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Mensuel critique d'informations et d'analyses
Updated: 1 month 2 weeks ago

Errements de la politique migratoire de Bruxelles

Thu, 27/04/2017 - 15:05

L'arrivée de migrants (0,2 % de la population européenne) a créé une « crise des réfugiés », qui n'est pas autre chose qu'une crise de l'Europe elle-même et de sa capacité à fédérer les États autour des droits fondamentaux.

Face à l'arrivée de migrants et de réfugiés, la réaction des États et de l'Union européenne consiste uniquement à tout mettre en œuvre pour éviter un nouvel « afflux » de population, sans engager leur responsabilité, fût-ce au prix de nombreuses violations des droits humains et du droit des réfugiés. Ils ont ainsi développé diverses techniques allant du renforcement matériel des frontières — y compris par la construction de murs ou de camps destinés à parquer et à trier les migrants — jusqu'au développement de mécanismes juridiques plus subtils, qui exacerbent les ambiguïtés du projet européen (1).

La politique migratoire commune est officiellement née avec l'adoption du traité de Lisbonne, en 2008. Toutefois, seuls certains aspects des migrations ont pu être pris en charge, notamment la politique d'asile et celle des visas de court séjour, ou l'harmonisation des conditions de renvoi des étrangers ressortissants d'États tiers en situation irrégulière.

En réalité, face au besoin de protection ressenti contre des étrangers dépeints comme des délinquants, des criminels ou des terroristes dans un contexte de crise économique, les États membres jouent un double jeu. D'un côté, ils rejettent les normes et institutions communes qui les contraignent à accepter les réfugiés et d'autres migrants. Ils ont ainsi refusé le plan de la Commission qui souhaitait imposer des quotas de réfugiés à réinstaller en Europe et une relocalisation au sein de l'Union des demandeurs d'asile arrivés en Grèce et en Italie. Mais, d'un autre côté, ils renforcent ces normes et institutions quand elles servent leurs desseins. Ainsi ont-ils accepté le développement de réseaux de fichiers de données et métadonnées permettant de contrôler les déplacements des étrangers (mais aussi des Européens), ou le renforcement de l'agence Frontex par la création d'un corps de gardes-frontières et de gardes-côtes disposant d'une autonomie et de pouvoirs plus grands (2).

Mais, entre fermeture et ouverture, entre autonomie et subordination aux États membres, les institutions européennes font elles aussi preuve d'ambiguïté. Le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, semble lui-même marquer le pas lorsqu'il estime, dans son discours sur l'état de l'Union de 2016, que le devoir de solidarité ne peut pas être imposé. Le Conseil de l'Union (ministres) ne cesse, pour sa part, de proroger des autorisations données à certains États de maintenir des contrôles sur une partie de leurs frontières intérieures à l'espace Schengen. Quant à la Cour de justice de l'Union, elle affirme que les États ne sont pas obligés d'accorder un visa humanitaire à des personnes souhaitant se rendre sur le territoire européen pour demander l'asile.

Par ailleurs, les États membres et les institutions européennes cherchent à échapper à leurs responsabilités en recourant à l'externalisation des contrôles migratoires, technique empruntée au management des entreprises commerciales. Il s'agit de délocaliser les contrôles hors du territoire européen et de sous-traiter leur exercice à d'autres acteurs, essentiellement les États d'origine et de transit des migrants.

Cette technique est utilisée aux mêmes fins que l'externalisation des opérateurs économiques : ménager les finances en transférant à d'autres la surveillance de l'immigration, quitte à allouer aux États tiers une indemnisation symbolique, de plus en plus souvent déguisée en aide au développement. L'Union et ses États membres se prémunissent également contre le risque juridique d'être condamnés en repoussant les contrôles loin des yeux du public et des juges européens.

L'arrangement du 18 mars 2016 entre la Turquie et l'Union n'est qu'un aspect de ce phénomène général, qui conduit à de nombreuses violations des engagements européens en matière de droits humains et de droit des réfugiés. Avec Ankara, comme avec d'autres pays (Libye, Soudan), il s'agit, à force de « mesures incitatives » et de menaces de sanctions économiques, de bloquer les migrants à leurs frontières ou de les contraindre à réadmettre les étrangers en situation irrégulière identifiés sur le territoire des États membres.

On sous-traite encore à des États tiers qui ne reconnaissent pas le droit d'asile le soin de statuer sur les demandes de protection des étrangers qu'ils ont retenus. Il en va ainsi de la Turquie, qui est certes partie à la convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, mais qui a déclaré ne l'appliquer qu'aux personnes devenues des réfugiés à la suite d'événements survenus en Europe, ce qui exclut donc les Syriens. Quant à la Libye déchirée, elle n'est pas partie à la convention de 1951. Et que dire encore des discussions avec le Soudan — dont le président, M. Omar Al-Bachir, fait l'objet d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale —, l'Égypte et l'Érythrée ? Sans que cela soit assumé par l'Union et par ses membres, l'Europe est de moins en moins une terre d'asile.

(1) Cf. « L'espace Schengen : crise et méta-crise », Migrations sans frontières, 11 décembre 2016.

(2) Règlement (UE) 2016/1624 du Parlement européen et du Conseil du 14 septembre 2016 relatif au corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes.

Mondialisons la solidarité !

Thu, 27/04/2017 - 15:05

Le grand public connaît bien les activités du Secours populaire français dans le domaine alimentaire en France — 180 millions de repas sont en effet distribués chaque année. Il connaît bien également ses grandes campagnes organisées à l'occasion des vacances ou des fêtes de fin d'année, notamment les « Pères Noël verts », pour aider les personnes en difficulté à y prendre part.

En revanche, ses activités dans le monde sont moins connues. Et pourtant ! Chaque année, le Secours populaire vient en aide, au-delà de nos frontières, à plus de 450 000 personnes dans une cinquantaine de pays, avec un réseau de 150 associations locales. Sans parler de la construction du grand mouvement d'enfants Copain du monde, créé il y a vingt-cinq ans, et qui est la traduction sur le terrain des beaux textes de la convention internationale des droits de l'enfant. Que de bonnes intentions ! Mais cela ne suffit pas. D'où l'organisation, cette année, d'une trentaine de villages « Copain du monde » pour apprendre à s'aimer les uns les autres, et non à se détester, apprendre à se rencontrer plutôt qu'à se fuir.

Mais il faut également répondre à ce drame inhumain d'une ampleur encore jamais rencontrée : ce flot d'enfants et de familles réfugiés venus du Proche-Orient ou d'Afrique, tentant de fuir les guerres, les violences, la famine et la misère. Le Secours populaire se mobilise ici et là-bas pour leur venir en aide.

Aujourd'hui, les bénévoles ou les donateurs sont les bienvenus. Ils font œuvre utile dans ce monde où tant de personnes sont confrontées à des situations dramatiques.

Le fantôme de la guerre d'Espagne

Thu, 27/04/2017 - 15:05

À la fin des années 1930, face à la guerre qui ravage leur pays, de nombreux Espagnols cherchent l'asile en France. Tandis que le Front populaire, arrivé au pouvoir en 1936, impose un accueil solidaire des réfugiés, les derniers gouvernements de la IIIe République mettent en place une législation restrictive qu'utilisera le régime de Vichy.

Dans les années 1920, la France, touchée par la première guerre mondiale et les pertes d'hommes jeunes, est amenée à recruter des travailleurs étrangers et à accueillir des réfugiés. Elle devient, à l'aube des années 1930, le premier pays d'immigration du monde. Des travailleurs entrés individuellement ou recrutés collectivement par la Société générale d'immigration, créée par le patronat, se mêlent aux réfugiés. Mais les effets de la crise économique de 1929 provoquent une poussée de xénophobie.

De l'été 1936 au printemps 1938, les premiers bombardements de l'histoire de villes européennes et les représailles exercées par les franquistes provoquent l'arrivée de plusieurs vagues de réfugiés espagnols. Souvent suivis de retours, ces flux représentent plus de 150 000 personnes. Quarante-huit heures après le putsch de Francisco Franco, à la mi-juillet 1936, le gouvernement du Front populaire recommande de pratiquer à l'égard des réfugiés un accueil conforme à la « tradition ». Le 18 août 1936, il est demandé aux préfets des départements situés entre Garonne et Loire de procéder à un recensement des locaux susceptibles de recevoir les démunis. Une « Instruction générale sur l'hébergement des réfugiés espagnols », édictée en mai 1937, détermine la liste des départements concernés et synthétise les prescriptions en matière de conditions d'accueil.

Après la chute du gouvernement de Léon Blum, en juin 1937, il se produit une inflexion restrictive sensible. Le 27 novembre, il est décidé qu'en dehors des femmes, des enfants, des vieillards et des malades, qui peuvent encore être hébergés aux frais des collectivités publiques, les réfugiés doivent pouvoir subvenir à leurs besoins.

Le gouvernement d'Édouard Daladier, constitué en avril 1938, marque un net changement dans la politique d'admission des étrangers. On considère désormais que les réfugiés sont trop nombreux et menacent la sécurité nationale. Le 14 avril, le ministre de l'intérieur réclame « une action méthodique, énergique et prompte en vue de débarrasser notre pays des éléments indésirables trop nombreux qui y circulent ». Le 2 mai, un décret prévoit que, si un étranger frappé par un arrêté d'expulsion ne parvient pas à obtenir le visa qui lui permettrait de quitter la France, le ministère de l'intérieur « pourra assigner à l'intéressé une résidence déterminée qui rendra sa surveillance possible ». Le 12 novembre de la même année, un décret estime que, pour les « indésirables » qui « sont dans l'impossibilité de trouver un pays qui les accepte », l'assignation à résidence prévue en mai représente une « liberté encore trop grande » : ils seront dirigés vers des « centres spéciaux » où ils feront l'objet d'une surveillance permanente.

En janvier et février 1939, face à l'exode d'un demi-million de personnes consécutif à la conquête de la Catalogne par les franquistes, la principale préoccupation du gouvernement est d'assurer l'ordre et la sécurité, tout en incitant les arrivants à repartir en Espagne. Malgré les avertissements répétés des diplomates, rien n'a été prévu pour préparer le moindre hébergement. L'asile est certes consenti ; mais, dépassés par des événements qu'ils n'ont pas su ou voulu anticiper, les pouvoirs publics gèrent le grand exode de 1939 de manière sécuritaire.

La séparation des familles, quand elles ont pu partir groupées, s'effectue dès la frontière : les femmes, les enfants et les personnes âgées sont généralement évacués vers des centres d'hébergement en province où ils sont tant bien que mal accueillis. Quant aux combattants et aux hommes jeunes, ils sont conduits sous bonne escorte dans des camps aménagés à la hâte sur les plages du Roussillon. Ces camps sont dits alors « de concentration » dans les textes administratifs, au sens où l'on entend « concentrer », afin de les surveiller, ceux que l'on juge « indésirables ». Les réfugiés se retrouvent dispersés sur tout le territoire pour de longs mois, voire des années.

Chaos et improvisation dominent : les premiers camps poussent sur les plages du Roussillon, à Argelès-sur-Mer et à Saint-Cyprien, dans les Pyrénées-Orientales. Ce sont de simples espaces délimités par des barbelés, sans baraquements ni installations sanitaires, placés sous la surveillance de corps de troupe (gendarmerie, gardes mobiles, troupes coloniales). Les réfugiés doivent, en plein hiver, s'enfouir dans le sable pour se protéger des intempéries. Des épidémies se répandent, tant ces populations sont affaiblies par des mois de guerre et par de longues marches.

Ces camps se révèlent vite insuffisants ; les autorités en ouvrent d'autres : au Barcarès, non loin, pour les réfugiés en instance de rapatriement ; à Bram, dans l'Aude, à Agde, dans l'Hérault, à Septfonds, en Tarn-et-Garonne, puis au Vernet d'Ariège et à Gurs, près de Pau. En février 1939, quelque 275 000 Espagnols sont internés. Fin mars 1939, des réfugiés parviennent à gagner l'Algérie, où les autorités, souvent profranquistes, les accueillent rudement ; des camps précaires, tels Morand (à Boghari) et Suzzoni (à Boghar), attendent les combattants près d'Alger.

Les autorités françaises incitent les internés à retourner en Espagne, malgré les risques encourus, ou à s'engager dans la Légion étrangère. Les autres se retrouvent, de gré ou de force, employés à la fortification des frontières ou embarqués dans l'économie de guerre : enrôlement dans les compagnies de travailleurs étrangers, militarisées, et, sous Vichy, dans les groupements de travailleurs étrangers.

Les Espagnols attendront 1945 pour bénéficier du statut de réfugiés politiques, après avoir participé en grand nombre à la guerre et à la Résistance. Entre-temps, ces camps et d'autres nouvellement créés — comme celui de Rivesaltes — auront été utilisés par le régime de Vichy, qui en aura fait les instruments de sa politique d'exclusion à leur égard et à celui d'autres « indésirables », notamment des Juifs. Le sécuritaire avait toutefois pris le pas sur l'humanitaire dès la fin de la IIIe République.

La Grèce en première ligne

Thu, 27/04/2017 - 15:05
Bruce Clarke. – « Home Boy » (Frère),2016 Bruce Clarke / ADAGP

En visite officielle en Grèce, le 3 mars dernier, le premier ministre français Bernard Cazeneuve a trouvé quelques instants, entre deux rendez-vous consacrés à la dette, pour s'adresser aux réfugiés en partance pour la France. Chaque mois, quatre cents personnes prennent le chemin de l'Hexagone, où elles demandent l'asile tant espéré. Sélectionnées sur dossier par les autorités grecques, elles n'obtiennent l'éventuel accord final qu'une fois arrivées sur le sol français. Entre-temps, elles apprennent les rudiments de la langue et s'informent sur la vie quotidienne qui les attend. Ce programme, instauré par M. Cazeneuve lui-même en septembre 2015, lorsqu'il était ministre de l'intérieur, arrivera à son terme en septembre prochain. Pour l'instant, aucune suite n'est prévue.

