Leurs parents se sont tués à la tâche pour faire marcher « l'atelier du monde ». Comme eux, ils ont quitté la campagne par millions, partant à l'assaut des mégapoles chinoises dans l'espoir d'une vie meilleure. Mais leurs rêves se heurtent aux difficultés de la vie en ville, où ils ne disposent pas des mêmes droits que ceux qui y sont nés. Rencontre avec des « mingong », dans les quartiers ouvriers de Canton.
Un père, venu récupérer sa fille à la sortie de l'école Loup EspargilièreLes traits tirés par une semaine harassante passée à confectionner des chaussures, le regard dans le vague, Zhang, 27 ans, raconte : « Cela fait un an que je suis à Baiyun. Ma femme et mon fils sont toujours dans la province du Guangxi. J'étais fermier, je suis venu ici pour l'argent. » Comme près de 280 millions de Chinois (1), il a quitté son village natal pour rejoindre les rangs des mingong (ou migrants, littéralement « paysans-ouvriers »), ces ruraux chinois venus chercher une vie meilleure dans les mégapoles du pays. Un exode entamé en 1979, lors de l'ouverture de la Chine à l'économie mondialisée sous l'impulsion de Deng Xiaoping. Bâtisseurs, ouvriers, balayeurs : ils sont depuis quarante ans les petites mains de la croissance chinoise.
À Baiyun, district ouvrier du nord de Canton où l'on trouve des immeubles-dortoirs, de petites usines de textile et des échoppes qui vendent de tout, les générations de mingong se succèdent. Attablé à la terrasse d'une épicerie de quartier, à l'ombre d'immeubles vétustes, Zhang fait le calcul. Il travaille douze heures par jour, six jours sur sept, dans un atelier de confection où la chaleur est insupportable durant les longues journées d'été. Malgré ses soixante-douze heures de labeur hebdomadaire, soit vingt-huit de plus que la durée légale — fixée à quarante-quatre heures et dépassée par 85 % des travailleurs migrants (2) —, il répète une idée communément admise en Chine : « Ma génération est plus flemmarde que la précédente. Eux travaillaient bien plus dur, ils étaient capables de produire beaucoup plus que nous dans le même temps. » Souvent enfants uniques, élevés par leurs grands-parents, les jeunes mingong ont la réputation d'être plus capricieux et moins travailleurs que leurs parents, qui ont connu les heures les plus dures du communisme chinois.
Recréer une cellule familialeÀ deux pas de là, sur une placette où des enfants s'ébattent après l'école, Dai, la trentaine, s'inquiète. Cette jeune mère au visage émacié, ouvrière dans une usine de chaussures, aimerait travailler plus : « Lorsque je suis arrivée ici, en 2006, je faisais des journées de douze heures. Mais maintenant, les commandes diminuent et je ne travaille plus que huit heures par jour. » En 2015, la croissance chinoise s'est établie à 6,9 %, son plus bas niveau depuis vingt-cinq ans (3). Les manufactures du Guangdong (la province de Canton), qui constituent l'« atelier du monde », en paient le prix fort. Avec leurs emplois précaires dans ces industries, les mingong de Baiyun figurent parmi les premières victimes du ralentissement économique. Une perte que ne compense pas la hausse officielle des salaires (10,7 % par an en moyenne entre 2008 et 2014 (4)).
« Les conditions de travail sont très difficiles, alors autant mourir ! », ironise Li, 30 ans, dont dix passés dans les usines textiles de Canton. Il redoute l'« effet domino » que crée la baisse des commandes chez ces travailleurs payés au rendement. Il constate que « beaucoup de petites usines ferment et ne paient pas leurs ouvriers ». Zhang en a été témoin : « Un jour, dans l'usine à côté de la mienne, le patron n'a pas versé les salaires, car il n'avait pas été payé par ses clients. Il a vendu les produits et il est parti avec la caisse. » Le gouvernement local a alors saisi le bâtiment, assure-t-il, pour le revendre afin d'honorer les dettes de l'entreprise et payer les salariés.
Depuis quelques années, la tension monte dans les usines du Guangdong (5). Au cœur des revendications : le respect des lois en vigueur. De très nombreux patrons refusent par exemple de payer leur part obligatoire de l'« assurance sociale » pour les travailleurs. Grèves et occupations d'usine sont les principaux moyens de pression des ouvriers. Le China Labour Bulletin (CLB), une organisation non gouvernementale de défense des travailleurs basée à Hongkong, a recensé 2 774 grèves en 2015, soit deux fois plus qu'en 2014. Selon ses décomptes, dans le seul Guangdong, il y en aurait eu 281 entre août 2015 et janvier 2016. L'écrasante majorité des ouvriers de ces usines sont des migrants.
Porte-parole du CLB, M. Geoffrey Crothall dénonce l'inefficacité de la Fédération des syndicats de toute la Chine (All-China Federation of Trade Unions, ACFTU), la principale organisation du pays, qui représente près de 300 millions de salariés (6). Directement liée au gouvernement, l'ACFTU « ne fait rien pour aider les travailleurs lorsqu'une usine ferme, affirme-t-il. Si les ouvriers font grève, son rôle sera de les remettre à l'ouvrage. » « C'est très difficile d'être contre le gouvernement », renchérit Li. Il y a quelques années, il travaillait dans les grosses usines du district de Panyu, dans le sud de Canton. Bien plus nombreux, les ouvriers pouvaient se faire entendre des pouvoirs publics. « Mais quand nous ne sommes que vingt par entreprise, nous ne recevons aucun soutien. »
En 2010, la jeunesse des usines s'est soulevée, « même si les médias occidentaux ont exagéré le phénomène », commente la chercheuse Luo Siqi. Parti de l'usine Honda de Foshan, à quelques kilomètres de Canton, le mouvement de grève a rassemblé soixante mille ouvriers et stagiaires de l'industrie automobile autour du slogan : « Nous voulons 800 yuans de plus ! », alors qu'ils gagnaient en moyenne 1 500 yuans (200 euros) par mois, selon la chercheuse (7). Les protestataires avaient fini par obtenir gain de cause, mais l'insatisfaction des mingong perdure. « L'ancienne génération ne se plaignait pas, confirme Zhang. La nouvelle, mieux formée, a plus de moyens de lutter. Elle est également plus courageuse. Si les jeunes savent qu'ils sont dans leur bon droit, ils osent s'opposer à leurs patrons. » M. Crothall se montre moins enthousiaste : « Il y a quatre ou cinq ans, nous avons atteint un effet de seuil. Aujourd'hui, les patrons réalisent que la situation économique est très différente de l'époque où le pays connaissait une croissance à deux chiffres. »
Son smartphone en main, Zhang raconte qu'il passe ses soirées sur les réseaux sociaux et dans le groupe de conversation qui rassemble sa famille et ses proches. Il dort et mange à l'usine. De son salaire, il ne dépense presque rien. « Ma femme et mon fils vont bientôt me rendre visite pour quelques mois. En attendant, je dois mettre assez d'argent de côté pour louer un appartement plus grand. » Malgré les difficultés, les jeunes parents sont de plus en plus nombreux à vouloir recréer la cellule familiale en ville.
