Le commissaire européen à l’agriculture, l’Irlandais Phil Hogan, a répondu à mes questions sur la réforme de la Politique agricole commune (PAC) qu’il propose
Vous serez le premier commissaire, depuis 1958, à présider à une baisse du budget de la PAC Quel effet cela fait-il ?
Je suis sans aucun doute le premier commissaire à l’agriculture confronté au départ d’un Etat membre. Et malheureusement, comme il s’agit d’un grand pays, le Royaume-Uni, il laisse derrière lui un trou de 12 milliards d’euros par an qu’il faut combler. A cela s’ajoute le fait que les Etats veulent que l’Union s’occupe davantage de nouvelles priorités, comme l’immigration ou la défense, ce qui est légitime. Ces deux éléments ont des conséquences budgétaires même si on peut le regretter.
Cela n’aurait pas été le cas si la Commission s’était montré plus ambitieuse, par exemple en proposant un budget à 1,20 % du PIB communautaire, un chiffre avancé par Jean-Claude Juncker en septembre dernier, ce qui aurait évité des coupes dans la PAC. Or, elle se contente d’un petit 1,08 %, soit le niveau actuel.
J’aurais été ravi d’avoir un budget plus important ce qui m’aurait éviter de faire des coupes dans les dépenses agricoles. Mais nous sommes dépendant des Etats membres et de leurs contributions. Or six d’entre eux, dont l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède ou encore la Finlande ont refusé tout effort supplémentaire. Or l’accord sur le cadre financier pluriannuel requiert l’unanimité. Néanmoins, j’espère que les négociations vont permettre d’aboutir à un accord plus ambitieux. Je suis très optimiste sur ce point, ce qui nous permettra de réduire voire de supprimer l’impact de la proposition actuelle pour les agriculteurs.
Pour l’instant la PAC souffre particulièrement.
Son budget, dans notre proposition, se monte à 365 milliards d’euros pour la période 2021-2027, ce qui, au niveau des prix actuels, représente une baisse de 5%. Si le la contribution UE au second pilier consacré au développement rural diminue de 15%, les aides au revenu ne baissent que de 3,9 %au maximum.
Le Parlement européen affirme que la baisse est de 15%.
C’est une « fake news ». Mais je vois bien comment ce chiffre est obtenu : alors que la PAC n’a jamais été indexée depuis 62 ans, certains se mettent à le faire pour donner l’impression que la baisse est plus importante. Ce calcul ne repose sur rien.
Avec votre réforme, la PAC sera gérée pour l’essentiel par les Etats membres et non plus par Bruxelles.
Peu de gens savent que déjà 50 % des dépenses actuels de la PAC sont décidés par les Etats membres. Surtout, les agriculteurs et les Etats membres ont constaté que la réforme de 2013 a créé beaucoup trop de complexité pour tout le monde. Mon but est donc de simplifier la PAC, de la rendre plus compréhensible et plus cohérente pour les agriculteurs. C’est pour cela que je veux mettre en place un nouveau système de mise en œuvre basé sur les résultats, un système qui n’est plus axé sur la conformité à des règles décidées ici, ce qui a créé une atmosphère de peur chez les agriculteurs. Nous allons désormais demander aux Etats membres de se conformer à 9 objectifs (trois économiques, trois environnementaux et trois sociaux). Pour cela, ils devront nous présenter des programmes de mise en œuvre que nous approuverons et dont nous contrôlerons la réalisation. Il s’agit d’un grand changement : une politique définie au niveau européen, une mise en œuvre effectuée au niveau national. Ce point est vu d’un œil positif par les agriculteurs, les Etats membres et le Parlement européen.
Est-ce qu’il n’y a pas un risque que chaque pays mette l’accent sur des objectifs contradictoires, par exemple l’un privilégiant les objectifs environnementaux pendant que l’autre pousse à la productivité, ce qui à terme se traduira par une fragmentation de l’Europe agricole ?
