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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 6 days ago

N. Sarkozy : « Tout pour la France » : quelle vision du monde ?

Thu, 08/09/2016 - 11:30

Nicolas Sarkozy vient de publier « Tout pour la France » [1], un livre-programme pour les prochaines élections présidentielles de 2017.

À la lecture de l’ouvrage, une première interrogation vient à l’esprit : qu’en est-il de la politique étrangère française ? Il n’y a pas réellement un chapitre consacré au sujet, mais celui-ci est évoqué à divers moments. Cela étant, ces passages sont très marqués par le contexte immédiat : les questions d’identité, d’islam et de terrorisme sont centrales. Il n’y a pas de grands dégagements globaux ou conceptuels sur la place de la France dans le monde et le rôle spécifique éventuel qu’elle pourrait y jouer. Sur ce point, N. Sarkozy et François Hollande sont en phase : les deux évitent le sujet. Pensent-ils que cela n’intéresse pas les électeurs ? Sans doute !

Il s’en prend au concept « d’identité heureuse » mis en avant par Alain Juppé, sans citer ce dernier, dénonçant les « accommodements raisonnables pas souci prétendu d’apaisement ». On en vient selon lui à ce qu’il n’y ait plus une seule France mais « une agrégation de communautés d’identités particulières, où le droit à la différence devient plus important que la communauté de destin » [2]. Il regrette l’obligation faite à la France de « cesser de chercher à assimiler ceux qui venaient d’ailleurs » [3], préférant l’assimilation à l’intégrationEn l’état actuel, ce rappel à l’ordre vigoureux peut plaire à un certain nombre d’électeurs. Mais est-ce vraiment la tradition française ? Notre pays a-t-il voulu vraiment effacer les différences ? Ne peut-on pas au contraire avoir une identité multiple et être Français d’origine italienne, espagnole, portugaise, polonaise, etc. ? S’il ne faut pas nier les origines chrétiennes de la France, il faut également admettre qu’elles ne sont pas uniques. Car la dénonciation de communautarisme par N. Sarkozy ne touche qu’une seule communauté : les musulmans. Comme si les Français d’origine diverse avaient été totalement assimilés, n’avaient conservé aucune spécificité et que seuls les musulmans, dans leur globalité, faisaient tâche dans le paysage.

Il prône l’interdiction du voile, y compris à l’université, parce qu’il pense qu’il ne s’agit pas d’un choix libre mais d’une pression communautaire et familiale qui est devenue « si pesante qu’en fait ces jeunes filles sont infiniment moins libres qu’on ne le dit ». « C’est l’exemple typique », écrit-il, « de la tyrannie d’une minorité »[4]. Malheureusement, il ne précise pas quelle enquête de terrain ou étude sociologique lui permet de l’affirmer. Car les travaux existants en sciences sociales ne vont pas dans ce sens.

Il admet que la mondialisation n’est pas un choix que l’on peut refuser. Mais ce constat ne conduit pas à s’interroger sur le débat de l’islam en France (qui nous rend impopulaire à l’étranger), mais à proposer de supprimer l’impôt sur la fortune… [5]

En parlant de la guerre sans merci contre le terrorisme, il écrit que « le djihadisme nous a déclaré une guerre totale, qu’il déploie sur un champ de bataille qui ne connaît aucune frontière ». Dénonçant une politique qui se contente « des minutes de silence, des jours de deuils et des discours », il préconise « d’agir vite et fort » [6]. « Contrairement aux dix commandements reçus par Moïse au Mont Sinaï, l’État de droit n’est pas gravé pour l’éternité dans les tables de pierre » [7]. Il propose même de porter « une réforme de la Convention européenne des droits de l’homme afin qu’elle ne fasse plus obstacle à l’expulsion systématique des étrangers condamnés à une peine d’emprisonnement de plus de cinq ans, à l’issue de leur détention » [8]. Cela risque d’être relativement délicat à obtenir. Il ajoute que, si « tous les amalgames sont insupportables (…) à l’inverse, la naïveté est coupable. Il y a bien une question spécifique à l’islam. Les appels au djihad n’émanent pas, à ma connaissance, des églises ou des synagogues, pas davantage des temples protestants. »[9] Mais peut-on croire que seules des mesures répressives pourront venir à bout du terrorisme ? Y-a-t-il des exemples réussis du tout sécuritaire ? Mettre en cause de façon répétée et systématique les musulmans ne revient-il pas, au contraire, à alimenter indirectement la cause de Daech, qui dénonce précisément l’impossibilité de vivre sa foi en terre mécréante ? N. Sarkozy est muet sur les causes du terrorisme et les stratégies politiques à mettre en œuvre.

Mais son propos, s’il est très centré sur l’identité et le terrorisme, évoque d’autres sujets.

Il se prononce contre le traité de libre-échange avec les États-Unis estimant que depuis 2012 « jamais la France ne fut aussi suiviste des États-Unis et jamais elle n’a pas eu si peu d’influence auprès d’eux ». [10] De la part de celui qui s’auto-désignait « Sarko l’américain », c’est une forte déclaration. Mais, à part sur le TAFTA (Transatlantic Free Trade Agreement) –que la France vient de rejeter – on ne sait pas sur quels dossiers se fonde. N. Sarkozy pour reprocher à F. Hollande son « suivisme » à l’égard des États-Unis. Il estime que les élargissements européens des années 1990 ont été prématurés et se prononce contre tout nouvel élargissement, en premier lieu celui qui pourrait concerner la Turquie [11].

Il propose, dans la lutte contre Daech, de convaincre Vladimir Poutine d’agir en commun avec les Occidentaux et de lever les sanctions contre la Russie. Il s’oppose à toute intervention militaire terrestre occidentale Il estime que « seuls des Arabes pourront combattre d’autres Arabes »[12]. Il s’élève contre ceux qui proposent de rompre avec l’Arabie Saoudite, l’Iran, les Émirats Arabes Unis ou le Qatar : s’il y a désaccord avec ces pays, ils demeurent nos alliés dans la lutte contre les terroristes dont ils sont également les victimes, estime-t-il[13]. Ce n’est pas inexact, mais on est frappé par la différence de jugement entre les musulmans de ces pays et les musulmans français.

Il estime que « nous avons bien agi militairement en Libye », mais qu’ « à partir de 2012, nous avons failli à maîtriser les conséquences politiques de cette action » [14]. On pourrait demander un peu plus d’introspection sur les résultats de cette expédition catastrophique, qui, entre autres malédictions (chaos libyen, répercussions au Sahel, développement du terrorisme) est l’une des causes de blocage russe sur la Syrie. Moscou, qui s’était abstenue sur le vote de la résolution 1973, s’est senti trahie lorsque la mission est passée de la protection de la population à un changement de régime.

