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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

Accord de cessez-le-feu : vers une paix définitive en Colombie ?

Fri, 22/07/2016 - 10:58

L’accord de cessez-le-feu, signé le 23 juin à La Havane par le Président colombien et les FARC-EP, constitue une avancée significative dans le processus de négociation, bien qu’il s’agisse d’un accord partiel qui ne sera effectif que lorsque les deux parties y apposeront leur signature définitive.

Le processus de paix en Colombie a débuté avec la « Rencontre Exploratoire » du 23 février au 26 août 2012 à Cuba, à l’initiative du président Juan M. Santos et des dirigeants des Forces Armées Révolutionnaires de la Colombie – Armée du Peuple (FARC-EP). Il aura parcouru un chemin ardu mais en constante progression, malgré de multiples et difficiles ralentissements. Des nombreux acteurs ont permis de donner une crédibilité et un soutien international à la volonté politique de mettre fin à ce conflit vieux de 52 ans : la Norvège et Cuba, en tant que « garants » et facilitateurs, les gouvernements du Venezuela et du Chili comme « accompagnateurs ». On retiendra des évènements de grande envergure comme la table des pourparlers initiaux, instaurée à Oslo, et le siège permanent des négociations à La Havane.

L’agenda des négociations prévoyait six thématiques nécessitant un accord[1] des parties : la politique du développement agraire intégral, la participation politique de l’opposition et des membres des FARC, la fin du conflit, la solution au problème de drogues illicites, la réparation aux victimes et sa mise en œuvre, ainsi que la vérification et la ratification de l’accord final de paix. Les thématiques choisies résument les intérêts et les compromis des deux parties prenantes du conflit, ainsi qu’un apprentissage certain des erreurs des tentatives précédentes.

Trois thématiques ont été rapidement acceptées : la réforme agraire, la participation à la vie politique avec des garanties de sécurité pour les FARC démobilisés et le trafic de drogues. Cependant, la réparation des victimes et le droit à la vérité a nécessité plus de temps (18 mois). Quant à un accord sur le traitement de la fin du conflit, en particulier le « cessez-le-feu » et le désarmement, il est bien difficile à trouver.

La méthode, qui consiste à aborder chaque thématique une par une, de façon successive, avec la signature d’un accord partiel permettant de passer à la suivante, s’est montré appropriée pour avancer dans la gestion du conflit. Cependant, le principe qui prévaut pour valider l’intégralité de l’accord reste celui de « rien n’est signé tant que tout n’est pas signé ». Autrement dit, pour mettre en œuvre les accords partiels, il faut nécessairement la signature et la ratification de l’accord final.

Quelle signification donner à l’accord signé le 23 juin dernier ?

Selon le communiqué conjoint[2] rédigé par la délégation du gouvernement colombien et les dirigeants des FARC-EP, l’accord partiel actuel reprend trois points essentiels de l’agenda initial :

– Le cessez-le-feu bilatéral de façon définitive et l’abandon des armes par les combattants des FARC[3]. Cela inclut la rédaction d’une « feuille de route » qui guidera l’abandon des armes utilisées par la guérilla, démarche envisagée sur une période de 180 jours à partir de la signature de l’accord final. La fin des hostilités entre les forces militaires et sécuritaires étatiques et les forces des FARC implique la récupération et la neutralisation de l’armement de ces derniers.

Un mécanisme de contrôle (CI-MMV) du désarmement sera composé de représentants civils non armés du gouvernement colombien, des FARC et d’observateurs des pays de la CELAC (Communauté d’États latino-américains et Caraïbes). C’est cette « composante internationale » qui présidera le mécanisme et tranchera en cas de désaccord sur la façon de procéder au désarmement.

– Les garanties de sécurité et la lutte contre les organisations criminelles par l’État[4].

Cet objectif cherche à assurer la protection et la sécurité de la population, en particulier pour les personnes appartenant à des groupes politiques de l’opposition, à des mouvements sociaux ou syndicaux, ou bien des personnes issues des anciennes unités de combat ou de soutien à la guérilla. Il souhaite également permettre l’éradication du phénomène des para-militaires et d’autres organisations criminelles.

– La ratification citoyenne de l’accord final de paix[5]. Pour éviter un blocage du processus, les FARC et le gouvernement ont décidé d’accepter la décision de la Cour constitutionnelle concernant la définition du mécanisme de participation citoyenne pour ratifier l’accord.

La décision des FARC-EP d’accepter le rôle de la Cour constitutionnelle était inattendue. C’est la première fois que les FARC acceptent la décision d’une entité étatique. Le référendum a été une promesse de campagne électorale du président Santos au moment de sa candidature présidentielle ; le manquement à cette promesse engendrerait un coût politique considérable pour lui et son parti. Dans ce contexte, la décision des FARC représente un signal positif.

Vers une paix définitive ?

Les signes sont définitivement positifs et prometteurs.

– Les avancées dans les discussions et la signature des accords partiels, malgré les positions antagonistes constatées au départ et plusieurs affrontements armés sur le terrain pendant les négociations, restent sans aucun doute un premier constat positif.

– La présence des six présidents, le Secrétaire général des Nations unies, le ministre des Affaires étrangères de la Norvège, le président du Conseil de sécurité, le président de la CELAC et quelques représentants des États-Unis et européens, au moment de la communication conjointe sur « le cessez-le-feu et l’abandon des armes », donnent un cadre de confiance et continuent à montrer un esprit d’engagement réel sur la finalisation du processus de paix entre les deux parties.

– Le rôle technique demandé aux Nations unies dans la gestion du désarmement des guérilleros et l’engagement formellement accepté par le Secrétaire général des Nations unies, M. Ban Ki-moon, montrent que le processus est fortement engagé. La situation est similaire pour le rôle de vérification de la mise en œuvre des dispositions accordées demandé à l’UNASUR.

Cependant, le succès est encore conditionné à la volonté de certaines entités et forces du pays, soit :

– Les forces politiques conservatrices de droite, dirigées par l’ancien président Alvaro Uribe, un opposant farouche au processus de paix par la voie de la négociation et partisan de la victoire militaire. M. Uribe a émis un communiqué de presse le jour même du communiqué conjoint (23 juin) exprimant son désaccord aux avancées.

– La continuité ou la destitution de M. Alejandro Ordoñez Maldonado comme Procureur général de la Nation[6]. La relation de proximité qu’entretient M. Ordoñez avec M. Uribe et sa partialité dans l’exercice de sa fonction, dans la mesure où il favorise ceux qui partagent avec lui une position conservatrice et religieuse, pourraient être un frein juridique à l’initiative

– La sélection et l’orientation du nouveau Procureur général de l’État (au moment de l’écriture de cet article, c’est M. Néstor Humberto Martínez qui a été choisi par la Cour Suprême de Justice). Le responsable de la fiscalité est principalement chargé, parmi d’autres fonctions judiciaires, de la lutte contre le crime organisé. Il devra accompagner aussi la création du Tribunal Especial para la Paz (Tribunal Spécial pour la Paix). Une attitude de fermeté pour résoudre le problème concernant les groupes criminels armés sera un facteur d’affirmation ou d’affaiblissement de la « mise en œuvre » effective de la paix.

– La décision de la Cour Constitutionnelle d’accepter un référendum comme mécanisme de ratification de l’accord de paix définitif. L’aspect politique du communiqué ci-joint et le sentiment partagé dans le milieu judiciaire envoient des signes favorables pour un référendum, sachant qu’un verdict négatif engendrera la création d’un autre mécanisme, complexifiant un peu plus la dernière ligne droite du processus. Cette décision reste strictement dans les mains de la Cour constitutionnelle, ce qui ne veut pas dire pour autant qu’elle échappera à la volonté politique du gouvernement.

– Le rôle des médias dans la communication des événements, des débats et des positionnements des acteurs les plus importants. Ceux-ci influeront sur la perception positive du processus en soulignant la construction d’un futur meilleur, ou bien en mettant en lumière les expériences négatives du passé et l’affirmation du statu quo.

Pour finir,

– L’acceptation générale des citoyens concernant la participation politique des anciens rebelles, un sentiment qui n’est pas gagné d’avance sauf si un processus de pardon et de réconciliation nationale est mis en œuvre de façon rapide et consistante.

L’action directe et le soutien de nombreuses organisations civiles, actuellement actives et engagées, sera un élément important à prendre en considération puisqu’il jouera en faveur de la signature de l’accord. C’est ce tissu social qui participera fortement à l’endiguement des « forces anti-paix ». Le soutien des institutions internationales et des gouvernements apportent également un appui non négligeable, le pouvoir décisionnel et d’influence directe restant néanmoins dans les mains des acteurs nationaux.

Nous pouvons donc avancer que les conditions qui permettraient d’arriver à la signature de l’accord final sont réunies malgré les éléments de blocage ou d’opposition. La signature de l’accord final est envisagée pour cette fin juillet, voire au mois d’août. Ce jour-là, la Colombie tournera une page douloureuse de son histoire et commencera l’écriture d’un nouveau chapitre prometteur longtemps réclamé et attendu par sa population.

[1] Acuerdo General para la Terminación del Conflicto y la construcción de una paz duradera (Accord Général pour la finalisation du conflit). 26-août-2012, La Havane
[2] Communiqué conjoint « Acuerdo sobre Cese al Fuego y Hostilidades bilateral y definitivo, Dejación de Armas, Garantías de Seguridad y Refrendación ». 23-juin-2016, La Havane
[3] Incise 3.1 3.2 de l’Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[4] Incise 3.4 de l’Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[5] Incise 6.1, 6.2, 6.3 de l‘Accord Général pour la finalisation du conflit. 26-août-2012, La Havane
[6] Le rôle du « Procureur » est d’assurer les droits collectifs en représentation des citoyens et contre les abus ou irrégularités commis par les fonctionnaires publiques.

Coup d’Etat en Turquie : à qui cela profite-t-il ?

Thu, 21/07/2016 - 12:48

Un coup d’État manqué a secoué la Turquie dans la nuit du 15 au 16 juillet. Pourquoi une partie de l’armée s’est-elle ainsi soulevée ? Comment comprendre l’échec du coup d’Etat des militaires ?

