants. L’accord entre Israël et la Turquie, dont les termes exacts ne sont pas encore publics, doit permettre à quelques navires d’accoster dans un port israélien pour des livraisons de matériel de reconstruction, de produits alimentaires et sanitaires en direction des populations de Gaza. Cela n’équivaut pas pour autant, loin s’en faut, à la levée du blocus mis en place depuis de nombreuses années par les autorités israéliennes. Une divergence de fond est donc maintenue.

Ce rapprochement diplomatique ne constitue pas cependant une réconciliation de façade. La satisfaction de deux requêtes sur trois démontre qu’il y a une réelle volonté commune, tant de la part des Turcs que des Israéliens, de normaliser leurs relations diplomatiques, politiques et économiques.

Benyamin Netanyahou a qualifié « d’immenses » les perspectives économiques offertes par cet accord. Dans quelle mesure les enjeux économiques et énergétiques ont contribué à rapprocher la Turquie et Israël ?

La Turquie est un pays dont l’économie demeure dynamique, avec des taux de croissance positifs oscillant autour de 4 %, bien qu’ils n’atteignent plus les 10 % enregistrés dans les années 2009-2010. Pour soutenir cette économie moderne et, sommes toute, relativement efficace au regard de la crise économique internationale, la Turquie a besoin d’hydrocarbures, une énergie qu’elle ne possède pas sur son territoire. C’est donc un enjeu vital du point de vue politique, économique et géostratégique. Il est donc indispensable pour la Turquie de nouer des partenariats avec un ensemble de pays susceptibles de les lui fournir. Les deux principaux pays qui l’alimentent en hydrocarbures sont la Russie – avec qui les relations ont été très tendues depuis que l’armée turque a abattu un avion russe le 24 novembre dernier malgré une volonté toute récente de dépasser cette situation – et l’Iran, dont les ambitions régionales pourraient à moyen terme accroître les jeux de rivalité entre les deux Etats. Les Turcs cherchent donc logiquement à diversifier ses fournisseurs d’hydrocarbures.

La découverte de gisements importants en Méditerranée orientale, qui concerne aussi bien Israël, que le Liban, l’Egypte et Chypre, constitue donc une opportunité pour la Turquie. Incontestablement, l’importance de ces gisements a permis à Israël de devenir un exportateur net d’hydrocarbures et notamment de gaz. Il est clair que le processus de réconciliation entre Tel Aviv et Ankara a donc aussi des racines économiques, dont la fourniture énergétique occupe une place importante. Pour autant, ce n’est pas le seul domaine économique qui pourrait faire l’objet d’échanges. Les Israéliens sont également performants en matière de hautes technologies, ce dont la Turquie a besoin pour moderniser son économie. Le renouveau des relations économiques prendra certainement différentes formes de partenariats, d’échanges et de contrats communs. Si le qualificatif « d’immense » employé par le Premier ministre israélien participe assurément à un élément de communication, les perspectives d’échanges économiques entre ces deux pays sont indéniables.

Quels intérêts géopolitiques communs ont la Turquie et Israël à renouer des relations diplomatiques plus sereines ?
Il y a toujours eu chez les dirigeants israéliens l’idée d’une « alliance de revers » contre les Etats arabes de la région, notamment avec la Turquie, et, avant la révolution islamique, avec l’Iran. La Turquie reste donc pour Israël un partenaire potentiellement très important. Même si les relations entre Ankara et Tel Aviv ont été entachées de crises diplomatiques, les gouvernements successifs israéliens ont toujours considéré avec un vif intérêt leurs relations avec la Turquie.

Pour leur part, les Turcs sont aujourd’hui dont une situation d’isolement diplomatique relatif, sensiblement lié à leur environnement géopolitique particulièrement conflictuel et contradictoire qui rend difficile l’élaboration d’une politique étrangère stable dans la région. Les dirigeants turcs considèrent donc qu’un rapprochement avec Israël participe à amoindrir cet isolement. Cependant, au regard de la situation régionale, et surtout de la politique israélienne vis-à-vis de la Palestine qui empêche tout dialogue digne de ce nom et qui provoque un fort rejet dans le monde arabe, il n’est pas certain qu’Ankara ait fait un bon calcul. Le réchauffement des relations avec Israël peut donc aussi bien avoir des avantages économiques que des désavantages géopolitiques. Les Turcs se sont engagés dans un jeu de balance délicat et il est probable qu’un certain nombre de pays arabes importants dans la région le leur reprochent.

