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Le Monde Diplomatique

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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 1 week 1 day ago

Russie : vers une nouvelle guerre froide ?

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Entre l'Occident et la Russie sévit une nouvelle guerre froide, dont cet ouvrage collectif s'attache à décrypter les formes. Depuis la chute de l'Union soviétique, l'arme nucléaire n'est plus aussi centrale dans la doctrine militaire russe, quoique Moscou ait réaffirmé fin 2014 la possibilité de l'utiliser en cas d'agression. Le Kremlin ne jouit plus des relais politiques d'hier, mais les médias extérieurs qu'il finance n'en cherchent pas moins à séduire les opinions publiques étrangères. Aux Nations unies, le représentant russe défend les valeurs traditionnelles de concert avec le Vatican ainsi qu'avec certains pays africains et asiatiques. Les cyberattaques constituent le volet irrégulier de ce soft power. Pour un stratégiste proche du Kremlin, la Russie serait même dans une position plus avantageuse que l'Union soviétique : « Ce n'est plus une guerre, mais un jeu à trois : États-Unis, Russie et Chine. (…) Nous devons observer et jouer dans un jeu ouvert où tous les coups sont permis et les alliances d'autant plus fluctuantes que tous les joueurs sont objectivement bien plus liés les uns aux autres qu'autrefois. »

La Documentation française, Paris, 2016, 192 pages, 7,90 euros.

Sans domicile fisc

Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'un est député-maire, l'autre sénateur-maire, tous deux dans le Nord. Les frères Alain et Éric Bocquet, communistes, ont éprouvé, notamment par l'intermédiaire des lobbys qui les représentent, la puissance de ceux qui refusent toute législation visant à limiter l'évasion fiscale : les multinationales, les riches actionnaires et leurs experts. Ces derniers ont même inventé une expression désormais célèbre, l'« optimisation fiscale », plus distinguée que la simple « évasion », mais tout aussi coûteuse pour les finances publiques. Comme le résume parfaitement le titre, l'argent n'a pas de patrie — ce que rappelle Jean Ziegler dans sa préface. Ces mille et une entourloupes représenteraient un manque à gagner de 60 à 100 milliards d'euros en France, et de plus de 1 000 milliards en Europe. Les deux élus en décortiquent les mécanismes et avancent une série de propositions.

Le Cherche Midi, Paris, 2016, 288 pages, 17,50 euros.

Contrées. Histoires croisées de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Contrées donne la parole à ceux qui luttent à Notre-Dame-des-Landes comme dans le val de Suse, en Italie, où la population résiste depuis quarante ans à un projet de train à grande vitesse qui nécessite le percement de tunnels. Chaque mouvement a connu des périodes où un territoire échappait au contrôle de l'État. Les trente jours d'existence des libres communes de Venaus et de la Maddalena, en 2012, représentent un des moments forts du combat italien : des barricades sont alors érigées dans tous les points de la ville pour empêcher un forage. La réoccupation à Notre-Dame-des-Landes est une sécession, alors que, dans le val de Suse, on substitue à une vallée traversée par l'autoroute une vallée en lutte. Les questions de l'action directe, de l'illégalisme ou de la violence sont battues en brèche par la bataille commune et les nouvelles pratiques de décision. « En route, mauvaise troupe, (…) La Chimère tend sa croupe » — Paul Verlaine.

L'Éclat, Paris, 2016, 384 pages, 15 euros.

Rushes de Bruno Muel

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Dans la palette des sentiments qu'expriment les visages filmés par Bruno Muel depuis un demi-siècle se distinguent la colère et l'espoir, la détermination, la joie du « je » qui devient « nous », la défaite et l'attente. Des maquis colombiens aux usines de Sochaux en France en passant par le Chili de septembre 1973, Muel a saisi des révoltés parfois défaits mais jamais vaincus, à une époque où demander à un guérillero des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ce qu'il ferait après la victoire n'apparaissait pas comme démagogique ou naïf. On ressent avec quelle violence le rapport à l'avenir s'est depuis inversé à la lecture de ce livre-bilan. Le réalisateur y retrace une trajectoire qu'on hésite à dire sienne, tant la notion de collectif occupe une place centrale dans sa conception du cinéma. Tissé d'entretiens, de photographies, d'archives, l'ouvrage contient aussi un DVD qui ressuscite deux films : Les Trois Cousins, de René Vautier (1970), et Avec le sang des autres, réalisé par Muel dans les usines Peugeot de Sochaux en 1974.

Éditions Commune, Marseille, 2016, 240 pages, 25 euros.

Carnets de Montréal

Mon, 06/02/2017 - 18:17

L'auteure et journaliste française Catherine Pont-Humbert dresse le portrait de vingt-quatre créateurs montréalais de naissance ou d'adoption — mais parmi lesquels ne figure aucun Amérindien. À travers ces rencontres, c'est Montréal, cité « plurielle, multiple, aléatoire », qui est célébrée. L'auteure, qui porte sur la deuxième plus grande ville du Canada « un regard d'amie, de sœur, de complice », a rencontré l'écrivain Dany Laferrière, la chanteuse Ariane Moffatt, l'architecte Phyllis Lambert et bien d'autres, dans un lieu qui les identifie et auquel ils tiennent. Tous ont évoqué leur vision de Montréal, qui fête cette année son 357e anniversaire. Les confidences révèlent une ville présentée comme un « matériau social et plastique », un lieu à la fois historique et utopique. Parmi les particularités de cet ouvrage, le mariage de la voix de la journaliste avec celle de ses interlocuteurs, qui rend parfois difficile la distinction entre les propos de l'intervieweuse et les propos de l'interviewé(e), rapportés non plus comme discours mais comme événement. Si ces Carnets sont une louange du Canada, ils n'en révèlent pas moins ses contradictions, ses faiblesses et ses tabous.

Éditions du Passage, Montréal, 2016, 292 pages, 28 euros.

Le dessous des cartes. Asie, itinéraires géopolitiques

Mon, 06/02/2017 - 18:17

Selon que l'on regarde depuis l'Europe ou depuis le monde arabe, l'Asie présente un visage différent, notait dans sa préface le créateur de l'émission « Le dessous des cartes », Jean-Christophe Victor, quelques mois avant sa mort. Cette vision de la région traverse tout l'ouvrage qu'il a coordonné avec Robert Chaouad. La première partie aborde les questions de démographie, d'insécurité sociale ou d'urbanisme, ainsi que, plus classiquement, l'état des lieux de pays comme la Chine, le Japon, le Bangladesh, etc. Textes, cartes et graphiques souvent inédits s'emploient à rendre simple une région qui ne l'est pas. C'est particulièrement vrai dans la deuxième partie, consacrée aux tensions régionales : Corée(s), mer de Chine, Cachemire, mais aussi batailles autour de l'accès à l'eau. Le troisième chapitre pointe ce qu'il y a de plus neuf dans la région, des routes de la soie au Bhoutan en passant par l'Indonésie.

Tallandier - Arte Éditions, Paris-Strasbourg, 2016, 144 pages, 24,90 euros.

