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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Afghanistan : du soutien unanime au total désastre

Mon, 23/08/2021 - 17:00

Le retrait des troupes américaines d’Afghanistan clôt une guerre de 20 ans mais produit une catastrophe stratégique et un gâchis humain. D’autres solutions étaient elles possibles? Quelles leçons stratégiques faut il tirer ?

L’analyse de Pascal Boniface.

Les talibans ne pourront pas se maintenir éternellement au pouvoir

Sat, 21/08/2021 - 18:00

Quelle est la responsabilité du président américain qui est très critiqué sur la situation en Afghanistan ?

C’est une responsabilité partagée entre Joe Biden et le Pentagone. Je pense que la décision d’évacuer l’Afghanistan est assez soutenue aux États-Unis, il y avait d’ailleurs un accord bipartisan entre lui et Trump pour mettre fin aux guerres, mais il n’y a pas eu d’anticipation sur les conditions de cette sortie. On aurait pu planifier bien plus en avance l’évacuation des ressortissants américains et de tous ceux qui ont travaillé pour les États-Unis. Ça n’a pas été fait, de même que la victoire rapide des talibans n’a pas été anticipée, d’où ces images de chaos. Je crois donc qu’il faut distinguer la décision stratégique de mettre fin à la guerre en Afghanistan, parce qu’il n’y avait pas tellement d’autre issue et qu’elle aurait pu continuer sans fin, de ces conditions d’exécution qui sont chaotiques. Finalement, c’est le Pentagone qui n’a jamais réellement accepté de devoir quitter l’Afghanistan. Obama voulait déjà partir lorsque Biden était vice-président et le Pentagone s’y était opposé.

Que peut-on attendre du gouvernement dit « inclusif » qui doit être établi par les talibans ?

Les faits parlent d’eux-mêmes. Il y a des Hazaras qui ont été tués, des femmes qui sont empêchées de se déplacer, il y a une volonté de ne pas permettre à ceux qui veulent partir de pouvoir le faire librement. On voit bien que derrière un discours modéré et policé, les talibans sont restés les mêmes. Le système répressif se met en place petit à petit. Ce qui a changé, c’est qu’il y a quand même beaucoup plus de femmes qui sont allées à l’université, qui veulent se faire entendre et que la société a bien changé depuis 20 ans. On peut dire que les difficultés vont commencer désormais pour les talibans, qui doivent assumer le pouvoir.

Les talibans ne pourront donc pas se maintenir éternellement au pouvoir, mais ils peuvent quand même durer quelques temps et c’est bien sûr la population afghane et surtout les femmes qui vont en faire les frais.

Quelle sera l’influence de la France alors qu’Emmanuel Macron veut peser diplomatiquement et faire en sorte que nous soyons à la hauteur des enjeux vis-à-vis des réfugiés ?

Oui, effectivement, nous ne devons pas perdre la face, pas perdre l’honneur et permettre à tous ceux qui ont travaillé pour la France d’y trouver refuge. Sauf que pour le moment, il n’y a eu que quatre avions. On s’en félicite, mais il est difficile de parler d’un pont aérien entre Kaboul, les Emirats, et la France. Il ne faut pas se faire trop d’illusions sur notre poids par rapport à cela. Nous avions quitté l’Afghanistan en 2014, ce qui était d’ailleurs une décision qui apparaît encore plus pertinente aujourd’hui. Certes, la France est un membre important de l’Otan et a des capacités militaires, mais honnêtement, ce sont l’ensemble des pays occidentaux qui sont impuissants par rapport à ce qui se passe aujourd’hui en Afghanistan.

 

Propos recueillis par France info.

Gazoduc Maroc-Nigéria : quels enjeux économiques et géopolitiques ?

Thu, 19/08/2021 - 17:31

Où en sommes-nous aujourd’hui dans ce projet de gazoduc Maroc-Nigéria ?

Nous parlons d’un projet qui a été conçu politiquement en 2016, donc il y a cinq ans. Ce que l’on constate tout d’abord, c’est que les promoteurs de ce gazoduc, principalement le Maroc et le Nigéria, en sont toujours des soutiens actifs. Leur intérêt commun n’a pas faibli sur les cinq dernières années. En effet, la compagnie pétrolière nigériane, la NNPC (Nigerian National Petroleum Corporation) demeure très intéressée par ce projet qui lui permettrait d’accroître ses exportations en gaz naturel. Aujourd’hui, les études de faisabilité ont été réalisées et le Nigéria, via la NNPC, a indiqué sa volonté de commencer la construction à partir de la prolongation du gazoduc ouest-africain. Voilà les éléments clés pour résumer la situation actuelle. Il reste enfin la question cruciale du financement pour le démarrage de la construction de ce projet.

Justement, a-t-on une idée du montant de ce projet ?