La réconciliation turco-israélienne s’inscrit dans la volonté de ces deux Etats de peser sur leur environnement géopolitique. Reste à savoir si cette réconciliation est le meilleur moyen, pour chacun d’entre eux, de parvenir à stabiliser leurs relations avec les autres pays de la région.

Attentat d’Istanbul : « Erdogan a été complaisant avec Daech »

Thu, 30/06/2016 - 16:30

Comment expliquer cette vague d’attentats en Turquie ?
La situation s’est aggravée depuis juillet 2015, avec l’attentat de Suruç, près de la frontière syrienne. Il n’a jamais été revendiqué, mais a été attribué au groupe Etat islamique (EI). Le gouvernement turc a alors décidé d’engager une lutte résolue contre le terrorisme, mettant pour l’occasion l’EI et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) dans le même sac. Depuis, les opérations militaires visant le PKK sont les plus nombreuses et entraînent une réaction du groupe rebelle kurde ou de ses réseaux satellites. Mais le retournement d’Erdogan concernant l’EI a également eu des conséquences.

Le président Erdogan porte donc une responsabilité particulière ?
Oui, à deux niveaux. Depuis 2011, Erdogan a une obsession : renverser le régime de Bachar al-Assad. Il a pour cela fait preuve de complaisance à l’égard de Daech. Depuis 2015, cette complaisance a disparu, et le gouvernement turc veut démanteler l’organisation. Mais ce retournement a entraîné des représailles. Concernant les Kurdes, la stratégie d’Erdogan est complètement contre-productive. En relançant la lutte militaire contre le PKK, en en faisant l’ennemi public numéro un, il a voulu jouer la stratégie de la tension pour gagner les élections législatives de novembre dernier. La lutte contre le terrorisme doit être implacable, mais on ne peut pas mettre l’EI et le PKK sur le même plan. Ils n’ont ni la même histoire ni les mêmes objectifs politiques.

Que doit faire le gouvernement turc pour sortir de cette spirale ?
L’Etat turc doit continuer à prendre sa place dans la guerre contre le terrorisme de Daech, partager ses renseignements avec les autres pays, prendre part aux bombardements de la coalition. Concernant le PKK, la seule voie possible est de reprendre les négociations. La Turquie est également prise dans un paradoxe important, puisqu’en Syrie le parti kurde est l’adversaire le plus efficace de Daech et qu’il est soutenu notamment par la France et les Etats-Unis.

Une Turquie instable est-elle un danger pour l’Europe ?
L’Union européenne et la Turquie sont en négociation pour une adhésion turque depuis 2005. Ces négociations ont été gelées, ce qui à mon sens est une erreur. La Turquie a un rôle indispensable pour la stabilité régionale. L’UE a également compris que les barrières ne retiennent pas les migrants et qu’elle a besoin de trouver des accords avec la Turquie pour gérer les flux. Le problème est que l’Europe s’en rend compte au mauvais moment, quand Erdogan est en plein raidissement autoritaire. Mais malgré les atteintes aux libertés de plus en plus nombreuses, nous devons aider la Turquie et ne pas la laisser s’enfoncer dans l’instabilité.

Propos recueillis par Antoine Terrel

Secourir sans périr : quelle sécurité humanitaire à l’ère de la gestion des risques ?

Thu, 30/06/2016 - 11:37

Fabrice Weissman est coordinateur général à Médecins sans frontières. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage “Secourir sans périr” (CNRS Editions, 2016) co-dirigé avec Michaël Neuman :
– L’action humanitaire est-elle plus dangereuse que par le passé ?
– Comment trouver un juste milieu entre inaction et prise de risque démesurée ?
– La préoccupation sécuritaire a-t-elle modifié le travail humanitaire ?

Attentats à Istanbul : nouvelle démonstration de force du terrorisme ?

Wed, 29/06/2016 - 17:20

Dans la soirée du mardi 28 juin, un nouvel attentat a frappé l’aéroport d’Istanbul en Turquie. C’est la troisième fois qu’Istanbul est touché cette année. Pourquoi la Turquie semble être une cible prioritaire pour les terroristes ?