Nous savons que depuis maintenant plus de 10 ans, le pouvoir civil, incarné par le Parti de la Justice et du Développement (AKP) du président Erdogan, et l’institution militaire, sont engagés dans un bras de fer. En Turquie, l’armée se présente, à tort ou à raison, comme le garant de la laïcité, des valeurs kémalistes et républicaines. Celle-ci a vu d’un bien mauvais œil l’accession au pouvoir de l’AKP, considéré comme un parti islamiste. L’opposition entre les pouvoirs civil et militaire a été notamment ponctuée pendant plusieurs années de grands procès contre une partie de l’état-major, accusé de fomenter des complots pour renverser l’exécutif.
Depuis lors, l’armée est rentrée dans les rangs. L’institution militaire n’a plus les capacités d’intervention sur la scène politique, ce qui ne lui permet plus d’organiser des coups d’éclat comme en 1960, en 1971, en 1980, voire en 1997. Les rapports de force institutionnel, politique et social entre le pouvoir politique et l’armée s’est complètement modifié depuis.
Pour autant, il demeure au sein des forces armées des noyaux durs nationalistes ou ultra kémalistes qui n’acceptent pas la mainmise du pays par l’AKP. Ils ont ainsi tenté d’agir contre ce qu’ils considèrent être des politiques liberticides en tentant d’organiser un putsch. Ceci étant, et c’est certainement une leçon essentielle, seule une partie de l’armée s’est engagée dans le renversement du pouvoir politique alors que les autres coups d’Etat ont traditionnellement été assumés par l’état-major lui-même. Les putschistes ont ainsi fait preuve d’un total amateurisme puisque leur projet a été déjoué en quelques heures.
Il faut également noter que la société civile a évolué et n’est désormais plus encline à accepter une prise en main des affaires politiques par l’armée. C’est certainement une preuve de maturité qui, combinée à l’aventurisme des putschistes, a entraîné l’échec du coup d’Etat, ce qui est une bonne nouvelle pour la Turquie.

Comment analysez-vous la réponse du président Erdogan au coup d’Etat ? Pourrait-il l’avoir orchestré pour renforcer son pouvoir, éliminer ses adversaires et engager la présidentialisation du système politique, comme certains le soupçonne ?

Une des premières réactions du président Erdogan a été d’appeler à la mobilisation citoyenne contre la tentative de putsch. Des milliers de personnes, bien évidemment organisées par l’AKP, sont descendues dans la rue pour riposter à l’initiative des militaires. Cela démontre le fort potentiel de mobilisation dont dispose le parti.
Erdogan s’est ensuite adonné à un réflexe complotiste puisqu’il a rapidement accusé Fethullah Gülen d’être à l’instigation du coup d’Etat. Cette imputation ne mérite aucun crédit dans la mesure où les gülenistes sont soumis à une répression depuis plusieurs années, ne disposent pas de l’implantation nécessaire au sein de l’armée pour fomenter un coup d’Etat réussi, et n’ont pas pour habitude de recourir à de telles procédés.
Dans un troisième temps, Erdogan a lancé une campagne de répression intense, démontrant ainsi une fois de plus son extraordinaire sens politique. Le président turc est capable de se saisir d’une situation de déstabilisation potentielle de son pouvoir pour prendre des mesures qui se soldent, depuis samedi dernier, par des milliers d’arrestations et de mises à l’écart d’abord de militaires, de fonctionnaires, puis de magistrats, d’intellectuels, etc. Il est peu plausible qu’une telle vague de répression ait pu se produire en l’absence de listes existant au préalable.
Cette donnée est extrêmement préoccupante, l’existence d’un tel répertoire étant peut-être plus préoccupante que la tentative de coup d’Etat elle-même. Lorsque dans un pays qui se prétend être un Etat de droit, des officines liées au gouvernement préparent une telle liste, tout est possible et la liberté est très gravement menacée. La réponse d’Erdogan est clairement disproportionnée et va bien au-delà de la simple défense légitime des institutions étatiques.

Dans quelle mesure l’instabilité turque peut-elle remettre en cause la géopolitique régionale, de l’appartenance de la Turquie au Conseil de l’Europe et à l’Otan, à la lutte contre Daech ?

L’instabilité de la Turquie peut effectivement poser problème. Concernant le Conseil de l’Europe, la question du rétablissement de la peine de mort envisagée en Turquie devrait logiquement être source de difficultés. Si une telle mesure était adoptée, le Conseil de l’Europe pourrait probablement suspendre la Turquie pendant quelque temps. Pour autant, le chaos politique turc ne remet aucunement en question l’appartenance du pays à l’Otan. La Turquie, indépendamment de ses dérives, est un élément trop important pour l’équilibre régional mais également pour l’alliance occidentale actuellement à l’œuvre dans la lutte contre Daech. Les rapports entre la Turquie et l’Union européenne pourraient cependant se ternir et remettre en cause l’accord d’association du 18 mars concernant les réfugiés.
Pour ce qui est de la lutte contre l’Etat islamique, la situation politique turque ne devrait pas faire lever le pied aux autorités dans leur engagement contre ce groupe djihadiste. Certes, pendant quelques jours les opérations turques contre Daech ont été suspendues, mais c’est provisoire, la Turquie faisant face à une vague d’attentats orchestrée par l’organisation et devant s’en défendre. Les jeux d’alliances ne devraient donc pas être impactés.
Enfin, concernant la géopolitique régionale, quelque peu éclipsée par l’actualité, la Turquie s’est significativement rapprochée d’Israël, puis de la Russie, pays avec lequel les relations étaient exécrables depuis le mois de novembre. De plus, le Premier ministre turc a déclaré, quelques jours avant la tentative de coup d’Etat, qu’il était nécessaire de revoir la politique de la Turquie à l’égard de la Syrie. Ces éléments participent à la réinsertion de la Turquie, qui connaissait un relatif isolement dans le jeu régional. C’est une donnée plutôt positive puisque, indépendamment des graves contradictions politiques qui l’affectent, la Turquie, de par sa taille, sa dimension et sa situation géographique, possède encore un potentiel rôle de stabilisation régionale.

La Turquie d’Erdogan : plus forte à l’intérieur, fragilisée à l’extérieur ?

Wed, 20/07/2016 - 10:23

Trente-six ans après le dernier coup d’Etat militaire, la Turquie a vécu une nouvelle expression de ce moment de chaos mêlant et confrontant pouvoir militaire et pouvoir politique.

Malgré la contestation dont fait l’objet la dérive autoritaire du pouvoir de Recep Tayyip Erdogan et son projet d’islamisation de la société, le putsch ourdi par une partie de l’armée n’a pas reçu le soutien escompté (par les militaires factieux) auprès des acteurs de la vie politique, économique et sociale.

Pis, à la différence des épisodes passés, des milliers de civils sont sortis dans les rues, à l’appel express de Recep Tayyip Erdogan, pour faire barrage aux putschistes. Outre la démonstration de force de la puissance du charisme du « nouveau sultan », l’épisode a montré l’attachement populaire à la légitimité démocratique, jugée supérieure par l’écrasante majorité de l’opinion publique (même parmi les opposants de l’AKP). Preuve de la maturation d’un Contrat social fondé sur le principe démocratique, la société civile a rejeté toute supériorité présumée de la légitimité de l’institution militaire.

Gardienne autoproclamée des valeurs de la République kémaliste, l’institution militaire s’est révélée elle-même divisée au point de ne pas basculer en faveur du renversement du régime. Contrairement aux dernières tentatives de putsch (1960, 1971, 1980), ce nouvel épisode s’est soldé par un échec cinglant pour la fraction de l’armée qui s’est rebellée. Cet échec et les réactions internes qu’elles ont suscitées soulignent combien le pays a changé. En 1997, elle avait contraint à la démission le Premier ministre islamiste Necmettin Erbakan, mentor de l’actuel homme fort du pays.

On avait alors parlé de « coup d’Etat postmoderne », même s’il fut suivi d’une dissolution du Refah, le parti islamiste, qui fut d’ailleurs entérinée par la Cour européenne des Droits de l’homme. Les militaires en 2007 lancèrent une mise en garde sur le site de l’état-major pour tenter de bloquer une candidature AKP, le parti islamiste qui avait pris la succession du Refah, à la fonction de président de la République, alors élu par le Parlement. Ce fut un échec. Les électeurs donnèrent dans les urnes une large majorité au parti de M. Erdogan.

L’échec de la dernière tentative de coup d’Etat finit d’affaiblir l’institution militaire dans la Turquie post-kémaliste. L’« ennemi intérieur » prend une forme plus diffuse. Ancien allié privilégié de Recep Tayyip Erdogan, le prédicateur Fethullah Gülen, leader d’une puissante confrérie islamiste, est devenu son principal ennemi politique, ce malgré son exil aux Etats-Unis depuis 1999. Le premier accuse le second d’être à la tête d’un « Etat parallèle » qui cherche à déstabiliser le pays pour mieux précipiter la chute du régime. L’emprise de la confrérie sur nombre de mosquées, d’écoles et même au sein des services publics est réelle. La preuve d’un complot fomenté – avec l’aide des Etats-Unis ? – par Fethullah Gülen reste néanmoins à démontrer …

Si le pouvoir d’Erdogan semble a priori renforcé, la séquence actuelle reflète une réalité plus contrastée. La démocratie turque est plus fragile que jamais, notamment dans son versant juridique et libéral : la concentration du pouvoir dans les mains du pouvoir islamo-conservateur de l’AKP et de son « nouveau sultan » est-elle compatible avec le respect de l’Etat de droit ?

Le coup d’Etat militaire avorté en Turquie a révélé le degré de tension qui traverse le pays comme l’appareil d’Etat. L’épisode a coûté la vie à plus de 300 personnes et a suscité une vague d’arrestations importante dans l’armée, la police, la magistrature et la société civile. La purge drastique qui vient d’être lancée est le signe d’une logique de répression implacable. Le président Recep Tayyip Erdogan sort politiquement renforcé de cette épreuve de force. Le spectre d’une « hyperprésidence » se précise dans un contexte d’instabilité et d’incertitude accru. Un discours martial – sur fond de recrudescence du conflit avec la rébellion kurde et des attentats de l’Etat Islamique – tend à renforcer la dérive présidentialo-autoritaire et nationaliste d’un pouvoir devenu une menace pour l’exercice de certaines libertés, y compris la liberté de la presse.

Les capitales mondiales, en général, et occidentales, en particulier, ont soutenu les institutions démocratiquement élues contre la tentative de putsch. La stabilisation du pilier du flanc sud-est de l’OTAN constitue un enjeu stratégique majeur dans une région frappée par la guerre syrienne, le djihadisme islamiste et la crise des réfugiés. Il n’empêche, les critiques et les prises de distance avec les dérives autoritaires et la vague de répression massive lancée par Erdogan s’expriment officiellement et se font plus précises de Washington à Berlin en passant par Paris. Une prise de distance qui révèle le déficit de confiance à l’égard de l’allié turc …

Dès lors, il revient au président Erdogan de ne pas transformer sa victoire politique sur le front intérieur en défaite diplomatique sur le front international. Sinon, c’est le spectre de l’isolement qui risque de se matérialiser au grand jour…

Convention républicaine : quelle dynamique pour Donald Trump ?

Tue, 19/07/2016 - 14:30

La Convention nationale du Parti républicain américain s’est ouverte lundi dans un climat tendu. Quel est l’état d’esprit actuel à Cleveland ? Les divisions internes, les défections historiques par leur ampleur ou encore les tentations d’une candidature parallèle menacent-elles l’unité du Grand Old Party ?

