C’est la saison des cadeaux et Politique étrangère ne se prive pas de vous faire plaisir ! Nous vous offrons à la lecture un second article du nouveau numéro (n°4/2016) : « Brexit : Que s’est-il passé ? Que va-t-il se passer ? », par Jolyon Howorth et Vivien Schmidt.
Le Brexit est à bien des égards l’accident qu’on attendait. Voici des décennies que les Britanniques sont soumis à un régime de fausses vérités eurosceptiques, diffusées par des élites médiatiques et politiques qui n’ont jamais tenté de montrer les aspects positifs du projet européen. La campagne du référendum a opposé ceux qui expliquaient pourquoi le Royaume-Uni devait quitter l’Union européenne, à ceux qui expliquaient pourquoi il ne devait pas la quitter. Les raisons de rester, les traits positifs de l’UE ont été oubliés. Mais le résultat du vote pourrait avoir, pour le Royaume-Uni comme pour l’Union européenne, mais aussi pour les relations transatlantiques – et donc pour l’ordre international libéral lui-même – des conséquences incalculables.
Le poids du passé
Le 11 novembre 1944, Winston Churchill rendait une visite symbolique à Charles de Gaulle pour commémorer l’armistice de 1918. Le général avança alors que si la France et le Royaume-Uni avaient eu de la guerre des expériences très différentes, les deux pays n’en étaient pas moins, à mesure que sa fin approchait, objectivement dans la même situation : d’anciens empires et de solides civilisations, mais des puissances moyennes et ruinées financièrement. Pourquoi, exhortait de Gaulle, ne joindraient-ils pas leurs forces et ne dirigeraient-ils pas ensemble une superpuissance européenne ? Churchill partageait l’analyse de de Gaulle, mais, remarqua-t-il, le Royaume-Uni avait, à la différence de la France, une autre solution : le lien transatlantique. La Grande-Bretagne manqua le coche à cette occasion et continua dès lors de le manquer. Le Brexit est la dernière manifestation – quoique sans doute la plus alarmante – des relations tortueuses, et pour finir ratées, du Royaume-Uni avec l’Europe. […]
La situation politique produite par le Brexit
Une majorité d’électeurs anglais et gallois ont rejeté les arguments du Remain, tandis que l’Écosse et l’Irlande du Nord s’y montraient favorables. La stratégie du gouvernement conservateur a essentiellement consisté à instiller la peur des conséquences délétères pour l’économie d’un vote en faveur d’une rupture avec l’UE. Cette approche négative, impuissante à décrire les bonnes raisons qu’auraient les électeurs britanniques de rester dans l’UE, n’est pas parvenue à convaincre. Si les économistes et les experts jugeaient qu’en quittant l’Union le Royaume-Uni courrait au désastre, on entendit jusque dans la City des voix – et non des moindres – se déclarer en faveur d’un départ de l’UE, en dépit des inquiétudes suscitées par la perte éventuelle des droits liés au « passeport financier », qui pénaliserait les transactions avec le continent. Un argument fut souvent repris : si Cameron pensait vraiment qu’un vote pour la séparation conduirait à la catastrophe, pourquoi avait-il déclaré, durant les négociations avec l’UE, qu’il ferait lui-même campagne pour le Leave s’il n’obtenait pas satisfaction ? Et, poursuivait-on, si tout cela était d’aussi mauvais augure pour la Grande-Bretagne, pourquoi, d’abord, avoir décidé de la tenue d’un référendum ? La réponse était que le référendum ne concernait pas tant l’UE que le Parti conservateur lui-même : en annonçant sa tenue, Cameron cherchait surtout à panser les plaies de son parti, divisé entre des membres de plus en plus eurosceptiques et des europhiles de moins en moins nombreux, mais aussi miné par le glissement des électeurs conservateurs vers le UKIP (United Kingdom Independence Party). Mauvais calcul.
