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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Trump, encore

Mon, 01/03/2021 - 12:58

 

C’est un discours rempli de mensonges et d’aigreur, et au ton revanchard que Trump a prononcé en clôture de la CPAC 2021 à Orlando, devant un public tout acquis à sa cause. Laissant planer le doute sur sa candidature en 2024, il a surtout affiché son souhait de garder le contrôle du parti républicain, au besoin par la menace.

Chaque année, la Conservative Political Action Conference (CPAC) tient son grand rendez-vous : des figures célèbres de la droite dure américaine s’y succèdent pour rappeler leurs principes, leurs valeurs, leurs priorités, désigner leurs « rois » aussi. La session 2021, qui s’est tenue à Orlando (Floride), s’est achevée le 28 février. Organisée en présentiel, elle pourrait avoir été un gigantesque cluster tant le public, au vu des images, était peu soucieux de distanciation physique et portait rarement un masque…

Le dernier discours était très attendu puisque c’est Donald Trump qui, en guest star très en retard, l’a prononcé. Pour sa première apparition publique depuis qu’il a quitté la Maison-Blanche, il a parlé pendant plus d’une heure et demie et c’est au jeu d’un véritable culte de la personnalité qu’il s’est livré. À Orlando, ce n’est pas un ex-président ayant subi deux procédures d’impeachment, ayant perdu deux fois le vote populaire et ayant échoué à être réélu qui était sur la scène, devant un public très largement trumpiste. C’est le Trump des campagnes et des meetings depuis 2015 : vindicatif, hurlant parfois, il s’est montré menaçant, a désigné ses ennemi.e.s, et a surtout beaucoup menti.

Après une longue diatribe critiquant l’action de Joe Biden qui, si l’on prend Trump à la lettre, a accompli une quantité impressionnante de choses (toutes mauvaises) en un peu plus d’un mois au pouvoir, le président battu s’est vanté d’avoir, lui, accompli un mandat exceptionnel, puis a parlé de l’avenir, tout en teasing et en allusions comme il sait le faire. L’ensemble du discours était ponctué de contre-vérités : pour lui, l’élection présidentielle de 2020 était truquée, les démocrates ont triché, la victoire lui a été volée. Donald Trump n’a pas dit qu’il se représenterait en 2024, mais l’a laissé entendre entre les lignes, parlant notamment de « pouvoir gagner une troisième fois ».

Biden dépeint en président laxiste

Revanchard, Trump (qui n’avait cessé, à la Maison-Blanche, d’être obsédé par l’idée de détruire l’héritage d’Obama) reproche au nouveau président de vouloir casser tout ce qu’il a fait. Il a ainsi longuement critiqué Biden pour son prétendu laxisme sur l’immigration – alors que ce dernier n’a, à ce stade, signé que quelques décrets, mais l’un est emblématique : l’arrêt du financement de la construction du mur le long de la frontière mexicaine. Pour Trump, qui pourrait écrire le scénario de la prochaine saison d’Ozark, les cartels, la drogue, « des prédateurs dangereux » sont en train de déferler sur les États-Unis. Les immigrés, incultes et dangereux (« les autres pays ne nous envoient pas les plus brillants »), « vont arriver par millions ». Reprenant la référence traditionnelle de l’extrême droite des maladies transportées par les étrangers, Trump a ajouté que les immigrés faisaient peu de cas de la sécurité sanitaire, comme l’exemple du « Chinese virus » (le coronavirus) l’illustre, selon lui. Alors que le racisme anti-asiatique prospère aux États-Unis à cause de la Covid, cette phrase ne peut que mettre un peu plus d’huile sur le feu.

Pour Trump, les États-Unis voient leur sécurité menacée de l’extérieur, par les migrants, et pas du tout de l’intérieur. Il n’aura, ainsi, pas un mot sur l’attaque du Capitole du 6 janvier dernier, et ne parlera jamais du terrorisme intérieur d’extrême droite, alors que celui-ci fait l’objet d’une attention extrême de la part du FBI. Mais, à l’entendre, le politiquement correct, la « cancel culture » et la gauche radicale, « vicieuse », seraient les vrais périls intérieurs (à quoi cela correspond-il concrètement ? Il n’en a rien dit). Or, l’ancien président est lui-même un spécialiste de la « cancel culture » puisqu’il a limogé tous ceux qui ne lui étaient pas absolument loyaux, y compris et surtout quand il a cherché à contourner les institutions et à flirter avec la loi (on pense en particulier à la campagne de 2016 et au premier impeachment).

Un passage savoureux du discours, consacré aux sportives, est à signaler. Peu suspect jusqu’ici de défendre les droits des femmes, Trump a estimé que celles-ci étaient menacées dans le sport à cause des transgenres (nés hommes) qui fausseraient les résultats. Cette phrase, critique à l’égard des politiques de Biden en faveur des droits des LGBTI (lutte contre les discriminations que Trump avait renforcées, vote en ce moment de l’Equality Act au Congrès, soft power international pour défendre les minorités sexuelles), ne visait qu’à blesser (et à faire rire l’auditoire) et témoigne une fois de plus de sa méconnaissance totale de ces sujets. Car revoilà l’obsession identitaire trumpienne. Plus tard, il a dit : « Nous défendons les valeurs judéo-chrétiennes et rejetons la ‘cancel culture’ » (encore elle). Une phrase que l’on entend chaque jour en France ces dernières semaines…

Vanter son bilan… quitte à s’attribuer toutes les réussites

Si l’on en croit le président battu, la découverte et la distribution du vaccin en si peu de temps, c’est grâce à lui. Ainsi, a-t-il martelé : l’administration Trump a sauvé de grandes parties du monde de la Covid, pas seulement les États-Unis, regrettant que « les médias ne le disent pas parce qu’ils mentent ». Il aurait aussi arrêté les guerres, fait payer la Chine, défendu les emplois de l’extraction des énergies fossiles et des mines (des emplois masculins).

Ce serait aussi grâce à Trump que des dizaines de représentants, de sénateurs et de congressistes locaux ont pu être réélus en novembre dernier. L’ex-leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, a sans doute été ravi d’entendre qu’il doit à Trump sa réélection pour un septième mandat. Il faut aussi comprendre ce passage comme des menaces à peine voilées contre ceux et celles, notamment Liz Cheney, qualifiée de « belliciste » et que Trump a fait huer, qui ne le soutiendraient pas. De fait, a-t-il dit, « les RINO (Republicans In Name Only, autrement dit les « faux républicains) vont détruire le parti, mais le parti est uni » (ce qui est loin d’être vrai). En les citant un par un, Trump a égrené les noms des dix-sept républicains qui, au Congrès, ont voté le deuxième impeachment : « Débarrassez-vous d’eux ! », a-t-il lancé à la foule.

Donald Trump souhaitait ainsi faire montre de son emprise sur le Parti républicain. Sa force, c’est son réservoir de 74 millions de voix, la peur qu’il suscite dans les rangs du parti, et le mouvement qu’il a créé autour de lui. Il a hier donné sa propre définition du trumpisme : « des super deals, un électorat fort, des impôts faibles, l’absence d’émeutes de rue (sic), le respect de la loi et de l’ordre public (sic), la protection du deuxième amendement, une armée forte » (qu’il estime avoir « totalement reconstruite »). Il est vrai que le trumpisme est un mouvement, aux États-Unis et en dehors.

