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Le Monde Diplomatique

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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 2 months 1 week ago

Art et pratique de la diplomatie

Thu, 01/06/2017 - 12:11

Eminent historien britannique de la diplomatie du dix-neuvième siècle, Sir Charles Webster a réuni dans ce volume, paru peu avant sa mort, plusieurs de ses écrits des trente dernières années.

On y trouve, à côté de ses sujets préférés, des études sur la diplomatie en général, l'élaboration de la charte des Nations unies, l'appareil de la politique extérieure britannique au dix-neuvième et au vingtième siècle, l'emploi de la force dans l'organisation internationale. L'homme d'études et de recherches se double chez lui d'un homme d'expériences : il avait en effet fait partie de la délégation britannique à la conférence de la paix de 1919 et travaillé au Foreign Office.

Ed. Chatto and Windus, London, 1961.

La « Mission à Dantzig »

Thu, 01/06/2017 - 12:11

Le dernier haut commissaire de la S.D.N. à Dantzig qui fut des premiers à entendre, sans surprise – car il les avait prévus tout en s'efforçant de les prévenir – les premiers coups de canon de la guerre mondiale, M. C.J. Burckhardt, consigne aujourd'hui tous les événements et les éléments de sa mission, avec l'objectivité et la sérénité qu'il mit à la remplir. Il rappelle seulement, sans aucune amertume, avec une discrétion teintée de mélancolique philosophie, que son impartialité lui valut d'être attaqué sur deux fronts, regardé par certains comme un « agent franco-anglais », par d'autres comme un sympathisant nazi.

L'ouvrage de M. Burckhardt est d'une parfaite honnêteté historique, en cela d'abord qu'il ne retouche pas rétrospectivement l'histoire ; l'auteur ne s'y donne pas le rôle trop facile d'un prophète du passé, et publie intégralement ses rapports jusqu'ici inédits, en les commentant. La lucidité du témoin (qui fut acteur, et bien au delà des faibles forces attachées à sa fonction), ses prévisions, ses avertissements n'en sont que plus frappants. De l'observatoire de Dantzig, il prend une vue singulièrement large et claire de ce qui se passe et se prépare à Berlin, à Vienne, à Prague ; de l'impuissance tâtonnante des démocraties ; des louvoiements et du machiavélisme soviétiques ; de la politique ambiguë, illusoire, dangereuse, « vaniteuse de la Pologne du colonel Beck, qui en se faisant, selon la dure parole d'un diplomate anglais, « le chacal de l'Allemagne », préparait son quatrième dépeçage.

La fermeté inflexible et l'intime horreur du nazisme nourris par M. Burckhardt apparaissent dès le seuil du livre, à la veille de sa nomination à Dantzig, quand il fut appelé comme représentant de la Croix-Rouge à visiter les camps de concentration nazis. Après tant d'atroces tableaux qui émoussent, hélas ! la sensibilité, sa peinture prend, par sa date, une vigueur, oserais-je dire : une fraîcheur neuve : alors, un Européen informé pouvait véritablement découvrir, avec quel bouleversement ! cette « institution dont la monstruosité n'était pourtant encore qu'un prélude presque innocent.

Concilier, tenter d'écarter le recours à la violence, gagnet du temps, retarder l'application à Dantzig des lois antisémites, c'est à quoi, pendant deux longues années, s'est employé, pratiquement sans moyens, le haut commissaire de la S.D.N. Et il y a. jusqu'au dernier moment, réussi dans toute la mesure du possible. L'évocation de ses rapports avec les chefs nazis, les portraits qu'il trace de Forster, Greiser, Ribbentrop, Himmler, sont d'un vif intérêt – que surpasse, bien entendu, la « sténographie de ses entretiens avec Hitler, ainsi que ses analyses du personnage. Ce sont des observations cliniques. M. Burckhardt explique comment il a toujours considéré les actions et les réactions du « Führer > comme celles d'un furieux au sens pathologique, d'un aliéné. A partir de là – et de là seulement – on pouvait déduire, deviner, prévoir.

Le plus pathétique de ces dialogues est le dernier. Le 11 août 1939, M. Burckhardt fut transporté dans l'avion personnel d'Hitler jusqu'à l'aire rocheuse de l'Obersaltzberg. Derrière les menaces, les défis, l'assurance (et des prévisions qui se réaliseront avec une triste exactitude), ce qui transparaît c'est l'angoisse de « l'homme du destin » devant la guerre ; un désir panique de causer avec quelqu'un , un Anglais de préférence. Cette fois comme les précédentes, aux crises frénétiques succèdent les silences exténués », les périodes de « calme triste >, les rires spasmodiques, tous les symptômes que M. Burckhardt note et interprète d'un oeil froid. D'étranges confidences aussi, sur le besoin de repos, la nostalgie de n'être qu'un artiste »... L'humour n'est pas absent. A l'extrême pointe d'un « fortissimo intolérable », l'Allemand hurle : « M'entendez-vous ? » – « Très bien », répond tranquillement ie Suisse.

M. Burckhardt est reparti, assuré – il l'est encore – qu'il avait, pour un temps, apaisé le fou, retardé au moins les actes irréparables à Dantzig. Il attribue la ruine de son intervention à un compte rendu de l'entrevue, romancé de façon extravagante, que publia Paris-Soir. Dans le contexte psychologique d'Hitler, un tel article devait amener une réaction infaillible.

Le désintérêt de la Pologne à l'égard de Dantzig et les avertissements signifiés par Beck à M. Burckhardt qu'il ne recevrait de lui aucun soutien pour tout ce qui risquerait de troubler sa collaboration avec Hitler, sont tels, que « mourir pour Dantzig » ne serait pas allé sans quelque dérision, s'il ne s'était agi de tout autre chose que Dantzig. Mais que, dans la lutte pour cette « autre chose », Dantzig eût été le plus mauvais terrain, le livre de M. Burckhardt ne le confirme que trop clairement. On y voit de très près comment la ville « libre » n'aura été que le mur désagréable à nos dos en retraite depuis la Rhénanie et Munich. Pour réviser l'absurde et dangereux statut de Dantzig, que n'a-t-on, comme le suggéra avec insistance le haut commissaire Gravina, saisi l'occasion du passage au pouvoir de Brüning : on fortifiait celui-ci et on coupait l'herbe sous le pied au nazisme. Telle est la conviction de M. Burckhardt : la vue des démocraties si elle avait été moins courte, la face de l'histoire eût été changée.

Editions Fayard, Paris, 1962

LES PAYSANS SOVIETIQUES

Thu, 01/06/2017 - 12:11

Le problème de l'adaptation du monde rural aux conditions nouvelles n'a pas non plus trouvé sa pleine solution dans les pays capitalistes.

Mais en U.R.S.S. (et aussi dans les démocraties populaires) on sait que la planification a enregistré des échecs spectaculaires. En parfait technicien M. Jean Chombart de Lauwe analyse les diverses structures mises en place en Union soviétique depuis l'avènement du communisme et examine d'un oeil critique l'origine des difficultés de leur application.

Le Seuil, Paris, 1961.

Un peuple de moutons

Thu, 01/06/2017 - 12:11

Ce livre a déjà été très commenté lors de sa publication aux Etats-Unis.

On sait sans doute déjà que l'un des co-auteurs du Vilain Américain y a tenté de rééditer le succès obtenu par le précédent ouvrage. Mais le dernier n'offre pas le même attrait du sensationnel, car les prétendus dessous de la politique américaine qu'il veut dévoiler sont déjà largement connus du public averti.

Robert Laffont, Paris, 1962.

Explication de l'Espagne

Thu, 01/06/2017 - 12:11

Dans une Europe en pleine expansion économique et en voie de création, l'Espagne fait figure de pays sous-développé, qui n'a pas même accompli sa réforme agraire.

Le peuple espagnol est malade de son passé : son scepticisme général, l'atonie de la classe ouvrière, l'inexistence d'une opposition politique ne s'expliquent, en effet, que par les souvenirs d'une violente guerre civile ayant dégénéré en une dictature paternaliste qui, contrairement au fascisme italien, n'a pas engendré une politique économique de prestige. L'Espagne aurait pu tenter un rapprochement politique et économique avec ses anciennes colonies d'Amérique latine ; elle a préféré la solution de facilité, la servitude envers Washington. Toutefois, dans cet immobilisme Eléna de la Souchère décèle un mécontentement profond qui est mis en lumière par l'agitation sociale de 1951 ou les grèves actuelles et par la littérature espagnole contemporaine.

Grasset, Paris, 1962.

Par M.-F. G.

Malaise dans la représentativité syndicale

Thu, 01/06/2017 - 00:00
La première place conquise par la CFDT, au détriment de la CGT, a bousculé le paysage syndical dans le secteur privé. De là à en conclure que les salariés rejettent le « syndicalisme de contestation » et plébiscitent un « syndicalisme de compromis », il y a pourtant un pas qu'il serait erroné de franchir. (...) / , , , , - 2017/06

« Années de plomb » ou décennie de subversion ?

Thu, 01/06/2017 - 00:00
Écrit par le romancier et poète Nanni Ballestrini et par Primo Moroni, dont la librairie milanaise fut un haut lieu du militantisme extraparlementaire, publié une première fois en 1988, l'ouvrage La Horde d'or a une histoire aussi mouvementée que son sujet. Remanié et complété en 1997 par Sergio (...) / , , , , , , , , - 2017/06

Perec, le refus du désenchantement

Thu, 01/06/2017 - 00:00
Les œuvres de Georges Perec (1936-1982) sont désormais dans la Bibliothèque de la Pléiade : « tous les textes publiés du vivant de l'auteur », de 1965 à 1982, qu'on peut « penser-classer » selon les quatre champs par lui labourés, et qu'il énumère dans ses Notes sur ce que je cherche de 1978 : (...) / , , , , , , - 2017/06

Cuves nucléaires

Wed, 31/05/2017 - 15:05

L'article d'Agnès Sinaï « Le talon d'Achille du nucléaire français » (mai) a suscité des réactions contradictoires. Affirmant que « tout est vrai », M. Jacques Terracher entend ajouter plusieurs points.

La teneur mesurée dans les ségrégations est de 0,30, soit presque le double de la teneur normalisée, ce qui explique l'importante dégradation de la résilience. La valeur de la résilience de la cuve EPR a été mesurée à 36 joules par centimètre carré alors qu'elle devrait être supérieure à 60. C'est la première fois que cette valeur est publiée. Elle prouve que l'acier n'est pas conforme à la norme. L'ASN [Autorité de sûreté nucléaire] le sait, d'où ses hésitations à annoncer sa décision.

Pour les générateurs de vapeur remis en service après examens au début de l'année, le problème est exactement le même : les aciers (du même type avec une très faible différence de teneur en carbone) ne sont pas conformes. EDF a masqué le défaut (...).

La Commission européenne a autorisé l'État français à recapitaliser Areva pour une valeur de 4,5 milliards d'euros à condition que l'Autorité de sûreté nucléaire déclare la cuve de l'EPR bonne pour le service. Lourde responsabilité pour l'ASN.

D'autres lecteurs ont trouvé cette enquête trop « à charge ». M. Gérard Petit, retraité du secteur nucléaire, considère notamment que le démarrage imminent des réacteurs de Taishan, en Chine, démontrera la faisabilité du concept EPR. Il précise plusieurs points et propose d'autres interprétations.

Mon propos est d'abord de m'étonner qu'à partir d'un fait avéré, certes révélateur de carences techniques et organisationnelles, on puisse décrédibiliser toute une industrie et lui dénier un futur.

Je comprends bien qu'un tel événement, déjà largement médiatisé, et présenté à raison comme le énième ennui de l'emblématique EPR, donne aux adversaires de l'électronucléaire l'occasion de pousser leur avantage.

Même pour des ingénieurs familiers de ces techniques, comprendre l'origine des écarts et en apprécier l'importance pour la tenue des pièces concernées n'a rien de trivial, entre autres parce que plusieurs disciplines pointues sont en en interaction.

Ce n'est évidemment pas une raison pour renoncer à informer sur la situation. Si l'auteure de l'article appréhende avec talent le Meccano industriel autour du nucléaire, elle est moins au fait des questions techniques sous-jacentes qui souvent le déterminent. (...)

Des chiffres mentionnés mesurant la résilience (36 joules mini, 52 joules moyenne) sont qualifiés de « désastreux » comparés à la valeur réglementaire de 60 joules, un vocable sans nuance qui n'a pas grand sens, celui, utilisé plus loin, d'écart « de premier ordre » étant plus pertinent. (...)

On coule d'abord des lingots, et c'est ensuite qu'ils sont forgés. C'est durant le refroidissement des lingots massifs que se créent les hétérogénéités dans le matériau et donc celles, plus grandes qu'attendu, qui nous occupent ici. (...)

Plus loin est évoquée la diminution de la résilience des pièces sous l'effet du bombardement neutronique, ce qui est exact et pilote d'ailleurs la durée de vie des cuves, sauf que couvercle et surtout fond de cuve ne voient pratiquement pas de neutrons.

Par ailleurs, l'arrêt d'urgence d'un réacteur, une situation normalement rencontrée en exploitation, ne crée pas de contraintes fortes sur les matériaux. La situation est différente si l'injection de sécurité est déclenchée, une situation beaucoup moins fréquente et qui d'ailleurs sert de référence pour l'étude de la propagation de fissures dans le matériau. (...)

Plus loin, on cite Bernard Laponche, qui qualifie de « complexité sans fin » ce qui n'est qu'un phénomène inhérent à tout processus de fonderie-forgeage, qu'il faut bien sûr encadrer par des critères. Avec de tels considérants, on n'aurait jamais fait le programme nucléaire, et c'était d'ailleurs son vœu.

Plus loin, il est fait mention de nombreux générateurs de vapeur du parc nucléaire existant nécessitant des investigations supplémentaires. À ma connaissance, celles-ci ont été menées et ont permis à tous les réacteurs concernés de redémarrer, sauf deux dont Fessenheim 2, cas développé plus loin.

Le grand carénage, qui devrait permettre aux centrales ayant atteint quarante années de fonctionnement de prolonger leur fonctionnement au-delà pour dix, voire vingt ans, est présenté comme exclusivement coûteux, alors que c'est un potentiel considérable de production de courant décarboné par des machines dotées d'un niveau de sûreté commensurable avec celui de l'EPR.

Quant à l'impossibilité de remplacer certains composants, typiquement la cuve et l'enceinte de confinement, c'est bien sûr en connaissance de cause que les prolongations précédentes sont programmées, l'évolution des potentiels de ces composants étant d'ailleurs, avec les considérations économiques, le paramètre pilote.

On parle plus en aval d'une pression qu'EDF et Areva exerceraient sur l'ASN (implicitement en la mettant devant le fait accompli...). S'il est vrai qu'une décision-couperet serait lourde de conséquences, il n'y a pas de raison de penser que l'ASN se déroberait, surtout dans le temps présent, où le nucléaire n'a pas le vent en poupe.

Enfin, je ne vois vraiment pas en quoi la construction dans des délais remarquablement courts et l'exploitation sans à-coups majeurs de près de soixante réacteurs assurant depuis des lustres un approvisionnement électrique fiable, bon marché et décarboné du pays constituent une « arrogance techniciste », pas plus que le fait d'avoir imaginé un nouveau réacteur, l'EPR, conçu comme ne pouvant être ni agressé ni agresseur. Après un trop long temps de latence et des réorganisations industrielles dommageables, il s'est hélas révélé plus difficile à construire qu'escompté, sauf en Chine...

Pauvreté, couteau entre les dents, génies du bien, souverainistes, impasse universitaire

Wed, 31/05/2017 - 15:04
Pauvres chez les riches

Passé de 10 % en 2000 à 16,7 % en 2015, le taux de pauvreté en Allemagne inquiète le Fonds monétaire international (FMI), qui propose pour le réduire de bonnes vieilles recettes.

En dépit d'un filet de sécurité sociale bien développé et d'une hausse de l'emploi au cours des dernières années, le risque relatif de pauvreté fait l'objet d'une attention soutenue. L'inégalité des revenus (mesurée par le coefficient de Gini) est restée largement stable au cours de la dernière décennie et se situe près de la médiane européenne. Néanmoins, on observe une augmentation du taux de risque de pauvreté. (...) Si le risque de pauvreté ne reculait pas, il faudrait prendre en considération un passage en revue du ciblage et de l'efficacité de certains avantages sociaux. Les politiques de lutte contre la pauvreté devraient viser à préserver la réussite des réformes passées du marché du travail. FMI, Conclusions de la mission de consultation de 2017 au titre de l'article IV, 15 mai. Couteau entre les dents

Dans un article consacré à la droite américaine, Doug Henwood décrit une réception donnée à New York par un riche avocat à la fin du XIXe siècle.

En février 1897, l'avocat Bradley Martin et sa femme Cornelia organisèrent un bal costumé au très chic hôtel Waldorf Astoria. Le banquier J. P. Morgan se déguisa en Molière. L'homme d'affaires John Jacob Astor s'habilla en Henri de Navarre ; il portait une épée recouverte de joyaux. Pas moins de cinquante femmes s'étaient déguisées en Marie-Antoinette — et Mme Martin portait un collier qui avait appartenu à la famille royale. Mais les hôtes étaient si inquiets que des « hommes de tendances socialistes » puissent interrompre les festivités qu'ils disposèrent des agents de sécurité autour de l'hôtel et qu'ils firent fermer les fenêtres du rez-de-chaussée à l'aide de clous. Le luxe extravagant de ce bal suscita un tel tollé dans la population que la famille Martin déménagea en Angleterre peu après la réception.

Comparons avec la fête donnée en 2007, au Park Avenue Armory, pour les 60 ans du financier Stephen Schwarzman — l'homme qui possède le plus grand salon de Manhattan. Mille cinq cents de ses amis les plus proches étaient invités et le chanteur Rod Stewart assurait l'animation. Le principal souci de sécurité concerna alors les paparazzis. « From Margins to Mainstream », Jacobin, 10 février.

Génies du bien

Les émissions américaines de fin de soirée ont-elles indirectement joué en faveur de l'élection de M. Donald Trump en multipliant les signes d'élitisme et de racisme de l'intelligence ? C'est ce que suggère Caitlin Flanagan dans The Atlantic.