Les limites de l’exercice de ce livre, c’est que N. Sarkozy prend en compte ce qu’il croit être porteur en politique intérieure (islam, identité, terrorisme), sans dégager de perspectives globales à long terme pour le rayonnement de la France. Et on peut craindre que les mesures proposées risquent de nous faire entrer dans un cercle vicieux stigmatisation/radicalisation, le remède venant aggraver le mal au lieu de le combattre.

[1] SARKOZY (Nicolas), Tout pour la France, Plon, 2016, 240 pp.

[2] Ibid., p. 17.

[3] Ibid., p 59.

[4] Ibid., p 63.

[5] Ibid., p 101.

[6] Ibid., p 182.

[7] Ibid., p 183.

[8] Ibid., p 186.

[9] Ibid., p 186.

[10] Ibid., p 137.

[11] Ibid., p149.

[12] Ibid., p192.

[13] Ibid., p 193.

[14] Ibid., p 194.

Le G 20 : ni directoire mondial, ni forum inutile

Wed, 07/09/2016 - 12:13

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, répond à nos questions :– Le G20 a t-il abouti sur des accords concrets et d’intérêt public?
– L’accord sur l’évasion fiscale est-il une avancée?
– Les négociations sur la Syrie entre la Russie et les USA ont échoué. Que faut-il penser de cet échec ?

Le G20 : ni directoire mondial, ni forum inutile

Wed, 07/09/2016 - 10:53

Les représentants du G20 se sont réunis à Hangzhou (Chine) les 4 et 5 septembre dernier. Retour sur un sommet qui, s’il n’influe pas réellement sur les grandes décisions mondiales, n’est pas pour autant dépourvu de toute utilité.

Beaucoup disent du G20, comme l’on pouvait l’entendre pour le G8 ou le G7, qu’il est un directoire mondial qui gouverne le monde contre l’assentiment des peuples. Pour d’autres, ces rencontres sont tout simplement inutiles. Dans les faits, le G7 et le G20 ne méritent ni cet excès d’honneur, ni cette indignité. Ils ne sont pas des directoires du monde, car l’on n’y prend pas des décisions fondamentales qui en changeraient le cours. Mais ils ne sont pas non plus inutiles car, si les résultats ne sont pas toujours à la hauteur des espérances, ces sommets ont au moins le mérite de permettre une concertation des dirigeants.

Le G20 de Hangzhou a tout d’abord permis à la Chine, pays-hôte pour la première fois, d’accueillir les autres pays et d’affirmer son rang de grande puissance mondiale qui traite l’ensemble des dossiers. C’est également en Chine que Pékin et Washington ont signé l’accord de Paris contre le réchauffement climatique. Par cette double signature, la Chine affirme son importance dans le dispositif. La ratification par les deux premiers pollueurs mondiaux est également un signal fort, bien que certains n’y voient qu’un « condominium sino-américain », qui n’existe pas dans les faits. Dans tous les cas, le G20 aura au moins permis d’avancer sur le climat.

La lutte contre les paradis fiscaux fut un autre sujet important du G20. Le dossier est en progression ; un accord a même été trouvé. Mais il semble que les chefs d’État n’ont pas pris de décisions effectives. L’étau se resserre néanmoins autour des paradis fiscaux. Si nous ne sommes pas face à un tournant de la lutte contre l’évasion fiscale, comme envisagé, les accords représentent tout de même une réelle avancée.

Concernant le dossier syrien, Barack Obama s’est félicité de de son entretien avec Vladimir Poutine. Mais d’importantes divisions sont toujours perceptibles et peu de progrès sont enregistrés sur le terrain. Les divergences entre la Russie, les Occidentaux ainsi que les pays arabes sont suffisamment importantes pour qu’un accord ne puisse être trouvé, et la population syrienne civile continue d’en payer les conséquences. Le G20 déçoit également sur la question des réfugiés. La guerre en Syrie est la principale source de flots des réfugiés. Pourtant, aucune mesure concrète n’a été annoncée. Une désillusion, alors que les pays du G20 possèdent 85 % de la richesse mondiale.

Voilà les limites de ces grands shows médiatico-stratégiques où l’on parle plus que l’on agit. Ces limites sont à l’origine de la lassitude perçue par l’opinion publique : ces grands évènements, s’ils ne sont pas inutiles, ne créent pas pour autant d’espace nouveau. Les membres du G20 sont censés incarner une communauté internationale qui n’existe pas. Les divisions et les intérêts contradictoires sont trop nombreux. Lorsqu’une question ne concerne pas un pays, comme celle des réfugiés où l’Europe est la principale concernée, on se tient à l’écart et aucune décision n’est prise.

Pascal Boniface vient de publier « L’année stratégique 2017 : analyse des enjeux internationaux », aux éditions Armand Colin.

Pourquoi les Chinois voteraient Trump

Wed, 07/09/2016 - 09:41

Le sommet du G20 de Hangzhou a été marqué par un énième incident entre la Chine et les Etats-Unis, qualifié de « red carpet gate » par certains observateurs américains. Lors de l’arrivée du président Barack Obama, les hôtes chinois n’avaient pas installé de tapis rouge à la sortie d’Air Force One. Au-delà du caractère anecdotique de cet incident, il convient de nous interroger sur le regard que portent les Chinois (à la fois les dirigeants et la société civile) sur les responsables politiques américains, tandis qu’Obama effectue sa dernière visite officielle en Chine, et que le prochain président américain à fouler le sol chinois sera donc Hillary Clinton ou Donald Trump. A deux mois du scrutin qui désignera le prochain locataire de la Maison-Blanche, les Chinois semblent porter leur choix sur le milliardaire américain.

Il est notoire que les citoyens des Etats membres de l’OTAN, et en particulier ceux d’Europe occidentale, auraient élu Hilary Clinton, s’ils avaient eu la possibilité de participer à l’élection présidentielle américaine. De manière plus large, les préférences des Européens pour les candidats démocrates est assez nette depuis la fin de la Guerre froide, à l’exception de certains pays de l’ancien bloc de l’Est dont les choix peuvent occasionnellement se porter sur le candidat républicain (on pense notamment à la présidence de George W. Bush). Conséquence de ces positionnements désormais très marqués (ce qui n’était pas le cas jusque dans les années 1980), le suivi de la campagne électorale américaine est souvent parasité par des préférences qui ont pour effet de caricaturer les candidats républicains, que ce soit Trump ou d’autres, comme si l’élection américaine devait se résumer par un choix manichéen.

A l’inverse, et de manière parfois tout autant manichéenne, les Chinois ont une préférence pour les Républicains qui remonte à l’établissement d’un dialogue entre Pékin et Washington, sous la présidence Nixon. Les Démocrates sont, eux, souvent pointés du doigt comme trop sensibilisés par des questions des droits de l’homme et de la démocratie, sujets qui fâchent en Chine. A ce titre, la présidence de Bill Clinton, de 1993 à 2001, fut souvent marquée par des incidents entre les deux pays autour de ces questions sensibles. Les Républicains sont, de leur côté, plus pragmatiques sur ces sujets (ou plus cyniques), dans la continuité des positionnements d’Henry Kissinger.