Plusieurs facteurs expliquent ce constat.

Un facteur géographique, tout d’abord, puisque la Turquie est située à proximité de zones de conflits, notamment la Syrie et l’Irak. La Turquie possède une frontière longue d’un peu plus de 900 kilomètres avec la Syrie, qu’il est impossible de contrôler de façon efficace et efficiente. Cette perméabilité offre la possibilité aux groupes terroristes de franchir la frontière pour venir commettre des attentats en Turquie.

La Turquie accueille actuellement 2,8 millions réfugiés syriens. Et si, bien évidemment, l’immense majorité de ces réfugiés sont totalement étrangers à des actes terroristes, on peut toutefois supposer qu’il existe au sein d’entre eux des cellules dormantes de l’Etat islamique capable d’organiser des attentats en Turquie.

Le troisième aspect, plus politique, porte sur les formes de complaisance entretenues pendant quelques temps par les autorités politiques turques à l’égard des groupes djihadistes combattant en Syrie, dans l’optique de renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. Pour autant, on peut constater qu’une véritable lutte contre l’Etat islamique a été engagée par le gouvernement turc depuis le début de l’année 2015. Les services de sécurité, de renseignement et de police se sont effectivement mobilisés afin de démanteler les réseaux de Daech en Turquie.

La conjonction de ces trois facteurs nous permet de comprendre pourquoi la Turquie est la victime privilégiée d’attaques terroristes. Par ailleurs, en gardant la plus grande prudence quant au commanditaire de l’attentat à Istanbul qui n’a pas été encore revendiqué, il faut rappeler qu’une guerre sans merci est actuellement menée par les autorités turques contre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Evidemment, personne à ce stade ne peut attribuer au PKK cet attentat, mais nous savons qu’il est devenu depuis juillet 2015 l’ennemi public numéro un en Turquie. Les pertes militaires infligées à cette organisation d’opposition kurde, qualifiée de terroriste, ont déjà entrainé plusieurs attentats revendiqués par le PKK ou des entités affiliées au PKK, comme les Faucons de la liberté du Kurdistan (TAK).

Tous ces facteurs conduisent à dessiner un environnement trouble et complexe. Face à cela, les autorités turques, même si elles ont pu commettre des erreurs à un moment donné, constatent que la lutte contre l’hydre terroriste est singulièrement difficile et compliquée. Les Français, qui sont pourtant plus loin des théâtres d’opérations djihadistes, sont bien placés pour le savoir.

Le président Recep Tayyip Erdogan a appelé à une lutte commune avec les Occidentaux contre la mouvance terroriste. Après s’être réconciliée avec Israël, et avoir esquissé un rapprochement avec la Russie, la Turquie tente-t-elle de normaliser ses relations et de s’affirmer comme un partenaire fiable dans la lutte anti-terroriste ?

Cela ne date pas d’aujourd’hui. La Turquie a toujours considéré qu’il était nécessaire d’organiser un front commun contre les organisations terroristes. Il y a évidemment dans cette déclaration un aspect de communication politique, qui s’inscrit dans le contexte de l’attentat d’Istanbul fortement chargé émotionnellement, mais on ne saurait reprocher au président turc d’appeler à une lutte commune légitime avec les Occidentaux, contre les mouvances terroristes.

Depuis maintenant plusieurs semaines, les autorités turques ont exprimé leur volonté de normaliser leurs relations parfois tendues avec certains pays. Il s’agit tout d’abord de l’Etat d’Israël avec lequel a été acté un processus de réconciliation après 6 ans de turbulences. Par ailleurs, suite aux vives tensions qui ont émergé avec la Russie depuis la destruction d’un avion russe par la Turquie, M. Erdogan semble visiblement vouloir calmer le jeu et reprendre des échanges raisonnés avec Vladimir Poutine.

Ces deux inflexions diplomatiques s’inscrivent dans le sillage d’une politique volontariste de la Turquie, qui connait une phase de relatif isolement politique, afin de normaliser ses relations avec ses partenaires régionaux et internationaux. On peut souhaiter que cela ouvre des perspectives positives dans la lutte anti-terroriste, mais également dans la reformulation de la politique régionale de la Turquie.