Lorsque John Oliver déclara aux téléspectateurs que, s'ils étaient opposés au droit à l'avortement, ils feraient mieux de changer de chaîne jusqu'à la dernière minute de l'émission, où on leur montrerait « une adorable bande de paresseux [l'animal]  », il synthétisait parfaitement la tonalité de ces shows : l'idée que lui et ses admirateurs sont moralement et intellectuellement supérieurs à ceux qui défendent l'une ou l'autre des croyances politiques de droite. (...) Bien que destinés aux personnes distinguées des États démocrates, ces spectacles sont une involontaire mais puissante forme de propagande pour les conservateurs. Lorsque les républicains entendent ces moqueries cinglantes — dont l'écho se répercute dans les journaux télévisés du matin et les commentaires des clips viraux du jour —, ils n'y voient pas seulement l'œuvre d'une poignée de comiques qui les parodient. Ils voient HBO, Comedy Central, TBS, ABC, CBS et NBC. En d'autres termes, ils voient exactement ce que Donald Trump leur a enseigné : tout le paysage médiatique les déteste, eux ainsi que leurs valeurs, leur famille et leur religion. Dès lors, il n'est pas illogique qu'ils en viennent à imaginer que les « vraies » émissions d'information sur ces chaînes sont dirigées par des personnalités ayant le même parti pris. « How Late-Night Comedy Fueled the Rise of Trump », mai. Souverainistes irréconciliables

Donnée largement gagnante des futures élections provinciales par les sondages, une alliance entre le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS) a été refusée par les délégués de ce parti, explique Le Devoir.

La membre du comité antiraciste Dalila Awada a convaincu ses consœurs et confrères de ne pas succomber au « chant des sirènes des gains électoraux » en misant sur des pactes de non-agression avec le PQ afin d'accroître le nombre de députés solidaires à l'Assemblée nationale. « On a tous et toutes très hâte que QS ait une plus grande marge de manœuvre pour travailler. On le mérite. On est rendus là. Mais, pour les communautés racisées au Québec, l'ennemi est double. Il s'incarne à la fois dans le néolibéralisme et dans le racisme. Le Parti québécois, aujourd'hui, porte en lui ces deux bêtes », a-t-elle déclaré durant le débat. « Les délégués de Québec solidaire refusent de s'allier aux péquistes », 21 mai. Impasse universitaire en Algérie

Jugeant l'université algérienne impossible à réformer en raison « de la corruption, de la violence et de la cooptation » qui y sévissent, le sociologue algérien Nacer Djabi annonce sa décision de la quitter. Le quotidien francophone El Watan y voit la fin d'une génération de penseurs qui n'a jamais cessé de résister à la régression scientifique.

Il est de cette génération pleinement engagée dans la production d'un discours critique sur l'état du pays. « Cette mise à mort est un choix politique des décideurs, parce que moins coûteux. Il arrive à l'université ce qui est arrivé aux entreprises publiques qu'on a fini par brader et vendre au dinar symbolique », constate implacablement Nacer Djabi. Une orientation qui révèle un choix stratégique d'avenir pour le pays, engagé par le pouvoir politique : celui de la reproduction des élites dans de grandes écoles étrangères. (…) En somme, la fin de sa carrière universitaire que le sociologue vient de signer est loin d'être un coup de colère. Elle nous dit tout le drame de l'École, de l'Université, de l'État et de la société propulsés dans une impasse historique. Hacen Ouali, « [La fin de la pensée critique…] », 22 mai.

Transgressions

Wed, 31/05/2017 - 15:04

« Nous sommes sur un nuage. » C'est ainsi que M. Pierre Gattaz a résumé l'euphorie qui gagnait les milieux patronaux après l'accession à l'Élysée de M. Emmanuel Macron. Celui-ci venait alors de décupler la félicité du président du Mouvement des entreprises de France (Medef) en rejetant les offres de services de son ancienne rivale, Mme Laurence Parisot, pour nommer premier ministre un ancien directeur général des services de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), M. Édouard Philippe.

Un grand frisson a parcouru les chefferies éditoriales lors de la désignation d'un gouvernement dont les membres émanaient des partis socialiste, radical de gauche, Les Républicains et Mouvement démocrate (MoDem) « en même temps ». Mais les commentateurs se sont gardés de préciser la nature de la « transgression » célébrée dans une multitude de quotidiens et de magazines.

Après une élection par défaut, l'ambition présidentielle est de construire une majorité politique pour imposer rapidement un choc de précarité, en particulier par l'inversion de la hiérarchie des normes. Les employeurs pourront faire prévaloir des accords d'entreprise moins favorables que les conventions de branche ou que la loi, non seulement en matière d'organisation du travail, mais aussi de salaires. Une application de cette croyance largement partagée par les élites : le salut de l'économie française passerait par une plus grande « compétitivité coût ».

Aucune majorité sociale (1) n'appuie une telle politique, déjà largement rejetée lors du passage en force de la loi travail, en 2016. On n'en trouvera pas davantage pour soutenir le choc d'inégalités induit par la suppression de l'impôt sur la fortune pour les valeurs mobilières (actions et obligations). En témoignent le résultat de M. Macron au premier tour de l'élection présidentielle rapporté au nombre d'inscrits (le plus faible de la Ve République après 1995 et 2002), l'absence d'adhésion à son « programme » (16 % parmi ses soutiens (2)) tout comme le record d'abstentions, de votes blancs et nuls enregistrés au second tour.

Annoncé comme une version française du modèle scandinave, le projet porté par le nouveau président représente en définitive son contraire, en ignorant la dimension égalitaire et redistributive qui a permis les succès nordiques.

Un tel choc produira peut-être des effets statistiques sur la courbe des demandeurs d'emploi, mais beaucoup plus certainement des contusions sociales, par l'explosion du nombre de travailleurs indigents, à l'heure où même le Fonds monétaire international s'alarme de la hausse du risque de pauvreté induite par le modèle allemand. L'obligation faite aux chômeurs d'accepter un emploi au rabais libérera enfin le renard dans un poulailler fermé à double tour.

En définitive, la transgression « en marche » consiste à user de tous les ressorts du jeu électoral : le gouvernement « par le peuple », mais jamais « pour le peuple » (lire l'article page 10). À la décharge du nouveau président, cette dérive découle des institutions. En choisissant de solenniser son « triomphe » au Louvre, comme pour effacer un certain 10 août 1792, qui vit à cet endroit le peuple français s'émanciper de Louis XVI, il a d'ailleurs revêtu l'habit du monarque républicain.

(1) Lire Bruno Amable, « Majorité sociale, minorité politique », Le Monde diplomatique, mars 2017.

(2) « Comprendre le vote des Français », enquête Ipsos Sopra Steria, 6 mai 2017.

Les années folles

Wed, 31/05/2017 - 15:04

À leurs yeux, l'orage est passé, l'élection de M. Donald Trump et le Brexit sont presque conjurés. La large victoire de M. Emmanuel Macron a enthousiasmé les milieux dirigeants de l'Union européenne. Un de leurs commentateurs assermentés, ronronnant de bonheur, estimait même qu'il s'agissait du « premier coup d'arrêt décisif à la vague populiste (1)  ». Profiter de l'instant pour faire passer en force le programme néolibéral de la Commission européenne démange donc les nouveaux gouvernants français, qui ont le code du travail dans leur viseur. Une orientation politique identique sera désormais incarnée à Paris par un homme plus jeune, plus cultivé et moins radicalement dépourvu d'imagination et de charisme que son prédécesseur ; les miracles de la communication et du « vote utile » permettent de travestir ce léger changement en un basculement historique ouvrant la voie à toutes les audaces. L'effacement du clivage entre les deux camps que chante une presse occidentale en pâmoison devant son nouveau prodige relève lui aussi de la fantaisie : gauche et droite françaises appliquent en effet à tour de rôle la même politique depuis 1983. Dorénavant, des pans entiers de l'une et de l'autre se retrouvent dans un même gouvernement, demain dans une même majorité parlementaire. La clarté y gagne, mais c'est tout.

L'incrustation au pouvoir d'une droite espagnole corrompue, la victoire des libéraux aux Pays-Bas, le nouveau bail gouvernemental promis, peut-être imprudemment, aux conservateurs britanniques et allemands, suggèrent que le temps des colères qui a marqué l'année dernière pourrait s'être essoufflé faute de débouchés politiques. L'élection de M. Macron sur fond de drapeaux bleu et or, sa visite immédiate à Berlin signalent en tout cas que les grandes orientations européennes défendues par la chancelière Angela Merkel seront reconduites avec vigueur. Pour les Grecs, elles viennent de déboucher sur une amputation de 9 % de leurs pensions de retraite ; les experts ne se disputent que pour déterminer s'il s'agit de la treizième ou de la quatorzième du genre. Quant à M. Trump, dont certaines foucades et rodomontades inquiétèrent un instant les chancelleries occidentales, la normalisation de sa présidence est bien avancée ; son empêchement, organisé en cas de nécessité. Il ne manquerait plus pour garantir tout à fait la sérénité des timoniers du vieux monde qu'un retour au pouvoir de M. Matteo Renzi en Italie dans les mois qui viennent.

Au cours des années 1920, constatant qu'après une ère de grèves et de révolutions la plupart des États européens — en particulier le Royaume-Uni et l'Allemagne — avaient retrouvé leur régime de croisière, l'Internationale communiste dut concéder la « stabilisation du capitalisme ». Soucieuse de ne pas désarmer pour autant, elle annonça en septembre 1928 que l'accalmie serait « partielle, temporaire et précaire ». De sa part, l'avertissement parut mécanique, logomachique même ; c'était alors l'euphorie des possédants, les Années folles. Le « jeudi noir » de Wall Street éclata un an plus tard.

(1) Alain Duhamel, « Macron : première victoire contre le populisme », Libération, Paris, 10 mai 2017.

Au Kenya, les habitants de la côte exclus du banquet démocratique

Thu, 25/05/2017 - 13:06

Prisée des touristes pour ses plages et ses safaris, la côte kényane subit depuis plusieurs mois une vague d'attentats meurtriers. Ces crimes, demeurés impunis, commencent à faire fuir investisseurs et agences de voyages. La recrudescence des violences serait due au terrorisme islamiste venu de la Somalie voisine. Mais cette explication, trop aisée, masque les fractures politiques et sociales qui déchirent le pays.

Au soir du 15 juin 2014, une cinquantaine d'hommes armés attaquent la bourgade de Mpeketoni, située près de la ville côtière de Lamu, où le Kenya construit un grand port en eau profonde (1). Le raid obéit à un principe simple : les assaillants se rendent de maison en maison et tuent systématiquement les habitants qui ne portent pas un nom musulman. Après avoir aisément repoussé la timide riposte des forces de sécurité gouvernementales, les miliciens se livrent au pillage et à la destruction — de voitures, de boutiques, d'une banque —, donnant libre cours à leur sens du spectaculaire. Ils finissent par s'évanouir dans l'obscurité, laissant plus de soixante morts derrière eux.

La nuit achevée, ils récidivent dans le village voisin de Maporomokoni. Ils y massacrent une quinzaine de personnes. Dans un cas comme dans l'autre, la majorité des victimes sont des Kikuyus, membres d'une ethnie chrétienne originaire du haut plateau.

Les médias internationaux trouvent vite l'explication à cette explosion de violence : les criminels sont des terroristes somaliens appartenant à l'organisation Harakat Al-Chabab Al-Islami Al-Thawri (Mouvement de la jeunesse islamique révolutionnaire), qui s'est déjà livrée à des attentats sur le territoire kényan, notamment au centre commercial de Westgate, à Nairobi, en septembre 2013 (2). Cette interprétation est rapidement confirmée par les Chabab eux-mêmes : sur Twitter, ils revendiquent les massacres dès le 16 juin. Leur motivation serait de venger l'imam radical Cheikh Aboubakar Sharif Ahmed — plus connu sous son surnom de Makaburi —, tué le 1er avril 2014 à Mombasa, très probablement par des membres des services de sécurité kényans.

Mais les choses se compliquent lorsque, ce même 16 juin, le ministre de l'intérieur Joseph Ole Lenku affirme que les membres du commando ont été « invités » et même aidés par « certains acteurs politiques kényans », qui doivent « cesser d'inciter à la division ». Bien qu'il n'ait pas été nommément visé, M. Raila Odinga, ancien premier ministre et dirigeant du parti d'opposition Coalition for Reforms and Democracy (CORD), proteste aussitôt de son innocence. Le lendemain, le président Uhuru Kenyatta lui-même descend dans l'arène : il déclare que les raids n'ont pas été effectués par des Chabab et qu'il ne tolérera pas « les actes de haine, la propagande négative de politiciens prêts à tout ».

S'étant rendu sur les lieux des exactions, M. Lenku essuie les huées de la population. Il échappe de peu au lynchage, ne devant son salut qu'à la présence du député et sulfureux millionnaire Gédéon Mbuvi Kioko, plus connu sous le nom de « Sonko » (3), qui l'aide à regagner in extremis son hélicoptère. Dans ce climat survolté, M. Odinga annonce qu'il ne cédera pas à l'intimidation et qu'il maintient sa tournée de réunions politiques d'opposition au gouvernement. Il faut dire que les arguments de tribune ne manquent pas : élu le 4 mars 2013, le président Kenyatta est poursuivi par la Cour pénale internationale pour sa responsabilité dans les violences qui ont fait plus d'un millier de morts après l'élection présidentielle de 2007 (4).

Inquiets, les étrangers quittent le pays par milliers. Le tourisme, troisième source de revenus en devises du Kenya (environ 13 % de son produit intérieur brut), se trouve menacé par l'effondrement des réservations hôtelières et l'abandon des circuits proposés par les voyagistes. La puissante organisation patronale Kenya Private Sector Alliance (Kepsa) lance alors un appel au calme par voie de presse. Elle obtient de M. Odinga qu'il annule certains de ses meetings les plus susceptibles de dégénérer en échauffourées.

Le paradis touristique kényan a pris feu. Depuis le début de l'année 2014, on dénombre des dizaines de morts et une centaine de blessés sur la côte. Ces événements relèvent-ils du terrorisme islamiste international ou ont-ils des racines locales que les protagonistes chercheraient à enchevêtrer ? Et que penser du fait qu'ils s'inscrivent dans une série d'actes de violence mettant aux prises, dans une grande confusion, chrétiens et musulmans, habitants de la côte et des hautes terres, populations choyées et délaissées ?

Pour comprendre la situation, il faut remonter aux campagnes d'expropriation foncière menées par les colonisateurs britanniques avant la première guerre mondiale. Londres conçoit alors le Kenya comme une colonie de peuplement : white man's country (« un pays pour l'homme blanc »), selon l'expression de l'époque. De vastes surfaces sont volées aux indigènes, surtout aux Masaïs et aux Kalenjins, mais aussi aux Kikuyus. Au milieu des années 1950, ces derniers prennent la tête de la lutte contre l'occupant en s'identifiant à l'insurrection mau-mau. Bien que kikuyu, le militant anticolonialiste Jomo Kenyatta garde ses distances vis-à-vis de cette guérilla sévèrement réprimée par les Britanniques (5). Devenu premier ministre en 1963, puis président l'année suivante, le « père de l'indépendance » veut corriger son erreur politique en faisant pencher en faveur des Kikuyus le programme de réforme foncière financé par Londres. Kenyatta s'arrange pour attribuer à sa tribu une part considérable des trois cent mille hectares des meilleures terres agricoles redistribuées, aux dépens des autres groupes. Les Kikuyus, qui ne représentent que 23 % de la population, commencent à détenir d'immenses surfaces agricoles. Ceux d'entre eux qui jouent un rôle important au sein de la Kenya African National Union (KANU), le parti de Kenyatta, se voient encore plus favorisés (6).

Cette domination socioethnique ne se limite pas au plateau central ; elle s'étend peu à peu à d'autres régions. Sur la côte, le développement progressif du tourisme permet aux Kikuyus et à leurs « alliés » de prospérer. Les tribus cousines Embu et Meru deviennent un groupe de pression politico-économique puissant. L'argent acquis dans l'agriculture finance la construction et le tourisme. Dans le courant des années 1970, ces populations s'approprient la côte, spoliant les Swahilis de terres sur lesquelles ils ne détiennent aucun titre de propriété formel, les formes traditionnelles d'occupation des sols étant collectives, liées à la famille et aux clans. A la mort de Kenyatta, en 1978, la domination des Kikuyus sur l'économie et les institutions est quasi totale.

Elle connaît ensuite une éclipse : le successeur de Kenyatta, son vice-président Daniel Arap Moi, est un Kalenjin qui a su avancer dans l'ombre du « père de l'indépendance ». Pendant son long règne (1978-2002), les Kikuyus, qui l'ont d'abord cru timide et contrôlable, se retrouvent marginalisés par une alliance des tribus minoritaires. Moi se révèle habile manipulateur.

Les Kikuyus se taillent la part du lion

Trop grande pour être anéantie, la puissance kikuyue trouve toutefois un second souffle lors de l'instauration du multipartisme, en 2002. La fin du monopole politique de la KANU fait éclater l'électorat en une multitude de clivages ethniques dont les Kikuyus, à la fois nombreux, soudés et riches, tirent avantage. Le premier successeur du président Moi, M. Mwai Kibaki, élu en 2002 avec 62 % des voix, appartient à cette ethnie. Saluée comme un triomphe de la démocratie, l'élection comporte des zones d'ombre. Certes, le monopole du parti unique est démantelé ; le scrutin se déroule librement et dans la paix. M. Kibaki accède à la présidence grâce à un mouvement d'unité nationale, ce qui contraste avec un quart de siècle de dictature. M. Odinga, un influent Luo, contribue largement à sa victoire. Le mandat attribué au président est clair : pour réparer les dégâts causés par la corruption de l'ère Moi, M. Kibaki doit organiser le redressement économique. Il s'y emploie à grands coups de mesures keynésiennes. Les résultats seront au rendez-vous : la croissance passe de — 1,6% en 2002 à 5,5% en 2007.

Mais les statistiques économiques ne racontent qu'une partie de l'histoire. Les bénéfices de cette prospérité s'avèrent inéquitablement répartis : les élites kikuyues se taillent la part du lion. Les forces politiques qui sortent victorieuses n'ont « rien appris ni rien oublié », selon la formule employée lors du retour au pouvoir de l'aristocratie française en 1815. L'élite kikuyue, qui avait courbé l'échine sous les assauts de certaines ethnies minoritaires, reprend sa place et n'entend plus la quitter. Le danger pour elle vient désormais des deux autres grandes ethnies : les Luhyias et les Luos (7).

