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Le Monde Diplomatique

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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 1 month 2 weeks ago

Notes pour servir à l'histoire de la Commune de Paris

Thu, 30/03/2017 - 13:50

Mardi 23 mai 1871. La Commune de Paris agonise et Jules Andrieu, délégué aux services publics, borgne de naissance, ne peut s'enfuir avant d'avoir trouvé un œil de verre, « afin que j'en eusse deux comme tout le monde ». Cela fait, ce pédagogue rationaliste, qui donnait auparavant des cours du soir aux ouvriers, gagne Londres, rassemble et complète ses notes. Loin du lyrisme de la « défaite glorieuse » qui, faute de mieux, imprègne souvent les mémoires de communards, ses souvenirs nous plongent dans l'univers administratif d'une ville en révolution. Comment s'occupe-t-on des rues, de l'éclairage, des égouts, des cimetières ? Comment « répondre journellement aux nécessités journalières » quand toute routine s'évanouit ? Andrieu ne cache pas un certain agacement face aux décisions de la Commune : il eût fallu, dit-il, prendre d'emblée la Banque de France ; regrouper en masse des otages comme monnaie d'échange plutôt que d'en exécuter quelques-uns ; miner la capitale plutôt que l'incendier. « La Commune a été violente et faible. Elle devait être radicale et forte. »

Libertalia, Paris, 2016, 400 pages, 18 euros.

Les Fleurs bleues

Thu, 30/03/2017 - 13:50

Le dernier film (posthume) d'Andrzej Wajda, Powidoki (littéralement « images rémanentes », devenu Les Fleurs bleues...), est consacré aux dernières années de l'artiste Władysław Strzemiński (1893-1952), en butte à l'imposition du réalisme socialiste auquel il refuse de se plier. En effet, Strzemiński et sa femme Katarzyna Kobro, formés dans l'Union soviétique des années 1918-1924 auprès de Kazimir Malevitch et Vladimir Tatline, avaient fondé en Pologne, avant la guerre, un mouvement constructiviste dont les principes visaient à donner forme aux objets usuels, aux vêtements, à l'architecture, à la vie quotidienne, à partir d'une réflexion sur l'espace. Ce n'est cependant pas cette opposition-là que présente Wajda, mais celle entre l'artiste comme figure spirituelle, intériorisée, solitaire, et le pouvoir politique, qui finira par le priver de tout, jusqu'à ce que la tuberculose l'emporte. En greffant un discours narratif démonstratif sur une esthétique naturaliste, Wajda aboutit à la caricature que le surtitre de l'affiche française exprime bien : « Le peintre qui s'opposa à la dictature soviétique [sic] ». Car il n'est pas une image qui ne mette en scène cette « dictature » et cette « résistance », précisément comme dans les films à thèse du réalisme socialiste.

« Élitaire pour tous »

Thu, 30/03/2017 - 13:50

Construit en 1902, le théâtre municipal de Saint-Denis, renommé en 1960 théâtre Gérard-Philipe (TGP), fait figure de théâtre rouge par excellence — la municipalité est communiste depuis 1920 —, soucieux de mettre l'art à la portée du monde ouvrier et de la population de la ville. Michel Migette, lui-même natif de Saint-Denis, et son complice Étienne Labrunie racontent l'histoire du TGP, indissociable de celle de la décentralisation et du projet d'un « théâtre élitaire pour tous » cher à Jean Vilar (1). Photographies, témoignages, interviews, portraits : le livre va à la rencontre des créateurs d'hier et d'aujourd'hui, mais aussi des acteurs locaux pleinement impliqués dans la vie du TGP, où ils trouvent une sorte d'agora. Pour les directeurs qui s'y succèdent, la culture n'est pas un supplément d'âme, mais prend toute sa place au cœur d'un projet de société émancipateur. Aujourd'hui, Jean Bellorini dirige cette maison après Jacques Roussillon, José Valverde, René Gonzalez, Daniel Mesguich, Jean-Claude Fall, Stanislas Nordey, Alain Ollivier et Christophe Rauck. Tous défendaient un théâtre de création sur un territoire singulier, se battant pour obtenir des tutelles et du ministère de la culture les moyens de développer leur action auprès du public, en particulier de la jeunesse.