Géopolitique du tourisme en Méditerranée

Wed, 29/06/2016 - 14:46

Un an après l’effroyable attaque terroriste de Daech à Sousse, le secteur du tourisme tunisien demeure sous le choc. Durant le premier semestre de l’année 2016, environ 1,82 million de touristes se sont rendus en Tunisie, soit une baisse de 21,5% par rapport au premier semestre 2015. Une tendance alarmante compte tenu du poids de ce secteur dans l’économie nationale : pourvoyeurs d’emplois, le tourisme représente traditionnellement 7 % à 8 % du PIB de la Tunisie et constitue une source indispensable de devises.

En réalité, c’est l’ensemble des activités touristiques de la rive sud de la Méditerranée qui est affecté par les conséquences des soulèvements populaires nés en 2011. Si cette séquence historique est aussi l’occasion de s’interroger sur le modèle de développement de ce secteur stratégique pour des pays comme la Tunisie, l’Egypte ou le Maroc, les acteurs économiques demeurent dans l’expectative.

Le tourisme n’échappe ni au contexte national ni à l’environnement régional– marqué par de fortes sources d’instabilités– dans lequel il s’inscrit. Au contraire, il s’agit d’un secteur fortement dépendant des données géopolitiques locales et globales. Les rivalités économiques, commerciales, sociales et culturelles auxquelles donnent lieu le développement des activités touristiques sur des territoires donnés– en particulier en Méditerranée– attestent de sa dimension foncièrement géopolitique. Par exemple, l’essor du tourisme de masse (le nombre de touristes a encore progressé de 4% en 2015*) a participé à l’actualisation des rapports Nord-Sud, tout en nourrissant l’idéologie islamiste. Manifestation visible et spectaculaire de la globalisation, l’explosion du secteur contribue à la reconfiguration de la carte du monde.

Particulièrement symbolique de la Méditerranée, le tourisme est une activité qui– même si elle n’est pas récente– a fait florès sur l’ensemble du bassin méditerranéen. Le secteur draine un tiers des flux mondiaux, grâce à une nature, un patrimoine historique, architectural et culturel exceptionnels. La Méditerranée est encore aujourd’hui la principale région touristique du monde (B. Kayser, 2001). Le bassin méditerranéen reste en effet la principale destination touristique mondiale. Les activités de services et les emplois liés au secteur pèsent dans la vie économique et sociale des îles et zones/régions littorales (voir le cas de l’Espagne de la Grèce ou de la Tunisie).

Ce tourisme méditerranéen se caractérise néanmoins par sa très forte concentration autour de quelques sites naturels ou culturels, qui ont bénéficié d’investissements lourds, comme l’attestent le développement d’infrastructures et de complexes hôteliers. Outre les pôles d’activités touristiques traditionnels du pourtour méditerranéen, les Balkans présentent de nouvelles offres/destinations, et ce grâce notamment aux investissements privés de fortunes russes qui tentent d’exploiter l’environnement naturel exceptionnel de la région (littoral et îles de Croatie, mais aussi stations balnéaires bulgares).

Cependant, un lent déclin semble se dessiner pour la destination méditerranéenne, sur fond de montée en puissance de nouvelles destinations touristiques (Pacifique, Asie du Sud-Est, Caraïbes, …), de l’instabilité et de l’insécurité sur les rives Sud et Est (en 2015, l’activité a reculé de 8% en Afrique du Nord*), sur fond d’impératifs structurels tels que la nécessité de lourds investissements (difficiles à attirer en temps de crise), le renouvellement de l’offre des produits touristiques et surtout du modèle du tourisme balnéaire de masse…

De plus, le développement parfois anarchique de l’activité touristique (exemple du littoral bétonné en Espagne et contre-exemple de la sauvegarde du littoral corse) a un coût pour l’environnement en général, et pour les écosystèmes littoraux, en particulier. La perspective d’un changement climatique représente ici plus qu’ailleurs un défi majeur pour ce secteur confronté à des problèmes aigus en matière de consommation et de gestion de l’eau et d’énergie. Le tourisme durable est l’avenir de ce secteur en Méditerranée comme ailleurs. Il en va de sa pérennité.

