Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2016). Matthieu Tardis propose une analyse de l’ouvrage dirigé par Camille Schmoll, Hélène Thiollet et Catherine Wihtol de Wenden, Migrations en Méditerranée (Paris, CNRS Éditions, 2015, 382 pages).
En réunissant les contributions d’une trentaine de chercheurs, Camille Schmoll, Hélène Thiollet et Catherine Wihtol de Wenden proposent un ouvrage foisonnant proche de l’exhaustivité sur les questions migratoires.
Il ne s’agit pas d’un ouvrage sur l’Europe et ses voisins méditerranéens. Il évite l’euro-centrisme qui fausse les grilles d’analyse des commentateurs politiques et médiatiques. En élargissant la focale sur la Méditerranée, l’ouvrage offre un éclairage approprié à la crise migratoire. La Méditerranée est la ligne de fracture économique, politique, sociale, culturelle et démographique la plus importante du monde avec la frontière américano-mexicaine. Dans leur introduction, les auteurs rappellent effectivement que la Méditerranée n’est pas un ensemble homogène. Elle ne constitue pas moins un espace migratoire dans lequel les circulations de population ont connu des bouleversements importants au cours de ces dernières décennies.
Ces bouleversements concernent en premier lieu les statuts migratoires des pays de la région. En quelques dizaines d’années, et alors qu’ils étaient il y a peu des pays de départ, les États d’Europe du Sud ont accueilli une immigration massive régulée grâce à l’outil de la régularisation. Les pays de la rive sud de la Méditerranée ont connu des transformations similaires. Ils cumulent aujourd’hui les caractéristiques de pays d’émigration, de transit et, de plus en plus, d’immigration. Quant au Moyen-Orient, il connaît des mouvements de populations, principalement des déplacements forcés, depuis longtemps, qui réactivent des circulations transnationales anciennes.
Cet ouvrage offre également un éclairage sur les dynamiques migratoires contemporaines au regard de deux faits majeurs : la crise économique et les révolutions arabes. Est-ce que ces événements rebattent les cartes migratoires en Méditerranée, ou accélèrent-ils simplement un processus déjà enclenché ? L’Europe du Sud redevient un lieu de transit, voire de départ, parce qu’elle n’a pas su mettre en place les politiques et les structures que ses partenaires du Nord n’ont pas imposées quand il en était temps. De même, les flux migratoires en provenance des pays arabes, y compris la tragédie des réfugiés syriens, expriment les aspirations à la démocratie et au développement à l’origine des mouvements de protestations.
Ce qui frappe le plus à la lecture de cet ouvrage est l’inadéquation des politiques qui s’inscrivent dans une continuité de contrôle, de dissuasion et de répression. L’omniprésence du fait frontalier n’est pas remise en cause, bien au contraire, alors qu’elle a fait preuve de son échec. Bien que les politiques européennes aient un impact sur l’ensemble de la région, cette permanence politique n’est pas le seul fait de l’Union européenne. La fermeture des frontières et la répression des migrants sont des outils utilisés par les autres pays méditerranéens.
Le contraste avec les dynamiques sociales et économiques, des migrants comme des sociétés d’accueil, qui contredisent cette continuité des politiques, souligne la nécessité du travail accompli par les auteurs. Ils décrivent avec clarté des phénomènes complexes que les décideurs politiques n’ont pas voulu regarder en face. À cet égard, cet ouvrage, qui devrait devenir une référence, remet en cause la notion même de crise migratoire, tant ces chercheurs analysent les bouleversements migratoires depuis de longues années.
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Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2016). Marc Hecker propose une analyse de l’ouvrage de Philippe-Joseph Salazar, Paroles armées. Comprendre et combattre la propagande terroriste (Paris, Lemieux Editeur, 2015, 264 pages).
Philippe-Joseph Salazar, normalien, a étudié la philosophie et la science politique, avant de se spécialiser dans la rhétorique qu’il enseigne à l’université du Cap depuis 1995. Il a publié de nombreux ouvrages dont Mahomet. Récits français de la vie du Prophète (Klincksieck, 2005) et Paroles de leaders (François Bourin, 2011). Son dernier essai, Paroles armées, a obtenu le prix Bristol des Lumières 2015. Cet ouvrage a le mérite de considérer le califat proclamé par Abou Bakr Al-Baghdadi pour ce qu’il est : un puissant mouvement politico-religieux. À ce titre, Salazar démontre brillamment que la communication de cette entité politique vient en appui d’une stratégie de conquête et d’hostilité radicale à tous ceux qui s’opposent au projet califal.
Si cet essai est particulièrement stimulant, il dérange pour au moins trois raisons. Tout d’abord, Salazar décrit l’État islamique de manière séduisante. Ses membres apparaissent comme de valeureux soldats, répondant à l’appel d’un chef – à la fois imam, émir et calife – au charisme indéniable. Ils forment un « peuple djihadiste » uni autour d’un idéal commun. Le djihadisme, nous dit Salazar, est une fraternité. Une fraternité autrement plus solide que celle qui s’affiche sur le frontispice de nos bâtiments publics.