Je comprends que cela puisse être une préoccupation. C’est pour cela que nous précisons bien que la PAC restera commune et que nous veillerons à ce que ces objectifs n’aient pas d’effets néfastes sur la concurrence et la compétitivité. J’insiste : il n’y aura pas de fragmentation du marché agricole européen puisque les décisions politiques continueront à se prendre au niveau communautaire. Le principe de subsidiarité sera appliqué seulement au niveau de la mise en œuvre.
Quelle est la vision du futur de la PAC définie par ces objectifs ?
Comme cela a toujours été le cas, il faut que les agriculteurs puissent produire suffisamment d’aliments afin que nous restions les leaders du marché mondial. Mais, en même temps, il faut davantage de qualité, à la fois des produits eux-mêmes, mais aussi dans la façon dont on produit, afin d’assurer la durabilité de l’environnement. Nous devons aussi protéger le modèle familial agricole : c’est la raison pour laquelle nous devons mieux cibler l’utilisation des ressources pour permettre aux petits agriculteurs de survivre dans un contexte de marché. Enfin, les agriculteurs ont un rôle à jouer dans le développement rural.
Une partie des organisations syndicales craint que l’Europe devienne une zone de basse pression agricole qui à terme importera de la viande d’Amérique latine et du blé de la mer noire…
Ca ne sera pas le cas : cette réforme ne remet pas en cause le modèle exportateur européen et notre politique commerciale ouvre de nouveaux marchés à nos agriculteurs, notamment en Asie.
Dans les accords commerciaux signés par l’Union européenne, n’y a-t-il pas une tendance à faire de l’agriculture une variable d’ajustement ?
Si je me base sur les accords conclus depuis mon arrivée, ce n’est pas le cas. Avec le Japon, par exemple, personne ne pensait que nous obtiendrions un quota d’importation de 75.000 tonnes de bœuf, une pleine libéralisation du secteur laitier, une ouverture plus grande du marché des vins et liqueurs. Avec la Chine, nous avons obtenu des quotas d’importation de bœuf. Même chose avec le Mexique. Pour le Mercosur, attendons le résultat de la négociation.
Cette réforme ne vise-t-elle pas aussi à rendre les Etats responsables de la PAC pour éviter que la colère paysanne se tourne systématiquement contre Bruxelles ?
C’est vrai, notre réforme va donner plus de responsabilité aux Etats ce qui les obligera à rendre compte de leurs décisions. Cela sera fort inconfortable pour certains ministres qui avaient pris l’habitude de se défausser sur « Bruxelles ». Mais l’objectif premier reste vraiment de simplifier la PAC, d’introduire plus d’équité entre les agriculteurs, de réformer la chaine alimentaire pour un meilleur partage de la valeur ajoutée, d’encourager davantage d’investissement dans les zones rurales.
Votre réforme porte une attention particulière aux jeunes agriculteurs.
Ce sera la première fois que la PAC se pose la question du renouvellement des générations. Il faut savoir que seulement 6 % des agriculteurs européens ont moins de 35 ans, ce qui montre l’ampleur du défi que nous affrontons. Un des neuf objectifs que nous proposons concerne donc le soutien aux agriculteurs de moins de 40 ans : chaque pays devra s’engager à aider, en consacrant 2 % de l’enveloppe qu’il recevra, un certain nombre d’entre eux à s’installer. Le budget agricole continuera à majorer les aides directes pour ceux qui s’installent pour la première fois et fera passer l’aide à l’installation de 75.000 à 100.000 euros. Mais c’est un sujet qui concerne aussi les Etats puisque nous n’avons pas de compétence en matière de fiscalité, notamment pour créer des incitations à l’installation, de transmission de l’exploitation, d’accès à la terre.
Vous proposez aussi de plafonner les aides directes à 100.000 euros par exploitation et par an avec une dégressivité à partir de 60.000 euros.
Je crois qu’il faut instaurer de l’équité et de la justice dans la distribution des aides. Les contempteurs de la PAC lui reproche de distribuer 80% des aides à 20% des agriculteurs : un rééquilibrage est nécessaire, notamment en Europe de l’Est, au bénéfice des petites et des moyennes exploitations. Ce sera un point dur de la négociation à venir.