(B2) Le Commandant Blaison (F-793), qui évolue au large de la Méditerranée, dans le cadre de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med), a effectué une saisie d’armes à bord du El Mukhtar, lundi dernier (19 juin).
Le patrouilleur de haute mer français, qui effectuait « des patrouilles dans les eaux internationales au large de la Libye », a repéré non pas un mais deux navires suspects (1). A bord de l’un d’eux, l’équipe de visite a découvert « des armes légères et des munitions », en nombre, donc en contravention avec la résolution 2357 du Conseil de sécurité de l’ONU. Les armes ont ensuite été « transférées à bord du navire français » ; elles seront éliminées ensuite. A bord du second navire, qui avait un objectif « humanitaire », les militaires français n’ont pas trouvé d’armes, autres que celles qu’on pourrait utiliser pour l’autodéfense (2 ou 3 armes selon nos informations).
Ce navire « civil » n’est pas un total inconnu des forces européennes. Et on peut présumer qu’il ne s’agit pas d’un total hasard si les Français lui sont tombés dessus. Il avait, en effet, déjà fait l’objet d’un contrôle, le 1er mai dernier (lire : Des armes à bord d’un navire libyen. Une première saisie pour Sophia (V2)). L’équipe de visite lituanienne du navire allemand, Rhein, l’avait déjà pris, le 1er mai dernier, en flagrant délit de transport d’armes prohibé, avant de le renvoyer, illico, à l’envoyeur, à Tripoli. « Nous n’avons pas mandat d’arrêter les passeurs ou de saisir les navires » nous a confirmé un officier d’EUNAVFOR Med.
NB : Ce sujet est très sensible et avait l’objet d’une polémique, entre Français et Italiens en particulier. Lire : Le gouvernement libyen contourne l’embargo sur les armes. Avec l’assentiment de Sophia ?
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Pour rendre à César ce qui est à César, cette « action a été menée à bien en étroite coordination avec les navires de l’opération italienne Mare Sicuro, qui avaient été en contact initial avec le bateau suspecté » a aussi indiqué l’officier communicant de l’opération EUNAVFOR Med. On le croit ?
La défense européenne se remet en marche… Objectif : contribuer à l’autonomie stratégique européenne (© NGV)
(B2) Les esprits ronchons qui disent « ça ne marchera jamais ce truc » vont être surpris : l’Europe de la défense s’est remise en marche. Certes, c’est lent, cela peut paraitre un peu confus. Mais il y a des pas, très concrets, qui sont en passe d’être franchis (1) Les conclusions adoptées, ce jeudi 22 juin, par les 28 Chefs d’Etat et de gouvernement, au-delà du langage convenu habituel, devront être lues avec attention. Car elles reflètent cet état d’esprit. Quelques tabous sont en passe d’être brisés. Et non des moindres ! Car ils visent tous un objectif très clair : une certaine autonomie stratégique européenne.
Premier tabou brisé : avancer plus vite à quelques uns. Les 28 vont donner leur feu vert politique à la Coopération structurée permanente (PESCO en abrégé). Ce ‘machin’ né dans le début des années 2000, inscrit successivement dans la Constitution et le Traité de Lisbonne n’avait jamais connu le moindre commencement de début de mise en œuvre. Ce n’est pas la révolution du siècle, certes. Et personne ne sait vraiment encore comment seront définis les critères d’appartenance au club ni ses projets. Tout le monde attend que Paris et Berlin résolvent leurs divergences de vues sur ce sujet. Mais une page est tournée. Une bonne douzaine d’États membres selon notre comptage ont déjà indiqué qu’ils voulaient y participer dès le début (2). Et même le Royaume-Uni « joue un rôle constructif ». Rien n’est prévu dans le détail. Mais le geste politique est là.
Lire aussi : Un noyau dur devenu chamallow. Une coopération structurée permanente : pour quoi faire ? + La Coopération structurée permanente lancée… politiquement. Texte et commentaires
Deuxième tabou brisé : financer la défense sur des fonds communautaires. C’était la proposition faite par la Commission européenne il y a quelques jours, de créer un Fonds européen de défense. Les 28 vont adouber ce projet, comme une clé d’avenir, pour l’industrie européenne. Pour la première fois, le budget communautaire viendra donc abonder des projets de défense menés par les États membres. Autant dire que l’industrie et les États, et même l’OTAN, sont très intéressés. Certes, là encore, il reste beaucoup de détails à préciser. Mais les Chefs d’ÉTats vont le dire clairement : ils veulent avoir des résultats « rapides ».
