(B2) La Roumanie prend pour six mois la présidence de l’Union européenne. Pour la première fois de son histoire. Une véritable gageure
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Pour sa première présidence du Conseil de l’Union européenne, le pays de Maria Comaneci, Brancusi ou Ionesco est servi. Les défis ne manquent pas, les dangers également.
Des secousses à attendre
Il est très facile de ‘tirer’ à vue sur un pays qui prend pour la première fois son tour. Mais le timing n’est pas évident. C’est même un moment historique. Entre la grande inconnue du Brexit, des élections européennes qui risquent de voir se confronter de façon brutale anti et pro-Européens, le renouvellement attendu des institutions européennes, sans oublier la faiblesse notable de nombreux gouvernements européens, les motifs de secousses ne manquent pas.
Une série de dossiers à boucler
La présidence roumaine va tout d’abord devoir boucler toute une série de dossiers, techniques, très divers. De la réforme du droit d’asile (le fameux mécanisme de Dublin) au cadre budgétaire des années futures, en passant par les droits d’auteur, l’interopérabilité des bases de données ‘intérieur’, le droit cabotage des routiers ou le parquet européen anti-terroriste, les sujets sont nombreux, souvent très délicats. Le temps est compté. « Nous avons quelques semaines à peine devant nous pour trouver les compromis nécessaires » confie un jeune diplomate roumain. Il faut, en effet, faire avaliser tous les compromis par les ’28’ avant le départ en congé du Parlement européen, mi-avril. C’est-à-dire pour le Conseil, tout boucler avant la fin février ! (1). Les nuits vont être courtes…
Une équipe professionnelle
Les Roumains peuvent « compter sur une équipe de diplomates assez carrée, expérimentée, qui connait bien ses dossiers » souligne un observateur européen. Mais ils vont surtout devoir bénéficier de la bonne volonté des autres Etats membres. Inutile de le cacher. Le rôle de la présidence, c’est d’être « l’honnête négociateur, de prendre en compte les avis de chacun, puis de saisir l’opportunité d’aboutir » explique un diplomate européen. « Elle ne peut rien décider toute seule » . « On n’est pas le boss de l’Union européenne. On est là pour faciliter le consensus » tonne le ministre roumain des Affaires étrangères, Teodor-Viorel Melescanu, un vieux loup de la diplomatie nationale.
L’inattendu des crises
Bucarest devra aussi faire face à l’inattendu des crises. Les Luxembourgeois avaient dû géré en 2015 la crise migratoire. La crise passée, le problème reste. La gestion du moindre bateau chargé de 50 personnes devient aujourd’hui un casse-tête insoluble. La dernière épopée du Sea Watch 3, le navire de l’ONG du même nom resté près de trois semaines au large de Malte, en attendant le bon vouloir des Etats européens, le prouve. « La Roumanie a pris sa part » en accueillant 5 rescapés. « Elle continuera de le faire » confie le ministre Melescanu à Sud Ouest.
Une justice fragilisée
Mais le principal danger pour la Roumanie, c’est elle-même. Le pays n’a pas tout à fait digéré l’ère communiste de Ceaucescu. On ne sort pas indemne d’une telle expérience… La justice n’est pas encore performante. L’envie de virer les juges trop gênants est toujours prégnante. La destitution de la chef de la Direction nationale anticorruption (DNA), Laura Codruța Kövesi, en juillet dernier, a été un message très clair envoyé aux magistrats tentant d’exercer leur métier avec honnêteté. La corruption reste un fléau national. Le cinéaste Cristian Mungiu l’a très bien conté dans son film « baccalauréat », sorti en 2016.
La chamaille politique, un sport national
Quant au personnel politique, il adore la chamaille. Il ne faut pas oublier que si la Roumanie est située à l’Est de l’Europe, « c’est un pays latin » nous rappelle un diplomate national. Avec quelques zestes germanophones cependant. Le président Klaus Iohannis, membre du parti national libéral (droite) et représentant de cette minorité allemande, est à couteaux tirés avec le gouvernement de coalition, emmené par la sociale-démocrate Viorica Dancila, et son éminence grise, Liviu Dragnea. Il a aussi fait de l’indépendance de la justice l’alpha et l’oméga de sa présidence. Il a ainsi refusé, mercredi, de nommer Adina Florea au poste de procureure en chef de la direction nationale anticorruption (DNA), l’estimant peu compétente (2). Ce n’est pas la première fois, il avait déjà refusé la même nomination le 21 novembre dernier. Le gouvernement compte représenter la candidature… une troisième fois.