Le climat est plutôt tendu à Cleveland, mais peut-être plus encore à l’extérieur qu’à l’intérieur de la Convention. En effet, en l’absence d’alternative, le Parti républicain semble se mettre en ordre de marche derrière Donald Trump qui devrait vraisemblablement rassembler les cadres sur sa candidature. En revanche, beaucoup de manifestants se trouvent à l’extérieur de la Convention. Dans les jours qui vont suivre, la ville risque d’être à cran et de vivre avec une forte présence policière chargée de quadriller les rues. Les partisans de Donald Trump et les soutiens du port d’armes sont mobilisés à Cleveland, tout comme les opposants à la candidature du milliardaire, notamment des mouvements féministes ou des partisans de Black Lives Matter. Cette proximité participe à accroître les crispations et le risque d’affrontement.
En interne, plusieurs grands leaders du Parti républicain ont affiché leur soutien à Trump et vont l’exprimer lors de la Convention en qualité d’intervenants. Paul Ryan, le speaker de la Chambre des représentants, et certainement l’un des personnages les plus importants du Parti, en fait partie aux côtés de Mitch McConnell, chef de la majorité au Congrès, et des anciens candidats à la primaire républicaine que sont Ted Cruz, Marco Rubio et Ben Carson.
Il est vrai que plusieurs personnalités, dont la famille Bush et Mitt Romney, ont signifié leur vive opposition à la candidature de Donald Trump et ne participeront pas à la Convention. Pour autant, les leaders républicains sont de plus en plus nombreux à le rejoindre. Cette dynamique résulte notamment de l’absence de candidature alternative, le Parti républicain ayant été incapable de faire émerger une personnalité crédible capable de concurrencer Trump. De plus, les membres du Parti républicain ont en tête d’autres élections qu’ils ne veulent pas perdre : le renouvellement d’un tiers du Sénat et de l’intégralité de la Chambre de représentants, d’autant que les sénateurs républicains sont deux fois plus nombreux que les sénateurs démocrates à remettre leur siège en jeu. Il est donc essentiel de ne pas envoyer de message négatif à l’électorat et de ne pas s’aliéner de vote en faveur des républicains pour ces autres scrutins

Quels sont les enjeux de la Convention nationale ?
Les enjeux de la Convention nationale sont doubles.
Le vote des délégués sur la plateforme du Parti, c’est-à-dire la profession de foi des républicains, est certainement le premier enjeu. D’après ce que l’on a pu en voir, ce programme est très marqué à droite, clairement ultraconservateur. Par exemple, sur les sujets de société, la feuille de route républicaine réaffirme le mariage entre un homme et une femme, condamne l’union homosexuelle et soutient l’enseignement obligatoire de la Bible dans les écoles publiques. En termes économiques, le projet se distingue également pour ses positions très conservatrices lorsqu’il rejette toute régulation du secteur de l’énergie et considère le charbon comme une énergie propre. L’influence de Donald Trump dans le texte programmatique transparaît également. La construction d’un mur le long de la frontière mexicaine y est ainsi approuvée. C’est donc un projet extrêmement conservateur qui est envisagé pour les 4 ans à venir, situé encore plus à droite que celui adopté en 2012.
Le deuxième enjeu de cette Convention est la capacité ou non de Donald Trump de faire émerger un maximum de soutiens sur sa propre candidature et faire en sorte que le plus possible de délégués votent en sa faveur. Le candidat doit envoyer un message d’unité à l’électorat, ce qui est assez paradoxal puisque jusqu’alors, Donald Trump s’est évertué à dénoncer les « losers » et les traîtres de l’establishment républicain. Désormais, il est contraint de les faire entrer dans son giron et de s’appuyer sur la hiérarchie républicaine. C’est le deuxième grand enjeu de la Convention et il est en passe de réussir.

Le futur candidat républicain à la présidentielle a sélectionné Mike Pence pour l’accompagner durant la campagne en tant que vice-président. Comment analysez-vous ce choix ? Alors que la question raciale prend une importance considérable en Amérique, quelle impulsion souhaite donner Donald Trump à sa campagne présidentielle ?
Mike Pence est un choix stratégique. En sélectionnant ce gouverneur de l’Indiana, Donald Trump envoie un message ultraconservateur à l’Amérique. En effet, M. Pence est connu pour ses positions réactionnaires sur les libertés sexuelles, sur l’immigration ou encore sur l’écologie. Il est par exemple opposé à l’avortement quelles que soient les circonstances, y compris en cas de malformation du fœtus ou de viol. C’est donc une caution que Donald Trump souhaite envoyer au monde conservateur, lui qui a divorcé deux fois et que Ted Cruz, notamment, a décrit comme incarnant la société new-yorkaise décadente.
Ce choix révèle aussi une stratégie. M. Trump semble vouloir faire le plein de voix dans l’électorat traditionnel du Parti républicain : un profil plutôt « blanc », non diplômé du supérieur, âgé de plus de 50 ans, masculin et protestant. Il cible le cœur de l’électorat et ne semble pas convoiter une base électorale élargie aux femmes et aux minorités. C’est un pari risqué dans la mesure où cet électorat, certes encore majoritaire, ne cesse de se rétrécir en termes démographiques.
Concernant la question raciale, elle est d’ores et déjà au programme d’Hillary Clinton qui a promis de s’engager contre les discriminations et les violences policières. Or, à l’instar de la quasi-totalité des leaders républicains, Donald Trump a du mal à aborder la thématique du racisme, préférant évoquer des problèmes de désordre et dénoncer le laxisme d’Obama sur la sécurité intérieure. L’ordre et la sécurité constituent à la fois des thèmes majeurs de la Convention, mais aussi des arguments de vente de Donald Trump, présenté en homme providentiel seul capable de réinstaurer l’ordre aux Etats-Unis. La question raciale va donc naturellement s’inviter dans l’agenda républicain, mais sous l’angle du rétablissement de la sécurité et d’un amalgame entre immigration et insécurité, non de la lutte contre les discriminations.

« La Chine refuse de se plier à tout arbitrage international »

Thu, 14/07/2016 - 13:49

La Cour permanente d’arbitrage (CPA) de La Haye a-t-elle les moyens de forcer Pékin à appliquer sa décision du 11 juillet sur la mer de Chine méridionale ?

La CPA, comme toutes les autres organisations de médiation internationale siégeant à la Haye, n’a aucun moyen de sanctionner les pays qui ne respectent pas ses arrêts. Cela a été démontré à plusieurs reprises, notamment dans la tentative de résolution du conflit israélien.
En revanche, sans avoir le pouvoir de frapper Pékin au portefeuille, la décision rendue par la CPA sur le contentieux en mer de Chine aura la vertu de montrer au monde entier le fonctionnement du pays. S’il y a des tensions – et il y aura des tensions puisque les autorités n’ont pas l’intention de se plier à l’arrêt de la CPA -, l’opinion internationale en imputera très largement la faute au gouvernement de Xi Jinping.

Le gouvernement chinois peut-il réellement être affecté par une décision qu’il qualifie de « farce » ?

Pékin a tendance à utiliser une vision de l’histoire qui lui est très personnelle, et une vision à géométrie variable de tout ce qui relève des traités et des frontières. La Chine les reconnaît non comme des documents ou des conventions contraignantes pour l’avenir, mais comme la photographie, à un instant donné, du rapport de force d’un pays sur un autre. Et quand ce rapport de force s’inverse, il n’hésite pas à remettre en cause les traités.
Le problème qui se pose aujourd’hui pour la Chine relève majoritairement de sa politique intérieure. Son président, Xi Jinping, a pratiquement gagné la guerre contre tous ses opposants au sein du pays. Après avoir manié pendant trois ans les armes du nationalisme et de la lutte contre la corruption, il avait réussi à prendre presque tout le pouvoir et à asseoir sa légitimité à la tête du pays.
Or la décision rendue par la Cour d’arbitrage de la Haye va l’obliger à gérer une population qui s’estime aujourd’hui profondément humiliée et en situation de défaite. Celle-ci est conditionnée depuis des années par le discours de « souverainisme » en mer de Chine méridionale, prêché par le « ministère de la vérité » pékinois, l’organe qui contrôle les médias.

Au fond, que révèle cette affaire sur la place de la Chine sur la scène internationale ?

Dans cette affaire de litige en mer de Chine, Pékin n’a pas réussi à s’assurer le soutien d’alliés pouvant peser dans la discussion internationale. Et après la fierté d’avoir organisé les Jeux olympiques d’été en 2008, la Chine est à nouveau avilie aux yeux du reste du monde.
En outre, la démonstration qu’elle fait de son absence de respect de la réglementation internationale lui sera très gênante vis-à-vis de ses obligés, notamment en Afrique. Ceux qui rêvaient d’une alliée économique amicale découvrent le visage d’une prédatrice qui refuse de se plier à un quelconque arbitrage international.

Propos recueillis par Malo Tresca

Mer de Chine méridionale : Coup d’arrêt à l’expansion chinoise ?

Wed, 13/07/2016 - 16:01

La Cour permanente d’arbitrage de la Haye a rejeté tout fondement juridique aux revendications de la Chine sur les îles Spratleys en Mer de Chine méridionale. Quelle est la portée de cet arrêt ?

Se référant à la Loi de la Mer, ratifiée par Pékin, la Cour – allant au-delà des demandes de Manille- a déclaré illégitime les revendications territoriales autours des îles Spratleys. L’arrêt des juges de la Haye refuse la condition d’île, donc de base de souveraineté, à tous les rochers situés dans cette zone. Cela ne concerne donc pas que la Chine.

Ainsi, la décision de la Cour arbitrale redonne à tous les pays riverains de la Mer de Chine du Sud une zone économique exclusive conforme à la Loi de la Mer et le statut d’eaux internationales au centre de la zone. Si l’arrêt constitue donc une victoire pour les Philippines sur le plan international, c’est aussi par ricochet un succès pour les autres pays adjacents, le Vietnam en tête mais aussi la Malaisie, Brunei et l’Indonésie. Victoire mitigée cependant, car elle interdit également toutes revendications de souveraineté autour de ces îles.

Cet arrêt a également des conséquences sur le plan intérieur chinois. La population chinoise, qui ne sait pas que la revendication des îles Spratleys est relativement récente et est persuadée que la Mer du Chine du Sud appartient à la Chine depuis toujours, s’estime spoliée. Ce sentiment, dans la mesure où il réactive la logique des Traités Inégaux et l’humiliation de la Chine, constitue un défi de taille pour Xi Jinping qui va devoir le gérer.

Enfin, la position chinoise, qui compte bien ignorer le verdict de la Cour, pose de manière concomitante un risque de contagion et un risque d’exclusion de la Chine. En effet, le non-respect de la décision arbitrale va certainement contribuer à affaiblir l’autorité des arrêts de la Cour internationale de justice, qui fait d’ores et déjà l’objet de refus d’obtempérer de la part d’Israël. Plusieurs pays d’Amérique latine remettent également en question la légitimité de cette Cour. Pour autant, la sentence des juges de la Haye constitue bien une défaite juridique pour la Chine. On note aussi que Taïwan, qui n’a jamais été consulté alors qu’il est présent sur le plus grand îlot des Spratleys, déclare ne pas être engagé par cette décision.

