L’Europe compte proportionnellement moins de start-ups que les États-Unis. Comment expliquer ce décalage ?
Il convient d’abord de rappeler que le succès économique ne se mesure pas par le nombre de start-ups. La plupart des start-ups ne vont nulle part et font faillite au bout de quelques années. La Silicon Valley n’est pas un système à l’efficacité absolue de ce point de vue, et le gâchis de ressources financières et humaines y est considérable du fait de ce manque d’organisation. Malgré les imperfections (majeures) de ce système, c’est l’intégration entre ces nouvelles entreprises, les géants des divers secteurs, les universités et les agences gouvernementales qui donne aux Etats-Unis une force de frappe technologique encore impressionnante au XXIème siècle. Quels que soient les déséquilibres qui accablent le pays, les compétences de pointe y sont inlassablement préservées et développées, par le jeu de cette intégration et d’une fluidité des parcours entre diverses institutions. Les startupers qui réussissent sont assez loin des clichés vides de contenu technologique rabâchés en France. Les nouvelles entreprises qui réussissent aux Etats-Unis sont typiquement lancées par des gens d’une quarantaine d’années ou plus ayant une expérience riche au sein de grandes institutions privées comme publiques et de véritables compétences en sciences (dures). Par ailleurs l’aspect financier est essentiel puisque les start-ups, au-delà de l’exubérance de certaines grandes opérations, parviennent en général, aux Etats-Unis, à se financer à hauteur de leur potentiel technologique.
Pourquoi un manque de startups nuit-il nécessairement à l’économie mais aussi à l’influence des Etats face au reste du monde ?
L’important réside dans le développement des nouvelles technologies, qui s’agrègent la plupart du temps aux technologies existantes. Le modèle économique qui met les start-ups sur un piédestal repose sur l’idée que cette innovation doit venir de nouvelles structures, qui vont supplanter les anciennes. Dans les secteurs qui réussissent à l’échelle nationale, les choses sont bien plus complexes en réalité. Les nouvelles entreprises sont essentielles mais s’inscrivent, quand elles réussissent sur le plan technologique, dans un environnement bien plus riche de recherche et d’innovation. Les grandes entreprises, quand elles sont une véritable force de frappe technologique, ne disparaissent pas mais jouent progressivement un rôle différent, plus discrets, comme c’est par exemple le cas d’IBM aux Etats-Unis, géant historique qui reste une entreprise très importante du secteur informatique. L’idée que l’on se fait souvent en France du modèle des start-ups, qui sortiraient de nulle part et s’épanouiraient par milliers, sur la base de concepts marketing saugrenus, pour faire vibrer le monde de demain dans une économie par ailleurs en état de pétrification, n’entretient qu’un lien très diffus avec la réalité technologique mondiale.
Fait-on, en Europe et en France, ce qu’il faut pour faciliter l’émergence de startups ? Que faudrait-il faire pour améliorer la situation ?
La situation est de nature diverse en Europe. L’Allemagne s’est enfermée, du fait de sa focalisation ultra-exportatrice notamment, sur des technologies en voie de dépassement comme les véhicules diesel et a le plus grand mal à prendre le virage de l’électrique par exemple ou de la digitalisation. Pour autant le pays s’efforce de préserver ses compétences scientifiques, même s’il manque une certaine dynamique d’innovation et de projection dans les nouvelles technologies. Le succès de BioNTech montre que le pays en est encore capable grâce à la préservation du savoir scientifique.
La situation en France est plus préoccupante et relève davantage d’une forme de micro-révolution-culturelle, si l’on considère la destruction des compétences technologiques. Les discours politiques s’affrontent de plus en plus violemment mais communient dans un mélange de formalisme politologique aux accents gérontocratiques et de vide scientifique, entretenant le sacrifice depuis trois décennies, génération après génération, de scientifiques et de gens aux compétences diverses, en vertu du rituel apocalyptique de la « gestion de crise ». La confiscation du débat public et la mise sous tutelle des institutions publiques et privées par ces milieux spécialisés dans le verbiage politologique, sous couvert « d’intelligence économique », qu’ils soient pseudo-socialistes, pseudo-libéraux ou pseudo-souverainistes, et par leurs innombrables vassaux, aura déclassé la réflexion technologique et les compétences qui la nourrissaient.
Propos recueillis par Atlantico.
Les Afghans qui seraient renvoyés dans leur pays risquent-ils leur vie ? La France n’avait pas d’autres choix que d’arrêter les expulsions ?
Les renvoyer les exposerait à des dangers, notamment s’ils sont renvoyés dans leurs provinces d’origine, où les talibans sont maîtres. Les talibans considèrent tous ceux qui ont collaboré avec les occidentaux, ou qui sont liés d’une manière ou d’une autre à ces pays, comme des traîtres. Mais quelques jours après la décision du gouvernement français, plusieurs pays européens dont l’Allemagne, la Belgique ou les Pays-Bas ont écrit au commissaire européen pour dire qu’il fallait continuer à renvoyer les déboutés du droit d’asile afghans pour ne pas encourager l’arrivée d’autres réfugiés. Je pense qu’il faudrait que l’Union européenne, prenne une position commune, une position défendable par l’ensemble des pays.
Les talibans se rapprochent de Kaboul, ils sont à 150 kilomètres de la capitale et les négociateurs proposent un accord de partage du pouvoir aux talibans, en échange de la fin des violences. Est-ce réaliste ?
Si cette proposition vient du gouvernement de Kaboul ce sera une nouveauté. Cette éventualité existait : Antony Blinken, secrétaire d’État aux affaires étrangères américaines a envoyé, il y a à peu près trois mois, un plan de paix et de négociations qui exigeait la mise en place d’un gouvernement provisoire. La situation est telle que le gouvernement de Kaboul doit négocier de manière sérieuse et être prêt à partager le pouvoir avec le mouvement des talibans. Pour l’instant, les talibans sont prêts au partage. Mais on ne peut pas faire confiance à un mouvement islamiste très fondamentaliste qui a le pouvoir militaire sur le terrain. L’ensemble des pays voisins, y compris le Pakistan, qui a été la base arrière des talibans depuis toujours, les pousse à éviter de prendre le pouvoir par la force. Dans ce cas, l’Afghanistan entrerait dans une nouvelle période de guerre, une guerre civile inter-ethnies qui déstabiliserait encore le pays.
Après vingt ans de présence étrangère, le retrait des troupes américaines de l’Afghanistan sera définitif le 31 août. Ces vingt années n’ont servi à rien ?
Non, absolument à rien. Dès 2008 je préconisais des négociations avec les talibans, alors qu’il y avait eu 150 000 soldats américains et d’autres pays de l’OTAN en Afghanistan, et que les talibans n’avaient pas la même force qu’aujourd’hui. Dès cette époque, on voyait que les talibans étaient imbattables sur le plan militaire dans un pays extrêmement compliqué. Malheureusement, Barack Obama n’a pas écouté le conseil de Joe Biden, qui était alors vice-président.
Propos recueillis par France info.
Quels sont les événements qui ont conduit les talibans à repartir à l’offensive ?
En décembre 2018, le président américain Donald Trump, pressé de pouvoir « ramener les boys à la maison » avant la prochaine échéance présidentielle de novembre 2020, annonce qu’il va retirer la moitié de ses troupes dans les trois mois, c’est-à-dire 7 000 soldats environ. A ce moment-là, les talibans comprennent que le rapport de force est en leur faveur, puisque le seul souci du président est alors d’en finir à tout prix avec cette désastreuse aventure américaine de presque vingt ans en Afghanistan.
En février 2020, les Américains et les talibans signent à Doha, au Qatar, un accord fixant les conditions et le calendrier précis du retrait des troupes. Les conditions sont clairement au seul avantage des talibans, qui ne s’engagent à presque rien, sauf ne pas attaquer les forces étrangères dans le processus de retrait. Le gouvernement afghan est d’ailleurs absent de l’accord.
En revanche, les Américains s’engagent au nom de ce gouvernement absent à libérer 5 000 prisonniers talibans et, au nom des 39 pays de la coalition internationale, à retirer toutes les forces étrangères actives en Afghanistan sous commandement de l’Otan. Enfin, les Etats-Unis s’engagent aussi à demander à l’ONU d’approuver cet accord, ce qui sera fait dix jours plus tard, par le vote de la résolution 2513.
Ainsi, lorsque Joe Biden arrive au pouvoir, il essaie bien de tergiverser, mais il ne peut plus rien renégocier. Dans son communiqué officiel du 14 avril, il annonce, dépité, le retrait total sans autres conditions. Il obtient juste un délai supplémentaire pour retirer l’ensemble de ses troupes d’ici le 11 septembre au lieu du 1er mai initialement prévu.
Quelle est la stratégie adoptée par les talibans ?
Ils n’ont pas fait la même erreur qu’en 1994-96, lorsqu’ils menaient une guerre de conquête du pays en proie depuis quatre ans à la guerre civile. A cette époque, ils avaient d’abord conquis toutes les zones pachtounes dans le Sud et l’Est – à l’origine, les talibans étaient tous d’ethnie pachtoune – avant de prendre le pouvoir à Kaboul. Puis, ils ont essayé de prendre le Nord, où vivent principalement des Ouzbeks, Turkmènes, Tadjiks, mais n’avaient que partiellement réussi à cause de la résistance de l’Alliance du Nord dirigée par Rachid Dostum et le commandant Massoud.
Pour cette fois-ci, ils avaient préparé de longue date le terrain en obtenant d’importantes défections ouzbèkes et tadjikes venues gonfler leurs propres rangs, et se sont ainsi rendus maîtres en moins de trois mois de la quasi-totalité des districts du Nord et de l’Ouest.
Il y a des endroits où il y a des combats acharnés, mais dans 80% des cas, l’armée afghane rend les armes sans résistance. Dimanche dernier, les talibans se sont emparés de la ville de Zarandj, une commune de 200 000 habitants à la frontière avec l’Iran, sans que l’armée ne montre la moindre opposition. On a pu voir des talibans parader ensuite dans des Humvees [véhicules de transport militaire américains], donc on voit bien qu’ils récupèrent des moyens que les Etats-Unis avaient mis à disposition de l’armée afghane.
Pourquoi le gouvernement afghan est-il si impuissant face à cet ennemi ?
Après la réduction du nombre des troupes étrangères en 2014, en gros de 150 000 soldats à moins de 20 000, la lutte contre les talibans s’est faite essentiellement par voie aérienne. Mais les Américains se sont bien gardés de transmettre leur haute technologie et leurs systèmes sophistiqués de guidage. L’armée afghane est désormais incapable d’entretenir l’aviation laissée par les Américains et les capacités de l’armée de l’air sont déjà très diminuées.
L’armée afghane pâtit également des actions menées par la coalition, son image n’est pas forcément bonne auprès de la population. Ces dernières années, selon les rapports de la Mission d’assistance des Nations unies en Afghanistan (Manua), la majorité des victimes civiles ont été tuées par les opérations aériennes des armées afghane et américaine.
Résultat, dans les zones tribales pachtounes, des chefs de tribus encouragent les soldats à ne pas se faire tuer pour rien, à rendre les armes.
Le 9 août, Ashraf Ghani a ainsi invité au palais présidentiel des « seigneurs de la guerre » – ces anciens chefs moudjahidines qui ont combattu avec succès l’armée soviétique et qui ont pour la plupart entretenu des milices privées – et s’est engagé à leur fournir des armes pour combattre les talibans. Mais ces chefs de guerre n’ont rien à voir les uns avec les autres, ne forment pas une force nationale homogène et leurs intérêts personnels et leurs propres parcours ne sont que rarement compatibles. En 1992, c’est dans un contexte similaire que l’Afghanistan avait sombré dans une guerre civile épouvantable.
Propos recueillis par Elisa Lambert pour France info.
SHERIF, pour Synthèse historique et économique des relations internationales du futur, est le titre du rapport annuel de la Fondation Prospective et Innovation (FPI), présidée par Jean-Pierre Raffarin. Le titre est un clin d’œil à René Monory créateur de cette fondation dont le surnom était le shérif. A l’occasion de l’édition 2021 intitulée : « De la mondialisation à la planétisation », Serge Degallaix, secrétaire général de la fondation, répond aux questions de Pascal Boniface.