Ses promesses de victoires à venir, de reconquête du Congrès en 2022 et de la Maison-Blanche en 2024 restent pour l’heure de l’ordre du discours. Pour y parvenir, Trump a-t-il expliqué, il faut revoir les conditions du vote. Réclamant des réformes comme la fin du vote par courrier ou l’obligation de détenir une carte d’identité (ce qui pénalise les plus démunis et les minorités raciales), il rejoint les nombreux États fédérés conservateurs qui, actuellement, votent des lois pour restreindre l’accès au vote. La justification avancée est la « fraude ». Néanmoins, ces tentatives s’inscrivent dans l’histoire longue du parti républicain, comme l’illustre le souhait, en Géorgie, d’interdire le « Sunday voting », qui vise particulièrement les Noirs qui se rendent traditionnellement aux urnes après l’office religieux. Or il s’agit d’un vote « en personne » et cela n’a donc rien à voir avec la prétendue fraude au vote par correspondance. Mais pour Trump, le Grand Old Party (GOP) est « le parti des élections fiables » et ce sont les démocrates qui ont « utilisé le ‘Chinese virus’ pour changer toutes les règles électorales »… Le big lie, encore.

Si des combats juridiques sont à venir, certaines de ces nouvelles lois locales sont permises par un arrêt de la Cour suprême de 2013 fragilisant le Voting Rights Act de 1965 (laquelle avait supprimé les discriminations raciales dans l’accès au vote dans certains États du Sud). Plutôt qu’adapter son offre aux nouveaux électorats, le GOP leur interdit de voter. Vous avez dit cancel culture ?… Les théories du complot conduisent à la violence (6 janvier). Elles servent aussi de justification à la limitation de la démocratie.

Trump, avenir du parti républicain ?

Sur scène à Orlando, Trump a balayé la possibilité de créer un nouveau parti puisque, a-t-il insisté, le parti républicain est uni. Le récit populiste d’un « Nous » (« tout le monde dans le pays », un « peuple » imaginaire peut-être) versus un « Eux » (l’establishment de Washington et surtout « quelques-un.e.s de ses membres », les « fake news media ») a été réactivé. « Nous gagnerons : à la fin, nous gagnons toujours. Nous devons vivre un triomphe », a scandé Trump à la CPAC de 2021, qui n’est pas représentative du parti républicain. Le test de sa véritable influence en son sein, ce sera les Midterms de 2022 et jusque là, au moins, les républicains vont, si l’on peut dire, avoir Trump « dans les pattes ».

Global Britain : Mythes et réalité

Sun, 28/02/2021 - 10:34

C’est une bien mauvaise surprise qui guettait ce malheureux contingent de routiers à leur arrivée au port de Rotterdam, un triste lendemain de Brexit. A peine avaient-ils posé le pied dans le marché unique qu’ils durent se délester de la totalité de leurs rations de sandwich au jambon, à l’invitation sympathique mais sourcilleuse d’un bataillon de douaniers néerlandais. La surprise, convient-il aussitôt d’ajouter, est somme toute relative. Elle procède implacablement des 1449 pages de l’accord de libre-échange conclu entre Londres et Bruxelles fin 2020, dont les minuties n’avaient en rien échappé à la sagacité de l’administration portuaire.

Pour trivial qu’il soit, l’épisode est loin d’être anodin, et très loin d’être isolé. Ce sandwichgate incarne en puissance tout le défi qui attend désormais le Royaume-Uni dans sa course vers le large. La Cheshire Cheese Company, une respectable fromagerie britannique qui soutenait le Brexit, a dû se résoudre depuis janvier à adjoindre un certificat vétérinaire de £180 à chacun de ses colis continentaux. L’entreprise prévoit aujourd’hui de construire ses nouveaux entrepôts en France, plutôt que dans le Cheshire.

Pour tenter d’écouler sur le marché intérieur la pêche qu’il est désormais ruineux d’exporter vers l’Espagne, le crabe araignée et la cardine franche britannique ont été rebaptisés à la hâte. Les deux espèces, boudées d’ordinaire par l’autochtone, seront dorénavant vendues outre-Manche sous les noms plus heureux de crabe royal et de sole des Cornouailles. La fin prochaine du moratoire sur les formalités douanières ne contribuera pas davantage à épargner à Boris Johnson les récriminations d’un secteur qui fait face aux coûts supplémentaires qui s’appliquent invariablement à tout aliment frais.

Quelques maux de tête

Qu’importe pourtant, puisque le Premier ministre a fait le pari singulier de présenter le Brexit comme une question strictement politique, dans un pays où le commerce d’abord et la finance ensuite ont longtemps fait figure de premier aiguillon. Il y a pourtant bien quelque chose d’éminemment politique dans la nécessité qui s’imposera à partir du mois d’avril de déclarer tous les biens transitant entre la Grande Bretagne et Irlande du Nord. C’est acter une manière de séparation commerciale qu’« aucun Premier ministre anglais ne pourrait accepter », selon Theresa May elle-même.

C’est ainsi qu’il n’aura fallu qu’une courte polémique sur les exportations de vaccins pour mettre le feu aux poudres et ouvrir grande la boîte de Pandore nord-irlandaise, lors même qu’on pensait les contestations étouffées, avec un certain flair diplomatique, sous le double éteignoir des fêtes de fin d’année et de la lassitude politique qui a fini par gagner les deux côtés de la Manche.

Un sondage du quotidien conservateur le Sunday Times annonçait dans l’intervalle qu’une majorité nord-irlandaise appelait de ses vœux un référendum de réunification irlandaise d’ici cinq ans. En position de force, le parti nationaliste écossais se prépare quant à lui à faire campagne pour un nouveau référendum d’indépendance après les élections parlementaires du printemps. Plus surprenant, la question de l’indépendance galloise a commencé d’affleurer publiquement. De Global Britain à Little England, il n’y a guère en effet qu’un pas de trois.

Les relations transmanche ne sont pas en reste, et promettent à Downing Street des maux de tête qui s’étendront fort au-delà des récentes escarmouches sur les vaccins. La gestion des quelque 2300 dispositions juridiques annuelles que les institutions européennes produisent dépend désormais d’un mille-feuille de comités ad hoc responsables qui de l’accord de sortie, qui du protocole nord-irlandais, qui de l’accord de libre-échange du mois de décembre 2020 dont répondent dix neufs sous-comités.

Comme le rappelait Clément Beaune, le Royaume-Uni libre-échangiste est désormais soumis à davantage de règles à l’export que n’importe quel pays du monde.

Au gré de ses intérêts

C’est sans doute pourtant du point de vue stratégique que la notion de « Global Britain » suscite le plus de scepticisme. Pour temporiser, le gouvernement a d’ores et déjà annoncé une augmentation significative du budget de défense et des investissements consacrés à la cybersécurité et à l’intelligence artificielle. L’officialisation prochaine d’une stratégie extérieure rédigée sous la houlette de l’historien nord-irlandais John Bew vise à définir plus largement le rôle que le pays souhaite jouer sur la scène internationale.

Très attendue, elle tentera d’esquisser le portrait d’une puissance globale agile dans un monde dominé par l’affrontement entre la Chine et les Etats-Unis. Les frictions récentes sur la question des Ouïgours et de Hongkong incarnent la volonté britannique de peser dans l’Indopacifique sans en rabattre sur les droits de l’homme.

Comme les États-Unis de Barack Obama, le Royaume-Uni réfléchit à son pivot contemporain vers le Pacifique. Comme ceux de Joseph Biden, Londres aspire à rejoindre l’accord de libre-échange transpacifique. Au gré de ses intérêts objectifs par ailleurs, le pays cherchera tantôt à s’allier avec l’« E3 » (France, Allemagne, Royaume-Uni), avec la communauté « Five Eyes » (l’alliance des services de renseignement américain, néo-zélandais, australien, canadien et britannique) ou avec le « D10 » (G7, Inde, Australie et Corée du Sud).