Le camp de Malakasa, à une heure de route à peine à l'ouest d'Athènes, accueille principalement des Afghans et des Iraniens. Mais, aux yeux du Secours populaire français (SPF) et de son partenaire local Solidarité populaire, la nationalité ne revêt que peu d'importance dans un monde sous tension. Tous les migrants appellent un geste de solidarité, sans distinction d'origine.

Ce jour de mars, un camion du SPF arrive de France, chargé de vivres. Pour les bénévoles, la première étape consiste à préparer des sacs : huile, sauce tomate, pâtes, légumineuses, confiture, mais aussi des douceurs, comme du sirop de citron ou des bonbons, pour offrir un peu de plaisir aux petits. Chacune des deux cents familles hébergées dans le camp a droit à deux sacs remplis à ras bord.

« Nous sommes des électrons libres »

Trois clowns nous approchent. Trois femmes. Prenant le contrepied de la xénophobie qui monte dans son pays d'origine, les Pays-Bas, l'une d'elles se montre particulièrement joyeuse : « Je suis venue vous dire que je suis bien heureuse que tous mes compatriotes ne soient pas des salauds. » Juditth L. habite Amsterdam, elle est clown et, comme ses deux collègues, elle vient en Grèce aussi souvent que possible pour rendre le sourire aux enfants comme aux adultes. « Nous sommes des électrons libres, nous n'appartenons à aucune organisation », précise-t-elle avant de nous embrasser puis de poursuivre le tour du camp.

Les organisations et les « électrons libres » sont si nombreux qu'en dresser la liste se révèle malaisé. Fragmentées et confuses, les données changent en outre continuellement depuis le début de la crise migratoire, en 2015, le va-et-vient des associations variant avec l'afflux des personnes. En septembre 2016, le ministère de la politique migratoire grec recensait 170 associations, dont il était cependant impossible de savoir si elles avaient simplement foulé le sol du pays ou si elles inscrivaient leur action dans la durée. Aucune information ne permettait de préciser le rôle des unes et des autres, les objectifs poursuivis, le statut juridique et le pays d'origine, ni les budgets alloués…

L'impossibilité de réaliser un état des lieux découle principalement de l'implication de plusieurs ministères : les organisations non gouvernementales (ONG) dont la raison sociale est le sauvetage en mer sont enregistrées au ministère des ports ; celles qui s'investissent dans des actions de solidarité sociale, au ministère du travail et de la solidarité sociale ; celles qui fournissent des soins médicaux rendent des comptes au ministère de la santé ; et les ONG étrangères sont censées se faire connaître du ministère des affaires étrangères. « Si les autorités compétentes parviennent à avoir une vision assez complète de la présence des ONG dans le pays, il n'existe pas de registre officiel répertoriant tous les acteurs, confirme un ex-cadre du ministère de la politique migratoire qui préfère garder l'anonymat. Le ministère donne son accord à toutes les organisations qui le demandent, mais, en dehors des camps proprement dits, il est difficile de savoir qui fait quoi. »

La situation devrait s'éclaircir une fois finalisé le registre national des organisations non gouvernementales (RNONG), sur lequel les associations devaient s'inscrire avant le 30 mars 2017. Seules celles qui seront dûment enregistrées pourront avoir accès aux réfugiés et bénéficier des fonds européens. Le ministère n'exercera pas de contrôle sur elles, mais il pourra encadrer leurs activités en spécifiant les règles d'accès aux migrants afin de coordonner leur action. Établi par le gouvernement grec, le RNONG contiendra les informations financières, fiscales, administratives concernant chaque organisme. Il précisera également le type de service fourni et le statut du personnel (bénévole ou rémunéré).

Une collaboration harmonieuse

Le sommet européen de mars 2016 a autorisé la Commission à distribuer directement les fonds communautaires aux ONG, mettant le gouvernement grec devant le fait accompli. Depuis, c'est Bruxelles qui gère une manne sur laquelle Athènes n'exerce plus aucun contrôle. Pour les ONG internationales, intervenir dans un pays industrialisé qui n'a pas subi de catastrophe naturelle ou qui ne se trouve pas en état de guerre constitue une première. Si, dans un premier temps, la collaboration avec les autorités a été harmonieuse, quelques incidents provoquant une certaine tension sont survenus. Par exemple, dans les îles du sud-est de la mer Égée, des associations ont cimenté un terrain sans autorisation ; d'autres ont molesté un photojournaliste dont les clichés portaient, selon elles, atteinte au respect de la vie humaine. D'autres encore se sont spontanément installées sur des plages, sans coordination, suscitant des tensions avec la population locale.

Seul le RNONG pourra décider de la répartition des financements et préciser les activités de ces organisations. Sa création a été jugée d'autant plus nécessaire que maintes rumeurs circulent, certaines proches des théories du complot, d'autres reposant sur des dépôts de plaintes à l'encontre d'ONG soupçonnées de tirer avantage des réfugiés. Un rapport confidentiel de Frontex, l'agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne, mentionne le premier cas avéré impliquant une ONG de trafiquants conduisant illégalement des réfugiés vers l'Italie. Les migrants avaient « reçu avant leur départ des indications claires sur la route précise à suivre pour arriver à des bateaux appartenant aux ONG (1».

Ces tensions ont déplacé le débat sur le terrain politique. L'opposition accuse le gouvernement de M. Alexis Tsipras de manquer de transparence et de se laisser dépasser par les événements. Les élus locaux montent au créneau. M. Spyros Galinos, maire de Lesbos, une des îles qui accueillent le plus de réfugiés — sa population est passée de 90 000 à 450 000 habitants en 2015 —, exprime souvent sa reconnaissance envers les ONG.

Mais toutes ne sont pas si vertueuses : « Beaucoup d'ONG sont venues sans prendre la peine de s'enregistrer, sans chercher à coopérer avec notre municipalité, déplore l'élu local. Elles suscitent le doute et la méfiance parmi les résidents de Lesbos. Je dirais que leur présence est plus perturbatrice qu'utile (2).  » Outre les trente associations dûment enregistrées dans l'île, une quarantaine travailleraient de manière autonome.

L'Union des médecins du secteur public de Lesbos exprime, pour sa part, ses inquiétudes dans un communiqué de presse : l'encadrement des réfugiés et la distribution des soins médicaux de base ont été délégués à des ONG « qui ne disposent pas d'un seul pédiatre pour les camps de Moria et de Kara Tepe (3)  ».

C'est donc l'hôpital de Lesbos qui traite tous les cas, alors même que ce sont les ONG qui disposent des financements. « Ils ont lamentablement échoué à assurer des conditions humaines pour les réfugiés », concluent les médecins. Mais ce n'est pas le seul sujet de préoccupation.

Un magnat controversé

La multiplication des intervenants pose de redoutables défis de coordination. En effet, on distingue quatre catégories. En premier lieu, les grandes organisations internationales : l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et le Fonds des Nations unies pour l'enfance (Unicef). En deuxième lieu, les ONG financées par la direction générale pour la protection civile et les opérations d'aide humanitaire européennes de la Commission européenne (ECHO). Il y a ensuite les ONG financées par des dons, comme la Croix-Rouge, ou par des fonds privés, tel l'International Rescue Committee (IRC), fondé par Albert Einstein pour aider les opposants à Adolf Hitler. En Grèce, l'IRC reçoit des dons, entre autres, de la Fondation Stavros-Niarchos. Enfin, certaines ONG puisent dans leurs propres fonds, comme Solidarity Now (« Solidarité maintenant »), financée par Open Society Foundations (OSF), du magnat controversé George Soros. À cette liste déjà longue pourraient s'ajouter d'autres associations, plus petites mais exerçant elles aussi dans le secteur caritatif sur le sol grec. Faute d'être enregistrées, celles-ci échappent à tout repérage.

Les grandes ONG parviennent à travailler dans une certaine harmonie les unes avec les autres. Par exemple, les organisations françaises Médecins sans frontières et Médecins du monde assurent la médecine générale, Save the Children s'occupe principalement des enfants, l'IRC distribue des coupons d'alimentation et prend soin de la sécurité et de l'hygiène, le Centre pour le développement des réfugiés (Refugee Development Center, RDC) se concentre sur la gestion et la distribution des produits non alimentaires, etc.

Après les tensions des premiers mois, la plupart des ONG tentent de tirer les leçons de l'expérience dans leurs relations avec les populations locales. Elles cherchent notamment à mettre en valeur l'économie grecque. Par exemple, les repas, qui étaient à l'origine distribués par des traiteurs, le sont désormais en collaboration avec des cuisines communautaires. Conçues soit par les ONG, soit par les réfugiés eux-mêmes, celles-ci utilisent des produits locaux.

Selon les chiffres de la Commission européenne, depuis le début de 2015, 481,9 millions d'euros ont été alloués à la Grèce au titre du Fonds asile, migration et intégration (AMIF) et du Fonds pour la sécurité intérieure (ISF), sur un total de 1 059 millions engagés jusqu'à l'année 2020. Cependant, au-delà des annonces et des engagements dans les livres de comptes, qu'en est-il exactement ? Comme tout financement européen, le décaissement dépend de procédures compliquées et longues. En ce début d'année 2017, les chiffres demeurent imprécis quant à l'argent réellement parvenu aux réfugiés, l'Union manifestant une tendance à les gonfler et les bénéficiaires à les sous-estimer. Les récipiendaires, tant l'État grec que les organismes internationaux ou européens et les ONG, doivent déposer des dossiers et attendre qu'ils soient acceptés.

On sait en revanche qu'une « aide extraordinaire » de 352 millions d'euros a bien été débloquée. Elle se décompose de la manière suivante : 178 millions d'euros alloués à l'État et à ses ministères — la défense, la police et les gardes-côtes se taillent la part du lion — et 174 millions d'euros à d'autres organismes (OIM, HCR, Bureau européen d'appui en matière d'asile, etc.).

En outre, le commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises, le Chypriote Christos Stylianides, a pu attribuer une enveloppe de 198 millions d'euros prélevée sur le fonds d'aide d'urgence de l'Union européenne pour 2016. Ce montant — versé aujourd'hui à 94 % — est consacré à une série d'actions spécifiques : l'amélioration des logements existants et des conditions d'hygiène, la construction de nouveaux camps avant l'hiver, la fourniture d'une assistance directe aux réfugiés, l'accès des enfants réfugiés à l'éducation et l'assistance aux mineurs non accompagnés.

Contrôle sévère des fonds

En janvier 2017, le ministre de la politique migratoire, M. Yannis Mouzalas, a réclamé à la Commission européenne un contrôle sévère des fonds alloués aux ONG. Ce médecin-gynécologue de formation ne mâche pas ses mots. « Avec moins d'argent que ce qu'ont reçu les ONG et les organisations internationales, nous avons satisfait plus de 70 % des besoins dans des camps », a-t-il déclaré lors d'un voyage à Lesbos en compagnie du responsable européen du financement des ONG, M. Philippe de Broers, et du commissaire chargé de l'immigration, M. Dimitris Avramopoulos (4). Ce dernier a appelé les ONG à « gérer l'argent disponible dans la transparence » et à « intensifier leurs efforts pour fournir une aide immédiate aux personnes dans le besoin dans les îles » (5).

On imagine aisément les frictions entre l'État grec et les ONG, chacun ayant sa part de responsabilité. Le bras de fer qui a opposé les pouvoirs publics à l'association allemande Arbeiter-Samariter-Bund (ASB) début 2015 en fournit un bon exemple. Il s'agissait d'aménager les bâtiments d'une usine de papier toilette désaffectée appartenant à la société Softex. Les locaux accueillaient des dizaines de réfugiés depuis plusieurs mois dans des conditions précaires. C'est pourquoi ASB a proposé de consacrer 1,5 million d'euros à améliorer les installations. L'État a formulé une contre-proposition, plus ambitieuse mais aussi plus chère. Finalement, l'absence d'accord a conduit au statu quo : les bâtiments sont restés en l'état, c'est-à-dire inadaptés pour permettre à leurs occupants d'affronter un hiver particulièrement rigoureux. Des situations semblables se retrouvent dans la plupart des camps de réfugiés.

Loin de tout financement européen ou national, parfois même sans statut juridique, regroupant de simples citoyens désireux de manifester leur soutien aux réfugiés, on trouve ceux qu'on surnomme les « solidaires ». Ils agissent spontanément, par de petits gestes. Ils ne figurent dans aucun registre, mais la plupart collaborent sans heurts avec les autorités grecques ou les ONG.

C'est dans cette perspective d'une solidarité concrète que travaille le collectif Solidarité populaire, partenaire du Secours populaire français. L'association s'est installée dans un coin tranquille du centre d'Athènes. « C'est un don, nous ne payons pas de loyer, l'espace appartient à un ami », précise le trésorier, M. Haïk Apamian, un Français installé en Grèce depuis plus de vingt ans. Plusieurs de ses membres sont francophones, et son président, M. Frédéric Bendali, est français lui aussi, d'où les liens avec le SPF. Comme l'explique M. Ismaïl Hassouneh, secrétaire national, à la tête de la délégation venue de Paris, le SPF privilégie les partenariats locaux plutôt que la création de bureaux propres à l'étranger. De même, une partie des aliments distribués provient de France, l'autre étant achetée sur place.

L'action solidaire est non seulement la passion, mais aussi la raison de vivre de la plupart des membres de Solidarité populaire. « Une fois l'accueil initial organisé et les actions urgentes assurées (nourriture, soins), nous nous préoccupons de l'insertion des réfugiés dans la société », explique le secrétaire Edouardos Georgiou. Les enfants font l'objet d'une attention particulière. Des « matinées créatives » leur sont proposées en fin de semaine, ainsi que des escapades d'une journée à la campagne.