Le siècle de Perón. Essai sur les démocraties hégémoniques

Mon, 06/02/2017 - 18:16

Et si, loin de constituer un phénomène historique circonscrit, le péronisme — du nom du président argentin Juan Perón (1895-1974) — incarnait l'archétype d'un régime politique à dimension universelle ? C'est l'hypothèse développée par Alain Rouquié dans cet ouvrage qui instruira au-delà du cercle des latino-américanistes. L'expérience péroniste permettrait de saisir les traits distinctifs d'un type de « démocratie hégémonique » émergeant dans un contexte de « malaise social généralisé contre des gouvernements à la fois impopulaires et inefficaces » : accroissement des inégalités, domination oligarchique et incapacité des institutions à résoudre la crise. Ses caractéristiques : l'autorité charismatique d'un chef et le suffrage universel. La première engendre une pratique du pouvoir qui s'organise par-dessus (et contre) les institutions en place. Le second institue et renouvelle la légitimité populaire de ces pouvoirs « refondateurs » instaurés contre les intérêts dominants de l'étape antérieure. Argentine, Bolivie, Équateur, Russie, Thaïlande, Turquie et Venezuela sont ici étudiés et comparés.

Seuil, Paris, 2016, 416 pages, 25 euros.

Définir l'homme, un acte politique

Mon, 06/02/2017 - 18:12

La philosophie politique peut-elle se dispenser d'une réflexion sur la nature de l'être humain ? Vieille question, que reprennent trois ouvrages récents. Noam Chomsky, connu à la fois pour ses recherches sur le langage et pour son engagement politique, tente avec Quelle sorte de créature sommes-nous ? une approche systémique (1). À la base de sa réflexion, le langage, qui, selon lui, sert moins à communiquer qu'à penser. Dans ce livre bref en forme de manuel, il entreprend de montrer dans quelle mesure les créatures limitées que nous sommes du point de vue cognitif peuvent tout de même s'approcher d'une idée du bien commun.

Marc Crépon et Frédéric Worms adoptent une approche différente dans La Philosophie face à la violence (2). Disparue du programme de philosophie des classes de terminale, la notion de violence relève de plusieurs domaines, notamment du champ moral, mais également du champ politique. L'État, par exemple, a-t-il le droit d'en user ? Et à partir de quel moment a-t-on le droit d'y résister ? La réflexion dérive alors rapidement vers la liberté, en en cherchant le fondement dans la nature de l'être humain ; mais, afin de ne pas élargir par trop le cadre, les auteurs proposent d'examiner la question à l'intérieur de deux dates : 1943-1968. En 1943, Jean-Paul Sartre publie L'Être et le Néant (Gallimard), où il fonde, à partir d'une interrogation sur l'être et sur la conscience, les prémisses de son engagement à venir. Face à la violence, c'est désormais autour de cette philosophie, dans sa filiation ou de façon antagoniste, que sera pensé l'état du monde de l'après-guerre : la décolonisation, l'âge atomique, la révolution… Les philosophes modernes — Sartre, Albert Camus, Maurice Merleau-Ponty — dialoguent ici entre eux, comme le font ensuite les postmodernes — Gilles Deleuze, Jacques Derrida, Michel Foucault, Emmanuel Levinas : c'est l'intérêt du livre. Il est fort intéressant de suivre chez chacun l'articulation entre point de vue sur l'être et positionnement politique, et de comprendre ainsi, par exemple, pourquoi Sartre, à l'opposé de Camus, refuse de mettre sur le même plan la torture et le terrorisme.

Martin Heidegger a inspiré à la fois l'existentialisme de Sartre et la philosophie de la différence de Derrida. Depuis longtemps, une controverse flambe sur l'antisémitisme du philosophe, ravivée par la publication en 2014 en Allemagne des premiers Cahiers noirs, qu'il a commencés au début des années 1930, quand il avait une quarantaine d'années, et tenus quasiment jusqu'à la fin de sa vie, en 1976. Dans ces Cahiers couvrant les années 1931-1946, il expose ouvertement son point de vue sur le rôle qu'il attribue aux Juifs dans l'histoire de l'être : censés avoir contribué à en occulter la question, ceux-ci ont posé les bases d'un totalitarisme technique dont, en dernière analyse, ils ont été les victimes. Autrement dit, les Juifs furent responsables de leur propre extermination.

L'antisémitisme de Heidegger et son engagement nazi ont suscité le déni ou la condamnation, les deux attitudes ayant en commun de séparer la vie de l'œuvre, passant ainsi à côté d'une interrogation proprement philosophique des faits et des écrits, que seul Levinas aura tentée dans Quelques réflexions sur la philosophie de l'hitlérisme (Payot & Rivages, 1997). Donatella Di Cesare (3) reprend ce travail de compréhension de l'antisémitisme politique et philosophique de Heidegger, qui s'enrichit des matériaux des Cahiers noirs. Dans un premier temps, en réinscrivant Heidegger dans l'histoire philosophique allemande, de Martin Luther à Friedrich Nietzsche en passant par Emmanuel Kant et Friedrich Hegel ; ensuite, en se mesurant avec les textes des Cahiers, dans une confrontation serrée où le commentaire est mené avec clarté et rigueur. Même ceux que la philosophie de l'auteur d'Être et Temps indiffère pourront trouver un intérêt au tour que Di Cesare (heideggerienne de longue date) joue à son maître, lorsqu'elle découvre dans cet antisémitisme le résidu métaphysique que le philosophe de Fribourg ne put éliminer de sa propre pensée.

(1) Noam Chomsky, Quelle sorte de créature sommes-nous ? Langage, connaissance et liberté, Lux, coll. « Instinct de liberté », Montréal, 2016, 200 pages, 14 euros.

(2) Frédéric Worms et Marc Crépon, La Philosophie face à la violence, Éditions des Équateurs, coll. « Parallèles », Paris, 2015, 208 pages, 13 euros.

(3) Donatella Di Cesare, Heidegger, les Juifs, la Shoah : les « Cahiers noirs », Seuil, coll. « La librairie du XXIe siècle », Paris, 2016, 400 pages, 24 euros.

L'art de la dissonance

Mon, 06/02/2017 - 18:12

En octobre dernier, l'attribution du prix Nobel de littérature à Bob Dylan a suscité quelques remous amusants. Sans surprise, certains tenants de la « grande culture » s'en sont trouvés assombris. Alain Finkielkraut y a vu un « indice annonciateur de la fin des temps modernes européens (1)  ». Annie Ernaux, célèbre pour ses récits nourris d'autobiographie, considère également que ce choix est « le signe d'un tournant : ce qui est proprement littéraire se dissout (2)  » — sans, par ailleurs, porter de jugement sur l'œuvre. Irvine Welsh, l'auteur de Trainspotting, a semblé plus nettement meurtri : sur Twitter, il a traité les jurés de « vieux hippies baragouinant à la prostate rance » (13 octobre 2016).

En filigrane, toujours la même vieille question : qu'est-ce que la littérature ? Elle se double d'un vigoureux mépris pour la culture « populaire », si regrettablement vulgaire. Inversement, le long silence de Dylan après l'annonce officielle fut un parfait bonheur pour ceux qui saluent dans le rock (3) son pouvoir de désordre ; car, s'il accepte sa légitimation par les experts de la « grande » culture, qu'en est-il alors de sa force de perturbation du goût dominant ? Le lauréat a bien fini par envoyer un petit mot de remerciement, qu'il n'a pu lire en personne, « retenu » qu'il était « par d'autres engagements ». C'est précisément sur la question litigieuse qu'il se penche avec désinvolture pour mieux l'invalider, en rappelant que lui ne s'est jamais demandé si ses chansons étaient de la littérature. Ce qui lui importait, c'était de trouver le studio adéquat pour enregistrer (4).

