Liberté, c'est de ces détestables mots qui ont plus de valeur que de sens, qui chantent davantage qu'il ne parlent », a pu écrire Paul Valéry. Il est vrai que l'idée de liberté, ou la simple évocation de son nom, a été utilisée pour justifier toute sorte d'attitudes et de mesures, parfois carrément liberticides. Qu'on songe, par exemple, à la loi Sécurité et liberté, d'Alain Peyrefitte en 1981, dont l'objectif était, déjà, d'élargir les prérogatives discrétionnaires de la police au détriment des garanties traditionnelles de l'ordre démocratique. Les mesures adoptées par les gouvernements de gauche comme de droite depuis le 11 septembre 2001 affichent mieux la couleur, comme la loi sur la sécurité quotidienne adoptée au printemps 2002.
Pourtant, si le mot liberté chante souvent davantage qu'il ne parle, la civilisation occidentale - pour ne parler que d'elle - était progressivement parvenue, à partir de la Renaissance augmentée des Lumières, à une définition commune de la liberté. Cette définition se traduisait, en particulier, par un corpus de droits (civiques et politiques) que transcrivent bien les différentes déclarations des droits de l'homme (1789, 1948) ou la convention adoptée par le Conseil de l'Europe en 1951 (1). Cette reconnaissance formelle des libertés n'était, bien sûr, pas exclusive d'un débat sur leurs frontières ou leur dépassement. Au titre du dépassement, la critique marxiste introduisait notamment une distinction entre droits formels et droits réels, réduisant la portée des garanties accordées par la démocratie bourgeoise. L'analyse de classes aboutit, en effet, à considérer que la différence des situations sociales rend théorique la liberté des uns par rapport à la puissance des autres.
Au titre des frontières, le débat a surtout opposé la conception républicaine de la liberté, issue des cités de la Renaissance italienne, à la conception libérale émanant de la philosophie politique anglosaxonne. La première privilégie la puissance publique, la loi, les droits collectifs et les devoirs civiques comme instrument de sauvegarde et de promotion des libertés, quand la seconde préfère se reposer sur la société civile, le contrat, l'extension des droits individuels et des procédures notamment judiciaires. Aujourd'hui, dans la foulée de l'extension du libéralisme économique, le libéralisme politique semble prendre l'ascendant, notamment au travers des règles de la construction européenne. Judiciarisation, individualisme exacerbé, jeu de prétoire, destruction des droits collectifs, crise des institutions phares du modèle républicain (école, laïcité…) sont des traits communs aux sociétés contemporaines.
Cependant, au-delà de ces débats, les grandes démocraties occidentales s'accordaient sur un socle de libertés dont la caractéristique consistait grosso modo à placer l'individu titulaire de droits au centre de l'organisation sociale. Il pouvait, bien sûr, survenir des périodes de régression comme la guerre d'Algérie avec la censure et la suspension des droits fondamentaux (2). Il pouvait aussi exister des poches de non-droit : tribunaux d'exception, régimes temporaires de mise à l'écart des libertés comme l'Etat d'urgence (Nouvelle-Calédonie, 1984, ou Irlande du Nord), statut juridique de certaines catégories d'individus comme les femmes, qui furent, jusqu'aux lois Roudy sur l'égalité professionnelle ou matrimoniale, les inférieures légales des hommes. Ces questions alimentaient un débat public plus ou moins vif suivant les sujets et les époques et articulaient la pensée sur le progrès. Mais la référence restait la même.
La grande nouveauté de la période mondialisée réside donc, non pas dans la formidable régression des libertés publiques insufflée par l'idéologie sécuritaire, mais dans le fait que cette régression soit théorisée, justifiée et organisée par les appareils traditionnels de la démocratie (intellectuels, classe politique, corps intermédiaires…).
En outre, ce recul est en voie de fossilisation par le jeu des traités internationaux ou des mécanismes de la construction européenne. Le socle des droits politiques que l'on croyait relativement solide se trouve aujourd'hui rongé, mité, miné par des valeurs concurrentes et progressivement dominantes : la sécurité, mais aussi les « valeurs » issues du monde économique ou technique (la liberté des marchés compte davantage que celle des individus). L'enjeu n'est plus le dépassement ou les frontières des libertés, mais leur sauvegarde même face à ce qui apparaît comme un véritable renversement des valeurs.