Un matin, nous partons tôt à Malakasa pour participer à la distribution organisée par le SPF et Solidarité populaire avant le déjeuner. Les bénévoles n'ont pas fini de remplir les sacs destinés aux réfugiés que déjà les premiers bénéficiaires approchent. Ce sont surtout des jeunes de 15-17 ans. Ils sont accompagnés d'un réfugié d'une cinquantaine d'années qui garde le silence, car il ne parle pas anglais. Karim, son fils, nous explique le rôle de chacun : « Nous pouvons vous aider à organiser la distribution, mais il faut que mon père nous surveille. Ainsi, nous serons acceptés par les autres migrants. » Mais nous sommes suffisamment nombreux pour assurer l'ensemble des tâches. D'autres jeunes s'approchent. « Il faut faire attention, insiste notre interlocuteur, il y a des gens qui vont essayer de passer deux ou trois fois. Après, ils essaieront de vendre les aliments pour acheter de la drogue. »

Tensions avec la Turquie

Les réfugiés font tranquillement la queue, serrant dans leur main les tickets attribués par la direction du camp. Elena, qui supervise les distributions au sein de la direction du camp, vient nous saluer au nom de tous les travailleurs de Malakasa. Elle nous laisse rapidement : connaissant les bénévoles de Solidarité populaire, elle sait qu'aucun problème ne surgira. Elle vaque donc à d'autres tâches. Beaucoup d'enfants demandent un bonbon de plus aux militants du SPF. Heureusement, l'association française en a apporté plus qu'assez pour tout le monde.

Des personnes âgées viennent s'asseoir auprès de nous à l'ombre d'un olivier. Au-delà de leur utilité immédiate, les distributions d'aliments organisées par Solidarité populaire constituent des événements sociaux. Si les jeunes peuvent aisément se rendre au village voisin, qui n'est distant que d'un kilomètre, pour les vieux, l'horizon se limite souvent aux barrières du camp. « Comment ont-ils fait pour arriver jusqu'ici ? », se demande-t-on spontanément quand on les voit se déplacer avec peine.

Et c'est justement la question. Les tensions entre la Turquie et l'Union européenne pourraient conduire à l'arrivée de nouvelles vagues, incontrôlables, de réfugiés. Dans ce cas, même si la solidarité manifestée par le peuple grec se révèle exemplaire, et même si l'aide d'organisations telles que le SPF est inestimable, comment assurer à tous les soins nécessaires ?

(1) Duncan Robinson, « EU border force flags concerns over charities' interaction with migrant smugglers », Financial Times, Londres, 15 décembre 2016.

(2) Helen Nianias, « Refugees in Lesbos : Are there too many NGOs on the island ? », The Guardian, Londres, 5 janvier 2016.

(3) Penny Bouloutza, « Les médecins dénoncent les ONG » (en grec), I Kathimerini, Athènes, 14 février 2017.

(4) Ethnos, Athènes, 19 janvier 2017.

(5) Ibid.

L'Europe au défi des réfugiés

Thu, 27/04/2017 - 15:04
Bruce Clarke. – « Life After » (La Vie d'après), 2013 Bruce Clarke / ADAGP

Les conflits qui ravagent le Proche-Orient, singulièrement la Syrie, l'Irak et l'Afghanistan, ont jeté des centaines de milliers de personnes (hommes, femmes et enfants) sur les routes de l'exil. Si les pays frontaliers, comme le Liban, assurent le gros de l'effort d'accueil, les États de l'Union européenne sont également sollicités au nom du droit d'asile. Mais leur réponse varie selon les capitales et est souvent parcimonieuse. À Bruxelles, la Commission a tenté en vain d'organiser une réponse coordonnée des Vingt-Huit. Sur le terrain, les associations se mobilisent pour prodiguer aux réfugiés les premiers soins, leur fournir gîte et nourriture : un devoir de solidarité, comme le rappelle M. Julien Lauprêtre, président du Secours populaire français (lire « Mondialisons la solidarité ! »). En Grèce, l'afflux inattendu de dizaines de milliers de migrants met à rude épreuve toute la société (lire « La Grèce en première ligne »). Le bilan de la crise révèle le non-respect de la convention internationale relative au statut des réfugiés et un certain oubli des leçons de l'histoire (lire « Le fantôme de la guerre d'Espagne »).

Rectificatifs

Thu, 27/04/2017 - 15:04

— L'article « Le piège de la dépendance se referme sur le Mexique » (numéro d'avril) contenait une erreur de date. Nous voulions écrire « le salaire moyen enregistré entre 1988 et 2015 [et non 2005] ne dépasse pas 60 à 70 % de son niveau de 1981 ».

— Le revenu moyen mensuel des dentistes n'est pas de « 21 900 euros net », comme écrit dans l'article « L'assurance-maladie universelle en questions » (numéro d'avril), mais de 21 900 euros en honoraires, soit 8 600 euros net par mois en moyenne.

Politique de la pollution

Thu, 27/04/2017 - 15:04

On peut décimer la population avec des gaz toxiques sans recevoir de missiles de croisière ni encourir la réprobation internationale, mais à une condition : procéder à très large échelle et de manière continue. « En 2015, estime une équipe de chercheurs dans un article publié par la revue médicale The Lancet, l'exposition longue aux particules fines (moins de 2,5 microns) a causé la mort de 4,2 millions de personnes et la perte de 103,1 millions d'années de vie en bonne santé (1).  » Le bilan de cette pollution de l'air d'origine essentiellement industrielle ne cesse de s'alourdir. Mais pas pour tous. « Ces morts prématurées surviennent dans 59 % des cas en Asie du Sud et de l'Est », notamment en Chine, en Inde, au Pakistan et au Bangladesh. Dans ce dernier pays, l'atmosphère contient en moyenne neuf fois plus de particules fines qu'aux États-Unis.

On suffoque dans les ateliers du monde pour qu'on puisse soupirer d'aise dans les centres commerciaux de Paris ou de Los Angeles sans risquer de s'encrasser les bronches. Cette hypothèse audacieuse, qui fait du libre-échange l'une des causes majeures de mortalité sur terre, ne provient pas d'un livret militant mais d'un second article, publié cette fois par la revue scientifique Nature (2). Région par région, les chercheurs ont évalué les décès dus aux particules fines selon qu'ils découlaient de la production de biens et de services, de leur consommation ou du déplacement atmosphérique des polluants. Ils estiment que, sur les 3,45 millions de décès prématurés dus aux particules fines comptabilisés en 2007, « 22 %, soit 762 400 morts, étaient liés à des biens et des services produits dans une région mais consommés dans une autre », donc au commerce international, contre « 12 %, soit 411 100 morts, à des polluants émis dans une région différente de celle où les décès surviennent », c'est-à-dire au déplacement par le vent des particules fines d'un pays à l'autre.

Par exemple, « la pollution émise en Chine en 2007 se traduit par plus de 64 800 morts prématurées dans d'autres régions du monde, dont 3 100 morts en Europe de l'Ouest et aux États-Unis. Mais, d'un autre côté, la consommation en Europe et aux États-Unis de biens chinois est liée à plus de 108 600 décès prématurés en Chine ». Parce qu'ils corrompent leur atmosphère pour produire chez eux les baskets et smartphones que d'autres consomment ailleurs, les Chinois se retrouvent exportateurs net de biens et de services, mais importateurs net de morts dus à l'air vicié. Réciproquement, lorsqu'ils importent des marchandises, les pays riches exportent la mortalité associée aux particules fines. « S'il s'avère que le coût des produits importés est plus faible à cause de contrôles de pollution atmosphérique moins stricts dans les pays producteurs, concluent les scientifiques, alors les consommateurs font des économies au détriment de vies perdues ailleurs. »

Diffusées en boucle par la presse, des photographies de petites victimes agonisantes décideraient-elles M. Donald Trump à bombarder le siège de l'Organisation mondiale du commerce ?

(1) Aaron Cohen et al., « Estimates and 25-year trends of the global burden of disease attributable to ambient air pollution : An analysis of data from the Global Burden of Diseases Study 2015 », The Lancet, Londres, vol. 389, no 10078, 15 avril 2017.

(2) Qiang Zhang et al., « Transboundary health impacts of transported global air pollution and international trade », Nature, Londres, vol. 543, no 7647, 30 mars 2017.

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Un monde de camps

Thu, 27/04/2017 - 15:04

La planète compte aujourd'hui soixante-cinq millions de réfugiés et de déplacés. Faute de politiques d'accueil, un grand nombre d'entre eux sont contraints de vivre dans des camps, sortes de prisons à ciel ouvert dont les résidents sont privés de droits fondamentaux (lire « La fabrique des indésirables »). Longtemps confinées aux pays du Sud, ces structures prolifèrent et se banalisent en Europe depuis quelques années, s'ajoutant aux centaines de centres de rétention administrative qui servaient déjà à enfermer les migrants clandestins (lire « Internement à la française »). Par leur nombre et leur pérennité — le temps de séjour moyen dans un centre du Haut-Commissariat pour les réfugiés est de dix-sept ans —, les camps ont fini par représenter un marché que se disputent âprement organisations non gouvernementales et multinationales (lire « Les réfugiés, une bonne affaire »).

En Syrie, l'ONU enquête toujours

Thu, 27/04/2017 - 15:04

Le gouvernement français accuse formellement le régime de M. Bachar Al-Assad dans l'attaque chimique contre une ville de la province d'Idlib. Selon le chef de la diplomatie, Jean-Marc Ayrault cette responsabilité est prouvée par un rapport des services de renseignements qui affirme que Damas détient toujours des agents chimiques de guerre. De son côté, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) estime « irréfutables » les preuves d'emploi de gaz de type sarin dans ce bombardement. En collaboration avec les Nations Unies, cette instance continue d'enquêter en Syrie sans pour autant désigner de coupable.

Rabee Kiwan. – Sans titre, 2014 Galerie Europia, Paris - europia.org

Le 4 avril 2017, au petit matin, une attaque à l'arme chimique contre la ville de Khan Cheikhoun provoquait le décès de quatre-vingt-sept personnes, en majorité des civils, et en blessait près de six cents. Tout en reconnaissant avoir mené un raid aérien, mais en milieu de journée, contre cette localité de la province d'Idlib, située à vingt kilomètres de la ligne de front qui sépare l'armée régulière des forces rebelles, les autorités syriennes nient l'usage de gaz de combat. Elles rappellent s'être engagées à ne plus utiliser d'armement chimique depuis septembre 2013 et clament que tous les stocks et sites de production du régime ont été détruits par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) entre l'automne 2013 et la mi-2014. Damas incrimine le Front Fatah Al-Cham — la nouvelle appellation de l'ex-Front Al-Nosra —, lié à l'organisation Al-Qaida, qui manipulerait l'opinion. Dans un entretien accordé à l'Agence France-Presse (13 avril 2017), M. Bachar Al-Assad qualifiait même cette attaque de « fabrication à 100 % », parlant d'une « histoire montée (…) par les États-Unis ». Tout en accusant l'Occident de complicité avec « les terroristes » — formule habituelle pour désigner l'opposition armée —, M. Al-Assad dénonçait également les bombardements décidés en représailles par le président américain Donald Trump sur l'aéroport militaire de Chayrat, d'où, selon Washington, l'avion responsable du bombardement chimique aurait décollé.

Cet épisode rappelle l'attaque au gaz sarin contre la Ghouta, une proche banlieue de Damas, le 21 août 2013 (entre trois cents et deux mille morts selon les sources, dont l'organisation Médecins du monde). Contrairement à une idée reçue, l'enquête diligentée à la fin août 2013 par l'Organisation des Nations unies (ONU) n'a désigné aucun coupable : les inspecteurs dépêchés sur place — avec l'accord du gouvernement syrien — ont certes établi l'usage « à relativement grande échelle » de gaz sarin ; mais leur mandat ne visait pas à établir une quelconque responsabilité. En janvier 2014, MM. Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU, et Theodore Postol, enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont publié un rapport mettant en cause les rebelles syriens et disculpant le régime. Quoique très critiqué par de nombreux spécialistes (1), ce document sert, à tort, d'argument paré du label onusien aux partisans de M. Al-Assad. Car, comme l'explique un diplomate arabe en poste à Washington ayant requis l'anonymat, « dans l'affaire de l'attaque chimique de la Ghouta, l'ONU n'a accusé aucune des parties. Par contre, cela pourrait être différent en ce qui concerne le bombardement de Khan Cheikhoun car, désormais, l'ONU peut, en théorie, désigner les coupables ».

De fait, depuis l'engagement pris par Damas de détruire ses stocks et ses capacités de production d'armes chimiques, l'OIAC intervient en Syrie pour veiller au respect des promesses. Lauréate en 2013 du prix Nobel de la paix pour « ses efforts intenses pour éliminer les armes chimiques », cette organisation doit aussi identifier « les personnes, entités, groupes ou gouvernements qui ont perpétré, organisé ou commandité l'utilisation comme arme, en République arabe syrienne, de produits chimiques, y compris le chlore ou tout autre produit toxique (2) », via un « mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU » instauré par la résolution 2235 du Conseil de sécurité (7 août 2015). Certes, ce mécanisme d'enquête conjoint n'a pas mandat pour « agir et fonctionner comme un organe judiciaire ou quasi judiciaire » ; et il n'est pas « investi de l'autorité ou de la compétence, que ce soit directement ou indirectement, de rendre une décision judiciaire officielle ou contraignante établissant la responsabilité pénale de quiconque » (3). Mais, comme l'explique encore notre diplomate en poste à Washington, « il s'agit d'une instance qui instruit des dossiers. Ce qu'elle glane sur le terrain comme informations peut être versé demain à un dossier de mise en accusation qu'utilisera un éventuel tribunal ad hoc. Et ce sera bien plus concret que les allégations américaines contre le régime de Saddam Hussein à la veille de l'invasion de l'Irak en 2003. D'ailleurs, l'ironie de l'histoire, dans cette affaire, c'est que les armes qui étaient introuvables à l'époque en Irak existaient bel et bien chez le voisin syrien... ».