Alors que son garçon de 10 ans se renverse une briquette de lait de soja entre les orteils, Dai se rappelle pourquoi elle a décidé de le faire venir à Canton. « Mes parents s'en occupaient mal. Ils lui donnaient à manger et faisaient ses lessives, mais ce n'était pas assez. L'an dernier, dans notre village, j'ai surpris mon fils en train d'essayer la cigarette. J'étais folle de rage. Même si je savais que ça me coûterait très cher, il fallait que je le reprenne en main ! », s'amuse-t-elle. Constat similaire pour M. Dan Yuong, ouvrier lustreur originaire du Guangxi voisin : « Avant de venir ici, mon fils de 8 ans ne savait ni lire ni compter jusqu'à cent. Je l'avais confié à mes parents, mais ils étaient trop âgés pour bien s'occuper de lui. » Arrivé il y a trois mois, le garçon n'est toujours pas scolarisé. En journée, M. Dan le confie à la garderie. Chaque soir, après le travail, il est obligé de lui apprendre à lire et à écrire sur la table basse de son studio. Il espère pouvoir bientôt l'inscrire à l'école à Canton.
Des jeunes jouent au basket dans une école du quartier de Baiyun Loup EspargilièreDans les grandes villes, la situation progresse, mais la scolarisation des enfants de mingong relève encore du parcours du combattant. L'obstacle vient du hukou. Ce passeport intérieur, mis en place sous Mao en 1958 pour contrôler les mouvements de population, instaure une différence de statut entre les natifs des villes et ceux des campagnes. Il restreint l'accès aux services publics pour ces derniers et rend difficile l'accès à l'école pour leurs enfants. Des tentatives d'assouplissement ont eu lieu ces dernières années, comme dans le district de Baiyun, à Canton, en 2012 : une certaine ancienneté de résidence, des contributions financières au système éducatif, du bénévolat ou un don de sang permettent d'accumuler des points qui favoriseront l'accès aux écoles publiques. Des conditions impossibles à remplir pour une grande partie des mingong, contraints de se tourner vers les établissements privés.
Problème : ceux-ci sont débordés face à l'explosion de la demande. « La capacité d'accueil n'est pas à la hauteur », reconnaît M. Ling Yuming, directeur de l'école de Huijiang à Canton, dont les 2 600 places sont occupées à 98 % par des enfants de migrants. « Dans le privé, la qualité de l'enseignement ne vaut pas celle des écoles publiques, déplore quant à elle une institutrice de l'établissement. Ici, la majorité des enseignants sortent d'écoles techniques. Dans le public, en ville, ils ont un niveau universitaire. »
Depuis 1985, l'école est obligatoire et gratuite pendant neuf ans pour tous les enfants chinois scolarisés dans la zone de leur hukou. Pour ceux qui vivent en ville, cette gratuité n'est pas garantie de fait. Dans le privé, les frais de scolarité oscillent entre 3 000 et 4 000 yuans (400 et 540 euros) par semestre. L'équivalent d'un mois de salaire moyen pour les migrants (3 072 yuans, soit 420 euros (8)). Seulement une partie est parfois prise en charge par l'État : « Chaque semestre, les élèves reçoivent entre 675 yuans [92 euros] et 1 200 yuans [164 euros] d'aide gouvernementale », indique M. Ling. L'établissement perçoit aussi chaque année 1 million de yuans (137 000 euros) pour améliorer ses moyens d'enseignement. Des mesures insuffisantes, selon le directeur : « Le système de points [introduit lors de l'assouplissement des règles du hukou] est une bonne chose, mais le gouvernement doit davantage aider les mingong. Ils apportent énormément à la Chine, mais ils ne peuvent pas mener une vie décente. C'est injuste. »
La tête pleine de projets« Ce n'est ni juste ni injuste, ce n'est pas la question », considère Zhang. Lui-même ne veut pas du hukou de Canton, ni que son fils vienne y faire ses études. Il a accepté la vie urbaine avec résignation, mais il compte les jours. Il attend d'avoir mis suffisamment d'argent de côté pour payer la dot dont son fils devra s'acquitter quand il sera en âge de se marier. « Quand mon fils sera plus grand, je travaillerai plus dur », promet-il. Puis il rentrera dans le Guangxi. Pour l'heure, il tue le temps en lisant des romans de kung-fu sur son smartphone.
« Couci-couça » : voilà comment Dai résume ce qu'elle pense de sa vie cantonaise. « Je n'ai pas à me plaindre. Je ne compte pas changer de travail tout de suite. Avec le déclin de l'économie, j'aimerais ouvrir mon propre commerce, vendre de la nourriture, par exemple, mais je ne sais pas comment faire », répond-elle avec légèreté.
Depuis son studio de vingt mètres carrés, si proche de l'immeuble d'en face qu'il peut le toucher par la fenêtre, M. Wu Erwei attend patiemment son heure. En dix ans à Canton, il a multiplié les contrats dans l'industrie textile, et sa vie gravite autour de celle de l'usine. Il habite seul et ne se sent pas intégré à la ville. Il lâche, désabusé : « Les mœurs locales sont trop différentes des miennes. » Lorsqu'il rentre chez lui, il se connecte à Internet. Il y a découvert que les filles russes sont « très belles », « plus ouvertes » et « moins matérialistes » que les Chinoises, énumère-t-il en comptant sur ses doigts. Il espère en rencontrer une. Un jour, s'il en a les moyens, il rentrera au Hunan fonder son usine. Pour réaliser son rêve, il ne compte pas sur le Parti : « Le “ rêve chinois” [slogan politique de l'actuel président Xi Jinping] n'a pas beaucoup de sens. Surtout pour les gens ordinaires comme moi. »
De l'espoir, Tang, elle, en a à revendre. À 18 ans, elle a été successivement manucure, caissière et coiffeuse. En ce moment, elle passe entre treize et quatorze heures, chaque jour de la semaine, à servir les clients d'un restaurant de grillades pour un salaire de 3 000 yuans (400 euros) par mois. « Je ne travaille pas pour l'argent, mais pour l'expérience », assure-t-elle, un large sourire aux lèvres. Ses parents ont quitté le Fujian pour ouvrir une supérette à Canton. Ils lui ont donné naissance ici, avant de la renvoyer faire une partie de sa scolarité dans leur province natale. Revenue il y a dix ans afin de poursuivre ses études, elle appartient à cette dernière génération pour qui la vie en ville s'est imposée comme une évidence. Avec son pantalon noir évasé et ses accessoires assortis à son tee-shirt blanc imprimé, elle est la Cantonaise type. Comme Zhang, Dai et les autres, elle a la tête pleine de projets. Elle voudrait ouvrir un jour une échoppe de thé glacé. « Absolument certaine » qu'elle aura une vie plus facile que ses parents, elle lance avec enthousiasme : « C'est une nouvelle ère ! »
Concours étudiants 2016L'association des Amis du Monde diplomatique (9), qui regroupe les lecteurs du mensuel, a organisé cette année son cinquième concours destiné aux étudiants, doté de 1 000 euros (10). Le jury, présidé par Denise Decornoy (directrice de collection littéraire) et composé de Mireille Azzoug (maîtresse de conférences hors classe, ancienne directrice de l'Institut d'études européennes de l'université Paris-VIII), Philippe Leymarie (ancien journaliste à Radio France Internationale, animateur du blog Défense en ligne) et Mathieu O'Neil (chercheur, collaborateur du Monde diplomatique), a étudié les 41 reportages et enquêtes reçus. Les cinq meilleurs articles ont été soumis à la direction et à la rédaction en chef du Monde diplomatique. Les lauréats voient leur texte publié ici.
(1) Statistiques 2015 fournies par le China Labour Bulletin, Hongkong, www.clb.org.hk
(2) Bureau national des statistiques de la République populaire de Chine, Pékin, www.stats.gov.cn
(3) « La croissance chinoise au plus bas depuis un quart de siècle », Le Monde, 20 janvier 2016.
(4) « Wages, productivity and labour share in China » (PDF), bureau régional pour l'Asie et le Pacifique de l'Organisation mondiale du travail, Bangkok, avril 2016.
