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Et si, tels les bourgeois de Calais, en robe de bure et la corde au cou, les Britanniques quémandaient leur réadhésion à l’Union européenne une fois le Brexit consommé ? Si personne dans les capitales européennes ne doute que le Royaume-Uni sortira bien le 31 mars 2019 sur les coups de minuit, beaucoup estiment désormais qu’elle voudra, dès que les circonstances politiques le permettront, revenir au sein de la famille européenne, tant les conséquences économiques et diplomatiques de son départ s’annoncent désastreuses pour lui. L’incapacité du gouvernement de Theresa May d’articuler une position de négociation cohérente, la profonde division de la classe politique autour des conditions de la sortie, « soft » ou « hard », l’évolution d’une opinion publique fracturée entre jeunes « Remainers » et vieux « Brexiters », augmente, en effet, les probabilités de voir revenir plus rapidement qu’on ne le pense cet enfant terrible de la classe européenne. Mais pas à n’importe quelles conditions.
« Le Brexit aura lieu, les Britanniques sont trop engagés pour reculer », prévient un diplomate européen de haut rang, « en dépit des débats qui ont lieu actuellement outre-Manche ». « Politiquement, ceux qui proposeraient un abandon du Brexit se condamneraient à mort », surenchérit un responsable de la Commission, chargée de négocier la sortie du Royaume-Uni. « Les Brexiters ne peuvent pas se dédire, même si tout le monde a des doutes sur la pertinence du Brexit », analyse Olivier Costa, professeur de sciences politiques à Bordeaux et au Collège d’Europe de Bruges. « Il faudrait un bouleversement politique dans les 18 mois qui viennent pour changer les choses, comme de nouvelles élections législatives qu’on a du mal à imaginer aujourd’hui », acquiesce le diplomate déjà cité.
Fierté britannique à ne pas se déjuger
Ce qui suppose à tout le moins « un changement profond de l’opinion publique. Or même si on voit des évolutions, ce n’est pas suffisamment significatif pour qu’un gouvernement coure le risque d’une nouvelle consultation », souligne-t-on à la Commission. « Il ne faut d’ailleurs pas se tromper », met-on en garde à Bruxelles : « ce dont on discute au Royaume-Uni, ce n’est pas d’un demi-tour, mais du contenu de la période de transition qui suivra la sortie ». De fait, les élections législatives anticipées n’ont pas abouti à une victoire des opposants au Brexit : le parti travailliste a fait campagne pour un Brexit « soft », c’est-à-dire un maintien de liens étroits avec l’Union, les libéraux-démocrates, favorables au « remain », ont confirmé leur marginalisation et, surtout, les indépendantistes écossais du SNP, clairement opposé au Brexit, ont subi un fort recul. « Theresa May est certes affaiblie, mais c’est sa stratégie de « hard Brexit », c’est-à-dire d’une rupture totale avec l’Union, qui a été désavouée », souligne-t-on à la Commission. « En réalité, les électeurs britanniques ont confirmé le résultat du référendum du 23 juin 2016, mais ils ne veulent pas d’une sortie brutale ». « De toute façon, au-delà des arguments politiques et juridiques, il y a une fierté britannique à ne pas se déjuger même s’ils se rendent compte qu’ils ont fait une connerie », s’amuse un diplomate en poste à Bruxelles.
En supposant même que les Britanniques changent rapidement d’avis, il n’est pas sûr que cela soit juridiquement possible : l’activation par Londres de l’article 50 du traité sur l’Union, le 29 mars dernier, est sans doute irrévocable. « Même si le traité ne dit rien sur le sujet, la Cour suprême de Grande-Bretagne a jugé qu’il était impossible de revenir en arrière, à l’unisson de la Commission ou du Parlement européen », rappelle Olivier Costa : « mais si l’unanimité des États membres le décidait, ce serait sans doute possible ». Une unanimité à laquelle personne ne croit à Bruxelles : « si on revenait sur l’article 50, on poserait des conditions, car il n’est pas question de permettre à Londres de continuer à nous emmerder comme elle le fait depuis quarante ans », tranche brutalement un diplomate européen. « En clair, plus question qu’elle bénéficie d’une série de dérogations ou d’un rabais sur sa participation au budget, ce qui sera inacceptable pour le Royaume-Uni », poursuit-il. Bref, par quelque bout que l’on prenne le problème, personne n’a intérêt à ce que le Brexit n’ait pas lieu.
«Le paradis attend les martyrs du Brexit»
En revanche, une nouvelle adhésion après la sortie est possible comme le prévoit le paragraphe 5 de l’article 50. « Plus on s’éloigne de la date du référendum du 23 juin 2016, plus un retour devient une possibilité », analyse-t-on à la Commission. En particulier, l’évolution naturelle du corps électoral jouera en faveur des Européens, les citoyens de plus de 65 ans ayant à 64 % voté en faveur du Brexit alors que les moins de 25 % se sont prononcés à 71 % en faveur du « remain ». Comme l’a rappelé crument, lundi, Vincent Cable, le leader des libéraux-démocrates, « le paradis attend les martyrs du Brexit ». « C’est une affaire d’une autre génération politique, d’un autre corps électoral », admet-on à la Commission. « Comme le disait l’article 28 de la Constitution de 1793, « une génération ne peut assujettir à ses lois les générations futures » », souligne Olivier Costa. Les Brexiters, dont Nigel Farage, l’ex-leader de l’europhobe UKIP, avait d’ailleurs annoncé qu’ils réclameraient un second référendum si le résultat de celui du mois de juin 2016 était négatif. « D’ici dix à quinze ans, le paysage électoral britannique aura profondément changé et tout redeviendra possible », estime Olivier Costa. Les effets économiques du Brexit, qui s’annoncent douloureux, et diplomatiques, Londres risquant de toucher du doigt son isolement à l’heure des grands ensembles continentaux, joueront un grand rôle en faveur d’une nouvelle candidature.
Les Vingt-sept peu enthousiastes
Le problème, en réalité, risque de se poser du côté de l’Union, celle-ci n’ayant aucune intention de renouer avec le boulet britannique, d’autant que les europhobes feront toujours partie du paysage britannique. « Personne n’aura envie de faire le moindre cadeau à Londres après la palinodie du Brexit quoiqu’on pense à Londres. Il n’est pas du tout certain que les États les plus fédéralistes comme l’Allemagne, la France ou la Belgique acceptent une nouvelle candidature de la Grande-Bretagne. Or, il faut l’unanimité des Vingt-sept », analyse Olivier Costa. « Elle ne pourra pas demander un statut privilégié comme celui qu’elle avait obtenu : plus de dérogation aux politiques de l’Union, plus de rabais au budget de l’Union », tranche un eurocrate. « Si dans dix ou quinze ans, l’Union comprend deux cercles bien distincts, la zone euro, et un ensemble plus large autour du marché unique voire éventuellement un statut de membre associé, cela facilitera le retour de la Grande-Bretagne », estime un diplomate européen de haut rang. Si retour il y a, ce sera donc un retour par la petite porte et dans une pièce adjacente de la maison européenne. Brexit ou retour à la maison, la Grande-Bretagne restera affaiblie durablement.
N.B.: version longue de l’article paru dans Libération du 9 août