Parmi les auteurs en compagnonnage au TGP, on trouve Michel Simonot, rompu à la pédagogie de l'éducation populaire et fin observateur de la société, dont l'écriture se place en équilibre entre fil politique et veine poétique. Avec Delta Charlie Delta (DCD, code pour « décédé ») (2), il revient sur l'histoire traumatique de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés à Clichy-sous-Bois dans un transformateur où ils s'étaient réfugiés pour fuir la police, ce qui provoqua les révoltes de l'automne 2005 : « À partir de cette expérience, la question artistique fut pour moi, du point de vue de l'écriture, de savoir comment parler des révoltes. Quels mots mettre sur cet événement ? » Les mots seront ceux de Muhittin Altun, le troisième adolescent, qui a survécu à ses blessures, « le seul à posséder la parole sur 2005 ». Loin d'un « travail de journaliste à chaud », l'auteur emprunte un chemin artistique d'investigation où il cherche une « capacité de distance et de recul, de décalage et de décentrement » vis-à-vis des événements qu'il explore, depuis cette journée blême du 27 octobre 2005 jusqu'au dernier procès de 2015, où furent relaxés définitivement les policiers poursuivis pour non-assistance à personne en danger. La forme chorale du récit entremêle des faits datés et précis et des éléments de fiction, jouant librement avec divers registres de la langue. L'effet de souffle en est assez puissant pour interdire au lecteur toute indifférence.

Sur un autre territoire, moins rugueux, mais qui fut emblématique d'un renouvellement, il faut s'intéresser à l'expérience d'Ariane Mnouchkine, entamée en 1970 à la Cartoucherie de Vincennes, ancien dépôt d'armement abritant aujourd'hui cinq théâtres dans un écrin de verdure partagé avec des chevaux. L'Art du présent (3) offre seize entretiens avec la fondatrice du Théâtre du Soleil conduits par Fabienne Pascaud, critique dramatique de l'hebdomadaire Télérama, entre 2002 et 2004, puis complétés et actualisés. Le vaste champ de réflexion ainsi ouvert est fertile : sont évoqués et interrogés l'histoire du Soleil, le rôle des individus et du collectif, le rapport au public, mais aussi la technique théâtrale, la relation entre auteur et metteur en scène, entre la compagnie et l'actualité et le politique… Autant d'éléments qui permettent de mesurer l'ambition et la démesure de spectacles qui se fabriquent sur plusieurs années, avec des comédiens de toutes nationalités. Ceux-ci entrent au Soleil comme dans une utopie, partageant toutes les tâches de recherche et d'intendance, acceptant une égalité des salaires qui fait figure de vestige soixante-huitard. Femme de tête et femme de poigne, pionnière dans l'élaboration d'un tel lieu de création monumental, Mnouchkine symbolise l'engagement de toute une vie au cœur d'un théâtre populaire, éthique et politique, qui se nourrit des cultures du monde entier.

(1) Michel Migette, Théâtre Saint-Denis. TGP : 100 ans de création en banlieue, PSD - Au diable Vauvert, Saint-Denis - Vauvert, 2016, 364 pages, 30 euros.

(2) Michel Simonot, Delta Charlie Delta, Éditions Espace 34, Les Matelles, 2016, 120 pages, 16 euros.

(3) Ariane Mnouchkine, L'Art du présent. Entretiens avec Fabienne Pascaud, Actes Sud, coll. « Babel », Arles, 2016, 336 pages, 8,90 euros.

Cabotage juridique

Thu, 30/03/2017 - 13:50

« Pour la Commission, un maximum de pouvoir pour un minimum de contrôle. » C'est ainsi que le rapport annuel de la très orthodoxe Fondation Robert-Schuman décrit la procédure peu connue qui permet à l'exécutif bruxellois de légiférer en toute indépendance dans un nombre croissant de domaines : le recours aux actes délégués (1). À l'origine, il s'agissait, en cas de désaccord persistant entre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne — qui regroupe les ministres des vingt-huit États membres —, d'accélérer l'adoption d'un texte en reportant les points litigieux à l'adoption ultérieure d'actes dits « délégués » par la Commission européenne. Mais le recours à cette procédure, qui devait rester exceptionnel, a connu un tel essor que deux tiers des normes européennes en sont aujourd'hui issues. Il en est ainsi par exemple de la résolution relative à la mise sur le marché et à la brevetabilité des semences et obtentions végétales. Elle prévoyait que la Commission fixe seule, à travers un acte délégué, la liste des semences soumises à certification obligatoire. Mais le contrôle des espèces placées sur le marché concerne l'environnement, l'alimentation et les rapports entre semenciers et agriculteurs…

Le rapport Schuman recommande donc que l'adoption des actes délégués associe désormais les Parlements nationaux. Alors que les critiques portant sur le « déficit démocratique » se font de plus en plus vives, il s'agit d'augmenter la légitimité d'actes qui ont des conséquences réelles sur le quotidien des populations.