L'Union européenne se présente comme l'appartement-témoin de ce nouveau monde où l'argent, la concurrence et les « libertés » économiques se trouvent placées au sommet de la hiérarchie des principes. La Charte des droits fondamentaux de l'Union, adoptée au sommet de Nice en décembre 2000 et destinée à donner le la en matière de droits fondamentaux dans le système communautaire, traduit bien cette inversion morale. Dès l'abord, l'objectif qu'elle se fixe est gangrené par les nécessités liées au fonctionnement du Marché commun et réduit à elles : « La Charte cherche à promouvoir un développement équilibré et durable, et assure la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux, ainsi que la liberté d'établissement (3). » Une telle feuille de route ne saurait constituer un frein à la pénalisation des sociétés, dont l'espace Schengen constitue une illustration puisqu'il privilégie la sophistication policière au détriment du pouvoir judiciaire, réduit au bricolage ; en second lieu, la Charte ne mentionne carrément pas des libertés fondamentales comme l'interdiction des arrestations et des détentions arbitraires (ce qui constitue une régression même au regard de la Déclaration universelle de 1948) ; en troisième lieu, elle déconstruit l'universalité des droits en les subdivisant (l'expression générale « Les humains naissent et demeurent libres et égaux » disparaît), ouvrant ainsi la voie à leur décomposition (4) ; enfin, elle officialise la régression sociale en consacrant, par exemple, le droit de travailler en lieu et place du droit au travail.
Finalement, les valeurs proposées par l'Union, les nouvelles libertés, sont en réalité des libertés au rabais. Par exemple, la libre circulation des personnes, formule « économique » - dans tous les sens du terme - du vieux principe de la liberté d'aller et venir, devient absurde quand elle est isolée du reste des droits. Dans le cadre des 3 191 000 km2 de l'Union, elle s'adresse par définition à ceux qui peuvent s'acheter une voiture ou prendre l'avion. L'idéologie du grand marché sans frontières présente comme un progrès pour la société une politique monétariste qui répond avant tout aux intérêts d'une minorité (5). Qu'on songe au fait que la monnaie unique fut « vendue », entre autres, à l'opinion publique européenne avec l'argument qu'elle permettrait de mieux comparer les prix. On voit mal l'intérêt que représente pour un Portugais le fait d'apprendre par Internet qu'il paie sa télévision plus chère qu'en Autriche ! Quelle conséquence concrète peut-il en tirer en tant que consommateur ou citoyen ?
Le fédéralisme économico-juridique mis en place par l'Union, sensé se juxtaposer aux droits nationaux, envoie ainsi un formidable signal de recul des libertés devant les Impératifs du marché, à rebours de la voie choisie par exemple par le Conseil de l'Europe ou le Bureau international du travail. Dans ce cadre, les atteintes aux libertés, aux droits civiques, dénoncées par les associations, apparaissent secondaires comparées aux impératifs de l'insertion dans la mondialisation. C'est à l'homme de s'adapter, pas au marché ou à la conjoncture : il n'est plus un individu titulaire de droits, mais - au mieux - un consommateur, un travailleur ou un entrepreneur titulaire de droits, les libertés des deux premiers n'étant que le solde de celles du dernier. Tant que les capitaux circulent librement, l'essentiel est assuré et on protège le grand marché de l'assaut des gueux, d'ici ou d'ailleurs. Au nom d'une adaptation aux réalités « naturelles » de la globalisation, on met en place tout un appareillage juridique (traités, cours, institutions) et administratif destiné à cadenasser ce tête-à-queue « civilisationnel ».
Car l'idéologie sécuritaire, l'atrophie des libertés, est évidemment le corollaire obligé de la violence de l'ordre économique. Au nom d'un nouveau visage des libertés - paré de la modernité européenne -, on organise en pratique le retour de la fatalité sociale. « Le pire crime disait Brecht, c'est de ne pas avoir d'argent. » Idéologie libérale de l'Etat minimum et critères de convergence européens obligent, l'Etat pénal a davantage de moyens que l'Etat social. Le sort, voire les hasards de la naissance, peuvent vous placer dans des situations criminogènes (chômage, précarité, banlieues pauvres…) ; si vous commettez une faute, plus de circonstances atténuantes au nom de causes sociologiques : la sanction s'abat sur vous sans faille, dans une ambiance d'Ancien Testament où le Dieu vengeur transforme les contrevenants en statut de sel ou les noie sous un déluge… Tout est mobilisé, par exemple, dans la répression de la petite délinquance ; on prend des mesures de bannissement territorial comme au Far West (6). Tout est fait pour que la prison ne réinsère pas - ne vient-on pas de supprimer, par exemple, les crédits alloués à la formation professionnelle dans les maisons d'arrêt de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur ? Dans le même temps, les institutions sociales sont privées de moyens : protection judiciaire de la jeunesse, juges d'application des peines, éducateurs… Petit à petit, on supprime ainsi les cessions de rattrapage, les filets de sécurité.