Pour les petites ethnies exclues du banquet, la « démocratie » ne change pas beaucoup de la dictature. Les Swahilis de la côte voient notamment les effets du « redressement » se déployer sous leurs yeux sans qu'ils en reçoivent leur part. Pis, de nouveaux dysfonctionnements apparaissent : une nette recrudescence de la petite criminalité urbaine, une exaspération des rivalités de classe au sein des segments les plus défavorisés de la population, avec la croissance exponentielle de la secte néotraditionaliste kikuyue des Mungiki (8). En même temps, les conflits se multiplient entre groupes minoritaires, comme dans l'Ouest au pied du mont Elgon et en pays kisii, mettant aux prises des milices tribales improvisées. Celles-ci se battent avec les armes des pauvres (arcs et flèches, machettes) pour récupérer leurs terres ancestrales volées par les Blancs puis données aux Kikuyus.

L'instauration de la démocratie en 2002 n'a pas redressé trois quarts de siècle d'injustices. Une fois la déception consommée, les perdants s'affrontent. Le scrutin présidentiel de décembre 2007 porte ce processus à incandescence lors des violences postélectorales. La guerre civile est évitée de justesse, en partie grâce à la très habile médiation de l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, et plus encore grâce à la « collaboration de classe » entre les segments blanc, indien et africain pluriethnique de la bourgeoisie.

Culturellement homogène — musulmane, commerçante, swahilie, historiquement distincte —, la côte est globalement victime de l'accaparement des terres réalisé par les tribus chrétiennes de l'intérieur. Les côtiers n'avaient joué qu'un rôle limité dans les luttes politiques de l'ère Moi. La situation commence à changer avec la montée internationale de l'islam radical et surtout avec l'effondrement de la dictature du président Siad Barre dans la Somalie voisine, en 1991. Le premier mouvement musulman radical sur la côte kényane apparaît en 1992, avec la création de l'Islamic Party of Kenya (IPK), dirigé par un imam swahili, le Cheikh Khalid Balala. L'IPK est un parti d'inspiration mixte : musulman radical, mais aussi réincarnation de la Kenya African Democratic Union (KADU), parti fédéraliste créé au lendemain de l'indépendance puis absorbé par la KANU. Il utilise l'islam comme un marqueur culturel régional pour se défendre contre l'« invasion » des tribus de l'intérieur et leur domination politique, économique et ethnique.

Si le président Moi et l'IPK s'opposent, le terrorisme n'entre vraiment en jeu qu'avec les attentats contre les ambassades américaines de Nairobi et de Dar es-Salaam en 1998, perpétrés par la toute jeune organisation Al-Qaida, laquelle bénéficie de l'aide logistique régionale de l'Union des tribunaux islamiques somaliens (9). Tandis que le mouvement des Chabab se radicalise en Somalie, les habitants de la côte optent pour des revendications non confessionnelles en créant le Republican Council de Mombasa (MRC). Le MRC n'a rien d'une organisation terroriste musulmane ; beaucoup de ses membres sont chrétiens. Son approche sociale, politique et économique l'amène à insister sur les points douloureux : 38 % seulement de la population côtière dispose de titres de propriété pour les biens qu'elle possède, alors que c'est le cas pour 62 % des gens de l'intérieur ; le taux de pauvreté des côtiers est de 13 % supérieur à celui du reste du pays (38%), alors que le seuil de pauvreté kényan est déjà très bas (456 dollars par an), compte tenu d'un revenu moyen par tête de 890 dollars (1 200 dollars en parité de pouvoir d'achat) ; et la situation ne cesse de se détériorer. Cela fait de la côte la deuxième province la plus pauvre du Kenya, après le Nord-Est, à majorité somalie, donc également musulman.

Le MRC réclame l'indépendance de la province de la côte du Kenya, avec pour slogan Pwani si Kenya (« La côte n'est pas le Kenya »). Son demi-échec politique aboutit à la radicalisation de son électorat, qui commence à dériver vers la constitution d'une branche locale des Chabab somaliens : Al-Hijrah. La première manifestation de cette fusion légalo-terroriste est l'attentat de Westgate en 2013, dont la logistique est en partie assurée par Al-Hijrah. Le massacre du centre commercial déclenche une réaction violente et désastreuse de l'Etat : sous prétexte de lutte contre le terrorisme, l'opération de « sécurité » Usalama Watch permet à l'armée et à la police de piller Eastleigh, le quartier somali de Nairobi. Les forces de l'ordre fracturent les portes, volant l'argent liquide (les Somalis n'aiment pas les banques et conservent leurs fonds chez eux) et violant des femmes de tous âges. M. Lenku, le ministre de l'intérieur, cautionne l'opération et retire même la citoyenneté kényane à de nombreux Somalis.

Devenus réfugiés, ceux-ci sont relégués dans des camps près de la frontière. En état de choc, la communauté somalie kényane se tourne alors vers les « terroristes » chabab dont elle se méfiait auparavant. Une partie du MRC prend contact avec les djihadistes somaliens et découvre avec surprise que certains de ses proches appartiennent déjà à Al-Hijrah, se montrant tout disposés à collaborer avec eux. En quelques semaines, l'opération Usalama Watch a donc cimenté une coopération entre certains des autonomistes côtiers jusqu'alors non violents et la frange la plus radicale du mouvement somalien.

« Nous ne sommes pas des soldats »

Choisir Mpeketoni comme cible s'explique de plusieurs manières : d'une part, il s'agit depuis 1965 d'un lieu d'implantation des populations originaires du haut plateau, et donc d'un symbole de la domination wachenzi (« sauvages », terme péjoratif désignant les gens de l'intérieur) ; d'autre part, le site doit accueillir pour le projet de port à Lamu des travailleurs provenant là aussi de l'intérieur, privant une fois de plus les côtiers de possibilités d'emploi.

« Que voulez-vous, nous dit un vieux militant du MRC, nous autres Swahilis sommes des commerçants, pas des soldats. Si les Somaliens veulent venir tuer les wachenzi pour nous, nous les aiderons, même si au fond nous ne sommes pas d'accord avec eux (10). »

L'explosion de violence sur la côte a donc plusieurs dimensions. Non, le « terrorisme côtier » n'est pas exclusivement l'œuvre des Chabab somaliens. Il n'est pas non plus le produit d'un plan subversif de l'opposition kényane, laquelle, tout comme le gouvernement du président Kenyatta, compte des tribus des hautes terres. Quant à la haine des wachenzi chez les côtiers, elle ne se limite pas aux Kikuyus. Lors d'une nouvelle attaque, le 21 juillet à Mombasa, où ils ont tué quatre personnes, les assaillants ont distribué des tracts mettant en cause non pas le gouvernement mais les Luos, ethnie de M.Odinga, le chef de l'opposition. Les Luos, tout comme les Kikuyus, sont chrétiens et originaires de l'intérieur, même s'ils n'ont pas tiré le même bénéfice de leur migration vers la côte, faute d'appuis politiques gouvernementaux.

On assiste en définitive à un affrontement à la fois culturel et économique, où la religion ne constitue qu'un marqueur de différenciation entre côtiers (musulmans) et gens de l'intérieur (chrétiens) (11). Si les terroristes somaliens existent, ils sont surtout utiles pour masquer les fractures qui traversent le Kenya.

(1) Lire Tristan Coloma, « En attendant le port qui doit sauver le Kenya... », Le Monde diplomatique, avril 2013.

(2) Lire « Terrorisme somalien, malaise kényan », Le Monde diplomatique novembre 2013.

(3) « Sonko » (« le Friqué » en sheng, le dialecte « branché » kényan) a connu la prison après avoir fait fortune dans la drogue et les spéculations foncières. Après son évasion, il est élu député du district populaire de Makadara à Nairobi en 2010, sous les couleurs du parti gouvernemental Jubilee.

(4) Lire Francesca Maria Benvenuto, « La Cour pénale internationale en accusation », Le Monde diplomatique, novembre 2013.

(5) Cf. Robert Buijtenhuijs, Le Mouvement « Mau- Mau ». Une révolte paysanne et anticolonialiste en Afrique noire, Mouton, La Haye, 1971.

(6) Cf. Christopher Leo, Land and Class in Kenya, Presses de l'université de Toronto, 1984.

(7) Bien qu'on dénombre quarante-deux ethnies au Kenya, les trois principales (Kikuyus, Luos et Luhyias) représentent 65 % de la population.

(8) Lire Jean-Christophe Servant, « Affrontements très politiques au Kenya », Le Monde diplomatique, février 2008.

(9) Lire « Liaisons dangereuses de Washington en Somalie », Le Monde diplomatique, septembre 2006.

(10) Entretien réalisé à Mombasa le 17 juin 2014.

(11) Le succès de l'intervention de « Sonko » volant au secours du ministre Lenku sur le point d'être lynché en est un bon exemple. Si tous deux sont chrétiens, le « voyou » Sonko est bien connu pour avoir fait libérer des côtiers injustement arrêtés et pour avoir mis la main à la poche afin d'aider de jeunes musulmans sans travail. En outre, ni lui ni le ministre ne sont kikuyus.

Émiettement

Wed, 24/05/2017 - 17:16

Au début des années 1920, Buckingham Palace règne sur un quart des terres émergées du globe et une part similaire de la population mondiale. Jamais, dans l'histoire de l'humanité, un empire n'avait atteint de telles proportions. Cinquante ans plus tard, la Couronne a perdu la quasi-totalité de ses colonies et n'administre plus la vie que de trois habitants de la planète sur deux cents.

Depuis quelque temps, de nouvelles fractures apparaissent. À la suite du référendum de 2016, qui a décidé la sortie de l'Union européenne, deux consultations populaires menacent l'intégrité territoriale du royaume : celle que souhaite organiser la première ministre écossaise Nicola Sturgeon, en faveur de l'indépendance ; celle que réclame le principal parti nationaliste d'Irlande du Nord, le Sinn Féin, en vue d'une réunification de l'île d'Émeraude. Europhile militante, la ville de Londres envisage également de rompre les ponts. La capitale génère près de 25 % du produit intérieur brut (PIB) : par importance, elle « deviendrait le quinzième membre de l'Union européenne, devant l'Autriche, le Danemark et l'Irlande », calcule le dirigeant travailliste Peter John, convaincu que le Brexit a rendu la question de l'autonomie londonienne « légitime » (Southwark News, 24 juin 2016).

Les médias célébraient hier le pays comme l'incarnation de la mondialisation heureuse et du multiculturalisme. Ils déplorent désormais sa métamorphose en symbole du « repli nationaliste ». Comment expliquer une telle évolution ? Peut-être par le fait que le paradoxe n'en est pas tout à fait un.

Souvent identifiés comme des nations, l'Angleterre, l'Écosse, le Pays de Galles et l'Irlande du Nord sont en fait des pays à part entière, mais ne revendiquant (jusqu'à présent) de souveraineté qu'au titre de leur union. La cohésion de ces populations a longtemps reposé sur quatre principaux facteurs : la coercition, la promesse de prospérité, l'aura de la famille royale et une conception multiculturaliste de la société.

Coercition ? Dans son ouvrage Britain's Empire (1), l'historien Richard Gott documente la sauvagerie d'une Couronne déterminée à asseoir sa domination coloniale. La violence n'a pas disparu, mais la démocratie libérale s'accommode désormais moins facilement de l'expression de ses formes traditionnelles.

Prospérité ? Comme ailleurs dans le monde, la crise de 2008 a brisé les rêves britanniques d'opulence. Après avoir nommé un gouvernement dans lequel siégeaient vingt-trois millionnaires (sur un total de vingt-neuf ministres), l'ancien premier ministre conservateur David Cameron a expliqué que l'austérité n'était pas une étape, mais un nouveau « mode de vie ». Il ne mentait pas : en dépit de la baisse du chômage, les salariés britanniques enregistrent la pire régression de leurs rémunérations depuis l'époque victorienne.

Ferveur monarchique ? Toujours considérable, comme en témoignent les grandes cérémonies qui rythment la vie de la famille royale, le prestige de la Couronne se resserre progressivement sur l'Angleterre (à laquelle la reine est d'ailleurs exclusivement associée en langue française). Et le dirigeant travailliste Jeremy Corbyn ne dissimule pas son ambition d'en finir avec la monarchie.

Restait donc le multiculturalisme, dont le New Labour de l'ancien premier ministre Anthony Blair (1997-2007) s'était fait l'un des hérauts. L'ambition affichée du projet ? Célébrer la diversité culturelle au sein d'une même population. Dans les faits, il renvoie chaque citoyen à sa « différence » (religieuse, ethnique, sexuelle…) pour mieux le noyer dans les eaux glacées et indifférenciées du marché. Qu'ils soient sikhs ou protestants, homosexuels ou hétérosexuels, blancs ou noirs, la quasi-totalité des Britanniques font leurs courses dans les mêmes supermarchés, regardent les mêmes émissions et vivent les mêmes vies. Dans un article de 1993, l'intellectuel américain David Rieff interrogeait : « Les multiculturalistes n'ont-ils pas remarqué que leurs slogans préférés — “diversité culturelle”, “différence”, “abolition des frontières” — ressemblent à ceux des grandes entreprises : “diversification des produits”, “marché global” et “entreprise sans frontières” (2)  ? » Dans cette vision du monde, les classes sont escamotées. Elles n'ont pas disparu pour autant, comme l'ont démontré les résultats lors du vote sur le Brexit : plus on était riche, plus on se proclamait attaché à l'Union européenne.

La remise en cause du binôme néolibéralisme-multiculturalisme s'accompagne d'un regain de ferveur pour le concept de nation, voire d'identité — une évolution qui menace à nouveau l'intégrité territoriale du royaume. Elle se caractérise également par un retour de la question sociale, que le New Labour s'était employé à noyer sous la promotion des « différences ». Le premier de ces deux mouvements souffle actuellement dans les voiles des populistes de droite. La gauche saura-t-elle profiter du second pour avancer sa propre définition du Brexit ?

(1) Richard Gott, Britain's Empire : Resistance, Repression and Revolt, Verso, Londres, 2011.

(2) Cité par Russell Jacoby, « The myth of multiculturalism », New Left Review, Londres, novembre-décembre 1994.

Royaume-Uni, de l'Empire au Brexit

Wed, 24/05/2017 - 17:16

Numéro coordonné par Renaud Lambert & Bernard Cassen

Édition : Olivier Pironet

Conception graphique : Nina Hlacer

Émiettement
Renaud Lambert

I. Un empire se délite

De la volaille cuite dans un four tandoor accompagnée d'une sauce à base d'épices exotiques : la recette du poulet « tikka massala » évoque davantage le Gange que la Tamise. Il s'agirait pourtant du véritable plat national britannique, selon l'ancien dirigeant travailliste Robin Cook. Gastronomie, visages, cultures mais également conflits : l'Empire continue à déterminer le quotidien des Britanniques, longtemps après sa disparition.

À Glasgow, apartheid social et cappuccinos
Julien Brygo

Un royaume écartelé
Brigitte Friang

Les ambitions du nationalisme écossais
Keith Dixon

Liverpool, reflet du déclin
François Poirier

« L'esprit de Dunkerque », quand l'élite cède...

Le feu couve en Irlande
B. F.

Une paix fragile à Belfast
Cédric Gouverneur

II. Un royaume dans le monde

« Aucun homme n'est une île », écrivait le poète anglais John Donne (1572-1631). De tout temps, son pays natal a déjoué sa propre insularité. Première puissance coloniale au début du XXe siècle, partenaire privilégié des États-Unis après la seconde guerre mondiale, membre influent de l'Union européenne, dont il a participé à forger le credo libéral, le Royaume-Uni s'apprête — Brexit oblige — à repenser son insertion dans l'ordre international.

Vers l'Europe, à reculons
Françoise de La Serre

Le prix de la Carpette anglaise

Sainte alliance Londres-Washington
K. D.

« The Sun », gazette des girouettes ?
Adrien Piquera

L'Europe minimale de la Dame de fer
Bernard Cassen

Brexit, les raisons de la colère
Paul Mason

Quand la gauche travailliste dénonçait Bruxelles
Anthony Benn

Cinq yeux, une seule langue
B. C.

Offensive contre les immigrés…
Owen Jones

III. Les trois vies d'un laboratoire

Par trois fois au cours des quarante dernières années, les Britanniques ont fait figure de pionniers en Europe. En transformant leur pays en laboratoire du néolibéralisme occidental à la suite de l'élection de Margaret Thatcher, en 1979. En inaugurant la mutation « sociale-libérale » des forces anciennement progressistes, sous l'égide de M. Anthony Blair, élu en 1997. Puis en ouvrant la perspective d'une refondation de la gauche, avec l'élection de M. Jeremy Corbyn à la tête du Labour, en 2015.

Le Labour choisit les classes moyennes
Seumas Milne

Le thatchérisme à l'assaut des consciences
B. C.

Les pauvres chassés des stades
Olivier Pironet

« Eh ! Blair, tu vas bien, mec ? »
Richard Gott

L'ordre moral contre la « racaille »
O. J.

Le vent nouveau de la Big Society
David Cameron

Quand un juge étrille les médias

La fin d'un « modèle »
R. L.

Haro sur Jeremy Corbyn
Alex Nunns

Faites qu'il s'en aille !
Pierre Rimbert

Iconographie

Ce numéro est accompagné de photographies de Stéphane Duroy (agence Vu) et d'Ed Alcock.

Extraits

L'internationale de la Couronne
A. P.

Churchill et l'Empire
François Kersaudy

Anarcho-syndicalistes moyenâgeux
Monty Python

« Inglan Is a Bitch »
Linton Kwesi Johnson

« What is Brexit ?
Foil Arms and Hog

Questions pour un communiste
Monty Python

De Gaulle dit « non ! »

« The Guns of Brixton »
The Clash

Des États-Unis d'Europe
Winston Churchill

Quatre self-made-men se souviennent
Monty Python

Entre gentlemen…
Peter Oborne

« Which Side Are You on ? »
Billy Bragg

« La société n'existe pas »
Margaret Thatcher

Cartographie

Cécile Marin

Poussières d'empire

L'Europe ? « Yes… but no » (avec A. P.)