Rien que de très classique, en somme. « Little England » ou « Global Britain », le Royaume-Uni de Boris Johnson ressemble à s’y méprendre à celui de [l’ancien premier ministre] Lord Palmerston (1784-1865), pour qui il n’était « point d’allié éternel ou d’ennemi perpétuel de l’Angleterre. Il n’est d’éternel et de perpétuel que ses intérêts ».

Quelle politique de Joe Biden au Moyen-Orient ? Premiers éléments de réflexion

Fri, 26/02/2021 - 17:00

Après quatre années d’administration Trump, l’arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche pose la question du futur des relations entre les États-Unis et les États du Moyen-Orient. Les signaux lancés par Washington laissent entrevoir une volonté de relancer le dialogue avec Téhéran tout en ne laissant pas le champ tout à fait libre à Riyad et Tel-Aviv. À rebours donc de la politique de Trump. Mais il faut rester prudent et attendre de voir si les actes suivront. Analyse de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.

Un mois s’est écoulé depuis la prise de fonctions du nouveau locataire de la Maison-Blanche. Si l’on ne peut constater à ce stade une vague d’enthousiasme à l’égard de la nouvelle administration, une forme de soulagement s’est néanmoins fait jour après les préoccupants errements de Donald Trump dans le champ des relations internationales. Le multilatéralisme, qui était systématiquement remis en cause par son prédécesseur, semble en effet redevenu un paramètre pris en compte par Joe Biden dans les mécanismes de prises de décision de Washington.

Au Moyen-Orient, une série de choix ont été énoncés dont il serait inconséquent de sous-estimer la réalité, tout autant que de considérer que nous assistons à un changement de cap politique radical. Les dossiers sont multiples et il s’avère utile d’en décliner quelques-uns pour saisir les dynamiques à l’œuvre.

C’est le dossier nucléaire iranien qui concentre aujourd’hui l’attention internationale. Pour mémoire, un accord global, dit JCPOA, fut signé le 14 juillet 2015 après de longues négociations – initiées de facto, en octobre 2003 à Téhéran, par la France en la personne de Dominique de Villepin accompagné de ses collègues britannique et allemand – qui permirent de réintégrer l’Iran dans le jeu régional et international. C’est moins de trois années plus tard que Donald Trump annonça, le 8 mai 2018, le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord, ce qui combla d’aise Israël, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, réunis par leur aversion commune à l’égard de l’Iran. Ayant vainement montré sa volonté de rester dans le cadre de l’accord, mais n’obtenant aucun résultat tangible, l’Iran finit par annoncer, le 8 mai 2019, qu’il ne s’estimait plus contraint par tous les engagements contenus dans le JCPOA. Les États-Unis accrurent alors leur pression sur le pays en accentuant les sanctions à son encontre que l’Union européenne n’aura pas le courage de refuser d’appliquer.

C’est dans ce contexte tendu que Joe Biden a annoncé sa volonté de reprendre des négociations avec l’Iran. La question est de savoir désormais qui va faire le premier pas et quelles en seront les conditions précises. Les dirigeants iraniens exigent légitimement l’arrêt préalable de toutes les sanctions, les États-Unis posent la condition que Téhéran en revienne immédiatement au respect des engagements contenus dans l’accord de 2015. La meilleure solution consisterait alors de procéder à des décisions bilatérales simultanées sous le contrôle de l’Organisation des Nations unies (ONU). De ce point de vue l’accord, valable pour trois mois, signé le 21 février entre le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), Rafael Grossi, et le gouvernement de Hassan Rouhani est un signe positif qui indique une évolution certaine du traitement de ce dossier délicat.

Mais une autre condition est posée à l’Iran par Washington, visant à rouvrir des négociations en intégrant deux nouveaux dossiers qui n’apparaissaient pas dans le JCPOA : celui de la politique régionale de la République islamique et celui de ses missiles balistiques. Le fait même que ces deux dossiers n’aient jamais été abordés dans l’accord de 2015 jette, pour le moins, une ombre sur la volonté de Joe Biden de véritablement trouver une solution négociée en rajoutant des conditions supplémentaires alors qu’il n’y a rien de plus urgent que d’en revenir aux termes, à tous les termes, mais rien qu’aux termes, du JCPOA. Comment, en outre, penser une seule seconde que Téhéran puisse accepter de négocier pour se voir dicter sa politique régionale ou sur ce qu’elle considère relever de sa sécurité nationale ?

Dans le même temps, la nouvelle administration Biden, comme si elle désirait néanmoins convaincre de sa résolution à parvenir à une fluidification de ses relations avec l’Iran, a adressé plusieurs signaux en direction de l’Arabie saoudite, l’un des États de la région le plus opposés à toute forme de normalisation avec l’Iran et en son temps systématiquement favorisé par Donald Trump. L’annonce de l’arrêt du soutien logistique états-unien aux opérations militaires saoudiennes au Yémen – pays à propos duquel Joe Biden a parlé de « catastrophe humanitaire et stratégique » –, la remise en cause de livraisons d’armes à l’Arabie saoudite, l’annulation de la qualification des houthistes d’entité terroriste, constituent un changement de cap significatif, dont il conviendra toutefois de vérifier la mise en application réelle. On constate d’ailleurs que les dirigeants saoudiens ont assez vite compris le message en prenant plusieurs décisions visant à réduire les pressions qui s’exercent sur eux : libération de Loujain Al-Hathloul, levée de l’embargo commercial et économique imposé par l’Arabie saoudite, Bahreïn et les Émirats arabes unis au Qatar depuis 2017, certaines peines de mort commuées en peine de dix années de prison. On comprend que le langage de fermeté des États-Unis induit des turbulences au sein des cercles dirigeants saoudiens et que ces derniers n’ont d’autre choix que de composer avec les exigences de la nouvelle administration Biden.

Enfin, sur le dossier israélo-palestinien, des décisions ont de même été prises rapidement, marquant des éléments de ruptures avec la politique de soutien et d’alignement inconditionnelle sur Benyamin Netanyahou qu’avait mise en œuvre Donald Trump. Notons, tout d’abord, que le premier entretien téléphonique entre le président états-unien et le Premier ministre israélien a seulement eu lieu le 17 février, long délai qui a certainement inquiété ce dernier, habitué à plus de considération et de célérité de la part des États-Unis. Inquiétude d’autant plus motivée que Washington a réaffirmé sa recherche d’une solution à deux États, qualifié les colonies israéliennes d’illégales, et donc signé la mort de ce que Donald Trump avait annoncé comme le « deal du siècle ». Il y a probablement dans les cercles décisionnels proches de Biden le sentiment confus que le soutien inconditionnel à l’État d’Israël devient en partie contradictoire avec le soutien inconditionnel à son Premier ministre actuel. Dans le même temps, Kamala Harris a annoncé la reprise des contacts avec les dirigeants palestiniens, la réouverture de la mission palestinienne à Washington et la réactivation de la participation financière des États-Unis à l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). A contrario, Joe Biden a expliqué qu’il ne reviendrait pas sur la décision du transfert de l’ambassade états-unienne à Jérusalem, mais allait rouvrir le consulat à Jérusalem-Est, signal de la reconnaissance de la ville trois fois sacrée comme capitale de l’État d’Israël, mais possibilité de la reconnaître aussi comme capitale d’un État palestinien, si ce dernier venait à voir le jour, ce qui nécessitera beaucoup plus que des signaux, aussi positifs fussent-ils. Il semble néanmoins que le dossier israélo-palestinien ne soit pas considéré à ce stade comme une priorité politique pour la nouvelle administration.

L’ensemble de ces éléments montrent une réelle inflexion de la politique des États-Unis au Moyen-Orient, dont il faut prendre la mesure. Néanmoins, il serait bien imprudent de se réjouir trop vite. Joe Biden ne révolutionnera pas les fondamentaux de la politique de son pays dans la région et les alliances structurantes seront maintenues. Nous ne sommes certes plus dans la séquence « America first », mais dans celle du « America is back », et le président est élu pour servir les intérêts des États-Unis.