La principale menace de la présidence…
Mais le problème Dragnea reste entier. Pris dans la main dans le sac à deux reprises, il a réussi à survivre à tous les coups. Deux fois condamné en 2016, à deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, et en juin 2018, à trois ans ferme pour abus de pouvoir, le chef du parti social-démocrate fait toujours la pluie et le beau temps. Il a fait appel de sa dernière décision pour éviter de passer derrière les barreaux (3). Et depuis son poste de président de la chambre des députés, l’ancienne Maison du Peuple, où il trône tel un imperator dans ce bâtiment aux allures pharaoniques, Dragnea pourrit littéralement la politique roumaine. C’est aujourd’hui la principale menace de la présidence roumaine de l’Union européenne (4).
(Nicolas Gros-Verheyde, à Bucarest)
version longue de l’article paru dans le quotidien Sud Ouest ce matin
(B2) Lors de la cérémonie d’inauguration de la présidence roumaine à Bucarest, les principaux responsables européens, Donald Tusk comme Jean-Claude Juncker ont tenu à faire un rappel, très ferme, aux valeurs et à l’état de droit. Une semonce qui vise Bucarest, mais s’adresse, au-delà, à certains gouvernements tentés de passer outre certaines règles
De gauche à droite, lors de la cérémonie d’ouverture : Viorica Dăncilă (Première ministre roumaine), Donald Tusk (Conseil européen), Klaus Iohannis (président de la république Roumaine), Jean-Claude Juncker (Commission européenne), patriarche Daniel (église orthodoxe roumaine) (crédit : présidence roumaine)
La Rhapsody roumaine
Le président du Conseil européen, Donald Tusk, a d’abord usé de toutes les images pour célébrer la prise de fonction de la présidence roumaine. « Je suis sûr que vous jouerez votre propre ‘Rhapsodie roumaine’ avec énergie et sagesse » a indiqué Donald Tusk, reprenant le Bohemian Rapsody de Queen. « Je vous aiderai autant que possible. »
Jouer en dehors des règles est un aveu de faiblesse
Mais il a surtout lancé un appel très clair à ceux qui seraient tenter de franchir les lignes rouges un avertissement : « À ceux de l’Union européenne qui pourraient penser que jouer en dehors des règles convenues et mettre en corner veut dire la force, je dis : vous avez tort. Cela signifie la faiblesse. À ceux qui travaillent dur pour défendre les valeurs européennes, nos libertés et nos droits, je dis : continuez à vous battre. » (1) Un message qui peut s’adresser au pouvoir roumain, mais aussi à ses homologues hongrois, italien ou polonais.
Pas de compromis sur l’état de droit et la lutte contre la corruption
Donald Tusk a lancé plus précisément un « appel à tous les Roumains » pour qu’ils « défendent chez eux et en Europe les fondements de notre civilisation politique — liberté, intégrité, vérité dans la vie publique, état de droit et constitution ». Le président de la Commission européenne a été tout aussi ferme « L’Union européenne est faite de compromis, mais lorsqu’il s’agit des droits de l’homme, lorsqu’il s’agit de l’Etat de droit, lorsqu’il s’agit de la lutte contre la corruption, il n’y a pas de compromis possible » a renchéri le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker.
(Nicolas Gros-Verheyde, à Bucarest)
On est prêts, sages et responsables, pas de doute…
On peut noter l’absence notable d’une personne dans les discours prononcés : Liviu Dragnea, actuel président de la Chambre des députés, a préféré se faire porter pâle. C’est le vice-président de la Chambre, ancien ministre de la Justice, obligé de démissionner qui s’y est collé.
« Mon pays mérite d’être respecté en tant que partenaire fiable » a indiqué Florian Iordache, dans une adresse où le mot ‘souveraineté’ est revenu à de multiples reprises. « [Notre] majorité politique fera preuve d’équilibre, de sagesse et de responsabilité, afin que les conflits politiques naturels qui se déroulent au cours d’une année électorale n’affectent pas le mandat du Présidence roumaine au Conseil de l’Union européenne. […] J’espère que la même approche sera adoptée par les autres forces politiques.»
