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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 8 hours ago

[Chroniques US #15] Que retenir du début de mandat de Joe Biden ?

Tue, 16/03/2021 - 18:59

Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne régulièrement rendez-vous pour analyser la politique américaine. Elle répond aujourd’hui aux questions suivantes :

– Quelles sont les leçons politiques du plan de relance décidé par Joe Biden ?

– Où en est la démocratie américaine ?

– En quoi les États-Unis traitent-ils la question de la lutte contre le Covid-19 comme un enjeu géopolitique ?

À propos du « Dictionnaire amoureux de la géopolitique » d’Hubert Védrine

Tue, 16/03/2021 - 17:44

La collection Dictionnaire amoureux (Plon) est bien établie et a trouvé son public. Lorsque Hubert Védrine signe celui sur la géopolitique, cela ne peut qu’attiser l’appétit. Ce type d’ouvrage ne se lit pas d’une traite. On vient y picorer au fur et à mesure avec gourmandise.

Hubert Védrine s’adapte au format de la collection pour livrer une série de petits éditoriaux sur chacune des entrées. Il y apporte la vision globale qu’on lui connait et qui permet justement que chaque chapitre ne soit pas une définition fermée. Il y ajoute aussi son habituelle causticité. Étant donnée la personnalité de l’auteur, on n’est pas étonné de le voir évoquer le Gaullo-Mitterrandisme, concept qu’il a lui-même forgé. S’il rappelle que bien malin serait celui qui saurait ce que De Gaulle ou Mitterrand feraient aujourd’hui, il reste une question centrale : la France peut-elle conserver, au sein d’entrelacs et d’interdépendance mondiales et européennes, une sorte d’autonomie de pensée et d’action ? La realpolitik dont il est un partisan avéré et lucide y figure bien sûr également. Pour lui, le réalisme est une honnêteté intellectuelle. Il s’oppose donc à l’idéalisme, au chimérisme ou à la démagogie. Il écrit « Le réalisme de l’analyse n’empêche pas l’idéalisme des positions. » Mais il est justement assez réaliste pour reconnaître que dans le dictionnaire moderne des idées reçues, on est sommé de condamner le réalisme, jugé immoral et nauséabond. Il n’hésite pas à réhabiliter le cynisme, en tête selon lui du palmarès des mots employés à contresens puisqu’à l’époque des Grecs anciens, le cynisme signifiait au contraire la vertu et la sagesse grâce à la liberté de pensée, de parole, quitte à heurter l’opinion dominante du moment, en général hypocrite.

Une analyse réaliste et une volonté de préserver les marges de manœuvre de la France sont les deux principes qui guident son analyse, comme elles ont guidé son action comme ministre des Affaires étrangères. Il n’a jamais pris de précaution pour l’affirmer avec franchise, ce qui lui vaut de solides inimitiés chez ceux qui préfèrent l’affichage et la posture à l’action concrète pour améliorer les situations ou qui estiment que la France doit rentrer dans le rang. Sur l’irrealpolitik, il regrette que cette formule qu’il a inventée ait eu moins de succès que celle d’« hyper puissance » pourtant moins significative à ses yeux. « Sans doute les médias subodorent-ils dans l’irrealpolitik, une critique les englobant ? Ils auraient raison ! » écrit-il.

Sur la France-Afrique, il note qu’il serait un paradoxe que la France soit la seule puissance du monde qui ne conserve pas une politique africaine ou du moins une politique en Afrique au moment où le continent est l’objet de politiques africaines ciblées d’à peu près toutes les puissances, Chine en tête.

L’auteur n’esquive pas le sujet du Rwanda (une entrée sur 250) dont il admet qu’elle est la controverse la plus virulente sur la politique étrangère française contemporaine. Il décrit les deux thèses s’opposant : celle qu’il soutient lui-même selon laquelle la France est le seul pays qui, ayant pris conscience des risques de massacre inhérents à la guerre civile déclenchée en 1990, a agi pour enrayer cet engrenage et pensait y être parvenu en obtenant en août 1993 la signature des accords d’Arusha ; l’autre, celle de Kigali et de ses relais selon laquelle la France a coopéré avec un régime qui préparait un génocide, elle est au minimum coresponsable. Parmi les rappels qu’il effectue, il y a celui du fait que Kagamé l’avait rencontré deux fois lorsqu’il était ministre des Affaires étrangères sans aucun problème et que ce n’est qu’après que le juge français Jean-Louis Bruguière enquêta sur l’attentat contre l’avion de l’ancien président Habyarimana, à la demande des familles du personnel navigant français, que Kagamé a changé de braquet et a fait publier un rapport accusant les politiques et militaires français d’avoir armé les génocidaires. On sait que sur ce point, la polémique fait rage et que si Kagamé commence à être critiqué à l’étranger pour la répression qu’il exerce – allant jusqu’à l’assassinat de ses opposants – il bénéficie d’une réputation intouchable en France. The Economist, peu susceptible d’être accusé d’être un organe Gaullo-Mitterrandiste, avait pourtant qualifié le régime rwandais de totalitaire.

Enfin, Hubert Védrine dresse de nombreux portraits de Deng Xiaoping à Poutine, de Gorbatchev à Jimmy Carter sans oublier Churchill, Bismarck ou des figures plus contemporaines, françaises, que je laisse découvrir au lecteur, portraits éclairants et savoureux. Mais il y a surtout des entrées qui donnent une véritable profondeur historique à l’ouvrage.

 

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, est membre du Conseil d’Administration de l’IRIS. Il publie Dictionnaire amoureux de la géopolitique chez Plon, Fayard (février 2021)

 

 

Tempêtes à venir sur la sécurité alimentaire mondiale ?

Mon, 15/03/2021 - 18:16

La pandémie de Covid-19 a dégradé depuis plusieurs mois la situation alimentaire des personnes les plus vulnérables de la planète. Cette tendance pourrait s’accroître avec la crise économique qui s’amplifie. À plus forte raison, si l’offre agricole dans le monde se contracte, risque potentiel en 2021. Plusieurs questions stratégiques se posent à court et moyen termes.

Des équilibres agricoles et alimentaires mondiaux structurellement fragiles

Rappelons tout d’abord une évidence historique : l’agriculture et l’alimentation sont des facteurs de paix. L’instabilité géopolitique et les difficultés humaines se développent quand elles sont absentes – sur un espace, dans une période, au sein d’un foyer[1]. Cela fait des millénaires que tous les êtres vivants doivent se nourrir. Nul n’échappe à cette nécessité. Si les produits de la mer ne doivent pas être oubliés de l’équation alimentaire, ce sont d’abord ceux de la terre qui apportent la sécurité alimentaire.

La population mondiale a doublé au cours des 50 dernières années. Plus de bouches à nourrir, et plus d’exigences de la part de ces consommateurs. L’explosion des classes moyennes entre la décennie 1990 et 2010 a renforcé les dépendances intercontinentales, d’autant que les sociétés, éprises de liberté, veulent accéder à tout et tout au long de l’année. Il faut donc rapprocher l’offre de la demande, car peu de régions parviennent à produire en grande quantité de la nourriture. Si l’agriculture est présente dans tous les pays, les volumes et les variétés agricoles s’avèrent très hétérogènes. Nous avons donc assisté à une mondialisation des systèmes alimentaires, pour satisfaire le consommateur. Alors que 90% de la nourriture reste à domicile et dans le pays de sa récolte ou production, le reste est internationalisé. Pour certains produits (fruits exotiques, céréales, sucre, soja, café, cacao, huiles, épices, lait, etc.), le chemin des marchés mondiaux est même plus significatif, car peu de zones en cultivent, mais la planète entière en consomme.

Des dynamiques inquiétantes actuellement

En 2020, la situation a globalement été ambivalente, bien qu’il faille toujours insister sur les disparités géographiques et socio-économiques qui fragmentent le monde dans ses performances agricoles et ses tendances de consommation.

D’un côté une offre agricole robuste, grâce à des récoltes mondiales favorables en 2019 et au premier semestre 2020, très peu d’accidents climatiques et une relative stabilité du prix et du commerce international de produits agricoles de base. Il faut rappeler ici que les agriculteurs et les entreprises du secteur n’ont pas été confinés, mais bien au front de la bataille productive pour fournir aux populations ces biens indispensables. En revanche, depuis l’été 2020, les marchés se tendent et l’inflation sur les produits de base est significative, notamment sur le sucre, les huiles et les céréales. L’indice FAO des prix alimentaires mondiaux a augmenté de 27% entre avril 2020 et mars 2021. Il est à son plus haut niveau depuis 2014. Ce renchérissement est lié notamment aux achats massifs effectués par la Chine, mais également à ces nombreux pays qui doivent inévitablement recourir aux importations pour construire leur sécurité alimentaire. Quand les prix s’emballent, que les coûts logistiques et le fret maritime augmentent et que le spectre d’un embargo à l’export est agité par certains États agricoles pour protéger leur marché domestique, le réflexe de beaucoup d’acheteurs est…d’intensifier les courses avant que les produits ne manquent ou que la facture de ces importations ne devienne budgétairement insoutenable. À cela s’ajoutent des conditions climatiques moins propices aux récoltes et les effets de la crise pandémique sur les circuits de distribution, locaux ou régionaux, sans oublier les mobilisations de main d’œuvre qui se sont parfois taries.

À l’autre bout de la chaîne, des consommateurs secoués par la polycrise de Covid-19. Avec d’abord le défi de la faim qui frappe un habitant sur neuf dans le monde et qui nécessite une mobilisation humanitaire de tous les instants. D’ailleurs en 2020, le prix Nobel de la paix a été attribué au Programme alimentaire mondial (PAM). Son directeur général vient de rappeler que la faim tuait chaque jour bien davantage que le coronavirus et que le meilleur vaccin contre cette tragédie-là s’appelle la nourriture. Combien de personnes, privées de leur mobilité, de leur travail et de leur revenu, plongent en ce moment dans l’insécurité alimentaire ? Un récent rapport estime que plus de 160 millions de personnes sont tombées dans l’extrême pauvreté et la faim en raison du Covid-19[2]. N’oublions pas que la pauvreté génère toujours de la faim ou de la précarité nutritionnelle. Cette réalité universelle vaut pour l’Europe ou la France, où le nombre d’individus fragilisés sur le plan alimentaire s’est accru avec la crise du Covid-19. Environ 2,1 millions de Français ont ainsi bénéficié d’une aide alimentaire[3] depuis le début de l’année 2021 et la moitié avaient commencé à y avoir recours depuis moins d’un an, dont 20% pour la première fois depuis cet hiver 2020/2021.

Réflexions prospectives

Trois considérations sont à faire pour se projeter un peu plus loin dans le temps que les prochains mois.

  1. A contrario de 2020, rien ne peut dire si les grands équilibres du système agricole et alimentaire mondiaux pourraient tenir en cas de nouvel épisode pandémique demain : l’analyse des variables permet même d’esquisser plusieurs scénarii contrastés si nous devions faire face à la résurgence d’un virus[4]. Dans le domaine du Vivant, en agriculture comme dans la santé, la morphologie des crises n’est jamais identique et des cycles longs existent par-delà les vicissitudes conjoncturelles. Le Covid-19 n’est-il pas un puissant rappel pour que nous puissions distinguer davantage l’essentiel du superflu et ainsi savoir distinguer avec constance quels enjeux traversent les époques et sont notre affaire à tous au quotidien ?
  2. Aucun pays ne désarme sur le plan agricole ; certains (Chine, Russie, États-Unis) font même de ce secteur un axe central de résilience intérieure et d’influence extérieure. La crise du Covid-19 réveille même les États qui en avaient sous-estimé la valeur. Dans les débats animés du moment sur la souveraineté et l’autonomie stratégique de l’Europe, ou de la France, l’alimentation figure parmi les priorités. Cela reclasse l’agriculture en haut des agendas sur ce continent qui est, soulignons-le, celui où la sécurité alimentaire est la plus grande car bâtie depuis plus d’un demi-siècle sur une organisation en commun des marchés, des règles et des moyens économiques. Le Covid-19 va-t-il conforter l’importance de la politique agricole commune (PAC), qui conditionne la sécurité d’un demi-milliard de consommateurs européens ?
  3. Le paysage sanitaire et socio-économique actuel ne paraissant pas se clarifier, le risque est réel de voir les vulnérabilités alimentaires s’accroître dans les mois ou années à venir. Nous parlons d’un milliard de personnes ici pour qui la bataille du quotidien sera avant tout de pouvoir manger. En outre, la moitié de la population mondiale dépense encore plus de la moitié de ses revenus pour se nourrir. À l’échelle du globe, rares sont ceux qui peuvent débattre de la seule qualité des produits qu’ils consomment. L’accès et le prix déterminent donc encore le comportement de beaucoup de personnes. Et pourtant, bien manger, en quantité et en qualité, constitue l’un des meilleurs moyens pour construire sa santé à long terme. Comment renforcer l’accès à une alimentation de qualité pour tous demain ? Il en est de même pour l’agriculture : produire mieux permet de renforcer la résilience à long terme des écosystèmes à même de fournir des aliments sains et durables. Comment continuer à produire tout en réparant la planète ? Vastes chantiers, que la crise de Covid-19 complexifie terriblement.

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[1] Abis (Sébastien) et Blanc (Pierre), Géopolitique de l’agriculture, collection « 40 fiches illustrées pour comprendre le monde », Eyrolles-IRIS, 2020.

[2] Baquedano (Félix), Christensen (Cheryl), Valdes (Constanza) et Abrehe Zereyesus (Yacob). « COVID-19 Working Paper: International Food Security Assessment, 2020-2030: COVID-19 Update and Impacts on Food
Insecurity ». USDA, Economic Research Service, January 2021.

[3] Institut CSA, « Banques alimentaires : le profil des bénéficiaires de l’aide alimentaire », étude CSA, 23 février 2021.

[4] Abis (Sébastien), Brun (Matthieu) et Le Lay (Aymeric). « Covid-24 : scénarios pour des mondes agricoles et alimentaires immunisés ? », Sébastien Abis éd., Le Déméter 2021. IRIS éditions, 2021, pp. 25-39.

Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

Syrie : 10 ans de descente aux enfers

Mon, 15/03/2021 - 09:45

Le 15 mars 2011, il y a dix ans, la révolution syrienne naissait dans le sillage des révolutions tunisienne et égyptienne. La politique de répression totale appliquée par le pouvoir a enfoncé le pays dans la guerre civile. Fort des soutiens russe et iranien, Bachar al-Assad s’est maintenu au pouvoir mais il est désormais à la tête d’un pays en ruine, où près de 400 000 personnes ont été tuées et plusieurs millions ont fui.

Syrie, 10 ans de descente aux enfers, l’analyse de Pascal Boniface.

Quel avenir politique pour Lula ?

Sat, 13/03/2021 - 14:09

Le lundi 8 mars 2021 restera à n’en pas douter une date clé de la vie politique au Brésil. En déclarant que le tribunal de Curitiba (État du Parana) n’était en fait pas « compétent » pour juger l’ancien président du Brésil (2003-2011), Luiz Inácio Lula da Silva, dans quatre affaires présumées de corruption, en annulant de ce fait, pour cette raison de procédure, les condamnations de l’ancien président et en rétablissant l’ensemble de ses droits politiques, le juge de la Cour suprême (Tribunal suprême fédéral, TSF) Edson Fachin a projeté le pays dans une nouvelle situation politique. Et ce, à un an d’une élection présidentielle qui interviendra dans un pays meurtri par la crise sanitaire provoquée par la pandémie de Covid-19 et qui s’apprête à affronter ses conséquences économiques et sociales.