Le grand plongeon

Documentation

Olivier Pironet

Chronologies

Par-delà les mers
« Dehors, dedans, dehors... »
À droite toute !

Bibliographies

Sur la Toile

Dates de parution des articles

• Julien Brygo, « Vivre riche dans une ville de pauvres », août 2010.
• Brigitte Friang, « Le Royaume-Uni se transformera-t-il en Commonwealth de groupes ethniques ? » (extrait), janvier 1969.
• Keith Dixon, « Les ambitions du nationalisme écossais », septembre 2014.
• François Poirier, « Liverpool : reflets du déclin de l'Empire britannique », mars 1987.
• Brigitte Friang, « Le Royaume-Uni se transformera-t-il en Commonwealth de groupes ethniques ? » (extrait), janvier 1969.
• Cédric Gouverneur, « Paix introuvable en Irlande du Nord », avril 2001.

• Françoise de La Serre, « L'Europe avec les Anglais ? », mars 1978.
• « Le prix de la Carpette anglaise », Manière de voir, « La bataille des langues », n° 97, février-mars 2008.
• Keith Dixon, « Sainte alliance Londres-Washington », septembre 2004.
• Bernard Cassen, « L'Europe minimale de Margaret Thatcher », juin 1989.
• Paul Mason, « “Brexit ”, les raisons de la colère », août 2016.
• Owen Jones, « Colère sociale, vote à droite », octobre 2014.

• Seumas Milne, « Réformisme camouflé en Grande-Bretagne », décembre 1998.
• Bernard Cassen, « Le “thatchérisme” à la conquête des esprits », juin 1983.
• Olivier Pironet, « Les pauvres chassés des stades » (inédit).
• Richard Gott, « Départ sans gloire pour M. Anthony Blair », juin 2007.
• Owen Jones, « L'ordre moral britannique contre la “racaille” », septembre 2011.
• « Ce rapport qui accable les médias britanniques », janvier 2013.
• Renaud Lambert, « Élections britanniques, la fin d'un “modèle” », La valise diplomatique, 3 mai 2010.
• Alex Nunns, « Jeremy Corbyn, l'homme à abattre », octobre 2015.
• Pierre Rimbert, « Faites qu'il s'en aille ! », septembre 2016.

153

Une préoccupation récente

Tue, 23/05/2017 - 13:31

Longtemps les traités européens, essentiellement économiques, abordaient peu les questions politiques ou les libertés fondamentales. Le traité de Rome, en 1957, ne fixait aucune condition pour l'entrée de nouveaux membres dans la Communauté économique européenne (CEE) — pas même la nécessité d'être une démocratie. C'est avec l'adhésion d'anciennes dictatures (Grèce, Espagne et Portugal), dans les années 1980, mais surtout avec l'explosion du bloc soviétique et le traumatisme provoqué par les guerres en ex-Yougoslavie, que la Communauté européenne a commencé à s'intéresser à ces enjeux.

Le traité d'Amsterdam, signé en 1997, puis celui de Lisbonne, en décembre 2007, instaurent une procédure de sanction (article 7 du traité de Lisbonne) à l'encontre de tout État membre qui violerait les « valeurs fondamentales » de l'Union, valeurs « de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités » (article 2 du traité sur l'Union européenne). Le pays contrevenant peut voir suspendre ses droits de vote au sein des institutions.

En février 2017, la Commission a informellement consulté les États membres sur l'utilisation de l'article 7 contre la Pologne. Sa démarche s'est heurtée à l'hostilité de la Hongrie, dont le premier ministre Viktor Orbán affiche sa solidarité avec Varsovie. Jamais appliqué jusqu'à présent, l'article 7 (qui exige l'unanimité) a été complété en 2013 par un « mécanisme pour l'État de droit » qui permet à la Commission d'admonester les gouvernements contrevenants. Certains députés européens réclament désormais un pacte européen pour l'État de droit et les droits fondamentaux, afin de renforcer les pouvoirs de coercition de Bruxelles (1).

(1) C'est le cas de la députée centriste Nathalie Griesbeck, www.nathalie-griesbeck.fr

Glossaire

Tue, 23/05/2017 - 11:42

On trouvera dans ce glossaire les définitions des termes marqués d'un astérisque dans les pages du manuel ou dans une autre définition. Cette liste de mots classée par ordre alphabétique peut également être utilisée comme un index. Avant chaque définition, sont mentionnés les articles qui traitent de cette notion.

Accords de Bretton Woods

Voir « Géopolitique des taux de change »

Conclus le 22 juillet 1944 entre les quarante-quatre pays alors membres de l'Organisation des Nations unies, ces accords ont jeté les bases du système monétaire international à tauxde change fixes, notamment à travers la création du Fonds monétaire international (FMI*) et de la Banque mondiale. Ils ont pris fin en 1971.

Actif

Voir « Marier finance et islam », « Et si on fermait la Bourse… »

Tout élément du patrimoine ayant une valeur économique ; on distingue les actifs monétaires (la monnaie est le plus liquide* et le moins risqué des actifs), les actifs financiers – qui regroupent les titres de propriété (actions*), les titres de créance (obligations*) et les produits dérivés* (swaps, contrats futurs, options) – et enfin les actifs réels (bâtiments, machines, stocks).

Action

Voir « Les mille et une justifications du profit », « « Rien ne se crée, tout se prête » », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige », « Et si on fermait la Bourse… »

Titre de propriété représentant une fraction du capital d'une entreprise. Il confère à son détenteur (l'actionnaire) le droit à un revenu variable (dividende) en fonction du résultat annuel et, théoriquement, le droit de voter lors de l'assemblée générale des actionnaires de l'entreprise. Certaines actions sont cotées en Bourse.

Agrégat

Grandeur synthétique mesurant le résultat de l'activité économique : production, consommation, épargne, demande, etc.

Avantages comparatifs

Voir « Le protectionnisme n'est pas l'autarcie »

Théorie développée par David Ricardo (1772-1823) selon laquelle chaque nation a intérêt à se spécialiser dans la production pour laquelle elle est plus efficace que les autres.

Balance commerciale (ou solde commercial)

Voir « L'introuvable New Deal européen », « Étrange “maladie hollandaise” », « 1981, l'occasion ratée », « Le Brésil secoué par les investisseurs »

Différence entre la valeur des exportations et celle des importations de biens. La balance commerciale de la France est déficitaire depuis 2004, tandis que celle de l'Allemagne est excédentaire depuis 1993, notamment en raison de sa politique de compression des salaires, qui rend ses biens plus compétitifs. Contrairement à une croyance répandue, un déficit commercial n'est pas forcément un problème. Pour un pays dont la croissance est plus rapide que celle des autres, il s'agit même d'un indicateur de bonne santé économique : quand une économie devient plus riche, les gens ont tendance à importer plus de produits étrangers. Inversement, dans un pays en crise, comme l'Espagne actuellement, les importations chutent à cause de la perte de pouvoir d'achat de la population, rendant la balance commerciale excédentaire. Pour autant, l'économie espagnole, dont le taux de chômage (21 %en 2016) est le plus élevé de l'Union européenne après celui de la Grèce, est extrêmement fragile.

Balance des paiements

Document comptable annuel qui enregistre l'ensemble des transactions économiques et financières d'une économie avec le reste du monde. La balance est dite excédentaire quand le résultat des échanges (biens, services ou capitaux) se traduit par une entrée nette de devises dans les réserves de change des banques et de la banque centrale.

Balance des transactions courantes

Voir « De la monnaie unique à la monnaie commune », « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” »

À la différence de la balance commerciale, la balance des transactions courantes mesure la différence entre la valeur des exportations et celle des importations non seulement de biens mais également de services. Elle inclut par ailleurs les flux de revenus (intérêts et dividendes, par exemple) et les transferts de l'étranger (notamment l'aide étrangère), qui ne représentent en général qu'une faible proportion du total. On parle d'excédent courant lorsque le pays reçoit plus de l'étranger qu'il n'y dépense, et de déficit dans la situation opposée.

Banque

Voir « Ces experts dont les médias raffolent », « « Rien ne se crée, tout se prête » », « Le grand meccano de la création monétaire », « Comment a été inventée la carte de crédit », « Marier finance et islam »

Institution financière détenant le pouvoir de création monétaire sous sa forme scripturale. On distingue les banquesde dépôt (ou de détail), ayant pour fonction principale de gérerles moyens de paiement, de réceptionner les dépôts du public et d'accorder des crédits aux ménages et aux entreprises, desbanques d'investissement, qui effectuent des opérations pourle compte des grands groupes sur les marchés financiers (fusions-acquisitions, introductions en Bourse, emprunts obligataires, etc.). En pratique, depuis les années 1980, les deuxactivités voisinent au sein de banques dites « universelles ».

Banque centrale

Voir « « Rien ne se crée, tout se prête » », « À quoi sert la monnaie ? », « “Le grand meccano de la création monétaire” », « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? », « De la monnaie unique à la monnaie commune »

Institution financière publique détenant le monopole de l'émission de la monnaie fiduciaire*, qui assure la fonction de prêteur en dernier ressort et conduit la politique monétaire*, notamment en agissant sur la quantité de monnaie en circulation et en décidant du taux d'intérêt directeur appliqué aux banques commerciales dites « de second rang ». L'existence d'un prêteur en dernier ressort en cas de menace de faillite a l'inconvénient d'inciter les banques à prendre de gros risques sur les marchés financiers. On parle alors d'aléa moral.

Banque centrale européenne (BCE)

Voir « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? », « De la monnaie unique à la monnaie commune »

Fondée en 1998 par le traité de Maastricht, la Banque centrale européenne, dont le siège est à Francfort, est chargée de la gestion de la monnaie unique européenne, l'euro. Elle est composée de deux organes exécutifs : un directoire de six membres nommés par le Conseil européen et un conseil des gouverneurs composé des membres du directoire et des gouverneurs des banques centrales nationales. Officiellement, la BCE est indépendante du pouvoir politique. Son seul objectif étant le maintien de la stabilité des prix, elle ne se soucie ni de croissance (contrairement à la banque centrale américaine, la Réserve fédérale) ni d'emploi. Depuis 2009, la BCE mène toutefois des politiques dites « non conventionnelles » : des mesures qu'elle se serait interdites avant la crise financière, mais qu'elle met désormais en œuvre sans modification de ses statuts (comme par exemple le quantitative easing*). Début 2016, la BCE rachetait ainsi jusqu'à 80 milliards d'euros d'actifs par mois ; et, à titre exceptionnel, elle rachète les obligations d'entreprise.

Bons du Trésor

Voir « Victimes consentantes des marchés »

Titres émis par l'État pour financer sa dette. Le détenteur de bons du Trésor reçoit chaque année des intérêts avant d'être remboursé du capital prêté à la fin d'une période déterminée (de quelques mois à trente ans). Ces bons sont soit négociables (titres revendables avant l'échéance, dont le prix varie sur les marchés financiers) soit non négociables. Dans la grande majorité des cas, les bons du Trésor sont des placements sûrs (il est exclu que le Trésor public fasse faillite) et liquides (on peut les revendre très facilement). L'un des plus célèbres emprunts d'État fut l'« emprunt Giscard », du nom du ministre des finances d'alors, qui était indexé sur l'or. Pour 6 milliards de francs empruntés en 1973, l'État aura au total remboursé, en 1988, quasiment quinze fois ce montant.

Bourse des valeurs

Voir « Victimes consentantes des marchés », « « Leveraged buyout » : acheter sans rien dépenser (ou presque) », « Et si on fermait la Bourse… »

Marché sur lequel se négocient les valeurs mobilières (actions*, obligations*, options, etc.). On distingue le marché primaire, où les entreprises et les États émettent des titres pour se financer, du marché secondaire, sur lequel s'échangent des titres déjà émis.

Les entreprises du CAC 40 ont dégagé en 2015 des profits cumulés de 55,21 milliards d'euros, contre 47,3 milliards en 2009 après la crise.

Bulle

Voir « « Grâce aux BRICS, un monde multipolaire » », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige », « « Leveraged buyout » : acheter sans rien dépenser (ou presque) »

Une bulle se forme sur un marché lorsqu'un afflux de liquidités pousse à la hausse les prix des actifs* qui y sont cotés. Dans l'euphorie créée par ce mouvement, les opérateurs achètent pour revendre rapidement. Les plus-values* retirées de la vente renforcent alors l'optimisme ambiant. Si les comportements spéculatifs se répandent suffisamment pour déconnecter les prix des fondamentaux*, on parle de « bulle spéculative » (voir « spéculation »*).

CAC 40

Voir « Ces experts dont les médias raffolent », « Niches, fraude, paradis fiscaux : de l'ardoise au coup d'éponge », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Principal indice de la Bourse de Paris. Il est calculé en continu (CAC signifie « cotation assistée en continu »). Cet indice est composé de quarante valeurs sélectionnées parmi les plus actives des cent premières capitalisations boursières* de la place de Paris. Le CAC 40 rassemble donc de très grandes entreprises (premier critère) dont les actions sont très recherchées (second critère).

Capital

Voir « Le Sud découvre qu'il est entravé, pas en retard », « La nature, nouvel eldorado marchand », « Pourquoi la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise », « Les mille et une justifications du profit », « Coopératives : destin d'une utopie », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige », « Marier finance et islam »

Le sens du terme varie en fonction des contextes et des théories économiques. 1. Le plus souvent synonyme de patrimoine, le capital d'un individu désigne un ensemble d'actifs réels et financiers qui sont sources de revenus (intérêt, profit, dividende, loyer…). 2. Le « capital social » d'une entreprise correspond à l'ensemble des apports des propriétaires (actions ou parts sociales). 3. Le capital est également un facteur de production* au même titre que le travail. 4. Dans la théorie marxiste, le capital n'est pas seulement l'ensemble des équipements productifs, c'est un rapport social. Appartenant à une classe sociale particulière, il n'est accumulé que grâce à l'exploitation de la force de travail des salariés, contraints de vendre leur force de travail pour vivre. Cette relation sociale inégale est reconnue comme telle par le droit du travail, selon lequel le contrat de travail constitue un lien de subordination.

Capitalisation boursière

Voir « Capital fictif : l'ivresse et le vertige »

Exprime, à une date donnée, la valeur que la Bourse attribue à une société. Elle s'obtient en multipliant le nombre de titres composant le capital d'une société par leur cours à la Bourse.

Capitaux propres (fonds propres)

Voir « Et si on fermait la Bourse… »

Ressources qu'une entreprise n'a pas besoin de rembourser sauf en cas de cessation d'activité, par opposition aux dettes contractées auprès des fournisseurs ou des banques, par exemple. Les capitaux propres peuvent être augmentés par les actionnaires lorsque ces derniers décident de mettre en réserve les bénéfices plutôt que de les redistribuer sous forme de dividendes.

« Carry trade » (opération de portage)

Voir « « Grâce aux BRICS, un monde multipolaire » », « Le Brésil secoué par les investisseurs »

Stratégie utilisée par les spéculateurs sur le marché des changes, consistant à emprunter des fonds dans une devise à taux d'intérêt faible pour les placer dans une autre devise à taux plus élevé.

Change

Voir « Géopolitique des taux de change », « De la monnaie unique à la monnaie commune », « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” », « Le Brésil secoué par les investisseurs »

Opération de conversion d'une monnaie en une autre. Depuis la fin du système de Bretton Woods* en 1971, les principales monnaies sont soumises à un régime de changes non plus fixe mais flottant : les monnaies s'apprécient ou se déprécient les unes par rapport aux autres en fonction des offres et des demandes sur le marché des changes. Ce marché est le premier en volume de transactions : il a été multiplié par plus de 500 entre 1970 et 2013, passant d'environ 10 milliards à 5 300 milliards de dollars par jour. En 2013, quatre banques (Deutsche Bank, Citigroup, Barclays et UBS) contrôlaient à elles seules 50 % du marché des changes. La plupart des opérations y sont de nature spéculative, ce qui explique l'instabilité chronique des taux de change.

Chômage

Voir « “Ce sont les entreprises qui créent l'emploi” », « Le travail, droit ou devoir ? », « Lutte contre le chômage : rustines et chausse-trapes »

Situation des individus sans emploi qui en recherchent un. Il existe deux mesures différentes du chômage en France. Chaque trimestre, l'Insee mesure le chômage dans le sens très restrictif où l'entend le Bureau international du travail (BIT) : sont comptabilisées les personnes qui recherchent activement un emploi, ne travaillent pas du tout et sont disponibles pour occuper un poste. Ainsi, selon cette définition, une personne qui travaille une heure par semaine n'est pas considérée comme étant au chômage… Le deuxième indicateur repose sur les chiffres mensuels de Pôle emploi, qui divise les demandeurs d'emploi en plusieurs catégories en fonction du nombre d'heures travaillées pendant le mois. Les pouvoirs publics ont tendance à communiquer sur la catégorie A, qui regroupe les chômeurs n'ayant pas travaillé une seule heure le mois précédent, soit celle qui se rapproche le plus de la définition de l'Insee. Les deux indicateurs sous-évaluent la réalité du chômage et du sous-emploi (dont les temps partiels subis) en France, puisqu'ils ne prennent pas en compte ceux qui sont trop découragés pour rechercher un emploi ou qui ont été rayés des listes. De nombreuses « femmes au foyer » sont par exemple en situation de chômage déguisé en raison de l'insuffisance des modes de garde des jeunes enfants.

Moins de la moitié des chômeurs perçoivent des indemnités.

Compétitivité

Voir « Repeindre le capitalisme en vert », « « Tous gagnants grâce au dialogue social ! » », « Les patrons ont-ils lu Marx ? », « Le grand marché transatlantique se fait justice lui-même », « Étrange « maladie hollandaise » », « De la monnaie unique à la monnaie commune », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Aptitude d'un pays ou d'une entreprise à faire face à la concurrence. Elle combine deux éléments : 1. la compétitivité-prix (capacité à proposer des produits à des prix inférieurs à ceux des concurrents) dépend du coût de production (coût de la main-d'œuvre, des matières premières, etc.), du taux de change et du coût du capital (les dividendes versés aux actionnaires) ; 2. la compétitivité structurelle ou hors prix (la qualité des produits, la capacité d'innovation, etc.). Les politiques néolibérales prétendant accroître la compétitivité ne connaissent qu'une seule variable : le « coût du travail ».