Il y a souvent loin des promesses aux actes, mais on peut faire crédit au nouveau président de n’avoir pris ses fonctions que depuis quelques semaines. Des signaux contradictoires ont été émis pour tenter de redonner une véritable place à la diplomatie, c’est un fait positif. Cela ne signifie pas que Paris possède mécaniquement les mêmes intérêts que Washington et il est regrettable que la France ne soit pas force de proposition constructive pour contribuer au règlement des contentieux régionaux. Plus que jamais, elle doit faire preuve de créativité pour conforter son indépendance et être vecteur d’entrainement. Il était éventuellement facile de s’opposer à la politique Trump en raison de ses outrances récurrentes, et pourtant les voix critiques à son égard n’étaient pas toujours très audibles, mais ce serait une grave erreur de s’aligner aujourd’hui systématiquement sur la politique de son successeur en ne retenant que le plus petit dénominateur commun. Alliés, mais pas alignés expliquait le général de Gaulle, la formule n’a pas perdu de sa pertinence.

China’s Championing of Football makes State led U-Turn for home

Fri, 26/02/2021 - 12:50

When Argentinian player Carlos Tevez signed for Chinese Super League club Shanghai Shenhua at the end of 2016, it marked perhaps the most significant episode in what, at the time, seemed to be a booming market for football.

Tevez’s salary (reportedly worth upwards of euro €670,000 per week) has become the stuff of legend, and was taken to be a sign of China’s commitment to developing its football. Others, including Tevez himself, tended to see such ostentatious spending as unfathomable yet highly lucrative. Indeed, when he left Shanghai to return back to Argentina after just a year with Shenhua, Tevez talked of his ‘holiday in China’.

The origins of a rapid growth in spending on expensive overseas players are found in statements supposedly made by President Xi Jinping, in which he supposedly claimed that he wanted China to win the men’s FIFA World Cup. These statements came just ahead of the country’s launching of its 13th Five-Year Plan, which advocated the need for a more outward looking China and also encouraged outbound Chinese investment.

One of the early movers in responding to what became a tidal wave was Wang Jianlin, owner of the Wanda Corporation. Wang had been a long-time football fan and owner of a club in China, who then acquired a 20% stake in Spain’s Atletico Madrid. Many other such acquisitions followed, with Chinese investors buying a host of clubs including England’s Wolverhampton Wanderers (by Fosun), Italy’s Inter Milan (by Suning) and the Czech Republic’s Slavia Prague (by CEFC Energy).

Why there was a sudden surge in such acquisitions is, even now, still being debated. Some observers have seen it as a means through which China could learn about elite professional football – both on and off-the-field. Others have seen it as symbolic, a signal by China that it intended to play the game (and, ultimately, win the World Cup). Otherwise, investing into an industrial sector in response to state diktats has always been a way to for Chinese businesses to ingratiate themselves with the government.

Yet there were also investors whose motives were questionable, at least to officials in Beijing. Some probably saw an opportunity to move their assets, which may have been accumulated by suspect means, overseas whilst too many of these Chinese investors in football proved unable to demonstrate any tangible return-on-investment from their rush into the sport.

The latter was a particular point of concern, especially among those working in the Chinese financial system. Not only was football becoming a significant leakage from the Chinese economy, overseas club investors were also exposing China’s financial system to undue financial risk by borrowing at home and spending abroad (often on highly expensive players who were of little use to the Chinese national team’s performances).

By mid-2017, China’s government stepped in, famously labelling overseas club acquisitions as ‘irrational investments’. At that time, there was also a sense that these new club owners were becoming celebrities in their own right and beginning to see themselves as somehow being bigger than the Chinese state.

Hence what had started with Wang began to end with Wang, the businessman being forced to offload all but 3% of his stake in Atletico. Ahead of this disposal, in the second half of 2017, Wang was detained by Chinese officials and had his passport confiscated. He did, nevertheless, subsequently reappear, around the same time that it was announced that Wanda would be acquiring the Chinese Super League club Dalian.

Wang wasn’t alone; CEFC Energy was quickly forced to sell Slavia Prague and the power company’s owner, Ye Jianming, was imprisoned upon his return to China. Meanwhile, Fosun’s owner, Guo Guangchang, was also reportedly detained by the Chinese authorities (perhaps a reflection of the conglomerate being one of China’s most indebted companies).

More recently, Suning (a high street electrical retailer) has actively been seeking a buyer for Inter Milan. This comes at a time when the company needs debt financing, brought about by the Italian football club’s precarious finances. It is no coincidence that Suning is supported by Alibaba, whose owner Jack Ma has also recently been detained by the authorities (following issues with Alibaba’s stalled stock market floatation of Ant Finance).

As overseas club ownership has been consigned to Chinese football history, so the influx of playing talent has also reversed. Indeed, several of the country’s high-profile signings have left China to go and play elsewhere. The Chinese Football Association’s imposition of a player salary-cap is one reason for this, gone are the days of Carlos Tevez style ‘pay days’ and expensive, often unnecessary, imports.

Instead, China appears to be turning inward upon itself, though with a specific purpose in mind. The 14th Five-Year Plan (due for ratification in 2021) explicitly refers to the need for domestic industry to strengthen and develop its position. It also emphasises the need for inbound investment, not just a call to the country’s investors to come home but also to foreign companies to spend in China.

Both prior to and following the launch of the next plan, there is already a clear sense of China’s priorities, not least that business and football should follow state orders, commit to their own country, reduce debt exposure, and focus on making Chinese football great. As such, football is now being played in all Chinese schools, some of the world’s largest football stadiums are currently being built in China, and Chinese corporations continue to cluster around FIFA.

This is one area of overseas football investment that China’s government has not sought to curtail. Over the last five years, numerous Chinese brands have become FIFA partners leading football’s world governing body to publicly acknowledge its financial inter-dependence with China. Dependent relationships often involve shifts in power between the two partners, which hints at where China is now going.

Rather than winning the World Cup by 2050, China is actually seeking to become a leading FIFA nation in different terms by that date. Hence, its staging of the 2030 men’s tournament would be a part of the country’s trajectory as well as being a major coup for the government in Beijing. If a Chinese bid to stage the event transpires and is then successful, the country will play host to the World Cup’s centenary tournament. This would be hugely symbolic, for China, for FIFA and for the world of football in general.

Under such circumstances, Xi will not want his team to be embarrassed. Hence the pace of training local players, at home in China, has become more like a frantic quest. Talent development is a long-term process, but as a short-term fix the naturalisation of overseas players has started taking place. This carries with it all manner of issues, though China appears intent on trying to qualify for the 2022 and 2026 men’s World Cups.

It has been a short but intense journey from Tevez’s Shanghai holiday and Wang’s Spanish sojourn to China’s more focused football intent. Whether the country will become a leading FIFA nation remains to be seen, however the country’s more purposeful and strategic approach points to a different outcome than that which was delivered over the last five-year planning cycle.

Covid-19 : quelles avancées contre la pandémie ?

Fri, 12/02/2021 - 15:18

Depuis déjà plus d’un an, la pandémie de Covid-19 met à rude épreuve l’OMS, qui vient d’envoyer des experts en Chine, afin d’en trouver l’origine. Alors que la Covax devait permettre un partage équitable des vaccins, les pays les plus riches ont fait cavaliers seuls captant la grande partie des doses. Le point sur la situation avec Anne Sénéquier, médecin, chercheuse et codirectrice de l’Observatoire de la Santé à l’IRIS.