[…]
Se pencher sur les inquiétudes des Brexiters n’implique pas qu’on doive leur céder, pas plus qu’on ne doit laisser la porte ouverte aux appels des populistes qui entendent organiser dans toute l’Europe des référendums de sortie. Cela signifie repenser l’UE, d’une façon qui puisse répondre aux mécontentements par la créativité institutionnelle, par un new deal encourageant la poursuite de l’intégration tout en respectant les citoyens qui souhaitent un meilleur contrôle national et plus de démocratie.
La Grande-Bretagne s’est mise avec le Brexit dans une situation inextricable. Il n’est pas impensable qu’après quelques décennies d’isolement humide au milieu de la mer du Nord, mal-aimé et peu apprécié du reste du monde, le Royaume-Uni – vers le milieu du xxie siècle – décide de re-présenter une demande d’adhésion à l’Union européenne, en accepte toutes les obligations, et devienne le plus discipliné et le plus enthousiaste de ses membres.
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Soixante-trois ans après la fin de la guerre qui a divisé la Corée en deux, aucun traité de paix n'a été signé pour normaliser les relations entre les deux pays. Au Sud, les dirigeants conservateurs imaginent une absorption du Nord sur le modèle de la réunification allemande. L'histoire coréenne ne présente pourtant que peu de points communs avec celle de l'Allemagne.
Lee Gap Chul. – Dans le quartier de Sanbokdoro à Busan (Corée du Sud), 2014 Ses photographies sont exposées à La Maison de la Chine, place Saint-Sulpice à Paris jusqu'au 26 février 2016.Emouvantes retrouvailles entre Coréens du Nord et du Sud dans la célèbre station du mont Kumgang, en République populaire démocratique de Corée (RPDC). Larmes et sourires mêlés, des hommes et des femmes, souvent très âgés, ont revu un frère, une sœur, une mère, un père, un fils ou une fille pour la première fois depuis la cassure de la péninsule, en 1953. En vertu de l'accord de l'été dernier entre les deux gouvernements, 400 Sud-Coréens, tirés au sort parmi les 66 488 personnes qui en avaient fait la demande auprès des autorités de Séoul, ont été autorisés à franchir la frontière, le 20 octobre 2015 (1). Quand ces rencontres cesseront-elles de faire l'événement pour appartenir à la vie quotidienne ? Nul ne le sait.
Certes, on trouve au Nord de formidables fresques saluant l'unification et, au Sud, un ministère du même nom. De chaque côté, on assure rechercher les voies de l'indispensable réunion « du » peuple coréen. Mais, dans les faits, le rapprochement n'avance guère. Pour la plupart des commentateurs, la faute en revient aux dirigeants nord-coréens et à leurs lubies provocatrices. Celles-ci apparaissent d'autant plus dangereuses que Pyongyang affirme détenir l'arme nucléaire. Pour autant, nombre d'observateurs, en Corée du Sud, refusent de lui faire porter le chapeau. Ils soulignent la responsabilité des gouvernements de Séoul, notamment depuis 2008. Beaucoup pointent également du doigt les Etats-Unis.
Pour comprendre les peurs qui agitent les deux Corées, il faut se replonger dans une histoire lourde de drames. Dès 1910, la péninsule est occupée par le Japon, qui impose un régime d'une cruauté extrême — une occupation, avec son lot de résistances (plutôt au Nord, industrialisé) et son cortège de collaborateurs. Libéré des Japonais, le territoire se retrouve livré aux « forces de paix » : au Nord, les troupes soviétiques, Kim Il-sung prenant la tête du pays ; et au Sud, les Etats-Unis, qui installent un pouvoir autoritaire en s'appuyant sur des forces ayant collaboré avec Tokyo. Jouant du dépit des progressistes, le Nord envahit le Sud, avant d'être repoussé par l'armée américaine, mandatée par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations unies (ONU), alors boycottée par l'URSS. S'ensuivra un déluge de feu auquel participera — au moins symboliquement — la France. Le général Douglas MacArthur, qui dirige les opérations, menace à plusieurs reprises d'utiliser l'arme atomique (2). Seule l'entrée en guerre des troupes chinoises évitera à la Corée du Nord l'éradication totale et à la Chine le stationnement de l'armée américaine à ses frontières.