 

En quoi ces territoires maritimes sont-ils stratégiques ? Risque-t-on d’assister à un bras de fer entre la stratégie chinoise du fait accompli et la politique de containment occidentale ?

La problématique des îles Spratleys concerne d’abord et avant tout les pays riverains de la Mer du Sud. L’intérêt stratégique de ces territoires est bien net dans la mesure où 40 % du trafic mondial de marchandise transite par la Mer de Chine méridionale. C’est une voie commerciale et maritime extrêmement importante que la Chine tente depuis plusieurs années de contrôler mais où le respect de la liberté de navigation est très sensible. Jusqu’alors, les ambitions d’expansion chinoise dans ces territoires ne connaissent pas de fondement historique ou juridique.

Les îles Spratleys sont également intéressantes sur le plan halieutique. Les ressources piscicoles dans cette zone attisent les convoitises. Pour autant, la présence de richesses en gaz ou en pétrole reste soumise au doute, sauf pour ce qui est des ressources prouvées de gaz au Sud qui appartiennent très largement au territoire maritime indonésien mais qui font également l’objet d’une volonté d’appropriation de la part de la Chine.

Pour des raisons politiques et stratégiques, les pays occidentaux vont être logiquement tentés de soutenir la démarche des pays riverains de la Mer de Chine du Sud dans la neutralisation du centre de cette Mer. Si les Etats-Unis sont très proactifs sur ce dossier, c’est essentiellement parce que les pays directement concernés par ce conflit de souveraineté sont devenus demandeurs de protection américaine.

 

Alors que la Chine envisage des mesures de représailles, peut-on dire que la décision de la Cour arbitrale remet en question « l’expansion pacifique » de la Chine ?

Cette décision aura exposé aux yeux du monde la façon dont la Chine considère les traités internationaux. Le Chine ne signe des traités que pour constater un état de fait dans le cadre d’un rapport de force. Elle n’a par exemple ratifié le droit de la mer que parce qu’à l’époque, elle n’avait guère les moyens de faire autrement. Mais dès lors que le rapport de force évolue en sa faveur, la Chine n’hésite pas à remettre en cause les traités internationaux ratifiés dans un moment de faiblesse.

Cette manière d’envisager les relations internationales  va mettre en lumière un certain nombre de choses qui concernent directement les pays relativement fragiles où la Chine est très implantée. Ces pays, notamment situés en Afrique subsaharienne, vont se rendre compte de l’ampleur de la problématique posée par les engagements chinois qui n’offrent aucune garantie.

Après la nomination de Theresa May, les négociations avec l’UE s’annoncent « difficiles »

Wed, 13/07/2016 - 14:54

L’arrivée au 10 Downing Street de la nouvelle Première ministre devrait « clarifier » la situation du côté britannique et européen, selon Robert Chaouad, chercheur à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et spécialiste des questions européennes.

Comment jugez-vous la nomination de Theresa May?

L’annonce de la nomination de Theresa May, jusque-là ministre de l’Intérieur du gouvernement de David Cameron, fait suite à près de trois semaines d’intenses batailles politiques au sein du Parti conservateur. Cette compétition pour le leadership du parti et donc pour succéder au Premier ministre démissionnaire a notamment été marquée par le retrait de la course de Boris Johnson, chef de file conservateur des partisans du Brexit.

Theresa May devrait donc assumer dès mercredi (aujourd’hui) la fonction de Premier ministre, mettant un terme, dans l’immédiat, aux incertitudes et aux querelles internes au parti. Si, à court terme, elle devrait obtenir le soutien des parlementaires conservateurs, personne ne sait si elle aura l’autorité, à plus long terme, pour contrôler cette majorité politique. Cette nomination paraît somme toute logique, au regard des équilibres politiques issus des élections législatives de mai 2015. Le profil politique de Theresa May, que l’on compare parfois à Margaret Thatcher, pourrait permettre de satisfaire pro et anti-Brexit au sein de la majorité politique conservatrice et même peut-être également au sein de l’opinion publique, dans un premier temps en tout cas.

Pourquoi la candidate pro-Brexit Andrea Leadsom au poste de Premier ministre s’est-elle retirée de la course?

Il est difficile de connaître exactement les raisons de son retrait. Les stratégies et les jeux de pouvoir internes au Parti conservateur ne sont pas, en général, rendus publics. Cependant, son début de « campagne » la semaine dernière s’est ponctué de déclarations à la presse jugées polémiques, tandis que ces mêmes médias ont émis quelques doutes quant au CV de la candidate. Des erreurs et un climat qu’elle a certainement jugés peu propices à une candidature au poste de leader du Parti conservateur et de Premier ministre.
Par ailleurs, partisane du Brexit, il n’est pas certain qu’elle aurait bénéficié du soutien des députés conservateurs, majoritairement en faveur du « Remain » (maintien au sein de l’Union européenne).

Quelles seront les conséquences de cette nomination sur le Brexit, son processus et sur l’UE ?

Theresa May est considérée comme une eurosceptique qui a cependant fait campagne pour le maintien dans l’UE par loyauté à l’égard du Premier ministre David Cameron. C’est donc une eurosceptique qui va avoir la responsabilité d’enclencher le processus de retrait de l’UE et donc de mener les négociations avec les partenaires européens pour trouver une issue honorable à cette situation.

Le changement de Premier ministre va permettre de clarifier quelque peu la situation. En effet, David Cameron avait annoncé le 24 juin, au lendemain du référendum, qu’il quitterait ses fonctions à l’automne. Pour les membres de l’UE, ce délai était inacceptable car il prolongeait la période d’incertitude pour l’UE et le Royaume-Uni. Une telle nomination devrait permettre à l’UE de disposer désormais d’un interlocuteur crédible pour passer à la prochaine étape, c’est-à-dire enclencher le processus de sortie de l’UE.

Même si de nombreuses incertitudes demeurent, notamment juridiques, quant au processus de sortie de l’UE, l’arrivée au 10 Downing Street de Theresa May, eurosceptique certes mais pas europhobe comme certains conservateurs, permet au moins de lever une incertitude politique du côté des Britanniques. Mais cela ne nous donne aucune indication sur le moment où elle activera l’article 50 du traité sur l’UE, qui régit le processus de sortie. De même, on ne dispose d’aucune information sur la manière dont elle entend négocier avec l’UE. Elle a simplement rappelé qu’elle entendait obtenir le meilleur accord possible pour les intérêts du Royaume-Uni. Les négociations devraient donc être difficiles.

Sud Soudan : les raisons de la dégradation sécuritaire

Wed, 13/07/2016 - 10:36

Alors que le Soudan du Sud fête les 5 ans de son indépendance, des combats ont éclaté dans la capitale, Juba. Pourquoi la situation sécuritaire s’est-elle dégradée ? Les avancées politiques, conformément à l’accord de paix du 25 août 2015, sont-elles remises en cause par les combats ?

Les accords de paix, signés il y a près d’un an, sont clairement remis en cause. Destinés à faciliter la stabilisation et le retour à la paix dans le pays, ces accords ont permis certaines évolutions institutionnelles, notamment la réintégration de l’ancien vice-président Riek Machar. Deux objectifs principaux étaient poursuivis par la feuille de route du 25 août 2015 : le partage du pouvoir entre le président Salva Kiir et son rival Riek Machar, ainsi que la constitution d’un gouvernement d’union nationale. Ces évolutions politiques ont pu laisser croire à une pacification durable de la société sud-soudanaise.

Cependant, la situation est beaucoup plus complexe qu’une simple rivalité politique et personnelle. La signature des accords en août dernier n’a pas empêché le président Salva Kiir de prolonger sa fonction jusqu’en 2018 en l’absence de véritables élections participatives dans le pays. Son principal rival et candidat au pouvoir depuis l’indépendance du Sud Soudan, Riek Machar, a ainsi vu ses ambitions politiques s’éloigner. Malgré les tractations pour la cessation des combats, qui lui reconnaissent un statut politique dont il était jusqu’alors dépourvu, M. Machar n’est pas en position de pouvoir prendre le contrôle du pays.

Si le Sud Soudan est confronté à ces interminables vagues de violences, c’est justement parce que la situation politique oppose deux personnes qui possèdent chacune un ancrage tribal et ethnique relativement fort. A travers elles, ce sont finalement les deux principales tribus qui s’affrontent, même si les milices payées de part et d’autres revendiquent une identité propre. En tout état de cause, l’affrontement entre les Dinka – soutenus par Salva Kiir – et les Nuer – supportés par Riek Machar – est flagrant.

La question qui se pose est donc de savoir si les responsables politiques ont suffisamment d’influence sur les appareils gouvernementaux, sur l’armée restée fidèle à Salva Kiir, et sur les milices pro Machar pour permettre un cessez-le-feu durable. Rappelons qu’il y a des milices qui se sont désolidarisées de la mouvance Machar et de M. Kiir, estimant que les deux protagonistes étaient responsables de l’insécurité et de l’instabilité dans le pays.

Le conflit, fortement cristallisé et polarisé, laisse peu d’espoir quant à l’organisation d’élections libres, capables d’offrir à Riek Machar la possibilité de conquérir le pouvoir. M. Machar est bousculé par l’agenda politique et sa légitimité et sa crédibilité fluctuent selon les allégeances ou les désunions des milices. De plus, le contexte international n’est pas propice à la création d’un environnement de paix à cause de l’absence de pouvoir de coercition sur les acteurs en conflit.

Le Conseil de sécurité, critiqué pour son immobilisme, a appelé dimanche 10 juillet à renforcer l’aide régionale au Soudan du Sud. Doit-il s’engager plus fermement en faveur de la paix ? Quelles pourraient être les modalités d’un tel engagement ?

Cette nouvelle recommandation du Conseil des Nations-unies risque fort de rester mort-née face aux difficultés géopolitiques adjacentes. L’équilibre régional est fragile, que ce soit au Soudan avec l’épineuse question du Darfour, en Ouganda, en Centrafrique ou encore en République démocratique du Congo. Tous ces pays sont individuellement frappés par une situation politique et/ou sécuritaire précaire. Il est donc bien mal aisé de leur demander d’être prêt à intervenir de façon opérationnelle en faveur de la paix au Soudan du Sud alors qu’ils doivent eux-mêmes mobiliser de gigantesques moyens pour rétablir ou consolider la paix et la sécurité chez eux. La recommandation du Conseil de Sécurité est peu réaliste car les Etats voisins du Sud Soudan sont prioritairement préoccupés par leur propre sécurité intérieure : l’Ethiopie est par exemple confrontée à un problème diplomatique et sécuritaire important avec l’Erythrée ainsi qu’à la menace terroriste venant de la Somalie, le Kenya est constamment exposé au risque terroriste, etc. La situation régionale ne se prête donc pas au renforcement de l’aide au Soudan du Sud car les décisions politiques et les moyens techniques nationaux sont avant tout mobilisés pour contrer les menaces internes.