Consommations intermédiaires

Voir « La nature, nouvel eldorado marchand », « “L'État doit gérer en bon père de famille” »

Les biens et services qui sont détruits ou transformés lors du processus de production, tels que les matières premières, l'énergie, les services comptables.

Cotisation sociale

Voir « La cotisation, une ambition à ranimer »

Mutualisation d'une partie de la richesse produite dans les entreprises pour financer les retraites, la Sécurité sociale, l'assurance-chômage, etc.

Crise des « subprime »

Voir « Quand une banque distribue des médailles », « Comment a été inventée la carte de crédit »

Les subprime sont des crédits immobiliers accordés à partir de 2002 aux États-Unis à des ménages peu (ou pas) solvables. La crise éclate en 2007 lorsque ces ménages, dans l'incapacité de rembourser ces prêts, vendent en masse leurs maisons hypothéquées, entraînant l'effondrement du marché immobilier et l'éclatement de la bulle*. En septembre 2008, la crise des subprime dégénère en crise bancaire, les bilans des établissements financiers se révélant lestés de ces crédits toxiques ventilés aux quatre coins de la planète à travers la titrisation* dans des produits financiers sophistiqués. La banque Lehman Brothers fait faillite ; la panique gagne ; les banques cessent d'accorder du crédit. La crise financière se transforme alors en récession* économique.

Défaut

Voir « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? », « « L'État doit gérer en bon père de famille » »

Non-paiement par un débiteur, à une échéance donnée, du principal et/ou de l'intérêt de sa dette. Contrairement à une entreprise, un État ne peut pas faire faillite. Il fait défaut lorsqu'il annonce à ses créanciers qu'il ne peut les rembourser.

Déficit budgétaire

Voir « Gouverner par les nombres », « L'introuvable New Deal européen »

Situation dans laquelle les recettes de l'État sont inférieures à ses dépenses. À la différence du déficit public, il n'englobe pas le solde des autres administrations publiques (collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale, notamment).

Déficit courant

Voir « Balance des transactions courantes ».

Déficit public

Voir « Vertus oubliées de l'endettement »

Situation dans laquelle les recettes de l'État – solde des administrations publiques (collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale notamment) compris – sont inférieures à ses dépenses. Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance européen adopté en 1997, le déficit public de chaque pays ne doit pas dépasser 3 % du PIB*. Le déficit public primaire ne tient pas compte des charges d'intérêt liées au remboursement de la dette publique ni des revenus d'actifs financiers reçus. Il permet donc de mesurer les besoins de financement d'un État. Le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance en Europe, entré en vigueur en 2013, met en place des contraintes plus fortes encore, exigeant de ramener le déficit public structurel (c'est-à-dire corrigé des effets de la conjoncture) à 0,5 % du PIB.

Déflation

Voir « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? »

Baisse générale des prix et des salaires. La chute de l'activité, lorsqu'elle est brutale, peut provoquer une déflation en contraignant les entreprises à réduire leurs prix et les travailleurs à accepter des salaires plus bas (à cause de la montée du chômage, qui renforce la concurrence entre eux). La baisse des prix et des salaires renchérit la valeur réelle des dettes et, d'autre part, incite les agents économiques à différer leurs dépenses (pour profiter de la baisse des prix). Ce qui nourrit en retour l'affaiblissement de la demande, de l'activité, de l'emploi, etc. À ne pas confondre avec la désinflation, qui désigne un simple ralentissement de l'inflation.

Dépression

Voir « Récession ».

Dette publique

Voir « « L'État doit gérer en bon père de famille » », « Vertus oubliées de l'endettement », « Comment a été inventée la carte de crédit », « Victimes consentantes des marchés », « 1981, l'occasion ratée », « En Europe, la dette contre la démocratie », « Les faibles paient, les autres négocient »

L'ensemble des emprunts contractés par l'État, les entreprises publiques, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale. La dette publique résulte du financement des dépenses publiques par l'emprunt plutôt que par l'impôt. Dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance européen adopté en 1997, la dette publique de chaque pays ne doit pas dépasser 60 % du PIB*. La dette souveraine désigne la dette publique émise par les États sous forme d'obligations ou de titres équivalents. Une fois émis, ces titres s'échangent sur un marché, et leur valeur fluctue en fonction inverse des taux d'intérêt (plus les taux montent, plus le prix des obligations baisse). Les principaux détenteurs de titres de dettes souveraines sont les banques, les investisseurs internationaux (fonds de pension, assurances), les entreprises et les particuliers.

Les keynésiens ont pourtant démontré que, dans un contexte de récession, un déficit public permettait de stimuler l'économie, tandis qu'un excédent provoquait un effet de freinage.

Dévaluation

Voir « Géopolitique des taux de change », « 1981, l'occasion ratée », « En Europe, la dette contre la démocratie »

Réduction de la parité officielle d'une monnaie par rapport aux devises étrangères, décidée par les autorités monétaires dans le cadre d'un régime de changes* fixes. L'objectif d'une dévaluation dite compétitive est de réduire le déficit de la balance commerciale en diminuant le prix des produits exportés et en augmentant celui des produits importés. À ne pas confondre avec la dépréciation, qui correspond à la baisse du cours d'une devise sur le marché des changes en régime de changes flottants.

Devise

Voir « Géopolitique des taux de change », « De la monnaie unique à la monnaie commune », « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” »

Monnaie d'un pays ou d'une zone monétaire considérée dans ses rapports aux autres monnaies.

Droits de douane

Voir « Tarifs douaniers »

Économétrie

Voir « « Les chiffres sont formels » », « Un foisonnement d'écoles de pensée »

Méthode consistant à traiter, par des outils mathématiques et statistiques, des données d'observation afin d'en déduire des « lois » économiques.

Économie de marché

Voir « « La concurrence, gage d'efficacité » », « L'extension du domaine du marché », « Le poing de l'État au service de la main invisible », « Droit du travail en vigilance orange », « L'URSS mise sur la planification », « Le continent ignoré de l'économie non marchande », « Comment la propriété privée a été imposée par la force », « Hayek ou le bolchevisme néolibéral »

Dans une économie de marché, les échanges sont majoritairement réglés par un mécanisme où le prix varie pour équilibrer offre et demande. Les libéraux ont tendance à assimiler économie de marché et capitalisme. Au lieu de définir le système actuel par son rapport social, qui mettrait en lumière sa nature inégale, ils le définissent en effet par son mode dominant de régulation : le marché, une institution sociale beaucoup plus ancienne que le capitalisme. En l'identifiant au marché, ils essaient ainsi de faire passer le capitalisme pour un système quasi naturel et éternel. En réalité, le marché et la monnaie n'ont pas toujours été des instruments du capitalisme. On peut donc imaginer un monde qui ne serait plus régi par la logique du profit mais où ces institutions seraient maintenues.

Effet de levier

Voir « L'introuvable New Deal européen », « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” », « “Leveraged buyout” : acheter sans rien dépenser (ou presque) »

Procédé permettant à un opérateur, notamment une banque, d'engager des sommes excédant ses capitaux propres*. Exemple : prêter ou investir 100 en ne détenant que 20 (levier de 5 pour 1).

Effet multiplicateur

Voir « Dépenser pour relancer : des flux et des fuites », « L'introuvable New Deal européen », « Vertus oubliées de l'endettement »

Effet de richesse (ou effet de patrimoine)

Voir « Le bonheur est dans la courbe », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Variation de la consommation de biens et services induite par celle de la valeur des actifs patrimoniaux. Exemple : lorsque le cours des actions monte, le patrimoine de leurs titulaires s'accroît, incitant ces derniers à consommer davantage.

Emploi

Voir « “Ce sont les entreprises qui créent l'emploi” », « Le travail, droit ou devoir ? », « Lutte contre le chômage : rustines et chausse-trapes », « Le bonheur est dans la courbe », « L'embauche à la veille de la révolution française », « Un revenu garanti pour dépasser le salariat »

Travail rémunéré, par opposition à des activités réalisées hors de la sphère marchande (tâches ménagères, travail bénévole, etc.). Si l'emploi salarié en contrat à durée indéterminée reste majoritaire, cette norme d'emploi est remise en cause depuis les années 1980 avec l'apparition des « formes particulières d'emploi » visant à « flexibiliser » le travail : temps partiel, intérim, contrats à durée déterminée, contrats aidés, travail indépendant, etc.

Épargne

Voir « Le Sud découvre qu'il est entravé, pas en retard », « L'introuvable New Deal européen », « Vertus oubliées de l'endettement », « Victimes consentantes des marchés », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige »

La partie du revenu qui n'est pas consommée dans l'immédiat. C'est un flux qui augmente le stock de patrimoine. L'épargne nationale est constituée de l'épargne des ménages, des entreprises et des administrations publiques. La frontière entre l'épargne et la consommation n'est toutefois pas toujours très claire : l'achat d'une œuvre d'art, par exemple, peut être considéré aussi bien comme un acte de consommation que de placement. Dans les pays où les retraites ne sont pas financées par la solidarité intergénérationnelle (sécurité sociale), les ménages sont contraints d'augmenter leur épargne individuelle.

Les Français sont, après les Allemands, les Européens les plus économes. Fin 2015, le taux d'épargne atteignait 15,5 % du revenu disponible brut. Excédent courant

Voir « Balance des transactions courantes ».

Facteur de production

Voir « La nature, nouvel eldorado marchand », « Le travail à la chaîne est-il mort ? », « Les mille et une justifications du profit », « Le protectionnisme n'est pas l'autarcie »

Moyen mis en œuvre pour produire un bien ou un service. En économie, on distingue en général deux facteurs de production principaux : le travail et le capital.

Financement de l'économie

Voir « “Rien ne se crée, tout se prête” », « Et si on fermait la Bourse… »

L'ensemble des moyens par lesquels ménages, entreprises et administrations publiques satisfont leurs besoins de financement. On distingue le financement non monétaire (par mobilisation de l'épargne existante) du financement monétaire (par création de monnaie). Lorsqu'une entreprise ne peut pas s'autofinancer, elle peut avoir recours au crédit bancaire ou bien faire appel aux marchés financiers, que ce soit par émissions d'actions nouvelles (augmentation du capital) ou par emprunt obligataire. On appelle « désintermédiation » le processus qui conduit les entreprises depuis les années 1980 à réduire leur recours au crédit bancaire et à faire davantage appel directement aux marchés de capitaux.

Financiarisation

Voir « « Rien ne se crée, tout se prête » », « Le grand meccano de la création monétaire », « « Grâce aux BRICS, un monde multipolaire » », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige »

Terme désignant l'influence croissante des institutions et des marchés financiers dans le fonctionnement de l'économie. La financiarisation favorise les comportements spéculatifs et de recherche de rentabilité à court terme au détriment du développement à long terme des entreprises.

Flexibilité du travail

Voir « Lutte contre le chômage : rustines et chausse-trapes »

Parce qu'elles considèrent les droits et les protections du travail comme des obstacles à l'impératif de compétitivité et de rentabilité maximale exigé par les investisseurs internationaux, les politiques néolibérales mises en œuvre depuis les années 1980 visent à accroître la flexibilité de la main-d'œuvre sous toutes ses formes : flexibilité temporelle (temps partiels), mais aussi spatiale (télétravail par exemple), contractuelle (CDD, intérim, facilitation des licenciements), fonctionnelle (les salariés sont polyvalents) et salariale (rémunération au résultat). Présentée comme un remède au chômage, la flexibilité a au contraire contribué à la perte de la sécurité de l'emploi, à la précarité et à la pauvreté.

Fordisme

Voir « Le travail à la chaîne est-il mort ? », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Mode d'organisation du travail mis en place avant la première guerre mondiale par le constructeur automobile américain Henry Ford, reposant sur une organisation scientifique du travail (OST) plus poussée, avec chronométrage du travail à la chaîne, et sur des salaires assez élevés pour permettre aux ouvriers d'acheter les voitures produites.

Fondamentaux

Variables qui déterminent la situation économique d'un pays (croissance, emploi, productivité) ou d'une entreprise (chiffre d'affaires, rentabilité).

Fonds monétaire international (FMI)

Voir « Gouverner par les nombres », « L'introuvable New Deal européen », « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” »

Organisme créé en 1945, à la suite de la conférence de Bretton Woods*, dans le but de réguler le système monétaire international de changes fixes et de mettre fin aux fréquentes dévaluations* en fournissant des ressources temporaires aux États membres ayant des difficultés de balance commerciale*. Le FMI pilote un système de crédit mutuel, chaque pays membre contribuant en fonction de quotes-parts négociées. Depuis la fin du système de taux de changes fixes, soit le début des années 1970, le rôle du FMI a évolué. Il est devenu un gendarme financier : il continue de prêter aux pays en difficulté, mais ceux-ci doivent en contrepartie mettre en œuvre des politiques dites « d'ajustement structurel » pour parvenir à l'équilibre de leur balance des paiements* : privatisations, réduction des dépenses publiques, ouverture des marchés, etc.

Impôt progressif / proportionnel

Voir « Petite histoire de l'impôt », « Fiscalité sur le revenu, la peau de chagrin »

L'impôt progressif fonctionne par tranches, dont il faut imaginer qu'elles découpent les revenus ou le patrimoine des contribuables. Prenons le cas de l'impôt sur le revenu en France en 2016. De 0 à 9 700 euros, le taux d'imposition est de 0 % : personne, riche ou pas, ne verse d'impôt sur cette part de ses revenus. De 9 700 à 26 791 euros, le taux d'imposition s'affiche à 14 % ; de 26 791 à 71 826 euros, à 30 % ; de 71 826 à 152 108 euros, de 41% ; et enfin, à partir de 152 108 euros, de 45 %. Dans ces conditions, une personne jouissant d'un revenu de 160 000 euros paiera 0 % d'impôt sur les 9 700 premiers euros, 14 % sur les 17 091 euros suivants, 30 % sur les 45 035 euros suivants, 41 % sur les 80 282 euros suivants et 45 % sur les derniers 7 892 euros de son pécule. Soit un taux moyen d'imposition de 32,7 % pour un taux marginal* de 45 %. L'impôt progressif affichant un taux plus élevé pour les plus riches que pour les pauvres, il contribue à réduire les inégalités, mais l'existence de niches fiscales contrecarre ces effets. Il se distingue de l'impôt proportionnel ou flat tax, au taux fixe comme pour la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) ou la contribution sociale généralisée (CSG).

Inflation

Voir « Gouverner par les nombres », « À quoi sert la monnaie ? », « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? », « Victimes consentantes des marchés », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? », « Le Brésil secoué par les investisseurs », « Et si on fermait la Bourse… »

Augmentation cumulative et durable du niveau général des prix. Pour l'économiste libéral Friedrich Hayek , ce déséquilibre économique incarne « le mal économique absolu » : « L'inflation est comme l'alcoolisme. Lorsqu'un homme se livre à une beuverie, le soir même cela lui fait du bien. Ce n'est que le lendemain qu'il se sent mal. » Mais l'inflation permet aussi ce que John Maynard Keynes (voir p. 18) appelait l'« euthanasie des rentiers », puisque le capital financier initial voit sa valeur se déprécier au rythme de l'inflation. C'est grâce à ce phénomène que des générations d'emprunteurs ont pu s'enrichir ou acheter une maison, le coût réel de l'emprunt (c'est-à-dire son montant après déduction de l'inflation) ne cessant de s'amenuiser. Le sociologue allemand Wolfgang Streeck avance une autre analyse du phénomène de l'inflation au cours des années 1970. À l'époque, les premiers signes de l'effondrement du modèle social issu du compromis d'après-guerre apparaissent, dans un contexte d'exacerbation des tensions entre capital et travail pour le partage de la valeur ajoutée. Parce qu'elle permet d'accroître le montant des salaires sans doper leur valeur réelle, l'inflation figure alors au nombre des stratégies des dirigeants occidentaux permettant d'atténuer les antagonismes sociaux sans altérer le mode de fonctionnement de la société.

Investissement direct étranger (IDE)

Voir « Le Brésil secoué par les investisseurs »

Un investisseur peut acquérir un actif dans un autre pays de trois manières : participation au capital, réinvestissement sur place des bénéfices d'une filière locale, prêts entre la société mère et sa filiale.

Investissement en portefeuille

Voir « Le Brésil secoué par les investisseurs »

Prise de participation dans le capital social d'une entreprise par des épargnants ne cherchant pas à en influencer la gestion mais seulement à placer leur argent dans une optique rémunératrice.

35 %, c'est le taux moyen de prélèvements appliqué aux 1 % des contribuables les plus riches, contre 45 % pour les 50 % des foyers fiscaux les plus modestes. En cause : le poids des impôts indirects non redistributifs (TVA), le plafonnement des cotisations sociales et les niches fiscales.

Libéralisme économique

Voir « Un foisonnement d'écoles de pensée », « Le poing de l'État au service de la main invisible »

Doctrine économique qui considère que la régulation par le marché est la meilleure modalité de gestion de l'économie. Ses partisans prétendent se méfier de l'intervention de l'État, jugée aussi inefficace qu'inutile. Dans les faits, le libéralisme requiert des institutions elles-mêmes dépendantes de l'existence d'un État : c'est donc en général l'État social que dénoncent les libéraux. Comme l'a prouvé l'ancien dictateur chilien Augusto Pinochet, libéralisme économique et libéralisme politique (la défense des libertés individuelles et des droits civiques) ne vont pas nécessairement de pair.

Liquidité

Voir « L'odeur de l'argent », « Victimes consentantes des marchés »

Qualité d'un actif qui peut être transformé rapidement en monnaie, autrement dit facilement vendu. La préoccupation pour la liquidité des actifs justifie la spéculation : pour que des agents de l'économie réelle (des entreprises par exemple) réussissent à vendre leurs titres sur les marchés, ils doivent garantir aux investisseurs de pouvoir s'en délester à tout instant. Il faut donc que les titres émis soient « liquides », et que ce segment de marché connaisse une activité permanente et suffisante pour que chaque vendeur soit assuré de trouver immédiatement preneur. Un tel argument a été mis en avant en France en 2013 lors du vote de la « loi de séparation bancaire », qui a épargné aux activités de « tenue de marché », c'est-à-dire de spéculation, toute régulation contraignante.