Pour motiver sa décision – intervenue suite à un recours juridique engagé par les avocats de Lula en novembre 2020 -, le juge Fachin a notamment développé deux arguments. Le premier est que le tribunal serait incompétent dans la mesure où son mandat consistait à instruire les cas de corruption liés à l’affaire dite « Lava Jato »[1] (éclatée en 2014) et qu’aucun lien matériel n’a pu être établi entre Lula et cette dernière. Le deuxième consiste à affirmer que le principe du « juge naturel » n’a pas été respecté dans le procès de Lula. Ce principe de droit établit, de manière schématique, qu’un accusé ne peut choisir le juge qui le jugera et qu’un juge ne peut, à l’inverse, choisir l’accusé qu’il va juger. Il s’agit d’un principe d’impartialité et de neutralité du juge et de l’institution judiciaire. En rendant cet avis, Edson Fachin observe, sans le nommer, que ce principe n’a pas été respecté avec Sergio Moro, le juge fédéral de Curitiba en charge de l’enquête « Lava Jato » et du procès contre Lula[2].

La décision du juge du TSF aura un impact majeur sur l’avenir personnel et politique de Lula, mais peut être aussi sur celui de Sergio Moro. Ce dernier, dont les méthodes, les agissements et le parti pris contre Lula ont été maintes fois dénoncés et documentés va, de surcroît, faire l’objet d’une autre procédure, également lancée à l’initiative des avocats de Lula. Le déclenchement de cette procédure – dite de « suspicion » – a été considéré recevable, le 9 mars 2021, par une commission d’étude de la Cour suprême. Elle permet d’ouvrir une enquête visant à déterminer la partialité d’un magistrat dans une affaire et d’annuler, le cas échéant, tous ses jugements et ses condamnations si cette « suspicion » est avérée. Les juges (par 4 voix contre 1) ont accepté d’enclencher cette procédure, sans toutefois se prononcer à cette étape sur son calendrier de mise en place.

Ainsi, la défense de Lula veut non seulement prouver l’innocence de son client, mais également disqualifier le juge Sergio Moro en soulignant l’illégalité et la dimension arbitraire de son jugement. Ils veulent démontrer que son objectif était, depuis le départ, de poursuivre une « persécution politique » contre l’ancien président.

Le seul juge à avoir voté contre l’ouverture d’une enquête de « suspicion » contre Sergio Moro n’est autre que… Edson Fachin, connu pour sa proximité avec le juge de Curutiba. Cette singulière situation aux apparences paradoxales donne en réalité lieu à une interprétation qui circule parmi nombre d’acteurs politiques et médiatiques brésiliens. De nombreux éléments à charge permettant de prouver la partialité de Sergio Moro existent. Sa disqualification éventuelle au terme d’une enquête de « suspicion » affecterait l’ensemble de l’institution judiciaire et pourrait remettre en cause de nombreuses condamnations prononcées dans le cadre de l’affaire « Lava Jato » dont il avait la charge. Dans le cas de Lula, une telle issue signifierait une reconnaissance définitive de son innocence. Pour éviter un tel scénario, Edson Fachin – qui a toujours voté contre Lula par le passé à chaque fois que la défense de ce dernier a déposé des recours devant le TSF avant son incarcération – aurait pris l’initiative. D’un côté, accorder à Lula l’annulation immédiate de ses condamnations sur une question de procédure, la reprise à zéro de ses procès dans une autre juridiction (celle de Brasilia) à une échéance suffisamment lointaine pour que l’ancien président puisse, entre temps, se présenter, s’il le souhaite, à l’élection présidentielle de 2022, et s’assurer une immunité s’il la remportait. De l’autre, éviter une enquête contre Sergio Moro du fait que, selon Edson Fachin, si « le tribunal de Curitiba a été déclaré incompétent, il n’y a plus lieu d’enquêter sur l’action du juge ». Mais cette stratégie n’a pas été suivie par ses pairs dont certains dénoncent publiquement la partialité du juge Moro.

Quoi qu’il en soit, ces deux décisions prises au sein d’une institution dont on observe les divergences internes vont connaître des développements imprévisibles aujourd’hui. Toutefois, plusieurs scénarios sont possibles.

Dans les deux cas évoqués, les décisions des juges peuvent faire l’objet d’un appel de la part du procureur général de la République, Augusto Arras, nommé par le président Jair Bolsonaro. Dans le cas de Lula, c’est déjà chose faite depuis le 12 mars 2021. En effet, la sous-procureure générale Lindôra Araújo a déposé, au nom du parquet, ce recours en indiquant que « dans la perspective de préserver la stabilité procédurale et la sécurité juridique, les condamnations doivent être maintenues et la procédure poursuivie ». Pour le parquet, le tribunal de Curitiba est donc compétent et ses décisions doivent être respectées. C’est donc désormais l’ensemble des onze juges du TSF réunis en session plénière qui devra cette fois confirmer ou désavouer la décision de leur pair. S’ils la confirment, Lula verra donc s’annuler toutes les condamnations qui pèsent contre lui et pourra reprendre une activité politique (en attendant la réouverture ultérieure de ses procès à Brasilia). S’ils l’infirment, alors la situation antérieure prévaudra de nouveau, sous réserve de nouveaux rebondissements.

Dans ces conditions, l’ancien président pourra-t-il être candidat en 2022 ?

Il est impossible de répondre définitivement à cette question aujourd’hui. D’une part, des rebondissements judiciaires sont toujours possibles, même s’il paraît périlleux pour le TSF de remettre en cause, dans le nouveau contexte créé, la décision prise. Et ce, malgré l’appel déposé par un parquet proche du président Jair Bolsonaro avec lequel la Cour suprême entretient une détérioration constante de ses rapports (confrontation autour de la question de la gestion de la crise sanitaire notamment).

Par ailleurs, sur le terrain directement politique, dans son discours prononcé le 10 mars 2021 au siège du syndicat des métallurgistes de Sao Bernardo do Campo à Sao Paulo – là où il avait donné son dernier discours avant de se rendre à la police et d’être incarcéré en avril 2018 sur ordre de Sergio Moro -, l’ancien président Lula n’a pas abordé la question de sa candidature, préférant indiquer ses priorités immédiates : contribuer à l’élaboration d’un projet national prenant l’exact contrepied de Jair Bolsonaro en matière de gestion sanitaire, de politique économique, agricole, d’emploi, de transition écologique et climatique, de politique étrangère, etc. Et de préciser dans ce dernier domaine, à l’attention de l’Union européenne (UE), faisant implicitement référence à l’accord de libre-échange UE/Mercosur, que le Brésil ne saurait se satisfaire d’un accord commercial lui permettant seulement d’exporter un peu plus de ressources agricoles vers l’UE tandis que les Européens verraient, eux, l’espace de leurs exportations industrielles et de produits technologiques au Brésil s’accroître. Ainsi, il a réaffirmé que le « Brésil veut être un pays industrialisé. Le Brésil veut avoir de nouvelles industries, le pays veut posséder de nouvelles technologies », a-t-il lancé.

Pour Lula, ce programme doit être le produit d’une concertation avec toutes les forces politiques, syndicales et sociales se reconnaissant dans la perspective d’une mobilisation collective visant à sauver et restaurer la démocratie brésilienne face à Jair Bolsonaro. La définition de ce périmètre large d’alliances permet à l’ancien président de se positionner en dirigeant souhaitant dialoguer avec le maximum d’acteurs dans la période qui s’ouvre (partis de gauche, de centre-gauche mais aussi de centre-droit, mouvements sociaux, intellectuels, secteur privé, investisseurs nationaux et internationaux, etc.). Pour ce faire, il s’engagera dans les mois à venir à sillonner une nouvelle fois le pays et à rencontrer les acteurs politiques et sociaux.

Les perspectives ouvertes par la décision du juge de la Cour suprême, l’annonce de ce processus de concertation et de dialogue souhaité par Lula et le fait que ce dernier est l’homme politique le mieux placé pour vaincre aujourd’hui Jair Bolsonaro dans l’optique d’une confrontation électorale directe le remettent au cœur du jeu politique brésilien. La simple décision du juge Fachin, indépendamment des suites qui lui seront données après le recours déposé par le procureur général de la République, a déjà modifié le cadre politique du pays. Tandis que les forces de gauche, affaiblies et fragmentées, se félicitent du retour de Lula, ce dernier reçoit également des signaux de soutiens provenant de certains secteurs de la droite traditionnelle jusque-là hostiles. C’est le cas par exemple de l’ancien président de la Chambre des députés, Rodrigo Maia (parti des Démocrates -DEM-, droite). Ce dernier a salué dans une série de tweets la décision du juge et qualifié Lula de dirigeant qui « respecte et défend la démocratie », doué d’une « vision pour le pays ». Remplacé le 1er février 2021 par le candidat soutenu par Jair Bolsonaro, Arthur Lira (Parti progressistes, PP), Rodrigo Maia est un opposant virulent au président brésilien.

La répercussion internationale de la décision du juge Fachin constitue également une autre source de satisfaction pour Lula. Le président argentin Alberto Fernandez a immédiatement salué la décision et félicité l’adversaire de Jair Bolsonaro avec lequel il entretient de forts liens d’amitié. D’autres figures régionales comme l’ancien président du Chili Ricardo Lagos, connu pour sa proximité avec Fernando Cardoso, l’ancien président du Brésil longtemps adversaire de Lula, se sont réjouis du retour de Lula au premier plan.

Ces signaux pourraient confirmer que l’option Lula 2022 soit accueillie favorablement par une partie du centre-gauche et du centre-droit latino-américains hostile à ce que Jair Bolsonaro continue de gouverner la première puissance régionale.

Pour leur part, les militaires brésiliens n’ont pas réagi aux annonces. Hamilton Mourao a quant à lui déclaré que « si le peuple brésilien veut élire Lula, patience ». Pour le vice-président et général d’armée à la retraite, cette déclaration vise à indiquer que le choix des électeurs sera in fine respecté. Toutefois, il a ajouté qu’il ne croyait pas en une victoire possible de Lula, un « homme politique vieux » aux « idées vieilles ».

La perspective d’une confrontation entre Lula et Jair Bolsonaro en 2022 s’avère probable même si elle n’est pas totalement certaine. Plusieurs inconnues politiques demeurent au-delà de l’avenir même des suites des décisions prises par la Cour suprême. Parmi ces inconnues, plusieurs peuvent être formulées à ce stade : un affrontement Lula/Bolsonaro peut-il laisser une place à un candidat autonome du centre-droit et de la droite traditionnelle[3] capable de remporter l’élection ? Un duel frontal entre Lula et Jair Bolsonaro favorisera-t-il la relance d’une dynamique de polarisation maximale qui avait profité en 2018 au second sur fond de radicalisation des électorats de droite et des classes moyennes et supérieures ? Qui, des partis du centre-droit et de la droite traditionnelle ou de Jair Bolsonaro seraient considérés, par les forces conservatrices et les élites économiques et financières brésiliennes, comme le meilleur rempart contre un éventuel retour de ceux qui, avec Lula, avaient été éliminés du pouvoir ces dernières années ?  Au prix de la pire crise démocratique intervenue au Brésil depuis la fin de la dictature ?

En attendant la résolution de ces questions judiciaires et politiques entremêlées dans les prochains mois, le président Jair Bolsonaro est apparu muni, pour la première fois, d’un masque sanitaire de protection le 10 mars 2021 lors d’une cérémonie publique organisée au palais du Planalto (le palais présidentiel) …

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[1] « Lavage express » en français. Cette opération anticorruption a révélé l’existence d’un vaste système de pots-de-vin, de détournement de fonds publics et d’enrichissement personnel mêlant l’entreprise pétrolière Petrobras, des acteurs du BTP (OAS, Odebrecht) et la plupart des partis politiques brésiliens.

[2] Ce dernier deviendra ministre de la Justice et de la Sécurité publique de Jair Bolsonaro jusqu’à sa démission en avril 2020.

[3] Singulièrement du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB), du Mouvement démocratique brésilien (MDB) et des Démocrates (DEM).

Le prince Harry et le Truman Show

Fri, 12/03/2021 - 18:00

Pour un public américain fan des intrigues de palais décrites dans la série The Crown de Netflix, l’interview-événement de Meghan Markle et de son mari, le prince Harry, par Oprah Winfrey, la reine des talk-shows, dimanche 7 mars, sur la chaîne CBS, a été l’équivalent d’un épisode bonus explosif.

Cela a été feu à volonté sur la famille royale britannique du début à la fin. Tout y est passé. Des accusations de racisme – la monarchie anglaise a été décrite comme une institution excessivement traditionaliste, voire institutionnellement raciste, incapable d’intégrer une jeune actrice américaine métisse et dont les membres se seraient inquiétés de la couleur de peau de son enfant à naître -, à celles d’harcèlement.

Les yeux embués de larmes, chignon bas et longue robe noire, Meghan a dit s’être sentie si isolée et si peu soutenue par sa prestigieuse famille d’adoption qui aurait tout fait pour la réduire au silence, qu’elle en était arrivée à avoir des pensées suicidaires. « J’ai été naïve, j’aurais dû me renseigner avant d’entrer dans le giron de la famille Windsor », a ajouté la duchesse sans peur du ridicule.

Harry, costume clair et air grave, comme s’il était en train de discuter d’une catastrophe globale, genre guerre atomique, a expliqué, quant à lui, à quel point il se trouvait pris au piège dans sa propre famille avant de rencontrer sa femme. S’il a fait le choix douloureux de s’exiler à Hollywood, loin de tout et de tous, c’est avant toute chose pour éloigner son épouse des monstres de Buckingham et la préserver du destin funeste de sa propre mère, la princesse Diana.

« Je ne voulais pas que l’histoire se répète », a-t-il confié à Oprah Winfrey, confortablement assise dans l’un des fauteuils de jardin de la villa à 11 millions de livres sterling que le couple de réfugiés a acheté après être arrivé sain et sauf en terre libre d’Amérique.

Harry et Meghan ont, enfin, assuré qu’ils voulaient tirer un trait sur les dissensions familiales et avancer. Difficile cependant, après une telle interview, d’imaginer une réconciliation rapide : un an après le « Megxit », Meghan et Harry ont vraiment brûlé tous les ponts avec Buckingham Palace.

Comment cette fois-ci le palais va-t-il répliquer aux attaques du couple, se demande d’ailleurs fébrilement l’ensemble des commentateurs people de la planète – et pas seulement people, le New York Times dont pourtant la devise, affichée dans le coin supérieur gauche de la première page du journal, est All the News That’s Fit to Print, en a fait sa Une…

À titre personnel et pour être tout à fait franc, je me moque totalement de la réaction dudit palais.

Ce qui ici retient mon attention, au-delà du taux d’audience extraordinaire de l’émission – il parait que Michelle et Barack Obama ont « super-méga adoré » – et de la curieuse affection qu’éprouvent les Américains pour une monarchie dont ils se sont pourtant libérés il y a près de 250 ans, c’est le mot « prisonnier » qui est revenu à plusieurs reprises dans la bouche de Harry, non seulement le 7 mars, mais aussi depuis son départ du Royaume-Uni.