Par ailleurs, le Conseil de sécurité porte une responsabilité dans la cristallisation du conflit. Aucune des recommandations et des menaces de sanctions formulées par l’Organisation des Nations-unies, allant d’un embargo sur les armes à une interdiction de voyage pour les personnalités politiques, n’ont été effectivement mises en œuvre. Finalement, l’appel du Conseil de sécurité pour une mobilisation régionale sonne comme un aveu d’échec et d’impuissance. Il faudrait renforcer les processus décisionnels et le consensus sur la question du Sud Soudan au sein des pays membres du Conseil qui ont un poids politique et diplomatique suffisant pour agir en faveur de la résolution de la crise sud-soudanaise, les Etats-Unis et la Chine en tête.

Dans ce contexte d’insécurité, comment évolue la situation économique au Soudan du Sud ? Doit-on compter sur les investissements de la Chine pour redresser l’économique sud-soudanaise ?

La situation économique du Soudan du Sud est désastreuse. Plus d’un tiers de la population sud-soudanaise, sur un total de 12 millions d’habitants, vit aujourd’hui sous tutelle et perfusion de l’aide internationale humanitaire. Le pays compte également plus de 2,5 millions de déplacés et des dizaines de milliers de victimes de la guerre civile. L’économie n’est pas capable d’absorber la pression sociale, les besoins humanitaires et l’insécurité générés par l’ampleur et la profondeur de ce conflit.

Quant aux investissements chinois, ils restent bien illusoires en l’absence d’Etat pérenne. Le pays n’a pas encore réussi à construire une architecture étatique capable d’organiser la protection sociale de ses populations et l’activité économique. La continuité des institutions et la présence d’une autorité d’Etat n’ont pas été assurées depuis la déclaration d’indépendance sur l’ensemble du territoire.

Aucun processus de développement du pays n’a été véritablement enclenché. L’activité économique a besoin d’un environnement stable et prévisible pour se déployer. Or, le Soudan du Sud n’est pas capable d’offrir à ses partenaires au développement un interlocuteur officiel fiable à cause de l’instabilité sécuritaire et du clivage politique. Certes, le développement économique doit constituer un objectif pour le Soudan du Sud, mais encore faut-il qu’il y ait un Etat capable d’en assurer l’existence et la viabilité.

EURO 2016 : Quel bilan ?

Tue, 12/07/2016 - 16:21

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, répond à nos questions :
– Comment analysez-vous la victoire du Portugal à l’Euro 2016 ?
– Quel bilan peut-on tirer de l’Euro 2016 pour la France ?
– Le format de l’Euro 2016 est-il une réussite ?

Chine et Royaume-Uni après le Brexit : un saut dans l’inconnu ?

Tue, 12/07/2016 - 14:42

C’est l’un des nombreux effets collatéraux du référendum britannique du 23 juin sur la sortie de l’Union européenne. Le Brexit signe la fin d’une lune de miel qui avait débuté il y a moins d’un an. A la veille de la visite d’Etat du président Xi Jinping au Royaume-Uni, George Osborne, chancelier de l’Echiquier, avait alors déclaré : « Faisons corps ensemble et fabriquons une décennie en or pour nos deux pays. » De l’eau est passée sous les ponts depuis cette visite, où Xi fut reçu comme un invité d’honneur par la Reine Elizabeth II à Buckingham Palace et au parlement britannique.

Ces trois dernières années, le Premier ministre David Cameron et son ministre des Finances George Osborne – en charge de la politique chinoise du Royaume – ont décidé d’anticiper le résultat du référendum sur le Brexit. Des partenariats hors Union européenne ont été scellés avec un grand nombre de pays asiatiques – la Chine en particulier – dans le but de financer parmi les principaux projets d’infrastructures nécessaires au Royaume-Uni, dont les centrales nucléaires, les lignes à grande vitesse et les aéroports.

Maintenant qu’il a perdu le réréfendum sur l’appartenance britannique à l’UE, Cameron est sur le départ, tandis que l’avenir d’Osborne demeure incertain. Qu’adviendra-t-il des relations sino-britanniques alors qu’il est presque sûr que le Royaume-Uni va quitté L’Union européenne ? Les signaux intiaux émis par la Chine ont été pour le moins feutrés. Hua Chunying, la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, a récemment confié que l’impact du Brexit se ferait sentir à tous les niveaux – et pas seulement sur les relations entre Pékin et Londres.

« La Chine soutient le processus d’intégration européenne et voudrait voir l’Europe jouer un rôle pro-actif dans les affaires du monde, a déclaré Hua Chunying. Nous sommes très confiants dans le développement futur des liens sino-européens. » On est très loin des commentaires enthousiastes des médias chinois en 2015 sur la relation entre la Chine et le Royaume-Uni, lorsque Londres décida – au grand dam de Washington, Tokyo, Berlin et Paris – d’être le premier pays occidental à rejoindre la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures (BAII), et lorsque les Anglais accueillirent le président Xi, espérant attirer une mâne chinoise d’investissements directs étrangers (IDE).

« Il n’existe pas dans le monde occidental de pays plus ouvert à l’investissement chinois que la Grande-Bretagne », avait fièrement déclaré David Cameron. Son pays est aujourd’hui la première destination des IDE chinois avec un investissement cumulé de 16,6 milliards de dollars (dont 3,3 milliards pour la seule année 2015). La dernière visite de Xi en octobre a permis de signer un grand nombre de MoU (memorandum of understanding). Ces derniers seront-ils mis en oeuvre maintenant que les Britanniques ont choisi de sortir de l’UE ? Il y a quelques mois, Wang Jianlin, Pdg du Wanda Group et investisseur majeur en Europe, avait prévenu : « Si le Royaume-Uni quitte l’Union européenne, de nombreuses firmes chinoises songeront à déménager leur QG européen dans d’autres pays », ajoutant que « le Brexit ne serait pas un choix judicieux pour la Grande-Bretagne dans la mesure où il créerait davantage d’obstacles et de défis pour les investisseurs, notamment en terme de visa. »

Le Global Times, quotidien anglophone appartenant au très officiel Quotidien du Peuple, montra encore moins de sympathie à l’égard de la situation britannique. « Ce référendum sera probablement un événement marquant la direction prise par le Royaume-Uni : celle d’un petit pays avec une faible population, qui renonce à croire en lui et agit imprudemment. »

Les dirigeants de Pékin – qui, fait rarissime, sont plusieurs fois sortis du bois pour soutenir le camp du « Remain » – demeurent perplexes face au résultat du référendum. Celui-ci n’a pas seulement créé du désordre (terme insoutenable dans le langage du Parti communiste chinois), mais il a conduit également à la démission du Premier ministre britannique tout en aggravant le risque d’autres référendums autonomistes (comprendre : l’Ecosse). Aux yeux d’un PC chinois obsédé par son maintien au pouvoir, Cameron a commis une grave erreur en tant que leader d’un pays majeur.

Après tout, la Chine n’est pas armée de bonnes intentions à l’égard de la Grande-Bretagne. Les deux pays ont connu une histoire pour le moins compliquée. Le « siècle d’humiliation » est toujours l’expression employée par les Chinois pour désigner la période débutée au milieu du XIXème siècle avec les guerres de l’Opium menées par les Anglais. Par ailleurs, cela fait seulement 19 ans que Hong Kong a été rétrocédé à la Chine comme « Région administrative spéciale » (RAS). Non pas que le gouvernement Cameron ait fait grand-chose pour soutenir son ancienne colonie. Tandis que la « décennie en or » démarrait, Hong Kong s’est trouvé face aux pires difficultés en tant que RAS, avec nombre de dissidents arrêtés et plusieurs libraires disparus – dont Lee Bo, citoyen à la double nationalité hongkongaise et britannique – qui avaient publié des ouvrages controversés sur les dirigeants de Pékin.

Maintenant que les Britanniques ont voté, les risques d’une violente réaction augementent de jour en jour. Pour commencer, la Chine est encline à maintenir une implication étroite avec l’UE – à la fois son deuxième partenaire commercial après les Etats-Unis, une source de transfert de technologie et l’allié des projets de Pékin comme la « Nouvelle Route de la Soie » (One Belt One Road – OBOR) en Europe et en Asie, ou la BAII. Il y a de fortes chances que la Chine veuille poursuivre son partenariat étroit à la fois avec les institutions européennes et les Etats, en particulier en Europe centrale et orientale où le projet OBOR a été chaleureusement accueilli. Xi Jinping a récemment voyagé en Pologne et en République tchèque, deux pays à qui le président chinois a fait des promesses financières substantielles.

Bien entendu, Londres va continuer à jouer un rôle-clé comme l’une des principales places financières internationales, avec les bons du trésor chinois émis en yuans. De même, les visiteurs de Chine (dont les investisseurs immobiliers en quête de nouvelles opportunités) ne cesseront pas d’affluer dans la capitale britannique. Mais lorsqu’il s’agira de servir de pont vers l’UE, il est clair que Pékin cherchera des solutions alternatives, en particulier en Allemagne, le premier partenaire commercial de la Chine en Europe. Il y a quelques semaines, la chancelière Angela Merkel a effectué son 9ème voyage en Chine, où elle est parvenu à aborder une longue liste de questions essentielles, allant du commerce à l’investissement et à la réciprocité, en passant par les droits de l’homme, les nouvelles lois sur les ONG et les revendications en mer de Chine du Sud. Le 12 juin dernier, dans un discours impressionant aux étudiants de l’université de Nankin dans la capitale chinoise, elle a souligné que la confiance des citoyens peut seulement être aquise par l’Etat de droit, « plutôt que le gouvernement par la loi ». Cela fait de nombreuses années que les dirigeants britanniques n’ont pas usé d’un pareil langage en Chine. Même si certains politiciens anglais appellent désormais à revoir la politique chinoise du Royaume, la Grande-Bretagne ne fera rien qui puisse indisposer la Chine, afin de préserver le commerce et l’investissement durant cette période post-brexit pleine de turbulences.

Malgré sa grande ouverture, le « nouveau Royaume-Uni » risque de devenir moins attractif en terme de marché. Après le Brexit, Pékin va également perdre un avocat du libre-échange au sein de l’Union européenne. Ce qui est une mauvaise nouvelle alors que l’Europe des 28 réfléchit à accorder ou non à la Chine le statut d’économie de marché, selon l’accord passé dans le cadre de l’Organbisation mondiale du commerce (OMC). Ce statut affecte directement l’usage des barrières douanières anti-dumping. En matière d’emploi, l’industrie européenne de l’acier reste vulnérable. Depuis l’adoption par le parlement européen d’une résolution non contraignante contre la reconnaissance à la Chine du statut d’économie de marché, plusieurs politiciens européens craignent qu’une implication plus forte des Chinois dans leurs économies nationales n’apporte guère de créations d’emploi mais davantage de biens de consommation bon marché rivalisant avec les produits fabriqués en Europe. D’où un contexte européen moins favorable à la Chine. Les chances d’adopter un accord de libre-échnage Chine-UE s’amenuisent, alors que Bruxelles se concentre en priorité sur la finalisation d’un accord plus global sur l’investissement avec Pékin. Les entreprises européennes ont conduit un lobbying intense en faveur d’un tel accord.