(5) Lire Martine Bulard, « Le Parti communiste aux prises avec le mécontentement social », Le Monde diplomatique, septembre 2012.
(6) Lire Han Dongfang, « En Chine, colère cherche syndicats », Le Monde diplomatique, septembre 2014.
(7) Lire Isabelle Thireau, « Les cahiers de doléances du peuple chinois », Le Monde diplomatique, septembre 2010.
(8) Bureau national des statistiques, www.stats. gov.cn
(9) www.amis.monde-diplomatique.fr
(10) Pour tout renseignement sur le concours 2017 : amis@monde-diplomatique.fr
Les deux photographies n'ont pas été publiées dans la version papier.
« Aujourd'hui, le système agricole chinois est bloqué. » L'économiste Wen Tiejun, directeur de l'école d'économie agricole et de développement rural à l'université Renmin, à Pékin, ne mâche pas ses mots. Ce qui ne l'empêche pas de reconnaître : « Avec 20 % de la population mondiale à nourrir, mais seulement 9 % des terres arables et 6 % de l'eau douce, le défi est considérable. »
En trente ans, la Chine a du moins éradiqué la famine. Dès 1979, quand la réforme est lancée, les terres sont décollectivisées et leur droit d'usage réparti à égalité entre les paysans — la propriété restant à la collectivité. Comme les trois quarts de la population vivent encore à la campagne, chacun hérite de petites parcelles qu'il cultive comme il veut. Les récoltes deviennent plus abondantes, grâce aussi à de meilleures semences et aux engrais, tandis que fleurissent de petites entreprises locales qui apportent des compléments de revenu. Ce n'est toutefois qu'une parenthèse : soumises à la loi du marché, celles-ci ne résistent pas. Pour survivre, l'un au moins des membres de chaque famille doit quitter le village — et rejoindre les fameux mingong, les migrants intérieurs, qui fournissent une main-d'œuvre bon marché aux multinationales étrangères soudain séduites par le modèle chinois.
A l'aube des années 2000, la situation de ceux qui demeurent à la campagne est si mauvaise qu'un cadre communiste de la province du Hubei, M. Li Changping, rédige une lettre ouverte au premier ministre d'alors, M. Zhu Rongji, publiée dans Nanfang Zhoumo, l'un des journaux les plus populaires de Chine : « Le sort des paysans est lugubre, la campagne réellement pauvre, l'agriculture en crise (1). » Inédite, la démarche fera grand bruit et ne sera guère prisée des autorités centrales. Cependant, en 2006, le gouvernement supprimera les impôts payés par les ruraux, qui représentaient 6 à 7 % de leurs revenus.
Ce tournant marquera le début d'une série de réformes visant à « prendre moins, donner plus et libérer les initiatives », comme le résume Lin Wanlong, directeur des études et professeur au collège d'économie et de gestion de l'Université de l'agriculture de Pékin — l'un des rares campus de la capitale où trône une immense statue blanche de Mao Zedong. Parmi les mesures prises : la création d'un revenu minimum rural (dibao) ; des aides pour l'achat des semences, des engrais, des pesticides, des machines ; un prix minimum pour certaines productions (blé, coton, soja…). Les subventions passent de 77,4 milliards de yuans en 1996 à 1 400 milliards de yuans (plus de 198 milliards d'euros) en 2014.
A l'heure actuelle, le revenu moyen des ruraux n'en demeure pas moins trois fois inférieur à celui des familles habitant la ville : 8 896 yuans par an contre 26 995 yuans. Vingt pour cent des terres cultivées sont déclarées polluées, par le ministère de l'agriculture lui-même. Les consommateurs se méfient des produits en raison de scandales à répétition : lait frelaté, porc contaminé, chou au formol, etc. Les terres sont épuisées par un usage irraisonné d'engrais, singulièrement sur les petites parcelles : 647,6 kilogrammes par hectare cultivé, contre 136,9 pour la France, pourtant connue pour ne pas être parcimonieuse dans ce domaine. Au nord, elles manquent d'eau ; à l'échelle du pays, elles restent morcelées, ne dépassant pas 0,8 hectare en moyenne.
De plus, les Chinois consomment moins de céréales et plus de viande. Les deux tiers du maïs produit servent désormais à l'alimentation animale, et les exploitations géantes ont fait leur apparition : plus du quart des porcs vendus sont déjà élevés dans des fermes industrielles de plus de 3 000 têtes chacune (2). Enfin, certains produits subventionnés (coton, soja) coûtent bien plus cher que les produits importés autorisés. Résultat : l'Etat se retrouve avec des stocks qu'il ne peut vendre qu'à perte et qui, le plus souvent, pourrissent. C'est l'impasse.
Principales ressources agricoles de la Chine Agnès Stienne, novembre 2015 AperçuLa Chine est ainsi devenue le premier importateur mondial de soja (que lui vendent, dans l'ordre, les Etats-Unis, le Brésil et l'Argentine). Elle achète même du blé (d'Australie, du Canada et des Etats-Unis). Certes, l'empire du Milieu reste le premier producteur mondial de riz, de blé et de thé, et le deuxième de maïs. Mais à un coût de plus en plus élevé.
En guise de réponse, le gouvernement entend franchir une étape décisive dans la voie de la libéralisation : baisse des subventions et hausse des importations, conformément aux accords de libre-échange ; regroupement des terres et accélération de l'urbanisation, comme le prévoit un plan tablant sur 20 à 25 millions de migrants supplémentaires d'ici à 2020. Parmi les supporteurs les plus enthousiastes de ce programme figure le patron du groupe d'Etat China National Cereals, Oils and Foodstuffs Corporation (Cofco), M. Ning Gaoning, pour qui « la seule solution est le libre-échange ». Numéro un chinois de l'agroalimentaire, Cofco produit, transforme, importe, exporte et, accessoirement, achète des terres à l'étranger. Groupe public ou pas, tout ce qui déréglemente lui semble bon à prendre.
Selon M. Chen Xiwen, qui pilote les réformes au nom du groupe central sur les questions rurales au Conseil des affaires d'Etat (gouvernement), en 2014, « 26 % des foyers paysans ont transféré leur droit d'usage ; ce qui représente 28 % des terres arables ». Un « transfert » qui n'a rien de spontané. Les potentats locaux poussent les paysans à céder leurs droits à vil prix (le montant est calculé en fonction de ce que rapporterait la culture de la parcelle), avant de les revendre à prix d'or, soit à des promoteurs immobiliers, soit à l'industrie agroalimentaire. Voilà comment des paysans se retrouvent sans terre, donc sans revenus, ou coactionnaires fictifs de « coopératives » où ils n'ont pas leur mot à dire et doivent se contenter de travailler, salariés sur leur propre exploitation.
Cette privatisation qui ne dit pas son nom suscite de nombreuses oppositions. Fait rare, en pleine conférence de presse, M. Chen lui-même a reconnu des divergences au plus haut niveau. « A franchement parler, nous ne pouvons atteindre un consensus sur la réforme du système foncier. Des différends majeurs existent sur certains points entre les divers partenaires [Etat, collectivités locales, groupes industriels, paysans] (3) », a-t-il déclaré. En attendant, on continue à privatiser sans le dire.