Quelles différences faites-vous entre mondialisation et planétisation ?
De la mondialisation à la planétisation, le titre du SHERIF 2021 n’est pas un jeu de mots mais renvoie à la manière dont l’humanité entend vivre ensemble. La mondialisation est une réalité qui vient de loin mais qui, depuis les grandes découvertes et la Révolution Industrielle, a pris une forme essentiellement commerciale et financière, avec les ruptures introduites par les grandes guerres et les découvertes technologiques.
De la fin des années cinquante, du siècle dernier au début de notre siècle, soit pendant près de cinquante ans, les barrières tarifaires et non-tarifaires sont tombées, les échanges mondiaux se sont généralisés, amplifiés. Ils ont permis d’élever le niveau de vie et de sortir de la pauvreté des centaines de millions de personnes dans les pays de l’OCDE comme en Asie – bien moins en Afrique il est vrai car restée marginale dans ce vaste mouvement. Le libre commerce se justifiait aussi par les désastres entraînés par le protectionnisme des années 1930, prélude à la guerre.
Les limites de ce modèle apparaissent clairement depuis une quinzaine d’années. Les inégalités entre les nations et en leur sein se sont creusées, la peur du lendemain oblitère souvent la foi dans la science et l’avenir, le nationalisme érode le multilatéralisme et la planète souffre de dérèglements climatiques et de l’appauvrissement de la biodiversité.
Comme disait aux Nations Unies, Jacques Chirac nous n’avons pas de planète de rechange et il nous faut préserver celle que nous avons, sans tomber naturellement dans le catastrophisme. La planétisation, autrement dit la responsabilité collective de l’état de la planète, doit guider nos actions et faire prévaloir l’esprit de solidarité sur celui de compétition, de vision à long terme sur les intérêts économiques immédiats. Il faut fixer et respecter des règles à l’échelle planétaire, avec leurs déclinaisons régionales et nationales. La mondialisation ne peut s’arrêter tout comme la croissance ne peut être à taux zéro ou la décroissance , prônée par certains, s’installer, ce serait un repli suicidaire pour le bien-être et la paix si ce n’était pas utopique, mais elles doivent être gérées de façon moins oligarchique et prendre en compte les inégalités et les coûts des dommages à l’environnement qui peuvent en résulter.
Les Accords de Paris sur le climat de 2015 constituent la pierre angulaire des efforts communs pour que la planète reste un espace vivable pour l’humanité. Face à la crise climatique, les barrières entre États, populations n’existent pas. Il n’y a pas d’échappatoire à la solidarité, même si la diplomatie et la défense de certains intérêts nationaux, les jeux politiques intérieurs ne disparaitront pas de sitôt. C’est le principal message que le SHERIF 2021 entend faire passer, avec le corollaire de soutien aux efforts du Sud, notamment de l’Afrique, que les pays industrialisés doivent apporter. Jean-Pierre Raffarin, qui préside la Fondation Prospective et Innovation, parle de substituer le consensus de Paris, fondé sur une réponse commune à une menace universelle, à celui de Washington, expression du néo-libéralisme économique et de la concurrence mondialisée incarné jusqu’à peu par le FMI.
Va-t-on assister à une relocalisation des productions ?
Une fois la mer des émotions retirée, le temps des slogans politiques passé, il apparaîtra que le prix à payer pour mener à grande échelle une relocalisation des productions n’est pas à notre portée. Nous ne pouvons nous couper du reste du monde et les royaumes ermites qui le font sont loin d’être des modèles à tous points de vue. Les contradictions sont fortes entre le rapatriement d’activités et le fait qu’il faut parfois une décennie pour réaliser un projet, que l’on n’en veut pas chez soi (« pas dans mon jardin ») et que cela renchérira le prix des produits, des services et donc abaissera le niveau de vie. Cela n’empêche pas, bien sûr, de privilégier des sites français ou européens ou maghrébins dans certains cas, notamment pour de nouvelles productions qui réduisent ou préviennent la dépendance. De toute façon, cela prendra du temps – et beaucoup de capitaux – et, pendant ce temps-là, on voit le commerce mondial des marchandises repartir de plus belle et de nouvelles dépendances s’aiguiser car le monde ne peut être statique, géographiquement et technologiquement.
Le protectionnisme est un engrenage dangereux et l’échange reste la clé du progrès, pour peu que des règles soient clairement posées et que nous soyons à même d’en profiter en sachant nous adapter.
Vous semblez optimistes sur le fait que le Maghreb bénéficie de la reconfiguration des chaînes de valeur en Europe.
Optimiste de cœur et de raison car nous devons œuvrer pour que la zone euro-méditerranéenne et, au-delà, eurafricaine, se renforce par les courants économiques, humains, intellectuels et culturels. Nous ne pouvons négliger nos voisins du Sud, tout comme ils ne peuvent nous négliger. Notre destin est commun et nous devons y travailler ensemble, dans le respect de l’autre et le pragmatisme de l’action. La Fondation Prospective et Innovation entend y contribuer en mettant ensemble hommes d’affaires et responsables politiques des trois pays du Maghreb central avec leurs vis-à-vis de la rive nord de la Méditerranée et d’Allemagne. La reconfiguration voulue en Europe des chaînes de valeur offre une occasion de renforcer les liens économiques entre nous, de tirer profit des atouts des pays de la rive Sud (dynamisme de la jeunesse et niveau éducatif, proximité géographique et culturelle, main d’oeuvre abondante et à coûts compétitifs, marchés en expansion), de diversifier nos sources d’approvisionnements et de les sécuriser par la force de nos liens.
Les ajustements structurels nécessaires au Sud peuvent être réalisés plus facilement si l’investissement, les projets, l’emploi, qualifié des perspectives mobilisatrices sont au rendez-vous. Le redéploiement de chaînes de valeur offre de telles opportunités. Les secteurs ne manquent pas : mécanique et électronique, pharmacie, agro-alimentaire, services informatiques et aux entreprises, hydrogène vert et énergies nouvelles, etc. Des actions sont déjà menées mais pourquoi, à l’instar des Japonais qui ont une vision régionale de leurs intérêts géoéconomiques et qui ont mis en place les instruments financiers d’accompagnement, les Européens n’adopteraient ils pas une approche plus volontariste pour que la reconfiguration des chaînes de valeur appelée des vœux prennent en compte pleinement le Maghreb, l’Afrique avec les enjeux politiques et économiques qui s’y rapportent. La présidence française de l’Union européenne peut fournir l’occasion de faire partager cette approche et de la traduire en actions.
Près de six ans après François Hollande, le président Macron a tenu, lundi 19 juillet depuis l’Élysée, le 5e sommet France-Océanie.
À travers cette initiative dont le but assumé est de définir la stratégie de réengagement de la France dans le Pacifique, le président s’est engagé à renforcer la coopération entre la France et les États d’Océanie pour sécuriser les eaux territoriales, notamment contre la pêche illégale, et pour atténuer l’impact du changement climatique dans le Pacifique.
Si l’aspect de protection environnemental du sommet est indéniable, c’est l’annonce d’« un réseau de garde-côtes pour le Pacifique-sud » à partir des territoires français du Pacifique – Polynésie, Nouvelle-Calédonie et Wallis-et-Futuna – qui marque les esprits. D’après le président, « ce réseau reposerait sur trois piliers : structuration d’une offre de formation et d’entraînement, échange d’informations maritimes, renforcement des opérations de surveillance des zones économiques exclusives du Pacifique ». « Ce réseau sera créé au bénéfice des États du Pacifique et pour protéger la première de leur richesse qu’est l’espace maritime », a ajouté Emmanuel Macron.
Cette annonce tombe à pique. En effet, les pays de la région peinent à garder le contrôle de leur territoire. Petits en termes de masse terrestre et de population, les pays insulaires du Pacifique sont gigantesques en termes de superficie. L’État de Kiribati, par exemple, ne compte que 121 000 habitants, mais s’étend sur une superficie aussi large que celle des États-Unis. La Papouasie-Nouvelle-Guinée est le seul pays à compter plus d’un million d’habitants. Seuls trois pays (Fidji, Papouasie-Nouvelle-Guinée et les Tonga) possèdent des forces armées. Le corps armé des Fidji se compose de 9 500 soldats actifs et de réserves ; celui de la Papouasie-Nouvelle-Guinée de 3 600 et 450 pour les Tonga.
Leurs économies sont restreintes, et chacune des nations de la région dépend grandement de l’agriculture de subsistance, du tourisme, de l’aide internationale et surtout de la pêche.
Le Pacifique est en effet la zone de pêche la plus fertile du globe, et fournie près de la moitié du thon mondial. Mais depuis plusieurs années, la région est victime de la pêche illégale. Aujourd’hui, près d’un poisson sur cinq est attrapé illégalement dans le Pacifique. Les États d’Océanie, gardiens des eaux dans lesquelles ces opérations illégales se déroulent, y perdent en revenus et voient leurs stocks de poissons s’épuiser. Sans la capacité de contrôler leurs eaux, ces pays sont souvent pénalisés par les importateurs de poissons pour ne pas pouvoir garantir la durabilité de la pêche.
C’est pourquoi la proposition du président Macron est pertinente. Développer les capacités de surveillance de ces pays est l’une des priorités pour la région.
Mais alors que la proposition française semble s’axer sur une gamme de collaborations bilatérales, la France pourrait utiliser cette nouvelle initiative afin de développer la coopération dans le secteur de la défense avec la puissance dominante de la région : l’Australie.
Depuis la fin des années 1990 et le transfert des forces armées américaines de l’Indopacifique vers le Moyen-Orient, l’Australie est la puissance hégémonique du Pacifique. Pour se faire, Canberra s’est investi dans deux pôles principaux : la maîtrise des outils institutionnels régionaux et une politique interventionniste plus ambitieuse. En effet, via des missions pangouvernementales pluriannuelles au Timor-Leste, aux îles Salomon et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, l’Australie a cimenté son rôle de force dominante dans la région.
Un élément clé de la présence australienne dans le Pacifique est son « Programme de sécurité maritime du Pacifique ». Entre 1987 et 1997, sous son ancien nom « Programme des patrouilleurs du Pacifique », l’initiative a fourni des bateaux patrouilleurs à douze pays de la région, afin de supporter leur développement de capacité de surveillance maritime et de protection de la pêche. Dans l’optique de moderniser les flottes existantes, le programme a planifié la livraison de 21 nouveaux patrouilleurs « Guardian-class » entre 2018 et 2023. En plus de la livraison de matériel, le programme comprend un volet de surveillance aérienne, qui semble hors de portée du ministère de la Défense australien. En revanche, cela présente une opportunité de collaboration indéniable pour le gouvernement français. En effet, les capacités de surveillance aériennes et maritimes françaises sont internationalement reconnues. Paris, via le secrétariat général de la Mer, pourrait collaborer de manière trilatérale avec l’Australie et les pays du Pacifique sur les questions techniques de communications sécurisées, ainsi que des capacités de renseignement et de surveillance. Une collaboration trilatérale serait alors naturelle, où l’Australie et la région bénéficieraient du savoir-faire technique français, et où Paris profiterait de la connaissance régionale australienne pour renforcer sa présence dans la région, ainsi que l’intégration de ses territoires dans le Pacifique.
Car, malgré ses territoires d’outre-mer, la France conserve une présence limitée dans le Pacifique, alors que la région regagne en importance sur la scène internationale. La proposition du président Macron de collaborer avec les États insulaires du Pacifique sur les thématiques de sécurité va dans la bonne direction. Mais manquer de collaborer pleinement avec l’Australie représenterait un manque à gagner allant à l’encontre de l’initiative présidentielle.
Un rapport du Center for Countering Digital Hate a analysé des contenus anti-vaccin sur les réseaux sociaux. Sur la masse étudiée, ils ont découvert que plus de la moitié de ces contenus était attribuable à seulement douze personnes. Comment est-il possible que seul un petit groupe de personnes arrive à avoir autant d’influence ? De quoi est-ce le symptôme ?
