(crédit : MOD Uk / Crown)
(B2) Dans un article paru dans Politico, deux reporters du journal en ligne s’interrogent sur la possibilité qu’aurait le Royaume-Uni de continuer à diriger des missions militaires de l’UE voire même d’avoir son mot à dire dans toutes les décisions en la matière de l’Union européenne. Une question sensée… Mais dans tout le cours de l’article, est repris, en grande partie, une idée très en vogue à Londres que, sans le Royaume-uni, la défense européenne n’est rien…
the U.K. is a military heavyweight that can provide troops, hardware and expertise almost no other European nation can match
Et sans la possibilité laissée au Royaume-Uni de diriger des groupements tactiques européens (EU Battlegroups) ou de conduire des missions militaires européennes, le Royaume-Uni ne participera à rien.
If this proves impossible, it is unlikely Britain will continue to take part in EU military missions in future, according to U.K. officials
Le raisonnement parait impeccable. Mais il faut faire un petit rappel à la réalité et remettre un peu quelques idées au clair. Car, de fait, d’objectivité, cette position reflète surtout la crainte du Royaume-Uni, de voir s’évanouir son potentiel droit de veto qui avait un effet tout aussi efficace, voire supérieur à son exercice même. Il surjoue de sa puissance, jouant de la confusion entre ses capacités militaires (réelles) et de leur mise à disposition de l’Union européenne.
Première idée fausse : laisser Londres diriger un battlegroup renforce la défense
La possibilité pour le Royaume-Uni de continuer à diriger (lead) un battlegroup européen ne vise pas vraiment à dynamiser ni à permettre à l’Union européenne de se doter de moyens d’intervention. Elle consiste au contraire à priver l’Europe de ses moyens. Durant tout le temps d’activité de ces groupements tactiques, Londres n’a eu qu’un principe en tête quand ses militaires étaient de permanence : premièrement, ils ne partiront pas, deuxièmement, ils ne partiront pas sous drapeau européen. Le temps dévolu ainsi par les forces britanniques lors de leur astreinte dans les groupements tactiques européens était réservé soit aux formations et aux entraînements, soit au repos et au retour en famille, après ou avant une période d’engagement intense (type Afghanistan). Les rares fois où l’Union européenne a demandé aux Britanniques s’ils étaient prêts à déclencher leur groupement tactique, la réponse a été claire : c’est « No » ! Alors avoir un battlegroup dirigé par des Britanniques équivaut à ne pas avoir de battlegroup disponible.
Deuxième idée fausse : faute de direction, les Britanniques ne participeront à rien
Les auteurs sous tendent ensuite que faute de pouvoir se voir confier une telle direction, les Britanniques pourraient refuser de contribuer à des opérations britanniques. C’est un argument de campagne. Mais aucunement une réalité. Si les Britanniques ont une sérieuse qualité, c’est leur pragmatisme. Il parait ainsi quasi-certain, qu’après la sortie du Royaume-Uni de l’Union, si une opération ou une mission de l’Union européenne leur apparait intéressante, les Britanniques y participeront de façon symbolique ou plus importante, s’ils le jugent utile soit pour leur sécurité, soit pour leur image publique internationale, soit tout simplement pour être à l’intérieur de la mission, en récolter des informations ou des retours d’expérience intéressants.
Troisième idée fausse : cette coopération pourrait être un modèle pour d’autres coopérations
C’est justement l’anti-argument. Les Européens veulent éviter de créer un précédent. Ils avaient ainsi refusé en leur temps aux Turcs qui fournissaient l’essentiel des moyens de l’opération de stabilisation en Bosnie-Herzégovine, de commander l’opération. Et dans toutes les opérations où interviennent des pays tiers, ils prennent bien soin d’assurer une certaine ligne hiérarchique européenne sans trop d’interférence de pays tiers. Cela avait toute la difficulté ainsi lors de la présence des hélicoptères russes au Tchad en 2008 où la négociation sur le commandement responsable avait duré plusieurs longs mois (1). Alors dire comme un expert allemand, cité par les auteurs que « such an arrangement would send a strong signal that the EU and the U.K. would continue to work together closely on defense after Brexit and could serve as a model for future cooperation with non-EU countries such as Tunisia, Israel or Turkey », c’est un peu agiter un chiffon rouge. Imaginer une opération européenne par les Israéliens ou les Turcs est le plus sûr moyen de tuer toute idée de présence européenne de stabilisation et toute revendication britannique supplémentaire.