Le mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU a beau ne pas posséder de compétences judiciaires, ses intentions n'en sont pas moins claires. Dans son premier rapport, publié en février 2016, l'instance avertit ainsi que « tous les individus, groupes, entités ou gouvernements qui jouent le moindre rôle pour rendre possible l'utilisation de produits chimiques comme arme (…) doivent comprendre qu'ils seront identifiés et auront à rendre compte de ces actes odieux ». Après l'attaque de Khan Cheikhoun, l'OIAC a donc ouvert une enquête et confirmé les accusations d'usage de gaz de combat de type sarin. Le gouvernement syrien ainsi que son allié russe ont souhaité que les enquêteurs de l'institution puissent se déplacer sur place, tout en les appelant à l'« impartialité ».

Officiellement, entre les deux parties, la coopération a été « permanente et intense » jusqu'en 2016, et de nouvelles réunions à haut niveau sont prévues durant le mois de mai à la demande de l'OIAC. Soumis à une stricte exigence de confidentialité, les membres des équipes du mécanisme d'enquête conjoint, répartis entre New York et La Haye, fuient les médias ; on en sait peu sur leurs investigations. Néanmoins, la lecture des rapports réguliers qu'adresse le conseil exécutif de l'OIAC au secrétaire général de l'ONU apporte des éléments d'information. D'abord, la « structure légère » prévue dès 2014 et qui devrait accueillir des enquêteurs du mécanisme d'enquête conjoint de façon plus ou moins permanente à Damas n'existe pas encore, malgré les souhaits de l'ONU (un seul enquêteur est basé actuellement en Syrie). Ensuite, il semble bien que les autorités syriennes aient respecté les engagements pris après l'adoption, par la Russie et les États-Unis, le 14 septembre 2013 à Genève, du « cadre de référence pour l'élimination des armes chimiques syriennes » (lire la chronologie ci-dessous). Ainsi, selon l'OIAC, « tous les produits chimiques déclarés par la République arabe syrienne qui avaient été retirés de son territoire en 2014 ont maintenant été détruits ». De même, à la fin 2016, l'organisation confirmait que « vingt-quatre des vingt-sept installations de fabrication d'armes chimiques » déclarées en 2013 par Damas avaient été détruites (4). Ne subsistent donc à ce jour que trois installations, dont un hangar d'aviation interdit d'accès au personnel de l'OIAC car les autorités syriennes affirment ne pas pouvoir assurer sa sécurité.

Où se trouvent ces installations qui n'ont pas été détruites ? Mystère. Sont-elles trop proches des zones de combat, ou bien tombées entre les mains d'un quelconque groupe rebelle ? On ne le sait pas non plus, mais cette hypothèse alimente la propagande du camp pro-Assad : elle lui permet d'affirmer que les forces antigouvernementales disposent de ces armes chimiques et peuvent donc les utiliser. Pour autant, l'argument risque de se retourner contre le régime s'il vient à être prouvé qu'il n'a pas pris toutes les mesures pour détruire à temps ces sites et leurs stocks. En effet, dans ses prérogatives, le mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU doit s'employer à déterminer « si les personnes occupant des postes dirigeants étaient tenues de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher l'utilisation comme arme de produits chimiques ». Une formulation vague, qui permet des mises en cause pour, au minimum, des négligences à haut niveau en matière de sécurisation des sites d'armements chimiques face à la menace rebelle.

Plus important encore, un discret bras de fer oppose l'ONU au régime syrien. Selon plusieurs documents de l'OIAC, la fondation sur laquelle repose le processus entier du désarmement chimique est sujette à caution. « Il n'a pas été possible pour le moment de vérifier pleinement que la déclaration et les autres informations présentées par la République arabe syrienne sont exactes et complètes », relevait un rapport adressé le 28 mars 2016 au secrétaire général de l'ONU d'alors, M. Ban Ki-moon. Autrement dit, la liste des stocks et des sites de production d'armes chimiques transmise en urgence par Damas à l'OIAC en septembre 2013 pourrait être incomplète. Depuis le printemps 2016, les documents et rapports de l'organisation insistent sur « des lacunes, des incohérences et des contradictions » contenues dans la déclaration syrienne. On en sait peu sur ces critiques, si ce n'est que l'une d'elles concerne le rôle exact du Centre syrien d'études et de recherches scientifiques (CERS). Pour l'OIAC, la déclaration le concernant est incomplète ; elle ne traduit pas l'ampleur et la nature des activités de cette structure dans le développement du programme d'armement chimique. Le 24 avril, le Département du Trésor américain a d'ailleurs annoncé avoir pris des sanctions fermes contre 271 employés du CERS. Washington les accuse d'avoir fabriqué les armes utilisées lors de l'attaque de Khan Cheikhoun. Les mis en cause ne peuvent plus voyager et les transactions financières avec des banques étrangères leur sont interdites. Dans les semaines qui viennent il est probable que les activités de ce centre soit de nouveau mises en avant pour justifier d'autres sanctions.

Les critiques de l'OIAC laissent la porte ouverte à toutes les conjectures et, in fine, permettent tous les types d'instrumentalisation. Un mensonge avéré serait d'abord une violation de la résolution 2118 du Conseil de sécurité (27 septembre 2013), qui interdit à toutes les « parties syriennes », qu'il s'agisse de l'État ou des acteurs non étatiques, de détenir, d'acquérir, de fabriquer, de transférer ou d'employer des armes chimiques. Cela mettrait aussi la Russie dans une position inconfortable, car Moscou avait réussi le tour de force d'éviter en août 2013 une escalade militaire entre les États-Unis, la France et la Syrie en prenant l'initiative de proposer le plan de démantèlement immédiat de l'arsenal chimique syrien et de ses capacités de production.

Quoi qu'il en soit, le mécanisme d'enquête conjoint continue ses travaux sans que pointe pour l'heure la moindre information permettant de mettre en cause telle ou telle partie. Avant même que ne survienne le bombardement de Khan Cheikhoun, la presse arabe attendait déjà d'éventuelles révélations, voire des accusations précises, concernant une autre attaque chimique, celle subie par la ville de Daraya, dans la banlieue de Damas, le 15 février 2015. Las, la mission de l'OIAC a relevé un « haut degré de probabilité que certaines personnes aient, à un moment donné, été exposées à du [gaz] sarin ou à une substance analogue », mais n'a pu « déterminer comment, quand et dans quelles circonstances l'exposition s'est produite. » À ce jour, l'organisation a recensé plus d'une centaine de cas allégués d'utilisation d'armes chimiques en violation de la résolution 2118 et a enclenché plus d'une trentaine d'enquêtes. Le 17 novembre 2016, le Conseil de sécurité a décidé de prolonger d'un an le mandat octroyé au mécanisme d'enquête conjoint. On ne sait toujours pas si cette instance se trouve dans l'impossibilité d'identifier les responsables des attaques chimiques ou si elle rechigne à rendre public le résultat de ses investigations.

Chronologie

17 juin 1925. Adoption du protocole concernant la « prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques ». Ce texte, ou protocole de Genève, n'interdisait pas la fabrication de ces armes.

22 novembre 1968. Adhésion de la République arabe syrienne au protocole de Genève.

13 janvier 1993. Signature à Paris de la convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (le texte avait été adopté par l'Assemblée générale des Nations unies à Genève le 3 septembre 1992).

29 avril 1997. Entrée en vigueur de la convention sur l'interdiction des armes chimiques qui donne naissance à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), dont le siège est à La Haye et le laboratoire à Rijswijk (Pays-Bas).

Second semestre 2012. Le régime syrien et l'opposition armée s'accusent mutuellement de recourir à l'arme chimique.

27 mars 2013. L'OIAC s'inquiète officiellement de l'usage d'armes chimiques dans le conflit en Syrie.

21 août 2013. Attaque à l'arme chimique dans la Ghouta, une banlieue de Damas. Le régime de M. Bachar Al-Assad et l'opposition armée s'accusent mutuellement.

14 septembre 2013. À l'initiative de M. Vladimir Poutine, la Russie et les États-Unis adoptent à Genève le cadre de référence pour l'élimination des armes chimiques syriennes. Le gouvernement syrien s'engage à respecter la convention du 13 janvier 1993. L'adhésion de la Syrie à celle-ci sera effective le 14 octobre 2013.

16 septembre 2013. L'ONU et l'OIAC confirment l'usage de gaz sarin dans l'attaque de la Ghouta, mais ne désignent aucun responsable.

19 septembre 2013. Le gouvernement syrien transmet à l'OIAC les informations détaillées concernant son armement chimique (stocks, nomenclatures, moyens de production, moyens de recherche et de développement, etc.).

1er semestre 2014. Fin de la destruction des stocks d'armes chimiques et des sites de production déclarés par la Syrie.

29 décembre 2016. L'OIAC annonce que tous les produits chimiques et les installations de production déclarés par la Syrie ont été détruits, mais juge « incomplètes » les déclarations qui lui ont été transmises.

4 avril 2017. Attaque chimique contre la ville de Khan Cheikhoun.

(1) Eliot Higgins, « Attempts to blame the Syrian opposition for the August 21st sarin attacks continue one year on », Bellingcat, 20 août 2014, www.bellingcat.com

(2) Rapport de l'OIAC au secrétaire général des Nations unies, 12 février 2016.

(3) Ibid.

(4) Rapport du directeur général de l'OIAC au secrétaire général des Nations unies, 29 décembre 2016.

L'État profond

Thu, 27/04/2017 - 15:04

Quand un président erratique et peu soucieux d'apprendre tout ce qu'il ignore commande la plus puissante armée du monde, mieux vaut que les garde-fous soient nombreux. Or, lorsque M. Donald Trump a ordonné à ses généraux de bombarder la Syrie et d'engager des manœuvres navales en Asie, il a été ovationné par les parlementaires américains, républicains et démocrates, ainsi que par la quasi-totalité des médias, y compris en Europe. Un quotidien national français a même jugé que « les frappes sur la Syrie » avaient eu « quelque chose de libérateur » (1). Cinquante-neuf missiles tirés contre une base aérienne au Proche-Orient auraient donc presque métamorphosé un président empêtré dans l'impopularité, l'amateurisme et le népotisme en homme déterminé, sensible, incapable de contenir son humanité devant des photographies de « beaux bébés cruellement assassinés lors d'une attaque très barbare ». Un tel concert de louanges inquiète d'autant plus dans le climat international actuel, lourd de tensions, que M. Trump adore être adulé.

En janvier 1961, trois jours avant de quitter le pouvoir, le président républicain Dwight Eisenhower mettait en garde ses compatriotes contre un « complexe militaro-industriel » dont « l'influence — économique, politique et même spirituelle — s'éprouve dans chaque ville, chaque État, chaque administration ». À en juger par la succession de revirements de l'actuel président des États-Unis, ce « complexe » n'a pas chômé ces dernières semaines. Le 15 janvier, M. Trump estimait que « l'OTAN est obsolète » ; le 13 avril, que « l'OTAN n'est plus obsolète ». Il escomptait il y a quelques mois que la Russie deviendrait « une alliée » ; le 12 avril, il conclut que les relations entre Washington et Moscou ont chuté au « point le plus bas jamais atteint ».

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev en a déduit que, sitôt « les derniers brouillards électoraux dissipés », M. Trump a été « brisé par le système de pouvoir » de Washington. Repris en main par un « État profond », en somme, qui ne se laisse jamais distraire de ses priorités stratégiques par les changements de locataire à la Maison Blanche. Les républicains et les démocrates les plus attachés à l'empire américain peuvent pavoiser : si M. Trump ressemble à un pantin, ce n'est plus à une « marionnette du Kremlin (2»… Sur ce point, l'État profond a gagné.

Si Eisenhower ressuscitait, il adjoindrait sans doute à son « complexe militaro-industriel » un associé médiatique. Car l'information continue raffole de la tension permanente, elle aime la guerre ; et les commentateurs attitrés alignent d'autant plus volontiers les proclamations ronflantes que ce ne sont plus des conscrits comme leurs fils qui périssent dans les conflits armés, mais des « volontaires » souvent prolétaires. Les principaux journaux américains ont publié quarante-sept éditoriaux relatifs aux « frappes » américaines en Syrie. Un seul se prononçait contre (3)…

(1) Libération, Paris, 9 avril 2017.

(2) Lire « Marionnettes russes », Le Monde diplomatique, janvier 2017.

(3) Adam Johnson, « Out of 47 major editorials on Trump's Syria strikes, only one opposed », Fairness & Accuracy in Reporting (FAIR), 11 avril 2017.

Moins !

Wed, 26/04/2017 - 18:53

Le journal romand d'écologie politique ouvre quelques fenêtres sur cet « art primordial » qu'est celui d'habiter (en convivialité), exemples à l'appui : autoconstruction, maison de paille, coopérative, voisinage, mais aussi squat, habitat léger ou construit de ses propres mains. (N° 28, avril-mai, bimestriel, abonnement à prix libre. — Vevey, Suisse.)

http://www.achetezmoins.ch

Chronologie

Fri, 14/04/2017 - 09:39
Début du IIIe siècle av. J.-C.

Ouverture de la Route de la soie. Ce réseau de pistes, reliant la Chine à Antioche via l'Asie centrale, sera parcouru par les marchands pendant près d'un millénaire.