C’est un phénomène qui se produit souvent sur les réseaux sociaux car sur ces plateformes, on peut tous créer du contenu. Nous pouvons être des milliards à émettre nos opinions sur la Covid-19 ou tout autre point chaud de l’actualité. Mais le vrai pouvoir des réseaux sociaux se situe quand un discours élaboré, séduisant commence à être repris, commenté et repartagé. Des bulles d’attention commencent alors à gonfler et à répercuter le message.
Nous sommes alors arrivés à un paradoxe où tout le monde peut s’exprimer mais seul un dixième des messages sont présents sur les fils d’actualités. Il s’agit donc d’un monde de la citation et de l’amplification. Ce système est « hyper-démocratique » mais il fait émerger les mêmes courants et les mêmes choses. La liste du Center for Countering Digital Hate en est la preuve. Notons tout de même que ce centre est un groupe de pression, ce n’est pas un centre de recherche, ni un centre de réflexion sur la Démocratie.
Ce centre a attribué 65 % des fausses informations sur la vaccination contre la Covid-19 à douze personnes aux États-Unis. Ces chiffres impressionnants ont été provoqués par un effet miroir ou cascade. Contrairement à ce que l’on pourrait penser de prime abord, ces personnes n’ont pas de caractéristiques immédiates. On reconnait là l’étude sur les anti-masques de la fondation Jean-Jaurès qui signale que les classes populaires, périphériques du Rassemblement National, ne sont pas forcément les plus présentes dans les mouvements « anti » qu’a dragué la crise sanitaire.
Dans cette situation, on paie quelque peu le prix de la liberté et de la démocratie. Lorsque l’on navigue sur les réseaux sociaux, les médecins peu scrupuleux et autres guérisseurs sont légions. Avec le relai actuel sur les réseaux qu’ont certains, cette liste « d’influenceurs » en est le résultat.
L’OMS décrit le phénomène de désinformation autour de la Covid-19 comme une « infodémie ». Comment cela touche notre société ?
Au sein de l’IRIS, nous avons travaillé à ce propos comme d’autres centres de recherches. En travaillant sur le sujet, nous avons trouvé des milliers d’informations fallacieuses avec une sorte de hit-parade sur la Covid-19. Elles sont facilement trouvables en ligne et ce sont souvent toujours les mêmes informations qui reviennent. Il y a des remèdes imaginaires, des propos qui réfutent la pandémie et des thèses complotistes sur les origines de la Covid.
Plus une information va stimuler la peur, l’imaginaire, le désir de trouver des solutions miracles ou un coupables, plus celle-ci va être stimulante et devenir populaire, même si elle est fausse. Elle passe alors de rumeur à un phénomène qui prend de l’ampleur.
Dans le cas précis des douze personnes, on rentre dans un problème de fond de la démocratie. Dans les systèmes totalitaires, une douzaine de personnes à la tête de l’État décident de ce que vous allez croire et dans une démocratie le jeu est ouvert. Les personnes qui trouvent la phrase ou l’idée qui correspond à nos attentes, à notre inconscient peuvent connaître un certain succès sur la scène médiatique. Ces pensées deviennent alors égales avec un discours qui a une vraie autorité scientifique. Cette autorité scientifique n’est jamais unanime, avec un virus qui mute et qui change, ce qui provoque une méfiance vis-à-vis de la population envers tout discours d’autorité des médias et des gouvernants.
Il y a une méfiance à l’égard des élites, des gouvernants et c’est étonnant. Cela ne date pas de la crise et les anti-vaccins ne sont pas nouveaux. Une partie de la population a des doutes sur cette autorité scientifique qui s’exprime et elle va chercher de nouveaux relais.
La pandémie semble avoir piqué un point sensible de notre démocratie, si cette situation s’est passée aux USA, est-elle la même en France ? Pourrions-nous forcer les GAFAM à ne pas propager de telles informations ?
Le phénomène s’est beaucoup développé aux États-Unis, mais il s’est aussi bien implanté chez nous. L’un des thèmes politiques qui passionnent le plus les Français est le pass sanitaire. C’est pourtant un sujet de santé où nous devons avoir confiance aux scientifiques alors qu’il y a une méfiance envers le discours des experts.
En France, une loi punit la propagation d’informations fallacieuses et une autre interdit les « Fake News » en période électorale. Il faut savoir que faire une distinction entre l’affirmation délibérée d’un fait faux et une opinion est très difficile pour la loi, elle devrait se faire par les GAFAM.
Le président haïtien Jovenel Moïse a été abattu à son domicile par un commando armé le 7 juillet dernier. Deux semaines après cet assassinat pour le moins inattendu, les funérailles du président s’organisent sur fond de bras de fer politique entre deux Premiers ministres alors qu’Haïti sombre dans la pauvreté et l’insécurité. Face à cette situation, la communauté internationale semble demeurer silencieuse. Le point avec Jean-Jacques Kourliandsky, chercheur associé à l’IRIS, spécialiste des questions ibériques.
Le 7 juillet 2021, le président haïtien Jovenel Moïse a été assassiné à son domicile par un commando armé. Alors que ses funérailles sont organisées ce vendredi, que sait-on de cette affaire deux semaines après les faits ? Pouvait-on s’y attendre ?
Bien que les hypothèses soient multiples dans cette affaire, il demeure une certitude : le président a été assassiné par un commando de vingt-deux anciens militaires colombiens accompagné par deux Nord-Américains d’origine haïtienne. L’arrestation de certains d’entre eux ne permet pas à ce jour de mettre au clair la situation. On sait cependant que ces militaires colombiens ont été recrutés par une société de sécurité privée, des profils très recherchés notamment ceux ayant déjà participé à des conflits comme au Yémen ou en Irak. D’après le témoignage de Martine Moïse, la femme du président ayant miraculeusement survécu à l’attentat, ils communiquaient en espagnol avec une personne qui leur donnait des indications en direct.
Qui sont les auteurs intellectuels de cette affaire ? On ne le sait pas encore. Quelques arrestations ont eu lieu, en particulier celle du chef de la sécurité présidentielle qui n’a opposé aucune résistance au commando. Quant aux deux soldats de la garde qui se trouvaient devant le domicile privé du président, ils ont été neutralisés par cinq membres de la police nationale de Haïti qui ont disparu aussitôt le méfait accompli.
Pourquoi le chef de la sécurité présidentielle n’a-t-il pas opposé de résistance ? Il semblerait qu’il ait effectué un déplacement en Équateur avec une escale à Bogota, un voyage qui pourrait suggérer un lien avec les auteurs matériels de l’assassinat. Par ailleurs, des personnalités peu connues, mais faisant partie du régime de Jovenel Moïse, un président très contesté, seraient peut-être mêlées à cette affaire, en particulier un médecin haïtien résidant en Floride où se trouverait le siège de la société de sécurité privée ayant recruté les vingt-deux hommes de main colombiens. Tous les assassinats politiques sont en règle générale organisés en poupées russes : on connaît les auteurs matériels des faits, mais il est difficile d’identifier les auteurs intellectuels.
Que démontre cette affaire d’assassinat politique sur la situation de pauvreté, de corruption et d’insécurité à Haïti ? Peut-on attendre une amélioration de la situation avec le nouveau gouvernement en place ?
La situation en Haïti est structurellement catastrophique. L’État n’existe pratiquement pas et les querelles au sein de « l’élite » se multiplient. Dès que la mort du président a été annoncée, deux Premiers ministres ont commencé à se disputer le fauteuil pour assurer le gouvernement intérimaire. Par ailleurs un président intérimaire doit être désigné par les dix sénateurs encore légitimes puisque leurs collègues ont terminé leur mandat depuis déjà plusieurs mois. Un nouveau Premier ministre a été mis en place sous la pression des États-Unis qui ont essayé de régler cette affaire au plus vite. Une mission a été envoyée par Washington, aux effets fulgurants puisque Claude Joseph, Premier ministre intérimaire en exercice, a cédé la place à Ariel Henry, Premier ministre désigné par le président deux jours avant son décès. Claude Joseph reste membre du gouvernement comme ministre des Affaires étrangères. On assiste donc à un jeu de chaises musicales à l’intérieur d’une élite qui, traditionnellement en Haïti, est une élite prédatrice qui gère le plus souvent à son avantage les aides venant de l’étranger alors que la population est laissée dans un abandon total. Haïti est l’un des rares pays du monde où personne n’a été vacciné contre le Covid-19 en 2020 et au premier semestre 2021. L’insécurité est galopante, une donnée qui a pris une dimension particulièrement importante après l’élection du président Jovenel Moïse qui a manifestement laissé faire les « gangs » en Haïti et dans la ville de Port-au-Prince. Plusieurs dizaines voire près de deux cents d’entre eux terroriseraient la population et interdiraient de fait toute manifestation organisée de l’opposition. Les élites ont ainsi abandonné la population, tout comme la communauté internationale.
La situation catastrophique dans laquelle se trouve Haïti semble inextricable. Alors que la communauté internationale s’était retrouvée au chevet du pays en 2010 suite à un grave tremblement de terre, elle semble aujourd’hui peu mobilisée. Qu’en est-il ? A-t-elle un rôle à jouer ?
La communauté internationale, en particulier les États-Unis, souhaite endiguer l’éventualité d’un flux de migrants. Plusieurs centaines de milliers de migrants haïtiens se trouvent déjà aux États-Unis, des dizaines de milliers au Canada, en particulier au Québec, dans les départements français des Amériques comme en Guyane, mais aussi en territoire européen. Chaque fois que la situation haïtienne présente des signes d’effondrement de l’État, sous couvert de l’ONU ou non, la communauté internationale organise une opération militaire avant d’abandonner les Haïtiens à leur sort. Alors que l’absence d’État n’a pas été corrigée, une stratégie pour le moins catastrophique. La gestion des services publics est de fait déléguée et sous-traitée à des ONG du monde entier qui se taillent des fiefs dans divers secteurs de la vie sociale haïtienne sans coordination effective. Il y a bien eu une Commission intérimaire pour la reconstruction d’Haïti, mais celle-ci a été gérée à la nord-américaine, par l’ex-président Bill Clinton qui organisait des réunions en anglais avec des participants haïtiens parlant uniquement créole ou le français, créant de nombreux dysfonctionnements.
Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que la République dominicaine, où se trouvent également plusieurs centaines de milliers de Haïtiens, a verrouillé sa frontière pour éviter l’afflux d’éventuels réfugiés. Quant aux États-Unis, ils ont immédiatement délégué des représentants d’Haïti pour régler le bras de fer entre les deux Premiers ministres. Sans doute aussi pour éviter l’arrivée de migrants. Y aura-t-il une nouvelle opération de l’ONU ? C’est possible puisque chaque fois que la situation s’est dégradée pour une raison ou une autre (tremblement de terre, accident politique, etc.), les pays occidentaux ont envoyé des soldats et des policiers afin de bloquer la population sur le terrain et ouvrir les portes à des ONG étrangères censées suppléer les carences de l’Etat. Cet afflux d’ONG a été accompagné de nombreux scandales, financiers, sexuels, etc. dans le pays. Quant aux forces des Nations unies, on se rappelle qu’après leur arrivée en Haïti, le contingent népalais avait propagé le choléra. Pour résumer la communauté internationale a systématiquement échoué. Volontairement ou non, le diagnostic porté était sécuritaire : il visait à protéger les pays développés de l’arrivée de migrants haïtiens. Le recours aux élections qui est avancé systématiquement pour régler le problème est un faux recours. Les listes électorales ne sont pas fiables, tout a été détruit lors du tremblement de terre. Contestées elles alimentent des querelles sans fin entre partis et candidats. Haïti n’a pas besoin et n’est pas en capacité aujourd’hui d’organiser des élections qui ne résoudront rien.
Le 2 juillet 2021, le Comité international olympique (CIO) a publié des clarifications concernant la Règle 50 de sa Charte olympique, qui vise principalement à interdire toute démonstration politique lors des Jeux. En avril 2021, la commission des athlètes du CIO avait partagé des recommandations – acceptées par le Comité exécutif – qui, a priori, interdiraient aux athlètes de poser un genou à terre. Ces nouvelles précisions leur donnent ainsi le droit d’exprimer leurs opinions sur le terrain, seulement si elles ne ciblent, directement ou indirectement, aucune population, pays, structure, et/ou leur dignité.