En tant que contempteur du système monarchique en général et plus précisément en Europe aujourd’hui, j’aurai tendance à me joindre à ceux qui méprisent le couple Meghan-Harry, parfaits représentants d’une génération self centred à qui tout est dû, mais qui croit ne rien devoir à personne, et donc à considérer Harry comme un gosse de riches bon à rien, engraissé depuis sa plus tendre enfance sur le dos d’un peuple britannique bien idiot de ne pas le mettre à la porte avec toute sa famille.

Mais si on réfléchit bien, on peut voir les choses différemment. Très différemment.

Imaginons un instant que nous apprenions demain dans le journal qu’un plombier (par exemple, mais n’importe quel métier pourra faire l’affaire) endoctrinait depuis le berceau, son fils, en lui mettant dans le crâne qu’il n’aurait d’autre choix une fois adulte que de lui succéder. Imaginons encore que nous apprenions que ce plombier, épaulé par toute sa famille, mais aussi par l’ensemble des habitants de son village et des enseignants de l’école communale, n’a eu de cesse au cours des années de forcer son rejeton à se sensibiliser aux techniques de la plomberie tout en lui refusant toute autre possibilité d’apprentissage. Imaginons que toute la communauté villageoise est ensuite persuadée le pauvre enfant devenu jeune homme, qu’il avait le devoir de la servir jusqu’à sa mort en tant que plombier et que refuser reviendrait à trahir sa famille, ses concitoyens et par-dessus tout, à bafouer la volonté de Dieu.

Que penserions-nous de cela ? Nous crierions au scandale, à la maltraitance infantile, à la privation des droits fondamentaux d’un individu et accuserions l’ensemble du village de folie collective.

Certains, bien sûr, plaideraient en faveur des villageois en disant qu’après tout, cet enfant assuré d’un travail à vie et donc de sa pitance quotidienne avait vocation à être épargné des aléas de l’existence, comme le chômage. Et puis, après tout, il pouvait quitter le village s’il n’était pas content de son sort, ajouteraient-ils hypocritement.

La majorité de l’opinion n’en démordrait pas et rétorquerait alors avec raison à ces avocats du diable qu’un enfant endoctriné ne peut que très rarement trouver en lui les ressources nécessaires à son émancipation et que le plus souvent, il demeurera prisonnier du carcan dans lequel il a grandi, refoulant ainsi et pour toujours ses aspirations profondes. Qu’il s’agit ici d’un crime odieux et que le père et ses complices doivent être sévèrement punis, point barre !

N’est-ce pas plus ou moins la même chose qui se passe avec les enfants de monarques, qu’ils soient héritiers du trône ou non ? Les premiers se retrouveront dans une position, toute proportion gardée, similaire à celle du fils du plombier, obligés de faire un métier qu’en dépit des avantages matériels qu’offre la royauté, ils n’aiment pas et pour lequel, très souvent, ils ne sont pas faits – souvenons-nous du pauvre Louis XVI. Les autres, c’est-à-dire les cadets, seront le plus souvent cantonnés toute leur existence à être des faire-valoir que l’on sortira uniquement les jours de fête, prisonniers d’un rôle qu’ils seront condamnés à interpréter jusqu’à leur dernier souffle sous peine de devenir parias et d’être exclus du clan familial et de la communauté nationale.

On peut encore pousser la réflexion plus loin. Les têtes couronnées d’aujourd’hui et leurs enfants, légataires d’un système anachronique qui n’existe plus en Europe que comme folklore, ne sont-ils pas les vrais Truman de notre temps ?

Rappelez-vous The Truman Show, ce film ou Jim Carey interprète Truman Burbank, star d’une télé-réalité à son insu. Depuis sa naissance, son monde n’est qu’un gigantesque plateau de tournage et tous ceux qui l’entourent sont des acteurs. Lui seul ignore la réalité alors que des centaines de millions de téléspectateurs suivent son existence au jour le jour et le considère comme leur chose, leur propriété.

Le sort du petit Georgie, fils du prince Williams et de Kate Middleton et héritier du trône d’Angleterre, est-il après tout si différent de celui du petit Truman Burbank, l’enfant esclave sur lequel une société de voyeurs-consommateurs projette ses fantasmes ?

Si l’on accepte de voir les choses de ce point de vue, alors on peut considérer la démarche du prince Harry comme un acte de courage. Un acte émancipateur qui, au-delà du manque de profondeur d’un personnage qui ne semble penser qu’à l’exploitation de la marque « Sussex » et du ridicule de l’interview de CBS, mérite d’être reconnu et encouragé.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son dernier essai, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » est paru en Ebook chez Max Milo en 2020.

Les États-Unis de nouveau dans l’action climatique ?

Fri, 12/03/2021 - 15:21

De passage à Paris le mercredi 10 mars 2021, John Kerry, nommé par le Président américain Joe Biden en tant que représentant spécial pour le climat, a pu s’entretenir avec Emmanuel Macron, Bruno Lemaire, Jean-Yves Le Drian et d’autres membres du gouvernement. Cette visite démontre l’importance donnée par la nouvelle administration américaine aux enjeux climatiques, qu’ils soient économiques ou sécuritaires. Le point de vue de Julia Tasse et Sofia Kabbej, chercheuses au sein du Programme Climat, Énergie et Sécurité de l’IRIS.

Cette visite de John Kerry semble souligner la différence de positionnement entre le gouvernement américain actuel et le précédent. Le retard diplomatique des États-Unis causé par l’administration Trump en matière d’action climatique pourra-t-il être rattrapé par celle de Joe Biden ?

Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris en 2017 avait profondément marqué la communauté internationale. À juste titre, l’absence d’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre (GES) du cadre de gouvernance climatique mettait à mal l’ambition commune de réduire les émissions de GES – pourtant indispensable pour réussir à maintenir l’augmentation de la température moyenne en dessous de 2°C et limiter l’ampleur du changement climatique. Il faut cependant souligner que, malgré le retrait officiel de l’accord de Paris par le gouvernement fédéral des États-Unis entre 2017 et 2020, certains États fédérés américains et les acteurs privés ont continué à agir en faveur de la lutte contre le changement.

Dès son arrivée, Joe Biden a fait de cette lutte une priorité de sécurité nationale. La visite de son envoyé spécial pour le climat à Paris, dans le cadre d’une tournée européenne, le prouve. John Kerry a notamment déjeuné avec Bruno Lemaire, après avoir rencontré Ursula von der Leyen la veille et avant de discuter avec les Britanniques (hôtes de la COP26). Les déclarations faites montrent une recrudescence de l’ambition : au cœur des discussions, la mise en place de normes communes quant à la finance verte, notamment dans le cadre de la taxonomie développée par l’Union européenne, ou encore la mise en œuvre du mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, portées par la future présidence française du Conseil de l’Union européenne. Ces efforts sont nécessaires (mais restent insuffisants) pour espérer atteindre les réductions d’émissions de GES nécessaire à l’atteinte des objectifs de l’Accord de Paris.

Alors que la Chine avait remplacé les États-Unis dans le leadership climatique aux côtés de l’UE, que signifie la visite de Kerry à Paris ?

L’Union européenne avait en effet continué dans la lignée des ambitions de l’Accord de Paris lors du retrait américain et la nouvelle Commission, présidée par Ursula von der Leyen, porte des objectifs plus ambitieux que la précédente. L’Accord de Paris avait permis une forte synergie entre l’Union européenne et les États-Unis, tandis que l’après-Accord de Paris a donné une place croissante à la Chine. En septembre 2020, celle-ci s’est également démarquée en partageant de nouveaux objectifs en matière d’action climatique, dont celui de neutralité climatique à 2060. Dans le contexte plus global de rivalité sino-américaine, la Chine s’est affichée comme plus ambitieuse que les États-Unis de Donald Trump. Aujourd’hui, Joe Biden paraît vouloir rattraper ce retard : la visite européenne de John Kerry laisse à penser que le duo Europe (Union européenne et Royaume-Uni) + États-Unis sera de nouveau solide et moteur de la COP26.

On comprend donc que l’action des États-Unis dans les mois qui viennent va être suivie avec attention, d’une part pour comprendre l’ambition réelle de la nouvelle administration (qui se positionne en organisant un sommet de haut niveau sur le climat les 22 et 23 avril) et d’autre part pour en analyser les tenants et aboutissants face à une Chine toujours plus présente au sein de la gouvernance climatique. Les États-Unis devraient rendre publics leurs nouveaux objectifs climatiques quelques jours avant le sommet de haut niveau d’avril prochain.

Que signifie la priorité de sécurité nationale donnée au changement climatique par l’administration Biden ?

La signature dès son investiture de nombreux décrets portant sur la lutte contre le changement climatique par Joe Biden est un signal politique fort et sans précédent. Cependant, les dommages sont là : l’administration Trump n’a absolument pas suivi les directives de la feuille de route déposée par les États-Unis durant l’Accord de Paris, affectant leur capacité à suivre une trajectoire suffisamment forte pour limiter les impacts du changement climatique. Or, ceux-ci sont nombreux aux États-Unis, exposés aux ouragans, à la sécheresse, à la montée des eaux. Sans tournant drastique de la part du gouvernement américain, le maintien de la température globale moyenne en dessous des 2°C par rapport à l’ère préindustrielle paraît impossible. Aujourd’hui, au moment de la visite de John Kerry en Europe, l’ONG Climate Action Tracker a publié une estimation de ce que devrait être la feuille de route des États-Unis pour la COP26 : passer des engagements actuels (baisse de 26 à 28% des émissions de GES en 2025 par rapport à 2005) à une baisse de 57-63% en 2030 par rapport à 2005.

L’administration Biden se montre particulièrement active sur la question, d’un point de vue organisationnel : devenu priorité nationale, le climat infuse désormais tous les départements (ministères) américains, dont celui de la défense. Celui-ci a d’ailleurs confirmé officiellement le 9 mars la mise en place d’un groupe de travail spécifique au climat au sein de son administration. En outre, le Président Biden prévoit de soumettre au Congrès américain un plan de 2 000 milliards de dollars pour la relance verte, et notamment la décarbonation de l’industrie énergétique d’ici 2035. Ces initiatives démontrent l’ambition de la nouvelle présidence américaine et, si adoptées, impacteront positivement les efforts de réduction des émissions de GES entrepris par la communauté internationale.

« La France dans le monde » – 3 questions à Frédéric Charillon

Fri, 12/03/2021 - 15:08

Professeur en science politique à l’Université Clermont Auvergne, à l’ESSEC, Sciences Po et l’ENA, ancien directeur de l’Institut de recherche stratégique de l’École militaire (IRSEM), Frédéric Charillon répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de La France dans le monde qui parait sous sa direction chez CNRS éditions. 

Vous parlez d’une nouvelle sociologie de la diplomatie française, formée par des écoles devenues américanisées comme Sciences-Po. Quel est l’impact sur la détermination notre politique étrangère ? 

L’hypothèse avait été émise par Christian Lequesne dans ses recherches sur « l’ethnographie du Quai d’Orsay », notant l’évolution de cette école depuis quelques années. À partir du moment où de nombreux diplomates français passent par une institution qui propose des programmes d’échange dans le monde anglo-saxon (et ailleurs), leur perception de la place de la France dans le monde n’est plus la même. Parfois pour le meilleur, mais pas toujours… Là où l’on croyait, peut-être de façon naïve, à une « exception française », on se prend désormais à trouver cette idée ringarde. Ce qui pose d’autres problèmes.

Faut-il alors diversifier davantage les trajectoires des diplomates, qui pourraient suivre des formations plus variées les mettant au contact de l’altérité, plus loin de leur zone de confort ? Car il est toujours périlleux de subir les modes d’un seul courant dominant : après le néoconservatisme, verra-t-on des promotions tentées par le trumpisme, la « post-vérité » ou au contraire la cancel culture ? Il ne s’agit pas ici d’empêcher quiconque d’avoir une expérience américaine, indispensable pour qui veut comprendre les relations internationales. Mais il est tout aussi indispensable de multiplier les rencontres culturelles, d’entendre les voix du monde dans leur pluralité. Nous avons en France des étudiants curieux de tout, et des diplomates salués pour leur compétence et leur esprit de synthèse : sachons en tirer le maximum.

Comment maintenir notre influence puisque vous déplorez la diminution de 50% de nos moyens, dans certains secteurs comme le culturel, entre 1986 et 2016 ? 

La notion d’influence doit faire en effet l’objet d’une réflexion. On oublie souvent trois choses. 1- Elle ne peut pas être une simple incantation. L’influence ne se décrète pas, elle se cultive à long terme. Il ne fait pas sens de dire « nous avons depuis ce matin une diplomatie d’influence ». 2- L’influence n’est pas une fin en soi. C’est un moyen. Ce qui signifie que les objectifs doivent en être bien définis. La question est : « qui voulons-nous influencer, pour obtenir quoi, dans quel domaine, et pour servir quels intérêts ? ». Et non pas : « notre objectif : être influents ». 3- Dès lors, l’influence exige des moyens. Il faut que l’influencé trouve son intérêt à suivre l’influenceur. Les plus grandes puissances le savent, comme les États-Unis ou la Chine, qui mettent ces moyens sur la table pour arriver à leurs fins. D’autres, qui ont des moyens plus limités comme la Russie ou la Turquie, élaborent une stratégie en conséquence, avec des priorités plus ciblées. Mais clamer « nous allons développer une stratégie d’influence » pour ajouter immédiatement « à moyens constants », est une chimère.

Nous en revenons donc à votre question : comment maintenir notre influence dans le monde d’aujourd’hui en diminuant nos moyens, alors que les défis se multiplient et que les luttes d’influence sont partout ? La réponse est simple : on ne peut pas, surtout si l’influence ne fait pas l’objet d’une définition précise. Les moyens doivent suivre les ambitions.

Vous estimez que la voix de la France a fini par perdre en cohérence en devenant moins audible… 

Oui, et c’est d’ailleurs aussi le cas de beaucoup d’États ces dernières années : les relations internationales sont complexes, les dossiers et les acteurs se multiplient, il est donc de plus en plus difficile d’imprimer une marque à une politique étrangère, qui soit identifiable aussi bien sur les conflits du Proche-Orient que sur le réchauffement climatique, en passant par Huawei ou Boko Haram, face à des interlocuteurs qui vont de Vladimir Poutine à Greta Thunberg. Des leaders comme Tony Blair ont tenté (on appelle cela le « nation branding ») de proclamer un fil conducteur (une politique étrangère « éthique », annonçait-il en 1997, mais on connaît la suite). Des pays, comme la Suède, tentent d’incarner une posture (en l’occurrence une « politique étrangère féministe », depuis la ministre Margot Wallstrom). Mais cet exercice de communication est difficile.