Quels sont les objectifs des experts de l’OMS dépêchés à Wuhan ? Leurs recherches sont-elles libres et peuvent-elles apporter des solutions quant à la gestion actuelle de la pandémie ?

L’objectif des experts de l’OMS était d’en savoir plus sur l’origine du virus du Covid-19. On sait à l’heure actuelle qu’il s’agit d’une zoonose, une maladie du monde animal qui a eu l’opportunité de passer chez l’être humain. La question demeure de savoir quel est cet animal, et quelle est cette opportunité. Le patient 0 avait été identifié au marché aux frais de Wuhan. Jusqu’alors, pour toutes les différentes zoonoses qu’a connues l’Humanité, on a pu identifier l’animal source, ce qui est primordial pour éviter une seconde émergence et pour essayer de comprendre où l’opportunité a eu lieu afin d’éviter ce genre de situation à l’avenir.

Ces recherches sont faites à chaque émergence d’une nouvelle zoonose, mais dans le cas du Covid-19, elle a été particulièrement médiatisée, du fait qu’il s’agisse d’une pandémie mondiale, mais aussi en raison de l’antagonisme très important entre la Chine et les États-Unis. L’OMS est du reste devenue une arène dans laquelle les deux nations se sont opposées.

L’objectif était donc de savoir d’où venait ce virus et d’infirmer ou confirmer plusieurs hypothèses. La première hypothèse est celle d’une zoonose provenant du monde sauvage à travers les animaux en vente (vivants ou non) sur le marché aux frais de Wuhan. La deuxième hypothèse concerne un accident de laboratoire, en raison de l’existence d’un laboratoire P4 à Wuhan, et d’une « fuite » du virus. La troisième hypothèse, évoquée notamment par la Chine, est l’arrivée du Covid-19 sur le territoire chinois à travers l’importation extérieure d’aliments congelés, ce qui signifierait dans ce cas que le virus ne vient pas de Chine.

Les experts de l’OMS ont procédé à de nombreuses visites et rencontres au cours des derniers jours, avant de rendre leur rapport lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée mardi dernier. Ils ont évoqué ce qu’ils n’avaient pas trouvé plutôt que d’évoquer ce qu’ils avaient trouvé. Ils n’ont pour l’instant ni identifié l’espèce animale d’où est venu le Covid-19 ni d’hôte intermédiaire.  C’est assez problématique, et il faudra continuer à travailler sur cette question. Néanmoins, ils ont décrété qu’il était fortement improbable que le Covid-19 vienne du laboratoire P4.

Depuis le début de cette crise, plusieurs problématiques demeurent quant à la transparence sur les données, le nombre de cas, de décès, sur les protocoles et les procédures dont fait preuve la Chine. Il a fallu plus d’une année pour que l’équipe d’experts soit montée. L’enquête ne peut se dire indépendante dans le sens où ils ont dû demander l’aval des autorités pour rencontrer des gens et visiter des structures. Toutefois, tout est ni blanc ni noir, il ne faut pas partir du principe que tout ce qui vient du gouvernement chinois est faux et, à l’inverse, il ne faut pas trop être optimiste et penser que tout est su.

La problématique avec la zoonose est qu’on focalise sur des origines nationales du virus, et donc ici chinoises. Or, aujourd’hui, des zoonoses émergent partout. C’est vrai en Asie avec le Sars-Cov-1. C’est vrai au Moyen-Orient avec le Mers, en Afrique avec Ebola et Zika. C’est aussi vrai en Amérique du Nord avec la maladie de Lyme qui a pris énormément d’ampleur suite à la fragmentation du couvert forestier sur la côte est-américaine et qui prolifère aujourd’hui en Europe. Il ne s’agit donc pas d’une problématique nationale, mais plutôt d’environnement qui est propice aux opportunités qui génèrent des passerelles pour les maladies zoonotiques vers les humains. De plus, une étude a mis en avant l’existence de facteurs de risque. Les zones à risque se situent surtout sur la bande tropicale avec des changements d’utilisation des terres, un couvert forestier qui devient une zone agricole, une faune sauvage qui ne trouve plus son habitat dans les zones périurbaines. Mais c’est aussi vrai dans la fragmentation des forêts primaires dans l’hémisphère nord, en Europe et sur la côte Est des États-Unis. Tout cela représente un risque. Si l’on avait pris les choses par ce biais-là, on aurait pu probablement moins se braquer les uns contre les autres et permettre une meilleure transparence.

Il faut donc continuer les recherches en Chine, mais aussi un peu partout dans le monde. Les experts n’ont cherché qu’à un seul endroit. Ces recherches auront un impact que lorsque l’on aura trouvé le pourquoi du comment afin de mettre en place toutes les mesures pour limiter de nouvelles émergences du Covid-19 et prévenir les autres pandémies.

Qu’est-ce que la pandémie révèle sur la place et le rôle de l’OMS, alors que ses préconisations semblent ignorées par de nombreux pays ?

L’année écoulée et ses antécédents sont pour beaucoup dans le manque de confiance que connait aujourd’hui l’OMS de la part des populations et des gouvernements. C’est très dommageable, car l’OMS avait un rôle de coordinateur en réponse à la pandémie, et de chef d’orchestre. En 2020, elle a donné de nombreuses consignes, à essayer de coordonner, de donner des caps sur les recherches, de proposer une réponse coordonnée et commune. C’est la première fois qu’il y avait, hors réchauffement climatique, un ennemi commun au niveau international. L’OMS a aussi mis en place le programme Covax pour que tous les pays puissent être vaccinés en même temps et ainsi avoir une réelle pertinence au niveau sanitaire et une diminution des décès du Covid-19 plus importante que si l’on vaccinait les pays riches en premier.

Cela préfigure la nécessité d’une réforme de l’OMS. Le financement fait partie des points à réformer. Basé sur les contributions obligatoires des pays, ils ne suffissent plus à l’organisation pour faire ce qu’on peut attendre d’elle. Le budget de l’OMS n’est même pas équivalent à celui des hôpitaux de Paris. On peut difficilement gérer une pandémie avec ce budget, alors que les hôpitaux de Paris eux-mêmes n’arrivent pas à gérer les patients d’une seule ville. C’est illusoire. Il est donc nécessaire de trouver des financements innovants, mais aussi de donner un peu plus de pouvoir à l’organisation.

Le problème est que l’organisation a le pouvoir que les États membres lui donnent, soit quasiment aucun. Pour que l’OMS enquête dans un pays, il faut que ce pays l’accepte, l’invite. C’est d’ailleurs pour cela que l’an dernier les représentants de l’OMS n’ont pu se déplacer que fin janvier. On voit bien ici les limites d’un système.

L’OMS avait aussi été beaucoup critiquée en 2009 suite à ses alertes sur la grippe aviaire, qui avaient provoqué une panique dans le monde et généré des achats de vaccins par millions. En 2014, avec Ebola, l’OMS a pris du retard dans sa réaction, à cause de 2009. À chaque fois, ils agissent en fonction de la crise précédente. Il faudrait aujourd’hui un peu plus d’anticipation et arriver à construire une organisation qui ait les moyens financiers et les ressources humaines pour agir.

Mais pour l’instant, l’OMS demeure un chef d’orchestre qu’on n’écoute pas, une bibliothèque scientifique que l’on ne consulte que lorsque l’on en a besoin. D’autant plus que les pays qui ont leur propre unité de santé comme le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) américain ou européen sont aussi moins attentifs à ce que peut évoquer l’organisation.

Alors que l’efficacité du vaccin AstraZeneca est remise en doute et que les variants se propagent, où en sont les vaccins et les vaccinations ? Et ce avec quelles disparités géographiques ? 