Pour sa part, le Pr Lin, très mesuré depuis le début de notre entretien à l'Université de l'agriculture de Pékin, n'en critique pas moins le cours actuel des choses : « Je ne suis pas partisan de laisser les grosses entreprises [de l'agroalimentaire] piloter les changements. Atteindre la taille moyenne d'une ferme familiale en Europe [de 30 à 60 hectares], cela voudrait dire pour la Chine qu'une seule famille va en remplacer 80. Que va-t-on faire des 79 restantes ? Où va-t-on les entasser ? Quelle source de revenus vont-elles avoir ? On voit bien que ce n'est pas réaliste. »
D'autant que les paysans expulsés se retrouvent à la ville, sans protection. Campagnards ils sont nés, campagnards ils restent, comme indiqué sur leur passeport intérieur, le hukou. Ils n'ont donc pas les mêmes prérogatives que ceux qui sont nés en ville. Instauré en 1958 pour contrôler la population, puis pour éviter l'entassement dans des bidonvilles urbains, le hukou a transformé les migrants en sous-citoyens privés de droits élémentaires : inscrire un enfant à l'école publique, être intégralement remboursé de ses frais médicaux, acheter un logement — même lorsqu'on en a les moyens…
Certes, le gouvernement promet un changement. Hors des grandes métropoles (Pékin, Shanghaï, Chongqing), le hukou serait remplacé par une simple carte d'identité, ou par un certificat de résidence ouvrant les mêmes droits pour tous. Mais, pour l'heure, la réforme patine. Les collectivités locales hésitent à lever des impôts pour payer les droits sociaux des migrants. Les couches moyennes urbaines y semblent d'autant moins disposées que le ralentissement économique — « l'économie normale », selon l'expression officielle — alimente leurs craintes pour l'avenir de leurs propres enfants. Alors, celui des paysans…
Bien sûr, tout le monde reconnaît la nécessité de remembrer les parcelles afin de faciliter la mécanisation et de regrouper les villages pour bénéficier d'enseignants formés et de médecins qualifiés. Des expériences existent, mais elles ne sortent pas du modèle occidental productiviste. Le Pr Lin regrette l'absence d'une vision plus novatrice, ainsi qu'« un certain mépris des citadins pour la campagne ». Et de citer un exemple : « Pour la plupart des urbains chinois et pour la nation, le TGV est un grand progrès. Mais chez les paysans, il a été vécu comme une régression : les billets sont plus chers, les trains ne s'arrêtent plus dans les petites gares. Les citadins ont de l'argent et veulent aller vite ; les paysans ont du temps mais pas d'argent. Ce sont ces contradictions qu'il faut résoudre. » A l'évidence, la marche sera longue.
(1) Cité par Alexandre F. Day, The Peasant in Postsocialist China, Cambridge University Press, 2015.
(2) Chiffres cités par Jean-François Dufour, Jeffrey de Lairg et Du Shangfu, China Corp. 2015, « Agroindustry. In the dragon's farm » (PDF), www.chine-analyse.com
(3) Conférence de presse lors de la présentation du « Document no 1 », « SCIO briefing on agricultural modernisation », 4 février 2015, www.china.org.cn
Liberté, c'est de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent davantage qu'il ne parlent », a pu écrire Paul Valéry. Il est vrai que l'idée de liberté, ou la simple évocation de son nom, a été utilisée pour justifier toute sorte d'attitudes et de mesures, parfois carrément liberticides. Qu'on songe, par exemple, à la loi Sécurité et liberté, d'Alain Peyrefitte en 1981, dont l'objectif était, déjà, d'élargir les prérogatives discrétionnaires de la police au détriment des garanties traditionnelles de l'ordre démocratique. Les mesures adoptées par les gouvernements de gauche comme de droite depuis le 11 septembre 2001 affichent mieux la couleur, comme la loi sur la sécurité quotidienne adoptée au printemps 2002.
Pourtant, si le mot liberté chante souvent davantage qu'il ne parle, la civilisation occidentale - pour ne parler que d'elle - était progressivement parvenue, à partir de la Renaissance augmentée des Lumières, à une définition commune de la liberté. Cette définition se traduisait, en particulier, par un corpus de droits (civiques et politiques) que transcrivent bien les différentes déclarations des droits de l'homme (1789, 1948) ou la convention adoptée par le Conseil de l'Europe en 1951 (1). Cette reconnaissance formelle des libertés n'était, bien sûr, pas exclusive d'un débat sur leurs frontières ou leur dépassement. Au titre du dépassement, la critique marxiste introduisait notamment une distinction entre droits formels et droits réels, réduisant la portée des garanties accordées par la démocratie bourgeoise. L'analyse de classes aboutit, en effet, à considérer que la différence des situations sociales rend théorique la liberté des uns par rapport à la puissance des autres.
Au titre des frontières, le débat a surtout opposé la conception républicaine de la liberté, issue des cités de la Renaissance italienne, à la conception libérale émanant de la philosophie politique anglosaxonne. La première privilégie la puissance publique, la loi, les droits collectifs et les devoirs civiques comme instrument de sauvegarde et de promotion des libertés, quand la seconde préfère se reposer sur la société civile, le contrat, l'extension des droits individuels et des procédures notamment judiciaires. Aujourd'hui, dans la foulée de l'extension du libéralisme économique, le libéralisme politique semble prendre l'ascendant, notamment au travers des règles de la construction européenne. Judiciarisation, individualisme exacerbé, jeu de prétoire, destruction des droits collectifs, crise des institutions phares du modèle républicain (école, laïcité…) sont des traits communs aux sociétés contemporaines.
Cependant, au-delà de ces débats, les grandes démocraties occidentales s'accordaient sur un socle de libertés dont la caractéristique consistait grosso modo à placer l'individu titulaire de droits au centre de l'organisation sociale. Il pouvait, bien sûr, survenir des périodes de régression comme la guerre d'Algérie avec la censure et la suspension des droits fondamentaux (2). Il pouvait aussi exister des poches de non-droit : tribunaux d'exception, régimes temporaires de mise à l'écart des libertés comme l'Etat d'urgence (Nouvelle-Calédonie, 1984, ou Irlande du Nord), statut juridique de certaines catégories d'individus comme les femmes, qui furent, jusqu'aux lois Roudy sur l'égalité professionnelle ou matrimoniale, les inférieures légales des hommes. Ces questions alimentaient un débat public plus ou moins vif suivant les sujets et les époques et articulaient la pensée sur le progrès. Mais la référence restait la même.
La grande nouveauté de la période mondialisée réside donc, non pas dans la formidable régression des libertés publiques insufflée par l'idéologie sécuritaire, mais dans le fait que cette régression soit théorisée, justifiée et organisée par les appareils traditionnels de la démocratie (intellectuels, classe politique, corps intermédiaires…).
En outre, ce recul est en voie de fossilisation par le jeu des traités internationaux ou des mécanismes de la construction européenne. Le socle des droits politiques que l'on croyait relativement solide se trouve aujourd'hui rongé, mité, miné par des valeurs concurrentes et progressivement dominantes : la sécurité, mais aussi les « valeurs » issues du monde économique ou technique (la liberté des marchés compte davantage que celle des individus). L'enjeu n'est plus le dépassement ou les frontières des libertés, mais leur sauvegarde même face à ce qui apparaît comme un véritable renversement des valeurs.
L'Union européenne se présente comme l'appartement-témoin de ce nouveau monde où l'argent, la concurrence et les « libertés » économiques se trouvent placées au sommet de la hiérarchie des principes. La Charte des droits fondamentaux de l'Union, adoptée au sommet de Nice en décembre 2000 et destinée à donner le la en matière de droits fondamentaux dans le système communautaire, traduit bien cette inversion morale. Dès l'abord, l'objectif qu'elle se fixe est gangrené par les nécessités liées au fonctionnement du Marché commun et réduit à elles : « La Charte cherche à promouvoir un développement équilibré et durable, et assure la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement (3). » Une telle feuille de route ne saurait constituer un frein à la pénalisation des sociétés, dont l'espace Schengen constitue une illustration puisqu'il privilégie la sophistication policière au détriment du pouvoir judiciaire, réduit au bricolage ; en second lieu, la Charte ne mentionne carrément pas des libertés fondamentales comme l'interdiction des arrestations et des détentions arbitraires (ce qui constitue une régression même au regard de la Déclaration universelle de 1948) ; en troisième lieu, elle déconstruit l'universalité des droits en les subdivisant (l'expression générale « Les humains naissent et demeurent libres et égaux » disparaît), ouvrant ainsi la voie à leur décomposition (4) ; enfin, elle officialise la régression sociale en consacrant, par exemple, le droit de travailler en lieu et place du droit au travail.