Même si elle tirera tout ce qu’elle peut d’un Royaume-Uni autonome – selon sa propre évaluation -, la Chine n’en déteste pas moins l’incertitude – en particulier dans une période de turbulences chez elle comme à l’étranger. Elle s’inquiète des défis rencontrés par les gouvernements en place, tout comme de la vague anti-mondialisation qui pourrait nuire à sa propre image de pays bénéficiaire de la globalisation. En Europe, l’Allemagne et la France conservent de fortes relations avec la Chine. Avec leur soutien, la Commission européenne vient de publier une ambitieuse nouvelle stratégie chinoise pour l’UE. Mais il y a peu de chances que le Royaume-Uni en fasse partie.

The politics of the LSE-Deutsche Börse Merger amid Brexit uncertainty

Tue, 12/07/2016 - 14:26

The LSE-Deutsche Börse merger seems to be on track to be agreed by the companies’ shareholders. What are the reasons for such a merger? How will it impact the financial sector at large?

The financial sector is experiencing a broad trend of centralisation and standardisation. Financial regulation itself encourages the consolidation of stock exchanges. An array of peer-to-peer contracts that were beyond the scope of stock exchanges and clearing houses now have to go through standardised clearing processes so as to support the illusion of stability and liquidity in a context where financial markets are flooded with central bank money.

The merger between the London and Frankfurt exchanges follows a clear financial and commercial logic in this respect. It is supposed to allow the combined entity to cut operating costs by up to 30 percent and to offload more than 1,000 jobs once the merger is completed. It is aimed at increasing the competitiveness of this new European exchange amid fierce global competition, as London strives, among other things, to secure its status as the yuan’s main trading centre outside Asia.

Meanwhile there is a geopolitical dimension to this deal. London is the financial centre of the European Union and in some way of the eurozone due to the extent of trading in euro-denominated derivatives there. This is an embarrassment to European institutions and especially to the ECB, which has tried over the years, long before the Brexit vote, to repatriate the financial activities and the clearing services surrounding these contracts to its jurisdiction, the eurozone. However, the EU’s judicial system has upheld London’s position on this issue, in virtue of the single market’s rules, which apply to capital markets throughout the EU, not only in the eurozone.

London is therefore keen to create a closer link with continental stock exchanges, Frankfurt in particular, in order to confront these attacks, which can only intensify in the context of Brexit. On the German side, a number of objections have been raised against the merger. Yet Germany’s Finance Minister, Wolfgang Schäuble, has adopted a relatively amenable stance to the merger. Generally speaking, Germany has every interest to keep the United Kingdom in the single market so as to preserve its large exports there. Conversely it is crucial for the UK as a whole, which already suffers from a very large trade deficit (with a current account deficit close to 6 percent in 2015) to retain the right to sell its financial services throughout the EU. The need to attract investments is the financial partner to the trade deficit, of which the property bubble is a key driver. In a sense, with the ongoing tension, all the traditional ingredients of a currency crisis are there. The pound’s depreciation is not a problem in itself. It even helps, to some extent, to restore the competitiveness of Britain’s industry after a long period of overvaluation. The problem lies in the dynamics of capital outflows and financial drying-up that depreciation fuels, as exchange rates tremors usually help deflate bubbles in a chaotic way.

In this regard any concrete disruption of the UK’s participation in the single market, in terms of trade and capital markets, would result in a genuine financial upheaval due to Britain’s dependency on its financial sector and foreign investments. The current market period of instability would retrospectively appear as a mere prelude if that were the case. That outcome would be in no European country’s interest, whatever their competitive goals.

What does the decision to have dual headquarters, in London and Frankfurt, reveal? Is this merger going to marginalise the Paris stock exchange and Euronext?

The idea of the double headquarters has come to the fore with the difficulties related to Brexit. The plan initially worked out and submitted to the shareholders favoured London headquarters while allowing Deutsche Börse’s CEO to head the conglomerate. The Brexit vote has changed this situation and prompted fears that Europe’s largest bourse would be managed from outside the European Union. It is this aspect which matters particularly since Amsterdam has also been mentioned as a possible host.

The British side strives to secure their financial and commercial position within the single market and retain London’s status as Europe’s financial centre. Beyond mere trade issues, Britain’s macro-financial stability is at stake because of the imbalance that undermines its economic model and the unintended consequences of the housing bubble. In Germany, while the government, and in particular Wolfgang Schäuble, has been rather supportive of the merger proposal and has shown an interest in the project, a portion of the political establishment, especially at the local level, remains opposed to the plan.

Diverging voices were also heard in France, whose government has stated its opposition to the merger and its desire to take advantage of Brexit and help its financial sector to gain new market shares. The Germans have opted for a starkly different strategy. As they understand that Frankfurt is not seen as a credible alternative to London as Europe’s main financial centre, even if London eventually left the single market, the German authorities rather tend to promote an association between London and Frankfurt.

Brexit was instrumental in the merger, since the European Commission would probably have dismissed it on the ground of abuse of a dominant position? Is it also a response to the economic consequences of Brexit?

The project of a merger between Frankfurt’s and London’s exchanges predates the British people’s vote to leave the European Union. The negotiations took place during the Brexit campaign, at a time when most observers believed that “remain” would prevail. So there was already a strong strategic interest in linking the two exchanges, particularly as London was threatened by its status outside the eurozone. At that time, this aspect seemed much more crucial and tangible than the remote threat of Brexit. In addition, in terms of EU competition laws, the case is technically hard to settle since LSE and Deutsche Börse tend to focus on different market segments.

More importantly however, the European Commission is increasingly threatened and deprived of its key prerogatives. Jean-Claude Juncker, whose skills fail to impress European capitals and whose “sacking” is being considered in Berlin, cannot afford to voice his concern if German interests are clearly at stake. This deal would be both a financial and a highly political one, in an inter-state fashion. The final outcome will speak volumes about the state of mind surrounding the negotiations on the UK’s participation in the single market. Despite tailored public statements, the negotiations on the terms of Brexit have undoubtedly started, in a down-to-Earth manner and under the threat of a financial crisis not only in the United Kingdom, but also in the eurozone.

Espagne : l’impasse politique comme seul horizon ?

Tue, 12/07/2016 - 10:15

Le Comité fédéral du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a rejeté la perspective d’une grande coalition gouvernementale avec le Parti populaire (PP). Quelles sont les options politiques qui s’offrent désormais à Mariano Rajoy ? Son investiture est-elle compromise par la décision du PSOE ?

Toutes les options sont ouvertes. Une nouvelle dissolution reste l’alternative la plus difficile, mais il ne faut pas l’écarter dans la mesure où les différentes formations politiques, issues des dernières élections législatives du 26 juin 2016, ne parviendraient pas à dégager une majorité. C’est une hypothèse d’autant plus crédible que les rapports de forces politiques actuels sont quasiment identiques à ceux des élections du mois de décembre 2015, qui n’avaient pas permis de construire une coalition stable. Si les lignes rouges adoptées par les uns et les autres se répètent, la situation ne pourra être réglée que par une nouvelle dissolution.

Cependant, le président du gouvernement sortant Mariano Rajoy pourrait essayer de trouver une porte de sortie en constituant une « unité des droites ». Cela pourrait se traduire par un compromis entre le Parti populaire de Mariano Rajoy, et le parti émergent de centre-droit Ciudadanos. Cette coalition pourrait éventuellement être élargie à des petits partis régionalistes, indépendantistes et libéraux tel que la Coalition canarienne, le Parti démocratique de Catalogne ou le Parti nationaliste basque.

Pour le moment, Mariano Rajoy n’a pas travaillé cette voie. En effet, le responsable du parti Ciudadanos, Albert Rivera, que Mariano Rajoy doit rencontrer le mardi 12 juillet, a annoncé être favorable à un accord mais pas à n’importe quelles conditions. Il ambitionne une refondation de la démocratie espagnole, afin d’éviter les scandales de corruption ayant émaillé la vie politique, et également une relève générationnelle à la tête du Parti populaire. Ces deux conditions expliquent la réticence de Mariano Rajoy à entrer en négociations avec Albert Rivera.
La décision du Parti socialiste ouvrier espagnol vise pourtant à l’y contraindre. En perte de vitesse par rapport aux dernières élections, le principal parti d’opposition ne souhaite jouer les béquilles du Parti populaire au risque de connaitre un destin similaire à celui du Pasok en Grèce.

Finalement, si tous les partis politiques maintiennent, comme après les élections législatives du 20 décembre 2015, leurs positions et leurs interdits, il n’y aura pas d’accord possible et les électeurs espagnols seront de nouveau conviés à des élections. Mais y compris dans le contexte actuel, avec un PSOE qui refuse toute alliance avec le Parti populaire, Mariano Rajoy peut espérer former une coalition avec les autres partis politiques de la famille libérale.

L’Espagne est partagée entre 4 forces politiques différentes. Pourquoi les divisions politiques sont-elles si profondément ancrées ? Malgré les scandales de corruption, comment comprendre la longévité des deux principaux partis politiques ?

Cette configuration politique est toute à fait nouvelle. Depuis le rétablissement de la démocratie en Espagne, deux partis politiques ont dominé la vie politique : un parti du centre-droit, l’Union du centre démocratique dans un premier temps, puis le Parti populaire, et au centre gauche, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE). Jusqu’aux élections législatives de décembre 2015, ces deux formations politiques bénéficiaient de 60 à 70 % de la représentation parlementaire. Ce n’est plus le cas depuis le 20 décembre qui a marqué l’éclatement des forces politiques.

Les divisions politiques sont le résultat de la crise économique et sociale. Le mécontentement est fort. Le chômage reste important. Salaires et couverture sociale ont été érodés. Les scandales de corruption qui ont frappé les deux partis de gouvernement participent également à la grogne sociale. Aujourd’hui, ces deux partis ne représentent plus qu’un peu plus de la moitié des sièges du parlement. Quant aux partis indépendantistes, autonomistes et / ou régionalistes, ils ont toujours existé. Il se trouve que le contexte politique leur est actuellement favorable dans la mesure où les deux partis traditionnels sont moins dominants qu’autrefois.

Barack Obama a félicité l’Espagne pour se progrès économiques lors de sa visite diplomatique le dimanche 10 juillet. L’embellie économique est-elle solide et durable ? Comment comprendre que parallèlement, l’Espagne soit menacée de sanctions par la Commission européenne ?

Barack Obama souhaite effectivement qu’un gouvernement espagnol pérenne se forme dans les meilleurs délais. En effet, l’Espagne constitue pour les Etats-Unis un « porte-avion » géopolitique situé entre l’Europe et l’Afrique. Divers accords ont été signés depuis 1953, puis élargis en 1988, 2011 et 2015, permettant d’intégrer l’Espagne dans le dispositif du bouclier anti-missile et de positionner des forces américaines sur le territoire espagnol en vue d’une intervention rapide en Afrique. Cette ambition stratégique suppose logiquement l’existence d’un gouvernement stable politiquement et économiquement.