La mise en œuvre du droit européen recèle elle aussi son lot d'ambiguïtés, voire d'entorses à l'État de droit. La transposition des directives en droit national souffre, selon le rapport Schuman, du « syndrome européen de Janus » : au moment de les faire valider dans leurs États respectifs, les gouvernements éprouvent des difficultés à appliquer des normes qu'ils ont pourtant approuvées à Bruxelles. Deux rapports, l'un de la Commission européenne (2), l'autre du Sénat français (3), jettent une lumière crue sur ces pratiques, par ailleurs inégalement répandues dans les vingt-huit États membres. En France, la mauvaise foi des ministres se traduit par exemple par l'inscription volontairement tardive des mesures de transposition à l'ordre du jour du Parlement, afin d'abréger un débat public gênant pour l'exécutif. Même volonté de procéder en catimini dans le recours au douteux stratagème des « cavaliers législatifs » : insertion discrète, dans un texte prêt à être voté, d'une mesure qui n'a pas de lien avec son contenu. Ce fut notamment le cas pour la directive sur les services postaux communautaires, que le gouvernement a transposée par un amendement inséré au détour d'un texte de loi en discussion relatif au développement durable du territoire… Ces arrangements valent à la France de figurer, avec l'Espagne, la Belgique, la Pologne et l'Italie, au rang des États membres qui enregistrent le taux de directives incorrectement transposées le plus élevé (0,8 %), soit neuf directives par an.

Or les transpositions incorrectes portent directement préjudice aux citoyens. Tout d'abord, ce sont eux, les contribuables, qui paient les amendes élevées pour non-application du droit européen. En 2008, la France s'est vu infliger une amende de 10 millions d'euros pour la transposition tardive de la directive relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés (OGM).

De plus, ces pratiques quelque peu désinvoltes dégradent la qualité de la justice. En effet, les juges nationaux se retrouvent parfois face à des textes obscurs, ce qui les oblige à questionner la Cour de justice de l'Union sur leur sens. Ces questions dites « préjudicielles » peuvent allonger de plusieurs mois les délais de procédure, alors même que la France est régulièrement condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme pour violation du droit à un délai de procédure raisonnable.

(1) Thierry Chopin et Michel Foucher (sous la dir. de), L'État de l'Union. Rapport Schuman 2016 sur l'Europe, Lignes de repères, Paris, 2016, 308 pages, 109,90 euros.

(2) Commission européenne, « Rapport 2016 pour la France contenant un bilan approfondi sur la prévention et la correction des déséquilibres macroéconomiques » (PDF), Bruxelles, 2016.

(3) Sénat, commission des affaires européennes, « La non-application du droit de l'Union » (PDF), Actualités européennes, n° 36, Paris, 3 juin 2013.

Philosophie de la praxis. Marx, Lukács et l'école de Francfort

Thu, 30/03/2017 - 13:50

Élève de Herbert Marcuse et de Lucien Goldmann, Andrew Feenberg examine, dans ce remarquable ouvrage, le fil conducteur qui mène du jeune Karl Marx à l'école de Francfort, en passant par le Georg Lukács d'Histoire et conscience de classe (1923) : la philosophie de la praxis. Inspirés à la fois par l'esprit de révolte du romantisme et par le rationalisme hégélien, les « marxistes occidentaux » (un terme inventé par Maurice Merleau-Ponty, en opposition au marxisme soviétique) ont développé une critique radicale de la réification et de l'irrationalité capitalistes. Mais si, pour Marx et pour Lukács, la révolution est la seule réponse aux « exigences de la raison » de la philosophie classique allemande, l'école de Francfort se situe dans une période de réaction, où le sujet révolutionnaire collectif semble absent. Theodor Adorno et Max Horkheimer auront recours au concept lukacsien de réification pour esquisser une reformulation dialectique de la théorie marxiste, tout comme Marcuse, le seul à trouver des signes d'espoir dans la « nouvelle gauche » et dans les mouvements sociaux des années 1960-1970.

Lux, Montréal, coll. « Humanités », 2016, 544 pages, 22 euros.

Girls and Sex. Navigating the Complicated New Landscape

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Interrogeant de livre en livre la condition féminine contemporaine aux États-Unis, la journaliste Peggy Orenstein enquête cette fois sur la sexualité des jeunes femmes, entre le lycée et la faculté. Mêlant ses entretiens avec soixante-dix d'entre elles à la restitution de multiples données chiffrées et travaux de recherche, elle dresse un paysage à la fois détaillé et nuancé. Avec empathie et perspicacité, elle passe en revue diverses questions : l'apprêtement du corps, la place de l'alcool, la sacralisation de la virginité et l'obsession de la « pureté », l'importance de la réputation, la prise de conscience de l'homosexualité, mais aussi l'influence des nouvelles technologies, de la pornographie et du showbiz — de Beyoncé à Miley Cyrus. Elle montre comment, même pour les plus « libérées », un rapport sexuel reste voué à la satisfaction du désir masculin. Et les récits glaçants qu'elle rapporte d'aventures d'un soir ayant tourné au viol sur les campus font voir d'un tout autre œil les politiques de « consentement explicite » mises en place dans de nombreux établissements, si souvent caricaturées et tournées en dérision en France.