Le 15 juillet, Hege Riise, l’entraineuse de l’équipe féminine olympique de football de Grande-Bretagne, a donc annoncé que ses joueuses poseraient un genou à terre, à la suite d’une décision collective visant à « montrer à tout le monde » que le racisme et la discrimination sont des sujets « sérieux ». Cependant, si l’on suit les clarifications de la Règle 50 du CIO, comment serait-il possible de dénoncer le racisme et d’autres formes de discrimination systémique sans viser une structure ou un Etat en particulier ? La réalisation du geste protestataire originel a elle-même eu lieu, en 2016, lors de l’hymne national américain, durant lequel le quarterback Colin Kaepernick a posé un genou à terre pour dénoncer le racisme structurel et l’injustice sociale dans son pays.
La base d’un racisme systémique
Alors que certaines équipes de football ont, en 2021, reproduit son geste avant les matchs du championnat d’Europe de football masculin de 2021 (Euro 2020) – toutefois jamais pendant leur hymne national –, il est important de souligner que ces gestes et mouvements antiracistes se sont développés en réaction à des structures organisées sur la base d’un racisme systémique qui a souvent privilégié une caste de personnes en particulier – c’est le cas pour les Blancs par exemple, en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis.
Le racisme, institutionnel par définition, s’est ainsi enraciné dans une société et une histoire à travers des procédés et des structures développés pour exclure certaines populations des sphères sociales, économiques et politiques afin d’en avantager d’autres. Cela peut se traduire par des politiques publiques explicites ou à travers des procédés plus subtils, à différents niveaux.
Article réservé à nos aAinsi, si l’on se fonde sur les définitions issues des sciences sociales, le racisme anti-blanc ne peut pas exister en France, en Angleterre ni aux Etats-Unis car aucun système ne s’est construit autour d’une exclusion visant les Blancs en particulier, contrairement à ce que revendiquent de nombreuses figures de l’extrême-droite occidentale.Une responsabilité individuelle ou étatique
Lorsque certains joueurs noirs de l’équipe d’Angleterre de football de l’Euro 2020 ont reçu des milliers d’insultes racistes sur les réseaux sociaux à la suite de leur défaite en finale face à l’Italie, en plus de la dégradation de la fresque murale de Marcus Rashford à Manchester, la secrétaire d’Etat conservatrice Priti Patel a dénoncé d’« ignobles abus racistes ». Pourtant, au début de la compétition, elle avait exprimé son opposition quant à la volonté de l’équipe nationale de mettre un genou à terre, décrivant ce geste comme politique et affirmant que les fans anglais avaient le droit de le huer lors des matchs.
Article réservé à nos aAu lendemain de la finale, le joueur anglais Tyrone Mings a souligné son hypocrisie dans un tweet rappelant que les joueurs avaient milité tout au long de la compétition contre le racisme à travers un geste qu’elle avait elle-même condamné. L’importante réticence des cercles de droite aux mouvements antiracistes dans le sport – et dans la société en général – ne fait que souligner les liens indissociables entre le racisme systémique et les institutions politiques.Dans leurs campagnes contre l’injustice, les régimes occidentaux et les organisations de gouvernance sportive ont souvent porté une attention particulière à la responsabilité individuelle et à l’ignorance populaire face aux attaques racistes, sexistes ou anti-LGBT, au lieu de s’attaquer directement à leurs propres structures en tant que source de ces inégalités et violences.
Une lutte superficielle des Etats
Le sexisme, par exemple, est nourri par des systèmes patriarcaux établis afin de privilégier les hommes par rapport aux femmes, et ne peut pas être combattu par la simple promotion « des Jeux les plus égalitaires de l’histoire » à l’occasion de Tokyo 2021. Bien que cela constitue un progrès important pour la cause des femmes dans le sport, compte tenu du fait que celles-ci furent d’abord complètement exclues de ce type d’événements, il faut noter que les stéréotypes sexistes présents dans ce milieu se perpétuent.
Article réservé à nos abonnésLes déclarations, en février 2021, de Yoshiro Mori, alors directeur du Comité d’organisation des Jeux de Tokyo, qui affirmait que les femmes « parlaient trop » lors des réunions, est un exemple – parmi tant d’autres – qui met en lumière les problèmes structurels qui existent encore aussi bien au niveau national qu’organisationnel. Ainsi, les stéréotypes discriminatoires qui ont jusqu’à présent subsisté, ont été entretenus dans et par des systèmes qui ne luttent finalement pour la justice qu’en surface.Ainsi, alors que Hege Riise a partagé sa satisfaction quant à la reconnaissance du CIO de l’importance de cette forme de liberté d’expression, il semble que les sportifs et sportives ne soient toujours pas autorisés à s’exprimer contre le racisme, le sexisme, ou d’autres formes d’exclusions structurelles vécues ou observées dans leur propre nation.
Le racisme et la politique ne peuvent être séparés
S’ils décident de poser un genou à terre – un geste de protestation antiraciste – mais ne peuvent le faire en dénonçant la structure ou le pays en particulier qui a nourri ce racisme systémique, contre quoi manifesteraient-ils exactement ?
Le racisme, la politique et les systèmes économiques ne peuvent être séparés. L’interdiction de s’adresser directement à ces entités risquerait même de désacraliser la puissance de ces gestes politiques, qui prendront en effet place sur le terrain, mais ne pourront officiellement dénoncer aucune discrimination systémique alimentée par les structures politiques et les histoires nationales racistes et sexistes.
La clarification de la Règle 50 du CIO, qui tolère désormais certaines manifestations d’opinions sur le terrain à partir du moment où elles ne s’adressent à aucune entité ou peuple, ne suffira donc pas à redonner aux sportifs et sportives la liberté d’expression qu’ils méritent.
Introduction
Croatia is a country defined by football. The successes of the national football team have allowed Croatia to be displayed, positively, on the international stage. Croatian football has not only served as a geopolitical tool, but also as a cohesive social factor. As a young democracy, Croatia has experienced the emergence of political pluralism, with an homogenous Croatian society being divided within the left and right ideological spectrum. These divisions usually show during national elections, as a result of historical contexts notably stemming from the World War II and the conflict between the fascist Independent State of Croatia (NDH) and the communists. Even after nearly 80 years, this historical moment still affects Croatian political life. The topics of the election campaigns are often tied with the subject of Ustaše, who were the Croatian Revolutionary Organization that formed NDH, and the Partisans who formed Yugoslavia after the war. After WWII, Croatia became an integral part of Yugoslavia ruled by dictator Josip Broz Tito. The wounds of this war experienced by both sides of the ideological spectrum in the 1990s are still relevant today in many fields of studies, and in society at large.
Performances of the Croatian national football team are rare moments during which all of these political tensions are tempered down. Football players become symbols of unification, with for example crowded squares and parks in which Croats of all ages generously supported Vatreni in the 2018 men’s World Cup.[1] However ironically, today under a backdrop of a successful World Cup and several decades of a flourishing national team, football in Croatia has no clear development strategy, no infrastructure and no direction in terms of sports and business development. [2] On the other hand, Croatian governments have not shown much interest in using sports as diplomatic tool in the past. Apart from occasional exceptions, such as the former President Kolinda Grabar-Kitarovic wearing the national football jersey in the final of the 2018 World Cup, it is not clear that politics is thinking strategically in terms of sport diplomacy.
Whilst governments and states around the world are using mechanisms of sport diplomacy to build relationships globally, it does not seem that this is a central concern for Croatian society and politics. Sport, and football in particular, are perceived as a partial tool for good publicity when the results awaken a flare of emotions among the population. This is even more striking if we take the fact that Croatia is a country in which tourism accounts for around 20% of the GDP.[3] An example of how football can be important for branding Croatia is Google trends. It shows that the term “Croatia” has been most searched in the last five years from July 8 to 14, 2018, which coincides with the World Cup success. Such appearances in search engines of people around the world allow for tourism and sport to be connected. The record tourist season in Croatia’s history was 2019, hence confirming a correlation between sport and tourism. Of course, there are other reasons which attract tourists, but sport certainly contributed to people’s interest in Croatia. Within this particular context, this paper will explore the reasons behind why sport remains on the periphery of the Croatian political life, identifying key aspects of the apparent lacking geopolitical strategy for sport in Croatia.
Beginnings
The history of Croatia is as old as Europe, but what is commonly known about Croatia today concerns relatively recent events. Indeed, Croatia only gained its independence in the aftermath of the Balkan wars of the 1990s. During the war, a large part of today’s territory of the Republic of Croatia was occupied by rebel Croatian Serbs, who formed the so-called SAO Krajina, and by Yugoslav people’s Army (JNA), led by Slobodan Milošević. Croatian cities were shelled for months and many Croats had to leave their homes and live as refugees. More than 12,500 Croats died during the Croatian War of Independence and around one thousand are considered missing persons.[4]
As sports was one of those few positive things left during that period, the first monumental symbol of sports and moral victories was the Olympic Games in Barcelona in 1992, when the Croatian basketball team led by Mozzart, Drazen Petrovic, won the silver medal by losing to the United States’ “Dream Team” in the final. It was a great moment for a country that was preoccupied with political conflict and fighting for its independence.
However, only one sport has always meant something more to the Croatian people: football. Many suggest that the war in former Yugoslavia was partially sparked by the football game opposing Dinamo Zagreb and Red Star at Maksimir Stadium on May 13, 1990.[5] It was a match of two national symbols: Croatian (Dinamo) and Serbian (Red Star). Tensions in Yugoslavia were felt much earlier, and football matches were particular events during which political turmoil materialized. Fans of big Croatian clubs, Hajduk Split and Dinamo Zagreb, had already clearly expressed their desire for an independent Croatia. Before the Dinamo-Red Star game, the riots started back in Zagreb, where fans of the two clubs clashed in several locations. The riots continued as they arrived at the stadium where Delije, Red Star fans, clashed with Dinamo ordinary fans at the southern stands. Dinamo’s fiercest fans, the Bad Blue Boys, broke through the fence at the northern stands as they wanted to confront the Delije who ran to the south stands to fight with regular Dinamo fans. At the time, the police intervened in an effort to prevent the Bad Blue Boys from reaching the other end of the pitch, creating a major conflict between fans and police. At that moment, Dinamo’s captain Zvonimir Boban – who stayed on the pitch with teammates – intervened against a police officer who unjustifiably hit a fan of Dinamo. The officer then went after Boban with a bat, and Boban responded with a kick.[6] This is how this game became a legend, along with Zvonimir Boban as the ultimate legend of Croatian football. Although, of course, reasons for war go far beyond football, this match reflects the importance of football in society.
The Croatian national football team played its first match on October 17, 1990 in a friendly match with the United States. Croatia waited until 1992 to be given the opportunity to participate in major competitions, as the Fédération Internationale de Football Association (FIFA) gave Croatia full membership. The Union of European Football Associations (UEFA) did so a year later, on June 17, 1993. A great moment in the history of Croatian football occurred during the men’s European Championship in England in 1996, where the Croatian team reached the quarterfinals, losing a game against the later winner of the competition, Germany. This championship showed that a great generation led by Boban, Suker, Prosinečki and others could compete on the international stage. The result that few dreamt about happened two years later, at the men’s World Cup in France in 1998. Croatia, as a debut in the competition, won a fantastic third place. This was the trigger for an unprecedented celebration in cities across Croatia. This success also branded Croatia in the world in a way that was unimaginable by other means. Globally, many were hearing about Croatia for the first time. In addition, Croatian football clubs had strong teams mostly filled with the great names of Croatian football. This was possible, among other things, thanks to the state leadership of Franjo Tudjman, who invested money in sports as a form of development rather than based on market principles. However, in Tudjman’s vision football was more than just a game as it possessed, according to him, political qualities. He was aware of the political significance of sport, and what it could contribute to the forging international ties and the building of a nation brand, essential in such a young country.