Finalement, les valeurs proposées par l'Union, les nouvelles libertés, sont en réalité des libertés au rabais. Par exemple, la libre circulation des personnes, formule « économique » - dans tous les sens du terme - du vieux principe de la liberté d'aller et venir, devient absurde quand elle est isolée du reste des droits. Dans le cadre des 3 191 000 km2 de l'Union, elle s'adresse par définition à ceux qui peuvent s'acheter une voiture ou prendre l'avion. L'idéologie du grand marché sans frontières présente comme un progrès pour la société une politique monétariste qui répond avant tout aux intérêts d'une minorité (5). Qu'on songe au fait que la monnaie unique fut « vendue », entre autres, à l'opinion publique européenne avec l'argument qu'elle permettrait de mieux comparer les prix. On voit mal l'intérêt que représente pour un Portugais le fait d'apprendre par Internet qu'il paie sa télévision plus chère qu'en Autriche ! Quelle conséquence concrète peut-il en tirer en tant que consommateur ou citoyen ?
Le fédéralisme économico-juridique mis en place par l'Union, sensé se juxtaposer aux droits nationaux, envoie ainsi un formidable signal de recul des libertés devant les Impératifs du marché, à rebours de la voie choisie par exemple par le Conseil de l'Europe ou le Bureau international du travail. Dans ce cadre, les atteintes aux libertés, aux droits civiques, dénoncées par les associations, apparaissent secondaires comparées aux impératifs de l'insertion dans la mondialisation. C'est à l'homme de s'adapter, pas au marché ou à la conjoncture : il n'est plus un individu titulaire de droits, mais - au mieux - un consommateur, un travailleur ou un entrepreneur titulaire de droits, les libertés des deux premiers n'étant que le solde de celles du dernier. Tant que les capitaux circulent librement, l'essentiel est assuré et on protège le grand marché de l'assaut des gueux, d'ici ou d'ailleurs. Au nom d'une adaptation aux réalités « naturelles » de la globalisation, on met en place tout un appareillage juridique (traités, cours, institutions) et administratif destiné à cadenasser ce tête-à-queue « civilisationnel ».
Car l'idéologie sécuritaire, l'atrophie des libertés, est évidemment le corollaire obligé de la violence de l'ordre économique. Au nom d'un nouveau visage des libertés - paré de la modernité européenne -, on organise en pratique le retour de la fatalité sociale. « Le pire crime disait Brecht, c'est de ne pas avoir d'argent. » Idéologie libérale de l'Etat minimum et critères de convergence européens obligent, l'Etat pénal a davantage de moyens que l'Etat social. Le sort, voire les hasards de la naissance, peuvent vous placer dans des situations criminogènes (chômage, précarité, banlieues pauvres…) ; si vous commettez une faute, plus de circonstances atténuantes au nom de causes sociologiques : la sanction s'abat sur vous sans faille, dans une ambiance d'Ancien Testament où le Dieu vengeur transforme les contrevenants en statut de sel ou les noie sous un déluge… Tout est mobilisé, par exemple, dans la répression de la petite délinquance ; on prend des mesures de bannissement territorial comme au Far West (6). Tout est fait pour que la prison ne réinsère pas - ne vient-on pas de supprimer, par exemple, les crédits alloués à la formation professionnelle dans les maisons d'arrêt de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ? Dans le même temps, les institutions sociales sont privées de moyens : protection judiciaire de la jeunesse, juges d'application des peines, éducateurs… Petit à petit, on supprime ainsi les cessions de rattrapage, les filets de sécurité.
Serait-il revenu, le temps des Misérables ? Les petits enfants du commissaire Javert poursuivront-ils avec le même acharnement obsessionnel que leur aïeul les nouveaux Jean Valjean victimes de l'ordre social ? A l'époque, Victor Hugo dénonçait la bêtise fondamentale de ceux qui ne savent pas voir l'injustice et qui ne connaissent que la punition. C'est sur cette pensée que la démocratie s'est développée. Par un invraisemblable retournement de l'histoire, notre époque entend-elle se donner des Javert pour héros ?
(1) Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
(2) Lire Claude Liauzu, Violence et colonisation, Syllepse, Paris, 2003.
(3) Journal officiel des Communautés européennes (JOCE), C/2000 364/01, Luxembourg.
(4) Lire Corinne Gobin, « Vers une régression des droits démocratiques au sein de l'Union européenne », www.attac.org.
(5) Lire Dominique Plihon, « L'euro pour toute politique », Manière de voir, n° 61, janvier-février 2002.
(6) Un mineur délinquant peut se voir interdire son quartier temporairement.
Constamment encensé par les journalistes et les économistes américains, le libre-échange s'impose-t-il naturellement par la force de ses vertus ? La manière dont le traité de l'Alena fut voté aux Etats-Unis en 1993 permet d'en douter. C'est en « achetant » les suffrages des parlementaires récalcitrants que les lobbyistes remportèrent cette bataille.
Accords économiques américainsPour convaincre les Américains des bienfaits du libéralisme, les projets comme l'Accord de libre-échange nord-américain, ou Alena, doivent dissimuler, sous des arguments voulus incontournables, les pressions exercées par le président, les parlementaires qui le soutiennent et les groupes de pression des multinationales. Aux Etats-Unis, la notion de « libre-échange » réfère, certes, à une théorie économique. Mais aussi à la libre circulation d'argent et de services, notamment politiques, entre la Maison Blanche, point d'appui des lobbies d'affaires, et les élus de la Chambre des représentants et du Sénat qui doivent ratifier tout accord traitant du commerce avec l'étranger.
Cet « échange » a pris une tournure spectaculaire en 1993, lors du débat sur les barrières douanières entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique. La proposition de lever ces barrières, auparavant lancée par le président républicain George Bush père et son homologue mexicain Carlos Salinas, est reprise par le président William Clinton. Elle déclenche un tir de barrage. Hétéroclite, l'opposition agrège les principaux syndicats et une fraction de la droite nationaliste, regroupée autour du milliardaire Ross Perot, lequel avait obtenu 19 % des voix comme candidat indépendant à la présidence en 1992.
Un voisin très encombrantLe Parti démocrate est lui-même divisé. Une aile anti-Alena y est conduite par deux membres puissants de la Chambre des représentants, Richard Gephardt et David Bonior. Elle s'oppose au président Clinton et à ses lieutenants, qui promettent un nouvel eldorado économique aux ouvriers de l'Ohio, du Michigan, de l'Illinois, de l'Indiana, de Pennsylvanie et de New York. Des travailleurs déjà durement touchés par les délocalisations vers le sud des Etats-Unis, faiblement syndicalisé, et vers les régions du monde à bas coût de main-d'oeuvre, le Mexique et les pays asiatiques en particulier.
Achat de voixLes opposants à l'Alena mettent en relief les enjeux de cet accord, qui constitue en premier lieu un contrat d'investissement conçu pour encourager les implantations industrielles au Mexique. Il s'agirait avant tout de protéger les multinationales américano-canadiennes contre l'éventuel retour au pouvoir d'un gouvernement mexicain protectionniste et interventionniste, comme celui qui, en 1938, avait exproprié les compagnies pétrolières étrangères.