Lire : Défense. L’Europe doit prendre ses responsabilités (V2) + Un engagement affirmé des 28 sur la défense et la sécurité*
Troisième tabou brisé : financer davantage en commun les battlegroups. La force de réaction rapide européenne était jusqu’à présent clouée au sol, pour différentes raisons (politiques, financières, opérationnelles). Ces battlegroups ou groupements tactiques étaient tellement inutiles que cela en était gênant et ne contribuait pas peu à l’impression d’impuissance européenne. Les 28 vont débloquer un point-clé : le financement en commun. Les coûts de déploiement seront désormais pris en charge par une cassette commune. Les ’28’ l’ont décidé. Les détails seront fixés dans les mois à venir. Lire : Ces très chers battlegroups, vraiment inutilisables ? + Le financement en commun des battlegroups adoubé*
Quatrième tabou brisé : un QG européen permanent. C’était aussi une vieille idée, jamais mise en œuvre. La bande des 4 (Chirac, Schröder, Juncker, Verhofstadt) avait bien tenté un coup de force en proposant la mise en place d’un QG permanent militaire à Bruxelles. Ils s’étaient heurtés à un « No » britannique (et d’autres aussi sceptiques). D’autres tentatives avaient été faites ensuite, notamment en 2012, sans vraiment déboucher. Cette fois c’est fait. Un mini QG européen est en train de se mettre en place à Bruxelles. Il sera chargé de commander (conduire et contrôler en termes opérationnels) les missions militaires non exécutives (les EUTM). Ce n’est pas grand chose mais c’est un début. Ajouté à cela la création d’une petite école pour les pilotes des avions de transport tactique, à Saragosse. Nous avons ainsi les embryons de commandement et de formation nécessaires.
Lire : Le mini QG militaire européen voit le jour + Couvrez ce QG que je ne saurai voir… Le texte sur la MPCC finalisé. Détails*
Cinquième tabou brisé : des attachés de défense dans les ambassades européennes. Jusqu’à présent, l’Europe avait deux instruments : les missions de gestion de crises (civiles ou militaires, menées au nom de la PSDC) et l’instrument diplomatique (dans les délégations de l’UE). Entre les deux… rien ! Aujourd’hui, on étudie toute la panoplie d’action. Le principe d’attachés de sécurité ou de défense dans les délégations de l’Union est en passe d’être généralisé à d’autres ambassades. Déjà présents dans 13 délégations, ils seront une vingtaine à l’avenir.
Sixième tabou brisé : des missions européennes d’un nouveau genre. Dans le même esprit, différentes structures légères vont voir le jour dans deux zones de crises principales. Une petite unité est en passe d’être mise en place pour coordonner l’action dans les cinq pays du G5 Sahel. Des experts défense et sécurité seront placés dans cinq pays : Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger Tchad (lire : La cellule de régionalisation des missions PSDC au Sahel est créée). Deux autres (petites) actions européennes sont à l’étude : à Bagdad pour aider les forces de sécurité intérieure irakiennes à se reconstruire (Lire : L’UE étudie l’envoi d’une équipe de conseil et soutien à la sécurité en Irak); à Segou et Mopti pour coordonner l’aide européenne à la stabilisation (lire : Vers une action de stabilisation de l’UE dans la région centre du Mali).
Toutes ces briques posées, réalisées ou en cours de réalisation, peuvent paraître modestes. Elles n’en illustrent pas moins à la fois un changement d’état d’esprit et une volonté d’avancer tous ensemble. Comme le dit un proche de Daniel Tusk, fin érudit de la politique européenne, « Nous n’avons pas encore atteint Rome … mais nous avons franchi le Rubicon ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
Pour aller plus loin, lire :
* article réservé aux adhérents et abonnés de B2 Pro
(1) Notre langage est volontairement très précautionneux. Nous nous garderons bien de dire que la défense européenne est relancée. Elle l’a été tellement de fois, avec bien souvent un effet pschitt, qu’il vaut mieux rester prudent…
(2) La France et l’Allemagne, ainsi que l’Italie, l’Espagne et la Finlande, premiers défenseurs de la PESCO ont été rejoints par : la république Tchèque, la Slovaquie, la Belgique, l’Estonie, le Portugal, la Slovénie, qui veulent être du premier round selon le premier comptage de B2. Cela n’aura à nul échapper que cette liste contient des zones géographiques très diversifiées.
Membres (civils et militaires) de la mission EUTM Mali au garde à vous devant le cercueil d’un des leurs, le soldat portugais décédé lors de l’attaque terroriste du 18 juin (crédit : EUTM Mali)
(B2) Alors qu’on célèbre à l’envi la beauté de la stratégie globale, qu’on tresse des louanges à n’en plus finir sur l’amour fou qui étreint l’OTAN et l’UE comme la superbe réussite de la communication stratégique, ces dernières heures ont vu une des bourdes les plus fameuses en terme de gestion de crise. Les Européens semblent toujours aussi incapables d’assumer le moindre de leurs actes… même s’ils sont positifs.
Le Zéro communication sur l’attaque de Bamako
C’était dimanche 18 juin, à quelques km de Bamako, sur le complexe hôtelier Le Campement, la torpeur dominicale bascule tout d’un coup dans l’horreur. Une attaque terroriste vient de survenir… (lire : Attaque terroriste contre l’hôtel Le Campement près de Bamako. Des morts parmi les Européens (V9). Les Européens réagissent… Mais de façon étrange, bizarre, la communication officielle n’en dira aucun mot. Pourtant les actes sont notables.
Pourtant, les Européens réagissent… et bien !