Modern football
In the new millennium, football was increasingly becoming an attractive arena for many politicians. The cult of the national football team took place in Croatia long after the 1998 and Vatreni team. Except for internal political purposes, nobody saw football as a strategically important diplomatic tool. This suggests that Croatia has never developed a comprehensive strategy for the development of sports for political gain, especially football. This is perhaps best reflected when you look at football infrastructure in Croatia. Today, Croatian stadiums are something most Croatians are ashamed of.[7] The Croatian team does not have a credible national stadium, where it could host the best European and world opponents and their political entourages. The largest Croatian stadium, Maksimir, was last renovated in the 1990s, the second largest Poljud in Split at an even earlier date. To that end, the infrastructure for elite-level football is severely lacking.
Croatia’s economy and industry generally lag behind Western European standards. However, in the sport industry, Croats are relatively successful. Yet, Croatia is doing very little for the development of sport, and thus for football. The best indicator of this is that sports collectives and individuals in Croatia have growing problems in functioning. There is no concrete framework for financing sports clubs from grassroots to professional level.[8] This did not prevent Croatian players from continuing with excellent results, both as a national team and as individuals across some of Europe’s elite clubs. Proof of this is the final of the men’s World Cup in Russia in 2018. The reception of the runners-up in Zagreb once again showed that football is a religion in Croatia. Hundreds of thousands of Croatians poured into the streets of the capital Zagreb to celebrate Croatia’s accomplishment in the World Cup.[9] It was the largest mass gathering in Croatian history.[10] What the World Cup has once more shown is that the football players placed Croatia on the front page of the world’s most relevant media outlets. Branding the country at this level under normal market conditions would cost hundreds of millions of euros. That branding however was done on the football pitch. This all passed off without much reflection or support from the state, albeit with former President Kolinda Grabar-Kitarović being on the pitch after the final in Moscow. Although such success was a trigger for the authorities in Croatia to start thinking about the important problems that football is facing, we have not seen any progress in this regard until today.
The infrastructure problem is only a consequence of a lack of strategy and investment. However, whilst elite-level infrastructure is poor, the situation within the grassroots-level of the game is also highly problematic. Indeed, infrastructure at that level is even worse than in professional football. These are the courts where the new Modric, Mandukic and Boban are dreaming of their success in Croatia’s jersey, but the facilities are severely falling behind those found in other European nations. Ultimately, the grassroots of the game need investment since, as a small country, it will not be able to continually rely on progression of players to the elite level, and a strategy involving higher investment needs to be cultivated. At the moment, most of the players’ success comes down to individual passion and commitment to succeed despite all problems. The lack of sport development strategy also falls into the schooling system, a level at which healthy sports habits are developed by children. Such a framework could ensure a greater influx of talent into sports.
The country of four million people cannot rely on the volume of athletes that will reach a professional level. Since Croatia has considerably fewer inhabitants than large sports nations, each individual and talent is extremely important. The challenge is thus greater if we take into account the growing inactivity of children due to the great time spent on computer games and social media. A survey on the physical activity of children in the first grade of primary school shows that 19.3% of boys and 19.3% of girls watch television for more than two hours a day while between 12 and 18% of students at the same time spend more than two hours a day playing games on a computer.[11] These are all issues that the Croatian state needs to address strategically.
On the other hand, professional football also faces a lot of problems. Croatian clubs are destined to sell their players early and for a value below market prices. The exception is Dinamo Zagreb, which is now a respectable club at the European level and whose players can command a fair market price. The reason for such a situation lies in the fact that the state does not create a positive climate for investing in sports. Croatian businessmen do not have a great motivation to invest sponsor money in football clubs because the market is too small to return on investment. In such a case it is the state’s job to help clubs finance through accounting mechanism or tax policies that would favour investing in sport. Without this, Croatian clubs cannot survive on the standard main sources of income that dominate in European clubs (TV rights, matchday and sponsorship).
Perspective
The Croatian nation hopes for a new great success for the national football team at the 2022 World Cup, after losing to Spain in the round of 16 in the 2020 men’s European championship. This would be a new reason for the national pride and the projection of Croatia to the world, although the problems plaguing Croatian football will remain regardless. The question remains whether the Croatian state will recognise sport as a strategic opportunity, to promote Croatia and its key source of income tourism (estimated to account for 20% of GDP). The indicator that the Croatian government has begun to think in this direction is the fact that the Ministry of Tourism and Sports has been formed in 2020, showing a new direction and policies regarding sports. It will be important that the announced new policies create any high quality and strategic solutions.
However, more concrete progress requires a broader socio-political consensus. For example, football in Croatia is often attempted to be politicised and various political options have different views when they talk about whether to start working on the aforementioned problems. Politics in Croatia primarily strives to satisfy the social needs of a wider circle of voters, often imposing topics such as construction of schools, kindergartens or hospitals, and often keeping unsustainable business models of public companies left over from the time of Yugoslavia prior to the sports investments. Within these circumstances, the vision of sport in the development of society and the role in geopolitical terms remains ignored or more often unimportant. Such an approach will not make any progress. Sport is something that must go beyond daily political interests. The current situation is such that there is almost no investment in sports in Croatia.
The government has to invest in sports without dragging partial political interests into the story. An example of this is the theme of the construction of a new stadium in Zagreb. Namely, many political parties condition such a thing with changes in the leadership of Dinamo Zagreb, thus avoiding any concrete steps that will help football grow. Dinamo has been asking for a simple building permit from the City of Zagreb for years. The new elected city authorities make such a permit conditional on changes in Dinamo, i.e. the introduction of a “socios“ (one member, one vote) model in the club, because they believe that the club should be run more transparently and that the members should choose the club’s leadership in the open elections instead of through the assembly as is the case today. On the other hand, Dinamo’s management believe the current model, where ten percent of the assembly is represented by members of the club, has led the club to historic success and do not see the need for change in this regard. It is important to point out that Dinamo wants to build the stadium with its own funds. Due to the strong politicisation and different partial political interests and influence of various interest groups, the city still refuses to grant a building permit.
That is another proof that when we talk about sports, many political forces have no strategy and have no answer on how to give football that place that belongs to it. The Croatian Football Federation led by the legend of Croatian Football, Davor Suker, is not helping at all. After its success in Russia, the Croatian Football Federation did not work too hard to make Croatian football a fortified brand in the world. There are too few meaningful moves that would continuously place Croatian football on the markets that are most interesting to Europe, namely the United States and Asia. The appearance in these markets raises people’s interest in Croatian football. A major problem however is the Croatian football league’s money made from TV rights. Very few people in the world are interested in watching Croatian league matches. The Croatian Football Federation, as the governing body in Croatian football, should have a clearer strategy for promoting Croatian football in the world. It is a way of attracting investment and helping different levels of football to develop and produce new great football players. Other football associations are obviously working to take their place in these markets and thus, apart from sports, brand their state in other aspects such as tourism.
This is the reason why the paradox is greater, as tourism is the most important industry in Croatia. In this context, China is one of the most important countries as it represents the largest influx of new tourists to Croatia. This is no surprise because the Chinese are the most active tourists in the world. It is more important when we see how Chinese think about Croatia. When asked “What’s next for Chinese tourism?” at London’s World Travel Market (WTM) in November 2019, Editor in Chief of China Daily Europe, Yu Yilei replied: “Croatia.”[12]
Football can be one of the things that the Chinese people could connect with in Croatia. It is necessary to arouse additional interest to meet the country from where Luka Modric comes. We can often see how these tourists carry popular Croatian cubes. However, the impression remains that few in Croatia are considering approaching it more seriously and thus cementing Croatia as a football country.
As football will still be the main mirror of Croatia in the world, it remains to be seen whether the state Croatia will see its chance for much greater things than sports. I think it’s a matter of time. Still, time is money, and Croatia has already lost a lot of time.
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About the author
Ivan Tomic studied Economics at the University of Graz and the Zagreb School of Economics and Management. He is engaged in research on management, marketing and communication both in sports organizations and athletes as individuals. Ivan Tomic is the author of two books in the field of sports, the Strategic Management of Sports Communication and Management and Communications in sports. He is also the author of the blog: Ivan Tomic – Management and Communications in sports (Menadžment i komunikacija u sportu), where he presents the most relevant views of business and management in sports.
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[1] Borger, J 2018, Zagreb rocks: ‘We have heart, we are proud and we have been forged in war’, The Guardian, 11 July 2018, < https://www.theguardian.com/football/2018/jul/11/zagreb-rocks-croatia-world-cup-semi-final-victory>
[2] Topić, M 2018, Imaju li Vatreni budućnost?, Telesport, 19 July 2018, <https://telesport.telegram.hr/kolumne/topnicki-dnevnici/imaju-li-vatreni-buducnost/>
[3] Ministarstvo turizma Republike Hrvatske 2020, Turizam u brojkama 2019., accessed 15 October 2020, < https://www.htz.hr/sites/default/files/2020-07/HTZ%20TUB%20HR_%202019%20%281%29.pdf>
[4] Hrvatska enciklopedija, Domovinski rat, Leksikografski zavod Miroslav Krleža, 2021, accessed 27 June 2021. <http://www.enciklopedija.hr/Natuknica.aspx?ID=15884>.
[5] Domovinski rat počeo je na Maksimiru : Dinamo : Crvena Zvezda 13. 5. 1990, (2014), Manjkas, M., Klarić, D. and Vrgoč, M, Večernji list – Intermedia grupa
[6] Mills, R 2018, The Politics of Football in Yugoslavia: Sport, Nationalism and the State, International Library of Twentieth Century History, I.B Tauris, London, New York
[7] Šola, R 2020, Kada ćemo konačno shvatiti da je Maksimir sramota Zagreba i Hrvatske države? Bit će to novi bolan šamar, Sportske Novosti, 13 October 2020, < https://sportske.jutarnji.hr/sn/nogomet/reprezentacija/kada-cemo-konacno-shvatiti-da-je-maksimir-sramota-zagreba-i-hrvatske-drzave-bit-ce-to-novi-bolan-samar-15025051>
[8] Croatian Olympic Committee, Prijedlog mjera za unaprjeđenje statusa sporta u RH, January 2019, Hrvatski Olimpijski Odbor – Radna skupina
[9] Croatia World Cup team return home to hero’s welcome, Deutsche Welle, 16 July 2018, < https://www.dw.com/en/croatia-world-cup-team-return-home-to-heros-welcome/a-44702707>
[10] Najveće okupljanje u povijesti Hrvatske: Vatrene dočekalo 550 tisuća ljudi!, Goal.com, 17 July 2018
<https://www.goal.com/hr/vijesti/hrvatska-reprezentacija-svjetsko-prvenstvo-docek/av4otiari7m710fwpdzphaj0g>
[11] Puljak, A, Tjelesna aktivnost u službi zdravlja, NZJZ dr. Andrija Štampar, accessed on 28 June 2021.,
< https://www.stampar.hr/hr/tjelesna-aktivnost-u-sluzbi-zdravlja>
[12] Parusil-Cook S 2020, The Southeastern Europe Chinese Tourism Boom, Dragon Trail International, 8 January 2020, < https://dragontrail.com/resources/blog/chinese-tourism-southeastern-europe>
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This article belongs to the GeoSport platform, developed by IRIS and EM Lyon.
A un jour de la cérémonie d’ouverture des JO de Tokyo, les mauvaises nouvelles s’accumulent. Un nouveau départ dans l’organisation, des nouveaux cas de coronavirus parmi les sportifs. Cette situation est-elle, selon vous, de mauvais augure pour la suite des Jeux ?
Il est très compliqué d’arriver à d’ores et déjà déterminer si ces Jeux sont une réussite ou un échec, à la fois pour Tokyo et le Japon mais aussi pour l’Olympisme de manière générale. Il faut en attendre la fin pour en tirer les premières conclusions. Ce qui est certain en revanche, c’est qu’un certain nombre de nuages s’amoncèlent au-dessus de la tête des organisateurs. De façon logistique, les Jeux olympiques sont déjà très difficiles à gérer sans la pandémie. Le coronavirus a complexifié tout le processus. Aujourd’hui, c’est une vraie difficulté pour les organisateurs.