Harper Collins, New York, 2016, 320 pages, 26,99 dollars.

Lire Debord

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Issu d'un colloque tenu à la Bibliothèque nationale de France (BNF) en 2013, parallèlement à l'exposition « Guy Debord. Un art de la guerre », cet ouvrage permet d'abord de lire l'auteur de La Société du spectacle. On y trouve des inédits, principalement des notes de travail pour des projets de livres et de films, aboutis ou non, qui concernent aussi bien les luttes des années 1960-1970 en France et en Italie que la Fronde (XVIIe siècle), le cinéma ou la corruption du langage, mais aussi une courte scène de théâtre sur le « couple en milieu pro-situ » qui ne manque pas d'humour. Souvent, ces notes sont passionnantes et vont à la racine des choses. Ainsi, à propos de 1968, quand Debord remarque : « Si le prolétariat n'est pas révolutionnaire, vaine est notre espérance, vain notre jeu historique. » Ou lorsqu'il souligne que « jamais l'humanité n'a été réduite (…) à un hédonisme de pacotille aussi désespéré ». La seconde partie propose, en écho à ces inédits, une ou plusieurs contributions de lecteurs de l'œuvre de Debord et de ses archives. Quant à sa postérité, les études respectives de Laurent Jeanpierre et de Patrick Marcolini dessinent l'espace des interprétations et des controverses.

L'Échappée, Paris, 2016, 440 pages, 25 euros.

L'intégrisme économique

Thu, 30/03/2017 - 13:49

La critique de l'économie dominante évolue. Peu à peu, la démonstration de l'inanité des théories qui la sous-tendent cède la place à la mise au jour du système de domination qu'elle rend possible. Une mutation déterminante : on ne lutte pas de la même façon contre une erreur ou contre un pouvoir. Or, « parmi les nombreux services qu'on peut rendre au pouvoir, a écrit l'économiste John Kenneth Galbraith, il n'en est pas de plus précieux que d'entretenir la croyance en son inexistence ». Fort de cette conviction, Éric Berr, membre des Économistes atterrés, contribue à rappeler que la lutte contre le néolibéralisme n'est pas (uniquement) une bataille d'arguments, mais un combat politique. Il démonte les logiques de l'austérité et de la dette, les discours visant à décrédibiliser le protectionnisme ou les justifications de l'organisation du monde capitaliste en un centre et une périphérie. Mais toujours avec un objectif : briser le « consentement des dominés à leur domination ».

Les Liens qui libèrent, Paris, 2017, 160 pages, 15 euros.

Le street art au tournant. De la révolte aux enchères

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Ceux qui voudront inscrire l'art de rue dans une contre-culture punk devront lâcher l'ouvrage fouillé du chercheur Christophe Genin. Le street art est aussi un milieu conformiste, machiste, au service des puissants. Dans cette nouvelle édition richement illustrée, l'auteur s'abstient de tout jugement moral pour analyser chaque dimension d'un mouvement hétérogène et mouvant. Joliment appelé « pollinisation du monde extérieur », ce qui est devenu un véritable courant artistique est aussi l'outil de causes antagonistes, « l'interface où se lisent les tectoniques de notre époque ». Pour Genin, que l'art urbain soit empli de contradictions « montre qu'il est bien l'expression directe de notre temps ». Récupéré, il n'échappe ni à la marchandisation ni à l'embourgeoisement. Il n'en demeure pas moins l'outil d'une réelle contestation politique. Dès lors, quel point commun entre les œuvres ? Le détournement d'un monde pour renouveler le regard, « témoin d'une intelligence de la rue comme rendez-vous de la variété humaine ».

Les Impressions nouvelles, Bruxelles, 2016, 272 pages, 29,50 euros.

Les deux bouts

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Paris, place de l'Étoile, 1953. L'écrivain et journaliste Henri Calet croise la route d'Ahmed Brahimi, manœuvre, qui se rend sur un chantier. Ce trentenaire algérien, qui « voulait connaître en France la civilisation, sans que l'on sache ce que ce mot représente au juste pour lui », est un « roman aux pages fermées » ; dans Le Parisien libéré, Calet les déplie. Voici aussi Riton, menuisier rue de Charonne : de retour chez lui, à Bezons, il trait sa chèvre Nénette — son lait est indispensable aux « neuf gosses ». Voici Marcelle Dominique, esthéticienne rue de Grenelle. Elle souhaite éviter de suivre les pas de sa mère : « Morte à 76 ans et demi, elle travaillait encore. » Et voici dix-huit portraits d'« un Paris en tenue de travail », un trésor rassemblé en 1954 dans Les Deux bouts, ceux qu'on a du mal à joindre. Tous refusent de parler de politique ; Calet n'insiste pas. Mais il se tient aux côtés de ces anonymes avalés par les bouches de métro. Il les aime, et sa fraternité séditieuse s'attache à tous les dominés. Calet en est. Ce couple de retraités vivant dans un taudis de la rue Serpollet, sans eau courante, et fumant des mégots, ce sont ses parents.