A la poursuite du « rêve américain »En octobre 1993, confrontés à des adversaires déterminés, les partisans de l'accord sont loin d'avoir gagné la partie, bien que les organisations patronales ne ménagent ni leur argent ni leur peine. Comment convaincre les démocrates, largement majoritaires à la Chambre des représentants, de voter une initiative républicaine adulée par Wall Street, repoussée par les syndicats, et qui de surcroît pourrait entraîner une importante désyndicalisation alors que les ouvriers syndiqués constituent encore l'un des piliers électoraux de leur parti et contribuent à sa cagnotte ?
Le président Clinton étant assuré du soutien des républicains dans leur majorité, et le Sénat formant un club de millionnaires moins sensibles (du fait de leur mandat de six ans) aux aspirations populaires que la Chambre des représentants, réélue tous les deux ans, c'est dans cette « Maison du peuple » elle-même que l'issue de la bataille va se jouer. Clinton et ses amis utilisent alors une pratique du « libre-échange » qui a fait ses preuves tout au long de l'histoire américaine. Elle consiste à échanger les voix manquantes contre des faveurs politiques et de l'argent prélevé sur les deniers du contribuable.
Qui manipuler ?Les exigences des parlementaires sont variées. Bill Brewster, élu démocrate de l'Etat fort conservateur de l'Oklahoma, souhaite que le président l'accompagne à la chasse aux canards, histoire de s'attirer les faveurs de la National Rifle Association, le principal lobby des armes à feu. Esteban Torres, représentant de Californie et ancien membre du syndicat de l'automobile, réclame le financement par les fonds publics d'une banque de développement qui appuierait des travaux d'infrastructures tout le long de la frontière avec le Mexique. Faute de quoi, il ne trahirait pas ses camarades syndicalistes. En Floride, premier Etat producteur de tomates des Etats-Unis, comme les démocrates craignent une hausse des importations de légumes mexicains en cas d'abolition des droits de douane, l'administration Clinton offre de doubler la quantité des tomates fraîches habituellement payées par le « Programme fédéral » pour les déjeuners gratuits offerts aux écoliers. Et ainsi de suite...
Le 17 novembre 1993, la Chambre des représentants adopte l'Alena grâce au vote favorable de 132 républicains et 102 démocrates. Selon Tom Nides, membre de l'équipe Clinton, « l'opinion publique n'appuyait pas le projet de l'Alena... Aussi a-t-il fallu conquérir les représentants l'un après l'autre en essayant de comprendre ce qui était possible dans chaque circonscription, et en déterminant qui pouvait être manipulé et comment ».
Bibliographie :
David Bacon, The Children of NAFTA : Labor Wars on the US/Mexico Border, University of California Press, Berkeley, 2004
John R. MacArthur, The Selling of « Free Trade » : NAFTA, Washington and the Subversion of American Democracy, Hill and Wang, New York, 2000
Alan Tonelson, The Race to the Bottom : Why a Worldwide Worker Surplus and Uncontrolled Free Trade Are Sinking American Living Standards, Westview Press, Boulder, 2000
Edward Luttwak, Turbo-Capitalism : Winners and Losers in the Global Economy, HarperCollins, New York, 1999
Hermann von Bertrab, Negotiating NAFTA : A Mexican Envoy's Account, Praeger Publishers, Westport, 1997
Le Congrès américain est composé de 435 représentants et 100 sénateurs. Si les premiers sont répartis suivant la population de chaque État — ce qui n'empêche pas certaines disparités —, les sénateurs sont toujours au nombre de deux par État. Ainsi, un sénateur californien porte la voix de 19 millions d'habitants tandis que son homologue du Wyoming ne représente que 290 000 personnes. Cette inégalité se répercute sur l'élection présidentielle, puisque la répartition des grands électeurs — le collège élu au suffrage universel qui désigne le président des États-Unis — est calquée sur celle des élus du Congrès.
Commencée il y a dix-huit mois, l'élection présidentielle s'est conclue après les dizaines de scrutins des primaires, deux conventions à grand spectacle dans des États industriellement sinistrés, des dizaines de milliers de spots de publicité politique et plusieurs milliards de dollars, par un match entre deux Américains richissimes, l'un et l'autre résidents de New York et détestés par la majorité de la population. C'est finalement le candidat républicain honni par les médias, les élites de Washington et même les caciques de « son » propre parti, qui l'a emporté. Celui qui a le moins dépensé et que tout le monde donnait perdant.
Durant cette interminable campagne, l'attention des commentateurs s'est souvent portée sur les provocations racistes et sexistes du futur président des États-Unis, ses scandales, ses excès, Mme Hillary Clinton étant présentée par contraste comme la candidate formée depuis toujours pour hériter de la Maison Blanche en même temps qu'elle briserait, raisonnablement, le « plafond de verre ». Mais rassurer l'establishment et séduire les électeurs ne sont pas des exercices toujours compatibles…
D'aucuns analysent déjà les résultats d'hier comme une preuve de la régression de l'Amérique dans le nationalisme, le « populisme », le racisme, le machisme : le vote républicain serait principalement déterminé par un rejet de l'immigration, un désir de repli, une volonté de revenir sur les conquêtes progressistes des cinquante dernières années. Or si M. Trump l'a emporté, en réalisant apparemment de meilleurs scores chez les Noirs et les Latinos que son prédécesseur Willard Mitt Romney, c'est avant tout parce que les démocrates se sont révélés incapables de conserver en 2016 l'appui des électeurs que M. Barack Obama avait su convaincre en 2008 et en 2012, en Floride ou dans les États de la « Rust Belt ».
La victoire de M. Trump, c'est donc avant tout la défaite du néolibéralisme « de gauche » incarné par Mme Clinton : son culte des diplômes et des experts, sa passion pour l'innovation et les milliardaires de la Silicon Valley, sa morgue sociale et intellectuelle. L'instrument du châtiment est redoutable. Mais la leçon sera-t-elle retenue ailleurs ?
Retrouvez, ci-dessous, une sélection d'archives.
Dans « Le Monde diplomatique »Propriétaire entre 1996 et 2015 du concours de beauté Miss USA, M. Donald Trump avait promis « de réduire la taille des maillots de bain et d'augmenter la hauteur des talons ». Le jour de l'édition 2005, il clamait : « Si vous voulez voir un génie, n'allumez pas votre télévision ce soir ; mais si vous voulez voir une très belle femme, vous devriez regarder. » (1) Le milliardaire a fait l'objet de plusieurs plaintes pour viol, dont l'une concernant une adolescente de 13 ans. Tout en se vantant sans relâche de ses propres conquêtes et exploits sexuels, il avait envisagé en 2007 de produire un reality-show dans lequel des jeunes filles « aimant faire la fête » seraient envoyées dans un pensionnat où on leur « apprendrait les bonnes manières » (2).