Quand le Nord dépassait le SudLe 27 juillet 1953, un armistice est signé à Panmunjeom, sur le 38e parallèle, ligne de démarcation d'avant l'offensive militaire. Une guerre pour rien, en quelque sorte. Aujourd'hui encore, deux baraquements bleus, séparés par des dalles en béton au sol, matérialisent la frontière dans la « zone démilitarisée » (demilitarized zone, DMZ), avec d'un côté des soldats américains (estampillés ONU) et sud-coréens et de l'autre des militaires nord-coréens, figés dans un invraisemblable face-à-face.
A rebours des idées reçues, l'ancien ministre sud-coréen de l'unification (2002-2004) Jeong Se-hyun, rencontré à Séoul quelques semaines avant le voyage des familles de l'autre côté de la frontière, rappelle qu'il fut un temps où « c'est le Sud qui craignait une réunification sous l'égide du Nord ». Ce dernier, malgré les dévastations, affichait alors un produit intérieur brut (PIB) deux fois plus élevé. Mais, au milieu des années 1960, le Sud décolle tandis que le Nord régresse. La peur change de camp, mais la méfiance s'installe de part et d'autre.
Ce septuagénaire qui a vu alterner des périodes d'ouverture et de complète fermeture raconte avec moult détails la saga des deux frères ennemis, où le plus inconstant n'est pas celui qu'on croit : « La politique du Sud vis-à-vis de la Corée du Nord change au rythme des présidents de la République. Elle varie en fonction de leur sentiment anticommuniste (ou non) ainsi que de leur croyance (ou non) dans l'effondrement rapide du Nord. »
Dès 1972, une première « déclaration commune » envisage une possible « réunification ». Mais c'est après la fin de la dictature au Sud, et surtout après la chute du mur de Berlin, que Séoul change de braquet. « Le président Roh Tae-woo [1988-1993] a senti que le monde bougeait. Il avait beau être un militaire, il n'était pas obsédé par l'anticommunisme, et il a jeté les bases d'un accord avec Pyongyang », explique M. Jeong. Le 21 septembre 1991, les deux Corées intègrent officiellement l'ONU. Trois mois plus tard, elles signent un « accord de réconciliation, de non-agression, d'échanges et de coopération » — une énumération de grands principes. Mais, à défaut d'entrer dans l'état de paix, on est sorti de l'état de guerre.
Selon M. Jeong, les dirigeants nord-coréens veulent en profiter pour normaliser leurs rapports avec les Etats-Unis ; d'autant que les aides soviétiques se sont volatilisées avec l'URSS. En janvier 1992, assure-t-il, « Kim Il-sung envoie son propre secrétaire au siège de l'ONU à New York pour une rencontre secrète avec un émissaire américain, porteur d'un seul message : “Nous renonçons à réclamer le retrait des troupes américaines du Sud ; en contrepartie, vous garantissez que vous ne remettrez pas en cause l'existence de notre pays.” George Bush père répondra à l'offre par le silence. C'est à ce moment que Kim Il-sung lance sa politique nucléaire, convaincu que Washington veut rayer la RPDC de la carte ». Ce qui n'était pas entièrement faux. Comme tout Sud-Coréen, M. Jeong désapprouve ce recours au nucléaire, mais il insiste sur l'ordre des responsabilités, contredisant l'histoire officielle : Washington jette de l'huile sur le feu ; Pyongyang réagit.
A Séoul, le successeur de M. Roh, Kim Young-sam, est persuadé, à l'instar du président américain, que le Nord communiste va s'effondrer, comme l'Allemagne de l'Est en son temps. Il cadenasse toutes les issues afin de précipiter sa perte. La RPDC, elle, connaît une période de famine dans la seconde moitié de la décennie 1990, qui fait près d'un million de morts et dont les séquelles se font sentir jusqu'aujourd'hui (3). Mais la dure répression et les réflexes nationalistes de sa population l'empêcheront de voler en éclats.