Assassinats de Magnanville : « Notre systèmes est débordé, inefficace, ou les deux… »

Wed, 15/06/2016 - 16:58

Pourquoi pouvait-on s’attendre à ce type d’attaque ?
Ce n’est pas du tout une surprise : Daech appelle depuis longtemps à prendre des initiatives comme celle-ci. Les djihadistes prétendants qui ne peuvent pas aller combattre en Irak ou en Syrie sont appelés à s’attaquer à des cibles avec ce qu’ils ont sous la main, et même avec des cailloux, un couteau ou une voiture. D’autre part, les policiers et magistrats font partie depuis quelques mois déjà des cibles importantes et enfin, Daech avait fait un communiqué disant qu’il fallait intensifier les attentats pendant la période de ramadan.

Le ramadan n’est-il pas censé être une période d’accalmie, d’introspection ?
C’est une période où l’on est censé se rapprocher du Créateur, mais selon votre interprétation de l’islam, vous serez dans une période pacifique ou au contraire dans une période où il faut combattre encore plus vigoureusement les ennemis de l’islam.

Comment peut-il avoir choisi sa cible ?
C’est du djihad de voisinage. Le terroriste vivait à quelques kilomètres du commissariat de ce policier. On va peut-être découvrir qu’ils se connaissaient, peut-être que le policier est intervenu dans l’une des affaires judiciaires de ce jeune homme. On voit de plus en plus dans ce djihadisme amateur, c’est-à-dire non organisé, des cibles faciles et une cristallisation autour d’obsessions personnelles, un défoulement au travers d’attentats. À titre d’exemple, celui qui a tué des homosexuels dans la discothèque en Floride avait visiblement un problème avec sa sexualité.

Ce jeune terroriste avait été condamné pour avoir été impliqué dans une filière de djihadistes, il avait plusieurs fiches S, et il était sur écoute judiciaire. Comment peut-on passer à côté de ce genre d’actes ?
Il avait le profil parfait comme Merah, comme les Kouachi et Coulibaly, avec tous un dossier. Tout d’abord les peines de prison qui leur avaient été infligées étaient clémentes, et puis très diminuées grâce aux réductions de peine. Par exemple, Larossi Abballa avait ouvert un snack à Mantes-la-Jolie, on a donc considéré qu’il était réintégré ! D’autre part, il y a trop de fiches S (pour sûreté de l’État), elles ont été bien établies, mais le problème c’est qu’on n’a pas les analystes qui sont capables de décider parmi ces milliers de fiches quels individus sont vraiment dangereux. C’est bêtement quantitatif, il y a trop de candidats potentiels et donc dès qu’ils racontent l’histoire de la réintégration qu’on veut entendre et qu’ils se tiennent à carreaux quelques temps, la surveillance se relâche. À la décharge des policiers, on n’a pas les moyens de suivre pendant des années ceux qui ne sont plus dans les radars.

Visiblement, les mesures prises dans le cadre de l’État d’urgence n’ont pas fait leurs preuves…
Certes on ne sait pas combien d’attentats on a évité mais ça fait déjà 7 mois et on n’a pas l’impression que cela a beaucoup augmenté notre capacité de renseignements et de repérage des éléments dangereux. Soit notre système est débordé, soit il est inefficace. Ou les deux…

Est-il possible que certains criminels donnent une teinte terroriste à des homicides « classiques », simplement pour en augmenter leur retentissement ou pour aller au paradis?
Ces gens ont des haines personnelles et s’ils peuvent satisfaire leur appétit de vengeance tout en ayant la certitude d’aller au paradis, ça peut pousser encore davantage au passage à l’acte, mais là on est dans un secret qu’on ne pourra jamais connaître…

Que cela soit à 100% religieux ou pas, pour l’État Islamique c’est tout bénéfice…
En effet, parce qu’ils sont à la fois capables d’envoyer des commandos très organisés comme au Bataclan, et en même temps ils donnent un feu vert à tous ceux qui ont un appétit de violence en leur disant « Allez-y les gars, ne nous demandez même pas d’instructions ». Mais je trouve quand même que pour cet acte, et celui d’Orlando, l’agence de presse de l’EI a réagi très vite. Donc soit ils sont en veille toute la journée sur les dépêches d’agences de presse du monde entier et ils revendiquent le moindre fait qu’ils peuvent s’attribuer avec un investissement quasiment nul, soit ces gars-là, sans agir sur instructions, doivent avoir un correspondant à qui ils disent qu’ils vont agir incessamment sous peu…

Entretien réalisé par Romain Capdepon

[GEOTALK] République centrafricaine : quels défis pour le nouveau gouvernement ?

