Pour la première fois dans l’histoire de l’Union, le budget de la politique agricole commune (PAC) va diminuer. Et fortement diminuer, au point, tout un symbole, de perdre sa place de premier budget de l’Union au profit de la politique régionale (fonds structurels). Si la proposition de « cadre financier pluriannuel » (CFP) pour la période 2021-2027 présentée le 2 mai par la Commission est adoptée en l’état par les 27 Etats membres, la PAC ne représentera plus que 30 % des dépenses européennes, contre plus de 43 % aujourd’hui. Pour ne rien arranger, cette pénurie de moyens va s’accompagner d’une large renationalisation de ce qui est non seulement la plus vieille politique commune de l’Union, mais jusque là la plus intégrée.
En effet, la énième réforme présentée vendredi par le commissaire à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan (lire ci-contre), prévoit que les Etats seront désormais libres de gérer comme ils l’entendent les fonds qu’ils recevront du budget européen à condition qu’ils s’engagent à respecter neuf objectifs définis au niveau européen. Autrement dit, on passe d’une politique commune fondée sur une vision européenne du modèle agricole à des programmes nationaux de gestion de fonds européens contrôlés (tant bien que mal) par Bruxelles... Autant dire que cette réforme marque la fin d’une époque, celle où la vie des agriculteurs était rythmée par les décisions prises à Bruxelles.
Ironiquement, la Commission présidée par Jean-Claude Juncker profite donc du Brexit et du trou budgétaire laissé par son départ pour commencer à réaliser le rêve britannique d’un démantellement de la PAC. Ce n’est pas un hasard si elle a tenté de brouiller les pistes sur l’ampleur exacte des coupes: en jouant sur les euros constants (hors inflation) et courants (inflation comprise), elle a annoncé le 2 mai une diminution du budget de la PAC d’environ 5 %. Le Parlement européen, dans une résolution adoptée mercredi, juge, lui, que le chiffre réel est de 15 %. De fait, la Commission, qui a renoncé à proposer une augmentation du budget européen pour combler le trou de plus de 10 milliards d’euros annuel laissé par le Brexit, a choisi de faire principalement porter l’effort sur la PAC, mais aussi sur les aides régionales (-10 %) afin de pouvoir financer – un peu- de nouvelles politiques (contrôle des frontières, défense, etc.).
Résultat: en France, la baisse des aides au revenu sera de l’ordre de 3,9 % (hors inflation, soit 9,5 % % en terme réel sur la période), alors qu’elle atteindra plus de 25 % au Danemark ou 13 % en République Tchèque, des pays où la part des paiements directes est plus importantes. Globalement, sur la période 2021-2027, le budget de la PAC en euros constants passera à 365 milliards d’euros à 27 contre 408 milliards à 28 entre 2014-2020. Soit 43 milliards de moins, ce qui représente une année d’aide aux revenus, ce qui donne une idée de l’ampleur de la saignée (dont une partie est imputable au Brexit).
Point particulièrement positif, Phil Hogan propose d’introduire plus d’équité dans la répartition des aides, à la fois en réduisant les écarts qui existe encore entre les pays de l’Est et ceux de l’Ouest, et surtout en plafonnant le montant annuel des aides à 100.000 euros (soit pour les exploitations de plus de 200 à 250 hectares) avec une dégressivité à partir de 60.000 euros. Les plus touchés seront l’Allemagne, la Tchéquie, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie pays des exploitations géantes héritées des Sovkhozes soviétiques. L’argent ainsi économisé ne retournera pas au niveau communautaire: il restera dans l’enveloppe nationale.
Car c’est là l’essentiel: chaque Etat aura droit à une enveloppe globale intouchable qu’il gèrera dans le cadre de neuf objectifs plutôt généraux assortis d’indicateurs plus précis : garantir un revenu agricole décent tout en accroissant la sécurité alimentaire, assurer une meilleure compétitivité, assurer la place de l’agriculture dans la chaine alimentaire, etc... Même si les programmes nationaux devront être approuvés par la Commission, la marge de manoeuvre laissée aux Etats est particulièrement large. « Cette nouvelle gouvernance est rendue nécessaire par l’élargissement: à 27, on ne peut plus définir à 100 % la politique agricole de Bruxelles », se justifie-t-on à la Commission. Reste qu’on se demande comment la Commission vérifiera que les pays respectent bien leur programme, vu leur propension à mentir, sauf à engager une armée d’auditeurs. En clair, la PAC risque bien de se réduire rapidement à la signature de chèques aux Etats, ce qui posera, à terme, la question du maintien de ce qui ne sera plus qu’une gigantesque caisse de compensation.