En ce qui concerne la situation économique, l’Espagne est en train de sortir du tunnel dans lequel elle se trouvait il y a quelques années. Le pays a renoué avec une croissance à 3 %, l’une des plus dynamiques d’Europe. Le chômage s’est réduit même s’il demeure à un niveau élevé puisqu’il concerne 20 % de la population en âge de travailler. Les élections approchant, la politique de rigueur budgétaire souhaitée par Bruxelles n’a pas été respectée par le gouvernement de Mariano Rajoy. La dette publique s’est alourdie ces derniers mois et la menace des sanctions doit donc être comprise dans ce contexte-là.

[Geotalk] Ebola et la rumeur

Wed, 06/07/2016 - 11:28

Action contre la Faim (ACF) et l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) présentent “GEOTALK, improving our world’s understanding” :
Conférence du 23 juin 2016 autour de Alain Epelboin, médecin, anthropologue, chercheur au CNRS. Introduction de Isabelle Boubeix, directrice régionale des opérations pour l’Afrique de l’Est et de l’Ouest, ACF.

Irak : « L’attentat à Bagdad est lié à la reprise de la ville voisine de Fallouja »

Mon, 04/07/2016 - 17:08

Daesh n’avait pas commis d’attentat aussi sanglant en Irak depuis un an. Comment peut-on décrypter cet événement tragique en plein cœur de Bagdad ?

Cet attentat est directement lié à la situation militaire en Irak et plus précisément à la reprise récente de la ville de Fallouja par l’armée irakienne. Depuis un an, on assiste à un recul net de Daesh dans les villes irakiennes. Tikrit, d’abord. Puis Ramadi. Et maintenant Fallouja. C’est en réponse à cette défaite militaire que cet attentat a été perpétré. Car Fallouja n’est pas une ville comme les autres pour Daesh.

Pourquoi ?

Fallouja est une ville symbolique située à 40 kilomètres à peine de Bagdad. C’est comme si Fallouja était dans la banlieue de Bagdad. C’était une ville à majorité sunnite. C’est là que la branche irakienne d’Al-Qaïda s’est formée en 2003 avant de devenir progressivement l’Etat islamique en Irak et au Levant puis l’Etat islamique. C’est donc une perte très symbolique pour les combattants de Daesh.

En conséquence, peut-on dire que cet attentat a été commis pour remobiliser les troupes de Daesh ?

Oui. Le mouvement veut réaffirmer qu’il existe. Comme tous les attentats, il s’agit d’un outil de communication interne. Daesh veut envoyer un signal à ses partisans en Egypte, en Libye, un peu partout. Il veut marquer les esprits. Daesh dispose encore de cellules à Bagdad. Le groupe aurait donc très bien pu attaquer un consulat. Mais là, il a choisi de s’en prendre à un marché très populaire en plein ramadan. Le but était de faire quelque chose de spectaculaire.

Cet attentat peut-il, à votre avis, déstabiliser le pouvoir en place en Irak ?

Je ne crois pas que ce type d’attentat va intimider. Au contraire, cela risque plutôt d’encourager l’État irakien à lutter contre Daesh, notamment en visant désormais la ville de Mossoul. Le Premier ministre irakien est soutenu par la population et la communauté internationale.
Quant à l’armée, elle ne ressemble plus à ce qu’elle était en 2014. La coalition internationale a aidé à fond à sa reconstruction et à sa formation. Quarante milliards de dollars ont été investis pour acheter de l’équipement. Elle dispose désormais d’hélicoptères et d’avions de combat de type F16. Tout cela concourt à penser que Bagdad et l’Irak sont aujourd’hui dans de meilleures conditions pour lutter contre Daesh que la Syrie voisine.

Diriger en ère de rupture – 3 questions à Jean-Michel Palagos et Julia Maris

Mon, 04/07/2016 - 11:20

Jean-Michel Palagos, Officier, directeur d’administration centrale, créateur d’entreprise et directeur adjoint du cabinet du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian, est Président Directeur général de Défense Conseil International (DCI), l’une des principales entreprises de l’industrie française de Défense chargée d’accompagner les exportations d’armement. Julia Maris, ancienne élève de l’ENA- commissions du livre blanc de 2007, Rising talent 2015 – est Directeur général adjoint de DCI. Ils répondent à mes questions à l’occasion de la parution de leur ouvrage, « Diriger en ère de rupture : Brouillard et solitude », qu’ils ont co-écrit, aux éditions Hermann.

Vous écrivez que « les entreprises les plus rentables ne sont pas toujours celles qui mettent le plus l’accent sur la rentabilité ». Comment expliquer ce « paradoxe » ?

Depuis une quarantaine d’années, la pratique des dirigeants est guidée par des théories financières qui consistent maximiser les « cash flows » de leur entreprise, trop souvent à l’exclusion de tout autre objectif. S’il est incontestable que la rentabilité est un enjeu primordial pour les dirigeants, nous pensons que cette théorie les a parfois conduits à prendre des décisions de court terme, finalement nuisibles pour les entreprises et la société, en amenant nombre d’entre eux à oublier ce qui légitime in fine l’existence des entreprises : créer de la valeur pour leurs clients et leurs parties prenantes, inventer et développer des produits et services innovants, efficaces et simples d’utilisation. Steve Jobs, que beaucoup citent en exemple, n’a pas repris un Apple moribond avec un simple objectif de rentabilité ; il a « réinventé » le secteur de la musique avec l’ipod, puis celui de la téléphonie et du numérique avec les autres « i ».

La meilleure façon d’améliorer la performance d’une organisation est d’avoir une conscience claire de sa raison d’être et du but qu’elle poursuit. Les entreprises qui réussissent le mieux sont celles qui définissent une vision claire de leur objectif et de leur proposition de valeur. Les différents exemples de success stories que nous abordons dans notre livre le montrent : s’attacher à définir des objectifs susceptibles de renforcer la mobilisation des équipes, la satisfaction du client ou la qualité du service proposé est la meilleure façon d’améliorer in fine la performance de l’entreprise. A l’heure de la complexité, le chemin qui mène vers la réussite n’est plus dans la ligne droite, mais davantage dans « l’obliquité » telle que l’a théorisée John Kay[1] : pour atteindre son but, il faut bien souvent passer par des étapes intermédiaires et indirectes.

L’histoire du groupe Boeing permet de comprendre ce paradoxe. L’avionneur américain a en effet connu une croissance exceptionnelle jusque dans les années 1980 car il structurait toute son activité autour d’un but : construire les meilleurs avions du monde en innovant en permanence. Les priorités étaient clairement hiérarchisées et, si les aspects financiers y étaient secondaires, cela n’a pas entravé le développement de l’entreprise. En revanche c’est au cours des années 1990, lorsque l’accent a été mis sur le rendement par actionnaire et le retour sur investissement, que les résultats ont connu une trajectoire inverse, précisément parce que Boeing se trompait d’objectif en renonçant au modèle qui avait fait sa réussite.

Vous évoquez « l’illusion technophile ». Comment la définir et quels sont ses dangers ?

Avant tout, l’illusion technophile que nous mettons en évidence dans notre ouvrage en passant en revue les échecs de grands projets menés dans le domaine informatique (public et privé) ne doit pas être interprétée comme un scepticisme de notre part vis à vis de la révolution numérique. Nous avons d’ailleurs mis en place une direction de l’innovation dans notre entreprise, chargée d’inventer de nouveaux services grâce aux technologies les plus récentes.

Ce que nous dénonçons, c’est la sacralisation de la technologie, comme si le seul recours à l’informatique et au numérique permettait de dépasser la complexité du réel. Nous pensons qu’il existe des problèmes qui relèvent de rapports humains, de questions politiques, de grands choix de valeurs, de choix d’organisation, et qui préexistent à l’approche technologique. Le projet Louvois le montre : le fiasco technique lié à un logiciel défaillant n’aurait pas eu cette ampleur si les décideurs s’étaient interrogés en amont sur l’adéquation des moyens humains avec les objectifs de ce projet. Personne n’avait anticipé que la fermeture trop rapide des centres territoriaux d’administration et de comptabilité (CTAC) qui géraient la paie jusque-là, et que le transfert des informaticiens RH vers d’autres services disperseraient les compétences et désorganiseraient ainsi complétement la remontée d’information. Dans un contexte où le contrôle de la fiabilité des données n’était plus assuré, et alors que l’outil présentait de nombreuses fragilités, décider malgré tout de son déploiement – sans véritables essais préalables – relève bien d’une sorte d’illusion, d’une croyance quasi magique et d’une incapacité même à envisager l’échec. En bref, il ne suffit pas de développer un logiciel pour régler en un instant tous les problèmes.

On peut retrouver dans les entreprises privées les mêmes faiblesses structurelles, notamment l’aveuglement des décideurs face aux promesses de la technologie et la déresponsabilisation généralisée des équipes. La crise des subprimes l’illustre parfaitement : les dirigeants des établissements bancaires et des administrations de contrôle ont laissé se développer des instruments financiers d’une complexité telle que plus personne ne pouvait plus en contrôler ni la qualité ni les risques, ce qui a conduit directement à la crise de 2008. Ici, encore une fois, les qualités du jugement humain se sont inclinées face à une technique financière « algorythmisée ».

Les dirigeants, précisément parce qu’ils ne sont pas techniciens et ne peuvent appréhender l’ensemble des paramètres technologiques, doivent être encore plus vigilants et, paradoxalement, faire davantage confiance à l’humain et à l’intuition en refusant de s’abandonner à la technique.

Pourquoi, selon vous, la codirection en binôme est le meilleur système de management?

Nous ne prétendons pas positionner la codirection en binôme comme l’unique solution aux problèmes de management. Nous avons cependant voulu développer une voie qui a été jusqu’à présent peu explorée et documentée dans la littérature managériale.

Nous pensons que le dirigeant actuel doit désormais gérer un tel degré de complexité qu’il a besoin auprès de lui d’une personne capable de challenger ses intuitions et ses idées, de le prémunir contre les biais cognitifs nombreux qui peuvent obscurcir son jugement, et de l’aider à conserver le discernement nécessaire pour poser les décisions pertinentes au bon moment. Cela est d’autant plus vrai en « ère de rupture », c’est-à-dire dans des époques marquées par la volatilité, l’instabilité, les changements de modèle, l’innovation.

La structuration d’une équipe permettant d’élaborer les décisions les plus optimales est l’un des plus vieux problèmes politiques et managériaux. Machiavel consacre déjà plusieurs pages à ce sujet. A vrai dire, contrairement au mythe du dirigeant seul, omniscient, providentiel que charrient la quasi-totalité des cultures et histoires humaines, aucun dirigeant n’a jamais réellement décidé seul : il a toujours existé des conseillers du prince, des rapports complexes entre le chief executive officer et le chief operation officer.