Quatrième idée fausse : le Britannique est irremplaçable
Hormis les opérations maritimes, les Européens n’ont pas vraiment besoin des Britanniques pour assurer leurs missions et opérations menées au titre de la PSDC. Ils l’ont fait très bien jusqu’ici : en Afrique notamment. Ils continueront de le faire dans l’avenir. Il y a une bonne dizaine de pays tiers qui contribuent ou ont contribué aux missions de la PSDC (Géorgie, Serbie, Turquie, Canada, USA…). Ils continueront de le faire. L’UE vient d’ailleurs de signer avec les États-Unis un accord de soutien logistique afin de permettre d’être plus efficace. La haute représentante de l’Union, Federica Mogherini avait affirmé en mai qu’il est « évident qu’une fois que vous n’êtes plus un État membre, vous ne pouvez plus prendre part aux décisions mais vous pouvez prendre part aux opérations » ajoutant, la Grande-Bretagne est « un important acteur militaire mais en cause cas aussi important que les autres 27 États membres ».
Cinquième idée fausse : Les Britanniques sont quasiment les seuls à avoir un QG permanent capable de conduire une opération militaire
Il est vrai que le Royaume-Uni met à disposition son QG de Northwood (non sans un financement de l’Union européenne, faut-il préciser) pour l’opération anti-piraterie Atalanta. Mais l’UE dispose de six autres QG permanents qui peuvent facilement et rapidement prendre le relais. Le QG de Rome est déjà activé et performant. Et les QG français au Mont-Valérien ou allemand à Potsdam peuvent, au besoin, être activés rapidement. Il faut aussi compter (outre celui de Larrissa qui est très excentré). Au surplus, il reste le bon vieux QG de l’OTAN (le SHAPE à Mons) auquel peut recourir l’UE dans le cadre des accords de Berlin Plus et le mini QG installé à Bruxelles (la CPCC) qui ne demande qu’à grandir. Bref… faute de QG britannique, l’Europe n’a que l’embarras du choix. Et sans les Britanniques, l’Europe survivra contrairement à ce que semblent insinuer les auteurs de cet article…
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Opération voulue par les Britanniques (et les Français) et qui avait conduit Londres à s’engager de façon décisive et forte à en croire le nombre de personnels mis à disposition de l’opération européenne : 2 sur 3700 personnels !
(B2) Les ONG se rapprocheraient trop, et en trop grand nombre, des côtes libyennes. Cela favoriserait, voire encouragerait, le trafic d’êtres humains par les passeurs. L’accusation circule depuis des mois en Italie où la polémique a alimenté la Une des journaux. Cela correspond-il à la réalité ? Y-a-t-il des fondements à cette accusation, alimentée autant par les pouvoirs publics que par des responsables politiques ? Pas si sûr selon les éléments récoltés par B2 …
Les accusations se multiplient depuis plusieurs mois
Les flèches viennent de plusieurs origines. De l’agence européenne Frontex, qui vise plus particulièrement la jeune ONG Proactiva Open Arms, qui participe aux sauvetages de migrants en Méditerranée depuis janvier 2017, et de l’opération militaire européenne (dans son rapport de 2016,, le contre-amiral Credendino, le mentionnait, lire : La présence des ONG au large de la Libye : un effet d’aubaine pour les trafiquants ?). Du procureur sicilien de Trapani qui aurait ouvert une instruction qui ciblerait davantage des membres d’équipes de sauvetage qu’une ONG en particulier . Des médias enfin, jusqu’aux parlementaires italiens qui ont mené ces derniers mois des auditions notamment d’ONG présentes en Méditerranée (comme Médecins sans frontières et SOS Méditerranée) qui participent au sauvetage de milliers de personnes sur des embarcations partant des côtes libyennes.
… mais n’aboutissent pas
Après l’audition de multiples acteurs, aussi bien des garde-côtes italiens que des ONG, les sénateurs ont rendu leurs conclusions à la mi mai. Ils posent quelques préconisations, en partie rejetées par les ONG, qui sortent, de leur côté, plutôt lavées des maux dont on les accuse.