L’efficacité du vaccin AstraZeneca n’est pas tant remis en cause, il n’est cependant pas recommandé pour les plus de 65 ans (pour l’agence européenne du médicament). L’OMS avait mis comme seuil d’efficacité un seuil proche de 50%, mais les vaccins ARN messager de Pfizer et Moderna ont mis la barre très haute avec une efficacité à 90%. C’est d’ailleurs ce qui explique l’abandon de certains candidats vaccins qui n’arrivaient pas à avoir des taux pertinents. Cela aurait créé une vaccination à deux vitesses qui n’aurait été ni acceptable ni pertinente.

Pour le moment, on a trois variants : V1 (Angleterre), V2 (Afrique du Sud) et V3 (Brésil). On a demandé à ne pas les nommer comme variant anglais, variant sud-africain et variant brésilien, pour ne pas retomber peu à peu dans la faute nationale, comme ce qui s’est passé avec le « virus chinois ». Ces variants offrent une double problématique. Pour le moment, V1 et V2 sont déclarés comme étant plus transmissibles à hauteur de plus de 70%. Ce qui signifie que plus de personnes vont attraper le Covid et développer une pathologie grave. Il y a donc un réel intérêt à ce que les vaccins soient efficaces avec ces variants. Pour le V1, il semblerait que le vaccin soit efficace. Pour le V2, la question de l’efficacité commence à se poser. Pour le V3, cela reste à vérifier. C’est d’autant plus problématique si par exemple le V3 prend le lead et devient dominant et résistant à la vaccination ; il faudra alors sortir un second vaccin et revacciner la population des pays riches qui a déjà été vaccinée. Ce serait un peu le même système que la grippe annuelle, où chaque année une nouvelle vaccination s’impose, celle de l’année précédente n’étant plus efficace.

De plus, les vaccins Pfizer et Moderna n’ont pas prouvé leur efficacité concernant la diminution de la transmission intrapersonnelle. Avec les nouveaux variants, l’immunité collective n’est plus estimée à 60%, mais bien plus, jusqu’à 80%. Dans cette configuration, il faut vacciner tout le monde et abandonner l’idée d’une immunité collective.

Le fait que les pays occidentaux aient coadapté la vaccination risque de provoquer l’émergence de nouveaux variants. Une des hypothèses de l’origine des variants concerne les Covid longs chez des personnes vulnérables qui vont garder le virus en elles plusieurs semaines, plusieurs mois. Le virus va donc avoir l’opportunité de muter plus souvent avant d’être transmis à quelqu’un d’autre. En ayant fait le choix de vacciner des populations nationales entières plutôt que vacciner les populations vulnérables, on a fait le choix de prendre le risque de voir de nouveaux variants émerger. Et potentiellement de voir un jour les vaccins actuels ne plus fonctionner face aux nouveaux variants et qu’il faille revacciner tout le monde. On peut craindre qu’une fois de plus, le choix soit fait de vacciner les pays riches en premier.

Le vaccin polyvalent est un véritable besoin pour lutter contre les variants. Comme c’est le cas pour la polio, avec des vaccins trivalents où il y a la cellule souche du virus de la polio, mais aussi les variants qui ont émergé par la suite.

En termes de vaccinations, les pays occidentaux ont réussi à acheter des doses très tôt grâce aux accords bilatéraux avec les laboratoires pharmaceutiques. Il existe plusieurs vaccins. Au niveau occidental, il y a pour l’instant Pfizer, Moderna et AstraZeneca. Les deux premiers utilisent une nouvelle technologie : l’ARN message. Le vaccin AstraZeneca est un vaccin plus classique avec un vecteur viral. On a pris un virus que l’on connaissait déjà qui va véhiculer l’information que l’on veut au sein des cellules. Ce vaccin est logistiquement plus simple, il n’a pas besoin d’être conservé à -70°C. Il peut être conservé à 5°C pendant plusieurs mois. Il est donc aussi beaucoup moins cher, ce qui le rend plus utilisable dans les pays à revenu faible et intermédiaire pour une question de prix et de facilité de transport puisqu’il y aurait moins de risque de rupture de chaine du froid.

Il existe d’autres vaccins. Il y a le vaccin russe Sputnik V. Il a commencé à être administré en Russie dès l’été. En l’absence de publication scientifique, le vaccin a été mis en doute par les Occidentaux. Mais récemment une étude dans le Lancet, a annoncé une efficacité à 91%. Les puissances occidentales ont alors commencé à regarder vers la Russie, d’autant plus que les vaccins occidentaux commencent à connaître des ruptures de stock. La Chine a, quant à elle, cinq vaccins en phase d’essai, qu’elle administre depuis l’été dernier.

La Russie, la Chine ou encore l’Inde se positionnent au chevet des pays à revenu faible et intermédiaire pour leur proposer des accords, initiant une véritable diplomatie des vaccins.

L’Inde, au travers d’un partenariat avec Oxford, a fait un transfert de capacité de production permettant au Serum Institute of India de produire le vaccin AstraZeneca. Le pays va le proposer aux pays limitrophes, à savoir le Bangladesh, le Népal, la Thaïlande, etc., travaillant son influence régionale. La Chine a notamment avancé ces pions en Amérique latine en testant ses vaccins (lors des phases II et III de ses essais cliniques) sur la population, en échange de doses. La Russie positionne elle aussi ses pions en Amérique latine et au Moyen-Orient. Il est important de suivre de près cette géopolitique des vaccins, susceptible de dessiner les contours des relations internationales de demain.

Aujourd’hui, les pays occidentaux ont fait le choix d’une réponse individuelle à défaut d’une réponse collective. Il est fort probable que cela ait un retentissement sur les futures décisions des pays à revenu faible et intermédiaire qui s’en souviendront certainement. Mais au-delà de cela, ce choix n’est pas pertinent au niveau sanitaire : cela ne diminue pas le nombre de décès comme le ferait une vaccination prioritaire sur l’ensemble des populations vulnérables. Ni même au niveau économique : les pays en voie de développement ne pourront reprendre une activité économique totale sans vaccination, or ils nous fournissent les produits bruts qui font tourner nos économies. Et au niveau sociétal, c’est une fois de plus la mise en avant d’une distinction entre les pays du Nord et ceux du Sud. Il n’y a pas meilleur moyen pour engranger les problèmes de demain. Notre approche des choses est une vision à très court terme sans aucun sens de la prospective.

Gazprom and its sponsorship of football. From sex without a condom to major strategic threat

Fri, 12/02/2021 - 11:10

During a UEFA Champions League match in 2013, Greenpeace activists unfurled a large banner from a stadium roof to reveal to the statement ‘Don’t Foul the Arctic’. This was in response to Russian oil and gas corporation Gazprom engaging in high risk oil exploration in one of the world’s most fragile ecosystems.

The match, at FC Basel’s St. Jakob Park Stadium in Switzerland, involved FC Schalke 04 of Germany’s Bundesliga – a club whose shirts have been sponsored since 2007 by Gazprom. When the initial deal was signed, German football magazine 11Freunde likened it to the club having sex without a condom.

When the Basel game took place, the Champions League itself was also being sponsored by Gazprom, a deal first signed in 2012. Indeed, the latest iteration of the Russian state-owned oil and gas corporation’s deal will see its relationship with UEFA running to the end of 2021’s football season.

For some, the choice of Schalke and the Champions League sponsorships by the Saint Petersburg-based organisation has always been puzzling. After all, unlike other football sponsors Gazprom doesn’t directly sell anything in consumer markets. Rather, it sells gas to governments.

But this provides clues as to why a club based in Gelsenkirchen, part of Germany’s Ruhrgebiet (the country’s traditional industrial heartland), has been of interest to Gazprom. The region is Germany’s football hotbed, home to some of the country’s most passionate fans, but also once a major source of the country’s coal.