Cependant, et l’on s’en rend compte lorsque l’on observe les grands événements sportifs internationaux, il peut y avoir toute une série de mauvaises nouvelles, de décisions qui viennent compromettre le bon déroulé de la compétition et à partir du moment où les Jeux se déroulent, s’il n’y a pas d’anicroche, si les résultats sont au rendez-vous, très rapidement on se détourne des enjeux organisationnels, logistiques, politiques ou géopolitiques, pour venir se recentrer davantage sur les résultats sportifs en tant que tels.
Il va être essentiel d’analyser tout ce qui va se passer pendant et en dehors des cérémonies et des compétitions, pour pouvoir en tirer les conclusions.
Une situation si rocambolesque dans l’histoire des Jeux Olympiques et Paralympiques, c’est une première ?
Jamais nous n’avons connu une situation aussi dégradée. C’est inédit à bien des égards, à la fois parce que les Jeux olympiques et paralympiques ont d’abord été décalés d’un an mais aussi parce qu’il y a, malgré toutes les dispositions qui ont été prises, cette épée de Damoclès au-dessus de la tête des organisateurs. En début de semaine, l’un des membres de l’organisation a réitéré qu’il suivrait avec une grande attention l’évolution de la crise sanitaire, affirmant que les Jeux seraient interrompus si nécessaire. Tout le scénario des possibles est ouvert, il faut donc voir comment les choses vont évoluer.
Dans l’histoire des Jeux olympiques et paralympiques, ou des grands événements sportifs internationaux, il y a déjà eu des situations qui n’étaient pas simples à gérer. De manière générale, aucun événement sportif n’est facile à organiser. Prenons l’exemple des boycotts en 1976, 1980 et 1984. Un tiers voire deux tiers des délégations n’ont pas fait le déplacement ou ont menacé de ne pas le faire. Dans ce genre de cas, il y a un très fort impact sur la tenue des compétitions, sur l’organisation et sur les résultats. Ajoutez à cela la pression diplomatique. Tout le monde se focalise sur ce genre de désagréments. Ils font entrer le politique directement dans l’arène sportive.
Contrairement aux dérapages et aux démissions, les clusters et la multiplication des cas eux étaient prévisibles. Au vu de l’évolution du virus au Japon, c’est à se demander si la tenue de ces Jeux olympiques était vraiment raisonnable. Quels sont les enjeux géopolitiques et diplomatiques derrière cette événement sportif global ?
Il y a plusieurs enjeux. Dans un premier temps, la réussite de ces Jeux serait directement bénéfique pour le Japon. Tokyo, et le Japon de manière générale, ont misé énormément de temps, d’argent et de moyens pour faire de ces Jeux une réussite et, si on se reporte à leur origine, faire que ces Jeux symbolisent « l’après Fukushima ».
L’arrivée de la pandémie a ensuite transformé ces jeux de « l’après Fukushima » en « l’après Covid-19 ». De vraies promesses ont été faites de la part du Japon qui considérait que ces Jeux seraient la victoire de l’humanité sur la pandémie. C’est un enjeu majeur.
Ensuite, il y a des enjeux directement liés à des relations bilatérales extrêmement fortes. Elles sont propres à toutes les compétitions sportives internationales mais particulièrement aux Jeux olympiques et paralympiques où il y aura forcément des rencontres hautement politiques entre des pays qui sont en froid, en guerre, en conflit ou en opposition idéologique.
A ce titre, il est toujours intéressant de voir les différentes oppositions entre la Russie et les Etats-Unis, même si cela a un parfum un peu daté. Aujourd’hui il est très intéressant de voir des oppositions entre les Etats-Unis et la Chine sur un certain nombre de sujets. Ces oppositions peuvent être mises en scènes lors des JO lorsque, par exemple, la victoire d’un des deux pays est soulignée et mise ne valeur face à l’autre pays défait. Si l’on s’intéresse à la zone asiatique, il y a aussi une relation bilatérale importante entre la Chine et le Japon qui est tout à fait particulière et parfois tendue. Il sera donc intéressant de voir comment ces deux États vont se rencontrer et quelles seront les conséquences de leur rencontre. Il existe une concurrence d’autant plus importante dans l’organisation de ces Jeux olympiques, que les prochains qui ne seront pas d’été mais d’hiver, auront lieu à Pékin en 2022. Nous savons à quel point la Chine accorde une importance extrêmement forte au sport d’une part, mais également au fait que les JO soient parfaitement organisés, parfaitement réussis et que ce soit les plus grands Jeux d’hiver jamais organisés. Il y aura donc forcément une comparaison induite avec l’organisation japonaise. Par ailleurs, nous savons également que, et le dernier Euro de football l’a démontré, l’actualité est souvent malicieuse et elle glisse souvent des occasions de parler politique dans des événements où elle n’était pas forcément attendue. La tenue de ces Jeux olympiques est très impopulaire auprès d’une grande part de la population japonaise, qui redoute l’aggravation de la crise sanitaire dans le pays. On se doute donc qu’au niveau national, aussi, les enjeux autour de cette compétition sont majeurs pour le gouvernement japonais. C’était d’abord un vrai enjeu pour le comité d’organisation dont le travail est de faire en sorte que les choses se passent bien mais il y a en effet un enjeu politique pour les différents responsables politiques japonais. Ces derniers considèrent, en effet, qu’il en va aussi de leur prochain mandat et des prochaines élections. Si ces Jeux ne se déroulent pas comme prévu, s’il y a des difficultés à organiser cette compétition, cela se « paiera » dans les urnes où la sanction se traduira par des votes pour le parti de l’opposition qui, lui, n’aura pas été aux commandes du pays.Concernant l’impopularité, il y a effectivement beaucoup de remarques sur la nécessité de donner des fonds à des structures et instances qui en auraient besoin, comme les hôpitaux par exemple plutôt qu’aux Jeux. C’est quelque chose que l’on retrouve de façon régulière dans un certain nombre de grands événements sportifs internationaux. Cela a par exemple eu lieu lors de la Coupe des Fédérations brésiliennes en 2013, où des manifestations avaient eu lieu juste avant la compétition et pendant presque une année. Elles avaient ensuite donné un contexte social extrêmement compliqué et tendu pendant la Coupe du Monde masculine de football en 2014.
Cet aspect-là n’est pas spécifique à Tokyo mais il va en effet être regardé par les Tokyoïtes, par les Japonais mais aussi par les spectateurs étrangers.
Propos recueillis par Luna Gay-Padoan pour TV5 Monde.
Un sommet téléphonique a eu lieu entre Emmanuel Macron, Angela Merkel et Xi Jinping. Quelle était la raison initiale de cet appel ? Quels enjeux s’y jouaient ?
Le sujet principal de cette réunion était la lutte contre le changement climatique et la protection de la biodiversité, avec en toile de fond le sommet sur le climat organisé le 22 avril, le Congrès mondial de l’UICN de Marseille, la COP 15 de Kunming et la COP26 de Glasgow. L’UE et la Chine mettent en avant le multilateralisme sur ces enjeux et la coopération est assez efficace. C’est surtout en raison du retrait des Etats-Unis sur ces sujets sous l’administration Trump que cette coopération Chine-UE s’est renforcée. D’autres sujets ont été abordés, comme l’ouverture de la Chine aux investissements – la réciprocité que Paris et Berlin appellent de leurs vœux -, et la situation en Birmanie et en Corée du Nord, deux pays voisins de la Chine. Le dialogue est important sur ces sujets, compte-tenu des inquiétudes partagées, et des pressions américains qui s’ajoutent à la méfiance du parlement européen concernant les accords sur les investissements.
Dans la presse chinoise transparaît surtout l’idée que Pékin se sent en mesure de s’immiscer dans la relation entre l’UE et les Etats-Unis en se rapprochant de l’Europe et serait en bonne voie pour « remporter » cette bataille géopolitique. Est-ce véritablement le cas ?
Il faut ici se montrer mesuré. La Chine a clairement su profiter des décalages entre l’administration Trump et ses partenaires européens pour renforcer ses liens avec l’UE, à la fois au niveau institutionnel (l’accord sur les investissements du 31 décembre dernier, qui reste cependant en suspens, en est l’illustration) et par le biais d’initiatives bilatérales (plusieurs pays européens, dont l’Italie, se sont ralliés à la BRI). Mais il s’agit là de pratiques assez courantes chez les grandes puissances, qui savent occuper un terrain laissé vacant par un concurrent. L’arrivée au pouvoir de Joe Biden est la promesse d’une relation transatlantique plus apaisée, mais cela ne doit pas signifier que l’UE va se positionner contre la Chine (comme l’espèrerait peut-être Washington). Attention cependant à Pékin à ne pas pêcher par orgueil. L’UE n’a pas l’intention de « choisir » entre Washington et Pékin, et ce message doit être entendu d’un côté comme de l’autre. S’il doit y avoir un « vainqueur » dans cette bataille géopolitique que vous évoquez, ce sera celui de Pékin ou de Washington qui respectera le plus l’UE et ses Etats-membres, et n’y verra pas un simple faire-valoir. Et malgré les sourires de Biden et l’argent de Xi, ni la Chine ni les Etats-Unis ne semblent à ce stade en mesure de « remporter » cette bataille.
L’Europe intéresse-t-elle réellement la Chine ou bien agit-elle surtout contre les Américains ?
L’UE intéresse la Chine, qu’elle voit non seulement comme un acteur incontournable et comme un chaînon indispensable à une multipolarité que Pékin met en avant depuis des années. La Chine ne veut pas d’un bras de fer avec Washington, sorte de guerre froide 2.0 aux conséquences incertaines. L’intérêt est là, dans le rejet de cette bipolarité. Mais qu’en est-il du respect des intérêts et valeurs des Européens, et de la réciprocité indispensable à cette relation? Pékin ne doit pas confondre intérêt et dépendance, et doit accepter une relation basée sur le respect mutuel, le droit à la critique, et un équilibre.
À l’heure où le désengagement progressif de l’opération Barkhane et la mise en place de Takuba alimentent le débat sur l’efficience de la lutte contre les groupes jihadistes au Sahel, le Liptako-Gourma entre dans la phase de stabilisation. Si l’un symbolise les limites de la réponse militaire, l’autre ne doit pas soulever des espoirs inconsidérés. La sécurité et le développement doivent agir concomitamment. En partant de l’exemple du bassin du lac Tchad, je postule que pour atteindre des résultats durables et efficients, il faut coupler les opérations militaires à une stabilisation transformationnelle. Celle-ci nécessite un engagement proportionnel à l’ampleur des facteurs générateurs des crises qui secouent le Sahel et bien d’autres régions d’un continent qui risque de devenir l’épicentre d’une instabilité irradiante pour d’autres parties du monde.
Un continent parsemé de menaces
En une décennie, toutes les régions africaines se trouvent en proie à des organisations terroristes. Cette régionalisation concerne aussi bien les Shabab et Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) plus anciennement implantés que les franchises et autres émanations endogènes qui se sont développées dans des contextes d’imbrication de conflits et de sources de fragilités. À l’instar du bassin du lac Tchad, le Liptako-Gourma confirme davantage l’existence de connectivités territoriales, économiques et humaines que les entrepreneurs de tous genres, y compris les groupes armés non étatiques, sont capables de rentabiliser, malgré les efforts consentis en matière de réponse militaire.
L’implantation de telles organisations violentes dans des zones d’économies rurales et itinérantes, car structurées autour de la mobilité dans les échanges, limite l’accès des populations aux ressources de production économique, et surtout permet de développer l’entrepreneuriat d’insécurité. D’où des possibilités locales de financement des groupes armés, voire de capitalisation et de blanchiment. L’ampleur du vol et du trafic du bétail, la circulation des produits du crime et la poursuite des enrôlements de jeunes, indique bien qu’au-delà de l’idéologie, c’est dans la transformation des rouages et des capacités de l’économie et de la société locales que se trouve le combat à mener contre des organisations qu’il convient d’éviter de lire sous le seul prisme des discours idéologiques et des haillons de leurs leaders et combattants hirsutes et dépenaillés.