Serait-il revenu, le temps des Misérables ? Les petits enfants du commissaire Javert poursuivront-ils avec le même acharnement obsessionnel que leur aïeul les nouveaux Jean Valjean victimes de l'ordre social ? A l'époque, Victor Hugo dénonçait la bêtise fondamentale de ceux qui ne savent pas voir l'injustice et qui ne connaissent que la punition. C'est sur cette pensée que la démocratie s'est développée. Par un invraisemblable retournement de l'histoire, notre époque entend-elle se donner des Javert pour héros ?
(1) Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
(2) Lire Claude Liauzu, Violence et colonisation, Syllepse, Paris, 2003.
(3) Journal officiel des Communautés européennes (JOCE), C/2000 364/01, Luxembourg.
(4) Lire Corinne Gobin, « Vers une régression des droits démocratiques au sein de l'Union européenne », www.attac.org.
(5) Lire Dominique Plihon, « L'euro pour toute politique », Manière de voir, n° 61, janvier-février 2002.
(6) Un mineur délinquant peut se voir interdire son quartier temporairement.
Les actionnaires du Groupe Banque populaire sont convoqués en assemblée générale pour autoriser une émission d'obligations vertes. Une opération qui devrait recevoir le visa des régulateurs avant la clôture des travaux de la COP 22.
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Donald Trump a fait beaucoup de déclarations sur la politique étrangère des Etats-Unis. Pas facile de s’y retrouver. Y a-t-il une ligne directrice ?
La politique étrangère de Donald Trump devrait être très transactionnelle, pas forcément cohérente mais au coup par coup, basée sur les qualités de négociateur dont il aime se féliciter. Ce qu’il y a de certain, c’est que nous aurons à faire avec une politique des Etats-Unis moins cohérente, en tout cas plus imprévisible, notamment sur les trois grands chantiers internationaux laissés par le président sortant Barack Obama derrière lui : l’Europe de l’Est, c’est-à-dire l’Ukraine et la Russie, le Moyen-Orient et l’Asie.
Quels changements apparaissent cependant envisageables dans les relations avec la France et l’Europe ?
Il est sûr que le nouveau président aura moins de respect pour ses vieux alliés européens, dont la France, qui risquent d’être davantage à l’épreuve. L’Europe devra s’organiser. Quand je dis l’Europe, c’est surtout l’Allemagne et la France pour définir une attitude commune car la Grande-Bretagne se retrouve pour longtemps écartée de toute influence internationale. Si la France et l’Allemagne ne sont pas capables de parler d’une même voix pour exprimer une politique commune sur les grands sujets, cela risque de poser problème.
Un certain nombre de traités sont en question, en négociation, en processus de ratification (Cop 21, Tafta…). Peut-il y avoir une en remise en cause ?
Sur un point, Trump a été clair. Il a déjà dit qu’il ne voulait pas de la COP 21 sur le climat, que ce n’était pas un traité, et d’ailleurs que le Sénat américain, qui ratifie les traités – aux Etat-Unis, ce n’est pas le président –, ne l’aurait pas fait.
II y a les dossiers sensibles du terrorisme, la Syrie, l’Irak. Trump prône l’isolationnisme, avec quelles conséquences ?
Il faudra de toute façon que le nouveau président compose avec tous les éléments institutionnels de la diplomatie américaine. Il ne sera pas seulement un homme fort ou une grande gueule. Il pourrait s’entendre avec la Chine par exemple dans une stratégie à long terme. Sur le problème syrien, l’establishment a les clés, le problème de la Syrie et de l’Irak, par effet de conséquence, se règle au niveau de la Turquie, membre de l’Otan, l’Iran et l’Arabie saoudite. Quant au Proche-Orient, on remarque qu’on ne parle plus du problème israélo-palestinien.
Le caractère provocateur, «à l’emporte-pièce» de Donald Trump, mis en exergue par ses déclarations pendant la campagne peut-il donc être «contrôlé» par l’administration ?
L’establishment va jouer son rôle pour lisser la politique étrangère. Mais dans le même temps, Donald Trump peut dire : «J’ai un mandat du peuple américain». Ce qui n’était pas évident avant, avec Barack Obama, l’est davantage aujourd’hui, parce que le Congrès est aussi républicain. Cela dit, je crois que pour mieux connaître la politique étrangère mise en œuvre par Trump, il ne faut pas se baser sur ses déclarations de campagnes mais plutôt sur ses futures déclarations. Il a déjà commencé à changer, d’ailleurs, dès son élection. Dans sa première déclaration, il s’est posé en rassembleur. Alors…
Recueilli par D.H.
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