Il s’agit d’un projet extrêmement ambitieux puisqu’il part du Nigéria pour rejoindre, à terme, l’Europe, en remontant une partie de la côte occidentale de l’Afrique et en traversant la Méditerranée. Donc sur la totalité du projet, nous sommes sur des ordres de grandeur de 25 à 30 milliards de dollars d’investissements, voire plus. Néanmoins, il faut préciser que lorsque la NNPC a indiqué au mois de juin qu’elle allait commencer la construction du projet, cela ne voulait pas dire la construction intégrale du gazoduc, mais d’abord d’une première phase du projet. Et c’est l’un de ses avantages, il peut être conçu en différentes phases. La première partie permettra déjà de vendre du gaz à des pays voisins avant de poursuivre la progression sur une période de temps plus ou moins longue. Certains ont annoncé une période de 25 ans, les promoteurs eux, disent que ce sera plus rapide. En tout cas, cela signifie que la NNPC n’a pas besoin de 25 milliards de dollars dans l’immédiat. Elle a évidemment besoin de beaucoup moins pour commencer.

Savons-nous qui va le financer ?

C’est l’élément de l’équation qui manque actuellement. Le financement d’un projet de ce type est souvent assuré, en partie, par les entreprises concernées, sur leurs fonds propres et en bonne partie sur des fonds empruntés, auprès des banques, d’institutions financières régionales, internationales. A ce titre, les promoteurs sont en contact depuis un moment déjà avec les milieux bancaires, financiers, afin de les convaincre de sa rentabilité économique. C’est une phase critique où l’on essaie de vendre le projet à ceux qui pourraient le financer, mais à l’heure où nous réalisons cette interview, il n’y a pas d’accord conclu en termes de financement.

Quel sera l’impact économique de ce gazoduc selon-vous ?

Il sera potentiellement très important et diversifié. L’impact économique le plus évident concerne le Nigéria. Avant de répondre à cette question, il faut comprendre que, lorsque l’on parle de gaz, en termes de gisement, il y a deux cas de figure. Soit vous possédez un gisement où il n’y a que du gaz, et vous le mettez en production si vous avez des débouchés.

Soit, vous avez un gisement dans lequel il y a du gaz et du pétrole, ce que l’on appelle le gaz associé. Lorsque vous voulez produire du pétrole, vous produisez en même temps du gaz puisque les deux sont dans le même réservoir. Mais si vous n’avez pas de marché pour le gaz, vous le brûlez à la torche, ce qui représente un gaspillage économique, une source de pollution locale et une contribution à l’effet de serre et au changement climatique.

Dans ce sens, le Nigéria a deux intérêts : exporter plus de gaz et donc avoir plus de recettes d’exportations, et diminuer le brûlage du gaz associé au pétrole. Sur ce parcours, d’autres pays ont des réserves de gaz, ces pays pourront également l’exporter en le mettant dans cette canalisation et en le vendant à d’autres pays africains. L’autre intérêt économique est cette fois-ci pour les pays qui n’ont pas de gaz, ils pourront l’importer via ce gazoduc. Enfin, beaucoup de pays africains souffrent encore de pénuries d’électricité qui freinent leur développement économique et impacte leur population. L’importation de ce gaz leur permettrait donc de le transformer en électricité à travers des centrales thermiques alimentées en gaz naturel. Je tiens toutefois à souligner que ce projet ne comporte pas uniquement un enjeu énergétique, mais également industriel, agricole et alimentaire. Avec le gaz, on peut faire des engrais. Qui dit engrais, dit l’augmentation de la production et de la productivité agricole et donc de l’alimentation des populations. C’est un projet énergétique qui comporte des enjeux multidimensionnels essentiels en termes d’avantages économiques pour ces pays.

Quid des avantages pour le Maroc ?

Le Maroc cherche à importer du gaz, d’où son intérêt pour ce projet de gazoduc. Mais il ne s’agit pas de la seule carte dont dispose le Royaume. Il réfléchit depuis des années à un autre projet qui consisterait à importer du gaz naturel liquéfié transporté par bateau. -Nous avons deux moyens de transporter du gaz, soit sous forme gazeuse via un gazoduc, soit sous forme liquéfiée (GNL) via des méthaniers en franchissant les mers et les océans-. Depuis 2016, les autorités marocaines ont fait connaitre leur intérêt pour ce projet, pour eux et dans une dimension d’intégration économique régionale au niveau de l’Afrique de l’Ouest et du Nord-Ouest.

Quel sera l’impact géopolitique de ce projet ?