Dans le contexte actuel, la présidence Obama a été marquée en Asie-Pacifique par la stratégie du pivot dont les résultats sont discutables, et surtout dont la réception est assez négative en Chine. Si le président américain bénéficie d’une côte de sympathie assez forte chez les Chinois, celle qui incarne – et revendique – le pivot, Hillary Clinton, est en revanche nettement moins appréciée. Les positions de Donald Trump, critique du pivot et opposé à la ratification par le Congrès de sa principale réalisation, le Traité transPacifique, sont à l’inverse plus appréciées des dirigeants chinois qui y voient une forme de pragmatisme, et une reconnaissance de facto de la puissance chinoise dans son environnement régional. Perçu comme peu porté sur l’ingérence en politique étrangère, le milliardaire new-yorkais est également vu comme un interlocuteur plus qu’un rival, et Pékin y voit dans le cas de sa victoire la marque d’un engagement moins marqué de Washington aux côtés de pays comme le Japon, les Philippines et le Vietnam.

Se superpose à cette différence d’approche sur les dossiers en Asie-Pacifique le profil des deux candidats, et en particulier celui de Donald Trump, dans la société civile, qui ne manque pas de s’exprimer sur ces questions dans les réseaux sociaux. Pour les Chinois, Trump est avant tout la star de la série de téléréalité The Apprentice, qui symbolise pour de nombreux chinois la réussite sociale et l’entreprenariat.. Là où Madame Clinton symbolise l’establishment et la classe politique, Donald Trump est présenté comme un self-made-man – ce qui est, bien sûr, très exagéré – et un homme d’affaire grand public, ce qui a pour effet de faire rêver de nombreux chinois. Son franc-parler est enfin apprécié en Chine, là où il est le plus souvent montré du doigt en Europe. Gageons que les attaques à répétition du tycoon contre la politique économique et financière chinoise, qui se multiplieront à l’occasion des débats présidentiels, pourraient modifier ces perceptions. Force est de constater malgré tout qu’un candidat comme Trump séduit les dirigeants chinois autant que la société civile, là où une présidence Clinton est plutôt perçue comme la continuité des deux mandats de Bill dans les années 1990, et d’une stratégie du pivot mal acceptée.

Gabon, retour sur le principe des élections en Afrique

Tue, 06/09/2016 - 09:36

L’Afrique n’a jamais eu autant de pays pourvus de systèmes politiques issus des élections multipartites. La grande majorité d’entre eux tient régulièrement des élections nationales (16 en 2016), régionales et locales, permettant à leurs citoyens de choisir leurs dirigeants politiques et de garantir la légitimité formelle des gouvernements. Seule l’Erythrée, l’Etat-caserne qui pousse sa population à l’émigration, ne s’encombre pas d’élections, tandis que la Somalie n’est, depuis l’effondrement du régime de Siyaad Barre en 1991, pas en mesure d’en organiser.

Le dramatique scrutin présidentiel d’août 2016 au Gabon rappelle qu’il faut se méfier d’une lecture à courte vue sur les bienfaits de l’élection présentée comme la meilleure et la plus symbolique des conquêtes démocratiques. Elle a été souvent obtenue puis mise en œuvre dans un faisceau de contraintes qui en fragilisent les acquis. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que l’élection qui est devenue presque partout la modalité de conquête du pouvoir (parfois pour sanctifier par les urnes d’anciens putschistes) ou de maintien au pouvoir (douze chefs d’Etat africain sont au pouvoir depuis plus de vingt ans) se déroule très souvent dans la violence : Côte d’Ivoire 2000 et 2010 ; Kenya, 2007 et 2008 ; Zimbabwe, 2007 ; Gabon, 2009 ; RDC, 2006 et 2011 ; Ouganda, 2011 ; Congo, 2016.

La raison tient à cette réalité : l’élection cache d’autres enjeux que le renforcement de la démocratie. Les acteurs politiques n’ont souvent pas de références idéologiques très précises ; ils sont surtout attachés, une fois élus, à gérer leurs intérêts et leurs alliances. Face à eux, les électeurs, une fois qu’ils ont touché la rétribution de leur vote, n’utilisent guère la modeste information disponible pour superviser ensuite la mise en œuvre des engagements de campagne des élus et surveiller les activités de ceux qui les gouvernent.

Les positions d’autorité légalisées par l’élection confortent le patrimonialisme ambiant et continuent de permettre à ceux qui les occupent d’extraire et de redistribuer les ressources. Entre Ali Bongo Odimba et Jean Ping, l’enjeu principal demeure l’accès privilégié aux rentes économiques et politiques du pays que la classe dominante qu’ils représentent amoncelle (plus qu’elle n’investit) et qu’elle redistribue pour endiguer la violence sociale endémique. L’instauration d’un « Etat de droit » est pervertie par la personnalisation du pouvoir et par la stratégie d’accumulation -redistribution qui préside à chaque niveau de la hiérarchie, du sommet à la base en passant par les intermédiaires. L’Etat gabonais existe, mais il adopte la forme d’un rhizome dont les tiges – les institutions – sont moins importantes que les racines souterraines qui plongent dans la réalité complexe des solidarités et des rivalités.

Depuis la vague des élections, qui ont suivi les Conférences nationales et l’instauration du multipartisme dans les années 1990, l’interpénétration de l’économie et du politique s’est consolidée. Dans de nombreux cas, c’est la démocratie élective qui a été adaptée à la logique du clientélisme et non l’inverse. On parle désormais de « pseudo-démocratie », de « démocratie de faible intensité », de « démocratie par délégation ».
Le système de l’élection n’annule donc pas ipso facto la marchandisation du politique dans les Etats où règne encore un système patrimonial. Au mieux, quand les circonstances sont les plus favorables, le combat politique, exacerbé le temps de l’élection, permet de limiter les prébendes en forçant les détenteurs du pouvoir à, pour reprendre une formule africaine imagée, « manger moins vite et moins seul ».

Reconnaissons toutefois que dans certains cas, l’évolution est positive. Au Sénégal ou au Ghana, deux bons exemples, les jeux politiques sont plus ouverts, la contestation intérieure plus militante, la surveillance extérieure plus vigilante. La violence d’Etat s’est atténuée au fur et à mesure de l’adhésion aux droits politiques et humains et à la liberté d’expression. De telles évolutions sont perceptibles sur la base de certains indicateurs. Le Worldwide Governance Indicators (WGI) qui tente de capturer les manières avec lesquelles une population est capable de jouir de ses libertés (expression, association) et d’interroger le gouvernement sur ses actes, donne des résultats plutôt en hausse, particulièrement en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Ghana, Liberia, Niger et Nigeria).