Décryptages
Tout est parti des déclarations de Frontex, en décembre, sur la base d’un rapport sur les possibles collusions entre ONG et passeurs (« smugglers »)… « Avec au passage une exploitation politique de la situation » dénonce Tommasi Fabbri dans une interview à B2. Pour le chef des opérations de Médecins sans frontières (MSF) en Italie, à bord du bateau Prudence depuis le début de l’année, si Frontex maintient que les ONG en étant trop présentes encouragent les passeurs, lui réaffirme qu’il s’agit là d’une « analyse superficielle qui ne prend pas en compte les facteurs qui poussent les gens à fuir la Libye. Toute cette complexité se résume à une analyse simpliste qui permet d’accuser les ONG et de détourner d’autres réflexions. Cette situation est déprimante car on déplace l’attention du vrai problème qui reste qu’il n’y a aucune réflexion sur les moyens de créer des voies légales d’accès à l’Europe pour des personnes qui fuient la Libye. »
Appel d’air ?
Les navires de sauvetage seraient trop présents, à la limite des eaux libyennes et cela encouragerait les passeurs, à embarquer des migrants sur des rafiots de fortune, sans même plus avoir besoin de téléphoner ?
C’est près des côtes que les naufrages sont les plus nombreux, expliquent les ONG. Selon le capitaine de navire Liardo, entendu par les sénateurs, la présence des ONG existe et a un impact significatif mais certainement pas déterminant pour expliquer à elle seule le nombre toujours plus élevé de passagers. La fin de la mission « Mare Nostrum » en octobre 2014 et, ensuite, le terrible naufrage d’avril 2015, ont été à l’origine de l’intervention, de plus en plus importante, d’ONG pour sauver les migrants en Méditerranée. Autrement dit pour compenser les lacunes des institutions, comme le dénoncent les associations, SOS Méditerranée ou MSF.
Plus de bateaux
Ce qui est vrai c’est que le nombre d’ONG patrouillant pour sauver des migrants a augmenté. Mais pas toute l’année. SOS Méditerranée, qui a fait sa première opération le 28 février 2016, depuis Lampedusa, n’a pas cessé depuis. C’était le seul bateau sur zone à patrouiller même les mois d’hiver car le bateau Aquarius a été adapté pour cela. « Nous savons où il faut aller pour sauver des vies, comme l’a fait Mare Nostrum entre 2013 et 2014, participant à secourir plus de 150 000 personnes à l’époque », explique à B2 Sophie Beau, co-fondatrice de SOS Méditerranée.
Connivence ?
Lors des auditions au Sénat, le commandant général des Gardes côtes, l’amiral inspecteur Vincenzo Melone, a catégoriquement récusé l’idée que les ONG aient rebouté du matériel comme le transpondeur. Il a aussi rappelé qu’un navire doit, selon le droit de la mer, porter assistance s’il a connaissance d’une situation dangereuse. Toutes les opérations de sauvetage sont coordonnées par l’IMRCC (le centre de coordination italien), comme le confirme Sophie Beau : « Nous patrouillons dans la même zone et nous intervenons sur signalement de la coordination italienne. Nous faisons un premier repérage car l’embarcation a pu dériver entre temps. Surtout quand nous recevons plusieurs signalements en même temps. Parfois on ne trouve pas de bateau, il y a sans doute beaucoup de disparitions ainsi non comptabilisées ». C’est aussi l’IMRCC qui indique le porte de débarquement des rescapés.
Policiers à bord ?
Les ONG ne sont pas là pour lutter contre ces trafics et ne participent pas directement aux enquêtes qui permettraient leur démantèlement. C’est en quelque sorte le reproche du procureur de Catane, Zuccaro. D’où l’idée reprise par les sénateurs italiens de placer des officiers de police à bord. Ce qui pose un certain nombre de problèmes de droit. Seule l’ONG Sea Eye ne s’est pas déclarée totalement opposée à l’idée. Tommaso Fabbri rappelle le devoir de « neutralité, d’impartialité et d’indépendance » de MSF, ce qui lui interdit de pouvoir accepter la présence d’un policier à bord d’un navire de sauvetage.
Financement à la loupe ?
Les sénateurs italiens émettent aussi l’idée de demander aux ONG plus de transparence dans leur financement. Sachant que ce sont effectivement des sommes importantes qui sont nécessaires. Environ 11 000 euros par jour pour l’Aquarius de SOS Méditerranée, qui ne compte qu’à peine 1% de fonds publics dans son budget.