Sa passion pour la plastique féminine va de pair avec une profonde répulsion pour le corps des femmes. L'avocate Elizabeth Beck a raconté (CNN, 29 juillet 2015) qu'en 2011 elle avait dû interrompre une réunion pour aller tirer son lait ; M. Trump s'était alors levé, le visage rouge, et avait agité son index dans sa direction en répétant : « Vous êtes dégoûtante ! » Traumatisé par une interview tendue avec la journaliste de la Fox Megyn Kelly, il frissonnait : « Vous pouviez voir du sang jaillir de ses yeux, de son… Bref ! » (CNN, 7 août 2015). Et, le 21 décembre 2015, au cours d'un meeting, il commentait une brève absence de Mme Hillary Clinton, qui avait profité d'une pause publicitaire pendant un débat du Parti démocrate pour se rendre aux toilettes : « Je sais où elle est allée. C'est trop dégoûtant, je ne veux pas en parler. Non, ne le dites pas ! »
Le symbole laisse rêveur : la première femme à accéder à l'investiture pour l'élection présidentielle dans l'histoire des États-Unis affronte un homme qui se distingue par un étalage de misogynie virulente. « Vous savez, elle joue la carte féminine. Sans cela, elle n'aurait aucune chance de gagner », a lancé le candidat républicain à propos de Mme Clinton lors d'un meeting, le 7 mai. Rien d'étonnant : quand un membre d'un groupe marginalisé — une femme, un Noir — vient jouer les trouble-fête sur la scène politique, « on lui reproche d'injecter des questions identitaires dans le débat, comme si cela détournait l'attention des vrais sujets », observe Jackson Katz (3). Or, soutient l'essayiste, l'élection présidentielle américaine a toujours été une affaire d'identité. Sauf qu'auparavant personne ne le remarquait, car la seule identité qu'elle mettait en jeu était la masculinité — et, jusqu'à M. Barack Obama, la masculinité blanche.
« Une version à peine plus sophistiquée d'un concours de popularité entre adolescents mâles » : voilà, selon Katz, à quoi s'apparente la course au titre de leader du monde libre. Comme au lycée, le pire est de passer pour une « mauviette » (4) ; et, comme au lycée, ceux qui fournissent des efforts trop voyants pour avoir l'air à leur avantage ne peuvent espérer aucune pitié. En 1988, le démocrate Michael Dukakis avait épargné aux républicains la fatigue de le ridiculiser eux-mêmes quand il avait cru bon de se faire filmer paradant à bord d'un tank, un casque sur la tête : on aurait dit un garçon de 4 ans effectuant son premier tour de manège. En 2004, le candidat John Kerry, tentant de rivaliser avec l'image de cow-boy du président sortant, M. George W. Bush, avait convié les photographes à une partie de chasse dans l'Ohio ; les conservateurs avaient ricané de l'aspect un peu trop neuf de sa veste.
Cette année, cependant, M. Trump et ses concurrents de la primaire républicaine ont réussi la prouesse de se livrer à une version littérale du concours de celui qui a la plus grosse. En mai, M. Marco Rubio a insinué que le vieux play-boy au teint orange avait un tout petit pénis ; l'intéressé a démenti en fanfaronnant. En janvier, lui-même s'était moqué d'une paire de bottines à talonnettes arborée par le sénateur de Floride, obligeant celui-ci à contre-attaquer en parlant football américain et armes à feu. Voir le débat politique sombrer dans de tels abysses inquiète jusqu'au militant masculiniste Dean Esmay : « On a une bulle de la dette étudiante sur le point d'exploser, une classe moyenne en cours de désintégration (5)… » Encore un intello efféminé qui ne sait pas s'amuser.
M. Trump se vantait, lors d'un meeting, de pouvoir « tirer sur quelqu'un au milieu de la 5e Avenue sans perdre un seul vote ». S'il était élu, son profil de président « petite frappe » ne serait toutefois pas une innovation. M. Vladimir Poutine en Russie, M. Nicolas Sarkozy en France (2007-2012), M. Rodrigo Duterte aux Philippines… Le premier voulait « aller buter les terroristes jusque dans les chiottes » (septembre 1999) ; le deuxième, « nettoyer au Kärcher » la cité des 4 000 à La Courneuve (19 juin 2005) ; le troisième, élu le 9 mai dernier, a promis la mort de « cent mille délinquants dont les cadavres iront engraisser les poissons de la baie de Manille (6) ».
Dans chaque pays, cet hypervirilisme prend racine dans une histoire particulière. Aux États-Unis, c'est Richard Nixon qui, dans les années 1970, a le premier eu l'idée d'exploiter le ressentiment des hommes blancs des classes populaires ; non pas en leur redonnant la dignité économique qui leur avait été volée avec la complicité du Parti républicain, mais en plaçant le débat sur le terrain des « valeurs » (7) et en les incitant à diriger plutôt leur colère contre les femmes libérées, les hippies, les minorités.
Nul n'aura incarné la réussite de cette stratégie mieux que Ronald Reagan. Face à un Jimmy Carter dont le crédit avait été sapé par une interminable prise d'otages (quatre cent quarante-quatre jours) à l'ambassade américaine de Téhéran, il apparut en 1980 comme un rédempteur. Sa carrière hollywoodienne lui permit de réactiver le mythe du cow-boy, ce paroxysme de la virilité blanche, recourant volontiers à la violence dans un monde impitoyable. « This is Reagan country » (« Ceci est le pays de Reagan »), disait un slogan pour sa réélection en 1984 — allusion transparente à celui des célèbres publicités pour cigarettes mettant en scène un cow-boy, « This is Marlboro country ». Bien sûr, tout cela entretenait peu de rapports avec la réalité. L'un de ses anciens stratèges de campagne a raconté comment un jour, alors que, candidat au poste de gouverneur de Californie, il devait aller se promener à cheval avec une journaliste, il était apparu vêtu d'un pantalon jodhpur — sa tenue habituelle pour monter. Accablé, son conseiller l'avait immédiatement envoyé se changer : « Tu vas passer pour une chochotte de la côte Est ! Les électeurs californiens veulent que tu sois un cow-boy ! »
Autre réminiscence du Far West : un candidat au poste suprême se doit d'afficher sa détermination à « protéger sa famille ». En 1988, M. Dukakis a définitivement sabordé une carrière politique déjà bien compromise par l'affaire du tank quand, interrogé sur ce qu'il ferait si son épouse était violée et assassinée, il s'est contenté de répondre que, à son avis, la peine de mort n'était pas la solution. Détaillant la spectaculaire crispation antiféministe qui a suivi le 11-Septembre (8), l'essayiste Susan Faludi a montré comment, en réaction aux attentats, les Américains se sont mis à produire à jet continu des récits fantasmatiques de sauvetages de faibles femmes par des héros musculeux. L'humiliation infligée par la soudaine découverte de leur vulnérabilité les ramenait à la première « guerre contre la terreur » que la nation ait connue : celle des colons face aux incursions indiennes. Réécrite pour les besoins de la propagande, l'histoire du sauvetage de la soldate Jessica Lynch en Irak en 2003 (9) faisait ainsi écho à La Prisonnière du désert de John Ford (1956). Un clip pour la réélection de M. Bush en 2004 mettait en scène le président serrant dans ses bras une adolescente, Ashley, dont la mère avait péri dans l'attentat du World Trade Center, tandis que la jeune fille disait en voix off : « Il est l'homme le plus puissant du monde et tout ce qu'il veut, c'est s'assurer que je suis en sécurité. »
On l'aura compris : dans cette surenchère de postures viriles agressives, les démocrates partent avec un désavantage structurel. Cependant, Katz a une remarque intéressante : nombre d'entre eux se laissent entraîner sur le terrain idéologique de l'adversaire — quand ils ne droitisent pas tous azimuts leur discours, comme en témoigne la politique étrangère prônée par Mme Clinton. Ils apparaissent alors fatalement comme hésitants et pusillanimes. À cet égard, la candidature de M. Bernie Sanders à l'investiture démocrate a marqué un tournant. En assumant sans complexes ses convictions de gauche, le sénateur du Vermont a réussi à ramener une partie des hommes blancs des classes populaires dans le giron (si l'on ose dire) du parti. Il s'est même offert le luxe de l'autodérision, affirmant lors d'un meeting en Californie, en mai, qu'il était « typiquement l'homme [du magazine masculin] GQ » (Daily Republic, 19 mai 2016). Sur Instagram, on l'a vu poser, souriant, avec un chapeau rouge vif et ce commentaire : « Enfin chopé ce look GQ. » Une pointe d'humour dans un océan de testostérone : voilà qui ne fait pas de mal…
(1) Andrew Kaczynski, « Donald Trump said a lot of gross things about women on “Howard Stern” », Buzzfeed.com, 24 février 2016.