Une forme de réplique très claire à la phrase un peu dure de Jean-Claude Juncker qui dans le quotidien allemand Die Welt en fin d’année laissait filtrer ses doutes : « je pense que le gouvernement de Bucarest n’a pas encore pleinement compris ce que signifie présider les pays de l’UE. Une action prudente requiert une volonté d’écoute des autres et un fort désir de laisser ses propres préoccupations derrière eux. J’ai des doutes ».
Télécharger le discours de Donald Tusk – le discours de Jean-Claude Juncker – le discours de Florian Iordache
(B2) Le vice Premier ministre allemand Olaf Scholz a lancé un pavé dans la mare fin novembre, en proposant de transformer le siège français au Conseil de sécurité de l’ONU. Idée « audacieuse » et « intelligente » dit-il. Voyons, voyons…
(crédit : ONU)
Qu’a dit le vice-chancelier allemand ?
Avant toute chose, il faut bien lire la proposition du ministre des finances — qui est aussi le vice chancelier social-démocrate (SPD) — et ne pas s’arrêter à la première phrase. La France n’abandonne pas son siège à l’ONU, comme certains ont pu l’écrire. Celui-ci devient un siège où la France s’exprime de façon permanente au nom de l’Union européenne, en conservant le droit d’y nommer un national (ou non) comme représentant.
(en langue originale) Ich schlage vor: Mittelfristig könnte der Sitz Frankreichs in einen EU-Sitz umgewandelt werden – im Gegenzug sollte Frankreich dann permanent den EU- Botschafter bei den Vereinten Nationen stellen. Mir ist klar, dass es dazu sicherlich in Paris noch einiger Überzeugungsarbeit bedarf, aber ein kühnes und kluges Ziel wäre es.
(ce qui donne en français) Je suggère qu’à moyen terme, le siège de la France puisse être converti en siège de l’UE. En contrepartie, la France devrait alors nommer en permanence un ambassadeur de l’UE auprès des Nations unies. Pour moi c’est clair que cela nécessite encore un peu de persuasion à Paris, mais ce serait un objectif audacieux et intelligent.
Une proposition intéressante ?
Cette proposition est effectivement ‘audacieuse’. Elle aurait une valeur de symbole intense. Avoir un siège permanent pour l’Union européenne serait intéressant. Sans entrer dans la légalité de ce système (1), on peut cependant remarquer que sur de nombreux points où le Conseil de sécurité de l’ONU débat, cela ne poserait pas trop de problème aux Européens d’avoir une position unitaire. Sur la Corne de l’Afrique, sur la Centrafrique, sur le Sahel, sur le Soudan, sur les Rohingyas, sur la Corée du Nord, voire même sur la situation en Ukraine ou le conflit en Syrie, les Européens ont un message, à peu près commun, à défaut d’être totalement unis. Ceux qui serinent qu’il n’y a quasiment aucun dossier où les Européens peuvent parler d’une seule voix ont tort. En revanche, sur certains dossiers clés — comme le processus de paix au Moyen orient ou le Kosovo — les Européens restent encore puissamment divisés.
La proposition est-elle intelligente ?
Je laisse la paternité de cet ‘autocompliment’ à son auteur. Dans la situation actuelle du Conseil de sécurité de l’ONU, elle serait plutôt réductrice. Cette année, par le biais du système électoral de l’ONU où Europes de l’Est et de l’Ouest ont le droit d’avoir, chacun, un siège non permanent, l’Union européenne (à 27) a quatre sièges sur quinze au Conseil de sécurité (France, Belgique, Allemagne, Pologne. Cinq si on prend en compte le Royaume-Uni avec qui l’Europe partage la plupart des valeurs diplomatiques. C’est démesuré par rapport au poids réel européen dans les affaires du monde. Doter le siège français du rôle de représentation de l’Union européenne serait un véritable appel d’air à réformer un système considéré comme inégal par les autres continents. Au final, réduire de quatre à un le poids de l’Union européenne dans l’instance internationale de sécurité ne serait pas une très grande victoire diplomatique pour l’Europe…
Quel contexte sous tend cette proposition ?