Compléments d’information
Les sauvetages en mer se sont davantage fait sur observation que suite à un appel, comme c’était le cas en 2015 et déjà beaucoup moins en 2016. Selon l’amiral Melone, 55% des sauvetages l’ont été à partir d’observation en 2016, sachant que près d’un tiers de ces observations, sont du fait de navires d’ONG. Toujours d’après cet amiral, si les appels par téléphone ordinaires (en opposition aux satellites) ont augmenté ces deux derniers mois (en avril et mai 2017), c’est parce qu’ils étaient davantage émis près des côtes.
Bonne pression ?
A tout le moins, les sénateurs estiment que la pression mise sur les ONG aura peut être fait en sorte qu’elles collaborent davantage, comme MOAS qui aurait fourni des images captées par son drone dans l’enquête sur l’assassinant d’un migrant par un passeur de clandestin.
Une Europe myope ?
Accusant l’Europe d’être « myope dans la façon qu’elle a de regarder et d’analyser la situation », Tommaso Fabbri répète sa lassitude : « on est fatigué de répéter et devoir se défendre mais on continue notre action, on est en mer, et on sauve des gens. Ce n’est pas la solution, mais l’Europe et ses États membres ne prennent pas leurs responsabilités ». Il dénonce, comme Sophie Beau, la signature de l’accord de coopération entre l’Italie et la Libye, en février 2017, qui n’est qu’une suite selon lui « de l’externalisation de la gestion de nos frontières : On déplace le problème en Libye. Cela permet de ne plus le voir ». Les deux humanitaires se disent « très préoccupés par la situation des personnes actuellement en Libye ». Et déterminés « à continuer à travailler, en coordination comme nous l’avons fait jusqu’à aujourd’hui avec les gardes côtes, les ONG et le Centre italien de coordination des sauvetages en mer, basé à Rome ».
Malte coopère peu, Égypte et Tunisie ferment les yeux
Au passage, les sénateurs n’ont pas manqué d’envoyer de nouvelles flèches. Contre le centre de coordination de secours de Malte, jugé peu coopératif et peu actif. Tout comme l’Égypte et la Tunisie qui tourneraient autour de la convention de Hambourg (la résolution des Nations Unies sur le transport de marchandises en mer, l’Égypte ne l’ayant pas ratifié). Si de ce côté, aucune piste d’amélioration n’a été évoquée, en revanche, le ministère italien des Affaires étrangères s’attacherait à régler le problème de chevauchement de zones de responsabilité entre les italiens et Malte, autour de l’ile de Lampedusa.
Toujours plus de morts
Dans un récent communiqué (17 juin), l’ONG Médecins Sans frontières, rappelle que la traversée en Méditerranée a été encore plus meurtrière en 2016 pour les migrants qu’en 2015. « Au moins 5.000 hommes, femmes et enfants sont morts en tentant de traverser la Méditerrané en 2016, contre près de 2800 en 2015 » indique l’ONG, qui souligne surtout, que « ces données ne sont que des estimations, étant donné qu’il est très difficile de retracer l’intégralité des trajectoires et que de nombreux corps ne sont jamais repêchés ».
Un vrai far-west en mer
Certaines ONG ont reconnu être intervenues dans les eaux territoriales libyennes. SOS Méditerranée s’y refuse. Parce que c’est dangereux. « Le premier danger vient des gardes côtes dont on ne sait pas vraiment qui ils sont », assure Sophie Beau qui compare la situation à « un vrai far west en mer ». Récemment, MSF et SOS Méditerranée ont directement accusé la garde côtière libyenne d’avoir mis des vies en danger lors d’un sauvetage en Méditerranée. C’était le 23 mai. Les garde-côtes se sont approchés très près, entre deux interventions, ont menacé les passagers d’un canot, semant la panique, beaucoup ont sauté à l’eau, « heureusement nous avions distribué des gilets de sauvetage, car nous étions obligés d’aller faire une autre intervention, mais cela aurait pu être dramatique », témoigne Sophie Beau.
Pour les ONG, l’Union européenne devrait remettre en cause son soutien, l’aide de 90 millions d’euros, accordée à la garde-côtière libyenne.
(Emmanuelle Stroesser)
NB : Médecins Sans Frontières, opère en Méditerranée avec deux navires, Prudence, battant pavillon italien et en collaboration avec SOS Méditerranée, à bord d’Aquarius. SOS Méditerranée est une organisation française fondée en 2015, qui affrète le navire Aquarius, battant pavillon de Gibraltar, équipé d’une clinique pour les premiers soins.
Lire aussi :