Mettre l'accent sur la dimension littéraire du rock (ou, plus largement, de la chanson) afin de le sauver de son indignité d'art mineur, voilà une tentation très répandue, y compris chez certains de ses laudateurs. Les essais biographiques rêveurs que la romancière Christine Spianti consacre avec feu à Jim Morrison et Patti Smith (5) les présentent ainsi tous deux comme des chamans guerriers, sous le parrainage d'Arthur Rimbaud… Il est vrai que Morrison et Smith se sont voulus poètes. Mais c'est en tant que chanteurs rock qu'ils ont été saisissants. L'obstination de Patti Smith à affirmer son admiration pour Charles Baudelaire ou Jean Genet témoigne de l'émouvant désir de respectabilité qui a saisi une partie du rock, notamment aux États-Unis, depuis le tournant des années 1960-1970. Cette volonté d'anoblissement est ambiguë : d'une part, sont minorées la voix et la musique ; d'autre part, le rock avait longtemps eu pour rôle de subvertir les codes de la culture officielle, et non de s'y rattacher.

Pourtant, alors même que le rock de ces années-là fait aujourd'hui figure d'objet de musée, il n'est pas certain que ces multiples entreprises de neutralisation de son « mauvais genre » soient véritablement efficaces. Le Velvet Underground, qui, comme David Bowie ou le punk, a subi l'embaumement, reste méchant, sexy, peu assimilable. Formé en 1965 autour de Lou Reed et de John Cale, il chantait la rue, celle des paumés, des dealers, des travestis. Il chantait Heroin en un temps où s'épanouissaient le « peuple des fleurs » et sa quête du peace and love : à l'évidence, il était à contre-courant. D'ailleurs, même avec l'appui d'Andy Warhol, il n'a pu être durablement à la mode. Trop rétif, même aux injonctions implicites de l'avant-garde, autre fabrique de codes. C'est ce que saluent de façon ardente Philippe Azoury et Joseph Ghosn (6) en détaillant les enjeux de ses expérimentations musicales, appels à l'insurrection intime et à l'écoute de ce qui, d'ordinaire, est tu. Non, ce n'était pas de la littérature, mais… du rock. De l'émotion électrique.

(1) « Le Nobel à Dylan, déclin de la culture ? », Causeur.fr, 18 octobre 2016.

(2) « Annie Ernaux : “La littérature se dissout” », Le Monde, 15 octobre 2016.

(3) Il importera peu ici que Dylan ait chanté aussi de la folk, de la country, etc. Il représente un mouvement plus vaste : le rock.

(4) Discours à lire sur le site officiel www.nobelprize.org

(5) Christine Spianti, Jim Morrison. Indoors/Outdoors, Maurice Nadeau, Paris, 2016, 224 pages, 18 euros ; Patti Smith. La poétique du rock. New York, 1967-1975, Maurice Nadeau, 2016, 200 pages, 18 euros.

(6) Philippe Azoury et Joseph Ghosn, The Velvet Underground, Actes Sud, Arles, 2016, 180 pages, 16,90 euros.

Guatemala, trop de divisions pour une révolution

Mon, 06/02/2017 - 18:12

D'avril à septembre 2015, le Guatemala a traversé une grave crise politique. Après la révélation de faits de corruption impliquant des personnalités au sommet de l'État, le président Otto Pérez Molina a dû quitter le pouvoir. Pour beaucoup, sa décision était inévitable après les multiples manifestations qui avaient secoué le pays. Mais la rue était-elle seule à la manœuvre ?

Une riche compilation de témoignages, essais et articles contribue à répondre à la question (1). Certains y analysent les manifestations comme un « réveil citoyen » transcendant les classes sociales. Ainsi, M. Gabriel Wer, à l'origine avec quelques autres de la première manifestation via Facebook, n'ambitionnait pas d'obtenir davantage que la démission du président. À l'inverse, la militante étudiante Lucía Ixchíu raconte les efforts d'organisation au sein de l'université nationale San Carlos pour politiser cet « embryon de mouvement social, qui, pour pouvoir continuer à se former dans le ventre de la lutte, a besoin de renforcer l'organisation à tout niveau ». Selon elle, cette crise a repolitisé l'université publique et permis un « retour des étudiants au sein du peuple ».

Le sociologue Rodrigo Véliz s'interroge sur le lâchage de M. Pérez Molina par les élites économiques et par les États-Unis, ses soutiens d'antan. Les critiques de l'administration Obama envers l'ancien président depuis 2012 révéleraient ainsi la stratégie de Washington : « faire le ménage dans les institutions étatiques », dans le cadre d'une politique « d'investissements et de pressions économiques » visant à répondre à la présence accrue de la Chine et de la Russie dans la région. Raison pour laquelle la Commission internationale contre l'impunité au Guatemala (Cicig) bénéficierait des soutiens dont elle jouit actuellement. Ses travaux ont notamment permis de juger de nombreux anciens militaires proches du pouvoir, érigeant cette institution au rang de modèle régional que, selon l'auteur, les États-Unis aimeraient exporter dans les pays voisins.

Irma Velásquez Nimatuj, journaliste et anthropologue, analyse la relation d'abord distante des organisations indigènes et rurales à ce mouvement principalement urbain. Elle signale la division du pays, profondément travaillé par le racisme. Une division qui s'est traduite dans les manifestations : si beaucoup de citadins battaient le pavé pour la première fois, les populations rurales, elles, s'en sont souvent tenues à l'écart. La corruption, explique en effet Velásquez Nimatuj, « n'est pas le problème structurel qui les empêche d'accéder à une vie digne ». Elle estime plutôt que, en ce qui les concerne, « les problèmes substantiels n'ont pas été abordés » : ils recherchent le « démantèlement de l'État raciste, qui impliquerait une redistribution équitable de la richesse du pays ».

Dans un essai dense et succinct, au terme duquel il conclut à une « révolution qui n'a jamais eu lieu » (2), le sociologue Virgilio Álvarez Aragón consacre un chapitre à la tentative de réforme profonde de la loi électorale et des partis politiques (LEPP), une urgence démocratique majeure. Faute de stratégie de pression citoyenne et de vision structurée, le mouvement aurait échoué face à l'imbrication des élites économiques et politiques, n'obtenant qu'une réformette de plus.

L'échec stratégique, analyse l'auteur, tient aussi à l'imaginaire politique des classes moyennes, libérales et hostiles aux mesures redistributives : « L'aliénation imposée par la théologie de la prospérité, d'un côté, et le discours individualiste et consumériste, de l'autre, ont produit une idéologie suburbaine manquant de contenus politiques progressistes et d'encouragements à une organisation sociale revendicative. » L'idéologie libertarienne, puissante au sein des élites économiques guatémaltèques, a donc pu être légitimée par le discrédit de l'exécutif. Dans ces conditions, ce que beaucoup ont analysé comme une « révolution citoyenne » aurait en fait renforcé l'hégémonie culturelle de la droite qu'avait, un temps, incarnée M. Pérez Molina.

