(B2) L’assassinat de la blogueuse maltaise Daphné Caruana Galizia décédée dans l’explosion de sa voiture à Malte (blog) interpelle. Cette journaliste avait un talent, débusquer les affaires, être le poil à gratter notamment du gouvernement maltais actuel dirigé par Joseph Muscat, dont elle estimait qu’il était corrompu (sa femme pouvant être impliquée dans des transferts d’argent avec l’Azerbaïdjan), tout comme son chef de cabinet, roué aux basses œuvres. Nous avions eu l’occasion d’échanger, à une ou deux reprises, notamment sur l’affaire Dalli. Et, au-delà de l’émotion personnelle ou professionnelle, il y vraiment matière à s’interroger…
Un acte d’intimidation avant tout
Il y a eu rarement des assassinats en Europe (1). Le dernier en date ne concernait pas un pays de l’Union européenne, mais Anna Politkovskaya en Russie (2). On peut remarquer, ici, qu’il ne s’agit pas d’un « simple » assassinat. Les auteurs du crime ont tenu à ce que cet acte soit aussi démonstratif que possible. Faire exploser une voiture est un moyen de tuer mais aussi un acte très clair d’intimidation. Le message est à destination de toute la presse : arrêtez d’enquêter sur certains faits.
Une certaine prudence de la Commission
Face à cela, on peut trouver que la Commission européenne a réagi avec une prudence, et un message très convenu, qui semblent décalés par rapport à l’évènement. « C’est un acte horrible. Un évènement tragique qui doit faire l’objet d’une enquête. Nous souhaitons que justice soit faite » a seulement souligné mardi (17 octobre) le porte-parole en chef de la Commission, Margaritis Schinas. Celui-ci n’a pas voulu répondre sur une possible mise en cause de Malte au titre de l’état de droit, rejetant indirectement cette hypothèse. Et, interrogé sur un entretien spécifique de Jean-Claude Juncker, ajoutant : « Le président (Juncker) connait tout le monde, et est en contact permanent avec tout le monde, et n’a pas besoin d’occasions particulières » [pour discuter de certaines personnes]. Il « a toutes les informations dont il a besoin. »
Un peu court pour ce qui concerne tout de même un État membre de l’Union européenne, dont on se demande s’il est encore un État de droit ou un simple État mafieux…
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : des spécialistes néerlandais de la police scientifique sont arrivés à Malte, mardi, pour aider la police maltaise à enquêter. Des spécialistes du FBI en électronique sont également attendus, jeudi, pour aider à l’analyse de divers équipements, notamment l’ordinateur de la journaliste retrouvée dans la voiture calcinée, selon Malta today.
(1) Plusieurs journalistes ont été, dans les années 2000 ciblés par l’organisation séparatiste basque ETA qui a ainsi tué José Luis Lopes de La Calle (dans une attaque au cocktail molotov contre son domicile), et tenté de le faire, lors d’un attentat contre Gorka Landaburu.
(2) Lire aussi :
A l’initiative du président du Conseil européen, une minute de silence a été observée lors de la conférence de presse du sommet des partenaires sociaux (crédit : Conseil européen)
(Mis à jour avec l’ajout de la photo de la minute de silence et les éléments sur l’assistance policière)
(B2) Le navire britannique HMS Echo (H 87) revient en Méditerranée dans le cadre de l’opération européenne EUNAVFOR Med / Sophia. Il « va bientôt reprendre son travail pour identifier et perturber les trafiquants d’êtres humains le long de la côte nord-africaine » a confirmé l’admiral Philip Jones, le First Lord of Sea, le chef de la marine britannique (1).
Ce navire de surveillance hydrographique, bourré de moyens de surveillance électronique, avait déjà été engagé en début d’année 2017, tout comme son sister ship, le HMS Enterprise (H-88), l’avait été auparavant, dès le début de l’opération à l’automne 2015 (Lire : Quels sont les moyens de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med) dans sa phase 2 ?).
Des moyens très utiles pour repérer les trafics d’armes ou d’êtres humains, assurer la « surveillance » des garde-côtes libyens comme de veiller aux différents mouvements de navires de marine étrangère qui traînent dans les parages.
Cet engagement est aussi le symbole très concret que les Britanniques veulent rester engagés, plus que jamais, dans les missions et opérations de la politique de sécurité et de défense commune (Lire : Défense. Londres propose à l’UE un partenariat stratégique approfondi. Pas d’exit pour la PESC ?).
