Cette recension d’ouvrage est issue de Politique étrangère (1/2016). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Yves Camus et Nicolas Lebourg, Les droites extrêmes en Europe (Paris, Seuil, 2015, 320 pages).
Les « droites extrêmes » se caractérisent par leur diversité, justifiant largement l’usage du pluriel de préférence au singulier « extrême droite ». Elles se caractérisent aussi par leur plasticité intellectuelle (dont témoigne par exemple le nazi-maoïsme d’un Franco Freda) qui s’accommode mal d’être réduite à « un point ultime de l’axe linéaire droite-gauche ». Cela ne signifie pas qu’on ne puisse leur rechercher des caractéristiques communes. La première est l’organicisme, c’est-à-dire « l’idée que la société fonctionne comme un être vivant ». Comme un être vivant, la société doit être défendue contre ce qui la menace (l’altérophobie, qui se décline selon les lieux et les époques en antisémitisme ou en islamophobie), et rassemblée autour de ce qui la constitue (l’autophilie, déclinée en suprématisme raciste ou en intégrisme religieux). Autre caractéristique : le sentiment de faire partie du camp des laissés-pour-compte (vaincus de la Révolution française, des Trente Glorieuses, de la chute du Mur, de la mondialisation…), et le désir de laver cette injustice. Au-delà de ces caractéristiques communes, les droites extrêmes peuvent se diviser en deux catégories. D’un côté les « nationaux » conservateurs et réactionnaires, qui inscrivent leur action dans le jeu démocratique. De l’autre, les « nationalistes » révolutionnaires, plus jeunes et plus violents, résolument antisystème.
Suivant une approche historique, les auteurs distinguent depuis 1945 quatre vagues de partis extrémistes de droite, qui se sont stratifiées au fil du temps. La première vague, néofasciste, entre 1945 et 1955, se caractérise par sa proximité vis-à-vis des idéologies totalitaires des années 1930. Le MSI italien et le NPD allemand en sont issus. La deuxième correspond à une radicalisation des classes moyennes. C’est le poujadisme en France, ou les mouvements intégristes hostiles à Vatican II (l’Œuvre française, la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X). Arrivent ensuite, avec la crise, les mouvements nationaux-populistes tels que le FPÖ autrichien, la Lega Nord italienne ou le Vlaams Blok flamand. La quatrième vague, depuis 2000, a fait de la lutte contre l’immigration son cheval de bataille : le PVV de Geert Wilders aux Pays-Bas, Aube dorée en Grèce, Jobbik en Hongrie, PEGIDA en Allemagne…
Le Front national est en France un parti « attrape-tout », qui a su fédérer tous ces mécontentements. Avec Marine Le Pen, il s’est dédiabolisé en écartant les fascistes les plus enragés, et déringardisé en marginalisant les catholiques intégristes. Il prospère avec la crise économique, la montée du chômage et la peur du déclassement. Mais son succès n’est pas réductible aux seuls facteurs économiques. Le serait-il, on ne comprendrait pas les différences entre des pays qui ont tous été frappés par la crise. Pourquoi l’Espagne, où le taux de chômage frise les 25 %, ne connaît-elle pas de droite extrême ? L’explication est historique : l’extrême droite y est durablement décrédibilisée par les longues années du franquisme. Mais l’explication est aussi politique : l’extrême droite se développe là où les partis de gouvernement échouent. Terrible conclusion pour la droite et la gauche françaises.
Yves Gounin
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Cette recension d’ouvrages a été publiée dans le numéro de printemps 2016 de Politique étrangère. Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, La Responsabilité de protéger (Paris, Presses universitaires de France, 2015, 128 pages).
Docteur en sciences politiques et en philosophie, et spécialiste de l’éthique, Jeangène Vilmer s’attache ici à décortiquer le concept de « responsabilité de protéger » (R2P) apparu en 2001 et adopté par l’Assemblée générale des Nations unies quatre ans plus tard. Cette entreprise est particulièrement utile tant les préjugés sont tenaces à ce propos. La R2P a fait l’objet, dès le début, de nombreux débats. Si les États sont aujourd’hui d’accord sur sa définition, la façon de la mettre en œuvre suscite encore des controverses.
Dans cet ouvrage, l’auteur s’attache tout d’abord à explorer les sources du concept de R2P et démontre en particulier qu’il ne remet pas en question la souveraineté de l’État. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer expose très bien la différence fondamentale entre la R2P et le devoir d’ingérence qui est une « immixtion sans titre, c’est-à-dire sans droit ».
C’est ensuite la période de conception de la R2P (2001-2005) qui est présentée et, en particulier, l’introduction du concept par la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États (CIISE), elle-même issue de la « doctrine Annan » et portée par la diplomatie canadienne. La R2P naît officiellement en 2005, et c’est l’objet du troisième chapitre de l’ouvrage.
Elle est inscrite aux paragraphes 138 et 139 (qui font toujours référence) du document final du « Sommet mondial ». Son champ d’application y est précisé. Elle peut être invoquée en cas de génocide, nettoyage ethnique, crime contre l’humanité et crime de guerre. La possibilité d’une intervention unilatérale est rejetée dans ce document et deux R2P sont distinguées : celle incombant à un État envers sa population et celle, « résiduelle », de la communauté internationale en cas de « défaillance manifeste ».
À partir de 2015, commence le temps de « l’opérationnalisation » du concept au sein de l’ONU. Cela passe, notamment, par la création d’un conseiller spécial pour la R2P en 2007. Un nouveau palier est franchi en 2011 avec les résolutions sur la Libye et la Côte d’Ivoire, qui autorisent pour la première fois des mesures coercitives sous couvert du Chapitre VII au nom de la R2P. L’auteur nous offre à cette occasion un éclairage très intéressant des débats autour des liens entre R2P et intervention en Libye. En fin d’ouvrage, l’auteur développe les approches régionales de la R2P et expose les critiques les plus courantes en démêlant de façon très convaincante le vrai du faux.
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer se distingue ainsi dans cet excellent ouvrage par la clarté de ses propos, une connaissance approfondie du système onusien et de ses pratiques et une étude très fouillée des nombreux textes et résolutions que produit cette institution. Ce livre est indispensable pour bien appréhender les débats, souvent stériles, autour de cette R2P qui « n’est ni une norme de droit international conférant une obligation d’agir ni un slogan sans caractère normatif. Elle est un engagement moral et politique d’importance qui participe à une construction normative ».
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