(1) Regina Solís Miranda (sous la dir. de), La Fuerza de las plazas. Bitácora de la indignación ciudadana en 2015, Friedrich-Ebert Stiftung, Guatemala, 2016, 324 pages.

(2) Virgilio Álvarez Aragón, La Revolución que nunca fue. Un ensayo de interpretación de las jornadas cívicas de 2015, Serviprensa, Guatemala, 2016, 80 quetzales, 180 pages.

Zone de turbulence

Mon, 06/02/2017 - 18:12
Giovanni Battista Podestà. — « Le Bien et le Mal »

C'est contre ce qu'il nommait « l'art culturel » que le plasticien Jean Dubuffet (1901-1985), « intellectuel féru de sauvagerie », est allé au bout de quelques intuitions fulgurantes surgies principalement dans l'entre-deux guerres. S'opposant aux conceptions esthétiques dominantes, il saluait la puissance de l'imaginaire chez les enfants, les médiums, les fous. En 1945, intrépidement, il invente l'art brut. Évidemment, les œuvres existaient déjà, mais elles n'étaient pas identifiées comme telles.

La réédition augmentée de la thèse de Lucienne Peiry (1), longtemps responsable de la Collection de l'art brut à Lausanne, précise la généalogie, la concrétisation et les paradoxes de cette notion. Dubuffet poursuit en particulier le travail de sape des surréalistes en affirmant que la création est par nature un « phénomène malsain et pathologique », et qu'il n'y a donc pas un art spécifique aux malades mentaux. En revanche, aliénés ou non, ceux qui peuvent être indemnes de toute culture artistique et témoigner par ailleurs d'une parfaite indifférence à la reconnaissance sociale de leur œuvre ont la liberté rare d'être au plus près de la vérité de leur fantaisie, car « il faut choisir entre faire de l'art et être tenu pour un artiste. L'un exclut l'autre ». Aloïse Corbaz, Adolf Wölfli, Gaston Chaissac, Louis Soutter imposent ici leurs mondes hantés, paradoxalement devenus des valeurs sûres du marché.

(1) Lucienne Peiry, L'Art brut, Flammarion, Paris, 2016, 400 pages, 30 euros.

Une étoile solitaire

Mon, 06/02/2017 - 18:12

Les auteurs d'Allemagne de l'Est qui ont publié sous cette « dictature commode », pour reprendre l'expression de Günter Grass, obligent à se poser la question du rapport à la censure. Comment pouvait-on critiquer le régime et être publié par ce même régime ? Avec Reinhard Jirgl, les choses sont simples : né en 1953 à Berlin-Est, il a toujours été interdit d'édition. Ce n'est qu'en 1990 qu'il a pu publier son premier livre, Mutter Vater Roman (pas encore traduit en français). Peu d'écrivains peuvent se targuer d'un tel brevet de radicalité et de fidélité à soi-même. Car, radical, Jirgl l'est sans conteste, dans son absence de compromission et dans son engagement littéraire — un ovni dans le cosmos des lettres.

Après Les Inachevés (2003) et Renégat, roman du temps nerveux (2005), voilà que paraît, sous le titre Le Silence, la traduction de Die Stille (2009), histoire entrecroisée de deux familles, l'une originaire de basse Lusace et l'autre de Prusse-Orientale. Le roman s'articule autour de cent photographies d'un vieil album que l'un des protagonistes, Georg Adam, né en 1935, doit apporter à son fils qui va partir aux États-Unis. Chaque chapitre correspond à l'une d'elles, qui n'est pas montrée mais succinctement décrite. Sauf que les personnages qui y figurent n'apparaissent que très rarement dans les chapitres ainsi introduits. L'absence de chronologie des images accentue encore ce décalage. C'est dire que, si Jirgl avait voulu brouiller les pistes, il ne s'y serait pas pris autrement, et le grand arbre généalogique reproduit en début d'ouvrage a des allures de savoureuse provocation, car il ne clarifie rien. D'autant plus que le fils à qui est destiné cet album est toujours cité entre guillemets, car il est né d'un inceste entre Georg Adam et sa sœur Felicitas. À cela s'ajoute une langue qui fait penser à celle d'Arno Schmidt (1914-1979), où se bousculent les signes de ponctuation, les majuscules et les minuscules, les néologismes et les calembours, les contractions et les ruptures. « Comme si les cieux explosaient, déchaînés&débridés des millions de mètres cubes d'eau é des fleuves de feu en ébullition se fracassèrent & s'emboutirent — des sifflements piaillements mugissements déversés du ciel — s'abattirent d'Unseulcoup avec une force brutale sur terres mers villes. » Si ce style excelle à rendre les états de crise et de catastrophe, il n'ajoute parfois rien : « Et les-hommes : ?Étaient-ils capables de ?!supporter Cesavoir. » L'auteur recourt à un procédé qu'il doit respecter quel que soit le sujet abordé sous peine de détruire le monde qu'il est en train de construire.

Jirgl, en dépit de ses faiblesses et de ses outrances, nous met en face d'un univers auquel il est difficile de se soustraire si l'on prend le temps de s'y plonger : sidérant, séduisant, addictif, même, où vibre comme un regret des formules mathématiques. Il y a fort à parier qu'il ne fera pas école, ne serait-ce que parce que son écriture autarcique, singulière et sophistiquée est allergique à la transmission, à la citation. Mais on ne peut s'empêcher d'admirer de telles prouesses, sans oublier celle de la traductrice, qui renvoie allègrement aux oubliettes toutes les théories de la traductologie pour suivre les coruscants jaillissements de l'empathie.

Le Silence, de Reinhard Jirg, traduit de l'allemand par Martine Rémon, Quidam éditeur, Meudon, 2016, 620 pages, 25 euros.

Nostalgie du zinc parisien

Mon, 06/02/2017 - 18:11

Relire les sept cents chroniques écrites de 1961 à 1974 par Jacques Yonnet pour L'Auvergnat de Paris et en éditer une soixantaine, classées par quartiers : voilà une excellente initiative (1). L'auteur de Rue des Maléfices (2) y explore un monde quasi disparu, celui des bougnats, des bistrots où on se mêlait sans distinction de classe — « le Parlement du peuple », selon Balzac. Un univers sans lounge bars

L'ancien résistant, toujours aussi franc-tireur et farceur, convaincu que tout se passe au zinc, traverse la ville selon son humeur, mû par le goût de l'insolite, et conte l'histoire des cafés et des quartiers, qu'il se plaît à restituer, parfois à enjoliver, sinon à inventer. Également sculpteur et dessinateur, cet érudit intarissable, au fil de ses déambulations dans la nuit ou au petit matin, livre maints portraits de tenanciers, d'habitués, célèbres ou non, qui y sont passés ; il revient sur le rôle des tavernes et des cabarets dans la formation de Paris, sur leur poésie ésotérique et leur très riche langue, sans oublier d'accompagner chaque texte d'un dessin d'orfèvre… Ami de Robert Doisneau, Jacques Prévert ou André Hardellet, il aimait profondément ces lieux et ceux qui les fréquentaient, au point de leur sacrifier sa carrière littéraire. À l'aube de la transformation de Paris, alors que les Halles déménageaient et que les spéculateurs immobiliers allaient pouvoir agir quasiment en toute liberté, il n'hésitait pas à faire de sa chronique une tribune, appelant à la vigilance : ces mutations sauvages chassaient « les gens modestes, éjectés comme des malpropres », et représentaient aussi un danger pour le patrimoine de la capitale, et en premier lieu pour les troquets. Il y avait alors environ 200 000 débits de boissons en France, pour à peine 35 000 aujourd'hui.