La légende assure que le blocus a été brisé en 1998, quand Chung Ju-yung, le fondateur de Hyundai, l'un des plus puissants chaebol (conglomérats) sud-coréens, franchit la frontière à la tête d'un troupeau de mille vaches, symbole de l'aide humanitaire, avant de rencontrer le président nord-coréen. Mais la grande percée sera la poignée de main historique entre Kim Jong-il (Nord) et Kim Dae-jung (Sud), en juin 2000. S'ouvre alors une décennie de dialogue et d'échanges : ouverture d'un site touristique au mont Kumgang (2003) et d'une zone industrielle à Kaesong, en territoire nord-coréen, avec des entreprises sud-coréennes (2004) ; reconnexion, sous surveillance, de quelques liaisons ferroviaires et routières (2007), etc.
Cette sunshine policy (« politique du rayon de soleil »), ainsi baptisée par Kim Dae-jung en référence à la fable d'Esope Le Soleil et le Vent, a connu bien des orages, alimentés par les surenchères nucléaires de Pyongyang (trois essais depuis 2006), les intransigeances américaines, l'ambiguïté chinoise. Elle a complètement sombré avec l'arrivée en 2008 du président conservateur sud-coréen Lee Myung-bak, qui fait le choix de la confrontation. Seul vestige de cette décennie prometteuse : le complexe de Kaesong.
Faut-il pour autant tirer un trait sur tout espoir de paix, voire de réunification ? Bien que conservatrice comme M. Lee, la présidente Park Geun-hye avait promis en arrivant au pouvoir, en 2013, de bâtir une « politique de confiance » (trust policy), à mi-chemin entre la « politique du rayon de soleil » et la fermeture totale de son prédécesseur. Mais, si l'on excepte les rencontres familiales d'octobre dernier, rien ne semble bouger. « Mme Park appuie sur le frein et sur l'accélérateur en même temps, lance M. Jeong. Cela fait beaucoup de bruit, mais on reste sur place. »
Washington, le grand obstacleDirecteur du Centre des études nord-coréennes à l'institut Sejong à Séoul, Paik Hak-soon n'est guère plus tendre avec la présidente, qu'il accuse de manipuler la question nord-coréenne pour de sombres raisons de politique intérieure (lire « Virage autoritaire à Séoul »). Dans son bureau à l'entrée du campus, il insiste sur l'impressionnante parade militaire organisée par le président du Nord, M. Kim Jong-un, le 10 octobre 2015 ; un tournant dont le plus marquant n'est pas le déploiement des forces armées, mais sa signification politique : le dictateur affirme ainsi son « contrôle sur les affaires militaires et économiques, sur l'Etat et le parti ». Dommage que, se focalisant sur les tares du régime, la presse « ignore ce qui change », ajoute-t-il : « L'économie nord-coréenne se porte mieux. Kim Jong-un a consolidé son pouvoir. Il a amélioré ses relations avec le Japon, qui, depuis mai 2014, a levé certaines sanctions [comme l'interdiction des transferts d'argent liquide] et avec lequel il a entamé des négociations sur la question des citoyens japonais kidnappés (4). Il a réglé le contentieux avec la Russie sur la dette (5) [11 milliards d'euros datant de la période soviétique, que M. Vladimir Poutine a effacés à 90 %]. Et Moscou a rouvert en septembre 2015 une portion de voie ferrée reliant la ville russe de Khassan à la ville nord-coréenne de Rajin. »
Autre spécialiste reconnu, Koh Yu-hwan estime lui aussi que la période est favorable. « Kim Jong-un essaie d'améliorer les relations avec la Corée du Sud et aimerait apaiser les tensions avec les Etats-Unis. Ce n'est que si le dialogue ne marche pas qu'il se lancera dans de nouvelles provocations. » Ce directeur de l'autre grand institut d'études nord-coréennes de Séoul — à l'université de Dongguk, celui-là — est l'un des rares chercheurs à pouvoir franchir la frontière dans le cadre des échanges entre son université (bouddhiste) et le temple rénové du mont Kumgang. Il participe à la commission présidentielle pour la préparation de l'unification, placée sous l'autorité directe de Mme Park, sans contrôle, et très critiquée par les milieux progressistes et pacifistes. Il y apparaît comme une voix singulière prônant le dialogue dans un océan de préjugés.