La vague de rages populaires et de mouvements de protestation en Afrique depuis la fin des années 2000 témoigne de l’engagement d’une jeunesse qui n’hésite plus à recourir à la « légitimité de la rue » contre les abus et les inerties des pouvoirs en place. Véritables poils à gratter des impostures politiques, porte-étendards des aspirations au changement, depuis l’apparition de Y en a marre au Sénégal en 2011, les mouvements citoyens s’imposent comme des acteurs politiques à part entière, avec à leur actif quelques trophées (l’échec d’Abdoulaye Wade au Sénégal en 2011, l’éviction de Blaise Compaoré au Burkina Faso en 2014). Ces manifestations de résistance sociale devenues plus fréquentes traduisent l’émergence d’une démocratie du quotidien et le renforcement de la société civile. Même si l’idée de citoyenneté demeure souvent embryonnaire, davantage de pays laissent s’exprimer les médias sur les affaires publiques. Dans un tel contexte favorable, les acteurs non-étatiques jouent un double rôle : ils élargissent les possibilités d’engagement citoyen et font pression pour tenir les gouvernements et institutions publiques responsables de leurs actes.

Il n’y a donc pas lieu de désespérer de la démocratie africaine. Aucun système n’est immuable. A l’origine profondément rétifs à prendre le risque de l’ouverture, les détenteurs du pouvoir devront évoluer et bientôt en céder une partie, ne serait-ce que par pragmatisme. D’autant qu’il pourra leur paraître opportun de rechercher une nouvelle rente dans l’arrivée des investissements étrangers et dans l’attribution des aides extérieures qui sont consenties à la condition que le système politique et social s’ouvre enfin. N’est-il pas significatif de constater que les membres de la classe au pouvoir en Afrique commencent à se rendre compte que leurs privilèges sont le mieux à l’abri s’ils sont définis comme des droits communs plutôt que comme des prérogatives personnelles. Ils devront, coûte que coûte, entériner cette ouverture, contrainte et nécessaire, par des réformes institutionnelles, étendant progressivement l’accès aux droits à la citoyenneté à une plus large partie de la population.

Frontière syro-turque : « Un pas en avant dans l’étranglement de l’Etat islamique »

Mon, 05/09/2016 - 18:11

L’Etat islamique a perdu son dernier point de passage avec la Turquie. Quelle(s) conséquence(s) cela peut-il avoir pour le groupe terroriste ?

C’était une des voies de ravitaillement de l’Etat islamique, notamment en direction de la ville de Raqqa qu’ils nomment leur capitale. Ça va donc compliquer la tâche des djihadistes en terme de livraison d’armes, de ravitaillement sanitaire ou alimentaire mais aussi en terme de lieux de passage des apprentis djihadistes qui confluaient vers l’Etat islamique. De ce point de vue, sans pour autant considérer qu’on en a fini avec l’Etat islamique, les avancées de l’armée turque et des groupes rebelles liées à l’armée turque au cours des derniers jours sont un pas en avant dans l’étranglement de ce groupe terroriste. Nous sommes probablement à l’orée d’une nouvelle séquence parce que maintenant les vrais objectifs militaires ne vont plus être de conquérir quelques villages, quelques points de passage mais de reconquérir Raqqa, en Syrie, et Mossoul, en Irak. Et là, ça ne sera pas une promenade de santé.

L’Etat islamique a-t-il perdu tout contact avec l’extérieur ?

Non, il subsiste toutes les voies de ravitaillement qui passent par l’Irak. La frontière irako-syrienne avait, vous vous en souvenez, été détruite symboliquement par les troupes de l’Etat islamique au mois de juin 2014. Là encore, l’Etat islamique est affaibli mais pas du tout éradiqué, il y a encore des voies de communication entre la Syrie et l’Irak.

Quel impact cette nouvelle peut-elle avoir pour la Turquie, qui a subi plusieurs attentats sur son sol, revendiqués par l’Etat islamique ?

La Turquie a souvent été accusée de complicité avec l’Etat islamique, je parlerais plutôt de complaisance. On sait très bien qu’il y a eu, par exemple, des combattants de l’EI qui sont allés se faire soigner dans des hôpitaux turcs. Il y a eu aussi du trafic de pétrole brut ou des livraisons d’armes. Cette forme de complaisance est désormais terminée depuis début 2015. Cette décision a été renforcée ces dernières semaines à cause de la multiplication des attentats attribués à l’EI sur le sol turc. La Turquie prend désormais toute sa place dans la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. Maintenant, les défaites que subit l’Etat islamique depuis plusieurs semaines risquent de radicaliser une partie de ses membres, de multiplier les attentats à travers le monde. La Turquie étant un des pays de la ligne de front, il est plus facile d’acheminer des kamikazes en passant la frontière que de venir dans une autre capitale occidentale.

Propos recueillis par Margaux Duguet

Traité sur le commerce des armes : quels enjeux derrière les négociations ?

Mon, 05/09/2016 - 14:15

Benoit Muracciole est Vice président de l’ONG Action sécurité éthique républicaine (Aser). Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Quelles frontières pour les armes ? » (éd. A. Pedrone) :
– En quoi le TCA est-il capital ? La géopolitique de ces dernières années aurait-elle été similaire si ce traité était entré en vigueur plus tôt ?
– Votre mouvement s’inscrit-il dans une démarche pacifiste ?
– Que retirez-vous de vos contacts avec la société civile, dont le puissance complexe militaro-industriel ?
– Dans quelle mesure votre parcours a-t-il mis en lumière les rapports de force entre les grandes puissances ? Quel rôle pour la France dans les négociations sur le TCA ?

La France et l’islam : débats internes, dégâts internationaux

Mon, 05/09/2016 - 09:34

Du 29 août au 2 septembre 2016, s’est tenue à Paris la désormais traditionnelle « Semaine des ambassadeurs ».

L’occasion d’une réflexion collective de la part de nos représentants à l’étranger sur les questions stratégiques, mais également sur leur méthode de travail. Occasion également d’aller vers les citoyens en organisant une journée ouverte aux échanges sur leur métier et un concours d’éloquence pour les étudiants. Lilian Thuram, champion du monde de football et citoyen engagé, était le grand témoin de cette journée.

Mais c’est avant tout l’occasion de discours cadrant l’action internationale de la France : du président de la République, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères et du Développement international.

François Hollande prononçait le dernier discours de son mandat actuel. Alors que son bilan économique et social est largement contesté, F. Hollande est généralement crédité de succès en matière de politique étrangère. Il a dû faire face au terrorisme et aux diverses crises : accords de Minsk, COP 21, intervention au Mali, réconciliation avec les pays heurtés par le style de l’ancien président (et actuel candidat), Nicolas Sarkozy. Il a été à la fois bon diplomate et guerrier, quand cela était nécessaire. S’il a bien commencé par évoquer la place particulière de la France dans le monde, il n’a pas par la suite continué sur un discours global. F. Hollande n’a jamais aimé être enfermé dans un cadre conceptuel. Il pense que son pragmatisme protège sa liberté, mais cela l’a aussi empêché de dégager une grande fresque sur la France et le monde.