Héros-Limite, coll. « Tuta blu », Genève, 2016, 224 pages, 18 euros.

Photolittérature

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Depuis Charles Nodier, faire dialoguer le texte et l'image est une préoccupation des écrivains et des artistes novateurs. Le catalogue de l'exposition « Photolittérature » (1), qui s'est tenue cet automne en Suisse, explore cette interaction bénéfique nouée entre les mots et la photographie à travers poésie, fiction, récits de voyage et autofiction de langue française. De L'Élixir du R. P. Gaucher, cet « incunable » (1889) du photographe Henri Magron sur un texte d'Alphonse Daudet, jusqu'aux interventions d'Hervé Guibert sur son environnement, c'est une forme subtile qu'a générée le rapprochement des deux modes d'expression. Les chefs-d'œuvre proposés par Georges Simenon et Germaine Krull (La Folle d'Itteville, 1931), Luc Dietrich (Terre, 1936), Jacques Roubaud (Quelque chose noir, 1986) ont désormais rang de classiques, à l'instar des créations de Jean-Loup Trassard, dont les dispositifs propices aux jeux de l'imagination repoussent les limites de la photolittérature. Pour les amateurs, deux magnifiques albums de Paul Edwards, Perle noire. Le photobook littéraire (2016) et Soleil noir. Photographie et littérature (2008), tous deux parus aux Presses universitaires de Rennes, explorent le sujet plus avant.

(1) Marta Caraion, Natalia Granero et Jean-Pierre Montier (sous la dir. de), Photolittérature, Fondation Jan-Michalski, Montricher (Suisse), 2016, 178 pages, 35 francs suisses.

La trahison d'Hippocrate

Thu, 30/03/2017 - 13:49

Andréa Doria s'éteint le 15 août 1991. Une date qu'elle a choisie. À la fin de 1990, après cinq années de lutte contre le cancer, elle renonce aux soins hospitaliers. « Je vais respirer l'air pur. » À ses infirmières elle laisse une lettre en quittant l'hôpital : « Prenez ce petit mot comme une marque de reconnaissance de quelqu'un qui préfère un mois de liberté plutôt qu'une année de chimio, avec bien sûr toutes les conséquences qui pourront s'ensuivre. » Cette première missive ouvre N'Dréa (1), réédition soignée d'une série de lettres adressées par Andréa à ses proches, qui circulaient depuis vingt-cinq ans sous forme de brochure pirate.

L'auteure appartenait au groupe autonome Os Cangaceiros, qui, né en France en 1985, refusait le « vieux monde », son salariat, ses normes bourgeoises. Andréa faisait partie de ces rares personnes qui mènent leur existence selon leurs principes : voler pour vivre, saboter pour refuser. « La pensée de la mort, je l'avais rencontrée d'une certaine façon, socialement, dans le risque calculé pris à plusieurs pour ne pas travailler. Car pour moi, la prison, c'est la mort. » En 1985, elle apprend qu'un crabe « a posé sa griffe à la pointe de [s]on sein ». Elle écrit magnifiquement la solitude face au verdict, et sa colère contre une médecine qui « s'est appropriée vos tumeurs » et déshumanise le patient, l'isole, le contrôle.

Rayons, chimio, hormonothérapie... Andréa subit les irradiations « en contradiction avec le vivant », aussi dans la région pelvienne, tétanisant à jamais les muscles, empêchant désormais toute pénétration. Alors que tout s'aggrave, on lui propose un traitement expérimental « de la dernière chance » : une molécule du groupe Sanofi, aux nombreux effets secondaires. Servir de cobaye pour un laboratoire ? Elle choisit de s'arrêter là. « Je retrouvais la liberté », écrit-elle à son amie Bella. « J'étais désintégrée. Mon ambition, dans ce moment, fut un acte souverain : retrouver mon unité, rassembler tous mes morceaux épars et disséminés. (…) L'hôpital était une aliénation, j'y étais prise en charge, infantilisée. Je devais couper tout lien avec lui, maintenant j'ai une prise sur ma vie. » Devant tant de dignité, on se demande ce qu'on aurait fait — ce qu'on ferait à sa place. Révoltée, Andréa s'en prend aussi à cette médecine qui s'attaque au symptôme plutôt qu'aux causes du cancer.