L’impact géopolitique dépend beaucoup de si le projet est réalisé dans son intégralité ou non. Plus il est réalisé de façon complète, c’est à dire du Nigéria au Maroc puis vers l’Europe, plus l’impact géopolitique sera fort. Si l’on se base donc sur l’hypothèse maximale de réalisation complète, pour l’Union européenne, ce serait une source supplémentaire de gaz naturel. L’UE cherche depuis des années à diversifier ses sources d’importation de gaz, notamment par rapport à la Russie, son principal fournisseur. Elle va donc chercher du gaz ailleurs, un gazoduc venant d’Azerbaïdjan, de la mer Caspienne est entré en exploitation depuis peu. L’Europe fait également venir du Gaz Naturel Liquéfié des Etats-Unis, du Qatar, et elle regarde à présent ce qui se passe en Afrique. Pour le Nigéria, qui est déjà un important exportateur vis-à-vis du Bénin, du Togo et du Ghana, l’intérêt géopolitique serait de se positionner davantage sur des marchés régionaux et internationaux. Pour les autres pays, l’impact géopolitique rejoint l’impact économique. La production d’électricité et d’engrais permettra leur développement économique et donc une certaine stabilisation politique et sociale.

Vous mentionniez la volonté de l’UE de diversifier ses fournisseurs de gaz, comment pensez-vous que la Russie percevra ce projet ?

La Russie ne voit pas d’un très bon œil toute tentative de l’Union européenne d’aller chercher du gaz ailleurs, ça vaut pour ce projet, ça vaut pour le gaz qui vient de l’Azerbaïdjan, ça vaut pour le GNL provenant des Etats-Unis. Gazprom préfère avoir la plus grande part de marché sur l’Europe qui est leur marché naturel depuis des dizaines d’années, et ils entendent continuer à rester un acteur dominant sur le marché européen pendant encore longtemps. C’est d’ailleurs pour ça qu’ils construisent de nouveaux gazoducs vers l’Europe, le Turkstream et le Nordstream 2. Ainsi, Gazprom perçoit mal tous les projets quels que soient leurs caractéristiques, qui pourraient les concurrencer sur le marché européen. Ils ne le disent pas officiellement mais si ce projet n’aboutissait pas, les dirigeants de Gazprom n’en seraient pas profondément attristés.

Qui en seront les principaux gagnants ?

Clairement, pour moi il s’agit du Nigéria pour les raisons évoquées auparavant. De plus, il sera le principal gagnant dans presque tous les scénarios. Si le projet va jusqu’à son terme, le Nigeria pourra exporter plus de gaz vers l’Europe. Si ce n’est pas le cas, il pourra tout de même exporter plus de gaz vers les pays voisins. Donc dans tous les cas, sauf si bien sûr le projet échoue complétement, qu’il soit réalisé complétement ou partiellement il sera le principal bénéficiaire car il sera le principal fournisseur du gaz dont il dispose en abondance et qui n’est pas suffisamment exploité pour le moment. Enfin, selon moi, il n’y aura pas de perdant parmi les pays présents sur le parcours car ils pourront soit vendre leur gaz s’ils en ont, comme le Sénégal ou encore la Mauritanie, ou bien l’importer.

Vous dites qu’il n’y a pas de perdant parmi les pays présent sur le parcours. Qu’en est-il de ceux qui n’en font pas partie, comme la Russie…?

Vous avez raison effectivement, si le projet se concrétise, la Russie ne célébrera pas la nouvelle. Dans ce cas il y aurait un perdant si le projet va jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à l’UE. Dans le cas contraire il n’y aurait aucun problème pour Gazprom, car le marché qui intéresse la Russie est le marché européen.

Quid de l’Algérie et du projet NIGAL ? 

L’Algérie était effectivement porteuse d’un autre projet avec le Nigéria et le Niger. Il devait aussi partir du Nigéria jusqu’à l’Algérie, passer sous la Méditerranée et desservir l’Europe. Ce projet n’a pas eu de débouchés pour des raisons principalement de sécurité et de financement. Cela dit, du côté algérien, on ne serait évidemment pas ravis qu’un projet dans lequel le Nigéria et le Maroc sont impliqués réussisse. Mais en même temps, les dirigeants algériens savent très bien que le projet Nigal n’a pas avancé… Malgré les relations très difficiles entre les deux voisins, et le fait qu’un succès pour le Maroc ne serait pas ressenti comme une chose positive du côté d’Alger, les Algériens ne seront pas les principaux perdants. Ce sera plutôt la Russie, pour qui l’enjeu est beaucoup plus concret.

C’est une victoire totale pour les Talibans et une défaite dramatique pour les États-Unis

Tue, 17/08/2021 - 12:41

Quel regard portez-vous sur la reprise de Kaboul, et au-delà de cela, du territoire afghan, par les Talibans, au bout d’une semaine d’offensive dans le pays, et 20 ans après avoir été délogés du pouvoir par une coalition occidentale menée par les États-Unis ?