Deux romans écrits par des membres de la « bande à Yonnet » retrouvent également le chemin des librairies. Faux polar et vraie chronique mélancolique, La Petite Gamberge (3), de Robert Giraud, dresse le portrait d'une fine équipe de monte-en-l'air de la montagne Sainte-Geneviève. Leur bureau, c'est le café du grand René, où, selon un rituel bien huilé, les copains viennent peaufiner leurs affaires — mais la dernière va tourner à la tragédie. Giraud décrit ces malfrats de « la Mouffe » (la rue Mouffetard) avant tout comme de doux rêveurs perdus, avec le comptoir pour seul précepteur et le désir de quitter un jour leur misérable condition — le cynisme d'une certaine modernité finira par les broyer. Après d'acides premiers romans, René Fallet acquiert la notoriété lorsque le cinéma s'empare de quelques-unes de ses œuvres. Moins connu que Paris au mois d'août ou Le Braconnier de Dieu, Au beau rivage (4) (1970) tire son nom du décor principal du récit, un café de la banlieue sud de Paris — celle de l'auteur — dont le petit bal du samedi soir, avec orchestre, est promis à la ringardise par l'essor de la télévision, de la pop et des discothèques. Le patron, 60 ans dont quarante d'accordéon, n'y croit plus et sombre dans une déprime que seule la découverte des pouvoirs du rêve pourra soigner.

La nostalgie atteint son comble avec le beau Paris-Métro-Photo (5), qui, loin de tout folklore, restitue un siècle de ce monde enfoui à travers les images des grands photographes ayant immortalisé le métropolitain et ses usagers, de ses origines à aujourd'hui. On y retrouve Robert Doisneau, Henri Cartier-Bresson, Willy Ronis… mais aussi des étrangers qui se sont immergés dans les souterrains ferrés de la capitale. Une somme de voyages vertigineuse.

(1) Jacques Yonnet, Troquets de Paris, L'Échappée, Paris, 2016, 368 pages, 22 euros.

(2) Ou Enchantements sur Paris, titre de sa première édition (Denoël, 1954). Rue des Maléfices est disponible aux éditions Phébus.

(3) Robert Giraud, La Petite Gamberge, Le Dilettante, Paris, 2016, 176 pages, 17 euros.

(4) René Fallet, Au beau rivage, Denoël, coll. « Empreinte », Paris, 2016, 208 pages, 13 euros.

(5) Julien Faure-Conorton (sous la dir. de), Paris-Métro-Photo. De 1900 à nos jours, préface d'Anne-Marie Garat, Actes Sud, Arles, 2016, 408 pages, 324 photographies, 49 euros.

Vies minuscules, grande humanité

Mon, 06/02/2017 - 18:11

« Ce jour-là n'était-il pas un jour comme les autres ? », s'interrogeait Yasuo, le directeur syndical des pêcheurs du village. 11 mars 2011 : dans quelques instants, un tremblement de terre de magnitude 9 provoquera un tsunami sur la côte Pacifique japonaise, puis la catastrophe nucléaire de Fukushima. Cependant, « jusqu'à ce qu'il se rende compte que la vague qui venait sur le rivage avec un grondement se retirait à une vitesse inhabituelle mais sans un bruit, Yasuo mena ses activités quotidiennes ». Yasuo le pêcheur, l'époux, l'homme le plus ordinaire du monde, sera nos yeux. Car, pour Kasumiko Murakami, il s'agit de ramener le drame à hauteur d'homme, puis d'éclairer, une fois l'océan retiré, ce qui reste de vie, d'humanité dans les décombres. Sans emphase, loin de tout sensationnel, elle examine la réaction d'individus plongés au cœur des ténèbres.

Courage et peur, d'abord, indissociables : « Lorsqu'il y avait un risque de tsunami, on sortait aussitôt le bateau et on gagnait le large. (…) Quand le tsunami était sur le point d'arriver il fallait avoir du courage pour se précipiter sans hésitation dans sa direction. » Car c'était alors comme « se jeter dans les bras d'un assassin pour l'affronter à mains nues ». Une fois au large, spectateurs impuissants, les pêcheurs ne peuvent qu'assister, sidérés, au déferlement de la vague gigantesque, à l'incendie du chantier naval.

Des phases d'hébétude, de lucidité, d'espoir et de découragement se succèdent alors. Lorsqu'ils reviennent, tout n'est que ruines. À l'instar du village, de son foyer, de son travail, la mère de Yasuo, placée dans une maison de retraite proche de l'océan, a disparu. De hautes vagues de culpabilité le submergent : « Il avait vraiment été élevé comme un enfant gâté. Pourtant, lui, qu'avait-il fait pour elle ? »

Fantôme parmi les fantômes, Yasuo erre désormais dans le gymnase aménagé en centre d'hébergement d'urgence. Rencontres et récits s'entrecroisent. Progressivement, le tsunami se fait ravir le premier rôle. Au bout du compte, il n'agit que comme un révélateur, permettant l'apparition d'une série de portraits intimes. Dans ce roman, comme dans la séquence du grand séisme de Kanto en 1923 dans le film d'animation de Hayao Miyazaki Le vent se lève (2013), la grande histoire cède le devant de la scène à des « vies minuscules ». Le destin de Yasuo rappelle celui de la fourmi transportant « la dépouille d'une argiope [un genre d'araignée] bien plus lourde qu'elle ».

« En tant que témoin de la confusion et de la lassitude qui suivirent la catastrophe, il fallait que je mette des mots sur tout cela », explique Kasumiko Murakami. De retour à Tokyo après vingt ans passés en France en tant que journaliste et traductrice, elle est partie aider les réfugiés, comme elle l'explique dans la postface : « J'allais distribuer des provisions à Minami-Sanriku et je n'ai pu oublier chacun des visages des sinistrés. » Ce sont ces visages qui surgissent ici. L'Ama Project, vente de bracelets tricotés par les sinistrés, verra le jour sous son impulsion. Et puis après ? Après, il y a ce livre. Cette respiration. Ce vif élan du cœur. Car « plus un homme était blessé cruellement et plus il désirait aimer quelqu'un fougueusement, avait dit celui qui se comparait à la vigne ».

Et puis après, de Kasumiko Murakami, traduit du japonais par Isabelle Sakaï, Actes Sud, Arles, 2016, 112 pages, 13,80 euros.