Macroéconomie / microéconomie

La macroéconomie étudie le fonctionnement du système économique dans son ensemble, en prenant pour point de départ des agrégats* calculés à l'échelle de l'économie globale : la production, la consommation, l'épargne, etc. La microéconomie rend compte du comportement supposé maximisateur et rationnel d'agents économiques individuels : le consommateur, le producteur. L'approche économique dominante réduit la macroéconomie à la somme des comportements individuels. Elle analyse l'interaction et la coordination entre les agents sur des marchés en termes d'équilibre partiel ou général. Ce faisant, elle ignore les problèmes résultant de l'agrégation des comportements qui, rationnels pris individuellement, peuvent produire des situations non rationnelles à l'échelle globale.

Marchandise

Voir « La nature, nouvel eldorado marchand », « L'origine du profit selon Karl Marx », « La cotisation, une ambition à ranimer », « Lutte contre le chômage : rustines et chausse-trapes », « L'extension du domaine du marché », « À quoi sert la monnaie ? »

Bien ou service produit non pour sa valeur d'usage* (pour satisfaire un besoin), mais pour sa valeur d'échange* (pour être vendu sur un marché). Dans cette logique ne sont produits que les biens susceptibles de rencontrer une demande solvable, qui ne sont pas forcément ceux qui seraient utiles.

Marché

Voir « « La concurrence, gage d'efficacité » », « L'extension du domaine du marché », « Le poing de l'État au service de la main invisible », « Droit du travail en vigilance orange », « L'URSS mise sur la planification », « Le continent ignoré de l'économie non marchande », « Comment la propriété privée a été imposée par la force », « Hayek ou le bolchevisme néolibéral »

Pour la théorie néoclassique, lieu où se rencontrent offre et demande pour aboutir à un prix d'équilibre pour l'échange. Il existe autant de « marchés » que de biens. Contrairement à ce que laissent entendre de tels modèles, les marchés « purs » où interagiraient spontanément des individus autonomes n'existent pas. Même économique, un échange requiert l'encadrement d'un ensemble de règles et d'institutions.

Marché de capitaux

Sous ce terme sont regroupés marché financier (où se traitent des opérations à long terme portant sur des actions* ou des titres de créance*) et marché monétaire (où se traitent des opérations à court terme, de vingt-quatre heures à un an, portant notamment sur les bons du Trésor*). Le marché monétaire ne doit pas être confondu avec le marché des changes*, où se confrontent les offres et les demandes de devises* et où se forment les taux de change*.

Marché interbancaire

Voir « Le grand meccano de la création monétaire »

Compartiment du marché monétaire où les banques peuvent s'accorder des prêts entre elles, permettant à certaines de se procurer des liquidités et à d'autres de placer leurs excédents de liquidités. La banque centrale peut être amenée à intervenir sur ce marché, en effectuant par exemple des achats massifs (quantitative easing*) afin de maintenir des taux d'intérêt à court terme faibles.

Monétarisme

Voir « Un foisonnement d'écoles de pensée »

Pour ce courant d'analyse libéral, développé notamment par Milton Friedman, l'inflation résulte d'une création excessive de monnaie ; les anticipations adaptatives des agents rendent les politiques économiques conjoncturelles inefficaces à long terme ; il existe un taux de chômage naturel qu'il est vain de chercher à réduire. Par conséquent, la politique monétaire ne doit se fixer qu'un seul objectif : limiter la création monétaire pour contenir l'inflation.

Monnaie fiduciaire / scripturale

Voir « À quoi sert la monnaie ? », « Le grand meccano de la création monétaire »

La monnaie fiduciaire désigne les pièces et les billets de banque. Sa valeur repose non sur sa qualité intrinsèque mais sur la confiance (fides en latin). La monnaie scripturale correspond à la somme des soldes créditeurs des ménages et des entreprises enregistrés sur les comptes courants, et représente plus de 80 % de la masse monétaire en circulation. Les banques centrales ont le monopole de la création de monnaie fiduciaire, et les banques commerciales partagent avec ces dernières le pouvoir de création de la monnaie scripturale.

Néolibéralisme

Voir « « La concurrence, gage d'efficacité » », « Le poing de l'État au service de la main invisible », « Hayek ou le bolchevisme néolibéral »

Courant de pensée développé dans l'entre-deux-guerres, qui devient dominant avec l'élection de Margaret Thatcher au Royaume-Uni en 1979 et du républicain Ronald Reagan à la Maison Blanche en 1980. Dans le contexte de la guerre froide, alors que partout le socialisme semble avoir le vent en poupe, une poignée d'économistes, d'hommes politiques et de patrons libéraux mettent sur pied une internationale libérale. Créée en 1947 par l'économiste Friedrich Hayek, la Société du Mont-Pèlerin profite du soutien financier de grandes entreprises pour essaimer dans de nombreux pays sous la forme de think tanks (laboratoires d'idées). Avec, en toile de fond, le déclin du marxisme, le néolibéralisme progresse dans la bataille des idées dès la seconde moitié des années 1970. La situation économique et sociale se prête à un basculement du rapport de forces politico-intellectuel : au lendemain de la crise pétrolière de 1973, l'élévation continue des taux de chômage décrédibilise les politiques de relance keynésiennes, tandis que les hauts niveaux d'inflation érodent le patrimoine des classes dominantes.

La vague néolibérale modifie en profondeur la nature du débat politique. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, elle met au pas les syndicats et affaiblit durablement les partis réformistes. En France, elle conduit le gouvernement socialiste élu en 1981 à renoncer à son programme de rupture avec le capitalisme. Progressivement, les socialistes français se convertissent à l'économie de marché. Après la chute du mur de Berlin en 1989, l'onde de choc atteint les pays d'Europe de l'Est. Les autorités nouvellement élues réforment en profondeur leurs économies et entament un rapprochement avec l'Union européenne. A l'image des États membres de cette dernière, ils réduisent le périmètre de leur secteur public et mènent des politiques d'austérité.

Socialement, le néolibéralisme n'a bien sûr rien de neutre. Il accroît les inégalités sociales et les légitime. Sa force réside sans doute dans le fait de s'être doté d'institutions qui l'ont pérennisé. Faute de concurrence à gauche, il s'est en outre imposé petit à petit comme idéologie dominante.

New Deal

Voir « Dépenser pour relancer : des flux et des fuites »

Programme de redressement économique mis en œuvre par Franklin Delano Roosevelt afin d'enrayer les effets de la crise de 1929. Soucieux de favoriser la remontée des prix et de relancer l'activité économique, le président des États-Unis lance de grands travaux, réforme le système bancaire, abandonne l'étalon-or et dévalue le dollar.

Obligations

Voir « Victimes consentantes des marchés », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? », « Marier finance et islam »

Titre d'endettement émis sur le marché financier par une grande entreprise ou par le Trésor public. L'acheteur, appelé obligataire, est rémunéré par un intérêt. Les obligations peuvent ensuite s'échanger sur un marché secondaire.

Organisation mondiale du commerce (OMC)

Voir « “Tout le monde profite du libre-échange” », « Depuis soixante-dix ans, l'idée fixe qui guide les marchands », « Le grand marché transatlantique se fait justice lui-même »

Organisation internationale ayant remplacé en 1995 l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), dont le but est de promouvoir le libre-échange et la croissance du commerce international, via la baisse des taxes sur les produits échangés. Elle compte 163 membres. La stratégie multilatérale de l'OMC (visant à faire signer des accords concernant l'ensemble de ses membres) a achoppé sur diverses résistances, notamment de pays du Sud, au début des années 2000. Une nouvelle génération d'accords bilatéraux (entre deux pays) et plurilatéraux (entre plusieurs pays ou groupes de pays) a donc vu le jour.

Organisation scientifique du travail (OST)

Voir « Le travail à la chaîne est-il mort ? »

Mouvement de rationalisation du travail qui se met en place à partir de la fin du XIXe siècle avec les analyses de Frederick Winslow Taylor, puis au début du XXe siècle avec Henry Ford.

Parité de pouvoir d'achat (PPA)

Voir « Le protectionnisme n'est pas l'autarcie »

Méthode de comparaison des agrégats* économiques dans différents pays. Habituellement, on exprime en dollars américains les données internationales qu'on cherche à comparer, en leur appliquant le taux de change courant. Or, si cinq euros suffisent à déjeuner copieusement dans une capitale africaine, n'espérez pas pour la même somme une bouteille d'eau gazeuse en terrasse d'un restaurant suisse. La méthode PPA corrige le taux de change en tenant compte des variations de pouvoir d'achat entre un pays et l'autre.

Pauvreté (seuil de)

Voir « “La croissance, c'est la prospérité” », « Le Sud découvre qu'il est entravé, pas en retard », « “La pauvreté, voilà le fléau !” », « Équité, l'égalité en trompe-l'œil », « La charité contre l'État », « Un revenu garanti pour dépasser le salariat », « Les faibles paient, les autres négocient »

Dans la plupart des pays, équivalent monétaire d'un panier de consommation considéré comme le minimum nécessaire à l'existence. Pendant longtemps le seuil de pauvreté le plus souvent pratiqué en France correspondait à la moitié du revenu médian. Mais, depuis 2008, le seuil retenu équivaut à 60 % du revenu médian. Ce saut fait passer le seuil de 814 à 977 euros par mois (pour une personne seule) et le nombre de personnes considérées comme « pauvres » de 4,9 à 8,8 millions.

Physiocrates

Voir « Un foisonnement d'écoles de pensée »

Du grec physis, la terre, et kratos, le pouvoir. Courant de pensée économique développé au milieu du XVIIIe siècle par le docteur Quesnay, qui collabore notamment à l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, où il rédige les articles « Évidence », « Fermiers » et « Grains ». Les physiocrates ne considèrent pas seulement que la terre est la seule source de valeur, ils jettent également les bases d'une théorie libérale qui prône la limitation de l'intervention étatique et une réduction de l'impôt. Le docteur Quesnay, qui s'était inspiré de la circulation sanguine pour étudier la circulation des richesses, est aussi le premier à représenter l'économie sous forme de circuit.

Politique économique conjoncturelle

Action de l'État visant à agir à court terme pour compenser les déséquilibres économiques (inflation, chômage, croissance économique, balance commerciale). Elle repose sur plusieurs instruments : 1. la politique monétaire menée par la banque centrale*, qui joue sur la masse monétaire à travers le taux d'intérêt directeur* ; 2. la politique budgétaire, construite à partir des dépenses publiques et de la fiscalité ; 3. la politique de change*, qui consiste à dévaluer* ou à favoriser la dépréciation de sa monnaie pour accroître la compétitivité* prix ou à réévaluer et favoriser l'appréciation de sa monnaie pour lutter contre l'inflation*. Également appelées politiques contracycliques, les politiques conjoncturelles visent à stimuler l'activité lorsque celle-ci tend à ralentir et à la freiner lorsqu'elle s'emballe, afin de compenser les variations cycliques.

Politique structurelle

Action de long terme – contrairement à la politique conjoncturelle – visant à modifier les caractéristiques fondamentales de l'économie à travers la planification, les nationalisations, la politique industrielle, l'aménagement du territoire, etc.

Productivité du travail

Voir « Bons sentiments à la rescousse de l'esclavage », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? », « “Leveraged buyout” : acheter sans rien dépenser (ou presque) »

Indicateur d'efficacité de la combinaison productive des facteurs de production* (capital et travail). On calcule la productivité du travail en rapportant la valeur de la production au nombre de travailleurs (productivité par tête) ou au nombre d'heures travaillées (productivité horaire). Les travailleurs français sont parmi les plus productifs du monde : la France est au sixième rang mondial pour la productivité horaire, devant l'Allemagne (7e) et le Royaume-Uni (13e). Lorsque la productivité augmente, on parle de « gains de productivité ». Ceux-ci permettent théoriquement de baisser les prix pour les consommateurs, d'augmenter les salaires ou d'accroître la marge de l'entreprise. Les gains de productivité ont tendance à baisser depuis la fin des « trente glorieuses »*.

Produits dérivés (ou contrats dérivés)

Voir « Le dessous des cartes. Asie, itinéraires géopolitiques », « La nature, nouvel eldorado marchand », « Bourse : vol au-dessus d'un nid de coucou », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige »

Instruments financiers destinés à permettre aux entreprises de se couvrir contre les variations de cours. Créés à la fin du XIXe siècle pour servir d'assurance aux céréaliers de Chicago en garantissant à l'avance un certain prix à leurs récoltes, il s'agit désormais de contrats qui prévoient l'achat-vente d'un actif dit « sous-jacent » (action*, obligation*, matière première, devise*…) à un prix et à une échéance donnés. Quand des investisseurs non exposés au risque ont investi ce marché (dans les années 1990), ces instruments financiers sont surtout devenus des outils de spéculation.

Produit intérieur brut (PIB) / Produit national brut (PNB)

Voir « « La croissance, c'est la prospérité » », « L'introuvable New Deal européen », « La décroissance ou le sens des limites », « Le continent ignoré de l'économie non marchande », « Niches, fraude, paradis fiscaux : de l'ardoise au coup d'éponge », « La charité contre l'État », « La cotisation, une ambition à ranimer », « “L'État doit gérer en bon père de famille” », « En Europe, la dette contre la démocratie », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige »

Dans la comptabilité nationale, le produit intérieur brut (PIB) correspond aux valeurs des biens et services marchands produits sur un territoire national en une année. Il peut être mesuré à partir de la somme de toutes les valeurs ajoutées, augmentée des impôts sur les produits (TVA, droits de douane) et diminuée des subventions, et permet de mesurer la croissance économique. Le PIB par habitant est un indicateur du niveau de développement d'un pays. Le produit national brut (PNB) mesure la production sur un an de biens et services marchands créés par une nation, que cette production se déroule sur le sol national ou à l'étranger. Alors que PIB et PNB sont en général proches, ils divergent dans les pays caractérisés par la présence de nombreuses multinationales étrangères qui rapatrient leurs profits. C'est par exemple le cas de l'Irlande.

Profit

Voir « L'origine du profit selon Karl Marx », « Les mille et une justifications du profit », « L'URSS mise sur la planification »

But ultime de toute production de marchandise, le profit est la rémunération du capital, que celui-ci ait été apporté par les propriétaires des entreprises ou emprunté. Il peut donc être utilisé pour distribuer des dividendes, payer des intérêts, financer l'investissement ou effectuer des placements sur les marchés financiers. Le profit d'une entreprise est mesuré par l'excédent brut d'exploitation (EBE), qui équivaut à la valeur ajoutée* moins les salaires et les impôts sur la production (TVA, droits de douane*, taxe professionnelle, etc.). À ne pas confondre avec le bénéfice net, notion comptable qui correspond au résultat final après le paiement de l'impôt sur les bénéfices et les intérêts.

Protectionnisme

Voir « Le protectionnisme n'est pas l'autarcie »

Mesures prises par un gouvernement pour « protéger » la production ou l'emploi dans le cadre de la nation. Parmi ces mesures, on distingue les barrières tarifaires (droits de douane* sur les exportations, subventions des productions nationales) des barrières non tarifaires (quotas, normes sanitaires, dévaluation de la monnaie).

« Quantitative easing » ou assouplissement quantitatif 

Voir « “Grâce aux BRICS, un monde multipolaire” »

Politique monétaire dite « non conventionnelle » (c'est-à-dire remettant en cause « l'orthodoxie » traditionnelle) qui permet à une banque centrale de stimuler l'économie même lorsqu'elle a déjà abaissé ses taux directeurs à près de 0 %. Le « QE » consiste à injecter des liquidités dans l'économie en achetant massivement des titres, notamment des emprunts d'État, sur le marché interbancaire. La banque centrale cherche ainsi à orienter les investisseurs vers d'autres actifs financiers plus rémunérateurs, comme les actions ou obligations d'entreprises. Les banques sont quant à elles supposées se reporter vers la distribution de crédit aux entreprises et aux ménages.

Récession

Voir « La décroissance ou le sens des limites », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Ralentissement du rythme de croissance de l'activité économique. À ne pas confondre avec la dépression*, qui désigne une période d'un cycle économique durant laquelle la production baisse.

Reprimarisation

Voir « Le Brésil secoué par les investisseurs »

On distingue trois grands secteurs économiques : le secteur primaire (exploitation directe des ressources naturelles), le secteur secondaire (industries de transformation) et le secteur tertiaire (services). En général, plus les économies progressent et intègrent de la technologie, plus elles se renforcent dans les secteurs secondaire et tertiaire. Dans certains pays particulièrement riches en matières premières, toutefois, la part du secteur primaire croît parfois au détriment du reste de l'économie. On parle alors de « reprimarisation ».

Refinancement

Ensemble des opérations effectuées par les banques commerciales pour se procurer de la monnaie centrale (émise par la banque centrale), dans le but de faire face à leurs échéances de remboursement ou d'octroyer de nouveaux crédits. Dans la zone euro, les banques commerciales se refinancent sur le marché interbancaire : les banques empruntent et se prêtent entre elles, la BCE se contentant d'apporter ou de retirer des liquidités pour influencer le taux d'intérêt interbancaire, autrement dit le loyer de l'argent au jour le jour. Par ailleurs, les banques commerciales peuvent s'adresser directement à la « banque des banques » pour se procurer des liquidités, mais à un taux plus élevé : ce sont les facilités de prêt marginal.

En 2012, le salaire net mensuel moyen s'élevait à 2 157 euros et le salaire médian à 1 713 euros.

Revenu disponible

Voir « “Ce sont les entreprises qui créent l'emploi” »

Somme dont un ménage dispose pour consommer ou épargner. Elle correspond à l'ensemble de ses revenus (du travail, du patrimoine, etc.), diminué des prélèvements obligatoires et des cotisations sociales et augmenté des revenus de transfert (prestations sociales).

Revenu médian / revenu moyen

Le revenu médian divise la population en deux parts égales, l'une gagnant moins et l'autre gagnant plus. Il se distingue du revenu moyen, qui correspond à la moyenne des revenus de la population.