At first glance, the Schalke sponsorship may therefore have seemed like an attempt to build profile and legitimacy in a market that was transitioning to a post-coal future. Some of the suspicion previously directed at Gazprom has thus been premised upon an assumption that the Russian giant was attempting to greenwash its reputation.

However, around the same time as the Schalke deal was first announced, Gazprom was involved in negotiations with the German government to begin construction of a Russia-Germany pipeline under the Baltic Sea (not uncoincidentally bypassing the likes of Poland and Ukraine). By 2010, this pipeline had been finished and Germany began buying vast quantities of gas from Russia.

Sponsorship of Schalke therefore appears to have been more about influencing decision makers in Berlin and establishing legitimacy in the eyes of German consumers than it was about covering for any of the corporation’s environmental misdemeanours.

The same is true of Gazprom’s UEFA sponsorship deal, as the Champions League is a both a pan-European and global phenomenon that generates visibility and confers legitimacy upon the corporation, important commodities in what can sometimes be highly sensitive global energy markets.

Indeed, as Schalke and Gazprom’s German pipeline became important in the North, so the Russian organisation looked South for partners to collaborate on the development of South Stream. This concluded with the Gazprom’s name appearing on the shirts of Red Star Belgrade, and stories circulating that an acquisition of the club by the gas behemoth was imminent.

Ultimately, the Serbian government at the time decided to focus upon becoming an EU member, the Russian economy dipped, and Gazprom’s quest for a southern outlet for its gas supplies was put on ice. Yet the playbook was established: football has always been a means through which Gazprom seeks to further its strategic interests.

Hence recent developments, which some may have interpreted as the mundane politicking of football bureaucracy, have been noteworthy. Russia has decided to give up its place on the FIFA Council and has put forward a candidate – Alexander Dyukov – to join UEFA’s Executive Committee.

Dyukov is an interesting character; current president of Gazprom, he was also previously the president of Russian football club FC Zenit Saint Petersburg (which is, unsurprisingly, owned by Gazprom). All of which poses an obvious question: why is Gazprom is on the move again in football?

Unlikely as it may seem, an answer can be found in Washington DC, specifically the presidency of Donald Trump. The former US administration repeatedly called out Germany for its growing energy dependence upon Russia, which made for increasingly fractious relations with Berlin.

Indeed, once Germany and Russia reached an agreement for the construction of a second Baltic Sea gas pipeline (Nord Stream 2), the US ramped-up its diplomatic pressure and imposed sanctions upon Gazprom. Such is Washington’s perception of the strategic threat posed by this development, that the new Biden administration is doubling-down in its application of these sanctions.

As the political temperature has risen, Gazprom’s Nord Stream 2 project has been overseen by Mattias Warnig, a former Stasi agent from East Germany. Wanig is a long-time friend of Vladimir Putin and has worked with a number of Russia’s biggest corporations. In a recent You Tube video posting by Alexei Navalny’s Anti-Corruption Foundation (the FBK), mention of Wanig is made in connection with allegations about corruption in the construction of Putin’s Black Sea mansion.

But otherwise, with neither Russia nor the US backing down, recent reports suggest that further sanctions-busting Nord Stream 2 construction has resumed. A Russian pipelaying vessel has been sighted in Danish waters, working on the project’s final stages before the pipeline makes land. Once on German soil, it seems like that the political rhetoric will increase.

Which will be prescient and timely, as Gazprom’s deal with UEFA is up for renewal this year. Also, it seems more than a coincidence that Schalke’s deal with the corporation is due for renewal next year. In the meantime, Germany’s Bundesliga season continues and the UEFA Champions League season is about to recommence.

Many football fans will already be familiar with Gazprom’s adverts that often bookend half-time television breaks. With this familiarity comes some acceptance and a degree of legitimacy. We won’t be seeing Joe Biden’s name appearing anytime soon on football stadium rotational signage, but then Gazprom has always played this football sponsorship game better than the US.

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This article belongs to the GeoSport platform, developed by IRIS and EM Lyon.

 

Déméter 2021 : Quels enjeux pour l’agriculture de demain ?

Thu, 11/02/2021 - 09:31

À l’occasion de la sortie du Déméter 2021​, les directeurs de publication, Sébastien Abis, directeur du Club DEMETER et chercheur associé à l’IRIS, et Matthieu Brun, responsable des études et des partenariats académiques au Club DEMETER et chercheur associé à Sciences Po Bordeaux (LAM), répondent à nos questions :

– Qu’apporte l’édition 2021 du Déméter 2021 sur la compréhension du monde agricole, de la sécurité alimentaire et du développement durable ?

– Qu’a révélé le Covid-19 sur les modes de productions et d’approvisionnements ? Quelles leçons en tirer pour l’agriculture ?

– Le titre de votre introduction évoque les 3 S : sécurité, santé et soutenabilité . Que représentent-ils pour l’agriculture​ ? Sont-ils les enjeux de l’agriculture de demain ?

Matières premières agricoles : « Tous les éléments sont réunis pour une flambée des cours »

Wed, 10/02/2021 - 16:14

Vous ouvrez cette nouvelle édition, fort logiquement, sur l’impact de la pandémie sur l’accès aux ressources alimentaires, et vous ne cachez pas votre inquiétude.

Sébastien Abis : Je suis en effet beaucoup plus inquiet pour 2021 que pour 2020, car c’est maintenant que les effets de la crise vont se faire sentir. La pandémie a déjà engendré une crise économique, dont il est difficile de mesurer l’ampleur future. Nombre de pays en développement risquent de voir des pans entiers de la classe moyenne retourner dans une grande pauvreté.

Cette crise – comme les autres – a d’abord un impact sur les communautés les plus vulnérables, celles qui consacrent une part substantielle de leur budget à l’alimentation. On le voit déjà en Amérique latine et centrale. Il y a bien sûr la situation archétypale du Venezuela, où la moitié de la population ne mange pas à sa faim. Mais on voit aussi des pays comme la Bolivie ou le Pérou, dont la situation alimentaire devient de plus en plus précaire. C’est vrai aussi dans plusieurs d’Afrique. Et l’Europe n’est pas à l’abri. Il suffit de regarder en France ou encore en Espagne, où les rangs des gens obligés de se tourner vers des associations d’aide alimentaire pour manger à leur faim ne cessent de s’étoffer. C’est une situation extrêmement préoccupante.

La crise économique pourrait-elle être aggravée par une flambée du cours des matières premières agricoles ?

Ce n’est pas encore le cas, mais on perçoit déjà le risque d’emballement, avec certains pays qui achètent massivement des matières premières agricoles pour stocker et se protéger ainsi d’une possible flambée des cours, participant à accélérer le mécanisme. Il y a aussi la Chine, qui a acheté entre 25 et 30 millions de tonnes de maïs pour reconstituer son stock de porcs, après la peste porcine qui a décimé ses élevages, et fait ainsi grimper le cours de la céréale. Si vous ajoutez à cela les successions de chocs climatiques qui ont impacté les récoltes mondiales en 2020 et le fret maritime qui est reparti à la hausse, vous avez tous les éléments d’une surchauffe qui pourrait être assez semblable à celle de 2008.

Vous abordez également le thème de la transition écologique, en posant notamment la question de l’exploitation des forêts européennes.

Nous avons en effet voulu creuser la question de l’exploitation des forêts du Vieux Continent à l’heure du « Green deal ». De nous poser la question de leur réindustrialisation, alors qu’elles s’étendent sur près de 180 millions d’hectares et que leur taille a plutôt progressé ces dernières années, tandis que les filières bois construction ou bois énergie sont en plein essor.