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Un homme bien connu des lecteurs de B2 pour avoir été le premier commandant de l’opération maritime anti-piraterie de l’UE (EUNAVFOR Atalanta). Lire : Philip Jones (UK), chef de l’opération antipirates EUNAV Somalie
(B2) Face aux atermoiements américains, Donald Trump, en tête sur l’accord nucléaire iranien, l’Europe n’a pas vacillé, a tenu un langage, ferme, clair, compréhensible, uni. Sans tâche et sans bavure. C’est assez rare pour être souligné. On a tellement glosé sur l’Europe incapable de s’entendre, de parler d’une seule voix, de tenir une position dure. Sur le nucléaire iranien, ces jours-ci, cela a été le cas.
Un message à plusieurs voix
La Haute représentante de l’UE d’abord, a eu un langage très dur, vendredi lors d’un point de presse tardif, exceptionnel, où en quelques minutes, elle a lancé deux trois remarque cinglantes à l’encontre du président américain. Les trois grands pays (France, Allemagne, Royaume-Uni) signataires de l’accord ensuite ont enchaîné, délivrant un propos plus policé, mais tout aussi ferme. Et les 28 devraient, ce lundi, enfoncer le clou.
Sans tonalité discordante
Aucune voix discordante n’est venu jeter le trouble. De façon assez étonnante. Cependant le contexte aurait pu le suggérer : ne pas soutenir l’allié américain, comme la position d’Israël, ne va pas de soi dans le chef de plusieurs des gouvernements. Personne n’a osé… On ne se retrouve ainsi plus du tout dans la même physionomie qu’il y a quatorze ans au moment de l’intervention en Iraq au prétexte de la présence d’armements chimiques (que démentaient pourtant les inspecteurs de l’ONU). Personne n’a embrayé. Ce qui témoigne d’une certaine façon de l’isolement américain.
Un message direct à Washington
Le message à Washington est direct : vous êtes en train de faire une belle connerie stratégique. « On ne pourra jamais renégocier cet accord » issu de longues années de négociation (plus de douze ans de négociation), qui a abouti à un texte extrêmement détaillé (104 pages), le tout entériné par une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée à l’unanimité, martèlent les Européens.
Washington un peu « à côté de la plaque »
« Aucun acteur, aucun dirigeant dans le monde ne peut contester le contenu d’une résolution des Nations unies adoptée à l’unanimité — souligne Federica Mogherini, la Haute représentante de l’Union —. Certes le président américain a de nombreux pouvoirs. Mais il n’a pas ce pouvoir là. »
Penser qu’on peut renégocier l’accord, c’est « être totalement à côté de la plaque » comme le dit ouvertement un haut diplomate européen parfaitement au courant du dossier et dont le langage est d’ordinaire beaucoup plus prudent et châtié du moins en public.
Quelle leçon en tirer ?
Est-ce à dire que le coup de poing de Trump est inutile ? Pas tout à fait. Tout d’abord il a été dosé plus subtilement que prévu. Le président américain décertifie, mais le rétablissement des sanctions nouvelles n’est pas demandé, sauf pour le Corps des Gardiens de la Révolution (1).
Une pression mis par les Américains sur l’Iran
Ensuite, il met la pression sur les Iraniens et les autres partenaires internationaux pour limiter le programme balistique iranien. C’est devenu la question principale maintenant. Enfin, en laissant planer le doute sur le rétablissement des sanctions, il ralentit, quasi mécaniquement les flux d’investissement vers la république islamique et mitige l’enthousiasme que pouvaient avoir des entreprises occidentales à venir s’y implanter.
Le jeu risqué des États-Unis
Washington prend cependant un risque certain : celui de sa fiabilité diplomatique, et de sa crédibilité internationale. Mais ce n’est pas ce que semble rechercher Donald Trump qui préfère d’une certaine façon renforcer le camp des conservateurs en Iran, ceux qui croient qu’aucun accord n’est possible avec les Nord Coréens et que le multilatéralisme n’a aucun avenir.
Des Européens droits dans leurs bottes
A l’inverse, les Européens restent droits dans leurs bottes, assumant pleinement leurs responsabilités au niveau international. C’est une maigre consolation. Mais elle est certaine. Encore une fois, on peut dire « merci » à Donald Trump. Il est en passe de faire davantage pour l’unité des Européens et leur rémanence dans le monde que tout autre traité international.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : Ce n’est pas aux Etats-Unis de décider seuls de changer un deal international (Mogherini)
(1) Le Corps, qui est un important pilier de la vie politique, militaire et économique en Iran, a été qualifié d’entité terroriste. Il fait déjà l’objet de plusieurs mesures restrictives de l’Union européenne (le Corps lui-même, ses branches militaires ou filiales économiques) mais pas au titre d’entité terroriste. Cette qualification aurait un effet politique, mais aussi technique plus important. Lire : Les sanctions européennes contre les Gardiens de la révolution