IVe siècle

La Chine méridionale instaure des voies commerciales vers l'Asie du Sud-Est, la Corée, le Japon, l'Inde, l'Asie centrale et l'Iran.

XIe-XIIIe siècle

Essor de l'industrie et des échanges extérieurs chinois, généralisation de l'usage du papier-monnaie ; la classe des négociants gagne en importance.

1143-1158

Fondation de la ville de Lübeck (Allemagne), sur la côte baltique. Les peuples du Nord sont invités à s'y installer pour y jouir de la liberté de commerce.

1156

Premiers contrats d'échanges de devises à Gênes. La cité-Etat domine les routes vers le Proche-Orient, où elle exporte ses biens et en importe les épices.

1157

Les marchands allemands obtiennent des privilèges en Angleterre, où ils achètent des produits agricoles et miniers. En 1252, ils recevront les mêmes droits à Bruges (Belgique), dont ils importeront les draps.

1167

Seize comune commerçantes de l'Italie du Nord, dont Milan et Venise, constituent la Ligue lombarde.

1180

Ouverture du comptoir allemand de Novgorod (Russie), une des plaques tournantes des produits orientaux.

1200

La ville de Bruges acquiert le droit d'organiser un marché annuel et obtient des avantages fiscaux. Elle devient bientôt le centre névralgique de la route commerciale reliant Cologne à Londres.

1241

Naissance outre-Rhin de la Ligue de la Hanse, une alliance de plus de quatre-vingts villes commerçantes avec Lübeck pour capitale. Elle régnera sur le trafic maritime du nord de l'Europe pendant près de deux siècles.

1277

L'arrivée des bateaux génois à Bruges marque le début du commerce des épices avec le Levant. Ils seront suivis par des navires vénétiens et espagnols.

1356

Première réunion de l'assemblée de la Hanse à Lübeck. Cent trente villes y sont représentées, parmi lesquelles des cités flamandes, suédoises et norvégiennes.

1403

La république de Florence autorise officiellement le prêt à intérêt, interdit par l'Eglise.

1441

Vaincue par les Hollandais après trois ans de guerre, la Ligue hanséatique leur reconnaît un traitement égal sur le marché baltique.

Des navigateurs portugais ramènent d'Afrique des esclaves. Début de la traite négrière et du commerce triangulaire.

1455

La Chine abandonne l'usage du billet.

1474

Le traité d'Utrecht entre la Hanse germanique et l'Angleterre octroie à la Couronne la liberté du commerce en Baltique, en Prusse et dans les villes hanséatiques.

Première législation sur les brevets à Venise. L'objectif est de favoriser la production locale et les exportations, et de limiter les importations.

1492

Croyant atteindre l'Asie des épices, Christophe Colomb débarque en Amérique. Lisbonne et Madrid se partagent le Nouveau Monde deux ans plus tard (traité de Tordesillas).

1516

Les Portugais prennent pied en Chine, suivis par les Espagnols (1543) et les Hollandais (1600).

1521-1533

Aux Amériques, les Espagnols détruisent les empires aztèque et inca. Ils créent des plantations de canne à sucre et exploitent des mines d'or et d'argent. Et importent bientôt des esclaves africains pour y servir de main-d'œuvre.

1543

Les marchands portugais sont les premiers Européens à aborder le Japon, où ils établissent des comptoirs. Ils seront suivis par les Espagnols, les Anglais et les Hollandais.

1550-1580

Anvers puis Amsterdam deviennent la plaque tournante des échanges mondiaux de marchandises.

1600

La reine d'Angleterre accorde à la Compagnie britannique des Indes orientales le monopole du commerce dans l'océan Indien. En 1602, les Provinces-Unies fondent la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

1612

Ouverture du premier comptoir commercial anglais en Inde.

1637

La « tulipomania », folie spéculative aux Pays-Bas, débouche sur une crise financière internationale.

1641

Le Japon décrète la fermeture complète du pays. La présence des Occidentaux est interdite.

1651

Londres prohibe l'importation de produits de pêches étrangers et réserve au pavillon anglais la liaison commerciale avec les colonies.

1664

Création de la Compagnie française des Indes orientales (CFIO).

1729

La Chine interdit — en vain — l'importation d'opium, introduit au siècle précédent, via l'Inde, par les Portugais.

1763

Le traité de Paris, mettant fin à la guerre franco-britannique en Europe, ne laisse à la France que cinq comptoirs en Inde. La CFIO sera dissoute en 1769.

Fin du XVIIIe siècle

Début de la révolution industrielle en Angleterre. Le secteur textile se mécanise et devient très compétitif.

1806

Napoléon Bonaparte décrète le blocus maritime des produits anglais en Europe. Ce qui permet à l'industrie textile du nord de la France de rattraper son retard sur les entreprises britanniques.

1834

Pour faire face à la concurrence britannique, et pour renforcer son industrie, la Prusse, la Saxe et la Bavière instituent une union douanière (Zollverein), dotée d'une monnaie commune.

1839-1842

Première guerre de l'opium entre l'Angleterre et la Chine. Victorieuse, la Couronne obtient Hongkong, l'ouverture aux échanges internationaux de cinq ports, une baisse des droits de douane, etc. Dans la foulée, l'Allemagne, la France, la Russie, les Etats-Unis s'octroient les mêmes droits.

1846

Les libéraux britanniques obtiennent l'abolition des Corn Laws, une série de mesures protectionnistes adoptées en 1815 pour encadrer l'importation des céréales.

1853

L'amiral américain Matthew Perry, à la tête d'une flottille de guerre, débarque dans la baie d'Edo (Tokyo, aujourd'hui) pour imposer l'ouverture du Japon au commerce international.

1856-1858

Seconde guerre de l'opium. Signature de « traités inégaux » entre la Chine et les principales puissances occidentales, qui obtiennent notamment des concessions et le droit d'imposer leurs tarifs douaniers.

1860

Traité de commerce franco-britannique, Napoléon III engage la France dans le libre-échange.

1867

Une grave crise économique s'installe au Japon, liée à l'afflux de produits occidentaux, qui désorganise les circuits commerciaux.

1873

Krach de la Bourse de Vienne, prélude à vingt-cinq ans de stagnation de l'économie mondiale : première grande crise de la mondialisation.

1892

Rétablissement de tarifs douaniers protectionnistes en France (loi Méline).

1929

24 octobre. Le krach de Wall Street provoque la plus grave crise économique mondiale du XXe siècle.

1937

Nouvelle récession aux Etats-Unis. L'économie mondiale est en stagnation depuis huit ans. Pour sortir de la crise, plusieurs pays ont instauré des mesures protectionnistes.

1944

Juillet. Création, lors de la conférence de Bretton Woods (Etats-Unis), du Fonds monétaire international (FMI) ; la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), future Banque mondiale, sera fondée l'année suivante.

1947

Signature le 30 octobre, à Genève, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Il entre en vigueur le 1er janvier 1948.

1948

Adoption le 24 mars de la charte de La Havane, prévoyant la création d'une Organisation internationale du commerce (OIC) intégrée à l'Organisation des nations unies (ONU). L'accord n'ayant pas été ratifié par le Congrès américain, l'organisme ne verra pas le jour.

1951

Création le 18 avril de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) par la Belgique, la France, l'Allemagne de l'Ouest, le Luxembourg, l'Italie et les Pays-Bas.

1957

Signature le 25 mars du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE). Il crée une union douanière impliquant la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux.

1960

Naissance de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Le traité de Montevideo (Uruguay) instaure l'Association latino-américaine de libre-échange (ALALC, en espagnol) ; création du Marché commun centre-américain (MCCA).

1963

20 juillet. Convention de Yaoundé (Cameroun) associant la CEE à dix-huit Etats africains, prévoyant notamment un système de zones de libre-échange entre la CEE et les anciennes colonies françaises et belges.

1964

Décembre. Création de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), à l'initiative des pays en développement qui reprochent au GATT de ne pas prendre suffisamment en compte leurs intérêts.

1967

L'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande créent le 8 août l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Anase, Asean en anglais).

1969

Création le 26 mai du Pacte andin, regroupant la Bolivie, la Colombie, l'Equateur, le Pérou et le Venezuela en vue de créer un marché commun. Il deviendra la Communauté andine des nations (CAN) en 1996.

1971

15 août. Les Etats-Unis suspendent la convertibilité en or du dollar et laissent flotter leur monnaie.

1973

Septembre. Réunis à Alger, les pays non alignés prônent un nouvel ordre économique international (NOEI) fondé sur l'égalité et la coopération Nord-Sud. Décembre. Premier choc pétrolier.

1975

Signature, le 28 février, de la convention de Lomé (Togo) entre la CEE et trente-cinq pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP), accord fondé sur le partenariat et la solidarité. Il sera vidé de son contenu et finalement remplacé en 2000 par l'accord de Cotonou (Bénin).

1982

Septembre. Lancement du huitième cycle de négociations du GATT (cycle de l'Uruguay), avec pour objectif de libéraliser les échanges dans tous les secteurs.

1984

Janvier. Mise en place de l'Initiative pour le bassin des Caraïbes (IBC), qui instaure une franchise d'accès aux Etats-Unis pour les exportations.

1989

Novembre. Naissance de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC, en anglais), regroupant les douze Etats du Pacifique et l'Anase, en vue de créer entre eux une zone de libre-échange.

1990

Décembre. Echec de la conférence de clôture du cycle de l'Uruguay du GATT en raison du désaccord entre les Etats-Unis et l'Europe sur le dossier agricole.

1992

Signature à Maastricht, le 7 février, du traité sur l'Union européenne (UE).

Avril. Après la dissolution de l'Union sovétique, en décembre 1991, la Russie devient membre du FMI et de la Banque mondiale.

1994

Janvier. Entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.

Avril. Signature à Marrakech de l'acte final du cycle de l'Uruguay instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui succède au GATT.

Décembre. Les Etats-Unis présentent le projet de création d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) regroupant tous les Etats américains, excepté Cuba — qui ne verra pas le jour.

1995

Janvier. Lancement du Marché commun du Sud (Mercosur), comprenant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.

Mai. A l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), début des négociations confidentielles sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), conférant de nombreux pouvoirs aux investisseurs face aux gouvernements. Abandonné en 1998 après avoir été révélé.

1996

Décembre. Première conférence ministérielle de l'OMC, à Singapour. Les pourparlers entre pays industrialisés et pays en développement échouent sur le lien entre commerce international et normes sociales.

Décembre. Elaboration du projet de grand marché transatlantique (GMT) au sommet de Madrid (lire « Plus de vingt ans de préparatifs »).

1998

Mai. Désaccord entre les Etats-Unis et l'UE lors de la deuxième conférence ministérielle de l'OMC, à Genève, sur les modalités des négociations concernant l'accélération du processus de libéralisation des échanges.

1999

Novembre-décembre. La troisième conférence ministérielle de l'OMC, à Seattle (Etats-Unis), se solde par un échec, les participants ne parvenant pas à engager un nouveau cycle de négociations commerciales. Manifestations contre la mondialisation.

2000

Février. Reprise des discussions au sein de l'OMC sur la libéralisation des services et de l'agriculture. Juillet. Traité de libre commerce (TLC) entre le Mexique et l'Union européenne.

2001

Janvier. Premier Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil), en même temps que le Forum de Davos.

Septembre. La Chine est admise à l'OMC. Octobre. Lancement du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad), un plan forgé dans une perspective néolibérale sous l'égide de la Banque mondiale, du FMI et de l'OMC.

Novembre. Lancement à Doha (Qatar) d'un nouveau cycle de négociations commerciales prétendant mettre la libéralisation des échanges au service du développement.

2002

Janvier. Mise en place d'une zone de libre-échange entre les Etats membres de l'Anase (cf. supra).

2003

Août. Un compromis est trouvé à l'OMC pour l'accès des pays du Sud aux médicaments génériques.

Septembre. Echec de la cinquième conférence de l'OMC à Cancún (Mexique) : le Sud refuse l'accord sur l'agriculture.

Décembre. Accord de libre-échange (Cafta) entre les Etats-Unis, cinq pays d'Amérique centrale et la République dominicaine.

2004

Janvier. Accord de libre-échange de l'Asie du Sud (Safta) entre le Bangladesh, le Bhoutan, l'Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.

Juin. Le G8 adopte le projet américain de « Grand Moyen-Orient », qui vise notamment à créer une zone de libre-échange dans la région au cours des dix ans à venir.

Décembre. Lancement de la Communauté sud-américaine des nations (CSN). Elle vise à réunir le Mercosur, la CAN ainsi que le Chili, le Guyana et le Surinam en une seule entité politico-économique, sur le modèle de l'Union européenne.

2005

Janvier. L'expiration de l'accord multifibres sur le textile et l'habillement, décidée à l'OMC en 1995, entraîne la fin des quotas et la libéralisation de tout le secteur à l'échelle internationale.

Avril. Naissance de l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), réunissant Cuba, le Venezuela et — un an plus tard — la Bolivie. Fondée sur des principes de solidarité, de coopération et de réciprocité, cette organisation entend constituer une alternative d'intégration régionale au projet de ZLEA promu par Washington.

Juin. Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour concluent un accord de partenariat transpacifique (PTP ; en anglais, Trans-Pacific Partnership, TPP).

2006

Juillet. Le cycle de négociations de Doha, qui achoppe toujours sur la question agricole, est suspendu sine die.

2007

Août. Effondrement du marché américain des crédits immobiliers à risque (subprime). Début de la crise financière mondiale.

2009

Décembre. Les Etats-Unis s'associent aux pourparlers sur le partenariat transpacifique, dans l'optique, notamment, de contenir la puissance commerciale de la Chine.