Il a donc, comme depuis 2012, évoqué les uns après les autres les grands dossiers internationaux en commençant par le terrorisme, puis les différents conflits qui agitent la planète : de la guerre civile en Syrie à la crise ukrainienne. Sur Israël et la Palestine, il s’est contenté de rappeler que la solution est connue : deux États qui peuvent vivre en paix et en sécurité, sans parler de Jérusalem ni des frontières, en retrait par rapport aux discours de N. Sarkozy. Il s’est montré ferme à l’égard du Royaume-Uni, en jugeant irréversible sa sortie de l’Union européenne et également insisté sur la nécessité de conclure rapidement l’accord sur le réchauffement climatique, signé à Paris en décembre 2015. Il a enfin officialisé la fin des négociations sur le traité transatlantique.

Mais, à la conclusion de son discours, il a pris le chemin d’un dessein globalisant sur la voix de la France dans le monde. C’est contraire à ses habitudes mais il l’a fait pour des raisons de politique intérieure. Faisant référence, de manière implicite, au discours sur la place de l’islam en France, il a déclaré que « céder sur nos valeurs serait non seulement une régression pour l’État de droit mais aussi un risque pour notre cohésion nationale. Ce serait surtout un discrédit pour notre influence internationale. La France est forte quand elle est elle-même, pas quand elle se défigure. Ainsi, face à l’intolérance, à la haine et à l’obscurantisme, la France n’a renoncé à rien de ce qu’elle est. »

Il est vrai que pratiquement tous les ambassadeurs présents ont fait part en privé ou en public des dégâts qu’ont créés les polémiques sur les musulmans, le voile (plus récemment le Burkini), sur l’image de notre pays dans le monde. Dans les pays occidentaux, la France passe désormais pour un pays intolérant. Dans les pays musulmans, elle passe pour un pays islamophobe. La photo de policiers encadrant une femme sur une plage qui portait un Burkini a eu un effet désastreux. Le constat, sévère, est unanime, quelles que soient les sensibilités personnelles des ambassadeurs : le prestige et le rayonnement de la France sont largement entamés. Les responsables politiques français qui se sont exprimés avec véhémence sur le sujet n’ont soit pas conscience des répercussions à l’international, soit n’en ont cure.

Manuel Valls, dans son discours centré sur la compétitivité économique du pays, n’a pas évoqué le sujet, au grand soulagement des ambassadeurs.

Dans son discours de conclusion, Jean-Marc Ayrault est revenu sur le sujet : « certains d’entre vous sont les témoins de l’impact dévastateur à l’étranger des emballements dont notre vie politique est capable. Il est urgent de retrouver un peu de sérénité (…) Le risque d’interdire, c’est de stigmatiser et de finir par rejeter. Cela, ce n’est pas la France. Quand la France rejette, elle ne règle aucun problème, notamment pas celui de l’intégration. Elle n’est plus en phase avec elle-même. » Or, si personne ne l’a exprimé, chacun sait que le clivage sur ce point ne se situe pas uniquement entre le gouvernement et l’opposition, mais au sein du gouvernement, et en l’occurrence entre le Premier ministre d’un côté, le ministre des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur de l’autre.

François Hollande a un goût prononcé pour la synthèse. Mais, sur ce sujet, si la polémique venait à reprendre, il lui faudrait trancher clairement et publiquement, pour que cela soit audible aussi bien en France qu’à l’étranger.

« Le président Maduro est toujours en situation de freiner le processus de référendum »

Fri, 02/09/2016 - 18:21

Le succès de la manifestation de jeudi 1er septembre relance-t-il les chances de l’opposition vénézuélienne face au président Maduro ?

Cette manifestation confirme que les électeurs qui ont amené l’opposition au pouvoir lors des élections législatives de décembre 2015 sont toujours mobilisés.
Cette force, constatée dans les urnes, s’est manifestée dans les rues de Caracas. Mais cela ne change pour l’instant rien aux données du problème : l’opposition doit rassembler 20 % de l’électorat pour tenir un référendum de révocation, et veut le réaliser avant le 10 janvier, qui est la date de mi-mandat. S’il est organisé après, la destitution possible du président Nicolas Maduro ne ferait qu’amener son vice-président à le remplacer.
Cette manifestation maintient la mobilisation et enlève des arguments à une partie des opposants qui défendent un recours à la violence. Mais il ne faut pas oublier que le gouvernement a lui aussi réuni de nombreux soutiens lors de plusieurs manifestations qui se sont déroulées plus tôt dans la semaine.

La situation risque-t-elle de se durcir entre le gouvernement et l’opposition ?

Comme Hugo Chavez en son temps, le président Nicolas Maduro est pris à son propre discours et est tenu d’organiser un référendum comme le prévoit la Constitution promue par Hugo Chavez.
Le gouvernement essaie cependant de jouer la montre : il retarde la date en mettant en avant les difficultés techniques qu’engendre la vérification des votes. Il est toujours en situation de freiner le processus, la question est jusqu’à quand ?
L’expérience des manifestations de 2014, où des violences avaient fait 40 morts dans les deux camps, a douché les appels à la violence d’une partie de l’opposition. Henrique Capriles, l’ancien candidat à la présidence contre Nicolas Maduro, est aujourd’hui leur leader.
Or, il préfère s’appuyer sur le succès électoral de la coalition de la Table de l’unité démocratique (MUD) aux élections de décembre 2015, ainsi que sur la mobilisation pacifique dans la rue. De nouvelles manifestations sont d’ailleurs déjà prévues et devraient mobiliser autant.

Quel rôle peut jouer la communauté internationale dans cette crise ?

Plus personne ne parle d’une démarche de ce type. Pour que la communauté internationale intervienne, encore faudrait-il que les différents acteurs le souhaitent. On est actuellement dans une phase intermédiaire, un face-à-face entre le gouvernement et l’opposition. La nécessité d’un recours à un médiateur pourrait refaire surface si le blocage persiste dans les semaines à venir.
Une médiation internationale, menée par le Vatican et l’Union des nations sud-américaines (Unasur), avait déjà été acceptée auparavant, avec notamment la présence de l’ancien chef du gouvernement espagnol José Luis Rodriguez Zapatero et l’ex-président dominicain Leonel Fernandez.
Mais le rapport de force en Amérique latine n’est aujourd’hui plus en faveur de Nicolas Maduro, avec l’alternance électorale en Argentine et la destitution de Dilma Rousseff au Brésil. Le Venezuela n’a plus comme alliés régionaux que Cuba, qui se consacre à ses réformes économiques, l’Équateur et la Bolivie, dont le poids diplomatique est limité.

Recueilli par Olivier Bories

Syrie : « L’intervention de la Turquie redistribue les cartes »

Wed, 31/08/2016 - 10:09

L’offensive de l’armée turque à la frontière syrienne contre les forces du groupe État islamique et les forces démocratiques syriennes (FDS), principalement constituées et encadrées par les YPG (Unités de protection du peuple), va-t-elle redistribuer les cartes quant aux forces présentes sur le terrain ?