Lee Gap Chul. – Jeunes filles célestes sur le mont Mari pendant le rituel d'adoration du ciel, île de Ganghwa (Corée du Sud), 1992Pour la majorité des responsables sud-coréens, en effet, le régime de Pyongyang ne peut que s'effondrer. Le 25 octobre dernier, le journal conservateur Chosun Ilbo, le plus lu du pays, posait en « une » une question purement rhétorique : « Les jours du régime nord-coréen sont-ils comptés ? » Et l'éditorialiste de citer la « désaffection croissante des élites » : 8 hauts cadres du régime ont trouvé refuge au Sud en 2013 et 18 en 2014, sur un total de réfugiés en baisse (2 600 par an entre 2008 et 2012, 1 596 en 2014). En attendant le grand soir, les études comparatives avec l'Allemagne se multiplient. Et c'est à Dresde, le 28 mars 2014, que Mme Park a proposé une « initiative pour la réunification pacifique de la péninsule » (6). Avec toujours l'idée du triomphe d'une Corée capitaliste et démocratique sur toute la péninsule.
Toutefois, la comparaison avec les deux Allemagnes des années 1970-1980 n'apparaît guère pertinente, notamment parce que les deux Corées se sont affrontées militairement au cours d'une guerre civile. Malgré une histoire et une culture communes, de profondes haines demeurent. De plus, les divergences sont bien plus fortes : si l'économie ouest-allemande était quatre fois plus forte que l'est-allemande, dans le cas des deux Corées, le rapport est de 1 à 60. Pas étonnant que la nouvelle génération sud-coréenne, qui a déjà du mal à trouver sa place dans une société en crise, ne manifeste pas un grand enthousiasme à l'idée de payer pour accueillir un voisin qu'elle ne connaît qu'à travers les caricatures. C'est si vrai que les réfugiés nord-coréens demeurent maltraités, condamnés aux petits boulots et le plus souvent discriminés (7).
Personne ne peut dire si le régime de Pyongyang perdurera ; mais tabler sur son effondrement empêche toute réflexion pour sortir d'une politique de la confrontation. Au contraire, « si l'on part de l'idée que la Corée du Nord va continuer à exister, assure Koh Yu-hwan, alors il faut trouver des voies pour le dialogue et la négociation. Tout le monde a intérêt à ce qu'elle s'intègre au capitalisme mondial ». Comme la plupart des experts rencontrés, il prône une politique des petits pas. Tel M. Choi Jin-wook, président du très officiel Institut de Corée pour l'unification nationale (Korea Institute for National Unification) à Séoul : « Les relations entre les deux pays ayant connu une série de progrès et de régressions, la confiance est très largement entamée. Il faut donc commencer par de petites choses et avancer pas à pas. »
Sur le principe, tout le monde semble d'accord. Quant aux actes… Park Sun-song, enseignant et chercheur à l'Institut des études nord-coréennes de l'université Dongguk, met en cause l'ordre des priorités martelé par la présidente Park : l'abandon de l'arme nucléaire par Pyongyang en contrepartie d'une aide humanitaire et de négociations. « Bien sûr, la dénucléarisation reste un objectif-clé ; mais, compte tenu de la densité des armes accumulées dans la péninsule, traiter cette question sous son aspect purement militaire ne peut être vécu par Pyongyang que comme une pression. »
Il faut rappeler que, si la Corée du Nord n'a rien d'un ange de la paix et brandit régulièrement la menace militaire, la Corée du Sud possède des armes ultramodernes, avec des systèmes antimissiles américains, et que les Etats-Unis y maintiennent près de 29 000 soldats. Le nucléaire, poursuit Park Sun-song, « n'est que l'un des problèmes à résoudre. C'est en œuvrant au processus de paix et de coopération que l'on obtiendra la dénucléarisation, et non l'inverse. Cela concerne le Nord, le Sud, mais aussi l'ensemble de l'Asie du Nord-Est » — et, bien sûr, les Etats-Unis : « Aujourd'hui comme hier, explique l'ex-ministre de l'unification Jeong, ils représentent l'obstacle le plus important à une normalisation entre les deux Corées. »