La critique se trouvait déjà dans le salutaire La Société cancérigène (2), qui raconte comment, plutôt que de combattre les sources réelles de la maladie (pollution de l'environnement, substances toxiques au travail, etc.), on privilégie l'« industrie du cancer » : le secteur pétrochimique, l'agriculture industrielle, le nucléaire, les lobbys pharmaceutiques. Il s'agit de rendre chacun responsable de sa maladie par des renvois au patrimoine génétique, aux comportements individuels. Andréa évoque cette culpabilisation lorsqu'elle cite un médecin lui assénant  : « C'est vous qui vous êtes fait votre cancer. »

Un mépris paternaliste longuement décrit dans le dernier livre de Martin Winckler, Les Brutes en blanc (3). Le médecin et essayiste s'y attaque à des praticiens qui peinent à accepter de prendre le temps, d'expliquer, de transmettre leur savoir aux principaux concernés : les patients — ou plutôt les patientes, puisque ces dernières sont les « premières bénéficiaires de soin ». Que faire alors ? Winckler rappelle qu'il est possible de refuser un acte médical, de venir à deux dans un cabinet gynécologique, ou encore de porter plainte devant la justice… Face à la froideur des protocoles, ces conseils font du bien.

(1) Andréa Doria, N'Dréa. « Perdre ma vie est un risque plus grand que celui de mourir », Les Éditions du bout de la ville, Le Mas-d'Azil, 2016, 88 pages, 9 euros.

(2) Geneviève Barbier et Armand Farrachi, La Société cancérigène. Lutte-t-on vraiment contre le cancer ?, Points, coll. « Documents », Paris, 2007 (1re éd. : 2004).

(3) Martin Winckler, Les Brutes en blanc, Flammarion, coll. « Documents et essais », Paris, 2016, 368 pages, 16,90 euros.

Les ombres derrière la porte

Thu, 30/03/2017 - 13:49

On pourrait lire l'œuvre de l'Espagnol Javier Marías, qui, né en 1951, a passé une partie de sa jeunesse aux États-Unis, à la lumière du désenchantement. À la lumière de son nihilisme doux, l'existence est une somme de vanités, et la vérité ne demeure authentique que le temps qu'elle reste cachée. Un secret entoure la plupart des héros de ses romans, où un rythme narratif limpide alterne avec de longues digressions qui évoquent quelque peu Laurence Sterne ou Claude Simon et qui suspendent l'intrigue, reflètent une inquiétude.

Si rude soit le début se situe au début des années 1980, dans l'Espagne de l'après-Franco. Au gré de longs chapitres, deux histoires parallèles décrivent à la fois le déclin d'un couple — le réalisateur Eduardo Muriel et son énigmatique épouse Beatriz Noguera — et la dictature. Aux faits historiques se mêlent les destins individuels. Certains personnages évoquent les grandes figures romanesques de l'ambiguïté : le docteur Van Vechten, sorte de Vautrin espagnol, fut avec cynisme un agent des années sombres du franquisme.

L'intrigue évolue à pas lents, au fil de révélations et de mystères qui s'enchevêtrent. Cette lenteur fait le charme d'un univers profondément mélancolique, ce qui n'empêche nullement l'humour. Un suicide, qui rappelle la scène inaugurale d'Un cœur si blanc (Gallimard, 2008), est décrit ici à la manière d'une farce, qui a pour contrepoint de longs constats pessimistes.

Marías emprunte au cinéma quelques références évocatrices de panache héroïque et porteuses de nostalgie. Ses personnages en acquièrent une vive et sensuelle présence : ainsi, Eduardo Muriel a l'élégance et l'allure d'Errol Flynn. Il fascine son assistant, le jeune Juan de Vere, le narrateur de toute cette vaste histoire. L'apparition intermittente de figures hollywoodiennes (Jack Palance) ajoute comme un surcroît de fiction au roman, tandis que Beatriz Noguera, femme amoureuse et malheureuse, évoque les héroïnes du XIXe siècle qui, de Mme de Rênal (Le Rouge et le Noir) à Mme Arnoux (L'Éducation sentimentale), fascinent de jeunes hommes ardents. L'amour trompé, l'illusion de l'amour, la glorification et la destruction du couple sont les enjeux principaux de ce récit qui avance par phrases amples, emportant son lecteur dans les méandres d'un passé rejoignant le présent par une succession de mystères et de dévoilements.

L'ombre de Henry James plane sur les silhouettes qui écoutent derrière des portes vitrées. La filature n'aboutit qu'à une réalité imparfaitement élucidée... Marías ne se berce pas d'illusions : les mensonges font partie du cours naturel de la vie, qui serait insupportable sans une dose de fausseté. Le roman est précisément un espace qui protège des désillusions, un monde clos construit avec ses propres lois. Souvent, en fin ou en début de paragraphe, une méditation prend forme, à l'appui d'une citation. Celle du titre est empruntée à Shakespeare : « Si rude soit le début, le pire reste derrière nous »… La citation agit comme un embrayeur de réflexion qui estompe la frontière entre fiction et réalité, entre ce qui nous a été raconté et ce que nous avons vécu. Marías, qui associe l'enchantement (romanesque) à la mélancolie poétique, propose une métaphysique accessible, portée par une écriture subtile qui exige un lecteur patient, bientôt proprement charmé.