Oui, incontestablement. L’intervention de l’armée turque a permis de reprendre un certain nombre de localités à l’État islamique, prises aujourd’hui en tenaille entre les forces turques et les YPG. L’enjeu des affrontements de ces derniers jours se situe dans la zone située entre la localité de Jarabulus, récemment reconquise par les forces rebelles syriennes soutenues par l’armée turque, et la frontière turque. Cette zone fait office de point de passage sanitaire, alimentaire et militaire pour l’État islamique. Si les FDS ou l’armée turque venait à la contrôler, cela porterait un coup dur à l’organisation.
D’autre part, l’intervention de la Turquie redistribue les cartes dans cette partie de la Syrie en termes de forces présentes sur le terrain. Les FDS, au sein desquels les Kurdes liés au YPG sont majoritaires, étaient il y a quelques semaines la seule force capable de s’opposer victorieusement à l’État islamique. Au fil de leur avancée, les Kurdes de Syrie sont en mesure de modifier les rapports de force, mais aussi les enjeux politiques de la région. Car le Parti de l’union démocratique (PYD) profite de la progression militaire de sa branche armée, le YPG, pour instaurer des administrations cantonales sous sa direction. Le but de Recep Tayyip Erdogan est donc de freiner la montée en puissance militaire et politique du PYD, voire, comme il l’a déclaré publiquement, de « nettoyer » la zone de leur présence. L’intervention de son armée doit leur empêcher de relier les trois cantons qu’ils dominent : deux d’entre eux sont à l’est, un autre est à l’ouest. Si les Kurdes parvenaient à faire la jonction des cantons, ils contrôleraient la majeure partie du territoire frontalier à la Turquie. C’est ce que craint le chef de l’Etat turc et ce qui l’a, en partie, motivé à envoyer son armée.

Pensez-vous que l’offensive turque contre les combattants kurdes de Syrie, soutenus par les États-Unis, pourrait provoquer une crise diplomatique entre Ankara et Washington ?

Non, je ne le pense pas. Au cours des derniers mois, les Etats-Unis ont soutenu et équipé les YPG alors que la Turquie, alliée des Etats-Unis et membre de l’OTAN, les considère comme une organisation terroriste car extension syrienne du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). L’attitude des Etats-Unis était ambiguë, mais il y a encore quelques semaines, les combattants kurdes constituaient la seule force, au sol, capable de tenir tête à l’État islamique. L’intervention de l’armée turque avec son opération « bouclier de l’Euphrate » change la donne. Joe Biden, le vice-président des Etats-Unis en visite à Ankara mercredi dernier, a clairement affirmé son soutien à l’opération. Il a également appelé les combattants kurdes à se retirer sur la partie orientale de l’Euphrate. Aussi si les Etats-Unis ne devraient pas stopper leur aide aux Kurdes de Syrie, ils devraient se montrer à l’avenir beaucoup plus exigeants.
Les États-Unis ont donc fait un choix stratégique. Ils préfèrent une alliance forte, efficace et opérationnelle avec la Turquie plutôt qu’avec les groupes kurdes de Syrie. Pour eux, l’enjeu est, en effet, bien plus important du point de vue géopolitique. Cela étant la situation est très volatile et peut évoluer très rapidement.

Quelle est la situation des forces en présence en Syrie ? Daech est-il toujours en train de perdre du terrain ?

En réalité, Daech n’est qu’une partie de l’équation. Il détient quelques pans du territoire, mais leur véritable implantation s’est faite dans les villes, notamment à Raqqa. Si le retrait de Daech dans des petites localités est incontestable, son affaiblissement est relatif. Il reste maître de villes importantes et de son bastion, Raqqa pour laquelle Daech s’est particulièrement préparé à sa défense.
Les forces kurdes de Syrie, qui ne se trouvent qu’à une trentaine de kilomètres de cette dernière depuis plusieurs mois, ont plusieurs fois été sollicitées par les Etats-Unis pour passer à l’offensive, mais ils s’en gardent bien. Pour s’y attaquer, il leur faut avant tout se préparer en termes de tactique militaire et essayer d’assécher les réseaux d’approvisionnement de la ville de Raqqa pour affaiblir les positions de l’Etat islamique.
Par ailleurs, Alep est un des considérables enjeux géopolitiques et militaires : des groupes qui parviendront à contrôler Alep, dépendra certainement l’avenir de la Syrie. Mais pour l’instant, aucune force n’est en mesure de dominer la ville, et les populations civiles en paient le prix fort.
Les combats y font rage entre les forces de Bachar al-Assad et les combattants de l’Armée syrienne libre (ASL) considérés comme « modérés ». Ces derniers, sur la défensive, se sont vus contraints au cours de l’été de s’allier aux islamistes du Front Fatah al-Sham (ex-Front al-Nosra, lié à d’Al-Qaïda) pour reprendre certains quartiers et desserrer l’étreinte que fait peser l’armée syrienne restée loyale à Bachar al-Assad.
On assiste ainsi, à Alep comme ailleurs, à une polarisation extrême des tensions et l’on constate que désormais il n’y a plus beaucoup de place pour les forces dites « modérées » entre, d’une part les forces de Bachar al-Assad massivement soutenues par la Russie, le Hezbollah et l’Iran, et d’autre part les groupes djihadistes qu’ils s’appellent Etat islamique ou Fatah al-Sham, en bonne partie soutenus par les Etats arabes du golfe.
La Syrie est aujourd’hui divisée entre forces gouvernementales, Kurdes, Etat islamique, rebelles dits « modérés » et groupes djihadistes ou salafistes et aucune faction n’est en mesure d’imposer sa prééminence aux autres. Et l’on constate que, malheureusement, les djihadistes, autres que l’Etat islamique, sont en passe de s’imposer comme des combattants incontournables pour régler un certain nombre de sous-conflits nationaux.

Accords de paix en Colombie : un processus exemplaire dans un monde débordé par des conflits sans solution

Tue, 30/08/2016 - 16:29

L’accord de paix, que de nombreux observateurs qualifient d’historique et qui a débouché sur un « cessez-le feu définitif » entre les FARC et les forces gouvernementales, doit encore être ratifié. Quelles sont les étapes manquantes à l’adoption définitive de l’accord ? Peuvent-elles l’empêcher de voir le jour après cinquante-deux ans de conflit armé ?

La première étape importante de ces accords concerne le « cessez-le-feu définitif » déclaré le 27 août 2016, au terme de quatre années de négociation en Norvège et à Cuba. Les FARC doivent consulter leur base à la mi-septembre pour valider le compromis signé avec les autorités. Une cérémonie officielle de signature doit ensuite être organisée, peut-être aux Nations unies. Le processus sera validé, ou rejeté, par référendum le 2 octobre. Les Colombiens doivent se prononcer pour ou contre les accords de paix mettant un terme à un conflit cinquantenaire et qui aurait causé la mort de 260 000 personnes. Si la majorité des Colombiens sont pour, la campagne n’a pas encore commencé. Et il faudra compter avec des opposants aux accords de paix, à commencer par l’ancien président Alvaro Uribe. Les opposants dénoncent notamment la remise en liberté et l’amnistie des guérilleros présentés comme des criminels.