Non seulement Washington refuse tout dialogue bilatéral avec Pyongyang, mais les exercices militaires conjoints avec l'armée sud-coréenne exacerbent les peurs. Il s'agissait à l'origine d'« entraîner les troupes américaines et sud-coréennes à lutter contre une infiltration des forces spéciales nord-coréennes au cœur du territoire sud-coréen, rappelle Moon Chung-in, professeur de sciences politiques à l'université Yonsei à Séoul. Puis, en 2013, l'objectif a été modifié, et les Etats-Unis ont déployé des armes tactiques : outre des sous-marins nucléaires, des bombardiers B-52 et des bombardiers furtifs B-2, capables d'embarquer des armes nucléaires, ainsi que des chasseurs furtifs F-22 et des destroyers équipés du système antimissile Aegis (8) ». Moon Chung-in ne minimise pas le « comportement belliqueux » de Pyongyang ; mais, dit-il, « c'est bien un accroissement des menaces américaines qui a conduit le pouvoir nord-coréen à adopter une telle posture ».
La réaction de la RPDC — menace nucléaire, lancement de missiles — ne lui a cependant pas permis d'obtenir la négociation réclamée avec Washington. En octobre dernier, la télévision d'Etat nord-coréenne a enfin appelé à sortir de « l'escalade de la tension » : « Si les Etats-Unis tournent courageusement le dos à leur politique actuelle [et négocient un traité de paix], nous serons heureux de répondre par un comportement constructif. Nous avons déjà envoyé un message par des canaux officiels pour des pourparlers de paix, et nous attendons la réponse (9). » Sans doute Pyongyang espère-t-il des négociations comme avec l'Iran. Mais, rappelle Koh Yu-hwan lors de notre rencontre à Dongguk, « l'Iran n'a pas la Chine à ses côtés ». Or « les Etats-Unis ont aussi Pékin dans leur viseur ».
Idylle avec la ChineCertes, après le dernier essai nucléaire, la Chine a fini par voter les sanctions contre la RPDC. Mais elle continue à lui fournir de l'aide alimentaire et du pétrole — entre autres — afin de prévenir tout choc fatal. Toutefois, le président Xi Jinping n'a jamais rencontré son jeune homologue nord-coréen, alors qu'il s'est rendu en voyage officiel à Séoul et que Mme Park a assisté à Pékin au défilé militaire commémorant la fin de la guerre contre le Japon. Politiquement, le geste est spectaculaire, et le rapprochement sensible au moment où les deux pays sont en délicatesse avec Tokyo. Economiquement, la Chine est devenue le premier partenaire de la Corée du Sud, qui est son troisième fournisseur.
A Séoul, les amis conservateurs de Mme Park ne voient pas d'un très bon œil cette idylle à l'heure où les relations sino-américaines ne sont pas au beau fixe. Ils rappellent que, si la Chine est le premier partenaire commercial, les Etats-Unis demeurent l'unique partenaire en matière de sécurité. « Il y a dans le ciel de l'Asie de l'Est deux soleils levants [la Chine et les Etats-Unis], remarque un diplomate sud-coréen. La Corée du Sud devra faire un choix (10). » Pour l'heure, la présidente Park joue des deux soleils. Mais elle hésite toujours à entamer et à imposer des négociations sérieuses avec Pyongyang. La proposition nord-coréenne d'une confédération ou celle des progressistes sud-coréens d'une union fédérale à la manière de l'Union européenne restent de vagues hypothèses.
Quant à la France, qui ne reconnaît pas la RPDC, elle apparaît figée dans une autre époque. « Au lieu de traiter la Corée du Nord comme un paria, de l'isoler toujours plus, de l'enfermer dans ses murs idéologiques, mieux vaudrait essayer de l'entraîner vers la communauté internationale et d'aider à l'ouverture », plaide Koh Yue-hwan. A moins que Paris, comme certains conservateurs sud-coréens, n'attende qu'elle s'effondre…
(1) Selon le ministère de l'unification à Séoul, 53,9 % de ces candidats aux retrouvailles ont plus de 80 ans et 11,7 % plus de 90 ans.