Si rude soit le début, de Javier Marías, traduit de l'espagnol par Marie-Odile Fortier-Masek, Gallimard, coll. « Du monde entier », Paris, 2017, 576 pages, 25 euros.

L'Occident vu de Russie. Anthologie de la pensée russe, de Karamzine à Poutine

Thu, 30/03/2017 - 13:48

« L'occidentalisme est déjà par lui-même un phénomène russe », écrivait en 1978 Andreï Amalrik, l'un des cent quarante auteurs cités ici. Cette anthologie élaborée, traduite et présentée par l'universitaire Michel Niqueux s'avère très utile en ces temps de relations troublées entre Russie et Occident. Ces 365 textes, dont certains sont traduits pour la première fois en français, montrent combien la pensée russe est travaillée depuis deux siècles par le rapport à l'Occident. Toute l'identité nationale de la Russie, son positionnement géopolitique, sans parler des questions existentielles ou spirituelles, s'en trouvent comme déterminés. À l'origine, il y a les réformes de Pierre le Grand, qui, au début du XVIIIe siècle, européanise de force le pays. Il ouvre alors un immense débat entre occidentalistes et slavophiles — entre autres — sur la voie qu'il s'agit de choisir : imiter l'Europe, faire siennes les « valeurs universelles » des Lumières, ou les dénoncer comme particulières et décadentes pour suivre son propre chemin, et sauver l'Europe au passage… au risque de se perdre dans un chauvinisme étroit ?

Institut d'études slaves, Paris, 2016, 790 pages, 36,03 euros.

Le Parlement du futur

Thu, 30/03/2017 - 13:48

Inscrit dans les fondements de la Ve République, le cumul des mandats semble relever d'une loi d'airain. Signé par la vice-présidente de la commission des lois de l'Assemblée nationale, ce livre fait au contraire la démonstration de la singularité française, comparée aux pratiques des voisins européens. « Un État unitaire comme le Royaume-Uni, qui connaît désormais des dévolutions de pouvoir au profit des Assemblées écossaise, nord-irlandaise et du Pays de Galles, fonctionne sans cumul des mandats et les États dits régionaux tels que l'Espagne ou l'Italie (…) connaissent rarement des situations de cumul », souligne Cécile Untermaier. Au Portugal, le cumul d'un mandat de député et d'une fonction de maire ou de vice-président d'un exécutif municipal est interdit. En France, deux tiers des parlementaires cumulent ; parmi eux, 70 % assument à la fois un mandat national et une fonction exécutive locale. Prompts à brandir l'exemple britannique en matière de dérégulation sociale, les élus français rechignent à en faire autant sur ce sujet et à accepter la loi sur le non-cumul des mandats, entrée en vigueur au début de 2017.

Fauves Éditions, coll. « Le droit fil », Paris, 2016, 176 pages, 15 euros.

Militer au Hezbollah. Ethnographie d'un engagement dans la banlieue sud de Beyrouth

Thu, 30/03/2017 - 13:48

Résultat d'une étude de terrain menée dans le fief du parti, ce travail de sociologie politique analyse la « société du Hezbollah » en observant « comment les trajectoires militantes s'articulent aux stratégies organisationnelles ». Si le parti « encadre tous les moments de la vie sociale de ses militants », la « société partisane » (militants et partisans), à laquelle s'ajoutent les sympathisants, ne forme nullement un bloc homogène ; il existe chez les militants des « réappropriations pratiques et subjectives » du message du Hezbollah. Loin de ne s'expliquer que par les rétributions matérielles, l'engagement dans ses rangs représente pour ses membres la fin des injustices subies dans le système politique libanais par la communauté chiite, qui tend à considérer le Hezbollah comme sa seule « protection (…), tant au niveau national que régional ». Enfin, l'ouvrage aborde l'importance que revêt le dirigeant du mouvement, M. Hassan Nasrallah, à la fois modèle pour les militants et semblable à eux, marquant en cela une rupture avec la carrière politique construite sur l'héritage.

Karthala - Institut français du Proche-Orient (IFPO), Paris-Beyrouth, 2016, 278 pages, 24 euros.