Quels sont les principaux points de l’accord de paix entre les FARC et le gouvernement de Juan Manuel Santos ? Vont-ils changer le quotidien des Colombiens ?

Les accords de paix comportent six points. Ils concernent l’agriculture, la reconversion politique des FARC, la remise des armes et la réinsertion des combattants, le trafic de drogue, le dédommagement des victimes ainsi que la mise en place d’un mécanisme de vérification de l’application du processus de paix.
L’agriculture est un point essentiel des négociations car les combats en raison de la présence des FARC, principalement dans les campagnes, ont déplacé plus de deux millions de personnes à l’intérieur des frontières de la Colombie qui est le pays, après les deux Soudan, avec le plus grand nombre de déplacés à l’intérieur de ses frontières. La plupart d’entre eux ont fui les zones rurales contrôlées par les FARC, et disputées par les forces de sécurité et les irréguliers paramilitaires, pour gagner les centres urbains. Les accords doivent garantir leur retour. Un cadastre doit être mis en place. Des aides au développement sont aussi prévues pour les régions agricoles.

Qu’est-il prévu pour la réinsertion des FARC ?

La réinsertion des guérilleros est également un élément crucial du processus de paix. Elle est notamment mentionnée dans le deuxième volet des négociations qui concernent la reconversion politique des FARC. Ceux qui n’ont pas commis de crimes contre l’humanité devraient être autorisés à participer à la vie politique de la Colombie, en constituant, par exemple, des partis politiques et en se présentant aux élections. Un seuil de cinq élus sur deux législatures a été garanti aux ex-guérilleros. Ce point pourrait contredire un autre volet des accords. Celui qui concerne les victimes et les sanctions pénales à l’égard de ceux, agents des forces gouvernementales ou guérilleros, ayant commis des graves violations des droits de l’homme. L’accord prévoit la mise en place d’un système intégral de justice et de réparation, avec notamment une commission de la vérité une juridiction spéciale pour la paix et les réparations, etc. Reste à savoir comment tout cela va pouvoir être appliqué. Le tri entre ceux qui seront considérés comme criminels et donc mis hors-jeu politique, et ceux qui seront admis à la réinsertion démocratique ne sera pas des plus aisés.
Un autre point a suscité d’importants débats : la remise des armes. Les guérilleros (8000 selon l’armée colombienne) veulent avoir la garantie qu’ils ne subiront pas de représailles après avoir remis leurs armes. Cela s’est déjà produit par le passé. Dans les années 1980, des combattants, avaient accepté de rendre les armes. Deux à trois mille d’entre eux, devenus militants d’une formation appelée Union patriotique, avaient été assassinés. Un système de sécurité doit être mis en place en vue d’assurer la protection des anciens membres des FARC, afin qu’ils puissent rendre les armes sans risquer d’être assassinés. Une commission nationale de garantie de sécurité, un corps d’élite spécialisé de la police nationale, une unité spéciale d’investigation, seront notamment créés.
Au-delà de ces aspects concernant la protection des ex-combattants, un « Conseil national de réincorporation » sera mis en place. Il doit aider les anciens guérilleros à trouver un emploi et à s’insérer dans la société. Une indemnité doit leur être versée pendant la période de démobilisation. La réinsertion est essentielle pour mettre fin aux violences. Les négociateurs ont de toute évidence tiré les leçons des lacunes des processus de paix signés dans les pays d’Amérique centrale, il y a près de trente ans. On meurt dans ces pays en 2016 autant et même davantage qu’à l’époque des conflits civils. Militaires démobilisés et anciens guérilleros se sont reconvertis dans la criminalité et la délinquance, faute de formation professionnelle, de plan d’éducation ou d’offre d’emploi. Le cas du Salvador est de ce point de vue démonstratif des carences des accords signés. Le taux des homicides est au Salvador l’un des plus élevés au monde. Le pays enregistre chaque année plus de 100 personnes assassinées pour 100 000 habitants. Les homicides sont plus nombreux aujourd’hui que durant la guerre civile qui a ensanglanté le pays entre 1980 et 1992. À titre de comparaison, les taux d’homicides enregistrés au Brésil et au Mexique, considérés particulièrement élevés, se situent dans une fourchette de 25 à 27 homicides pour 100 000 habitants.

Ces accords vont-ils bénéficier à la Colombie quant à sa place sur la scène régionale voire internationale ?

L’accord est historique pour la Colombie. Le qualificatif est pour une fois tout à fait justifié. Il met fin à 52 années de conflit. Il va permettre au pays de bonifier son image et ainsi d’attirer des investisseurs étrangers. Le gouvernement, aura également la possibilité de diminuer un budget militaire, qui accapare l’investissement public avec 4,5% du PIB (moins de 2% pour la Grande Bretagne et la France) et de consacrer davantage à l’éducation, la santé et le développement. En ce qui concerne la drogue, les accords signés par les autorités avec les FARC ne mettront pas fin au trafic. La lutte contre les trafics de stupéfiants et la culture de la coca ont fait l’objet d’un autre point, le point 4, des négociations. Les FARC sont tenues d’abandonner les liens établis avec les « drogues illicites » dans les régions qu’elles contrôlaient. Mais ces régions ainsi abandonnées vont faire l’objet de convoitises de la part des petits groupes de délinquants, issus des anciens cartels de la drogue, ainsi que par les bacrims (bandes criminelles) héritières des anciens paramilitaires, acteurs importants de ces trafics. L’ELN (Armée de libération nationale), autre groupe de guérilla est d’autre part toujours active.
La paix en Colombie, est une des rares nouvelles positives de ces dernières années. Elle est en effet porteuse d’espoir pour une communauté internationale désarmée diplomatiquement par des conflits sans solutions autres que militaires. Les Nations unies, l’Union européenne, mais également le Pape sont intervenus en faveur des accords. L’Allemagne et les Etats-Unis ont désigné des ambassadeurs en charge du dossier. La Norvège et Cuba sont garants du processus de paix, tandis que le Venezuela et le Chili en sont les accompagnateurs. Ces pays auront un rôle à jouer pour aider le mécanisme d’application du processus de paix, sixième point important des accords, à fonctionner de façon optimale. Et ainsi présenter la résolution de l’interminable guerre interne colombienne comme exemple de règlement international d’un différend jugé pendant des années imperméable à toute solution négociée.

Géopolitique des Etats-Unis : Vers la fin du siècle américain ?

Tue, 30/08/2016 - 10:10

Alexandre Andorra, spécialiste des Etats-Unis, répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Géopolitique des Etats-Unis » (PUF), co-écrit avec Thomas Snégaroff :
– Perpétuer le “siècle américain”, est-ce encore l’objectif des Etats-Unis dans un monde devenu multipolaire ?
– Est-ce la fin de l’hyperpuissance américaine ?
– Les Etats-Unis sont-ils prêts à négocier la refonte du système internationale et la suprématie du dollar ?