(2) Lire Bruce Cumings, « Mémoire de feu en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, décembre 2004.
(3) Lire « Voyage sous bonne garde en Corée du Nord », Le Monde diplomatique, août 2015.
(4) Durant la guerre froide, le gouvernement nord-coréen a kidnappé des Japonais pour former ses espions. Il en resterait treize selon Pyongyang, qui en a libéré cinq, et dix-sept selon Tokyo.
(5) Lire Philippe Pons, « La Russie appelée à la rescousse », Le Monde diplomatique, mars 2015.
(6) « La présidente fait une proposition en trois volets à Pyongyang », Korea.net, 31 mars 2014.
(7) Lire « Rééducation capitaliste en Corée du Sud », Le Monde diplomatique, août 2013.
(8) Interview réalisée par Antoine Bondaz, Korea Analysis, no 1, Paris, janvier 2014.
(9) « N. Korea proposes talks on peace treaty with US », NK News.org, Séoul, 9 octobre 2015.
(10) « La politique sud-coréenne n'a pas à choisir entre deux soleils », interview de Yun Duk-min, Korea Analysis, no 7, juillet 2015.
Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir l’article du numéro d’hiver 2016 de Politique étrangère que vous avez choisi : « Russie/OTAN : maîtriser la confrontation », par Dmitri Trenin.
« Le sommet de l’OTAN qui s’est tenu à Varsovie en juillet 2016 a concrétisé dans le domaine militaire les décisions politiques annoncées au sommet de Newport (pays de Galles) de septembre 2014, en réponse aux actions conduites par Moscou en Ukraine. La confrontation politico-militaire est donc de retour en Europe après un quart de siècle de « grandes vacances » qui a vu, après la fin de la guerre froide, la coopération régner en matière de sécurité. Cette nouvelle confrontation, à l’allure bien connue, est sans doute vouée à durer, et affectera lourdement la sécurité de tous les pays européens, membres de l’OTAN ou non. Il faut prendre la pleine mesure de cette situation pour, dans un premier temps, maîtriser les risques immédiats et très réels qui en découlent et, dans un second temps, trouver les moyens de stabiliser une situation sécuritaire dégradée en Europe.
Dans leur état actuel, les relations américano-russes et les relations Russie/OTAN sont souvent comparées à ce qu’elles furent durant la guerre froide – ce qui est trompeur. La confrontation d’aujourd’hui est très éloignée du conflit qui a opposé l’Union soviétique aux États-Unis des années 1940 aux années 1980, marqué par un affrontement idéologique fondamental, la réalité infranchissable du Rideau de fer, un isolement économique quasi-total, et la menace permanente d’une apocalypse nucléaire. La situation présente est très différente, mais elle peut s’avérer tout aussi dangereuse. À recourir à l’analogie de la guerre froide, on s’incite à redouter des dangers qui ne reviendront pas – en s’interdisant de voir ceux qui menacent réellement.
Une nouvelle division de l’Europe
Aux yeux de Moscou, l’OTAN est de nouveau l’instrument principal de la présence militaire et de la domination politique américaines en Europe. Le Kremlin rejette farouchement les jugements occidentaux sur la politique russe en Crimée et en Ukraine, qui serait la cause centrale du renouveau de l’OTAN. Pour Moscou, c’est bien au processus d’élargissement de l’OTAN vers l’est, ouvert voici 20 ans, qu’il faut attribuer la rupture de la coopération de sécurité entre la Russie et l’Occident dans les années 1990 et 2000. Le président Poutine a explicitement identifié l’usage de la force militaire en Crimée en 2014 comme une action préventive contre une éventuelle accession à l’OTAN de l’Ukraine post-Maïdan.