Sous le général de Gaulle, la France avait une ligne reconnue, qui s’est perpétuée sous plusieurs de ses successeurs, consistant à être un pays occidental allié des États-Unis, mais libre de ses propos et universaliste dans son rapport au monde. Une ligne que Hubert Védrine a résumée par la formule « Amis, alliés, mais pas alignés ». Le refus de la guerre américaine en Irak, en 2003, en fut l’une des dernières manifestations claires. Nicolas Sarkozy n’aura pas été si occidentaliste qu’on lui a reproché, ni François Hollande si indéterminé qu’on l’a dit. Mais le message s’est brouillé. À plusieurs reprises, l’exécutif a même parlé de plusieurs voix, par exemple lors de la crise de Gaza à l’été 2014. Emmanuel Macron a ensuite voulu redonner une ligne claire. Il a annoncé dans sa campagne le souhait d’une puissance « indépendante » (ce qui n’était pas le plus original), « européenne » (ce qui était déjà courageux dans un contexte où l’Europe ne faisait plus recette), et « humaniste », ce qui était intéressant, mais méritait clarification. On a ensuite compris de ses discours qu’il soutenait une vision libérale et multilatéraliste, opposée aux nationalismes illibéraux, avec entre autres priorités la lutte contre les inégalités. Mais les moyens ont manqué, l’Europe s’est divisée, les partenaires classiques ont connu des troubles (le trumpisme, le Brexit, la fin de règne d’Angela Merkel), des dossiers ont posé question (Libye), des tentatives se sont heurtées à une dure réalité (Liban), enfin le Covid a occupé l’agenda international. La réinvention du message français reste donc nécessaire. Là encore, il faut s’en donner les moyens.

 

 

« Overbookés » – 3 questions à Rahaf Harfoush

Tue, 02/03/2021 - 15:26

Anthropologue du numérique et consultante en stratégie digitale, Rahaf Harfoush enseigne l’innovation et les business models émergents à Sciences Po Paris en MBA. Elle a fait partie de l’équipe réseaux sociaux de Barack Obama et a été nommée « Young Global Shaper » par le Forum de Davos. Elle répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage Overbookés, aux éditions Dunod.

Soumis à l’impératif de productivité, les travailleurs à la connaissance pourraient-ils perdre leur créativité ?

Oui. Les systèmes de productivité obsolètes encouragent l’épuisement professionnel. Sans le temps de récupération approprié, les travailleurs du savoir souffriront d’idées de moindre qualité et feront plus d’erreurs au travail.

Nous avons développé des habitudes de travail qui encouragent le travail sans interruption pendant des heures. La neuroscience nous montre que notre cerveau a besoin de périodes de repos intentionnel. Nous devons nous ennuyer. Nous devons rêver de jour. Nous devons laisser notre esprit vagabonder. Avec des distractions sans fin, des interruptions et trop de réunions, ce dont nous avons besoin pour produire notre meilleur travail devient une rareté.

Je suis choqué que nous ayons continué à utiliser des systèmes qui nuisent aux entreprises de ressources dans lesquelles elles tentent d’investir. Vous ne pouvez pas être innovant, créatif ou stratégique si vous êtes en manque de sommeil ou stressé. Ce n’est tout simplement pas possible.

Le burn out est un phénomène mondial, plusieurs nations ont inventé un nom spécifique pour le désigner…

Il existe différents mots pour le burn out en chinois et en coréen, ce qui indique à quel point le problème du surmenage est répandu. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l’épuisement professionnel était un problème mondial sur le lieu de travail.

Un surmenage prolongé peut entraîner de graves problèmes de santé liés au stress et à l’anxiété prolongés. Cela peut avoir un impact sur le bien-être mental d’une personne et avoir un impact négatif sur ses relations professionnelles et personnelles. C’est quelque chose que les entreprises et les gouvernements doivent prendre au sérieux.

De manière plus urgente, les individus doivent commencer à examiner leurs propres relations avec le travail. Nous pouvons être nos pires patrons et nous ne prenons souvent pas de mesures pour nous aider.

Vous écrivez que la dévotion au travail est un moyen de nous rassurer sur notre propre valeur…

Pour beaucoup de gens, leur travail est un art critique de leur identité, et il est donc important pour eux de montrer constamment aux autres à quel point ils travaillent et à quel point ils travaillent dur. Nous croyons que le travail acharné est synonyme de succès et en disant aux gens à quel point nous sommes occupés ou combien nous travaillons, nous renforçons l’idée que nous méritons notre succès parce que nous luttons pour cela.

Alors que le monde du travail continue de changer, nous allons être confrontés à une cohorte de personnes qui perdront cette partie de leur identité et ressentiront beaucoup d’angoisse.

 

As Cold as Ice: about the Relationship between Sport, Human Rights and Economic Considerations in Belarus

Tue, 02/03/2021 - 12:29

 

A hat trick in ice hockey, when a player scores three goals in a single game, culminates in the National Hockey League with fans throwing hats onto the ice from the stands. Another sort of hat trick occurred between 15 and 17 January 2021 and included the following sponsors of the International Ice Hockey Federation (IIHF): Nivea Men, Skoda and Liqui Moly. All three corporations were figuratively throwing their hats into the ring for challenging the IIHF to withdraw the hosting rights from Belarus for the World Championships, which was meant to take place in Minsk and Riga between May and June of this year, after continuing debates about the poor human rights record in Belarus. Let’s take a step back to explore how the situation finally threatened to escalate into a geopolitical showdown.

The 2020 Belarusian presidential election held on 8 August, recognised by the EU as electoral fraud and the violent repression of protests by Belarusian ruler Alexander Lukashenko, resulted in the imprisonment and torture of thousands of opposition members, among them were many elite athletes who were deprived of vital preparation time for the forthcoming Olympic and Paralympic Games. International human rights organisations and independent athlete organisations immediately condemned the atrocities by the regime while calling out the International Olympic Committee (IOC) to sanction Lukashenko, who is also the head of the National Olympic Committee (NOC) of Belarus and per definition the highest-ranking sports representative in his country. However, that’s not all: The Belarusian Ice Hockey Association President Dmitry Baskov is currently under investigation for his role in the alleged murder of Raman Bandarenka, a 31-year old artist who died during a peaceful protest in November. After immense pressure from a variety of stakeholders, the IOC finally gave in and suspended all elected members of the Executive Board of the NOC of Belarus from all IOC events and activities from the beginning of December 2020, with a specific mention of Lukashenko and Baskov. This series of events did not prevent IIHF president Réné Fasel however from hugging the Belarusian president and posing together with Baskov on his trip to Minsk in January – the latter currently under investigation by his own federation due to « potential violations » under article 6 of the IIHF’s statutes. Fasel eventually apologised for the public embrace, claiming he only wanted to have an open and honest conversation with Lukashenko regarding the staging of the World Championship.

This brings us back to the initial situation of the three sponsors, Nivea Men, Skoda and Liqui Moly, who threatened the IIHF with withdrawal from supporting the Ice Hockey World Championship if Belarus was confirmed to be co-hosting the event. The statements underlying the respect for human rights seem noble, which is ironic, given that this decision took them over five months post the presidential elections and more than one month after the decision by the IOC. So why?  And why now?

Minsk already hosted the Ice Hockey World Championship in 2014, during which IIHF president Fasel congratulated Belarus on its superb organisation of the competition. At the time, pulling the tournament from Minsk due to the political situation in the country was similarly supported by the opposition, civil society activists and the European Parliament, outlining the arrest of hundreds of peaceful demonstrators including presidential candidates, opposition leaders, journalists, civil society representatives as well as ordinary Belarusians for the past two decades. Official main sponsors of the 2014 championship included Nivea Men and Skoda Czech company which ironically belongs to the VW Group, the German multinational automotive manufacturing corporation that recently opened a factory in Xinjiang, China, where the Muslim minority Uyghurs and Kazakhs are held in internment and labour camps against their will. The third associated party, the German oil manufacturer Liqui Moly, recently signed a three-year contract with the racing series Formula 1, making the deal the largest sponsorship in the company’s history. The provisional 23-race calendar for 2021 includes Bahrain, Azerbaijan, China, Saudi Arabia, Russia, Hungary and the United Arab Emirates. All these countries, unsurprisingly, are criticised for their human rights violations on a regular basis.

We already know how the story ended. In the aftermath of Liqui Moly’s statement to cancel its sponsorship, precisely only one day later, the IIHF Council reached the decision to move the World Cup from Belarus to solely the co-host Latvia, “following the conclusion of an extensive due diligence process”. Although one can only speculate, it seems very likely that beforehand, the three corporations did the exact same thing: a due diligence process including a risk analysis based on the public opinion and what it could mean for product sales of creams, cars and oil. It was the last chance to avoid bad press, while strategically pointing the gun at the only scapegoat remaining: the IIHF. Based on the positive social media reactions on the respective company pages, the strategy worked out just fine.

It remains to be seen whether the respect and promotion of human rights would be equally important when it comes to the sponsoring of the top category of major sporting events, such as the FIFA World Cup or the Olympic and Paralympic Games. The one year countdown towards the controversial Winter Games in Beijing has just begun and IOC president Thomas Bach would be well advised to get a proper understanding of the freshly delivered independent report ‘Recommendations for an IOC Human Rights Strategy’, rather than following Réné Fasel’s failed approach to sit by and wait for the problem to resolve itself. A last spectacular turnaround in this story was proposed by Russia in December 2020, when it offered the alternative hosting of the World Championship. However, this scenario has been ruled out because of the Court of Arbitration in Sport’s decision to uphold the sanctions proposed by the World Anti-Doping Agency, which prohibits Russia to organise adult championships on national grounds within the next two years. But this is yet another story.

Anton Klischewski, founder of the Project PRESFUL, a youth-led research initiative advocating for concrete human rights legislation in the sporting industry. He recently joined the Special Olympics Germany marketing and communications department and served as a Sports & Sustainability Consultant, e.g., for the initiative ‘Sport Trades Fair’ and the Berlin-based football club ‘FC Internationale 1980’. He holds an MSc in Administration and Management of Professional Sports Clubs from the University of Bordeaux.

La fabrique de l’aide publique au développement : réflexions sur la nouvelle loi

Tue, 02/03/2021 - 12:02

Mardi 2 mars 2021, le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est soumis au vote de l’Assemblée nationale.  Ce projet de loi sur lequel s’est fortement mobilisé Coordination SUD, la coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale, annonce notamment des mutations sur le plan financier. C’est ce que nous décrypte aujourd’hui Olivier Bruyeron, Président de Coordination SUD, dans un entretien réalisé par Magali Chelpi-den Hamer, chercheuse à l’IRIS et responsable du programme Humanitaire et Développement.

Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales est soumis au vote aujourd’hui, à l’Assemblée nationale. 666 amendements ont été déposés et ont été examinés en commission. Ce projet de loi est assez technique pour des personnes non spécialistes. Pourriez-vous nous expliquer quelles sont les évolutions principales pour les organisations de solidarité internationale par rapport à la loi de 2014 existante, et quels sont les points qui restent encore à clarifier ? 

Il me semble qu’à ce stade, le projet de loi comporte quatre évolutions principales par rapport à la loi de 2014.

La première porte sur la programmation financière de l’aide publique au développement (APD) française. Cette programmation était absente de la loi de 2014, et il s’agit d’une réelle avancée de la voir intégrée. Avancée à relativiser toutefois puisque la programmation proposée porte jusqu’à 2022, et que nous sommes en 2021 ! Pour lui donner toute sa portée, il faudrait naturellement que cette programmation aille jusqu’en 2025. Cela est d’autant plus important que les acteurs engagés sur le terrain ont besoin de visibilité sur les moyens disponibles pour agir avec efficacité et maximiser l’impact auprès des populations et partenaires.

Cela est partiellement compensé par la présence dans le texte de la mention que la France s’efforcera d’atteindre la mobilisation de 0,7% de son revenu national brut à destination de l’aide publique au développement en 2025. Il est très positif que cet objectif figure dans le corps de la loi et que celle-ci incite clairement à son atteinte à une date donnée. Mais cela fait plusieurs décennies que la France a pris cet engagement et les besoins sont considérables ; alors ne serait-il pas plus explicite d’inscrire dans la loi, directement, l’atteinte de cet objectif à partir de 2025 ? C’est la position portée par Coordination SUD. J’ajoute qu’il est également positif que soit mentionné que les financements sous forme de dons doivent augmenter, mais cela n’est pas chiffré précisément.

Deuxièmement, je prends acte des avancées sur le plan de la reconnaissance de la société civile. Dans la LOP-DSI de 2014, la société civile n’était que peu mentionnée. Dans le projet de loi actuel, et ce malgré l’absence d’un article dédié sur lequel s’était pourtant engagé le gouvernement suite à notre demande, la reconnaissance du rôle, l’expertise et la plus-value des organisations de la société civile dans les processus de lutte contre la pauvreté, la faim et les inégalités, de respect des droits humains, de protection de la planète, etc. se voient renforcés. Le droit d’initiative est mentionné, la participation à la gouvernance d’Expertise France est inscrite, et un objectif de faire tendre le montant des financements transitant par les ONG vers la moyenne de l’OCDE est présent. À noter que sur ce point une évolution significative serait de mentionner comme objectif l’atteinte du pourcentage moyen de l’APD nationale transitant par les ONG dans les pays du CAD de l’OCDE. Mais peut-être faut-il lire comme cela l’objectif indiqué ! Je regrette également que la loi ne précise pas d’ambition financière associée au droit d’initiative alors que celui-ci contribue grandement à la mise en œuvre d’actions pertinentes, efficaces et efficientes et que les attentes sont fortes du côté des ONG.

La troisième évolution que je soulignerais est le fait que l’approche du genre n’est plus seulement un objectif thématique, mais bien transversal à cette politique. Le fait que la diplomatie féministe de la France soit un principe directeur de la politique de développement était attendu fortement par les ONG françaises. Le cadre de partenariat global annexé à la loi prévoit que 75% des projets financés par l’Aide publique au Développement aient comme objectif principal ou significatif l’égalité femmes-hommes au sens de l’OCDE d’ici 2025. C’est une évolution positive par rapport à la loi de 2014, même si le critère du Comité d’Aide au développement de l’OCDE à ce sujet (85%) ne sera donc toujours pas respecté ; ce qui est regrettable.

Enfin, la quatrième évolution marquante est la révision des priorités stratégiques et géographiques de la politique française. Elles sont présentées dans l’avant article 1er et dans le cadre de partenariat global annexé. Certaines de ces priorités figuraient déjà dans la loi de 2014 (par exemple, l’accès à l’eau, l’éducation), mais d’autres sont nouvelles et pertinentes ; par exemple, l’accent mis sur les défis environnementaux et climatiques, ainsi que la prévention et le traitement des crises et des fragilités. Par ailleurs, les priorités géographiques sont renforcées, par exemple, l’allocation de 0,15 à 0,20% du RNB français aux pays les moins avancés.

Quel rôle a joué Coordination SUD dans le processus de fabrication de cette loi, et quelle impression avez-vous aujourd’hui sur le consensus obtenu ? 

Dès 2018, Coordination SUD a rencontré les interlocuteurs des différentes institutions concernées. Les premiers messages ont été portés dans le cadre des consultations de la mission du député Hervé Berville qui a préfiguré la révision de la loi de 2014. Un groupe de travail interne à la coordination s’est alors constitué.