2011

Avril. Chili, Colombie, Mexique et Pérou forment l'Alliance du Pacifique visant la libre circulation des bien, des services, des capitaux et des personnes.

Octobre. Signature par Washington et sept autres pays — rejoints en 2012 par vingt-deux Etats européens et le Mexique — de l'accord commercial anticontrefaçon (en anglais, ACTA). Sa ratification sera suspendue à l'issue d'une protestation internationale.

Novembre. Le Japon intègre le PTP.

2012

Février. Début des négociations discrètes, entre une cinquantaine de pays, au sujet de l'accord sur le commerce des services (ACS, TISA en anglais).

Août. La Russie intègre l'OMC après dix-huit ans de négociations.

2013

Octobre. Après plus de quatre ans de discussions, l'UE et le Canada concluent une entente de principe sur un accord économique et commercial global (AECG, CETA en anglais), signé l'année suivante.

Décembre. L'OMC, réunie à Bali (Indonésie), adopte un ensemble de mesures sur la libéralisation des échanges commerciaux (« paquet de Bali »).

2014

Mai. Naissance de l'Union économique eurasiatique entre la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie.

Juillet. Le nouveau premier ministre indien, Narendra Modi, rejette le « paquet de Bali ».

Empires en accordéon

Thu, 13/04/2017 - 15:54

Contraint par les canonnières américaines d'ouvrir son territoire au milieu du XIXe siècle, le Japon se lance dans ses premières conquêtes dès la fin de l'ère Meiji. Plus tard, l'empereur Hirohito envahit la Mandchourie, la Chine, Taïwan, et règne sur une grande partie de l'Asie, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Okinawa sera restitué au Japon en 1952 ; les îles Senkaku/Diaoyu passent sous administration japonaise sans que leur statut soit défini.

La Chine, elle, connaît son apogée au XIXe siècle. Sous la contrainte de la Russie à partir de 1858, puis des pays occidentaux (les deux guerres de l'opium) et du Japon, elle doit céder des pans entiers de son territoire.

Une lente escalade

Thu, 13/04/2017 - 15:40

17 août 1999. Un tremblement de terre de magnitude 7,21 sur l'échelle de Richter détruit une bonne partie des villes d'Izmit et de Gölcük. Le bilan est très lourd : 17 480 morts, 23 781 blessés, plus de 10 000 disparus et plusieurs centaines de milliers de sans-abri. Il met en évidence l'importance de la corruption dans le secteur de la construction, de nombreux entrepreneurs n'ayant pas respecté les normes sismiques.

2000-2001. Déjà éprouvé par le séisme d'Izmit, le gouvernement du premier ministre kémaliste Bülent Ecevit (Parti démocratique de la gauche, DSP) doit faire face à une impopularité croissante en raison d'une grave crise économique, financière et monétaire.

3 août 2002. Adoption d'une série de réformes lancées par le gouvernement de M. Bülent Ecevit pour répondre aux critères d'adhésion à l'Union européenne : abolition de la peine capitale, liberté de culte, autorisation de l'enseignement du kurde, etc.

3 novembre 2002. Fondé en août 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Recep Tayyip Erdoğan, islamo-conservateur, constitué par l'aile modérée du Parti de la Vertu (interdit la même année) remporte les élections législatives avec 34,28 % des voix, devant le Parti social-démocrate et kémaliste (CHP), qui en récolte 19,38 %.

1er mars 2003. La Grande Assemblée nationale de Turquie (Parlement) refuse le déploiement sur le sol turc de troupes américaines en route vers l'Irak.

11 mars 2003. M. Erdoğan est nommé premier ministre et prend la place de M. Abdullah Gül à la suite d'une réforme électorale votée au Parlement. Celle-ci permet au président de l'AKP de contourner son inéligibilité, due à une condamnation pour « incitation à la haine » (1998).

Printemps 2003. Les effets de la crise économique s'estompent et le pays sort peu à peu de la récession. La croissance du produit intérieur brut (PIB) s'élève à 9,4 % l'année suivante. La nouvelle livre turque est introduite en janvier 2005.

Novembre 2003. Des attentats-suicides contre des synagogues et des intérêts britanniques, menés à quelques jours d'intervalle et revendiqués par Al-Qaida, font 50 morts à Istanbul.

7 mai 2004. Le Parlement adopte une série d'amendements constitutionnels. Toute référence à la peine de mort disparaît de la loi, un amendement limite le rôle de l'armée dans la vie publique et l'égalité des droits entre hommes et femmes est proclamée.

26 septembre 2004. Adoption de la réforme du code pénal, qui réprime notamment la torture ainsi que les crimes d'honneur et renforce les libertés individuelles.

17 décembre 2004. Le Conseil européen donne son feu vert à l'ouverture de négociations d'adhésion à l'Union à partir d'octobre 2005.

1er juin 2005. Adoption d'un nouveau code pénal octroyant davantage de libertés individuelles dans le but d'aborder les négociations d'adhésion à l'Union européenne.

3 octobre 2005. Officiellement reconnue candidate en 1999, la Turquie débute les négociations d'adhésion à l'Union européenne.

Mars-avril 2005. Des affrontements entre Kurdes et forces de l'ordre à Istanbul et au Kurdistan font une vingtaine de morts. En septembre, un attentat dans la ville à majorité kurde de Diyarbakir tue 11 personnes.

Décembre 2005. La Turquie refusant de reconnaître Chypre comme une entité unique et d'appliquer l'union douanière avec l'île, les négociations avec l'Union européenne sont partiellement gelées.

22 juillet 2007. L'AKP remporte les élections législatives anticipées avec 46,7% des voix suite à une crise politique en avril-mai, due à l'échec de la nomination du président Gül par le Parlement. M. Erdoğan est reconduit comme premier ministre. Le CHP arrive en deuxième position, devant le Parti d'action nationaliste (MHP, extrême droite), avec respectivement 20,85 % et 14,27 % des voix.

28 août 2007. M. Gül recueille 339 voix sur 550 et est élu président de la République de Turquie par le Parlement. Il est le dernier président élu au suffrage indirect.

21 octobre 2007. La réforme constitutionnelle lancée en mai de la même année est adoptée par référendum à 69,1 %. Elle concerne le mode de scrutin présidentiel et acte le passage du suffrage indirect au suffrage direct.

12 septembre 2010. Une nouvelle réforme constitutionnelle est approuvée par référendum (57,9 %). Cette modification permet notamment au Parlement (dominé par l'AKP) de dissoudre les partis politiques. Elle facilite également la traduction des membres de l'armée devant des tribunaux civils.

12 juin 2011. L'AKP remporte les élections législatives (49,83 %), devant le CHP (25,98 %) et le MHP (13,01 %). Cette élection fait suite à l'une des campagnes les plus violentes de la période récente — incidents, affrontements entre militants, assassinats politiques — et caractérisée en outre par de nombreuses atteintes à la liberté de la presse.

27 mai 2013. Première manifestation au parc Gezi, à Istanbul, en opposition à un projet immobilier. Le mouvement prend rapidement de l'ampleur et se construit en opposition au gouvernement de l'AKP. Les manifestations seront sévèrement réprimées (8 morts et 8 blessés).

25 décembre 2013. Les accusations de corruption se multiplient à l'encontre des membres du gouvernement de l'AKP et plusieurs ministres présentent leur démission. M. Erdoğan dénonce un complot de l'étranger et remplace la moitié des vingt ministres de son gouvernement.

14 mai 2014. Accident minier dans la ville de Soma. Il s'agit de l'un des plus grave accidents de l'histoire de l'extraction minière en Turquie (301 morts). Il donne lieu à des manifestations dénonçant les conditions de travail des mineurs.

12 juin 2014. Ouverture du procès des militants du groupe Solidarité Taksim. Ils avaient organisé les actions de contestation du parc Gezi et autour de la place Taksim.

10 août 2014. Première élection présidentielle au suffrage universel direct. M. Erdoğan est élu au premier tour avec 51,8 % des voix. Le 28 août, M. Ahmet Davutoğlu lui succède à la présidence de l'AKP et devient premier ministre.

29 mai 2015. Les militants du groupe Solidarité Taksim sont acquittés. Ils risquaient treize ans d'emprisonnement.

7 juin 2015. L'AKP remporte les élections législatives avec 40,66 % des voix, devant le CHP (25,13 %) et le MHP (16,45 %). Le Parti démocratique des peuples (HDP), issu du mouvement politique kurde et coalisé avec des formations progressistes, dépasse le seuil électoral des 10 %, avec près de 13 % des suffrages, et obtient 80 sièges au Parlement. Pour la première fois depuis 2002, l'AKP perd la majorité absolue et se trouve dans l'incapacité de former un gouvernement.

20 juillet 2015. Une bombe explose dans un centre culturel de Suruç, ville située à la frontière avec la Syrie. Il s'agit du premier attentat de l'Organisation de l'État islamique (OEI) en Turquie. De nombreuses manifestations sont organisées pour accuser le gouvernement turc de complicité avec les auteurs du carnage (33 morts).

Août 2015. La Turquie autorise pour la première fois les États-Unis à utiliser leur base aérienne d'İncirlik pour bombarder les positions de l'OEI.

17 septembre 2015. Un procureur requiert une peine de trente-quatre ans d'emprisonnement à l'encontre de M. Fethullah Gülen. Installé aux États-Unis depuis 1999, ce prédicateur à la tête d'un vaste mouvement d'inspiration religieuse et sociale est accusé par M. Erdoğan de vouloir déstabiliser le pays et de comploter contre le gouvernement.

10 octobre 2015. Attentat lors d'une manifestation pour la paix organisée par le HDP à Ankara. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Turquie, avec au moins 102 morts.

1 novembre 2015. L'AKP remporte les élections législatives anticipées (49,50 %), devant le CHP (25,32 %) et le MHP (11,90 %). Le HDP retombe à 10,76 % mais conserve 59 sièges au Parlement.

24 novembre 2015. Destruction d'un avion russe par des F-16 turcs. La Russie accuse la Turquie d'avoir volontairement abattu son avion alors qu'il survolait le territoire syrien. Ankara conteste en affirmant que l'avion russe aurait violé son espace aérien.

28 novembre 2015. Le président russe Vladimir Poutine signe un décret interdisant l'emploi de travailleurs turcs par des patrons russes, mais aussi l'importation de certains produits turcs.

15 juillet 2016. Une tentative de coup d'État militaire fait au moins 290 morts et 1 440 blessés. L'état d'urgence est décrété cinq jours plus tard et sera prolongé de trois mois le 19 octobre. De nombreuses arrestations et des limogeages ont lieu dans la fonction publique.

4 août 2016. La justice turque délivre un mandat d'arrêt contre M. Gülen, accusé d'avoir organisé le putsch du mois de juillet. Le 13 septembre 2016, le gouvernement turc demandera formellement son arrestation et son extradition par les États-Unis.

24 août 2016. La Turquie lance l'opération « Bouclier de l'Euphrate ». Cette offensive militaire dans le nord de la Syrie est dirigée contre l'OEI et les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition composée de troupes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et de rebelles arabes proches de l'Armée syrienne libre (ASL).

29 octobre 2016. Publication au journal officiel de deux décrets présidentiels annonçant la fermeture de quinze médias considérés comme prokurdes, le limogeage de plus de 10 000 fonctionnaires et la nomination des recteurs des universités par M. Erdoğan.

30 octobre 2016. La police arrête Murat Sabuncu, rédacteur en chef du journal Çumhuriyet, ainsi que seize journalistes et caricaturiste de cette publication considérée comme le dernier grand quotidien d'opposition du pays. Çumhuriyet avait notamment révélé en 2015 que les services secrets turcs avaient fourni des armes aux rebelles islamistes syriens.

22 novembre 2016. Deux nouveaux décrets présidentiels publiés au journal officiel annoncent le limogeage de plus de 15 000 personnes ainsi que la fermeture de 375 associations, 9 médias et 19 structures médicales.

19 décembre 2016. L'ambassadeur russe en Turquie, Andreï Karlov, est abattu par un jeune policier dans une galerie d'art à Ankara.

20 décembre 2016. La Turquie, la Russie et l'Iran proclament un « cessez-le-feu élargi » en Syrie. Le but est de garantir un accès à l'aide humanitaire et la libre circulation des populations sur le territoire syrien.

21 janvier 2017. Le Parlement approuve le projet de nouvelle Constitution après une seconde lecture. Cette réforme constitutionnelle, qui compte 18 nouveaux articles, renforce les pouvoirs présidentiels. Elle prévoit notamment la suppression du poste de premier ministre et la possibilité pour le président de limoger des ministres. Elle devra être validée par référendum le 16 avril 2017.

20 février 2017. Ouverture à Mugla du procès des 47 personnes ayant voulu assassiner le président Erdoğan lors de la tentative de coup d'État du 15 juillet. D'autres procès débutent dans 12 autres villes le 28 février.

Une version raccourcie de cette chronologie est parue dans l'édition imprimée.

Avril 2017 en perspective

Wed, 12/04/2017 - 10:56

Non seulement la citoyenneté en démocratie représentative se réduit à une délégation en forme de dépossession, mais il faudrait en plus, à chaque scrutin, voter « utile » au nom d'un front républicain plus mythologique qu'il n'y paraît. C'est hors de toute stratégie électoraliste qu'Armand Gatti, qui s'est éteint le 6 avril dernier, cherchait à « insuffler l'énergie de trouver l'ouverture vers de nouveaux horizons » à tous ses « loulous ». Une sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.