Le protocole du renoncement

Mon, 06/02/2017 - 16:18

Ministres et parlementaires ne sont jamais avares de ferventes proclamations en faveur de la langue française. En revanche, dès que se présentent des enjeux économiques et financiers, les grands principes passent sous la table. On en a vu une illustration édifiante lors du vote sur le protocole de Londres adopté le 26 septembre 2007 par l'Assemblée nationale, et le 10 octobre suivant par le Sénat. Il s'agissait de ratifier le nouveau régime linguistique des dépôts de brevets d'invention, tel qu'il figurait dans un accord signé à Londres en octobre 2000 et qui modifiait le traité international de 1973 fondant l'Office européen des brevets (OEB) dont sont membres trente-deux pays.

Jusqu'alors, un dépôt de brevet devait être formulé dans une des trois langues officielles de l'OEB : l'allemand, l'anglais et le français. Ensuite (quatre ou cinq ans après), le déposant devait procéder, à ses frais, à la traduction de son brevet dans chacune des langues nationales des pays dans lesquels il entendait protéger son invention. Désormais, il sera dispensé de cette dernière obligation : un brevet déposé en allemand (27 % du total), en anglais (66 %) ou en français (7 %) sera opposable à toute entreprise d'un Etat signataire du protocole. En d'autres termes, les entreprises françaises n'auront accès, dans leur langue, qu'à 7 % de l'ensemble des brevets. Elles devront assumer le coût de la traduction des 93 % restants si elles veulent se maintenir à jour de l'« état de l'art » international dans leur domaine.

On ne sera pas surpris que dix-sept Etats européens (notamment l'Espagne, la Finlande et l'Italie) aient refusé de signer le protocole. Quant aux Etats-Unis, ils ne reconnaissent évidemment que les brevets déposés en anglais...

Les bénéficiaires de ce renoncement sont d'abord les multinationales américaines, chinoises, indiennes, japonaises qui déposent leurs brevets en anglais, et qui seront dispensées de frais de traduction. Ce qui incitera les ingénieurs et chercheurs français à en faire autant, précipitant ainsi le déclin de leur langue dans les domaines scientifiques et techniques. On comprend qu'un gouvernement comptant M. Bernard Kouchner parmi ses membres ait fait voter la ratification du protocole de Londres : l'homme au sac de riz n'écrivait-il pas récemment que « la langue française n'est pas indispensable (...). Si elle devait céder la place, ce serait précisément à des langues mieux adaptées aux besoins réels et immédiats de ceux qui la délaisseraient (1) » ?

(1) Deux ou trois choses que je sais de nous, Robert Laffont, Paris, 2006.

Mais que fait la police ?

Mon, 06/02/2017 - 15:12
Mathieu Colloghan. – « Policier conquérant un territoire perdu de la République », 2016 http://colloblog.blogspot.fr

Le soir est tombé sur l'avenue des Champs-Élysées, à Paris. Bravant l'état d'urgence, plusieurs centaines d'individus bloquent la circulation. Certains sont encagoulés ; armés, peut-être, à en juger par les bosses sous leurs blousons. Ils marchent vers le « périmètre interdit », celui de la résidence du président de la République et du ministère de l'intérieur, place Beauvau, cœur de l'État où, d'ordinaire, nul ne doit manifester. D'un instant à l'autre, la police déchaînera sur eux grenades lacrymogènes, matraques et tirs de Flash Ball. Pas cette fois. Cette fois, ils sont la police.

Depuis le 17 octobre 2016, manifestations et rassemblements se succèdent : des policiers « exaspérés », se qualifiant d'« éboueurs de la société », font part de leur « ras-le-bol » et de leur « colère » après l'attaque au cocktail Molotov de quatre de leurs collègues, le 8 octobre à Viry-Châtillon, dans l'Essonne. Deux ont été gravement blessés.

Partie de la base, cette mobilisation qui se veut apolitique et asyndicale a créé sa propre association, le Mouvement des policiers en colère, signe d'une volonté de s'inscrire dans la durée. Les premiers mots d'ordre dénotent des revendications matérielles : « locaux vétustes », « véhicules et protections pas adaptés », « millions d'heures supplémentaires accumulées ». Mais, à l'instigation des syndicats, qui sautent dans le train en marche, ils prennent une tournure plus politique : « révision des cadres juridiques d'emploi des armes » pour permettre l'application de la légitime défense en cas de fuite du suspect ou de forçage d'un barrage, « alignement du régime juridique de l'outrage sur celui de l'outrage à magistrat » — soit un doublement de la sanction —, « mise en place de peines planchers pour les agressions des forces de l'ordre et de secours » — alors que cette mesure a été abrogée le 1er octobre 2014 car elle contrevient à l'individualisation des peines, un principe à valeur constitutionnelle.

Recevant les syndicats, où sont encartés 49 % des effectifs, contre 11 % pour l'ensemble des professions de la fonction publique, le ministère de l'intérieur a dit « entendre et comprendre » le mouvement (26 octobre). Un projet de loi qui calque le régime des policiers sur celui des gendarmes en matière d'usage des armes a été examiné en conseil des ministres le 21 décembre. Les pouvoirs publics ont également débloqué 250 millions d'euros destinés à répondre aux demandes formulées dans la rue : amélioration des conditions de travail, équipement, mesures d'anonymisation des enquêteurs, simplification des procédures administrative et pénale. Enfin, les policiers seront mieux informés des suites pénales données aux affaires traitées ; un droit de suite que l'on peut interpréter comme une tentative d'intimidation de l'institution judiciaire.

Avec le soutien du Front national, qui recueillerait plus de 50 % des suffrages parmi les policiers et militaires (1), les gardiens de la paix cherchent désormais à élargir leur mouvement aux autres corps relevant de la sécurité — gendarmes, pompiers, personnels soignants — et demandent aux « civils » de s'y associer. Faut-il y voir un risque de sédition ?

À cette contestation de rue inédite au XXIe siècle, on connaît deux précédents historiques, à la connotation politique plus marquée, le 13 mars 1958 et le 3 juin 1983. Le premier a fait l'objet d'un récit détaillé par le politiste Emmanuel Blanchard (2). Au crépuscule de la IVe République, le gouvernement du radical-socialiste Félix Gaillard tarde à financer les primes exceptionnelles réclamées par la police au nom des répercussions en France métropolitaine de la guerre d'indépendance en Algérie. Cinq à six mille policiers se retrouvent dans la cour d'honneur de la préfecture de police pour un rassemblement autorisé et silencieux à l'instigation du Syndicat général de la police (SGP), majoritaire dans la profession et marqué à gauche. Sous la pression des ultras, le rassemblement se mue en manifestation sur le boulevard du Palais. S'accompagnant de leur sifflet, les gardiens de la paix scandent : « Nos primes ! Nos primes ! », mais une minorité d'ultras déborde bientôt les responsables du SGP en criant « À la Chambre ! À la Chambre ! ». Entre mille cinq cents et deux mille policiers se retrouvent devant l'Assemblée nationale. Alors que fusent des « Vendus ! », « Salauds ! », « Les députés au poteau ! », les gendarmes mobiles chargés de protéger l'enceinte refusent de disperser la manifestation, pourtant non autorisée. Jeune député poujadiste, M. Jean-Marie Le Pen aurait incité les contestataires à entrer. Une délégation sera finalement reçue, qui présentera des revendications, et la manifestation s'achèvera sans autres incidents en début de soirée. Le préfet André Lahillonne démissionne et est remplacé par un certain Maurice Papon… Deux mois plus tard, la IVe République expire, et le général Charles de Gaulle revient au pouvoir.