Coordination SUD a été le point focal pour les ministères compétents, pour le CNDSI et, enfin, lors des débats parlementaires. Le groupe de travail interne a coordonné les recommandations thématiques de Coordination SUD et de ses membres. Il a contribué à définir les axes de plaidoyer à traiter, a facilité l’élaboration et la diffusion de documents de position commune, et a proposé aux députés plus de 50 amendements de la loi.

J’en profite pour féliciter l’engagement de chacune des organisations membres de ce groupe de travail, qui ont toutes, à hauteur de leurs capacités, participé et organisé un grand nombre d’actions de plaidoyer. Par exemple la publication d’une lettre ouverte au président de la République pour l’inciter à passer la loi en conseil des ministres, ou la préparation de quatre auditions avec des groupes de parlementaires en amont de l’examen de la loi en commission.

Coordination SUD a également publié une tribune appelant ces mêmes parlementaires à fixer une date pour atteindre les 0,7% afin d’offrir au secteur de la solidarité internationale visibilité et prévisibilité dont il a besoin pour mettre en place des politiques de développement durable et de qualité.

Bien évidemment, nous nous sommes aussi appuyés sur les réseaux sociaux pour interpeller les parlementaires et le gouvernement aux différentes étapes de loi, et en particulier au moment du vote des différents amendements.

Et le travail continue. Pour chacune des actions de plaidoyer, les messages transmis se structurent autour de 5 axes de plaidoyer : renforcement du narratif de la loi, programmation budgétaire, reconnaissance de la place des organisations de la société civile, renforcement de la cohérence et de la transparence des politiques publiques et, enfin, renforcement de l’approche genre de la loi.

Pour la deuxième partie de votre question quant à mon impression à propos du consensus obtenu, je dirais que de fait, nous devons continuer à porter la question de la solidarité internationale. Les débats qui ont eu lieu au parlement ou au CNDSI sur ce sujet sont importants. Ils doivent avoir lieu régulièrement. Le consensus qui semble avoir été globalement obtenu au niveau du parlement autour de cette loi montre que la France peut, doit (et finalement veut) jouer un rôle important dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités mondiales. C’est encourageant. Cependant, la société civile devra rester vigilante à la bonne mise en œuvre de ce consensus, continuer d’apporter ses valeurs et son expertise au soutien des politiques de développement et contribuer à leur mise en débat public.

Le financement public des projets de développement à l’international mis en œuvre par des organisations françaises est annoncé doublé dans le projet de loi. Dans le même temps, les contraintes accrues en termes de redevabilité financière font que les coûts administratifs indirects des organisations intervenant à l’international augmentent. Comment peut-on résister à la tendance actuelle de technocratisation de l’aide, qui peut être interprétée comme un détournement des fonds destinés aux opérations dans les Suds au profit d’une logique comptable et financière que certains qualifient d’excessive ?

Je suis content que vous souleviez cette question de cette façon.

Je commencerais en rappelant que la redevabilité et la transparence sont essentielles à la qualité de la mise en œuvre de l’aide publique au développement, et c’est pourquoi ces deux éléments sont également au cœur de notre plaidoyer concernant la future loi. Cette redevabilité et transparence doivent s’appliquer à toutes les parties prenantes : les ONG bien sûr, mais aussi les institutions publiques ou parapubliques, ainsi que les acteurs et actrices du secteur privé marchand.

Cela ne contredit en rien notre position de refuser la surredevabilité procédurale et la surbureaucratisation de l’aide à l’œuvre depuis plusieurs années, par exemple au sein de la Commission européenne ou plus récemment en France. Cette position peut être entendue par certains comme l’expression d’un refus de la part des organisations de la société civile d’être rigoureuses dans leur gestion financière et opérationnelle. Ce n’est évidemment pas le cas. Il est tout à fait normal que les organisations rendent des comptes et prennent des précautions pour s’assurer du bon usage des financements reçus. Et elles le font. Mais il ne faut pas non plus que cela tourne à l’absurde ou que cela contrevienne au sens ou aux principes fondamentaux de nos actions. C’est malheureusement le cas aujourd’hui sur certains points. Par exemple, les procédures pour engager des dépenses et les justifier se démultiplient, engendrant des coûts, des lenteurs, des erreurs procédurales, etc. pour quels bénéfices ? La redevabilité accrue pose problème quand elle va au-delà de ce qui est nécessaire pour avec une lecture fidèle sans doute raisonnable sur la sincérité de ce qui est réalisé.

À quel moment met-on ces contraintes et ces entraves au regard du niveau des risques réellement encourus, de l’utilité des actions engagées, de l’adaptabilité et de la réactivité nécessaires pour faire face aux situations de terrain ? Porter ce sujet est très délicat actuellement. Il est en effet difficile de faire entendre une approche basée sur l’analyse des risques au regard des bénéfices attendus ; qui s’oppose à la pensée dominante de l’atteinte du « risque zéro ». Objectif totalement illusoire, mais plus confortable à brandir pour beaucoup. Le bon sens et le courage doivent s’imposer de façon à briser ce cercle vicieux. Cela passerait par l’examen des exigences face à l’efficacité des actions de solidarité internationale et à leur conformité avec le cadre dans lequel ces actions s’inscrivent (ODD, droits humains, etc.).

C’est le message que nous portons dans différents espaces. Nous sommes persuadés que nos concitoyens et concitoyennes soutiennent cette approche ; car nous sommes tous et toutes conscients qu’un certain niveau de risque doit être assumé. Un parallèle pédagogique peut être présenté : nous, tous et toutes en tant que citoyens et citoyennes, vivons aujourd’hui avec la pandémie. Quotidiennement, nous évaluons le bénéfice et le risque associés à mener telle ou telle activité. Les règles qui nous sont imposées pour freiner l’épidémie – au même titre que les règles de redevabilité qui sont imposées à la société civile – doivent nous protéger au mieux, individuellement et collectivement, mais ne doivent pas devenir toujours plus contraignantes dans le seul but d’atteindre le « graal » du « risque zéro », qui, in fine, n’existe pas et n’existera jamais, et ce contrairement aux discours et espoirs qui peuvent traverser nos sociétés contemporaines ; à tout le moins celles des pays riches.

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Les différentes étapes de ce projet de loi :

La loi n°2014-773 du 7 juillet 2014 d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale prévoyait une révision obligatoire de ses dispositions après une période de 5 ans (article 15). Le projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales qui est soumis au vote le 2 mars 2021, à l’Assemblée nationale, a vocation à remplacer cette loi. Le projet de loi est en discussion depuis début 2018, et fait suite à la tenue du dernier Comité interministériel pour la coopération internationale et le développement (CICID) du 8 février 2018. Ce projet a à la fois cherché à intégrer les orientations stratégiques de la France et une dimension programmatique, en fixant à l’horizon 2022 les moyens que la France alloue à sa politique d’aide au développement. Après un long processus de concertation, la loi, dans son avant-dernière version, devait être présentée en Conseil des ministres courant mars 2020, après avis du Conseil économique, social et environnemental (CESE) et du Conseil d’État. Après plusieurs annonces et reports, une motion dédiée votée lors de l’Assemblée générale 2020 de Coordination SUD, une lettre à la Présidence et une lettre ouverte des ONG, le projet de loi est enfin passé à l’ordre du jour du Conseil des ministres, le 16 décembre 2020, la veille de la Conférence nationale humanitaire, déclenchant de fait son examen parlementaire en vue de son adoption au parlement en procédure accélérée. Au cours du plaidoyer parlementaire, Coordination SUD a publié une tribune appelant à fixer une date pour atteindre l’objectif de consacrer 0,7% du revenu national français à l’aide publique au développement afin d’offrir au secteur de la solidarité internationale les moyens et la visibilité nécessaires pour mettre en place des politiques de développement de qualité. L’examen en Commission des affaires étrangères s’est déroulé les 11, 12 et 13 février. L’examen en séance publique à l’Assemblée nationale a eu lieu les 17 et 19 février. Le vote solennel à l’Assemblée nationale s’est déroulé le 2 mars.

Industrie de défense : le Covid-19 oblige là aussi les États à réagir

Mon, 01/03/2021 - 17:08

Le Covid-19 a impacté le monde dans son ensemble, le secteur de l’industrie de défense n’y faisant pas exception. Où en est ce secteur alors que les fonds d’investissement montraient un intérêt croissant pour les entreprises opérant dans ce domaine ? Le Brexit et la crise actuelle peuvent-ils jouer en faveur d’une autonomie stratégique européenne en matière d’industrie de défense ? Le point avec Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’IRIS.

Dans quelle mesure la crise du Covid-19 a-t-elle impacté l’industrie de défense ?

Le premier impact fut celui lié au confinement de mi-mars 2020 et prolongé jusqu’au mois de mai 2020. À cette époque, les entreprises n’étaient pas préparées à une telle épreuve. Le délégué général pour l’armement Joel Barre a évalué à 75% l’activité de la Base industrielle et technologique de défense (BITD) française durant la période de confinement[1]. 45% des salariés auraient été en télétravail alors que 30% assuraient la production et la maintenance dans les sites industriels. En France, on a surtout veillé à permettre à nos soldats de pouvoir toujours bénéficier de matériels en état de marche dans les opérations extérieures.

Les États-Unis ont pris une mesure plus radicale. Le Secrétariat à la Défense a publié un mémorandum déclarant les entreprises de défense comme infrastructures critiques, enjoignant ainsi celles-ci à ne pas fermer leurs sites industriels. L’État a donc réquisitionné les entreprises de défense afin que la production des équipements militaires ne soit pas arrêtée. En France, sans que la production soit complètement stoppée, il y eut un retard pris dans la production des équipements militaires comme dans la plupart des pays. Ainsi seuls 100 des nouveaux blindés Griffon sur les 128 prévus ont pu être livrés à l’Armée de terre.

Les industriels de l’armement ont également fait part de leurs craintes d’une réduction des exportations. Les pays exportateurs n’ont pas encore publié leurs résultats pour l’année 2020, mais on s’attend en général à une baisse sensible de ces exportations. Dans ce cas, les handicaps se cumulent : la production est ralentie, et les services chargés d’étudier les licences d’exportation et les services des douanes ont travaillé avec des effectifs réduits, notamment durant le premier confinement, et ont donc été moins efficaces. Surtout, les déplacements à l’étranger pour négocier des contrats et les transferts de matériels pour faire des démonstrations ne peuvent plus être organisés.

Les fonds d’investissement font preuve d’un intérêt certain et croissant pour les entreprises de défense, notamment en Europe. La crise actuelle a-t-elle accéléré ce phénomène ?

Le phénomène qui voit ce que l’on appelle les investisseurs institutionnels devenir actionnaire des entreprises de défense n’est pas né avec le Covid-19. Cela s’est développé à la fin des années 90. À cette époque, les fonds d’investissement, pour l’essentiel localisés aux États-Unis, étaient en fait des « faux-nez » du gouvernement américain, qui voulait mettre la main sur des entreprises européennes. Aujourd’hui, le phénomène est plus banal – l’objectif est devenu uniquement financier – et est lié à la fois à un retrait progressif de l’État en tant qu’actionnaire de l’industrie d’armement et à la raréfaction de ce que l’on pourrait appeler les actionnaires industriels comme Dassault en France. Mais avec le Covid-19, les investisseurs institutionnels ont davantage d’argent à placer et la valeur des entreprises de défense a tendance à diminuer. La tendance est donc grande, car la défense représente un placement sûr, puisqu’aujourd’hui jamais les États ne diminueront drastiquement leurs commandes aux entreprises de défense.

Les États sont aujourd’hui conscients du risque que peuvent faire peser ces actionnaires institutionnels, non pas parce que ceux-ci ont des intentions malignes, mais parce qu’ils sont de plus en plus actifs pour influer sur la stratégie des entreprises dans lesquelles ils investissent et que leur seul objectif est le profit et non de garantir la sécurité des citoyens grâce à des équipements toujours plus performants.

Ainsi, afin de venir en aide à des entreprises au caractère stratégique qui peuvent être menacées, les États développent plusieurs instruments.

En premier lieu, les États ont pour le moment maintenu le niveau de leur budget de défense malgré la crise. En effet, il n’a pas été constaté pour le moment de mouvement de reflux tel que celui de la crise économique de 2008.

En second lieu, les États accélèrent même le passage de certaines commandes comme c’est le cas avec le plan de relance du secteur aéronautique en France afin de venir en aide à une filière très touchée par la chute de volume du transport aérien. C’est donc le militaire qui vient en aide à un secteur dual (civil et militaire) par nature.

L’inquiétude porte en priorité sur les PME de la chaîne d’approvisionnement, qui peuvent développer des technologies critiques, dont l’activité est duale et qui n’ont pas de réserves de trésorerie ou de capital. Dans ce cas, le ministère de la Défense a accéléré le paiement des factures, et il a surtout créé deux fonds souverains, chacun doté de 200 millions d’euros. Le premier sert à venir en aide au secteur aéronautique et le second, le fonds d’investissement de défense, doit prendre des participations dans des entreprises innovantes en phase de croissance – start-up, PME ou entreprises de taille intermédiaire (ETI) – développant des technologies duales et transverses, et intéressant le monde de la défense comme l’énergie, le quantique, les technologies de l’information dont l’intelligence artificielle, l’électronique et les composants, les matériaux, la santé et l’humain.

De manière générale, on a vu en 2020 un retour de l’investissement public dans la défense. Le gouvernement britannique a pris une participation à hauteur de 40% dans l’entreprise américaine de satellites OneWord, les Allemands ont racheté 25% de l’entreprise d’électronique de défense Hensoldt jusqu’alors détenue par le fonds d’investissement KKR. L’État allemand s’est d’ailleurs fixé pour objectif de créer un fonds souverain pour protéger les entreprises du secteur des technologies de l’information qui prennent de plus en plus d’importance dans la défense.

Concernant plus précisément l’industrie de défense européenne, le Brexit et la crise actuelle peuvent-ils jouer en faveur d’une autonomie stratégique européenne en matière d’industrie de défense ?

L’industrie de défense a toujours été un secteur de souveraineté. Les marchés de l’armement n’ont jamais été des marchés réellement ouverts et le phénomène de la globalisation n’a pas véritablement affecté le secteur de la défense. L’autonomie stratégique européenne, c’est avant tout la capacité qu’auront les pays de l’Union européenne à pouvoir conduire les missions de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) sans dépendre d’autrui.

Dans le secteur industriel de défense, l’autonomie stratégique se conçoit donc pour nombre de pays européens dans le cadre des alliances et donc dans le cadre de l’Alliance atlantique avec les États-Unis. Ces États ont donc peur que la France conçoive l’autonomie stratégique européenne comme un moyen d’écarter les États-Unis et l’OTAN. Ce n’est pas le cas, mais il est paradoxal de constater que la réticence de certains de nos partenaires pourrait nous conduire à avoir dans le secteur de la défense moins d’autonomie que dans d’autres secteurs de haute technologie. Cette question devrait donc être envisagée avant tout comme l’objectif et la volonté que nous partageons tous de faire de l’Union européenne une puissance technologique de pointe, l’industrie de défense n’étant qu’un secteur de pointe parmi d’autres.