  • Et cette fois encore, le piège du vote utile ? Serge Halimi • pages 1, 16 et 17 La perception de la nature profondément antidémocratique des institutions françaises et européennes gagne les esprits. Mais la traduction en termes électoraux de cette conscience nouvelle risque d'être dévoyée par le piège d'un « vote utile »…
  • → Mythologie du front républicain Joël Gombin • mars 2015
  • → Citoyenneté, un mot galvaudé, des espoirs intacts Allan Popelard • septembre 2012
  • → Armand Gatti, éloge de la révolution Philippe Lafosse • février 2001
  • La voix de Moscou trouble le concert de l'information internationale Maxime Audinet • pages 6 et 7 Aperçu Accusée d'être un instrument dans les mains du Kremlin, RT a repris les codes, et les défauts, des chaînes d'information en continu. La forte progression de son audience aux États-Unis ou en Europe tient à une ligne éditoriale ouvertement critique à l'égard des politiques occidentales, qu'elle décline en fonction des régions.
  • → Un CNN à la chinoise Pierre Luther • mars 2011 Aperçu
  • → CNN, rythme infernal et suspense à l'état brut Yves Eudes • mai 1991 Aperçu
  • → Communications sans frontières et impérialisme Armand Mattelart • mars 1978 Aperçu
  • Le président Erdoğan signe la fin du « modèle turc » Jean Marcou • pages 1, 8 et 9 Aperçu Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui cherche à renforcer son pouvoir sur le plan intérieur, se rapproche de l'Arabie saoudite et de la Russie. Ce recentrage témoigne de la situation délicate de la Turquie dans son environnement régional.
  • → La sale guerre du président Erdoğan Laura-Maï Gaveriaux • juillet 2016
  • → L'emballement guerrier du président turc Akram Belkaïd • septembre 2015
  • → Turquie : cinquante années de république • octobre 1973
  • La quête obsessionnelle d'un pouvoir fort J. M. • pages 8 et 9 Aperçu Élaborée à la suite du coup d'État militaire de 1980, la Constitution de 1982 a toujours été contestée en Turquie, l'armée s'y étant octroyé le rôle de véritable régulateur du système. Mais cette remise en question a changé de nature depuis la montée en puissance du parti islamoconservateur de M. Recep Tayyip Erdoğan.
  • → Comment M. Erdoğan a maté l'armée turque Sümbül Kaya • octobre 2016
  • → Erdoğan, « l'homme qui se prend pour un sultan » Selahattin Demirtaş • juillet 2016
  • → Le long chemin vers la démocratie Ata Gil • novembre 1987 Aperçu
  • « Ce monstre anonyme, l'homme de la rue » Angela Nagle • page 3 Aperçu Alors que le populisme de droite a pris le pouvoir aux États-Unis, une vague de mépris des classes populaires, qui auraient mal voté, monte chez les démocrates. Des militants démoralisés pansent leurs plaies en se berçant de l'illusion de leur supériorité. Sans toujours le savoir, ils ravivent ainsi une vieille idée.
  • → Élections américaines : la déroute de l'intelligentsia S. H. • décembre 2016
  • → Faut-il avoir peur du populisme ? Alexandre Dorna • novembre 2003 Aperçu
  • → Le festival du mépris Claude Julien • octobre 1990 Aperçu
  • Français d'origine chinoise, l'affirmation d'une communauté Zhang Zhulin • pages 4 et 5 Aperçu Longtemps restés discrets, les Chinois de France ont fait irruption dans le paysage en organisant une puissante manifestation en septembre 2016. Une unité qui n'allait pas de soi. À la différence de ses aînés, la deuxième génération veut combattre les préjugés dont elle est victime.
  • → Au Royaume-Uni, des immigrés prisonniers des castes Alexia Eychenne • mars 2016 Aperçu
  • → La France s'interroge sur la meilleure manière d'intégrer les étrangers Norbert Rouland • octobre 1993 Aperçu
  • → Persistance au terme d'une longue assimilation Claude Lombard-Salmon • février 1979 Aperçu
  • Les oubliés de la Grande Guerre Jordan Pouille • pages 4 et 5 Aperçu Le 17 février 1917, près de Malte, un sous-marin allemand torpillait le paquebot français « Athos », faisant 754 morts, majoritairement des Chinois. Ces hommes devaient rejoindre un contingent de 140 000 travailleurs de leur pays. Une main-d'œuvre à l'histoire largement méconnue.
  • → Soldats oubliés du Courneau Stephan Ferry & Philippe Lespinasse • novembre 2011 Aperçu
  • → Héros méconnus de la seconde guerre mondiale Anicet Mobé Fansiama • juin 2007
  • → Pages d'histoire occultées Jean-Marie Chauvier • août 2005
  • Le piège de la dépendance se referme sur le Mexique James M. Cypher • pages 10 et 11 Aperçu Les États-Unis souhaitent simplement renégocier l'accord commercial qui les lie à leur voisin. Le projet a néanmoins plongé Mexico dans l'effroi. Depuis le début des années 1980, le pays a fait le choix d'arrimer son économie à celle des États-Unis. Un virage à 180 degrés au nord du Rio Bravo pouvait-il manquer de créer des remous au sud ?
  • → L'Alena ou les mirages du libre-échange Lori M. Wallach • juin 2015
  • → Et le Mexique cessa d'être indépendant Jean-François Boyer • mars 2011 Aperçu
  • → Le Mexique tente de s'amarrer au Nord Jorge Castañeda Gutmán • septembre 1992 Aperçu
  • « Nous ne sommes pas un protectorat américain » Andrés Manuel López Obrador • pages 1, 10 et 11 Aperçu Les propos injurieux de M. Donald Trump à l'égard du Mexique ont accéléré la campagne présidentielle dans ce pays. Le scrutin n'aura lieu qu'en juillet 2018, mais un candidat se détache déjà : M. Andrés Manuel López Obrador, qui incarne les espoirs de la gauche.
  • → Ce qui attend l'Amérique latine sous la présidence Trump Alexander Main • janvier 2017
  • → Passés de mode, les zapatistes... Bernard Duterme • octobre 2009 Aperçu
  • → Une gauche mexicaine en désordre de bataille J.-F. B. • avril 2007 Aperçu
  • La Constitution contre Donald Trump Anne Deysine • page 12 Aperçu Depuis sa prise de fonctions, M. Donald Trump affronte une résistance tous azimuts. Certains contestataires ont choisi d'utiliser les possibilités offertes par la Constitution américaine, conçue par les Pères fondateurs dans l'objectif d'empêcher que le président puisse bouleverser l'ordre social existant.
  • → Black Lives Matter, le renouveau militant Sylvie Laurent « Affrontements américains », Manière de voir nº 149, octobre - novembre 2016
  • → Combativité retrouvée aux Etats-Unis Rick Fantasia • décembre 2005 Aperçu
  • → La diversité des nouveaux contestataires aux États-Unis Schofield Coryell • juin 1982 Aperçu
  • La fin des partis politiques ? A. P. • pages 13, 18 et 19 Aperçu Loin de résulter du jeu des appareils, la décomposition du champ politique semble aujourd'hui plutôt due à un affaiblissement des partis sous l'effet du présidentialisme. Désormais, tous les moyens de les contourner sont bons : mouvements citoyens, rassemblements, primaires ouvertes.
  • → « Agir en primitif, prévoir en stratège » Serge Quadruppani • février 2017 Aperçu
  • → L'autodestruction du Parti socialiste Rémi Lefebvre • juillet 2016
  • → Front de gauche, ou la fin d'une malédiction Patrice Dalmas • mai 2012 Aperçu
  • Embarras de la gauche sur l'immigration Benoît Bréville • pages 14 et 15 Aperçu La stratégie conservatrice visant à opposer les plus démunis entre eux est parvenue à faire de l'immigration une question décisive pour nombre de Français. Aubaine pour la droite, cette situation impose à la gauche d'évoluer sur un terrain miné… et la divise.
  • → L'immigration, un « problème » si commode Eric Fassin • novembre 2009
  • → En Europe, à chacun son « modèle » Claudio Bolzman & Manuel Boucher • juin 2006 Aperçu
  • → Le double langage Andre Legouy • septembre 1977 Aperçu
  • Sortilèges de la culture Evelyne Pieiller • page 20 Aperçu Figure obligée des programmes électoraux, les projets relatifs à la culture reflètent les dispositions idéologiques des partis. Certains y voient un terreau identitaire, d'autres un bagage éducatif qu'il s'agirait de distribuer à chacun. Son rôle moteur dans la transformation sociale semble toutefois oublié.
  • → La gauche et la culture Manuel Vazquez Montalban • janvier 2004 Aperçu
  • → Elargir le cercle des connaisseurs ? Jean-Michel Leterrier • mai 2001 Aperçu
  • → Politiques culturelles et démocratie José Vidal-Beneyto • avril 1981 Aperçu
  • Renaissance des déserts danois Nicolas Escach • page 21 Aperçu La spécialisation des économies nationales entraîne un déclin de nombreux territoires périphériques. Au Danemark comme chez ses voisins. Mais les menaces pesant sur la cohésion sociale ont conduit à une riposte contre la concentration du pouvoir et à une relance de la démocratie locale.
  • → Les parts d'ombre du paradis danois Jean-Pierre Séréni • octobre 2009 Aperçu
  • → Le drame intérieur du Danois moyen Dorthe Wendt • août 2006 Aperçu
  • → Soenderborg, vitrine ordonnée d'une société modèle Ingrid Carlander • mai 1993 Aperçu
  • Les entreprises françaises défiées dans leur pré carré Olivier Piot • pages 22 et 23 Aperçu Après des décennies d'expansionnisme tranquille, les entreprises hexagonales doivent affronter la concurrence chinoise, indienne ou turque sur le continent noir. Si elles se risquent désormais hors de l'ancien pré carré colonial, en ont-elles pour autant terminé avec la connivence qui les liait aux régimes autoritaires « amis de la France » ?
  • → Trafics d'influence en Afrique Anne-Cécile Robert • janvier 2017 Aperçu
  • → L'Afrique n'est plus l'eldorado des entreprises françaises Anne-Valérie Hoh & Barbara Vignaux • février 2006 Aperçu
  • → Afrique et communauté franco-africaine Félix Houphouët-Boigny • novembre 1958 Aperçu
  • Aux origines du présidentialisme Sylvie Aprile • page 27 Aperçu Fondé sur l'élection directe du chef de l'État, le régime présidentiel français découle d'une révision constitutionnelle adoptée par référendum en 1962. De tradition bonapartiste, le général de Gaulle choisit de revenir à un mode de désignation qui, dès sa naissance en 1848, avait posé le problème du respect de la souveraineté populaire par le pouvoir exécutif.
  • → Bonapartisme ou Constituante André Bellon • avril 2014 Aperçu
  • → Le suffrage universel, « invention » française Alain Garrigou • avril 1998
  • → Le présidentialisme en accusation Henri Caillavet • février 1980 Aperçu
  • La mystérieuse affaire du style Sophie Divry • page 28 Aperçu Un écrivain qui veut jouer dans la cour des grands cherche à mettre au point un style bien à lui, pour être à la fois identifié et distingué. Le summum du chic est d'être reconnaissable en quelques lignes. L'écrivain qui n'y parvient pas contracte un complexe : serait-il médiocre, dilettante ou schizophrène ?
  • → Littérature engagée, littérature au rabais ? Jean-Paul Sartre « Artistes, domestiqués ou révoltés ? », Manière de voir nº 148, août - septembre 2016
  • → Le geste essentiel Nadine Gordimer • janvier 1985 Aperçu
  • → Comment se déroula le voyage que Flaubert entreprit en Tunisie au printemps 1858 Aimé Dupuy • décembre 1962 Aperçu
  • Le mythe des Hutus et des Tutsis

    Tue, 11/04/2017 - 19:41

    Historiens et sociologues ont abondamment démontré que les Tutsis et les Hutus ne constituent pas des tribus ou des ethnies : ils ne sont pas issus de terroirs distincts ; ils partagent une même langue, une même culture, les mêmes références religieuses. Il ne s'agit pas non plus de castes, car les mariages mixtes ont de tout temps été fréquents.

    Le vocable le plus adapté est donc celui d'« ordres », au sens où ils existaient dans la France d'avant 1789. Or, si l'on pense à l'Europe prérévolutionnaire, on voit bien que les ordres y organisaient une très grande variété de rapports, à la fois entre leurs membres et les uns avec les autres. Au Rwanda, le contrat informel patron-client, l'ubuhake, était extrêmement dur, puisqu'il assignait la masse des paysans hutus à un statut proche du servage. Au Burundi, le contrat d'ubugabire instaurait des rapports plus tolérables : le travail était ponctuel et rémunéré en nature (par l'usage du bétail, par exemple).

    Autre différence de taille : le royaume rwandais recourait largement à la guerre. Il se trouvait ainsi constamment en conflit avec ses voisins des royaumes du Nkore (dans l'Ouganda d'aujourd'hui), du Karagwe (dans le nord-ouest de l'actuelle Tanzanie) et des Kivus (au Congo). Le Rwanda était la Prusse de la région, pas sa Bavière. Le Burundi se montrait beaucoup plus paisible et devait parfois se défendre face au Rwanda. En outre, alors qu'au Rwanda la dynastie royale était clairement identifiée aux Tutsis, au Burundi la lignée monarchique Ganwa n'était considérée ni comme tutsie ni comme hutue, mais comme un groupe séparé qui incarnait l'identité nationale.

    Gestes et signaux

    Tue, 11/04/2017 - 12:25

    L'artiste communique mais n'a pas forcément de message à délivrer. Car l'œuvre est un tâtonnement et le temps, celui de l'inattendu qu'on n'attend pas, lui donne petit à petit son sens pour le plus grand nombre.

    « L'Usinage des roses », de la série « Hommes rouges », par Henri Cueco, de la coopérative des Malassis, 1969. © Henri Cueco.