À la régionalisation s’imbrique l’autochtonisation qui en est d’ailleurs la nourricière. Longtemps, le terrorisme porté par des organisations d’obédience islamique sur le continent africain a été perçu comme le reflet de l’internationalisation d’une lutte civilisationnelle, tout au moins l’islamisation de contestations politiques d’ailleurs qui ont progressivement essaimé vers l’Afrique, particulièrement subsaharienne. Si cette lecture à la Samuel Huntington ne manque pas d’indicateurs au regard des dénominations et des allégeances à Al-Qaïda et à Daech, force est de constater que les labellisations n’occultent pas la constitution d’organisations émanant de la maturation de groupes essentiellement portés vers la violentisation des revendications locales, la contestation asymétrique de la gouvernance étatique et l’instrumentalisation du courroux social en contexte de saturation des besoins alors que les réponses stagnent. L’émergence de l’insurrection violente au Mozambique, particulièrement la récente attaque de Palma, résulte davantage de l’écart entre la qualité de vie des populations et le gigantisme des investissements étrangers dans une zone où sous-emploi, inadéquation des services sociaux de base et récupération idéologique sont porteurs d’insurrections. Même la revendication de cette attaque par l’État islamique et les liens éventuels avec les Shabab, n’éludent pas la dimension éminemment locale des sources de la violence. L’autochtonisation s’opère donc dans une articulation complexe de facteurs locaux, de vecteurs régionaux, de contextes favorables et de facilitations tels que l’accès à des financements (butins, trafics…) et moyens opérationnels. Toutes les enclaves de fragilités deviennent ainsi des zones candidates pour peu que le contexte favorise l’irruption d’un groupe armé.
Ces zones candidates élargissent la carte des modes opératoires terroristes en Afrique. La métastase est perceptible, car plusieurs pays situés en dehors du champ d’influence traditionnelle de l’islam sont touchés par des attaques conduites par des groupes locaux. Les pays côtiers où se déploient des investissements et des échanges internationaux de grande envergure ont dépassé le stade du risque et sont progressivement gagnés par des menaces réelles, notamment dans le golfe de Guinée déjà confronté à la piraterie maritime.
Loin d’être exhaustive, cette évocation des évolutions du risque terroriste sur le continent africain suggère que les groupes armés s’adaptent facilement à la réponse militaire lorsque celle-ci est la principale réaction de l’État et de ses partenaires. Si la réponse militaire continue d’enfler au gré de l’épaississement de la menace, il est à craindre que la crise humanitaire s’intensifie et que l’environnement stratégique du continent se complexifie davantage. Entre négociations avec les insurgés et réaménagements des forces dans certains théâtres, l’on reste encore focalisé sur les issues politiques et militaires. Il importe de saisir ce contexte pour analyser de façon robuste les facteurs d’insurrection.
Le bassin du Lac Tchad comme site d’observation
Depuis 2014, les pays riverains du lac Tchad (Cameroun, Niger, Nigeria, Tchad) sont confrontés à une crise humanitaire et sociale due à l’extrémisme violent. Sous le label Boko Haram, des groupes armés affichant un discours idéologique et des prétentions à contrôler des territoires pour y constituer un État théocratique, perpètrent des violences variées à l’encontre des forces de défense et de sécurité, des populations civiles et des biens publics et privés. C’est ainsi que des attaques frontales, des embuscades, des prises d’otages contre rançon, des enlèvements de jeunes et de femmes, des attentats suicides et des expéditions de pillage, ont instauré une insécurité généralisée dans certaines parties de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun, la région de Diffa au Niger, les États d’Adamawa et de Borno au Nigeria, les provinces du Lac, du Kanem et du Hadjer Lamis au Tchad. Il s’en suit des déplacements de populations d’une ampleur inédite dans le bassin du lac Tchad. Selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), au 31 décembre 2020, on dénombrait plus de 2,9 millions de déplacés internes dans le nord-est du Nigeria, plus de 778 000 dans les trois autres pays, lesquels accueillent plus de 300 000 réfugiés. Le peu de services sociaux de base disponibles avant la crise ont été détruits ou ont subi les effets des intempéries. Les marchés et les routes commerciales transfrontalières sont fermés. Les champs et les pâturages sont restés inaccessibles durant plusieurs années. Produit de la vulnérabilité cognitive et socioéconomique, l’enrôlement des jeunes s’est accru du fait de la précarité qui s’est intensifiée et répandue à toutes les couches de jeunes habitués à vivre à la frontière ou à proximité de la frontière et à en tirer des bénéfices. Le déplacement a accru les charges sociales des femmes tout en annihilant les ressorts de leurs activités génératrices de revenus habituelles.
Face aux effets multiformes de la menace, les États affectés ont déployé des réponses essentiellement militaires. La première composante de cette réponse comprend les opérations nationales. La seconde est constituée par la Force mixte multinationale (FMM). Après des années de lutte, force est de constater que les opérations de grande envergure que Boko Haram menait avec des centaines d’hommes se font désormais rares. Les attentats suicides ont considérablement diminué. De temps à autre, des engins explosifs improvisés font des blessés, des dégâts matériels et parfois des morts. Tandis que vers le Lac, la menace continue de requérir des engagements militaires conséquents, plus au sud, l’on a surtout affaire aux attaques prédatrices d’adeptes manifestement confrontés aux besoins de survie. C’est fort des résultats déjà engrangés par la réponse militaire que les États réunis au sein de la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), en synergie avec l’Union africaine et leurs partenaires internationaux, particulièrement le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ont élaboré la Stratégie régionale de stabilisation (SRS) qui a été adoptée en 2018. La mise en œuvre de la SRS a bénéficié de crédits dans le cadre de la Facilité régionale pour la stabilisation du bassin du lac Tchad (FRS) lancée en juillet 2019 à Niamey. La FRS est financée par l’Union européenne, l’Allemagne, la Suède, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la France.
Dans les zones cibles de l’Extrême-Nord du Cameroun, le PNUD a entrepris de réaliser des activités visant d’une part à viabiliser les zones affranchies de la menace de Boko Haram, mais où les communautés restent fragiles, et d’autre part à soutenir les communautés installées dans les zones d’action humanitaire en étroite collaboration avec les forces de défense et de sécurité dont l’encadrement reste nécessaire.
À ce jour, la mise en œuvre des projets a permis d’atteindre des résultats rapides et probants en matière de soutien à la sécurité communautaire, construction ou reconstruction d’infrastructures essentielles servant au retour des services publics et la délivrance des services sociaux de base, réhabilitation des voies d’accès aux villages et aux espaces de production, renforcement des capacités de certains acteurs de la chaîne judiciaire afin de garantir des enquêtes appropriées. C’est ainsi que des bâtiments devant abriter des postes de sécurité, des services d’agriculture et d’élevage, des écoles, des centres de santé, ont été construits en matériaux définitifs pour renforcer la présence de l’État et de ses services. Dans le cadre de la revitalisation de l’économie locale, le fait le plus notable et le plus attendu a été la réouverture du corridor Banki (Nigeria) et Amchide (Cameroun) qui est le poumon de l’économie transfrontalière. C’est par là que passent les produits de première nécessité, les produits agricoles et pastoraux, les produits manufacturés, les matériels de construction, le carburant, bref l’essentiel des commodités vendues sur les marchés locaux. Plus que la reprise du petit commerce local, c’est l’ensemble de l’économie régionale qui va être galvanisée sur une profondeur de plus de cent kilomètres en direction des marchés urbains tels que Maroua, Kousseri et N’Djamena. L’amorce des travaux à Blangoua et bientôt Hile-Alifa, permettra sous peu la reprise des activités agricoles, piscicoles et pastorales dans des zones vitales pour l’économie des abords sud du lac Tchad et les corridors fluviaux par lesquels passent les marchandises circulant entre Gambaru (Nigeria) et les provinces tchadiennes voisines du Lac.
Tout ceci a substantiellement amélioré les relations civilo-militaires, rationalisé la protection communautaire, motivé le retour de déplacés internes, réduit les risques d’enrôlement à travers le cash for work et la relance des activités génératrices de revenus à travers les échanges transfrontaliers. Après la phase d’urgence et celle de résilience, la stabilisation produit chez les bénéficiaires le sentiment que les choses s’améliorent, ce qui permet la reprise de la vie économique et sociale dans des communautés qui attendaient et réclamaient aussi bien davantage d’actions militaires concrètes que d’actions socioéconomiques efficientes.
Cet espoir nouveau s’éveille au moment où la branche la plus redoutable de Boko Haram, en l’occurrence l’État islamique en Afrique de l’Ouest (EIAO), étend son influence sur les zones jusque-là sous emprise d’Abubakar Shekau. L’approche persuasive de l’EIAO, faite de propagande et de facilitations socioéconomiques en direction des populations cibles, est de nature à relancer le mécénat de l’extrémisme violent, la collaboration passive des populations vulnérables et les recrutements de jeunes. Il est évident que l’adaptation des dispositifs de réponse militaire et de sécurisation à cette nouvelle donne sera un gage de réussite de la stabilisation, la sécurité étant indispensable au déploiement de tous types d’interventions.
Toutefois, il convient d’agir pour la transformation profonde de l’environnement économique et social de ces zones frontalières où sécurité, développement et paix durable sont plus que jamais intimement liés.
Un financement conséquent de la stabilisation
Dans l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), dans le bassin du lac Tchad, désormais au Liptako-Gourma et peut-être ailleurs, les mécanismes de stabilisation apparaissent comme la réponse idoine pour apporter un changement économique et social répondant aux attentes des populations. Pour que la stabilisation atteigne des objectifs de transformation durable des sociétés meurtries qui continuent d’être à risque et pouvant potentiellement basculer dans la radicalisation insurrectionnelle, il convient de sortir du saupoudrage pour consacrer des crédits conséquents aux infrastructures, aux projets structurants, à la viabilisation des espaces transfrontaliers, bref pour faire du développement l’outil de prévention par excellence. Dès lors, les prochaines étapes de la stabilisation devront Sécuriser le développement par l’optimisation de la présence de l’État et particulièrement des services de sécurité renforcés, Viabiliser les communautés affectées par le renforcement de l’accès aux utilités dont : l’eau pour la consommation courante, l’irrigation ; l’énergie solaire pour accompagner la reconstruction de la convivialité, soutenir les apprentissages des élèves, réduire les vulnérabilités sécuritaires dues à l’obscurité, faciliter l’accès à l’information et plus amplement à la modernité, Instaurer de nouvelles perspectives de production économique par le développement des agropoles en fonction des chaînes de valeur locale et l’expérimentation de nouveaux produits, Soutenir la reprise et l’employabilité du secteur commercial par le crédit et la reconstruction des espaces commerciaux et fonctionnant comme des hubs régionaux ou locaux pour la distribution des produits, Susciter l’urbanisation par la construction de routes viables en toute saison et d’ouvrages de franchissement entre les zones de production et les agglomérations, Bâtir des connexions transfrontalières solides, à savoir une synergie entre les communautés et entre les services frontaliers, Construire l’interrégionalisation en soutenant les initiatives des communautés économiques régionales en faveur de liaisons et de facilitations des échanges. L’exemple du Comité international de coordination (CIC) de la lutte contre la piraterie maritime (CEDEAO, CEEAC, CGG)[1] devrait inspirer d’autres initiatives autour des routes transrégionales, des flux de marchandises et de personnes, des liaisons aériennes, des mobilités estudiantines et professionnelles, Restaurer l’autorité de l’État partout où son encadrement a fait défaut, ou se trouve démantelé par les violences des groupes armés.
En somme, il s’agit de rompre le cycle de violences opportunistes dont la pauvreté est le socle. La longue sédimentation des fragilités et leur interpénétration ont consolidé un socle de courroux sur lequel s’appuient les insurrections. Il faut démanteler ce socle et bâtir des sociétés sur la base d’un nouveau contrat social. Ainsi pourra-t-on éviter la reproduction dans plusieurs régions africaines des crises dévastatrices et à grands frais telles qu’en Afghanistan et en Irak. Il faut pour cela déployer un plan ambitieux de stabilisation avec des moyens financiers et matériels à la hauteur des enjeux pour éviter à tout prix d’agir lorsqu’il sera trop tard et la facture beaucoup plus lourde !