« Return on equity » (ROE)

Taux de rentabilité qui divise le profit par les capitaux propres. Si le profit est de 5 % des capitaux engagés, mais que ceux-ci se décomposent en 50 % de dettes et 50 % de capitaux propres, le ROE s'affiche à 10 % (5/50)

Salariat

Voir « “Tous gagnants grâce au dialogue social !” », « Bons sentiments à la rescousse de l'esclavage », « Pourquoi la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise », « Le travail à la chaîne est-il mort ? », « L'origine du profit selon Karl Marx », « Les mille et une justifications du profit », « Les patrons ont-ils lu Marx ? », « Coopératives : destin d'une utopie »

Une des modalités des rapports de travail. Pour les marxistes, il constitue le rapport social fondamental du mode de production capitaliste. Il suppose l'existence d'individus « libres » dans la mesure où ils ne sont plus dépendants d'autres individus (seigneurs, maîtres) et où ils choisissent de travailler (ou non) pour les employeurs. Mais la théorie marxiste met en évidence la nature inégale de cette relation. Non seulement les salariés sont contraints de se mettre au service des propriétaires des moyens de production pour vivre, mais la valeur de leur force de travail dépasse la rémunération qu'ils perçoivent. Marx qualifie d'exploitation cette appropriation par le capital du « surtravail ».

Système monétaire européen (SME)

Voir « De la monnaie unique à la monnaie commune », « 1981, l'occasion ratée »

Créé en 1979, le système monétaire européen (SME) avait pour objectif de mettre fin à l'instabilité monétaire en Europe. Le taux de change entre les monnaies nationales était fixe mais ajustable, de manière à compenser les écarts de productivité et d'inflation entre les pays. La fixité entre deux monnaies était définie par une parité bilatérale appelée cours pivot, autour de laquelle les monnaies pouvaient fluctuer de +/– 2,25 %. Ainsi, par exemple, le cours pivot officiel deutschemark (DM) / franc (F) était de 1 DM = 3,354 F en 1992, mais le cours effectif sur les marchés des changes pouvait fluctuer librement entre 3,431 et 3,279 F. Chaque pays s'engageait à garantir à tout moment la possibilité de convertir sa monnaie en n'importe quelle autre du SME et était tenu de défendre la valeur de sa devise pour que le taux de change effectif demeure dans la bande de fluctuation. Aucun n'avait le droit de modifier unilatéralement son cours pivot, les décisions de réajustement de change se prenant collectivement. Il y a eu ainsi onze réalignements au sein du SME entre 1979 et 1987. En 1993, à la suite d'une attaque spéculative, les marges de fluctuation ont été élargies à 15 %, ce qui a vidé le système de sa substance. Il disparaît officiellement en 2002 pour laisser place à l'euro, la monnaie unique.

Solvabilité

Voir « Comment a été inventée la carte de crédit », « Les faibles paient, les autres négocient »

Traduit la capacité financière d'une entreprise ou d'un ménage à faire face à ses engagements financiers. Une crise de solvabilité désigne une situation où des agents ont structurellement des dépenses plus élevées que les recettes et ne disposent plus de ressources nécessaires à la continuité de leur activité.

Spéculation

Voir « La nature, nouvel eldorado marchand », « De la monnaie unique à la monnaie commune », « Victimes consentantes des marchés », « Capital fictif : l'ivresse et le vertige », « Marier finance et islam »

Transaction réalisée en vue de tirer profit des variations de prix des biens et des actifs* financiers. La plupart des opérations spéculatives se déroulent sur les marchés financiers et de change*. Selon les partisans de la libéralisation financière, les spéculateurs permettent d'apporter de la liquidité aux marchés et de supporter les risques dont d'autres agents économiques souhaitent se défaire. Mais la spéculation, qui motive la plupart des mouvements internationaux de capitaux, est la principale cause des crises financières et monétaires.

Syndicat

Voir « “Tous gagnants grâce au dialogue social !” », « Pourquoi la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise, « Coopératives : destin d'une utopie », « Droit du travail en vigilance orange »

« Organisation de résistance aux empiétements du capital », selon la définition du philosophe allemand Karl Marx (1818-1883). Autorisés en France par la loi Waldeck-Rousseau de 1884, les syndicats se distinguent des partis politiques, bien que des liens existent parfois entre eux – comme, par exemple, entre la Confédération générale du travail (CGT) et le Parti communiste français, jusqu'en 2003. En 1966, l'État a reconnu la représentativité de cinq confédérations syndicales : la CGT, créée en 1895, la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC), fondée en 1919, Force ouvrière (FO), née d'une scission de la CGT en 1948, la Confédération française démocratique du travail (CFDT), créée en 1964, la Confédération des cadres (CGC), fondée en 1944. Elles doivent aujourd'hui faire la preuve de leur représentativité par la voix des élections professionnelles. D'après une étude de 2015 du FMI, « une moitié environ » du creusement des inégalités qu'ont connu les pays avancés durant la période 1980-2010 découlerait de la baisse du taux de syndicalisation.

Tarif douanier (ou droits de douane)

Voir « L'introuvable New Deal européen », « Depuis soixante-dix ans, l'idée fixe qui guide les marchands », « Le grand marché transatlantique se fait justice lui-même »

Taxe imposée sur des biens ou services importés. Le montant prélevé peut représenter un pourcentage de la valeur du bien ou un montant fixe.

Taux d'intérêt directeur

Voir « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? »

Taux d'intérêt pratiqué par la banque centrale afin de réguler le coût de refinancement* des banques et de donner au marché des indications sur les orientations de sa politique monétaire.

Selon la Dares, 11 % des salariés adhèrent à une organisation syndicale en 2013, contre 30 % en 1949. Après une chute sensible, le taux de syndicalisation n'a que légèrement baissé depuis le milieu des années 1990, et cela malgré la précarisation de l'emploi. Seuls 1 % des salariés en intérim et 2 % des salariés en CDD sont membres d'un syndicat.

Taux de profit (ou taux de rentabilité du capital)

Voir « Repeindre le capitalisme en vert », « Les mille et une justifications du profit », « L'URSS mise sur la planification »

Profit divisé par le capital total investi. Une entreprise qui dégage 5 de profit pour 100 de capital engagé livre un taux de profit de 5 %. Eût-elle dégagé le même profit (5) en ne nécessitant que 50 de capital, son taux de rendement du capital aurait été de 10 % (5/50). Pour les marxistes, la loi de la baisse tendancielle du taux de profit explique l'instabilité du capitalisme.

Taux marginal d'imposition

Voir « Fiscalité sur le revenu, la peau de chagrin », « Niches, fraude, paradis fiscaux : de l'ardoise au coup d'éponge »

Le montant de l'impôt sur le revenu est calculé selon un barème progressif divisé par tranches. Le taux marginal d'imposition correspond au taux de la tranche la plus élevée à laquelle le revenu imposable est taxé. Voir « Impôt progressif »

Traité de Maastricht

Voir « L'introuvable New Deal européen », « “Tout le monde profite du libre-échange” », « La Banque centrale européenne, indépendante ou hors contrôle ? », « De la monnaie unique à la monnaie commune », « En Europe, la dette contre la démocratie »

Entré en vigueur le 1er novembre 1993, il consacre les trois piliers de la construction européenne : 1. le renforcement du pilier communautaire avec l'achèvement de l'Union économique et monétaire en 1999 – dans cette perspective, cinq critères de convergence sont définis, que les États membres doivent respecter pour passer à l'euro : maîtrise de l'inflation, de la dette publique et du déficit public, stabilité du taux de change et rapprochement des taux d'intérêt ; 2. la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ; 3. la coopération dans les domaines de la justice et des affaires intérieures.

Titre de créance

Voir « “L'État doit gérer en bon père de famille” », « Comment a été inventée la carte de crédit », « Victimes consentantes des marchés », « 1981, l'occasion ratée », « Les faibles paient, les autres négocient »

Reconnaissance de dette standardisée émise sur un marché négociable.

Titrisation

Technique financière consistant à transformer n'importe quel type de créance (crédit bancaire, crédit à la consommation, crédit immobilier, etc.) en titres négociables sur des marchés financiers organisés ou de gré à gré. Elle vise essentiellement à permettre à l'établissement prêteur de transférer le risque de non-remboursement de la créance initiale sur les acheteurs des nouveaux titres. Les banques ont eu notamment recours à la titrisation à partir des années 1980 pour débarrasser leur bilan de la dette du tiers-monde. Les effets pervers de cette technique ont été surtout mis en lumière au moment de la crise des subprime*.

Travail

Voir « “Tous gagnants grâce au dialogue social !” », « Bons sentiments à la rescousse de l'esclavage », « Pourquoi la démocratie s'arrête aux portes de l'entreprise », « Le travail à la chaîne est-il mort ? », « L'origine du profit selon Karl Marx », « Les mille et une justifications du profit », « Les patrons ont-ils lu Marx ? », « Coopératives : destin d'une utopie »

Cette notion est étonnamment récente : le travail ne constituait tout simplement pas une catégorie de pensée en soi dans les sociétés précapitalistes. Le concept apparaît seulement au XVIIIe siècle. Adam Smith (1723-1790) définit alors le travail comme ce qui permet de créer de la valeur – les économistes parlent désormais de « facteur de production »*. Depuis, le travail a endossé de nouvelles significations radicalement différentes. Avec Karl Marx (1818-1883), il apparaît potentiellement comme la force qui va permettre à l'humanité de transformer le monde, de progresser vers le bien-être, mais aussi de « réaliser son individualité ». Il faudra toutefois attendre le milieu du XXe siècle pour que cette idée du travail comme vecteur de réalisation de soi progresse. Mais, alors que pour Marx l'abolition du salariat était la condition sine qua non de la transformation du travail réel aliéné en travail libéré, la pensée socialiste de la fin du XIXe siècle va abandonner cette condition et même faire du lien salarial le lieu où s'ancrent tous les droits : droit du travail, droit à la protection sociale, mais aussi droit à la consommation.

« Trente glorieuses »

Voir « “C'était mieux avant…” », « Fiscalité sur le revenu, la peau de chagrin », « Qu'est-ce qu'une crise financière ? »

Censée couvrir les années 1945-1975, l'expression de l'économiste Jean Fourastié désigne la période de prospérité économique de l'après-guerre dans les pays industrialisés. En réalité, la phase de croissance forte (5 % par an en moyenne) ne commence qu'avec la guerre froide, vers 1950, et s'essouffle dès la fin des années 1960. Ce dynamisme s'explique par plusieurs facteurs : les possibilités offertes par la reconstruction d'après-guerre, les politiques keynésiennes d'investissements publics, la maîtrise par les États de la politique monétaire et surtout le compromis social « fordiste » qui, en dopant le pouvoir d'achat des salariés, stimule la demande et l'investissement. Si cette période se caractérise par le plein-emploi et de nombreuses conquêtes sociales pour les travailleurs, on oublie parfois que c'est l'exploitation du tiers-monde, c'est-à-dire l'utilisation à bas prix de ses matières premières et le recours massif à l'immigration pour faire tourner les usines, qui a permis une croissance vigoureuse. C'est aussi à cette époque que les limites écologiques de la planète ont commencé à être dépassées.

Valeur ajoutée

Voir « « La croissance, c'est la prospérité » », « “Tous gagnants grâce au dialogue social !” », « Le continent ignoré de l'économie non marchande »

Valeur économique nouvelle créée au cours d'un cycle de production. Dans une entreprise, elle est égale au chiffre d'affaires (l'ensemble des ventes) diminué du coût des consommations intermédiaires* (énergie, matières premières). La valeur ajoutée tirée de la production du pain, par exemple, correspond à la différence entre le prix du pain vendu et la somme du prix de la farine, du levain, de l'électricité et autres biens intermédiaires consommés. Cette richesse se divise en deux parts : salaires et profits. Si l'une croît, l'autre diminue automatiquement.

Valeur réelle / nominale

Dans l'étude des variations d'une grandeur d'une année à l'autre, les valeurs nominales (ou « à prix courants ») ne sont pas corrigées de l'inflation, alors que les valeurs réelles (ou « à prix constants ») prennent en compte ses effets. Imaginons qu'un pays européen voie son PIB passer de 1 000 milliards à 1 015 milliards d'euros en une année : la croissance annuelle nominale est donc de 1,5 %. Mais ce chiffre correspond-il vraiment à l'augmentation de la richesse produite ? Non, car si l'inflation était de 1 %, par exemple, le PIB a grossi de 10 milliards d'euros sans que cela soit attribuable à une augmentation de la richesse produite. La croissance réelle, correspondant au volume de production supplémentaire, est alors de 0,5 %.

Valeur d'usage /valeur d'échange

Les courants classiques et marxistes ont cherché à faire apparaître ce qui, derrière les prix, déterminait la valeur fondamentale d'une marchandise. Pour cela, ils distinguent sa valeur d'usage (liée à la satisfaction subjective qu'il procure) de sa valeur d'échange (son prix). Cette dernière dépend de trois facteurs : 1. la quantité moyenne de travail nécessaire à la production ; 2. l'application d'un taux de profit moyen exigé par les capitalistes, qui varie en fonction du rapport de force avec le travail et qui donne le « prix de production » ; 3. les fluctuations de l'offre et de la demande, qui aboutissent au « prix de marché ».

Zone monétaire optimale (ZMO)

Voir « De la monnaie unique à la monnaie commune »

Selon une théorie formulée en 1961 par l'économiste canadien Robert Mundell, un groupe de pays ou de régions constitue une ZMO lorsqu'il combine trois caractéristiques limitant la probabilité de chocs asymétriques (ou permettant de les absorber quand ceux-ci surviennent) : 1. homogénéité des structures productives ; 2. présence d'un budget central suffisamment important pour permettre des redistributions stabilisatrices ; 3. possibilité de migration des salariés à l'intérieur de la zone. Si ces conditions ne sont pas réunies, les États n'ont pas intérêt à se priver des deux précieux outils de gestion économique que sont la politique monétaire et la politique de change.

Lors de la création de la monnaie unique européenne, ses partisans imaginaient qu'elle transformerait, a posteriori, la zone euro en ZMO. La crise qui balaie la région depuis 2010 a douché leurs espoirs.

Sources

• Attac, Le Petit Alter. Dictionnaire altermondialiste, Mille et une nuits, 2006

• Alain Beitone, Antoine Cazorla, Christine Dollo, Anne-Mary Drai (sous la dir. de), Dictionnaire de science économique, Armand Colin, 2004

• Raphaël Didier, Dictionnaire révolté d'économie, Bréal, 2011

« Ce sont les entreprises qui créent l'emploi »

Tue, 23/05/2017 - 11:26

Depuis le début des années 1980, le terme de « patron » a peu à peu disparu des discours, au profit de l'expression « créateur de richesse » — qui, il est vrai, correspond mieux au statut de héros modernes accordé aux entrepreneurs. L'idée selon laquelle « ce sont les entreprises qui créent l'emploi » suggère en effet que le bien-être collectif dépend en grande partie d'eux. Mais une telle croyance est-elle fondée ?

Installation dans une usine en grève, banlieue parisienne, juin 1936. © Coll. Philippe Doublet / Adoc-photos.

C'est sans doute la phrase la plus répétée de tout le discours économique médiatique et politique, la mieux bénie par le sens commun : « Ce sont les entreprises qui créent l'emploi. »

Affiche du film « Ressources humaines », de Laurent Cantet, 1999. DR.

N'est-ce pas le patron qui décide d'un recrutement supplémentaire ? Le pire dans cette histoire, c'est que les principaux intéressés, ceux que la tenue de ce discours favorise le plus évidemment, savent eux-mêmes, mais d'une connaissance à la fois honteuse et inavouable, que cet énoncé est faux ! Les plus empotés ont parfois la maladresse de vendre la mèche ! Ainsi Jean-François Roubaud, alors président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME), en janvier 2014, lors de l'élaboration du pacte de responsabilité. La question en discussion est celle des contreparties aux 50 milliards de ristournes fiscales : le patronat s'engage-t-il sur un volume global de créations d'emplois ? Évidemment, refus complet, mais assorti d'un argument : « Encore faut-il que les carnets de commandes se remplissent… »

Et voilà le roi nu : le souverain créateur d'emplois ne crée rien du tout. Il n'ouvre de nouveaux postes à pourvoir que s'il fait face à un volume présent ou futur de commandes qui le justifie. Mais jusqu'à plus ample informé, les entreprises ne font pas elles-mêmes leurs perspectives de chiffre d'affaires — sinon ça se saurait, et la vie d'entrepreneur serait particulièrement simple.

Extrait de l'album d'André Franquin « Lagaffe mérite des baffes », 1979. © Franquin, Gaston Lagaffe, tome 17, éditions Dupuis, all rights reserved / www.dupuis.com

En première approximation, les entreprises enregistrent passivement un certain flux de commandes, dont les déterminations leur sont extérieures, et le convertissent en emplois nécessaires étant donné les tendances internes de la productivité. On pourrait objecter que l'entreprise dispose au contraire d'un pouvoir propre d'attirer à elle plus de clients, soit en développant l'innovation, soit en réduisant ses coûts — en vendant de meilleurs produits moins cher. Au niveau microéconomique, c'est incontestable. À ceci près que, à court terme, le jeu est finalement à somme nulle : les clients qui viendront à elle auront été soustraits à ses concurrents. Elle ouvrira en conséquence davantage de postes, mais les concurrents en ouvriront moins. Le jeu de la concurrence ne fait qu'opérer des redistributions sous contrainte du revenu disponible global à dépenser dans l'économie.

Accorder aux entreprises des allègements de charges ou d'impôts n'a conduit qu'à une hausse du chômage Le chômage de masse, une « opportunité » formidable ? Relayée par ce supplément de « Libération », l'émission animée par Yves Montand se chargeait d'expliquer dès 1984 la nécessité de renoncer aux archaïques conquêtes syndicales pour enfin épouser la « solution libérale ».