Premier acte. Sur place se trouvent (entre autres) quelques militaires européens. Certains prennent leur arme de service, ripostent. Leur vigilance (et celles d’autres) surprend les attaquants qui ne s’attendaient sans doute pas à une réaction aussi rapide.
Deuxième acte. La quick reaction force (force de réaction rapide) qui est basé au QG de Bamako et permet de réagir rapidement en cas d’évènement touchant des Européens est mise en alerte. Composée de Tchèques, elle fonce sur place. Elle soutient les forces anti-terroristes maliennes (FORSAT) – arrivées très vite sur place également – dans leur reconquête du secteur et la neutralisation des terroristes.
Troisième acte. Le service médical de EUTM Mali a lui aussi été mis à contribution et une ambulance dépêchée sur place.
Enfin, quatrième acte, un hélicoptère de la mission a décollé pour assurer la recherche et la localisation des personnes disparues. Recherche qui a duré jusqu’au lundi au matin.
Des faits effacés de l’inconscient collectif
Tous ces faits, ces actes de bravoure ordinaire, dans n’importe quel État membre, auraient été mis en avant, avec tact, élégance ou brio. Pas au niveau européen. Non seulement, ces faits ont soigneusement été effacés de l’inconscient collectif. On n’en trouve ainsi aucune trace dans la déclaration qu’a faite la Haute représentante de l’Union, Federica Mogherini, lundi au Conseil de Luxembourg (1). Un ordre a été très clairement transmis dans tous les services de bas en haut par la conseillère politique de la Haute représentante, Sabrina Bellosi : « sur les opérations, seule la Haute représentante communique ». Rompez !
Une communication cadenassée à la « nord coréenne »
Le communiqué de presse qu’a publié EUTM Mali a ainsi été expurgé de tout élément non agréé par les ‘communicants’ de la Haute représentante. Ce qui fait qu’il est totalement incompréhensible et n’a pu être publié que très tard dans la journée (2). Le mensonge par omission se double d’un mensonge par action. Quand à B2, nous avons tenté (comme d’autres) d’obtenir ces informations auprès des services de communication européen, à plusieurs reprises, le lundi, avec quelques autres journalistes, nous n’avons obtenu aucune précision, aucune information, aucune confirmation. Au contraire, on nous a apporté un démenti clair : l’envoi de la Quick reaction force : « Non je ne suis pas au courant » indique un porte-parole de la Haute représentante, apparemment peu au fait que le ministre tchèque de la Défense a déjà confirmé officiellement cette présence.
Une question de légitimité
Si l’Europe veut avoir un petit rôle stratégique, elle doit faire un peu moins d’auto-propagande visant, dans un style esprit « Corée du Nord » ou « Mao Tsé Toung » de la grande époque pour chanter les louanges de la Haute représentante, de sa « Stratégie globale » (la plus grande œuvre de tous les temps :-). Etc. Elle doit assumer ses actes et informer, de façon la plus honnête, les médias. C’est une question de légitimité, c’est aussi une question de respect du travail des journalistes.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Commentaire : J’ai beaucoup d’admiration pour l’esprit d’entreprise et le dynamisme de la Haute représentante actuelle. Je l’ai déjà dit, je l’ai écrit, et je le confirmerai encore. Mais cette appréciation, positive, a des limites. Celles de la réalité. J’ai beaucoup trop de respect pour tout le travail accompli sur le terrain par tous ces hommes et ces femmes pour voir ce travail ainsi bafoué, nié, négligé. On ne joue pas sur la mort pour chercher à soigner son image personnelle. Ce n’est pas correct.
(1) Pourtant nous sommes le lundi à 15h, soit 24 heures après les faits. A cette heure là, tous les hommes et femmes de la mission ont été localisés, et mis à l’abri. Les pertes sont établies, les familles averties. Les recherches ont cessé.
(2) A lire le communiqué de presse, on a une impression de malaise. Des coupez-collez ont été effectués si vite qu’ils sont quasi-visibles. Ils donnent une information tronquée. On a l’impression que le soldat portugais est mort au combat.
(crédit : EUTM Mali)
(B2) Le long de la piste de décollage de l’aéroport Modibo Keïta de Bamako, les militaires de la mission EUTM Mali, et diverses autorités européennes et maliennes, ont tenu à rendre un dernier hommage à un des leurs, le sergent-chef Gil Fernando Paiva Benido, décédé lors de l’attaque terroriste sur l’hôtel Le Campement (Lire : Attaque terroriste contre l’hotel Le Campement près de Bamako. Des morts parmi les Européens). Sa dépouille, placée à bord d’un avion de transport C-130 de l’armée portugaise, a ensuite pris le chemin du retour, vers le Portugal, sa terre natale.
La mission est sous le choc. « Ces dernières heures ont été difficiles » témoigne l’un d’eux. C’est, en effet, le premier décès qu’elle a eu à subir (1). Et plusieurs autres victimes auraient pu à être déplorées sans la bonne réaction à la fois des Maliens et des Européens.
RIP
(1) La délégation au Mali a aussi subi une perte. Ce n’est pas la première que l’UE au Mali est prise pour cible. Et cela ne risque pas d’être la dernière.