Vingt-cinq ans plus tard, sous la présidence de François Mitterrand, c'est le ministre de la justice, M. Robert Badinter, que prennent pour cible des policiers venus scander sous ses fenêtres, le 3 juin 1983, « Badinter assassin ! », « Badinter gangster ! », « Badinter démission ! ». Le cortège sauvage a quitté peu avant la cour de la préfecture où se déroulaient les obsèques de deux fonctionnaires tués au cours d'une fusillade avenue Trudaine, le jour même de l'abrogation définitive de la loi Sécurité et liberté. Quand le cortège parvient place Vendôme, les gardiens de la paix du cordon de sécurité mettent képi bas. Le garde des sceaux est vilipendé pour son « laxisme » — « On arrête, les juges relâchent » — et pour l'abolition de la peine de mort, votée en septembre 1981. Plus tard dans la journée, une nouvelle manifestation emmenée par un syndicat policier d'extrême droite parvient jusqu'aux abords du ministère de l'intérieur et de l'Élysée. Le préfet de police, Jean Périer, démissionne, et le directeur général de la police nationale, Paul Cousseran, qui s'y refuse, est relevé de ses fonctions. Le terme de « sédition » circule.

Qu'en est-il aujourd'hui ? Si certains policiers entreprennent des « manifs sauvages » ressemblant fort à celles qu'ils réprimaient au printemps 2016 lors du mouvement contre la loi travail, c'est peut-être que l'institution paie deux fois le prix du basculement de l'État social à l'État pénal. Elle enregistre ses effets dans la société, sous la forme d'un accroissement des tensions, mais aussi en son propre sein, par la modification de ses missions. La police de proximité favorisait le contact, privilégiait la prévention et le renseignement. Supprimée par M. Nicolas Sarkozy à partir de 2003, elle a cédé la place à une police principalement répressive. « La défiance des policiers envers la population est supérieure à celle ressentie par cette dernière, explique le chercheur Sébastien Roché. Il n'y a pas d'exigence des policiers de se rapprocher des citoyens (3).  » On est dans une logique d'affrontement : le policier se perçoit comme assiégé dans une citadelle. Tout citoyen est vu comme un délinquant potentiel ; en poussant la logique à l'extrême, il convient de le neutraliser avant qu'il ne passe à l'acte.

Certes, au départ, les gardiens de la paix dénoncent la politique du chiffre ; ils pointent du doigt la séparation de plus en plus forte entre un corps de commissaires en situation de « retrait » dans ses bureaux et des agents de terrain dont les plus inexpérimentés sont souvent envoyés dans les zones les plus sensibles. Si, dans ces quartiers, la police fait l'objet d'un rejet très important, c'est qu'elle y est perçue comme injuste : elle applique aux populations des traitements différents en fonction de leurs origines ethniques et sociales, pratique des contrôles d'identité à répétition visant essentiellement des jeunes hommes issus de l'immigration, etc. Certains meurent entre ses mains. Ici aussi, le pouvoir politique a capitulé en renonçant à la mise en place d'un récépissé de contrôle d'identité, qui figurait pourtant dans le programme électoral du candidat François Hollande.

Les policiers veulent avoir les coudées franches dans le combat qu'ils estiment devoir mener au nom de la défense de la société. Mais de quelle société ? Certes, « la garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique » (article 12 de la déclaration de 1789). Mais, plutôt que de se focaliser sur les illégalismes de voie publique, il conviendrait de s'attaquer aux formes de délinquance plus graves. Celles qui, selon le magistrat et universitaire Vincent Sizaire, « portent directement atteinte à la forme démocratique de la société : la criminalité organisée et la délinquance financière, qui ne sont que les deux faces d'une même pièce ». C'est en effet « sur la superstructure de la grande criminalité économique et financière et sa formidable machine à blanchir que se greffent ces formes de délinquance plus visibles que sont les différents trafics associés à l'économie dite “souterraine” dans ces quartiers populaires, mais également les violences qui en résultent (4) ». Un motif de mobilisation qui rapprocherait à coup sûr policiers et populations.

(1) Luc Rouban, « Les fonctionnaires et le Front national » (PDF), « L'enquête électorale française : comprendre 2017 », Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), Paris, décembre 2015.

(2) Emmanuel Blanchard, « Quand les forces de l'ordre défient le palais Bourbon (13 mars 1958) », Genèses, no 83, Paris, 2011.

(3) Cité par L'Obs, Paris, 27 octobre 2016.

(4) Vincent Sizaire, Sortir de l'imposture sécuritaire, La Dispute, Paris, 2016.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition de février 2017.

Manifeste Dada

Mon, 06/02/2017 - 14:19

Tristan Tzara (1896-1963), né en Roumanie, quitte son pays en 1915 pour Zurich, où, aux côtés de Hugo Ball, il fonde le Cabaret Voltaire, haut lieu de l'avant-garde. Le mot « dada » sera choisi parce qu'il ne signifie rien.

Je proclame l'opposition de toutes les facultés cosmiques à cette blennorragie d'un soleil putride sorti des usines de la pensée philosophique, la lutte acharnée, avec tous les moyens du dégoût dadaïste

Tout produit du dégoût susceptible de devenir une négation de la famille, est dada ; proteste aux poings de tout son être en action destructive : DADA ; connaissance de tous les moyens rejetés jusqu'à présent par le sexe pudique du compromis commode et de la politesse : DADA ; abolition de la logique, danse des impuissants de la création : dada ; de toute hiérarchie et équation sociale installée pour les valeurs par nos valets : DADA ; chaque objet, tous les objets, les sentiments et les obscurités, les apparitions et le choc précis des lignes parallèles, sont des moyens pour le combat : DADA ; abolition de la mémoire : DADA, abolition de l'archéologie : DADA ; abolition des prophètes : DADA ; abolition du futur : DADA ; croyance absolue indiscutable dans chaque dieu produit immédiat de la spontanéité : DADA ; saut élégant et sans préjudice, d'une harmonie à l'autre sphère ; trajectoire d'une parole jetée comme un disque sonore crie ; respecter toutes les individualités dans leur folie du moment : sérieuse, craintive, timide, ardente, vigoureuse, décidée, enthousiaste ; peler son église de tout accessoire inutile et lourd ; cracher comme une cascade lumineuse la pensée désobligeante, ou amoureuse, ou la choyer — avec la vive satisfaction que c'est tout à fait égal — avec la même intensité dans le buisson, pur d'insectes pour le sang bien né, et doré de corps d'archanges, de son âme. Liberté : DADA DADA DADA, hurlement des couleurs crispées, entrelacement des contraires et de toutes les contradictions, des grotesques, des inconséquences :

LA VIE.

« Manifeste Dada 1918 », revue Dada3, Zurich, décembre 1918.