Les décisions prises à Varsovie en 2016 avaient été publiquement discutées et n’ont pas surpris Moscou, qui a eu tout loisir de les analyser calmement ; elles n’ont donc pas, en elles-mêmes, ouvert de nouvelle crise. Le total des quatre bataillons nouvellement déployés par l’OTAN dans les trois États baltes et en Pologne, en plus d’une brigade multinationale déployée en Roumanie, sont très loin du contingent d’un million d’hommes qui a longtemps stationné en Allemagne de l’Ouest. La Force de réaction de l’OTAN, avec six nouveaux postes de commandement installés dans les États de l’est de l’Alliance, ne constitue pas une menace immédiate pour la Russie. Moscou suit de près les exercices plus fréquents conduits par l’OTAN près des frontières russes, mais ne peut les interpréter comme la préparation secrète d’une invasion imminente… »
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Découvrez cette semaine un autre texte marquant de la revue Politique étrangère, reflet de l’exposé présenté lors du colloque franco-iranien du 4 et 5 juillet 1978 au Centre d’études de Politique étrangère : Marcel Merle, « Le système mondial : réalité et crise », publié dans le numéro d’hiver 1978 (n°5/1978).
Marcel Merle (1923-2003) a été un des pionniers de l’étude des relations internationales en France. Agrégé de droit public en 1950, il s’engage dans une carrière universitaire. Il a notamment été directeur de l’Institut d’études politiques de Bordeaux et professeur à l’Université Paris 1. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence dont Sociologie des relations internationales (1974) et La Politique étrangère (1984).« Ce bref exposé introductif n’a pas d’autre objet que de planter le décor qui doit servir de toile de fond à nos débats. Il ne prétend nullement présenter un tableau exhaustif ni, surtout, définitif de la situation mondiale. Mais il permettra peut-être, par les réactions qu’il provoquera, de dégager le minimum d’accord nécessaire à l’interprétation correcte des problèmes locaux ou régionaux qui intéressent plus directement les participants au Colloque.
Les réactions à prévoir sont d’autant plus normales que le point de vue présenté en guise d’introduction sera forcément empreint de subjectivité. Contrairement à une opinion assez répandue, le point de vue de Sirius n’existe pas. Existerait-il, qu’il serait d’ailleurs partiel et falsifié puisqu’il ne pourrait prendre en compte ce qui se passe du côté de la « face cachée de la terre ». Tout observateur est situé, topographiquement, politiquement et idéologiquement, quels que soient ses efforts en vue d’atteindre à l’objectivité. Le seul point commun entre tous les participants réside dans la simultanéité des points de vue. Mais la coïncidence dans le temps ne suffira certainement pas à abolir la diversité des appréciations. Cette diversité constituant une richesse, il importe que les propos émis au début du Colloque ne soient pas traités comme des conclusions mais comme des propositions à débattre.
Pourquoi placer ces réflexions sous le vocable de « système » ? La question n’est pas indifférente. Pour qualifier le même exercice, on se serait contenté, autrefois, de parler d’analyse de situation. Dans une certaine mesure, il est vrai que l’utilisation du terme de système constitue une certaine concession à la mode : chacun sait que la théorie des systèmes connaît actuellement une grande vogue, et certains croient pouvoir, en se parant de ce vocable, donner plus de poids à leurs opinions. S’il ne s’agissait que de cela, mieux vaudrait renoncer à l’usage d’un terme qui n’aurait pas d’autre valeur que celle d’une étiquette ou d’une couche de peinture. Dans mon esprit, le terme de système est un outil de travail qui a déjà le mérite de nous dispenser d’utiliser d’autres concepts beaucoup trop ambitieux (comme celui de « société internationale ») ou beaucoup trop vagues (comme celui de « relations internationales »). En dehors de cette vertu négative, le temps de système a l’avantage de nous astreindre à rechercher, dans la confusion que nous offre le spectacle de la réalité, un minimum de cohérence dans la configuration des forces et dans le mode de fonctionnement des relations entre ces forces.
À partir de cette incitation, il est possible d’établir rapidement l’existence d’un système international pour mieux analyser ensuite la nature et la signification de la crise qui affecte actuellement la vie de ce système. […] »
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