C’est une victoire totale pour les Talibans et une défaite dramatique pour les États-Unis. Après 20 années de guerre, 2.000 milliards de dollars dépensés par les États-Unis, 83 milliards de dollars de transferts militaires américains auprès de l’armée afghane, des troupes au départ mal équipées ont reconquis le pays et contraint les Américains au départ, et à négocier afin de pouvoir évacuer leur ambassade. C’est une défaite totale pour les États-Unis, mais en même temps, il n’y avait pas d’autre solution que le départ dans la mesure où cette guerre n’était pas simplement gagnable et que si les États-Unis étaient restés cinq ans de plus, avec un effort supplémentaire, ça n’aurait rien changé. La preuve, depuis le temps que les militaires disent qu’ils contrôlent la situation, on voit bien qu’il n’en est rien. Dans cette optique-là, on peut se féliciter du fait que la France se soit retirée d’Afghanistan dès 2012 parce que ce n’était pas gagnable. En la prolongeant, on ne faisait qu’allonger le nombre de morts de part et d’autre.

Peut-on dire que c’est le premier camouflet pour le président états-unien Joe Biden, notamment en matière de politique extérieure, sachant que les États-Unis ont dépensé 2.000 milliards de dollars en 20 ans, comme vous le rappeliez à l’instant ? Est-ce un échec pour Biden ? Bien sûr, on peut dire que la crédibilité stratégique américaine est entachée. Et les alliés européens, asiatiques ou arabes vont y regarder à deux fois pour juger du sérieux de l’engagement américain, et les spécialistes de politique extérieure Outre-Atlantique ne se privent pas de critiquer Biden. Mais en même temps, on peut dire que sur le plan intérieur, la population américaine va être satisfaite de cette décision parce qu’il y avait une très forte lassitude par rapport aux guerres menées par les États-Unis, à cause de leur coût et de l’accumulation des morts. Cela illustre finalement les deux points d’accord entre Trump et Biden en matière de politique étrangère: le premier, c’est l’hostilité envers la Chine. Le second, c’est mettre fin à ces guerres qui n’ont que trop duré. Quelles seront les conséquences concrètes de ce retour des Talibans au pouvoir en Afghanistan et dans la région de l’Asie centrale ? Une partie de la population afghane va être soulagée par la fin de cette guerre, mais celle-ci a un prix énorme : l’instauration d’un régime ultra-répressif. Notamment concernant le droit des femmes, puisque derrière un discours qui se veut rassurant, les Talibans n’ont pas beaucoup changé. Ils ont un discours pour séduire l’opinion internationale, ne pas trop l’inquiéter. Mais on voit bien que dans les villes qu’ils ont conquises, ils font régner leurs lois totalitaires, interdisant le sport, la musique, interdisant aux femmes de pouvoir se rendre à l’université, ne tolérant pas qu’elles puissent aller à l’école au-delà de l’âge de 12 ans. Il va y avoir un terrible retour en arrière, et les Talibans vont restaurer un régime rétrograde, extrêmement répressif, comme ils l’ont fait partout. Quelles leçons l’Occident peut tirer de cet échec militaro-politique, selon vous ? D’une part qu’on ne résout pas les questions politiques par des moyens militaires. D’autre part que la disproportion des moyens militaires n’est en rien le gage d’un succès. Les interventions occidentales pour réformer ou modifier des sociétés non-occidentales ont toutes étaient des échecs cuisants. – Afghanistan, Irak, Libye –, même si elles sont différentes, car l’intervention en Afghanistan a tout de même était largement soutenue. N’est-ce pas donner un certain écho à la phrase du révolutionnaire Maximilien Robespierre : « Personne n’aime les missionnaires armés » ? Effectivement. Même enrobé de bons sentiments et de volonté démocratique, le fait de calquer de façon complètement artificielle des schémas de pays occidentaux modèles sur des pays qui ont des coutumes et des habitudes tout à fait différentes, et qui plus est de le faire par la force, ne peut que conduire à des échecs pathétiques, aussi bien pour ces sociétés-là que pour les puissances intervenantes et pour la stabilité régionale globale. Est-ce que la Chine, voisine de l’Afghanistan, a un intérêt à ce retour des Talibans au pouvoir ? Si oui, lequel ? Les Chinois n’ont pas d’intérêt spécifique direct au retour des Talibans au pouvoir. Ils ont néanmoins deux préoccupations: se garantir la possibilité de pouvoir exploiter les richesses minières de l’Afghanistan d’une part, et éviter que les Talibans ne viennent prêter main-forte aux Ouïghours d’autre part. C’est la raison pour laquelle des liens diplomatiques existent déjà entre le régime chinois et les Talibans. Propos recueillis par Jonathan Baudoin pour Quartier Général.

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