Wed, 15/06/2016 - 11:03

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 26 mai 2016 avec Didier Niewiadowski, ancien conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France à Bangui. Introduction de Segolen Guillaumat, adjointe du Directeur des opérations pour l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Ouest à Action contre la Faim.

Tuerie de masse à Orlando : quelles conséquences politiques ?

Wed, 15/06/2016 - 09:11

Une fusillade historique a ensanglanté la Floride samedi soir. Alors que l’assaillant a revendiqué, avant sa mort, à la fois une homophobie prononcée et une allégeance à l’Etat islamique, comment peut-on analyser cette nouvelle tuerie de masse ? Peut-on comparer le traumatisme à celui subi par les Américains suivant les attentats du 11 septembre 2001 ?
Le 11 septembre était une attaque sur le sol américain mais conçue à l’étranger, venue de l’extérieur et vue comme telle par les Américains. En tant que première agression sur le territoire des Etats-Unis depuis la guerre de 1812 (ou du moins depuis Pearl Harbour en 1941), ces attentats représentaient un choc au système. Maintenant, les Américains font face à un problème plus complexe et plus grave : the enemy within, l’ennemi chez soi.
La fusillade d’Orlando représente une combinaison de trois problèmes : le port d’armes à feu, les clivages de la société américaine et la panique engendrée non pas autant par les événements du 11 septembre que par les réactions américaines à ces événements.

Le mode opératoire d’Omar Mateen, qualifié de loup solitaire ou de terroriste mimétique, ne risque-t-il pas d’entraîner les Etats-Unis dans une nouvelle surenchère sécuritaire et paranoïaque ?
La surenchère sécuritaire et paranoïaque, qui a caractérisé l’après 11 septembre, était dirigée contre un ennemi externe. Mais à l’intérieur, l’ennemi n’est pas visible. Un terroriste mimétique, que Daech peut se vanter d’avoir recruté, est inidentifiable au sein de la société. Dans ce cas-là, la problématique est bien plus proche de celle posée par les assaillants du Bataclan en France.
Mais pire, par comparaison aux attentats de Paris ou de Bruxelles, il y a même encore moins de certitude quant à la radicalisation et au recrutement d’un djihadiste mimétique. Il n’a pas besoin de partir en Syrie, il peut être converti à la cause sur internet, le rendant particulièrement difficile à détecter. Par conséquent, tous les excès sécuritaires américains — des policiers, des militaires, des services de renseignement — mis en place depuis le 11 septembre n’auront presque aucun effet sur ce type de carnage à l’avenir sur le territoire des Etats-Unis, à moins d’instaurer une surveillance 7/7 et 24/24 de tous les citoyens, ce qui existe partiellement déjà.

Alors que l’émotion est encore très vive, de nombreuses pétitions ont vu le jour pour demander un meilleur contrôle des armes à feu. Ce sujet, qui oppose vivement Hillary Clinton et Donald Trump, peut-il devenir un enjeu majeur de la campagne présidentielle ?
La sécurité sur le sol américain deviendra probablement un enjeu majeur de la campagne présidentielle mais la fameuse question de la fabrication, de la vente et du port des armes à feu relève essentiellement de la compétence du Congrès. Les membres de celui-ci, on le sait, perçoivent de l’argent abondamment fourni par les fabricants et les distributeurs d’armes à feu et ils obéissent à leurs payeurs. Il serait très difficile, même pour Hillary Clinton, d’avoir une influence directe sur le dossier. L’opposition entre Hillary Clinton et Donald Trump se fera davantage sur l’image et l’attitude, Madame Clinton cherchant à paraître présidentielle et réconciliatrice et Monsieur Trump déterminé à revêtir l’uniforme d’un leader fort, n’hésitant pas à mettre en cause des individus et des groupes, jusques et y compris le président Obama lui-même, et de capitaliser sur les angoisses, semer la peur et ainsi recruter des électeurs.

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