Cette proposition s’inscrit dans une réflexion « à moyen terme » comme l’indique l’auteur pour renforcer le poids de l’Europe dans le monde. Elle est concomitante aux projets (toujours pas aboutis) de réformer le Conseil de sécurité de l’ONU pour le rendre plus représentatif du monde actuel, comme à la volonté de Berlin de jouer un rôle plus important dans le monde en général et en particulier d’obtenir un siège au conseil de sécurité de l’ONU. Le ‘vrai’ objectif de l’Allemagne.
Quel est l’intérêt ?
Cette proposition, même inappliquée ou inapplicable, mérite cependant l’attention. Elle pointe le doigt sur une donne précise : après le Brexit, la France sera le seul membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, à même de représenter et la défense des intérêts européens, avec la capacité (au besoin) de poser le veto sur certaines décisions. Cela dote la France d’une certaine responsabilité envers ses partenaires européens (pour faire circuler l’information) comme d’expression des préoccupations européennes auprès des autres membres du Conseil de sécurité. Rien n’empêcherait d’ailleurs que la représentation française ait un poste diplomatique de premier plan réservé à ces échanges européens. Cette proposition aurait aussi un intérêt : rendre plus visible, ce qui se passe dans les couloirs des Nations unies : la concertation permanente entre Européens siégeant au Conseil de sécurité pour ajuster leurs positions et défendre leurs intérêts.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : Après le Brexit, la France va devoir assumer seule un rôle accru aux Nations unies
(B2) La mission européenne au Kosovo de renforcement de l’état de droit (EULEX Kosovo) recrute une vingtaine de personnes, l’essentiel en détachement — International Secretary to the Chief of Staff Reporting Officer, Joint Operations Officer/Police Informant Handler, Member of the Human Rights Review Panel etc. — mais aussi quelques postes en contractuel — Forensic Anthropologist/ Identification Coordinator, Mobile Monitor (Justice), Close Protection Operator, Mission Security Officer, etc. Disponibilité rapide : entre aujourd’hui et juin 2019. Deadline pour poser candidature : 25 janvier 17h. Tous renseignements ici
PS : pour parfaire vos connaissances sur la politique européenne, le manuel sur la politique européenne de sécurité et de défense est le complément indispensable à votre préparation
(B2) Une solution semble en vue pour les 49 rescapés à bord du Sea Watch 3 et du Professeur Albrecht Penck (Sea Eye). Les ambassadeurs du Coreper en ont discuté mardi (8 janvier).
L’arrivée des migrants récupérées en mer par les navires des garde-côtes maltais fin décembre (crédit : UNHCR/Paolo Biondi)
Selon nos informations, une petite dizaine de pays seraient désormais prêts à prendre en charge les personnes à bord. L’Allemagne, la France, les Pays-Bas, l’Irlande (5 personnes), l’Italie, le Luxembourg, Malte, le Portugal, et même la Roumanie (présidence de l’Union européenne obligent) se seraient portées volontaires. Certains pays doivent encore augmenter leur quota de personnes accueillies afin de permettre de débloquer la situation.
Malte a, en effet, posé deux conditions pour accueillir les navires : 1° les personnes débarquées doivent repartir immédiatement vers les pays concernés ; 2° les autres pays européens doivent aussi prendre en charge une partie des quelque 250 migrants déjà recueillis par les navires maltais fin décembre 2018 (1).
On remarque que plusieurs pays sont aux abonnés absents de cette solidarité : la Belgique et la Suède car gérés par un gouvernement en affaires courantes, les pays de l’Est par position idéologique (une habitude), le Royaume-Uni concentré sur son Brexit, l’Espagne et la Grèce qui supportent déjà une bonne part des migrants arrivés par voie de mer.
Commentaire : cette situation est intenable à la fois pour les réfugiés en mer mais aussi pour les Européens au niveau politique. On ne pourra pas à chaque navire attendre que les ambassadeurs trouvent une solution, en laissant les personnes secourues ballottées au gré des flots. Un mécanisme permanent de concertation peut et doit être mis en place, afin de répartir entre les pays volontaires. Il serait tout à l’honneur de l’Europe.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire aussi : 49 migrants dans l’attente de la bonne volonté européenne