Ensuite, l’auteur de Paroles armées décrit nos gouvernants et responsables sécuritaires comme des incompétents ne comprenant pas le phénomène qu’ils prétendent combattre et commettant de nombreuses erreurs. Le clip « Stop-Djihadisme » produit par le gouvernement français après les attentats de janvier 2015 est présenté comme une « bévue », une « mauvaise imitation ». « Sommes-nous devenus idiots ? », demande Salazar. Non, répond-il, mais nous ne maîtrisons pas les termes de la lutte asymétrique que le califat porte jusqu’au cœur de l’Europe. Salazar critique non seulement la communication gouvernementale face à l’État islamique mais, plus largement, l’ensemble des réponses apportées par les spécialistes du terrorisme. Il consacre par exemple quelques paragraphes au « processus de radicalisation », citant le concept de Bunch of Guys élaboré par Marc Sageman, et commente : « Il n’y a rien à espérer du côté de cette psychosociologie moliéresque. »
Enfin, cet essai dérange car son auteur – contrairement à ce qu’indique le sous-titre – ne propose guère de solutions pour « combattre la propagande terroriste ». Parmi les rares pistes évoquées pour faire face à la rhétorique du califat se trouve l’idée de renoncer à la censure. Il s’agirait, au contraire, de diffuser les revues djihadistes dans les écoles. À charge pour les enseignants de déconstruire les Paroles armées contenues dans des publications telles que Dabiq et Dar A l-Islam.
Pour avoir tenté cette expérience délicate avec des étudiants de Sciences Po, il me semble pour le moins hasardeux de vouloir l’étendre dans les lycées et collèges. Les enseignants sont-ils réellement mieux armés que les gouvernants pour faire face au discours « performatif » de l’État islamique ? Rien ne le prouve. Espérons au moins que le jour où les élèves étudieront la poésie djihadiste dans les classes de littérature, ils n’apprendront pas, en parallèle, à confectionner des explosifs en cours de chimie.
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Cette recension d’ouvrages est issue de Politique étrangère (1/2016). Aline Leboeuf propose une analyse de l’ouvrage de Christophe Boisbouvier, Hollande l’Africain (La Découverte, 2015, 224 pages).
François Hollande prône la « doctrine par l’exemple » dans la mise en œuvre de sa politique africaine. Serait-ce un mélange d’héritages réinterprétés, entre Mitterrand et Jospin, d’équilibrisme ad hoc, de principes revus à l’aune de la Realpolitik ? Pour comprendre ce président finalement fort « normal » au regard de ses prédécesseurs, Christophe Boisbouvier revient sur son parcours africain, de ses premiers faits d’armes sous Mitterrand jusqu’à ses difficultés récentes à se démarquer de partenaires africains fort mal élus.
On apprend ainsi que, au cabinet du secrétaire d’État porte-parole du gouvernement, Hollande défend l’intervention Manta au Tchad. En 1996, il contribue aux efforts du cabinet Mignard pour renégocier en faveur du Tchad son contrat avec Exxon-Shell-Elf. Surtout, représentant du PS auprès de l’Internationale socialiste, il se constitue un premier réseau africain qui, comme son stage de l’ENA en Algérie en 1978, détermine plus sa vision de l’Afrique que ses rares voyages en Somalie et au Sénégal. Sa première vraie décision en matière de politique africaine consiste à soutenir Gbagbo jusqu’en octobre 2004.
Mais l’intérêt du livre ne réside pas d’abord dans ces anecdotes – qui prouvent que, même pour un politique français sans grand intérêt pour l’Afrique, il est difficile de ne jamais s’y confronter. Non, ce qui fascine dans ce livre c’est de voir comment l’Afrique rattrape même ceux qui ne s’y intéressent pas, et comment il est difficile de repenser et renouveler la politique africaine de la France, même ou surtout quand on est un homme « neuf » qui voit dans l’Afrique un espace « où il n’y a que des coups à prendre ».
Hollande est élu sans autre politique africaine que : « mettre fin à la Françafrique », aux interventions militaires, aux réseaux et aux relations privilégiées avec des dictateurs. Trois ans après, la France est intervenue au Mali et en Centrafrique. Les réseaux et les intermédiaires n’ont plus officiellement droit de cité, réduisant ainsi le risque de privatisation de la politique africaine de la France. Mais, comme le montre l’auteur, de nouveaux réseaux ou intermédiaires ont pris une importance nouvelle, comme l’Internationale socialiste ou certains avocats, communicants, consultants, ou même compagnies de service de sécurité et de défense proches du président ou de ses ministres. Enfin, alors que le Burkina Faso avait été intelligemment valorisé par Paris pour affirmer la fin du soutien aux présidents tentés de faire sauter le verrou constitutionnel des deux mandats, cet engagement de principe de Hollande a vite été mis de côté au profit d’une approche moins engagée, voire complice, des régimes en place, surtout quand la question du changement constitutionnel ne s’y pose plus. Quand Le Drian explique à l’auteur qu’il « flirte mais […] ne couche pas », n’entend-on pas un résumé efficace de cette relation compliquée entre la France de Hollande et ses partenaires africains, auxquels il faut bien payer les services rendus ?
Ainsi lorsque Juppé raillait l’opposition socialiste en lui reprochant de faire « un mauvais copier-coller de la droite », il posait une vraie question : comment faire une autre politique africaine, quand l’obsession reste la « grandeur de la France », cette idée mitterrandienne que « sans l’Afrique il n’y aura pas d’Histoire de France au xxie siècle » ? Christophe Boisbouvier ne répond pas à cette question, mais donne de nombreuses clés pour y réfléchir.
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