Pour autant, la codirection en binôme que nous mettons en œuvre est très différente de ce modèle habituel. Pour être effective, la codirection doit être égalitaire, afin que chacun de ses membres puisse jouer auprès de l’autre le rôle de contre-pouvoir. Pour cela, ils doivent partager des valeurs et une vision commune de l’avenir de la structure, de l’entreprise. Qui dit codirection ne dit en aucun cas dilution de la responsabilité, bien au contraire : il s’agit d’un co-leadership dans lequel la décision a d’autant plus de poids qu’elle a été pensée à deux, mais en évitant le risque de la prise de décision en dialogue fermé, coupé de la réalité de l’organisation. Cette décision sera d’ailleurs d’autant plus riche que les deux membres du binôme auront des personnalités, des profils et des parcours complémentaires.

Nous considérons que sa mise en œuvre est une chance pour les dirigeants et leur entreprises : entre autres, elle les oblige à veiller à une parfaite coordination avec leurs équipes et les invite à privilégier un management de responsabilisation et de délégation.

[1] John Kay, Obliquity, Why Your Goals Are Best Achieved Indirectly, Profile Books Ltd, février 2011.

Le Brexit en pratique, un processus politique inédit

Fri, 01/07/2016 - 17:28

Le jeudi 23 juin 2016, appelés à se prononcer lors d’un référendum sur la sortie ou le maintien de leur pays dans l’Union européenne (UE), les citoyens britanniques ont voté à 51,9 % en faveur de la sortie (« leave ») de l’UE. En même temps qu’il déstabilisait les marchés financiers et l’UE, ce vote ouvrait une grave crise politique au Royaume-Uni. Dès les résultats connus, le Premier ministre, David Cameron, annonçait qu’il démissionnerait à l’automne, laissant à son successeur au 10 Downing Street le soin d’enclencher le processus de sortie de l’UE. Depuis lors, les spéculations sont allées bon train sur la possibilité réelle du Royaume-Uni de quitter l’UE, donnant à accroire que rien de tel ne pourrait se produire, comme si l’épisode du référendum n’avait été qu’une farce sans effet ou une séquence toute droit sortie d’un monde virtuel. Certes le référendum en lui-même n’a aucune force juridique, et il faudra certainement attendre un vote du Parlement britannique pour enclencher le processus de sortie, cependant, il n’est pas sans effet politique.

Alors que le Pparti conservateur se déchire autour de la succession de David Cameron, le Labour party connaît une crise de leadership similaire, de nombreux parlementaires du Labour profitant de la situation pour remettre en cause l’autorité de Jeremy Corbyn, aux orientations politiques très à gauche et pourtant largement élu par les militants du parti en septembre 2015. Entre impréparations caractérisées pour les leaders politiques du Brexit et trahisons shakespeariennes au sein de la classe politique britannique, on en oublierait presque que le référendum s’est soldé par un vote en faveur de la sortie de l’UE et que le gouvernement britannique devra l’organiser dans un avenir proche, presser par les autres membres et les institutions de l’UE. Le processus de sortie de l’Union européenne, qui n’a jamais été éprouvé et qui véhicule de nombreuses incertitudes, pourrait prendre plusieurs années.

Le principe : la clause de retrait de l’article 50

L’article 50 du traité sur l’Union européenne fixe une clause de retrait de l’Union européenne par un État membre. Avant la signature du traité de Lisbonne, en décembre 2007 (le traité est entré en vigueur le 1er décembre 2009), les traités européens ne contenaient aucune référence à une clause de sortie. En rajoutant une telle clause, le traité de Lisbonne reprenait une disposition présente dans le traité constitutionnel européen rejeté en 2005.

L’article 50, qui se compose de cinq paragraphes relativement courts, acte la possibilité pour un État membre de quitter l’UE et fixe les grandes lignes du processus de sortie de l’UE. En revanche, il ne donne que peu de détails concrets sur la manière dont le retrait doit s’organiser.

Le paragraphe 1 indique que « Tout État membre peut décider, conformément à ses règles constitutionnelles, de se retirer de l’Union.” Le paragraphe 2 prévoit la procédure à suivre pour l’État concerné, qui doit notifier sa demande au Conseil européen (la réunion des chefs d’État ou de gouvernement). La prérogative d’enclencher la procédure de retrait appartient à l’État concerné, qui l’exerce de manière unilatérale et sans justification nécessaire, et à qui revient donc la décision du moment auquel il entend notifier sa sortie. Une fois cette notification de sortie intervenue, s’ouvre ensuite une période de négociation au cours de laquelle l’UE, par le biais du Conseil de l’UE (conseil des ministres), « négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait ». Le paragraphe 3 fixe les modalités temporelles relatives au retrait officiel. Les traités européens cessent de s’appliquer à l’État concerné au moment de l’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou dans les deux ans suivant la notification de retrait – ce délais peut être allongé si les États membres du Conseil européen le décident. Jusqu’à ce moment, l’État en question, en l’espèce le Royaume-Uni, reste membre de plein droit de l’UE.

Inspiré par le député européen Alain Lamassoure, l’introduction d’une telle clause de retrait a fait l’objet de vifs débats juridiques et politiques au moment de son adoption. Ces débats portaient autant sur la nécessité d’une telle clause que sur le fait de savoir si elle ne remettait pas en cause l’essence même du projet européen et son caractère inéluctable. L’une des raisons majeures d’un tel ajout était d’éviter que l’UE puisse être confrontée à une situation de blocage du fait de décision issue d’un seul État, à l’image de la non ratification d’un traité européen. Par ailleurs, il s’agissait également pour les promoteurs de cet article de répondre à la critique en déficit démocratique de l’UE et de rappeler que l’appartenance à l’UE était le produit d’une décision librement consentie de la part des États.

La mise en œuvre : des impératifs immédiats contradictoires

En annonçant qu’il laisserait à son successeur la responsabilité d’engager la sortie du Royaume-Uni et les négociations avec l’UE, le Premier ministre britannique a renvoyé à l’automne le moment où le processus de sortie pourrait être engagé. De son côté, Boris Johnson, membre du Pparti conservateur et chef de file des partisans du Brexit, laissait entendre qu’il n’y avait pas d’urgence à engager un tel processus, dissimulant mal l’impréparation dans laquelle se trouvait les tenants d’une sortie de l’UE. En revanche, pour les États-membres de l’UE et les institutions européennes, il n’est nullement question de temporiser. Ils ont ainsi fait savoir à David Cameron, lors du Conseil européen qui s’est tenu à Bruxelles les 28 et 29 juin 2016, que le processus de retrait devait être enclenché aussi rapidement que possible.

Sur le plan institutionnel, pour les pays membres de l’UE, l’enjeu est d’éviter de voir l’agenda européen totalement accaparé par la question du Brexit. Sur le plan politique, il s’agit de couper court à la volonté potentielle d’autres États de s’engouffrer dans la brèche ouverte par le vote britannique. En montrant qu’un vote de retrait aura des effets immédiats et occasionnera des conséquences négatives immédiates, les dirigeants de l’UE entendent éviter un effet domino et montrer que l’UE continue de fonctionner, conformément aux règles qu’elle s’est donnée.

Pour les dirigeants britanniques, en revanche, il s’agit d’éviter, dans un premier temps en tout cas, toutes précipitations qui pourraient déstabiliser encore davantage le pays, alors qu’il est déjà confronté aux soubresauts des marchés financiers et à de nombreuses incertitudes politiques intérieures. Le nouveau Premier ministre, qui aura àchargé de mener les négociations due retrait, aura davantage intérêt à ce que la procédure de retrait sortie se déroulent plus tard pour pouvoir être dans le meilleur rapport de force possible face aux autres membres et pour obtenir le meilleur accord possible au regard des intérêts du pays.

Les scénarios : place à l’inédit ?

Les négociations de sortie entre le Royaume-Uni et l’UE se diviseront en deux volets : la négociation d’un accord de retrait réglant une multitude de questions juridiques et fixant les conditions de départ, et la négociation d’un nouvel accord établissant la nature des relations entre les deux acteurs, notamment en matière commerciale. La question se pose de savoir si les deux volets seront négociés conjointement, ce que souhaiterait les Britanniques en s’appuyant sur les ambiguïtés de l’article 50 paragraphe 2 (« À la lumière des orientations du Conseil européen, l’Union négocie et conclut avec cet État un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union. »), ou bien si l’on va dissocier les deux négociations et procéder par étape, comme l’entendent les instances de l’UE. À cet égard, la commissaire de l’UE en charge du commerce, Cecilia Malmstrom, a clairement fait savoir jeudi 30 juin qu’aucune discussion commerciale ne débuterait tant que le Royaume-Uni n’aura pas quitté l’UE. Elle déclarait ainsi : « There are actually two negotiations. First you exit, and then you negotiate the new relationship, whatever that is ».

Sur le plan juridique, toutes les options sont possibles, car il n’y a aucun précédent susceptible de baliser cette procédure de retrait. On peut donc imaginer un accord de retrait qui se doublerait d’un accord fixant les relations entre le Royaume-Uni et l’UE. Sur le plan politique, en revanche, il n’est pas improbable que les dirigeants de l’UE entendent faire du cas britannique un exemple en ne faisant aucune concession aux dirigeants britanniques et en se montrant très dur dans les négociations de retrait, puis sur le nouveau statut du pays, afin d’éviter que d’autres États membres n’aient la tentation d’imiter le Royaume-Uni. Dans ce cas de figure, l’UE s’attacherait d’abord à fixer les modalités du retrait, puis dans un second temps, entamerait des négociations quant aux relations entre les deux entités. Cette procédure repousserait le moment où le Royaume-Uni verrait sa relation avec l’UE se clarifier et se stabiliser, laissant le pays dans l’incertitude, avec les conséquences économiques que l’on peut imaginer.

Cette relation future entre les deux pourrait s’appuyer sur quelques expériences déjà à l’œuvre, mais dont on doute cependant qu’elles puissent convenir aux réalités britanniques. L’exemple norvégien est souvent mobilisé pour évoquer la relation entre l’UE et un État non membre mais ayant accès au marché unique européen (objectif avoué des Britanniques) via son adhésion à l’Espace économique européen. Cependant, la Norvège est contrainte d’adopter les législations européennes sans pour autant participer à leur élaboration ; en outre, le pays participe au budget européen. Le statut de la Suisse est également pris comme exemple. L’accord de libre-échange signé entre la Suisse et la CEE en 1972 s’est enrichi par la suite de la signature de nombreux accords sectoriels permettant au pays d’avoir un large accès au marché européen, tout en étant contraint par les règles et principes édictés par l’UE, à l’image du principe de libre circulation des personnes. Enfin, la dernière option consiste en l’élaboration d’une relation inédite dont les contours se dessineront au moment des négociations et au gré de l’état politique de l’UE et du Royaume-Uni.

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