    L'Artiste travaille-t-il pour lui, pour les autres ? L'artiste, l'écrivain, le compositeur travaille non pas pour lui mais avant tout avec lui-même. Il met en forme, en langage spécifique, ce qu'il éprouve. Son plaisir, qui passe par la maîtrise de ses sensations, s'investit dans ce langage. Et c'est cette mise en forme qui permet à l'autre — aux autres — de reconstituer le trajet de ses émotions et des métamorphoses qu'il leur a fait subir. On ne peut « s'exprimer » sans qu'il y ait mise en forme. L'œuvre d'art n'existe que par la mise en forme.

    Le langage de l'art n'est pas un vrai langage. Il ne passe pas par le code du langage parlé ou écrit. Il crée son propre code qui ne se traduit pas aisément en langue verbale ou écrite. L'artiste, le peintre (1), ne se parle pas forcément avec des mots lorsqu'il réalise son ouvrage, si complexe soit-il. La réalisation des œuvres est autant physique que mentale. Elle passe par le corps autant que par l'esprit. Elle est une pensée souvent informulée, informulable, qui utilise d'autres matériaux que ceux de la langue.

    Une approche experte et avant tout passionnée

    Par analogie avec le langage, elle utilise des systèmes de signes communs à toute situation de communication. Economie des signes, analogies entre eux, interversion des signes. Pour constituer du vivant, elle exploite en même temps, dans un même geste, une quantité considérable de signaux. Pour le peintre, couleur, lignes, lumière, volume, espace (creux et plat). La peinture est infirme de la troisième dimension et invente pour compenser une série de codes qui dépassent cette contrainte et l'acceptent tout à la fois.

    L'art communique mais n'est pas réductible à un message. Lorsque « l'autre » connaît le code, il peut reconstituer certains aspects des sensations qui ont animé la création de l'objet, il peut même, si l'objet est « vivant », aller au-delà de la conscience du peintre. Mais il n'y a pas message au sens où nous l'entendons dans la communication aujourd'hui. Il y a dans les œuvres une potentialité de messages mais que le verbe, par paraphrases, reconstitue imparfaitement.

    L'approche de l'art est une approche experte, et avant tout passionnée. Elle suppose un travail où effort et délectation se conjuguent. Le contact passager ou touristique ne révèle pas grand-chose. Cette rencontre suppose une initiation pour laquelle le désapprentissage est aussi important parfois que l'apprentissage. Il existe aussi — mais rarement — des croisements qui permettent des contacts immédiats qui demanderont plus tard des approfondissements.

    Dans une démocratie approfondie, les connaisseurs d'art se recruteront dans toutes les classes de la société. La méconnaissance de l'art peut être un choix, mais elle ne doit pas être le fait d'une exclusion sociale. L'approche de l'art est un enjeu social. Elle ouvre à la reconnaissance des cultures du monde. Elle participe aussi à un imaginaire collectif qui s'investit en partie dans la production.

    Tant qu'il n'y a pas coïncidence entre la culture (on devrait dire l'inculture) des élites économiques ou sociales et celle des élites du savoir, de l'art en particulier, il existera un espace ouvert pour des utopies sociales. Les artistes rêvent souvent d'une aristocratie culturelle recrutée dans toutes les classes et qui imaginerait une société fraternelle. La violence pourrait alors devenir le ferment d'un imaginaire social au lieu d'en être une dynamique mortifère. L'art, la culture, sont devenues des valeurs partageables dès lors qu'elles sont reconnues comme richesses patrimoniales. La difficulté avec l'art — surtout l'art contemporain — est qu'il n'existe qu'après coup, à l'état de valeur ; lorsque, son évaluation faite, il devient un bien public.

    Dans un premier temps le processus créatif s'exclut de la collectivité publique. Le futur artiste refuse les formes et les valeurs instituées par ses prédécesseurs qui accaparent l'espace. Il paraît dans un temps de flottement comme simple contestataire — les désordres qu'il crée demandent réparation — jusqu'à ce qu'il compense cette perte de sens par celle qu'il s'emploie à établir. Sous la forme d'objet nouveau, l'art, un temps plus ou moins long, n'appartient pas à la culture. Il est le terreau, le fumier, dans lequel va germer la graine. La plante qui va naître sera hybride, exotique, mutante et il faudra un temps avant de tester sa toxicité ou ses bienfaits.

    Dans cette phase de reconstitution, la création n'est pas toujours recevable. Elle produit des formes et du sens qui ne sont pas aisément perceptibles. Dans le temps de création où l'art se fait marge et rupture, où l'agressivité permet de se différencier, où l'artiste s'isole et peut devenir misanthrope, la démocratie n'a pas sa place. Elle l'aura par la suite, lorsque la part d'agression sera compensée par des propositions nouvelles. La création alors deviendra culture pour les gens, le public… L'exclusion trop longue du champ culturel est souvent fatale au créateur, son introduction trop immédiate dans le circuit, le repérage jeuniste à des fins de mode (d'auto-légitimation pour le légitimateur) ne sont pas forcément féconds.

    Le refus des formes et des valeurs instituées

    La première difficulté rencontrée aujourd'hui concernant le rapport art et démocratie est paradoxale. Tout d'abord le terrain de l'art et de l'esthétique s'est mis en question lui-même au point de mettre en doute l'existence ou les limites de son champ. Quel est en effet le champ propre à l'art dès lors qu'on l'étend à tout et qu'on prophétise sa disparition ? Le paradoxe encore est que son isolement perdure au temps où pénètrent dans la zone réputée art toutes les activités de la marge (dites mineures autrefois) et qui touchent à l'art de masse, soit à ce que le public le moins cultivé consomme.

    Les écoles d'art aujourd'hui en sont réduites à multiplier les exemples de créations issues du monde entier, sans concept fédérateur, brouillant souvent pistes du savoir et de la pensée naissante — ou de la sensibilité — des jeunes artistes. « Comment préserver son ignorance ? » devient parfois face à ce gavage culturel le moyen de conserver un peu de son intégrité, de sa personnalité initiale. En même temps, face à la montée des informations, à la circulation des modèles, le jeune artiste ne peut se montrer démuni. Il doit connaître.

    Un territoire de chasse fréquenté

    La naïveté naissante, la fraîcheur d'âme, le don angélique ne résisteront pas à la submersion par les images venues du monde entier. Si l'enseignement diffusé par les Beaux-Arts n'a pas trouvé la formule pour faire surgir la créativité, il n'a pas forcément non plus trouvé celle qui ne la détruit pas. Il sait former des gens aptes à recevoir l'inattendu, adaptables aux situations de mobilité créées par des concepts nouveaux, face à la mondialisation des savoirs. Il y a peu de chômeurs parmi les gens issus des écoles de beaux-arts, mais pas forcément beaucoup d'artistes.

    Au temps de mes, premiers pas en matière de pratique professionnelle (années 1950, 1960), il semblait normal de soumettre nos œuvres à l'épreuve du temps, sans doute parce que même sans le savoir nous nous soumettions à des rituels, des barrages convenus qui marquaient la réussite professionnelle. Des œuvres soumises à des jurys (salons, propositions d'achat), qui selon Pierre Gaudibert, conservateur alors au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, obéissaient à trois critères : l'engagement de l'artiste dans sa pratique, la nouveauté des significations, la capacité à articuler des formes elles-mêmes nouvelles.

    Aujourd'hui, et sans doute ce phénomène est-il accentué depuis les années 1960, les œuvres sont jugées selon un critère dominant : la capacité à faire nouveau, inattendu. Cet inattendu est la qualité majeure reconnue à l'intérieur de conventions qui sont la marque de l'art contemporain. C'est un inattendu attendu par un petit groupe d'experts. Comme cet inattendu ne fait référence à aucune convention historique, il apparaît souvent sur les limites de la provocation. L'artiste joue de la provocation qui excite les médias. tomme les organisateurs institutionnels ne peuvent s'attacher à aucun critère solide (une des caractéristiques de la génération étant la rupture avec les critères antérieurs), le « n'importe quoi » est possible mais dans ce n'importe quoi se trouveront sans doute des œuvres majeures qu'il faudra apprendre à décoder. Ces organisateurs — experts, conseillers, inspecteurs, chargés de mission, journalistes — n'ont pas à craindre dans le travail de non-choix d'être déconsidérés, ils jouent tous les artistes au même niveau, et la presse consacre les consacrés, enrichit les riches, etc. Le critère le plus solide aux yeux des médias étant la légitimation établie par les médias, c'est-à-dire par eux-mêmes. C'est la légitimation en rond.

    Aujourd'hui, de nombreuses œuvres n'existent qu'accompagnées de textes explicatifs ou philosophiques ; l'œuvre y devient un produit dit de communication. Sans le texte édifiant qui devient partie intégrante de l'œuvre, celle-ci demeurerait souvent insignifiante.

    Ce texte est son mode d'emploi, sa posologie. Le moins de temps possible doit séparer un produit frais de sa consommation. Si on attend, il s'étiole ou disparaît avant de devenir obsolète. Le territoire des inattendus est un territoire de chasse très fréquenté. Il faut alors montrer vite et tambour battant, se propulser dans la tourmente pouf être célèbre, ce quart d'heure que prévoyait Andy Warhol.

    (1) Je dirai le « peintre » pour le « plasticien », me référant avant tout à ma pratique.

    Qu'est-ce que l'acte de création ?

    Fri, 07/04/2017 - 16:07

    Pour le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995), l'œuvre d'art est irréductible au champ de la communication et constitue un moyen de s'opposer aux injonctions du pouvoir. Créer, c'est résister à ce qui entend contrôler nos vies.

    La communication, c'est la transmission et la propagation d'une information. Or, une information, c'est quoi ? Ce n'est pas très compliqué, tout le monde le sait : une information, c'est un ensemble de mots d'ordre. Quand on vous informe, on vous dit ce que vous êtes censés devoir croire. En d'autres termes : informer c'est faire circuler un mot d'ordre. Les déclarations de police sont dites, à juste titre, des communiqués ; on nous communique de l'information, c'est-à-dire, on nous dit ce que nous sommes censés être en état ou devoir croire, ce que nous sommes tenus de croire. Ou même pas de croire, mais de faire comme si l'on croyait, on ne nous demande pas de croire, on nous demande de nous comporter comme si nous le croyions. (…) Ce qui revient à dire : que l'information, c'est exactement le système du contrôle. (…)

    Quel est le rapport de l'œuvre d'art avec la communication ? Aucun. L'œuvre d'art n'est pas un instrument de communication. L'œuvre d'art n'a rien à faire avec la communication. L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l'information et la communication, oui, à titre d'acte de résistance. Quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d'art et un acte de résistance, alors même que les hommes qui résistent n'ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l'art ? Je ne sais pas. Malraux développe un bon concept philosophique. Il dit une chose très simple sur l'art : « C'est la seule chose qui résiste à la mort. » (…) Oui, sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire, oui, l'art c'est ce qui résiste. Tout acte de résistance n'est pas une œuvre d'art, bien que, d'une certaine manière il le soit. Toute œuvre d'art n'est pas un acte de résistance et pourtant, d'une certaine manière, elle l'est… (…) L'acte de résistance, il me semble, a ces deux faces : seul il résiste à la mort, soit sous la forme d'une œuvre d'art, soit sous la forme d'une lutte des hommes.

    Et quel rapport y a-t-il entre la lutte des hommes et l'œuvre d'art ?

    Le rapport le plus étroit et pour moi le plus mystérieux. Exactement ce que Paul Klee voulait dire quand il disait : « Vous savez, le peuple manque. » (…) Il n'y a pas d'œuvre d'art qui ne fasse appel à un peuple qui n'existe pas encore.

    Extrait de la conférence « Qu'est-ce que l'acte de création ? » donnée dans le cadre des Mardis de la fondation Femis, 17 mai 1987.

    Aucune écriture n'est innocente

    Fri, 07/04/2017 - 16:07

    Le 4 octobre 1984, le leader socialiste et panafricaniste Thomas Sankara, élu président du Burkina Faso en 1983, prononça à l'ONU un discours qui marqua les esprits. Il fut assassiné trois ans plus tard.

    (…) Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu'il n'y a pas d'écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d'hier et d'aujourd'hui le monopole de la pensée, de l'imagination et de la créativité. (…)

    Nous voudrions que notre parole s'élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair. Tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité par une minorité d'hommes ou par un système qui les écrase. (…) Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé, mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part. (…)

    Je parle au nom des artistes — poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs —, hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l'alchimie des prestidigitations du show-business. Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage. Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l'esclavage moderne. (…)

    Notre révolution, au Burkina Faso, est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s'inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l'humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers-monde. (…)

    Extrait de Thomas Sankara parle. La révolution au Burkina Faso, 1983-1987, Pathfinder, Atlanta (États-Unis), 2007.

    Génial, malgré tout

    Fri, 07/04/2017 - 16:05

    Le compositeur polonais Krzysztof Meyer place en exergue de son étude (1) ce mot de Heinrich Heine : « La plume du génie est toujours plus grande que lui-même. » Le ton est donné : un génie, Chostakovitch le fut. L'homme ? Il signa des textes honteux, produisit des morceaux officiels nuls, mais prit aussi des risques considérables pendant une trentaine d'années. L'auteur fait se dérouler d'œuvre en œuvre l'épopée où se mêlent la vie privée, la vie publique et la création d'un homme « si intimement attaché à la Russie que l'on a peine à imaginer que son talent ait pu s'épanouir hors des frontières de sa patrie ». Meyer met en valeur avec talent témoignages et citations dans ces belles pages consacrées au bouleversant Huitième Quatuor, composé en trois jours par Chostakovitch à sa propre mémoire. Le communisme interdisait que sa vie fût un chef-d'œuvre ; il n'a pu étouffer la naissance d'une des plus grandes musiques de tous les temps.

    (1) Dimitri Chostakovitch, Fayard, Paris, 1994.

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