[1] CEDEAO : Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest ; CEEAC : Communauté économique des États de l’Afrique centrale ; CGG : Commission du Golfe de Guinée.
Le regard de Pascal Boniface sur la présentation par Jean-Luc Mélenchon de son programme international en prévision des élections présidentielles.
Depuis le début du mois de novembre 2020, la région du Tigré est le théâtre d’un conflit entre le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF) et le gouvernement éthiopien rejoint par l’armée érythréenne et les milices amhara. Après huit mois de conflit, un « cessez-le-feu de principe » a été décidé, mais demeure incertain puisqu’unilatéral. Ce dernier peut-il être le signe d’un processus de paix entre les deux camps ? Dans un contexte électoral et humanitaire complexe, peut-on entrevoir la fin de ce conflit ? Le point avec Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’ et spécialiste de l’Éthiopie.
Après avoir reconquis la ville de Mekele le 28 juin dernier, les forces pro-TPLF (Force de défense du Tigré) ont repris une partie du Tigré et se disent aujourd’hui prêtes à accepter un « cessez-le-feu de principe » sous conditions. Parmi elles se trouvent le retrait des forces érythréennes et amhara soutenant l’armée éthiopienne. Ces exigences vous semblent-elles envisageables au regard du passé entre les différents territoires ?
Les Tigréens ont annoncé qu’ils étaient d’accord par principe sur l’accord de cessez-le-feu avec néanmoins des conditions préalables. Parmi elles, ils exigent que les forces éthiopiennes, érythréennes et les milices amhara quittent la totalité du territoire tigréen. Il n’y aura pas de discussion possible tant que ces forces-là n’auront pas quitté cette région. Les forces éthiopiennes et érythréennes semblent avoir quitté le Tigré ou sont sur le point de le faire. Il reste les milices amhara qui ont conquis une petite partie du territoire tigréen à l’ouest du pays. Ce sera sûrement un foyer de tension voire une possibilité d’intervention militaire tigréenne dans les prochaines semaines. Le TPLF souhaite récupérer la totalité de son territoire, et y assurer sa défense et sa politique. En complément de ces requêtes préalables, ils ont demandé que la totalité des personnes arrêtées ou internées pour des critères d’appartenance au groupe tigréen soient remises en liberté le plus rapidement possible. Des conditions incontournables que refuse d’avaliser le Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed.
Dans l’état actuel des choses, les positions sont à 180 degrés tant du côté d’Abiy Ahmed que du côté du leader du TPLF, Debretsion Gebremichael, excluant la possibilité que chacun fasse un pas en avant. Avant la nomination du nouveau Premier ministre ou sa reconduction, qui aura lieu fin septembre début octobre lors de la prochaine réunion parlementaire, trois mois de fenêtre d’opportunités s’ouvrent aux deux camps afin d’engager ou non des discussions. Cependant, il y a peu de chances que les deux hommes se retrouvent autour d’une table de négociations dans la mesure où l’Assemblée nationale éthiopienne a décrété que le TPLF était un mouvement terroriste. Or, aujourd’hui, les Tigréens arrivent en position de force avec une victoire politique et militaire, et le Premier ministre éthiopien va être obligé de faire un certain nombre de concessions s’il ne veut pas voir le conflit s’intensifier et être le témoin de l’avancée des troupes tigréennes sur Addis-Abeba comme en 1991. Le Tigré et les Tigréens doivent être réintégrés dans le jeu politique éthiopien, car au travers de la réponse du TPLF au gouvernement central, ils souhaitent rester au sein de l’Éthiopie.
Après avoir été reportées au 21 juin, les élections ont enfin eu lieu en Éthiopie, mais partiellement. Que peut-on en attendre ? Leurs résultats peuvent-ils avoir un poids dans le contexte sécuritaire actuel ?
Aujourd’hui, la situation sur le terrain montre que les élections quels que soient leurs résultats ne seront pas d’un grand intérêt et il y a peu de chance qu’elles aient un impact sur le contexte. La plupart des yeux sont tournés vers ce qui se passe dans le nord, c’est-à-dire ce que vont faire les Tigréens, quelles sont leurs demandes par rapport à l’accord de cessez-le-feu voulu par Abiy Ahmed. On s’attend à ce que le Parti de la prospérité, le parti du Premier ministre, soit déclaré vainqueur de ces élections et il devrait être réélu au mois de septembre octobre lorsque le Parlement se réunira. Cependant, même avec une victoire importante, tout restera à faire. Abiy Ahmed jouera sur cette victoire, mais la défaite politique et militaire subie au Tigré a relégué les résultats au second plan.
La guerre au Tigré a généré une grave crise humanitaire, ce qu’annonce l’ONU ce vendredi 2 juillet : « Plus de 400 000 personnes ont franchi le seuil de la famine et […] 1,8 million de personnes supplémentaires sont au bord de la famine ». Face à la destruction de nombreuses infrastructures essentielles à l’approvisionnement, la communauté internationale et les ONG possèdent-elles encore une marge de manœuvre dans la région ?
À la demande du Front de libération du peuple du Tigré, toute l’aide humanitaire sera acceptée et avalisée par les autorités tigréennes. Elle devrait reprendre en fonction de la situation des routes, des villes, etc., après avoir été bloquée pendant cinq à six mois ou administrée au compte-goutte, entraînant de graves situations de famine à travers la région. Abiy Ahmed a notamment demandé un « cessez-le-feu » pour que l’aide humanitaire puisse arriver, une logique raisonnable même s’il est à l’origine du blocage.
Aujourd’hui, les Tigréens en ont besoin et ont donc demandé comme condition préalable à l’accord de cessez-le-feu que l’aide continue. Les dégâts des retards et des ralentissements vont peut-être être minimisés, mais resteront tout de même conséquents. Il n’est pas possible à l’heure actuelle de nourrir toute la population en état de famine, la situation nécessitant un long processus. Pour ce faire, il est nécessaire que les avions puissent se poser à Mekele, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, que les accès routiers soient possibles et que les ponts ne soient pas détruits simplement pour couper la descente des troupes tigréennes vers le sud, paralysant aussi l’acheminement de l’aide humanitaire vers le nord.
La communauté internationale a les moyens d’accélérer l’arrivée de cette aide humanitaire, car, sur ce point, les deux parties sont d’accord. Dans le cadre du cessez-le-feu inconditionnel et unilatéral, Abiy Ahmed a donné comme raison l’acheminement de l’aide humanitaire. Dans sa réponse, le TPLF déclare qu’il apportera son aide sans réserve pour cet acheminement en assurant la sécurité de la distribution et des personnels employés à cette fin.
L’alliance OPEP+ n’a pas réussi à rapprocher les points de vue lors de sa 18e réunion ministérielle. Celle-ci a été annulée lundi, après avoir été reportée à deux reprises, entre le 1er et le 5 juillet. Quelles répercussions cela va-t-il avoir sur le marché pétrolier ?
Les prix du pétrole ont augmenté le lundi 5 juillet, en partie du fait de l’incapacité des pays de l’OPEP+ à se mettre d’accord au cours de cette réunion ministérielle.
En fin de journée, le prix du Brent de la mer du Nord coté à Londres était de 77,16 dollars le baril (contrat de septembre 2021) et celui du West Texas Intermediate (WTI, contrat d’août) à New York de 76,36 dollars/b. L’explication de cette hausse est très claire puisqu’il n’y a pas eu d’accord au sein de l’OPEP+ (23 pays producteurs, 13 pays membres de l’OPEP et 10 pays non OPEP), cela signifie que les augmentations de production envisagées entre août et décembre 2021 n’auront pas lieu. Il était question de 2 millions de barils par jour sur les cinq prochains mois (environ 400 000 b/j chaque mois).
Comme la demande pétrolière mondiale est orientée à la hausse du fait de la forte reprise économique en 2021, il y a un risque d’insuffisance de l’offre et les marchés sont donc logiquement sur une pente haussière.
Comment voyez-vous l’évolution des prix dans les semaines à venir ?
Il faut toujours être prudent lorsque l’on évoque l’évolution future des prix du pétrole brut, même à très court terme. Cependant, le scénario le plus probable est la poursuite de la hausse des cours de l’or noir.
Dans les prochaines semaines, la croissance économique mondiale va rester forte et l’offre va demeurer restreinte. Il y a quelques hypothèses qui pourraient pourtant, si elles se concrétisaient, conduire à une stabilisation ou à une baisse des cours : une nouvelle réunion de l’OPEP+ dans un délai assez rapide et se terminant avec un accord ; une augmentation de production décidée unilatéralement par certains pays sans accord au sein de l’OPEP+ ; une aggravation de la pandémie de Covid-19 qui aurait un impact négatif sur l’économie mondiale et sur la demande pétrolière ; et un accord entre les Etats-Unis et l’Iran sur le programme nucléaire de ce dernier, ce qui lui permettrait de produire et d’exporter plus de pétrole. Mais il n’est pas très probable que ces scénarios deviennent réalité dans un très proche avenir.
Le différend inédit entre les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite risque-t-il de s’amplifier et de menacer la cohésion de l’OPEP+ ?
C’est effectivement un différend inhabituel. Ces deux pays sont souvent sur la même ligne sur beaucoup de questions, y compris en matière pétrolière. De plus, la vigueur de ce différend et son caractère public n’étaient pas du tout anticipés. Il n’était pas non plus évident que les EAU iraient jusqu’au bout de cette épreuve de force en étant quasiment seuls contre tous les autres.
On sait par ailleurs que les EAU se sont posés il n’y a pas très longtemps des questions sur leur appartenance à l’OPEP. Ce pays est pourtant un Etat membre de cette Organisation depuis 1967, soit depuis 54 ans, ce qui n’est pas rien.
Et c’est le troisième producteur de pétrole au sein de l’OPEP, après l’Arabie Saoudite et l’Irak. Cela dit, l’argumentation d’Abou Dhabi n’est pas absurde et l’Arabie Saoudite et d’autres pays de l’OPEP+ auraient pu faire preuve d’un peu plus de souplesse en ne cherchant pas à prolonger jusqu’à la fin 2022 les réductions de production prévues initialement jusqu’à la fin avril prochain.
Ce sujet de l’extension aurait pu être traité plus tard et pas forcément au début juillet 2021. Cela aurait été plus simple que de faire une concession aux EAU sur le niveau de leur allocation de production qu’Abou Dhabi voudrait voir relever d’un peu plus de 600 000 b/j, ce qui n’a pas été accepté. Après cet échec, il faut que l’OPEP et l’OPEP+ tentent de recoller les morceaux, et ce, assez rapidement. Il ne serait pas bon pour la coopération entre ces pays producteurs que ce différend persiste trop longtemps.
Le précédent conflit vécu par l’alliance OPEP+, suite au différend entre la Russie et l’Arabie Saoudite en 2020, et la guerre des prix qui s’ensuivit, risque-t-il de se reproduire ?
Il est exact que le précédent échec de l’OPEP+ remonte au 6 mars 2020, avec le refus de la Russie d’accepter des réductions de production proposées par l’OPEP à ses partenaires non OPEP. Mais le contexte est très différent. A l’époque, les cours du brut étaient en train de s’effondrer du fait de la pandémie et de ses conséquences économiques et le fiasco du 6 mars 2020 avait encore plus fait plonger les prix.
Par contre, actuellement, l’OPEP+ est dans une position beaucoup plus forte avec des prix du pétrole qui sont huit à neuf dollars au-dessus de leurs niveaux du tout début 2020 et avec une consommation pétrolière en forte progression alors qu’elle avait chuté d’environ 9% en 2020 par rapport à 2019.
Du point de vue des producteurs, la situation reste donc sous contrôle, comme le montre la réaction des marchés que nous avons évoquée ci-dessus. Mais, comme souligné dans ma réponse à votre question précédente, il ne faut pas que l’OPEP+ se repose sur ses lauriers. Une telle crise doit pousser les pays concernés à chercher une solution pour trouver une sortie par le haut. Sans cela, la situation pourrait se détériorer à l’avenir.