Ainsi le Covid-19 nous a fait comprendre que nos industries de défense étaient désormais très imbriquées au sein de l’Union européenne. Par exemple, à quoi cela sert-il de continuer à fabriquer des véhicules blindés de combat d’infanterie (VBCI) en période de confinement si l’entreprise britannique qui fabrique les rotules des trains roulants de ce VBCI ne peut plus nous livrer, car le client français n’est pas prioritaire en période de Covid-19 ? Il faut donc que l’on puisse assurer la sécurité d’approvisionnement en toutes circonstances au niveau européen.

Pour cela, il est nécessaire de cartographier toutes les chaînes d’approvisionnement des équipements militaires afin d’examiner les dépendances qui pourraient s’avérer critiques sur certains composants, soit du fait d’une pandémie comme le Covid-19 ou du fait d’une crise internationale. La France avait par exemple pris l’initiative dès 2018 de demander à l’Union européenne de financer des recherches sur les logiciels reprogrammables, des composants électroniques utilisés dans la défense pour lesquels nous n’avions plus de filière industrielle en Europe.

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[1] Audition Joel Barre, Délégué général pour l’armement, Commission de la défense nationale et des forces armées, Assemblée nationale, 29 avril 2020

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Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

Message de Biden à MBS

Mon, 01/03/2021 - 15:16

L’affaire Khashoggi refait surface avec la publication vendredi dernier d’un rapport de la CIA incriminant directement le prince héritier du royaume saoudien Mohammed Ben Salmane (MBS), comme commanditaire de l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi au sein du consulat saoudien d’Istanbul. Ce rapport intervient quelques semaines après la prise de fonction du nouveau président américain, un signal très net envoyé par les Etats-Unis à leur allié saoudien pour signifier à Riyad que la période Trump, lors de laquelle MBS avait carte blanche, est définitivement révolue, le tout dans un contexte de reprise du dialogue entre Washington et Téhéran. Une manière pour l’administration Biden de rééquilibrer un rapport de force sans pour autant rompre complètement avec Riyad au nom d’une proximité stratégique et économique appelée à se maintenir.

Trump, encore

Mon, 01/03/2021 - 12:58

 

C’est un discours rempli de mensonges et d’aigreur, et au ton revanchard que Trump a prononcé en clôture de la CPAC 2021 à Orlando, devant un public tout acquis à sa cause. Laissant planer le doute sur sa candidature en 2024, il a surtout affiché son souhait de garder le contrôle du parti républicain, au besoin par la menace.

Chaque année, la Conservative Political Action Conference (CPAC) tient son grand rendez-vous : des figures célèbres de la droite dure américaine s’y succèdent pour rappeler leurs principes, leurs valeurs, leurs priorités, désigner leurs « rois » aussi. La session 2021, qui s’est tenue à Orlando (Floride), s’est achevée le 28 février. Organisée en présentiel, elle pourrait avoir été un gigantesque cluster tant le public, au vu des images, était peu soucieux de distanciation physique et portait rarement un masque…

Le dernier discours était très attendu puisque c’est Donald Trump qui, en guest star très en retard, l’a prononcé. Pour sa première apparition publique depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche, il a parlé pendant plus d’une heure et demie et c’est au jeu d’un véritable culte de la personnalité qu’il s’est livré. À Orlando, ce n’est pas un ex-président ayant subi deux procédures d’impeachment, ayant perdu deux fois le vote populaire et ayant échoué à être réélu qui était sur la scène, devant un public très largement trumpiste. C’est le Trump des campagnes et des meetings depuis 2015 : vindicatif, hurlant parfois, il s’est montré menaçant, a désigné ses ennemi.e.s, et a surtout beaucoup menti.

Après une longue diatribe critiquant l’action de Joe Biden qui, si l’on prend Trump à la lettre, a accompli une quantité impressionnante de choses (toutes mauvaises) en un peu plus d’un mois au pouvoir, le président battu s’est vanté d’avoir, lui, accompli un mandat exceptionnel, puis a parlé de l’avenir, tout en teasing et en allusions comme il sait le faire. L’ensemble du discours était ponctué de contre-vérités : pour lui, l’élection présidentielle de 2020 était truquée, les démocrates ont triché, la victoire lui a été volée. Donald Trump n’a pas dit qu’il se représenterait en 2024, mais l’a laissé entendre entre les lignes, parlant notamment de « pouvoir gagner une troisième fois ».

Biden dépeint en président laxiste

Revanchard, Trump (qui n’avait cessé, à la Maison-Blanche, d’être obsédé par l’idée de détruire l’héritage d’Obama) reproche au nouveau président de vouloir casser tout ce qu’il a fait. Il a ainsi longuement critiqué Biden pour son prétendu laxisme sur l’immigration – alors que ce dernier n’a, à ce stade, signé que quelques décrets, mais l’un est emblématique : l’arrêt du financement de la construction du mur le long de la frontière mexicaine. Pour Trump, qui pourrait écrire le scénario de la prochaine saison d’Ozark, les cartels, la drogue, « des prédateurs dangereux » sont en train de déferler sur les États-Unis. Les immigrés, incultes et dangereux (« les autres pays ne nous envoient pas les plus brillants »), « vont arriver par millions ». Reprenant la référence traditionnelle de l’extrême droite des maladies transportées par les étrangers, Trump a ajouté que les immigrés faisaient peu de cas de la sécurité sanitaire, comme l’exemple du « Chinese virus » (le coronavirus) l’illustre, selon lui. Alors que le racisme anti-asiatique prospère aux États-Unis à cause de la Covid, cette phrase ne peut que mettre un peu plus d’huile sur le feu.

Pour Trump, les États-Unis voient leur sécurité menacée de l’extérieur, par les migrants, et pas du tout de l’intérieur. Il n’aura, ainsi, pas un mot sur l’attaque du Capitole du 6 janvier dernier, et ne parlera jamais du terrorisme intérieur d’extrême droite, alors que celui-ci fait l’objet d’une attention extrême de la part du FBI. Mais, à l’entendre, le politiquement correct, la « cancel culture » et la gauche radicale, « vicieuse », seraient les vrais périls intérieurs (à quoi cela correspond-il concrètement ? Il n’en a rien dit). Or, l’ancien président est lui-même un spécialiste de la « cancel culture » puisqu’il a limogé tous ceux qui ne lui étaient pas absolument loyaux, y compris et surtout quand il a cherché à contourner les institutions et à flirter avec la loi (on pense en particulier à la campagne de 2016 et au premier impeachment).

Un passage savoureux du discours, consacré aux sportives, est à signaler. Peu suspect jusqu’ici de défendre les droits des femmes, Trump a estimé que celles-ci étaient menacées dans le sport à cause des transgenres (nés hommes) qui fausseraient les résultats. Cette phrase, critique à l’égard des politiques de Biden en faveur des droits des LGBTI (lutte contre les discriminations que Trump avait renforcées, vote en ce moment de l’Equality Act au Congrès, soft power international pour défendre les minorités sexuelles), ne visait qu’à blesser (et à faire rire l’auditoire) et témoigne une fois de plus de sa méconnaissance totale de ces sujets. Car revoilà l’obsession identitaire trumpienne. Plus tard, il a dit : « Nous défendons les valeurs judéo-chrétiennes et rejetons la ‘cancel culture’ » (encore elle). Une phrase que l’on entend chaque jour en France ces dernières semaines…

Vanter son bilan… quitte à s’attribuer toutes les réussites

Si l’on en croit le président battu, la découverte et la distribution du vaccin en si peu de temps, c’est grâce à lui. Ainsi, a-t-il martelé : l’administration Trump a sauvé de grandes parties du monde de la Covid, pas seulement les États-Unis, regrettant que « les médias ne le disent pas parce qu’ils mentent ». Il aurait aussi arrêté les guerres, fait payer la Chine, défendu les emplois de l’extraction des énergies fossiles et des mines (des emplois masculins).

Ce serait aussi grâce à Trump que des dizaines de représentants, de sénateurs et de congressistes locaux ont pu être réélus en novembre dernier. L’ex-leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, a sans doute été ravi d’entendre qu’il doit à Trump sa réélection pour un septième mandat. Il faut aussi comprendre ce passage comme des menaces à peine voilées contre ceux et celles, notamment Liz Cheney, qualifiée de « belliciste » et que Trump a fait huer, qui ne le soutiendraient pas. De fait, a-t-il dit, « les RINO (Republicans In Name Only, autrement dit les « faux républicains) vont détruire le parti, mais le parti est uni » (ce qui est loin d’être vrai). En les citant un par un, Trump a égrené les noms des dix-sept républicains qui, au Congrès, ont voté le deuxième impeachment : « Débarrassez-vous d’eux ! », a-t-il lancé à la foule.

Donald Trump souhaitait ainsi faire montre de son emprise sur le Parti républicain. Sa force, c’est son réservoir de 74 millions de voix, la peur qu’il suscite dans les rangs du parti, et le mouvement qu’il a créé autour de lui. Il a hier donné sa propre définition du trumpisme : « des super deals, un électorat fort, des impôts faibles, l’absence d’émeutes de rue (sic), le respect de la loi et de l’ordre public (sic), la protection du deuxième amendement, une armée forte » (qu’il estime avoir « totalement reconstruite »). Il est vrai que le trumpisme est un mouvement, aux États-Unis et en dehors.

Ses promesses de victoires à venir, de reconquête du Congrès en 2022 et de la Maison-Blanche en 2024 restent pour l’heure de l’ordre du discours. Pour y parvenir, Trump a-t-il expliqué, il faut revoir les conditions du vote. Réclamant des réformes comme la fin du vote par courrier ou l’obligation de détenir une carte d’identité (ce qui pénalise les plus démunis et les minorités raciales), il rejoint les nombreux États fédérés conservateurs qui, actuellement, votent des lois pour restreindre l’accès au vote. La justification avancée est la « fraude ». Néanmoins, ces tentatives s’inscrivent dans l’histoire longue du parti républicain, comme l’illustre le souhait, en Géorgie, d’interdire le « Sunday voting », qui vise particulièrement les Noirs qui se rendent traditionnellement aux urnes après l’office religieux. Or il s’agit d’un vote « en personne » et cela n’a donc rien à voir avec la prétendue fraude au vote par correspondance. Mais pour Trump, le Grand Old Party (GOP) est « le parti des élections fiables » et ce sont les démocrates qui ont « utilisé le ‘Chinese virus’ pour changer toutes les règles électorales »… Le big lie, encore.

Si des combats juridiques sont à venir, certaines de ces nouvelles lois locales sont permises par un arrêt de la Cour suprême de 2013 fragilisant le Voting Rights Act de 1965 (laquelle avait supprimé les discriminations raciales dans l’accès au vote dans certains États du Sud). Plutôt qu’adapter son offre aux nouveaux électorats, le GOP leur interdit de voter. Vous avez dit cancel culture ?… Les théories du complot conduisent à la violence (6 janvier). Elles servent aussi de justification à la limitation de la démocratie.

Trump, avenir du parti républicain ?

Sur scène à Orlando, Trump a balayé la possibilité de créer un nouveau parti puisque, a-t-il insisté, le parti républicain est uni. Le récit populiste d’un « Nous » (« tout le monde dans le pays », un « peuple » imaginaire peut-être) versus un « Eux » (l’establishment de Washington et surtout « quelques-un.e.s de ses membres », les « fake news media ») a été réactivé. « Nous gagnerons : à la fin, nous gagnons toujours. Nous devons vivre un triomphe », a scandé Trump à la CPAC de 2021, qui n’est pas représentative du parti républicain. Le test de sa véritable influence en son sein, ce sera les Midterms de 2022 et jusque là, au moins, les républicains vont, si l’on peut dire, avoir Trump « dans les pattes ».

Global Britain : Mythes et réalité

Sun, 28/02/2021 - 10:34

C’est une bien mauvaise surprise qui guettait ce malheureux contingent de routiers à leur arrivée au port de Rotterdam, un triste lendemain de Brexit. A peine avaient-ils posé le pied dans le marché unique qu’ils durent se délester de la totalité de leurs rations de sandwich au jambon, à l’invitation sympathique mais sourcilleuse d’un bataillon de douaniers néerlandais. La surprise, convient-il aussitôt d’ajouter, est somme toute relative. Elle procède implacablement des 1449 pages de l’accord de libre-échange conclu entre Londres et Bruxelles fin 2020, dont les minuties n’avaient en rien échappé à la sagacité de l’administration portuaire.

Pour trivial qu’il soit, l’épisode est loin d’être anodin, et très loin d’être isolé. Ce sandwichgate incarne en puissance tout le défi qui attend désormais le Royaume-Uni dans sa course vers le large. La Cheshire Cheese Company, une respectable fromagerie britannique qui soutenait le Brexit, a dû se résoudre depuis janvier à adjoindre un certificat vétérinaire de £180 à chacun de ses colis continentaux. L’entreprise prévoit aujourd’hui de construire ses nouveaux entrepôts en France, plutôt que dans le Cheshire.

Pour tenter d’écouler sur le marché intérieur la pêche qu’il est désormais ruineux d’exporter vers l’Espagne, le crabe araignée et la cardine franche britannique ont été rebaptisés à la hâte. Les deux espèces, boudées d’ordinaire par l’autochtone, seront dorénavant vendues outre-Manche sous les noms plus heureux de crabe royal et de sole des Cornouailles. La fin prochaine du moratoire sur les formalités douanières ne contribuera pas davantage à épargner à Boris Johnson les récriminations d’un secteur qui fait face aux coûts supplémentaires qui s’appliquent invariablement à tout aliment frais.

Quelques maux de tête

Qu’importe pourtant, puisque le Premier ministre a fait le pari singulier de présenter le Brexit comme une question strictement politique, dans un pays où le commerce d’abord et la finance ensuite ont longtemps fait figure de premier aiguillon. Il y a pourtant bien quelque chose d’éminemment politique dans la nécessité qui s’imposera à partir du mois d’avril de déclarer tous les biens transitant entre la Grande Bretagne et Irlande du Nord. C’est acter une manière de séparation commerciale qu’« aucun Premier ministre anglais ne pourrait accepter », selon Theresa May elle-même.

C’est ainsi qu’il n’aura fallu qu’une courte polémique sur les exportations de vaccins pour mettre le feu aux poudres et ouvrir grande la boîte de Pandore nord-irlandaise, lors même qu’on pensait les contestations étouffées, avec un certain flair diplomatique, sous le double éteignoir des fêtes de fin d’année et de la lassitude politique qui a fini par gagner les deux côtés de la Manche.

Un sondage du quotidien conservateur le Sunday Times annonçait dans l’intervalle qu’une majorité nord-irlandaise appelait de ses vœux un référendum de réunification irlandaise d’ici cinq ans. En position de force, le parti nationaliste écossais se prépare quant à lui à faire campagne pour un nouveau référendum d’indépendance après les élections parlementaires du printemps. Plus surprenant, la question de l’indépendance galloise a commencé d’affleurer publiquement. De Global Britain à Little England, il n’y a guère en effet qu’un pas de trois.

Les relations transmanche ne sont pas en reste, et promettent à Downing Street des maux de tête qui s’étendront fort au-delà des récentes escarmouches sur les vaccins. La gestion des quelque 2300 dispositions juridiques annuelles que les institutions européennes produisent dépend désormais d’un mille-feuille de comités ad hoc responsables qui de l’accord de sortie, qui du protocole nord-irlandais, qui de l’accord de libre-échange du mois de décembre 2020 dont répondent dix neufs sous-comités.