Au total, et au travers de toutes les réfractions sectorielles et concurrentielles, les entreprises ne font qu'opérer localement la conversion en emplois du volume d'activité déterminé par le processus global de la conjoncture. À l'opposé de l'imagerie du chef d'entreprise héroïque démiurge, la conjoncture d'ensemble est donc ce processus sans sujet qui est le vrai « créateur » de l'emploi. Cette confusion — idéologiquement intéressée — des causes aura donc conduit à la constance dans l'erreur depuis trente ans de politiques économiques qui aident le mauvais « agent créateur » : les entreprises, au lieu de la conjoncture. Soit : accorder aux entreprises des allègements de charges ou d'impôts qui sont de pures aubaines pendant que la politique macroéconomique s'enferme dans le carcan des règles européennes. Étonnons-nous que le chômage n'ait pas cessé de croître…

Mais n'y a-t-il pas quand même un sens à donner à l'énoncé « Les entreprises créent l'emploi » ? Oui, à condition de considérer en effet « les entreprises » non pas séparément mais comme totalité. Les décisions d'investissement qu'elles prennent toutes ensemble constituent, agrégées, une sorte de pari macroéconomique sur l'avenir aux propriétés fortement autoréalisatrices. Car ces décisions d'investissement sont des décisions de dépense qui vont donner une impulsion à la conjoncture générale et valider ex post les paris, c'est-à-dire les anticipations de demande, formés ex ante. Malheureusement, cette coordination des anticipations et des paris d'investissement par lesquels en effet les entreprises vont faire, mais toutes ensemble, leur propre conjoncture, cette coordination est hautement improbable. C'est que nous célébrons un merveilleux système qui se définit précisément par le fait que les agents individuels y prennent leurs décisions en toute indépendance et sans se coordonner avec les autres : le marché !

Deux jeunesses face à la « loi travail »

Tue, 23/05/2017 - 09:37
Jacques Villeglé. – « Métro Arts-et-Métiers », 1972 ADAGP – Photo : S. Veignant - Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois, Paris
Exposition Jacques Villeglé du 8 avril au 13 mai 2016, Galerie Vallois.

Les étudiants « sont des gens relativement protégés, les insiders, qui sont en train de lutter contre les outsiders. (…) Ce sont ceux qui bloquent l'entrée sur le marché du travail des moins qualifiés. (…) Ce sont les jeunes privilégiés, favorisés, qui vont empêcher que l'on réforme le marché du travail de ceux qui n'ont pas de job ». Ainsi parlait Laurent Bigorgne, le directeur de l'Institut Montaigne, un puissant think tank libéral, le 12 mars 2016 sur Europe 1. Selon cet ancien directeur adjoint de Sciences Po, les étudiants barreraient la route aux jeunes non qualifiés, dont les chances d'accéder à « l'emploi » seraient améliorées par le projet de loi réformant le code du travail.

Certes, les étudiants sont globalement issus de milieux sociaux plus favorisés que les autres jeunes : en 2010, parmi les élèves entrés en 6e en 1995, 83 % des enfants de cadres supérieurs et seulement 29 % des enfants d'ouvriers non qualifiés ont accédé à l'enseignement supérieur. Et 41 % des premiers et 4 % des seconds ont obtenu un diplôme de niveau bac + 5 (1), qui facilite grandement l'accès à l'emploi : en 2014, parmi les jeunes sortis du système éducatif depuis un à quatre ans, moins de deux diplômés du supérieur sur dix étaient au chômage ou sans activité professionnelle, contre sept jeunes sans diplôme ou titulaires du seul brevet (2).

Mais tous les étudiants ne sont pas pour autant des privilégiés. Si les écoles d'ingénieurs et de commerce ou les filières universitaires de santé permettent d'accéder à des emplois stables, hautement qualifiés et bien rémunérés, les filières courtes — préparation au brevet de technicien supérieur (BTS), écoles paramédicales et sociales, instituts universitaires de technologie (IUT) — débouchent souvent sur des postes d'employé ou d'ouvrier. Les enfants de cadres ou de membres des professions intellectuelles supérieures — soit 30 % de l'ensemble des étudiants — sont largement surreprésentés dans les écoles normales supérieures (ENS), où ils constituent 53 % des effectifs, les classes préparatoires aux grandes écoles (50%), les écoles d'ingénieurs (47%), les filières universitaires de santé (41%) et les écoles de commerce (37%) (3). A l'opposé, les enfants d'ouvriers (11% du total des étudiants) ne représentent que 3 à 6 % des élèves de ces filières qui offrent de nombreux débouchés, mais 15 à 20 % de ceux des filières courtes. Les diplômes qui ouvrent les portes des emplois les plus stables et les plus valorisés sont aussi ceux dont l'accès est le plus restreint socialement.

En outre, les étudiants, lorsqu'ils travaillent, n'échappent pas à une certaine précarité. Ils forment une main-d'œuvre adaptée à certains secteurs (4). Plusieurs emplois particulièrement flexibles du fait de la soumission aux aléas de la demande (activité saisonnière, organisation en flux tendu, etc.) ou aux exigences des donneurs d'ordres (les centres d'appels sous-traitants, par exemple) sont occupés par un personnel étudiant. Non seulement ces salariés sont particulièrement disponibles à certains horaires, comme le soir et le week-end, non seulement ils acceptent volontiers de travailler à temps partiel, mais ils peuvent aussi plus facilement que les autres se voir imposer des contrats de travail temporaires — contrats à durée déterminée (CDD), intérim, etc. — et de faibles rémunérations. « Ce n'est quand même pas le but des gens de rester dix ans à faire des hamburgers. On sait qu'ils ne vont pas faire leur vie chez nous », explique par exemple M. Jérôme S.

Pour ce recruteur d'un restaurant McDonald's, un salarié qui travaillerait dans la restauration rapide « parce qu'il a besoin d'argent » et « pour gagner sa vie » serait « malheureux » et donc moins productif : « Souvent, à long terme, l'équipier n'est plus tellement rentable, parce qu'il n'est plus motivé : absences régulières de tout type, retards, moindre assiduité au travail. » D'où l'intérêt d'embaucher des étudiants, dont le taux de rotation est très élevé. Dans ce contexte, le contrat à durée indéterminée (CDI), contrat le plus fréquent chez les « équipiers », représente moins une contrainte qu'une aubaine pour les entreprises, ainsi dispensées du versement d'une prime de précarité et de certaines cotisations.

L'occupation intensive d'un emploi engendre un risque élevé d'échec ou d'abandon des études. Elle accroît la probabilité de ne pas assister aux cours, diminue le temps consacré au travail personnel et à la préparation des examens et tend à réduire l'importance accordée à la vie universitaire. La moitié des étudiants — 53 % des filles et 46 % des garçons — doivent pourtant travailler (5). Au nom du lien entre universités et entreprises, cette situation est parfois valorisée. « L'expérience professionnelle est un plus pour les étudiants, y compris préparer des frites ! (…) Même en travaillant dans la restauration rapide — le job étudiant par excellence —, les étudiants pourraient acquérir une expérience en termes d'esprit d'équipe, de respect des horaires, de découverte du milieu professionnel », préconisait en 2007 M. Laurent Bérail, membre de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et rapporteur du Conseil économique et social sur le travail des étudiants (6).

Tous n'exercent pas le même type d'activité, loin de là. Parmi les enfants de cadres prédominent les emplois occasionnels auprès de particuliers (baby-sitting, cours particuliers), les activités liées à leur formation (internat dans les hôpitaux) et les emplois qualifiés. Ce travail d'appoint est exercé de façon à la fois détachée et occasionnelle, comme un présent qui n'engage en rien l'avenir. Ainsi, M. Clément L., élève dans une école de commerce financée par ses parents, ne se « verrait pas toute la vie » gardien remplaçant dans un organisme de logements sociaux, mais trouve ce poste « nickel » pour les vacances d'été.

Toutefois, pour de nombreux jeunes, le poste occupé provisoirement (« pour payer ses études ») peut devenir durable, au point de prendre progressivement la place des études. On assiste alors à une « éternisation », à un enlisement dans l'emploi. Pris au jeu (et au piège) de leur « petit boulot », certains en viennent à se définir eux-mêmes davantage comme salariés que comme étudiants et désertent l'université. Les perspectives de promotion étant limitées dans ces secteurs d'activité, ils découvrent que leur faible niveau de diplôme les voue durablement à des emplois instables et non qualifiés.

Ce cas de figure est particulièrement fréquent dans la restauration rapide et les centres d'appels. « Je ne pensais pas y rester, mais j'y reste », constate Mme Laetitia T., qui travaille depuis deux ans chez McDonald's. Elle est issue d'un milieu populaire ; sa mère est employée dans une compagnie d'assurances et son père est décédé après avoir exercé divers métiers et connu des périodes de chômage. La jeune femme a fini par abandonner ses études de sociologie, épuisée par un poste éprouvant physiquement et mentalement : « L'université était à une heure de trajet de chez moi. J'en avais marre, raconte-t-elle. Parfois, je ne me levais pas : j'étais trop fatiguée par le McDo, ou j'avais la flemme de faire une heure de trajet pour suivre les cours, ça me tuait. »

Souvent d'origine populaire et, pour une partie d'entre eux, issus de l'immigration — le père de Mme T. était originaire de Madagascar —, ces étudiants proviennent en général des séries technologiques ou professionnelles du secondaire et se heurtent à des difficultés durant leurs études supérieures. Relégués au sein de l'institution universitaire, ils découvrent dans leur emploi une voie de salut alternative : ils y trouvent une sociabilité, voire une reconnaissance, relativement absente du cadre de leurs études, qu'ils sont ainsi amenés à délaisser progressivement, ou à ne jamais investir. Téléactrice dans un centre d'appels à hauteur de vingt-cinq heures par semaine, Mme Khadija D. parle par exemple de ses collègues — essentiellement des étudiants — comme d'une « deuxième famille » au sein de laquelle elle se sent bien plus « à l'aise » que dans le milieu universitaire. Après deux CDD, cette jeune Française d'origine sénégalaise aspire à « passer en CDI », tout en regrettant d'avoir délaissé ses études pour son poste de téléactrice, auquel elle attribue son échec en première année d'administration économique et sociale.

Les inégalités et la précarité croissantes passent aussi par les stages, qui deviennent de plus en plus souvent obligatoires : en 2010, 43 % des étudiants avaient dû effectuer au moins un stage l'année précédente ; près de deux fois plus que quatre ans plus tôt (7). Or les deux tiers de ces stages ne sont pas rémunérés. Certes, une loi adoptée en juin 2014 a amélioré la situation, mais ceux d'une durée inférieure à deux mois peuvent toujours ne pas être payés. Par ailleurs, la généralisation des stages et autres statuts temporaires risque de restreindre le volume des emplois stables et donc, paradoxalement, les perspectives d'« insertion » professionnelle à l'issue des études, surtout lorsque ces statuts provisoires n'offrent aucune garantie d'embauche ultérieure.

Chez les étudiants démunis socialement et scolairement, l'engagement dans un emploi apparaît souvent comme le pendant du découragement ressenti à l'université ; et, par une sorte de cercle vicieux, cet engagement salarial renforce leur prise de distance vis-à-vis des enjeux scolaires. La dégradation ou, du moins, l'absence persistante d'amélioration réelle des conditions d'études et d'accès au savoir ne peut que contribuer à la relégation de ces étudiants, qui auraient au contraire besoin d'un renforcement de l'encadrement pédagogique et des modes d'intégration. Entre 2009 et 2014, alors que les effectifs ont augmenté de 6,5 % dans les universités, le nombre de postes publiés pour le recrutement d'enseignants-chercheurs titulaires a diminué d'un tiers (8).

Opérés depuis plusieurs années au nom de l'« autonomie » des universités et de la course à l'« excellence », le désengagement financier de l'Etat et la dotation inégalitaire des établissements risquent de restreindre encore plus l'accès d'une partie de la jeunesse aux diplômes du supérieur.

A rebours de leur mission de service public, plusieurs universités sont conduites à développer des formes de sélection, comme les admissions sur dossier ou l'instauration de limites de « capacités d'accueil » et de tirages au sort. Les unes cherchent à faire face à la pénurie de personnels, de locaux, etc. ; les autres veulent maintenir leur compétitivité sur un « marché » de l'enseignement supérieur devenu concurrentiel.

De même, des mesures visant à transférer le financement des études supérieures des pouvoirs publics vers les étudiants sont régulièrement promues par les réformateurs : hausse des frais d'inscription, développement des prêts étudiants, incitations à l'emploi étudiant à travers l'alternance ou les aménagements d'études, etc. Bref, les transformations en cours et les pistes préconisées ne vont pas dans le sens d'une démocratisation de l'accès aux diplômes du supérieur, qui, pourtant, offrent une relative protection contre le chômage et la précarité.

A défaut d'une amélioration réelle du niveau de formation initiale de l'ensemble de la jeunesse, le projet de « loi travail » propose, au fond, de rapprocher le devenir des diplômés de celui des autres jeunes en réunissant sous une sorte de CDI flexible, au rabais, les précaires et les salariés « stables ». Pourtant, la plupart des économistes contestent le postulat selon lequel l'affaiblissement des protections salariales conduirait à une hausse de l'emploi. En revanche, il est bien plus probable que ces mesures contribueront à aggraver l'intensité du travail et le sentiment d'insécurité déjà observés y compris chez les fonctionnaires et les salariés en CDI (9). Le travail et l'emploi valent mieux que ça.

(1) Ministère de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche (MENESR) — Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), Repères et références statistiques sur les enseignements, la formation et la recherche (RERS), Paris, 2014.

(2) MENESR — DEPP, L'Education nationale en chiffres, 2015.

(3) MENESR — DEPP, RERS, 2015.

(4) Cet article repose sur une série d'enquêtes ethnographiques conduites dans le cadre d'une thèse de doctorat en sociologie. Associées à des entretiens avec des étudiants salariés, des employeurs, des militants syndicaux, des formateurs, etc., plusieurs enquêtes par observation participante ont été menées par dans la restauration rapide, les centres d'appels et l'animation socioculturelle.

(5) Selon l'enquête de l'Observatoire de la vie étudiante (OVE) de 2010. Pendant l'année universitaire, 14 % de l'ensemble des étudiants exercent à mi-temps ou plus une activité non liée aux études.

(6) « Les jobs étudiants à valoriser dans le cursus universitaire », Le Figaro, Paris, 26 novembre 2007.

(7) Enquête de l'OVE, 2010.

(8) MENESR, Note d'information Enseignement supérieur et recherche, no 15.08, décembre 2015 ; Bilan de la campagne de recrutement 2014 ; L'Etat de l'enseignement supérieur et de la recherche en France, no 8, juin 2015.

(9) Comme le montrent plusieurs études publiées par le ministère du travail, notamment : Elisabeth Algava, « Insécurité de l'emploi et exercice des droits dans le travail » (PDF), DARES Analyses, no 92, Paris, décembre 2015, et Elisabeth Algava, Emma Davie, Julien Loquet et Lydie Vinck, « Conditions de travail : reprise de l'intensification du travail chez les salariés » (PDF), DARES Analyses, no 49, juillet 2014.

Condamnés à s'entendre

Mon, 22/05/2017 - 19:55

Similitudes historiques, affinités culturelles : l'Iran et la Turquie affichent une singulière proximité. Contrairement à bon nombre de leurs voisins au Proche-Orient, ces deux États non arabes sont de construction ancienne. Issus de deux grands Empires, le safavide et l'ottoman, dont la rivalité remonte au XVIe siècle, ils se sont souvent combattus ; ils sont également parvenus, parfois, à trouver des terrains d'entente.

Leur développement politique au cours du XXe siècle présente de multiples ressemblances. Tant la révolution constitutionnelle de 1906 en Perse que celle des Jeunes-Turcs en 1908 transforment la scène politique nationale. Après la Grande Guerre, les deux capitales lancent de concert des programmes de transformation pilotés par l'État. Dès sa fondation par Mustafa Kemal Atatürk, en 1923, la République de Turquie a mis en œuvre une politique de modernisation autoritaire dont Reza Chah s'est inspiré à l'établissement de la dynastie Pahlavi, fin 1925. Après la seconde guerre mondiale, et jusqu'à la révolution islamique de 1979, Ankara et Téhéran redoutent la « menace soviétique » : proches des Occidentaux, et en particulier des États-Unis, ils coopèrent sur le plan militaire au sein du pacte de Bagdad (1955-1958), remplacé après la chute de la monarchie irakienne, en 1958, par l'Organisation du traité central (Cento, 1959-1979).

À partir de 1979, deux systèmes politiques de nature très différente, l'un laïque, l'autre théocratique, doivent coexister. Le nouveau régime iranien condamne la laïcité, rejette le kémalisme et l'occidentalisation de la société turque. Il réprouve les liens d'Ankara avec les États-Unis, avec l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) et, plus tard, avec Israël. En politique internationale, il opte pour le mouvement des non-alignés et inaugure une « diplomatie islamique » qui rejette à peu près toutes les formes de régime existant au Proche-Orient et plus largement dans le monde musulman. Mais, lors de la guerre Iran-Irak (1980-1988), Téhéran n'a d'autre choix que de mener une politique plus conciliante à l'égard de son voisin : les relations commerciales bilatérales irano-turques redémarrent progressivement. Après la fin de la guerre, malgré le fossé idéologique qui les sépare et l'apparition périodique de dissensions, les deux pays continuent de développer leurs échanges commerciaux, évitant toute aggravation des tensions.

En 2002, l'arrivée au pouvoir du Parti de la justice et du développement (AKP, à l'époque islamiste modéré) en Turquie favorise une reprise plus ample de la coopération. La décennie 2000 se caractérise par un rapprochement inédit depuis la chute du chah. Les liens politiques se renforcent, les visites officielles se multiplient, la collaboration dans le domaine énergétique se confirme, et les échanges économiques connaissent un essor sans précédent. Le volume du commerce passe de 1 milliard de dollars en 2000 à 16 milliards en 2011 (1). En 2012, l'Iran est le premier fournisseur pétrolier et le deuxième fournisseur gazier de la Turquie, juste après la Russie (2). Les sanctions américaines ayant affecté les relations commerciales et financières entre l'Iran et Dubaï, la Turquie joue le rôle de base de repli pour les compagnies iraniennes. Leur nombre explose dans le pays. Selon le ministère turc de l'économie, on en comptait 3 604 en 2014.

Sur le plan diplomatique, Ankara, en coopération avec le Brésil, s'implique dans une médiation sur la question nucléaire iranienne ; sans succès. Cette initiative soulage cependant Téhéran face aux pressions occidentales. En votant contre la résolution 1929 du Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), qui imposait de nouvelles sanctions contre l'Iran, en juin 2010, la Turquie lui a d'ailleurs confirmé son soutien.

(1) « Direction of trade statistics, yearbook 2015 », Fonds monétaire international (FMI), Washington, DC, octobre 2015.

(2) « Oil and gas security. Emergency response of IEA countries », Agence internationale de l'énergie, Paris, 2013.

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