(2) Steven Zeitchik, « Trump's “Lady” comes to Fox », Variety.com, 12 juin 2007.
(3) Jackson Katz, Man Enough ? Donald Trump, Hillary Clinton, and the Politics of Presidential Masculinity, Interlink Books, Northampton, 2016. La plupart des anecdotes citées ici en sont tirées.
(4) Cf. Stephen J. Ducat, The Wimp Factor. Gender Gaps, Holy Wars, & the Politics of the Anxious Masculinity, Beacon Press, Boston, 2005.
(5) Hannah Levintova, « Even some men's rights activists are worried about a Trump presidency », Mother Jones, San Francisco, 20 mai 2016.
(6) Cf. Harold Thibault, « Aux Philippines, “Duterte Harry”, le candidat à la présidence partisan des escadrons de la mort », Le Monde, 29 février 2016.
(7) Cf. Thomas Frank, Pourquoi les pauvres votent à droite, Agone, Marseille, 2013.
(8) Susan Faludi, The Terror Dream. Fear and Fantasy in Post 9/11 America, Metropolitan Books, New York, 2007.
(9) Lire Ignacio Ramonet, « Mensonges d'État », Le Monde diplomatique, juillet 2003.
Pour ceux qui imaginent les mobile homes comme des caravanes étroites, sombres et mal isolées, rien de tel qu'une visite dans une boutique Clayton Homes, le leader national de la maison industrielle, propriété du milliardaire Warren Buffett. Le magasin de Pueblo, à 200 kilomètres au sud de Denver (Colorado), se situe sur un petit terrain vague où sont disposés des logements témoins que l'on visite avec un « consultant maison ». De l'intérieur, rien ne distingue ces mobile homes contemporains d'un logement classique : l'insonorisation est correcte, les fenêtres larges, les appareils électroménagers ultramodernes. « Toutes les maisons sont garanties un an, du réfrigérateur à la toiture, nous indique un vendeur, M. Ryan Castellanos. Mais pour 699 dollars, vous pouvez avoir une extension de quatre ans. Et si vous vous décidez avant demain, il y a une grosse promotion : 10 % de réduction sur toutes les maisons. »
Le jeune homme évoque, comme la loi l'y oblige, la possibilité de choisir entre plusieurs sociétés de crédit, puis nous donne les dossiers de trois d'entre elles. Il ne détaillera que celui de Vanderbilt Mortgage and Finance, une compagnie qui appartient également à M. Buffett : « C'est très facile, il n'y a que quelques papiers à remplir. » Dans la plupart des Etats américains, les mobile homes sont considérés comme des biens personnels, au même titre qu'un jet-ski ou une télévision, et non comme des biens immobiliers. A ce titre, ils sont assurés comme des voitures et peuvent être financés par des crédits à la consommation, faciles à obtenir mais aux taux d'intérêt élevés. Ainsi, d'après une étude du Center for Public Integrity et du Seattle Times, les acquéreurs de mobile homes paient en moyenne des taux supérieurs de 3,8 % à ceux pratiqués pour un bien immobilier classique. Sauf avec les maisons Clayton, pour lesquelles l'écart est de plus de 7 % (1).
(1) Daniel Wagner et Mike Baker, « Warren Buffett's mobile home empire preys on the poor », Publicintegrity.org, 3 avril 2015.
Asia Bibi was accused of blasphemy after rowing with two Muslim women in her village in Punjab in 2009. (Reuters/Mohsin Raza)
I have previously written about the archaic blasphemy laws of Pakistan and its consequences. One such consequence was the murder of Punjab Governor Salman Taseer (whose son was later kidnapped, and escaped years later); and another, was the extrajudicial killing of the Minister of Minorities, Shahbaz Bhatti. Both were killed for defending Asia Bibi.
In my previous post, I talk about how blasphemy laws have no place in Islam and how they are used in Pakistan as a political ploy to gain power, and a personal tool to usurp neighboring lands of minorities. This is what happened to Asia—she was a berry-picker who dared to drink out of the same cup as her fellow berry-pickers. Outraged, they accused her of uttering blasphemous statements about the Prophet; statements so blasphemous that her lawyers dared not repeat them in court, lest they be tried for the same crime.
In 2009, Asia was convicted of blasphemy and sentenced to death by hanging. It was her case that Mr. Taseer was serving as a mediator for—he had sought to get her a Presidential Pardon, whilst Shahbaz Bhatti sought to eliminate the blasphemy laws through the legislature. The irony is that they were dubbed blasphemers for doing so, both killed by civilians in an act of protecting Islam’s honor.
Taseer was shot by his own bodyguard, Mumtaz Qadri, a murderer who admitted to the crime, and was hailed by masses as Islam’s savior. The story goes that Taseer’s wife went from lawyer to lawyer, pleading for someone to take her case to prosecute Qadri, but was turned away out of fear. The judge who, two years later, sentenced Qadri to death, has had to flee the country after repeated death threats following his verdict.
Protesters greeted Qadri with rose petals as he was driven off from the courthouse to the jail. In March this year, five years after the first trial and after a superior court too found Qadri guilty of murder, Qadri was hung to death for the murder of Salman Taseer. 10,000 protesters blocked the Capital for days.
But what of Asia Bibi? She never did get that pardon; her case was an open one in the High Court when Taseer attempted it. After his assassination, no one braved that stance again. Her final appeal to the Supreme Court was scheduled to be heard earlier this October, but has been postponed, as one of the three judges on the bench recused himself for a conflict just days before the hearing. Although his conflict is legitimate, there is speculation that he was threatened.
150 clerics have petitioned the government to hang Asia. Hundreds of thousands have signed online petitions to save her. Meanwhile, Asia sits in solitary confinement, as although no one has been sentenced and hung in Pakistan in a blasphemy case, many have been killed by cellmates in their search for atonement. Talking to The Guardian, Asia’s husband said: “If Asia is acquitted we will never be able to return to our previous life, as my wife has been labelled an infidel and an infidel doesn’t deserve to survive in a society full of hatred,” he said. “Too many want her dead and have put a bounty on her head.”
While Asia waits for a new judge to be appointed, the problem persists. Day after day, a member of the minority community is persecuted for blasphemy and either publicly ridiculed, beaten, or prosecuted. Human Rights Watch reported that in 2014, 17 people were on death row with another 19 serving life sentences under blasphemy laws; all from the a minority community.
The Center for Research and Security Studies in Islamabad reported 60 cases of blasphemy related extrajudicial killings between the years of 1990 and 2014. That’s more than two people killed outside of the justice system a year—and these are cases that are reported; scores of others remain unreported for fear of further bloodshed.
Although the likes of Bhatti and Taseer have been moving to change the legislation that allows such cases to exist, the problem will not end there. The 150 clerics that are demanding Asia be hung are part of the problem, and therefore, must be part of the solution. Until the masses are continually led to believe that the honor of Islam is theirs to protect, legislation will not solve extrajudicial killing.
So while Asia waits for her justice, the government needs to take multiple measures—it needs to amend the legislation, yes, but it also needs to regulate the preachers and ensure what they are professing is not hatred in the garb of religion.
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