Comme le rappelait Clément Beaune, le Royaume-Uni libre-échangiste est désormais soumis à davantage de règles à l’export que n’importe quel pays du monde.

Au gré de ses intérêts

C’est sans doute pourtant du point de vue stratégique que la notion de « Global Britain » suscite le plus de scepticisme. Pour temporiser, le gouvernement a d’ores et déjà annoncé une augmentation significative du budget de défense et des investissements consacrés à la cybersécurité et à l’intelligence artificielle. L’officialisation prochaine d’une stratégie extérieure rédigée sous la houlette de l’historien nord-irlandais John Bew vise à définir plus largement le rôle que le pays souhaite jouer sur la scène internationale.

Très attendue, elle tentera d’esquisser le portrait d’une puissance globale agile dans un monde dominé par l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis. Les frictions récentes sur la question des Ouïgours et de Hongkong incarnent la volonté britannique de peser dans l’Indopacifique sans en rabattre sur les droits de l’homme.

Comme les États-Unis de Barack Obama, le Royaume-Uni réfléchit à son pivot contemporain vers le Pacifique. Comme ceux de Joseph Biden, Londres aspire à rejoindre l’accord de libre-échange transpacifique. Au gré de ses intérêts objectifs par ailleurs, le pays cherchera tantôt à s’allier avec l’« E3 » (France, Allemagne, Royaume-Uni), avec la communauté « Five Eyes » (l’alliance des services de renseignement américain, néo-zélandais, australien, canadien et britannique) ou avec le « D10 » (G7, Inde, Australie et Corée du Sud).

Rien que de très classique, en somme. « Little England » ou « Global Britain », le Royaume-Uni de Boris Johnson ressemble à s’y méprendre à celui de [l’ancien premier ministre] Lord Palmerston (1784-1865), pour qui il n’était « point d’allié éternel ou d’ennemi perpétuel de l’Angleterre. Il n’est d’éternel et de perpétuel que ses intérêts ».

Quelle politique de Joe Biden au Moyen-Orient ? Premiers éléments de réflexion

Fri, 26/02/2021 - 17:00

Après quatre années d’administration Trump, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche pose la question du futur des relations entre les États-Unis et les États du Moyen-Orient. Les signaux lancés par Washington laissent entrevoir une volonté de relancer le dialogue avec Téhéran tout en ne laissant pas le champ tout à fait libre à Riyad et Tel-Aviv. À rebours donc de la politique de Trump. Mais il faut rester prudent et attendre de voir si les actes suivront. Analyse de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Un mois s’est écoulé depuis la prise de fonctions du nouveau locataire de la Maison-Blanche. Si l’on ne peut constater à ce stade une vague d’enthousiasme à l’égard de la nouvelle administration, une forme de soulagement s’est néanmoins fait jour après les préoccupants errements de Donald Trump dans le champ des relations internationales. Le multilatéralisme, qui était systématiquement remis en cause par son prédécesseur, semble en effet redevenu un paramètre pris en compte par Joe Biden dans les mécanismes de prises de décision de Washington.

Au Moyen-Orient, une série de choix ont été énoncés dont il serait inconséquent de sous-estimer la réalité, tout autant que de considérer que nous assistons à un changement de cap politique radical. Les dossiers sont multiples et il s’avère utile d’en décliner quelques-uns pour saisir les dynamiques à l’œuvre.

C’est le dossier nucléaire iranien qui concentre aujourd’hui l’attention internationale. Pour mémoire, un accord global, dit JCPOA, fut signé le 14 juillet 2015 après de longues négociations – initiées de facto, en octobre 2003 à Téhéran, par la France en la personne de Dominique de Villepin accompagné de ses collègues britannique et allemand – qui permirent de réintégrer l’Iran dans le jeu régional et international. C’est moins de trois années plus tard que Donald Trump annonça, le 8 mai 2018, le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord, ce qui combla d’aise Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, réunis par leur aversion commune à l’égard de l’Iran. Ayant vainement montré sa volonté de rester dans le cadre de l’accord, mais n’obtenant aucun résultat tangible, l’Iran finit par annoncer, le 8 mai 2019, qu’il ne s’estimait plus contraint par tous les engagements contenus dans le JCPOA. Les États-Unis accrurent alors leur pression sur le pays en accentuant les sanctions à son encontre que l’Union européenne n’aura pas le courage de refuser d’appliquer.

C’est dans ce contexte tendu que Joe Biden a annoncé sa volonté de reprendre des négociations avec l’Iran. La question est de savoir désormais qui va faire le premier pas et quelles en seront les conditions précises. Les dirigeants iraniens exigent légitimement l’arrêt préalable de toutes les sanctions, les États-Unis posent la condition que Téhéran en revienne immédiatement au respect des engagements contenus dans l’accord de 2015. La meilleure solution consisterait alors de procéder à des décisions bilatérales simultanées sous le contrôle de l’Organisation des Nations unies (ONU). De ce point de vue l’accord, valable pour trois mois, signé le 21 février entre le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, et le gouvernement de Hassan Rouhani est un signe positif qui indique une évolution certaine du traitement de ce dossier délicat.

Mais une autre condition est posée à l’Iran par Washington, visant à rouvrir des négociations en intégrant deux nouveaux dossiers qui n’apparaissaient pas dans le JCPOA : celui de la politique régionale de la République islamique et celui de ses missiles balistiques. Le fait même que ces deux dossiers n’aient jamais été abordés dans l’accord de 2015 jette, pour le moins, une ombre sur la volonté de Joe Biden de véritablement trouver une solution négociée en rajoutant des conditions supplémentaires alors qu’il n’y a rien de plus urgent que d’en revenir aux termes, à tous les termes, mais rien qu’aux termes, du JCPOA. Comment, en outre, penser une seule seconde que Téhéran puisse accepter de négocier pour se voir dicter sa politique régionale ou sur ce qu’elle considère relever de sa sécurité nationale ?

Dans le même temps, la nouvelle administration Biden, comme si elle désirait néanmoins convaincre de sa résolution à parvenir à une fluidification de ses relations avec l’Iran, a adressé plusieurs signaux en direction de l’Arabie saoudite, l’un des États de la région le plus opposés à toute forme de normalisation avec l’Iran et en son temps systématiquement favorisé par Donald Trump. L’annonce de l’arrêt du soutien logistique états-unien aux opérations militaires saoudiennes au Yémen – pays à propos duquel Joe Biden a parlé de « catastrophe humanitaire et stratégique » –, la remise en cause de livraisons d’armes à l’Arabie saoudite, l’annulation de la qualification des houthistes d’entité terroriste, constituent un changement de cap significatif, dont il conviendra toutefois de vérifier la mise en application réelle. On constate d’ailleurs que les dirigeants saoudiens ont assez vite compris le message en prenant plusieurs décisions visant à réduire les pressions qui s’exercent sur eux : libération de Loujain Al-Hathloul, levée de l’embargo commercial et économique imposé par l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis au Qatar depuis 2017, certaines peines de mort commuées en peine de dix années de prison. On comprend que le langage de fermeté des États-Unis induit des turbulences au sein des cercles dirigeants saoudiens et que ces derniers n’ont d’autre choix que de composer avec les exigences de la nouvelle administration Biden.

Enfin, sur le dossier israélo-palestinien, des décisions ont de même été prises rapidement, marquant des éléments de ruptures avec la politique de soutien et d’alignement inconditionnelle sur Benyamin Netanyahou qu’avait mise en œuvre Donald Trump. Notons, tout d’abord, que le premier entretien téléphonique entre le président états-unien et le Premier ministre israélien a seulement eu lieu le 17 février, long délai qui a certainement inquiété ce dernier, habitué à plus de considération et de célérité de la part des États-Unis. Inquiétude d’autant plus motivée que Washington a réaffirmé sa recherche d’une solution à deux États, qualifié les colonies israéliennes d’illégales, et donc signé la mort de ce que Donald Trump avait annoncé comme le « deal du siècle ». Il y a probablement dans les cercles décisionnels proches de Biden le sentiment confus que le soutien inconditionnel à l’État d’Israël devient en partie contradictoire avec le soutien inconditionnel à son Premier ministre actuel. Dans le même temps, Kamala Harris a annoncé la reprise des contacts avec les dirigeants palestiniens, la réouverture de la mission palestinienne à Washington et la réactivation de la participation financière des États-Unis à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). A contrario, Joe Biden a expliqué qu’il ne reviendrait pas sur la décision du transfert de l’ambassade états-unienne à Jérusalem, mais allait rouvrir le consulat à Jérusalem-Est, signal de la reconnaissance de la ville trois fois sacrée comme capitale de l’État d’Israël, mais possibilité de la reconnaître aussi comme capitale d’un État palestinien, si ce dernier venait à voir le jour, ce qui nécessitera beaucoup plus que des signaux, aussi positifs fussent-ils. Il semble néanmoins que le dossier israélo-palestinien ne soit pas considéré à ce stade comme une priorité politique pour la nouvelle administration.

L’ensemble de ces éléments montrent une réelle inflexion de la politique des États-Unis au Moyen-Orient, dont il faut prendre la mesure. Néanmoins, il serait bien imprudent de se réjouir trop vite. Joe Biden ne révolutionnera pas les fondamentaux de la politique de son pays dans la région et les alliances structurantes seront maintenues. Nous ne sommes certes plus dans la séquence « America first », mais dans celle du « America is back », et le président est élu pour servir les intérêts des États-Unis.

Il y a souvent loin des promesses aux actes, mais on peut faire crédit au nouveau président de n’avoir pris ses fonctions que depuis quelques semaines. Des signaux contradictoires ont été émis pour tenter de redonner une véritable place à la diplomatie, c’est un fait positif. Cela ne signifie pas que Paris possède mécaniquement les mêmes intérêts que Washington et il est regrettable que la France ne soit pas force de proposition constructive pour contribuer au règlement des contentieux régionaux. Plus que jamais, elle doit faire preuve de créativité pour conforter son indépendance et être vecteur d’entrainement. Il était éventuellement facile de s’opposer à la politique Trump en raison de ses outrances récurrentes, et pourtant les voix critiques à son égard n’étaient pas toujours très audibles, mais ce serait une grave erreur de s’aligner aujourd’hui systématiquement sur la politique de son successeur en ne retenant que le plus petit dénominateur commun. Alliés, mais pas alignés expliquait le général de Gaulle, la formule n’a pas perdu de sa pertinence.

China’s Championing of Football makes State led U-Turn for home

Fri, 26/02/2021 - 12:50

When Argentinian player Carlos Tevez signed for Chinese Super League club Shanghai Shenhua at the end of 2016, it marked perhaps the most significant episode in what, at the time, seemed to be a booming market for football.

Tevez’s salary (reportedly worth upwards of euro €670,000 per week) has become the stuff of legend, and was taken to be a sign of China’s commitment to developing its football. Others, including Tevez himself, tended to see such ostentatious spending as unfathomable yet highly lucrative. Indeed, when he left Shanghai to return back to Argentina after just a year with Shenhua, Tevez talked of his ‘holiday in China’.

The origins of a rapid growth in spending on expensive overseas players are found in statements supposedly made by President Xi Jinping, in which he supposedly claimed that he wanted China to win the men’s FIFA World Cup. These statements came just ahead of the country’s launching of its 13th Five-Year Plan, which advocated the need for a more outward looking China and also encouraged outbound Chinese investment.

One of the early movers in responding to what became a tidal wave was Wang Jianlin, owner of the Wanda Corporation. Wang had been a long-time football fan and owner of a club in China, who then acquired a 20% stake in Spain’s Atletico Madrid. Many other such acquisitions followed, with Chinese investors buying a host of clubs including England’s Wolverhampton Wanderers (by Fosun), Italy’s Inter Milan (by Suning) and the Czech Republic’s Slavia Prague (by CEFC Energy).

Why there was a sudden surge in such acquisitions is, even now, still being debated. Some observers have seen it as a means through which China could learn about elite professional football – both on and off-the-field. Others have seen it as symbolic, a signal by China that it intended to play the game (and, ultimately, win the World Cup). Otherwise, investing into an industrial sector in response to state diktats has always been a way to for Chinese businesses to ingratiate themselves with the government.

Yet there were also investors whose motives were questionable, at least to officials in Beijing. Some probably saw an opportunity to move their assets, which may have been accumulated by suspect means, overseas whilst too many of these Chinese investors in football proved unable to demonstrate any tangible return-on-investment from their rush into the sport.

The latter was a particular point of concern, especially among those working in the Chinese financial system. Not only was football becoming a significant leakage from the Chinese economy, overseas club investors were also exposing China’s financial system to undue financial risk by borrowing at home and spending abroad (often on highly expensive players who were of little use to the Chinese national team’s performances).

By mid-2017, China’s government stepped in, famously labelling overseas club acquisitions as ‘irrational investments’. At that time, there was also a sense that these new club owners were becoming celebrities in their own right and beginning to see themselves as somehow being bigger than the Chinese state.

Hence what had started with Wang began to end with Wang, the businessman being forced to offload all but 3% of his stake in Atletico. Ahead of this disposal, in the second half of 2017, Wang was detained by Chinese officials and had his passport confiscated. He did, nevertheless, subsequently reappear, around the same time that it was announced that Wanda would be acquiring the Chinese Super League club Dalian.

Wang wasn’t alone; CEFC Energy was quickly forced to sell Slavia Prague and the power company’s owner, Ye Jianming, was imprisoned upon his return to China. Meanwhile, Fosun’s owner, Guo Guangchang, was also reportedly detained by the Chinese authorities (perhaps a reflection of the conglomerate being one of China’s most indebted companies).

More recently, Suning (a high street electrical retailer) has actively been seeking a buyer for Inter Milan. This comes at a time when the company needs debt financing, brought about by the Italian football club’s precarious finances. It is no coincidence that Suning is supported by Alibaba, whose owner Jack Ma has also recently been detained by the authorities (following issues with Alibaba’s stalled stock market floatation of Ant Finance).

As overseas club ownership has been consigned to Chinese football history, so the influx of playing talent has also reversed. Indeed, several of the country’s high-profile signings have left China to go and play elsewhere. The Chinese Football Association’s imposition of a player salary-cap is one reason for this, gone are the days of Carlos Tevez style ‘pay days’ and expensive, often unnecessary, imports.

Instead, China appears to be turning inward upon itself, though with a specific purpose in mind. The 14th Five-Year Plan (due for ratification in 2021) explicitly refers to the need for domestic industry to strengthen and develop its position. It also emphasises the need for inbound investment, not just a call to the country’s investors to come home but also to foreign companies to spend in China.

Both prior to and following the launch of the next plan, there is already a clear sense of China’s priorities, not least that business and football should follow state orders, commit to their own country, reduce debt exposure, and focus on making Chinese football great. As such, football is now being played in all Chinese schools, some of the world’s largest football stadiums are currently being built in China, and Chinese corporations continue to cluster around FIFA.

This is one area of overseas football investment that China’s government has not sought to curtail. Over the last five years, numerous Chinese brands have become FIFA partners leading football’s world governing body to publicly acknowledge its financial inter-dependence with China. Dependent relationships often involve shifts in power between the two partners, which hints at where China is now going.