Le TAFTA, un traité qui va à l’encontre des textes des Nations unies

Mon, 29/08/2016 - 17:26

Le traité sur la mise en place d’une zone de libre-échange transatlantique (désigné par son sigle anglais TAFTA ou TTIP) est en cours de négociation dans la plus grande discrétion entre les dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne (UE). Il pourrait aboutir à la création de la plus vaste zone de libre-échange du monde (29 États, 820 millions d’habitants). Le TAFTA prévoit l’élimination des droits de douane, la suppression des « obstacles non-tarifaires » au commerce (comme le contrôle sur la qualité des importations) ainsi que l’harmonisation des normes et des réglementations. Dans l’optique d’une harmonisation, il pourrait menacer les normes européennes en matière sociale ou environnementale, plus avancées que celles des États-Unis. Ainsi, cela pourrait remettre en cause la liberté syndicale, ou ouvrir l’Europe au bœuf aux hormones américain.

En outre, le TAFTA prévoit de donner la possibilité aux multinationales, si elles s’estiment « discriminées » par une réglementation, de réclamer des indemnités aux États, devant des tribunaux d’arbitrage privés opérant en dehors de la juridiction nationale, les ISDS (« Investor State Dispute Settlement »).

Ces tribunaux sur-mesure existent en fait depuis 1957, date de la création de la Communauté économique européenne (ancêtre de l’UE). Cela visait, à l’origine, à protéger les entreprises contre les expropriations. Les multinationales l’ont ensuite étendu aux « expropriations des droits intellectuels », un concept flou qui permet d’englober tous les types de lois et régulations.

Dans ces tribunaux privés, le juge n’est pas un magistrat officiel. L’entreprise plaignante choisit un premier arbitre, l’État poursuivi en désigne un second, et les deux parties, un troisième. Ces arbitres sont choisis dans un cercle étroit, fermé, et favorable aux milieux d’affaires. « On confie à trois individus privés le pouvoir d’examiner, sans aucune restriction ni procédure d’appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions de ces tribunaux, toutes les lois et régulations émanant de leur parlement. », comme le résume Juan Fernandez‑Antonio, lui‑même arbitre international [1]. Ces ISDS fournissent une protection aux investisseurs au détriment des États et des citoyens. Ils permettent aux investisseurs de poursuivre des États, mais pas l’inverse ! Par exemple, le groupe nucléaire suédois Vattenfall poursuit en justice le gouvernement allemand suite à sa décision d’abandonner l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Autre exemple avec Veolia, qui avait lancé, il y a quelques années, une filiale de traitement des déchets en Egypte celle-ci a peu fait recette. L’entreprise française a attaqué le gouvernement égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum à la suite de la révolution arabe de 2011. Ces affaires ont déjà coûté aux gouvernements des centaines de millions d’euros. Cette justice est si inique que certains pays ont décidé de l’abandonner : l’Australie, la Bolivie, l’Equateur et l’Afrique du Sud.

Le TAFTA constitue aussi une menace pour l’exercice du droit syndical et les protections sociales, comme le salaire minimum. En effet, les normes sociales seraient uniformisées à celles des États-Unis. Or ce pays ne reconnaît pas la plupart des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la protection des travailleurs (liberté de réunion, droit aux négociations collectives) car il les considère comme des entraves au commerce et à la libre concurrence.

Au nom du respect de la « concurrence libre et non faussée », les multinationales pourraient, par exemple, obliger des États à privatiser les services de santé. Les multinationales pourraient aussi contester les standards de l’OIT comme discriminants. Elles pourraient également faire valoir la protection des travailleurs et des droits syndicaux comme des obstacles au commerce et au libre-échange.

De plus, le TAFTA va à l’encontre de plusieurs textes importants des Nations unies, comme les conventions de l’OIT et le principe directeur n°9 de l’ONU sur les affaires et les droits de l’homme. Il contraint les Etats à s’assurer que les accords sur le commerce et l’investissement ne contraignent pas leur capacité à assurer leurs obligations concernant les droits de l’homme. Un expert des Nations unies, l’avocat américain d’origine cubaine Alfred de Zayas, s’est publiquement opposé au TAFTA. Dans une interview donnée au quotidien britannique The Guardian, il réclame la suspension des négociations entre les États-Unis et l’Union européenne visant l’adoption du projet. Alfred de Zayas, nommé « rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable », a préparé pour l’ONU un rapport sur les tactiques utilisées par les multinationales dans les négociations du TAFTA pour arriver à leurs fins. Il juge sévèrement les ISDS, qui constituent selon lui « une tentative d’échapper à la juridiction des tribunaux nationaux et de contourner l’obligation de tous les États d’assurer que toutes les affaires juridiques soient traitées devant des tribunaux indépendants, publics, transparents, responsables et susceptibles d’appel ». Il ajoute que le TAFTA enfreindrait la Charte de l’ONU, signée par tous les États membres. En effet, « l’article 103 de la Charte de l’ONU dit que s’il y a un conflit entre les dispositions de la Charte et n’importe quel autre traité, c’est la Charte qui prévaut ». Zayas réclame qu’on inclue au moins des syndicats et des experts médicaux et environnementaux dans les négociations du TAFTA. Sur plus de 600 affaires jugées devant les ISDS, la plupart ont abouti à un jugement en faveur des multinationales. « Pourquoi? Parce que les juges sont des avocats d’affaires extrêmement bien payés. Ils travaillent aujourd’hui pour une multinationale, demain comme avocats, le surlendemain comme lobbyistes, le jour d’après comme arbitres [dans ces ISDS]. Ce sont des situations classiques de conflit d’intérêts et de manque d’indépendance » [2].

Le TAFTA pourrait considérablement aggraver la pauvreté et la précarité dans l’Union européenne. Face à ces dangers, la CNUDCI, Commission des Nations unies pour le droit commercial international, a adopté en 2014 la « Convention sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États, fondée sur des traités ». Elle rassemble des règles de procédure visant à rendre accessibles au public les informations sur les arbitrages entre investisseurs et États découlant de traités d’investissement. De cette manière, tous les textes du TAFTA doivent être rendus publics afin que dans tous les pays de l’UE, les parlementaires et les citoyens aient du temps pour les examiner et les évaluer de manière démocratique. Cette convention constitue un pas vers plus de transparence dans les jugements rendus par les ISDS.

C’est maintenant aux citoyens de peser pour que les textes et valeurs humanistes de l’ONU prévalent sur ces tribunaux arbitraires et pour que le TAFTA ne soit pas adopté.

[1] Sylvain Laporte, « TAFTA: les tribunaux du diable », Fakir, n°69, avril 2015,
[2] « UN calls for suspension of TTIP talks over fears of human rights abuses », The Guardian, 5 mai 2015.

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