Quatre saisons à l'Hôtel de l'Univers

Thu, 30/03/2017 - 13:47

Philippe Videlier a une manière bien singulière d'écrire l'histoire. Il nous livre une chronique parfaitement documentée de l'histoire du Proche-Orient, du milieu du XIXe siècle aux années 1980, telle qu'elle a été perçue de la terrasse de l'Hôtel de l'Univers à Aden par ceux qui, de ce point excentré de la péninsule arabique, en ont été plus souvent spectateurs qu'acteurs. Puisque « à la sphère sociale s'applique le postulat mathématique : par un point passent une infinité de droites », l'ouvrage convoque, outre les habitants du lieu, parmi les cohortes de militaires, administrateurs, affairistes, syndicalistes et militants politiques, quelques figures célèbres — le captain Haines et Lawrence d'Arabie, les Hachémites et les Saoud, le roi et la reine d'Angleterre, mais aussi Arthur Rimbaud, Paul Nizan, Philippe Soupault. Le lecteur revit ainsi les grandes pulsations de cette histoire, du démembrement de l'Empire ottoman aux prémices du fondamentalisme islamique, en passant par la montée des nationalismes arabes socialisants et leur échec.

Gallimard, coll. « Blanche », Paris, 2017, 496 pages, 23 euros.

Du souvenir, du mensonge et de l'oubli. Chroniques palestiniennes

Thu, 30/03/2017 - 13:47

Mort en 2013, le militant et écrivain Ilan Halevi a contribué à la Revue d'études palestiniennes jusqu'à ce qu'elle cesse de paraître, en 2008. Ce recueil d'une quinzaine d'articles de fond rappelle la richesse des apports de cette figure singulière du mouvement national palestinien — il fut en particulier vice-ministre des affaires étrangères de Yasser Arafat. Pertinence de sa déconstruction du « bouclage » (des territoires occupés) comme « une politique et non une technique policière ». Lucidité de son analyse de la crise politique de 2007. Vigueur de sa mise en miroir de l'islamophobie et de l'antisémitisme. Sensibilité de ses hommages à Maxime Rodinson et à Arafat. Beauté de ses chemins de traverse andalous et américains, de ses retrouvailles avec Jérusalem et la bande de Gaza. On voit se déployer ici la pensée érudite et libre de celui qui était aussi poète et musicien, au service d'une cause dont, rappelle Farouk Mardam-Bey, « il était convaincu qu'elle était une partie intégrante de la cause de l'émancipation humaine ».

Sindbad/Actes Sud - Institut des études palestiniennes, Arles-Beyrouth, 2016, 304 pages, 23 euros.

Journal d'Ukraine

Thu, 30/03/2017 - 13:47

Au plus fort de la guerre en Ukraine, le romancier russe Zakhar Prilepine s'est rendu plusieurs fois dans le Donbass et en Crimée. Ce militant « national-bolchevique » s'engage du côté des séparatistes et des combattants bénévoles de Tchétchénie, d'Ossétie ou de Russie venus prêter main forte à la Novorossia en construction. De ces séjours il a tiré ces réflexions publiées d'abord sur un blog. Il n'a pas de mots assez durs pour condamner la « communauté libérale russe » qui « [continue] à soutenir l'État ukrainien et ses actes, en dépit de sa politique xénophobe ». Il pardonne assez bien aux Ukrainiens leurs excès nationalistes, mais tient en horreur les intellectuels russes qui se réclament des valeurs occidentales pour condamner l'ingérence de leur gouvernement dans les affaires de Kiev. « Ce n'est qu'en Russie qu'est apparue une classe insolite (…) qui (…) s'érige en procureur des intérêts de son peuple et en avocat des autres peuples. » Cette obsession de la « cinquième colonne » ternit l'ironie mordante de ce texte, à la lecture duquel on ne peut pas sourire de bon cœur.

Éditions de la Différence, coll. « Littérature étrangère », Paris, 2017, 256 pages, 21 euros.

Les Chinois

Thu, 30/03/2017 - 13:47

Près d'un cinquième de la population mondiale est chinoise. Et 92 % de ces Chinois appartiennent à l'ethnie Han. Une homogénéité obtenue par une sinisation forcée qui se poursuit : entre 2013 et 2016, plus de 200 000 fonctionnaires ont été envoyés dans la région autonome du Xinjiang, par exemple. Le journaliste et sinologue Alain Wang analyse les développements politiques, sociaux et culturels qui façonnent cette Chine contemporaine. Selon lui, 3 000 grandes familles gouverneraient le pays, et la moitié des nouveaux riches voudraient le quitter pour vivre loin de cet environnement social et écologique qu'ils ont contribué à dégrader. Le Parti-État compte 89 millions de membres, dont un dixième sont aujourd'hui des chefs d'entreprise. Dès lors, interpelle l'auteur, la « sixième génération » de dirigeants communistes qui se profile pourra-t-elle tourner le dos à cette corruption structurelle qui gangrène le Parti ?

Tallandier, Paris, 2016, 304 pages, 20,90 euros.

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