Rather than winning the World Cup by 2050, China is actually seeking to become a leading FIFA nation in different terms by that date. Hence, its staging of the 2030 men’s tournament would be a part of the country’s trajectory as well as being a major coup for the government in Beijing. If a Chinese bid to stage the event transpires and is then successful, the country will play host to the World Cup’s centenary tournament. This would be hugely symbolic, for China, for FIFA and for the world of football in general.

Under such circumstances, Xi will not want his team to be embarrassed. Hence the pace of training local players, at home in China, has become more like a frantic quest. Talent development is a long-term process, but as a short-term fix the naturalisation of overseas players has started taking place. This carries with it all manner of issues, though China appears intent on trying to qualify for the 2022 and 2026 men’s World Cups.

It has been a short but intense journey from Tevez’s Shanghai holiday and Wang’s Spanish sojourn to China’s more focused football intent. Whether the country will become a leading FIFA nation remains to be seen, however the country’s more purposeful and strategic approach points to a different outcome than that which was delivered over the last five-year planning cycle.

Covid-19 : quelles avancées contre la pandémie ?

Fri, 12/02/2021 - 15:18

Depuis déjà plus d’un an, la pandémie de Covid-19 met à rude épreuve l’OMS, qui vient d’envoyer des experts en Chine, afin d’en trouver l’origine. Alors que la Covax devait permettre un partage équitable des vaccins, les pays les plus riches ont fait cavaliers seuls captant la grande partie des doses. Le point sur la situation avec Anne Sénéquier, médecin, chercheuse et codirectrice de l’Observatoire de la Santé à l’IRIS.

Quels sont les objectifs des experts de l’OMS dépêchés à Wuhan ? Leurs recherches sont-elles libres et peuvent-elles apporter des solutions quant à la gestion actuelle de la pandémie ?

L’objectif des experts de l’OMS était d’en savoir plus sur l’origine du virus du Covid-19. On sait à l’heure actuelle qu’il s’agit d’une zoonose, une maladie du monde animal qui a eu l’opportunité de passer chez l’être humain. La question demeure de savoir quel est cet animal, et quelle est cette opportunité. Le patient 0 avait été identifié au marché aux frais de Wuhan. Jusqu’alors, pour toutes les différentes zoonoses qu’a connues l’Humanité, on a pu identifier l’animal source, ce qui est primordial pour éviter une seconde émergence et pour essayer de comprendre où l’opportunité a eu lieu afin d’éviter ce genre de situation à l’avenir.

Ces recherches sont faites à chaque émergence d’une nouvelle zoonose, mais dans le cas du Covid-19, elle a été particulièrement médiatisée, du fait qu’il s’agisse d’une pandémie mondiale, mais aussi en raison de l’antagonisme très important entre la Chine et les États-Unis. L’OMS est du reste devenue une arène dans laquelle les deux nations se sont opposées.

L’objectif était donc de savoir d’où venait ce virus et d’infirmer ou confirmer plusieurs hypothèses. La première hypothèse est celle d’une zoonose provenant du monde sauvage à travers les animaux en vente (vivants ou non) sur le marché aux frais de Wuhan. La deuxième hypothèse concerne un accident de laboratoire, en raison de l’existence d’un laboratoire P4 à Wuhan, et d’une « fuite » du virus. La troisième hypothèse, évoquée notamment par la Chine, est l’arrivée du Covid-19 sur le territoire chinois à travers l’importation extérieure d’aliments congelés, ce qui signifierait dans ce cas que le virus ne vient pas de Chine.

Les experts de l’OMS ont procédé à de nombreuses visites et rencontres au cours des derniers jours, avant de rendre leur rapport lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée mardi dernier. Ils ont évoqué ce qu’ils n’avaient pas trouvé plutôt que d’évoquer ce qu’ils avaient trouvé. Ils n’ont pour l’instant ni identifié l’espèce animale d’où est venu le Covid-19 ni d’hôte intermédiaire.  C’est assez problématique, et il faudra continuer à travailler sur cette question. Néanmoins, ils ont décrété qu’il était fortement improbable que le Covid-19 vienne du laboratoire P4.

Depuis le début de cette crise, plusieurs problématiques demeurent quant à la transparence sur les données, le nombre de cas, de décès, sur les protocoles et les procédures dont fait preuve la Chine. Il a fallu plus d’une année pour que l’équipe d’experts soit montée. L’enquête ne peut se dire indépendante dans le sens où ils ont dû demander l’aval des autorités pour rencontrer des gens et visiter des structures. Toutefois, tout est ni blanc ni noir, il ne faut pas partir du principe que tout ce qui vient du gouvernement chinois est faux et, à l’inverse, il ne faut pas trop être optimiste et penser que tout est su.

La problématique avec la zoonose est qu’on focalise sur des origines nationales du virus, et donc ici chinoises. Or, aujourd’hui, des zoonoses émergent partout. C’est vrai en Asie avec le Sars-Cov-1. C’est vrai au Moyen-Orient avec le Mers, en Afrique avec Ebola et Zika. C’est aussi vrai en Amérique du Nord avec la maladie de Lyme qui a pris énormément d’ampleur suite à la fragmentation du couvert forestier sur la côte est-américaine et qui prolifère aujourd’hui en Europe. Il ne s’agit donc pas d’une problématique nationale, mais plutôt d’environnement qui est propice aux opportunités qui génèrent des passerelles pour les maladies zoonotiques vers les humains. De plus, une étude a mis en avant l’existence de facteurs de risque. Les zones à risque se situent surtout sur la bande tropicale avec des changements d’utilisation des terres, un couvert forestier qui devient une zone agricole, une faune sauvage qui ne trouve plus son habitat dans les zones périurbaines. Mais c’est aussi vrai dans la fragmentation des forêts primaires dans l’hémisphère nord, en Europe et sur la côte Est des États-Unis. Tout cela représente un risque. Si l’on avait pris les choses par ce biais-là, on aurait pu probablement moins se braquer les uns contre les autres et permettre une meilleure transparence.

Il faut donc continuer les recherches en Chine, mais aussi un peu partout dans le monde. Les experts n’ont cherché qu’à un seul endroit. Ces recherches auront un impact que lorsque l’on aura trouvé le pourquoi du comment afin de mettre en place toutes les mesures pour limiter de nouvelles émergences du Covid-19 et prévenir les autres pandémies.

Qu’est-ce que la pandémie révèle sur la place et le rôle de l’OMS, alors que ses préconisations semblent ignorées par de nombreux pays ?

L’année écoulée et ses antécédents sont pour beaucoup dans le manque de confiance que connait aujourd’hui l’OMS de la part des populations et des gouvernements. C’est très dommageable, car l’OMS avait un rôle de coordinateur en réponse à la pandémie, et de chef d’orchestre. En 2020, elle a donné de nombreuses consignes, à essayer de coordonner, de donner des caps sur les recherches, de proposer une réponse coordonnée et commune. C’est la première fois qu’il y avait, hors réchauffement climatique, un ennemi commun au niveau international. L’OMS a aussi mis en place le programme Covax pour que tous les pays puissent être vaccinés en même temps et ainsi avoir une réelle pertinence au niveau sanitaire et une diminution des décès du Covid-19 plus importante que si l’on vaccinait les pays riches en premier.

Cela préfigure la nécessité d’une réforme de l’OMS. Le financement fait partie des points à réformer. Basé sur les contributions obligatoires des pays, ils ne suffissent plus à l’organisation pour faire ce qu’on peut attendre d’elle. Le budget de l’OMS n’est même pas équivalent à celui des hôpitaux de Paris. On peut difficilement gérer une pandémie avec ce budget, alors que les hôpitaux de Paris eux-mêmes n’arrivent pas à gérer les patients d’une seule ville. C’est illusoire. Il est donc nécessaire de trouver des financements innovants, mais aussi de donner un peu plus de pouvoir à l’organisation.

Le problème est que l’organisation a le pouvoir que les États membres lui donnent, soit quasiment aucun. Pour que l’OMS enquête dans un pays, il faut que ce pays l’accepte, l’invite. C’est d’ailleurs pour cela que l’an dernier les représentants de l’OMS n’ont pu se déplacer que fin janvier. On voit bien ici les limites d’un système.

L’OMS avait aussi été beaucoup critiquée en 2009 suite à ses alertes sur la grippe aviaire, qui avaient provoqué une panique dans le monde et généré des achats de vaccins par millions. En 2014, avec Ebola, l’OMS a pris du retard dans sa réaction, à cause de 2009. À chaque fois, ils agissent en fonction de la crise précédente. Il faudrait aujourd’hui un peu plus d’anticipation et arriver à construire une organisation qui ait les moyens financiers et les ressources humaines pour agir.

Mais pour l’instant, l’OMS demeure un chef d’orchestre qu’on n’écoute pas, une bibliothèque scientifique que l’on ne consulte que lorsque l’on en a besoin. D’autant plus que les pays qui ont leur propre unité de santé comme le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américain ou européen sont aussi moins attentifs à ce que peut évoquer l’organisation.

Alors que l’efficacité du vaccin AstraZeneca est remise en doute et que les variants se propagent, où en sont les vaccins et les vaccinations ? Et ce avec quelles disparités géographiques ? 

L’efficacité du vaccin AstraZeneca n’est pas tant remis en cause, il n’est cependant pas recommandé pour les plus de 65 ans (pour l’agence européenne du médicament). L’OMS avait mis comme seuil d’efficacité un seuil proche de 50%, mais les vaccins ARN messager de Pfizer et Moderna ont mis la barre très haute avec une efficacité à 90%. C’est d’ailleurs ce qui explique l’abandon de certains candidats vaccins qui n’arrivaient pas à avoir des taux pertinents. Cela aurait créé une vaccination à deux vitesses qui n’aurait été ni acceptable ni pertinente.

Pour le moment, on a trois variants : V1 (Angleterre), V2 (Afrique du Sud) et V3 (Brésil). On a demandé à ne pas les nommer comme variant anglais, variant sud-africain et variant brésilien, pour ne pas retomber peu à peu dans la faute nationale, comme ce qui s’est passé avec le « virus chinois ». Ces variants offrent une double problématique. Pour le moment, V1 et V2 sont déclarés comme étant plus transmissibles à hauteur de plus de 70%. Ce qui signifie que plus de personnes vont attraper le Covid et développer une pathologie grave. Il y a donc un réel intérêt à ce que les vaccins soient efficaces avec ces variants. Pour le V1, il semblerait que le vaccin soit efficace. Pour le V2, la question de l’efficacité commence à se poser. Pour le V3, cela reste à vérifier. C’est d’autant plus problématique si par exemple le V3 prend le lead et devient dominant et résistant à la vaccination ; il faudra alors sortir un second vaccin et revacciner la population des pays riches qui a déjà été vaccinée. Ce serait un peu le même système que la grippe annuelle, où chaque année une nouvelle vaccination s’impose, celle de l’année précédente n’étant plus efficace.

De plus, les vaccins Pfizer et Moderna n’ont pas prouvé leur efficacité concernant la diminution de la transmission intrapersonnelle. Avec les nouveaux variants, l’immunité collective n’est plus estimée à 60%, mais bien plus, jusqu’à 80%. Dans cette configuration, il faut vacciner tout le monde et abandonner l’idée d’une immunité collective.

Le fait que les pays occidentaux aient coadapté la vaccination risque de provoquer l’émergence de nouveaux variants. Une des hypothèses de l’origine des variants concerne les Covid longs chez des personnes vulnérables qui vont garder le virus en elles plusieurs semaines, plusieurs mois. Le virus va donc avoir l’opportunité de muter plus souvent avant d’être transmis à quelqu’un d’autre. En ayant fait le choix de vacciner des populations nationales entières plutôt que vacciner les populations vulnérables, on a fait le choix de prendre le risque de voir de nouveaux variants émerger. Et potentiellement de voir un jour les vaccins actuels ne plus fonctionner face aux nouveaux variants et qu’il faille revacciner tout le monde. On peut craindre qu’une fois de plus, le choix soit fait de vacciner les pays riches en premier.

Le vaccin polyvalent est un véritable besoin pour lutter contre les variants. Comme c’est le cas pour la polio, avec des vaccins trivalents où il y a la cellule souche du virus de la polio, mais aussi les variants qui ont émergé par la suite.

En termes de vaccinations, les pays occidentaux ont réussi à acheter des doses très tôt grâce aux accords bilatéraux avec les laboratoires pharmaceutiques. Il existe plusieurs vaccins. Au niveau occidental, il y a pour l’instant Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Les deux premiers utilisent une nouvelle technologie : l’ARN message. Le vaccin AstraZeneca est un vaccin plus classique avec un vecteur viral. On a pris un virus que l’on connaissait déjà qui va véhiculer l’information que l’on veut au sein des cellules. Ce vaccin est logistiquement plus simple, il n’a pas besoin d’être conservé à -70°C. Il peut être conservé à 5°C pendant plusieurs mois. Il est donc aussi beaucoup moins cher, ce qui le rend plus utilisable dans les pays à revenu faible et intermédiaire pour une question de prix et de facilité de transport puisqu’il y aurait moins de risque de rupture de chaine du froid.

Il existe d’autres vaccins. Il y a le vaccin russe Sputnik V. Il a commencé à être administré en Russie dès l’été. En l’absence de publication scientifique, le vaccin a été mis en doute par les Occidentaux. Mais récemment une étude dans le Lancet, a annoncé une efficacité à 91%. Les puissances occidentales ont alors commencé à regarder vers la Russie, d’autant plus que les vaccins occidentaux commencent à connaître des ruptures de stock. La Chine a, quant à elle, cinq vaccins en phase d’essai, qu’elle administre depuis l’été dernier.

La Russie, la Chine ou encore l’Inde se positionnent au chevet des pays à revenu faible et intermédiaire pour leur proposer des accords, initiant une véritable diplomatie des vaccins.

L’Inde, au travers d’un partenariat avec Oxford, a fait un transfert de capacité de production permettant au Serum Institute of India de produire le vaccin AstraZeneca. Le pays va le proposer aux pays limitrophes, à savoir le Bangladesh, le Népal, la Thaïlande, etc., travaillant son influence régionale. La Chine a notamment avancé ces pions en Amérique latine en testant ses vaccins (lors des phases II et III de ses essais cliniques) sur la population, en échange de doses. La Russie positionne elle aussi ses pions en Amérique latine et au Moyen-Orient. Il est important de suivre de près cette géopolitique des vaccins, susceptible de dessiner les contours des relations internationales de demain.

Aujourd’hui, les pays occidentaux ont fait le choix d’une réponse individuelle à défaut d’une réponse collective. Il est fort probable que cela ait un retentissement sur les futures décisions des pays à revenu faible et intermédiaire qui s’en souviendront certainement. Mais au-delà de cela, ce choix n’est pas pertinent au niveau sanitaire : cela ne diminue pas le nombre de décès comme le ferait une vaccination prioritaire sur l’ensemble des populations vulnérables. Ni même au niveau économique : les pays en voie de développement ne pourront reprendre une activité économique totale sans vaccination, or ils nous fournissent les produits bruts qui font tourner nos économies. Et au niveau sociétal, c’est une fois de plus la mise en avant d’une distinction entre les pays du Nord et ceux du Sud. Il n’y a pas meilleur moyen pour engranger les problèmes de demain. Notre approche des choses est une vision à très court terme sans aucun sens de la prospective.

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