Coûteuse double nationalité

Sun, 05/02/2017 - 17:23

On les appelle des « Américains accidentels », victimes collatérales du Foreign Account Tax Compliance Act (Fatca). De par le monde, des millions d'Américains résident hors des États-Unis ou disposent de la double nationalité. En vertu du droit du sol, toute personne née sur le territoire a droit à la citoyenneté. Même si elle a quitté très jeune les États-Unis pour ne pas y revenir et encore moins y gagner de l'argent. Cela concerne notamment un million de frontaliers canadiens dont la mère a accouché de l'autre côté de la frontière. Jusqu'à l'adoption du Fatca, beaucoup de ces Américains accidentels (qui seraient quelques dizaines de milliers en France) voyaient un avantage à leur situation. Leur vie était ailleurs, mais ils pouvaient toujours se réfugier aux États-Unis. Désormais, ils déchantent.

Au début, on n'a vu dans cette procédure qu'un moyen de lutter contre le crime organisé, les narcotrafiquants, les fraudeurs fiscaux. Quoi de plus légitime pour les autorités américaines que d'obtenir des banques étrangères, notamment suisses, les renseignements nécessaires pour poursuivre ces délinquants ? La réalité s'avère bien différente.

Washington exige des établissements bancaires du monde entier qu'ils fournissent la liste des « US Persons » disposant de comptes qui dépassent au total 50 000 dollars, sous peine de se voir infliger une amende de 30 % sur tous leurs flux financiers provenant des États-Unis — un suicide pour une grande banque, dont la plupart des transactions internationales s'effectuent en dollars et transitent donc par le sol américain. Les Suisses ont été les premiers à céder. Dans la foulée, tous les autres pays européens — à commencer par la France, en 2013 — ont accepté de se conformer aux impératifs du Fatca. Et à ses répercussions fiscales. Si les États-Unis ont signé des conventions de non-double imposition, l'Internal Revenue Service (IRS) applique les règles nationales à tous ses citoyens.

Un Américain qui vit en France, y travaille et y paie ses impôts doit faire une déclaration à l'IRS en vertu de la convention fiscale bilatérale de 1994. Si, au regard de la loi américaine, son impôt est plus important, il doit acquitter à l'IRS la différence entre ce qu'il a versé en France et ce qu'il aurait dû payer aux États-Unis. Les sommes en jeu peuvent ne pas être négligeables, les déductions fiscales (les niches) n'étant pas les mêmes. Ainsi, l'IRS ne considère pas la contribution sociale généralisée (CSG) comme un impôt déjà payé. Il prévoit également une taxe sur la plus-value lors de la vente d'une résidence principale en France, au-delà de 250 000 dollars, alors qu'en France il y a exonération.

À l'automne 2014, les banques ont commencé à adresser des courriers à leurs clients américains, mais aussi à ceux présentant un indice d'« américanité », leur demandant de communiquer leur numéro d'identification fiscale américain ou d'apporter la preuve qu'ils avaient renoncé à la nationalité. Pour des milliers de personnes, le choc est rude. Elles basculent dans un univers kafkaïen. Rien n'est fait pour les aider. Quelques banques en profitent pour les pousser dehors. Certains préfèrent alors faire le gros dos, au risque d'être dénoncés à l'IRS et poursuivis, en vertu de l'accord Fatca, par le fisc français devenu l'auxiliaire de son homologue américain. D'autres veulent renoncer à la nationalité. C'est possible, mais fort coûteux : au total, autour de 20 000 dollars, car il faut obligatoirement prendre un avocat... de préférence américain. Enfin, cela ne dispense pas de devoir faire des déclarations rétroactives sur les trois voire les six dernières années, et de payer l'éventuel surplus.

Série de lois liberticides

Thu, 02/02/2017 - 12:25

Au consensus sur l'extension de la colonisation et sur le refus de toute concession s'ajoutent plusieurs dispositions législatives destinées à museler la contestation :

— La « loi boycott » (2011) interdit tout appel au « boycott d'une personne en raison de ses liens avec Israël ou des régions sous le contrôle d'Israël » ;

— La « loi Nakba » (2011) sanctionne financièrement la commémoration de l'expulsion de 850 000 Palestiniens en 1947-1949 ;

— La « loi ségrégation » (2011) prévoit la création de « comités d'admission » pour décider si une ou des personnes venant s'installer dans une localité ou une ville sont « convenables » ;

— La loi sur les organisations non gouvernementales (2016) contraint les ONG à déclarer les subventions en provenance de gouvernements étrangers si celles-ci représentent plus de la moitié de leur budget (y échappent ainsi les associations de droite et d'extrême droite qu'arrosent des fondations américaines extrémistes) ;

— La « loi d'exclusion » (2016) permet à 90 députés (sur 120) d'en expulser d'autres du Parlement ;

— La « loi BDS » (2016) autorise Israël à refouler à ses frontières les personnes ou les représentants d'entreprises, de fondations ou d'associations appelant au boycott d'Israël ;

— Enfin, la « loi Breaking the Silence » (2017), adoptée en première lecture en janvier, interdit à l'association portant ce nom, qui dénonce la violence de l'armée dans les territoires occupés, d'intervenir dans les établissements d'enseignement.

Vents de colère, temps d'absolu

Thu, 02/02/2017 - 11:27

Le verdict tombe comme le diagnostic d'une maladie incurable et contagieuse : « radicalisé ». On l'accole indifféremment au fanatique qui mitraille la terrasse d'un café, au syndicaliste qui défend le droit du travail sur le piquet de grève d'une raffinerie, à l'électeur de M. Donald Trump, au lanceur de pavé du « cortège de tête » ou au processionnaire de la Manif pour tous. Tout les sépare ? Peu importe, nous explique-t-on : leur absence de modération les rassemble et les rejette loin de la communauté des gens raisonnables.

À ce narratif en vogue Manière de voir (1) oppose des faits, des analyses, des reportages et une approche historique qui appellent une tout autre conclusion. Des Lumières à la décolonisation, de l'Afrique du Sud aux maquis du Vercors, ce sont les radicaux qui ont fait notre monde et les apôtres de la modération qui ont empêché sa transformation (chapitre 1). Mais toutes les radicalités ne se valent pas. Les unes expriment le sursaut du dominé décidé à prendre le mal à la racine (chapitre 2). Les autres caractérisent au contraire la volonté inflexible d'édifier — ou de rétablir — des formes de domination, qu'elles soient religieuses, politiques ou économiques (chapitre 3). Et puis il y a cette germination de courants de pensée et de mouvements radicaux qui aimante des intellectuels parfois plus soucieux de changer l'ordre des notes de bas de page que l'ordre des choses (chapitre 4). Se peut-il enfin que s'achève le long cycle des démocraties de marché, qui vit les bons apôtres de la modération administrer aux peuples la thérapie de choc libérale ? Et que s'ouvre à nouveau l'ère de tous les possibles, et donc de tous les dangers ?

On abordera cette page blanche moins démuni une fois armé des leçons de l'histoire et des intuitions d'un grand plasticien. Pour accompagner les analyses, reportages, extraits de manifestes artistiques et fulminations d'écrivains radicaux, Manière de voir accueille le travail d'Ernest Pignon-Ernest. Pionnier de l'art de rue et de mur, où il colle inlassablement ses œuvres, Pignon habille la ville d'images sous tension qui dévoilent au passant sous une forme classique la vérité que nos cerveaux se refusent à voir.

(1) « Radicalisations », Manière de voir, n° 151, février-mars 2017, en vente chez votre marchand de journaux, 100 pages, 8,50 euros.

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