Au fond, deux choix s’offrent à nous. Le premier : nous décidons de sanctuariser nos forêts, d’en faire des espaces paysagers, un sanctuaire pour les différents écosystèmes… Et à ce moment, on accepte d’importer du bois, ce que fait déjà la France qui en importe chaque année pour sept milliards d’euros. Mais on accepte aussi un bilan environnemental médiocre et l’absence de création d’emplois au niveau local. L’autre choix : les États européens actent le passage d’une forêt paysagère à une forêt filière.

Vous revenez également sur le boom des algues dans l’alimentation animale et humaine.

Le marché de l’algue pesait déjà 60 milliards de dollars en 2019 et selon les projections, il devrait atteindre 92 milliards en 2025. Une croissance très largement portée par l’Asie, où se concentre 99% de la production des macroalgues, mais également par les Amériques et l’Europe où cette nouvelle tendance alimentaire commence à prendre. La consommation d’algues y est notamment portée par la volonté d’une part grandissante de la population de remplacer ou de réduire les protéines animales dans leur alimentation. Et cela devrait s’accélérer dans les prochaines années. Clairement, une part de l’alimentation future de l’humanité proviendra de la mer, et notamment de la culture des macroalgues. Étant totalement naturelles et constituant une ressource aisément renouvelable, leur potentiel de développement est considérable et recouvre aussi diverses applications industrielles. Les macroalgues présentent par ailleurs extrêmement peu de risques de toxicité ou d’écotoxicité et sont parmi les plantes qui croissent le plus vite. Au niveau géopolitique, les États disposant d’une vaste bordure maritime disposeront donc demain d’un véritable avantage économique. C’est le cas de la France, qui possède le deuxième espace maritime le plus vaste au monde, juste derrière les États-Unis.

République centrafricaine : le régime Touadéra pourra-t-il passer les législatives sans encombre ?

Wed, 10/02/2021 - 14:59

Comment organiser des élections crédibles dans un pays contrôlé aux trois quarts par des groupes armés, et où deux électeurs sur trois ne peuvent exercer leur droit du fait de l’insécurité ? C’est l’impossible équation à laquelle la République centrafricaine (RCA) est exposée depuis le déclenchement du processus électoral ayant débouché, le 20 décembre dernier, sur l’organisation couplée de la présidentielle et des législatives. Sur fond de regain de violences après la dénonciation, par les rebelles de l’accord de paix scellé avec Bangui en février 2019 à Khartoum, au Soudan[1], cette première consultation s’est déroulée dans les pires conditions. Elle a confirmé la victoire du président sortant, Faustin Archange Touadéra « FAT », par 53,9% des voix. Un score d’une précision d’horlogerie qui cache mal l’étendue des irrégularités et des anomalies. Seuls 700.000 électeurs se sont exprimés sur un total de 1,8 million d’inscrits. Après un premier tour tout aussi rocambolesque, le déroulement du second tour des législatives ne devrait pas contribuer à atténuer les tensions dans ce pays de 3,8 millions d’habitants comptabilisant 58% de ruraux.

Boycott

Pour l’heure, seule l’élection de 22 députés sur 140 a été validée par le Conseil constitutionnel après l’annulation par ce dernier, du premier tour dans 13 circonscriptions, soit parce que le scrutin n’a pu se tenir ou bien s’est tenu dans de mauvaises conditions. 118 représentants doivent donc encore être désignés au second tour dont la date n’est toujours pas fixée. Selon nos informations, celle-ci pourrait être calée le 14 mars pour une installation du nouveau parlement au plus tard le 2 mai. Dénonçant une « mascarade », la Coalition de l’opposition démocratique (COD-2020), qui regroupe la majorité des adversaires politiques du pouvoir sortant, s’est retirée de ce scrutin laissant présager un raz de marée du parti présidentiel, le Mouvement Cœurs Unis (MCU).

La CPC en embuscade

Cette consultation, à supposer qu’elle se tienne, ne devrait donc pas atténuer les critiques des groupes armés qui essaiment dans le pays, et pour lesquels le président Touadéra s’avère en tous points illégitime. Coalisés au sein de la Coalition des patriotes pour le changement (CPC), ces derniers sont pour l’instant en sommeil. Ils observent un repli stratégique après leur offensive avortée sur la capitale, le 13 janvier, pour tenter de renverser le chef de l’État quelques jours après la reconduction officielle à son poste. Repoussés par les Forces armées centrafricaines (FACA), les éléments de la Minusca (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine), les soldats rwandais dépêchés par Paul Kagame[2] ainsi que les éléments de la société paramilitaire russe Wagner[3], les éléments de la CPC abandonnent actuellement leur position dans plusieurs villes à l’instar de Bouar (ouest). Alors qu’ils continuent de bloquer la principale route menant à la capitale depuis le Cameroun, ils devraient toutefois profiter du second tour des législatives pour se manifester de nouveau.

Cette perspective d’une nouvelle flambée de violence contre un régime ne tenant qu’au fil ténu des blindés russes conjuguée au spectre d’une déflagration de cet État fantôme, le plus déshérité au monde avec un Indice de développement humain (IDH) de 0,397 (188e rang sur 189 selon le PNUD), a poussé l’Angola a entré en piste. Objectif : arracher des négociations entre parties belligérantes voire un accord de paix. En déplacement à Bangui début février, le président Joao Lorenço pilote une médiation sous l’égide de la Conférence internationale des Grands Lacs (CIRGL). Alors qu’il entend revenir au pouvoir après son renversement en 2013 l’ancien président François Bozizé, parton du parti Kwa Na KWa (KNK) accusé de collusion avec les mouvements armés, n’a pas fermé la porte à des négociations.

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[1] La présence de groupes armés dans le pays, bien que structurelle, s’est intensifiée ces dernières années. Nébuleuse d’une vingtaine d’entités, certains préexistaient au renversement de François Bozizé, en 2013. D’autres, à l’instar de la rébellion Seleka et du mouvement Anti-Balaka, sont apparus dans le cadre de ce putsch. Ils se sont par la suite divisés en plusieurs composantes dont les plus emblématiques sont réunis au sein de la CPC. Leur objectif commun vise le renversement de Faustin Archange Touadéra.

[2] En vertu d’un accord avec Kigali, les soldats rwandais assurent la protection rapprochée du président centrafricain et sécurisent les élections dans la capitale, Bangui.

[3] Cette société paramilitaire privée à la frontière avec le mercenariat s’est implantée en Centrafrique en 2017 dans la foulée de l’accord de coopération militaire signé entre le régime de Faustin Archange Touadéra et la Russie. Son dirigeant, Evgueni Prigojine, appartient au premier cercle de Vladimir Poutine.

 

Quelle perception de la religion en France ?

Tue, 09/02/2021 - 17:58

Dans le cadre de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS dirigé par François Mabille, en partenariat avec la FIUC, Jocelyne Césari, chercheuse à Havard et à la Georgetown University, répond à nos questions :

– Comment percevez-vous, en tant que spécialiste et avec votre recul depuis les États-Unis, les débats français actuels autour de la laïcité qui ont notamment été ravivés avec l’affaire Samuel Paty ou encore avec la loi sur les séparatismes ?

– Nos débats actuels ne renvoient-ils pas à des traits spécifiques de la culture française, qui tend à percevoir les religions de manière assez – voire très – négative ?

– Quels sont les différents attendus de la perception des religions en France ?

– Comment interprétez-vous l’intrication de la question identitaire et de la question religieuse ?

– Estimez-vous que la perception des religions et/ou du fait religieux a évolué ces dernières décennies en France et en Europe ? Si oui, quelles en sont les raisons ?

[Entretien réalisé par Léa Lavaud, chargée de mission à la  Fédération internationale des universités catholiques (FIUC)]

Oman : les enjeux de la modification de sa loi fondamentale et de la transmission du pouvoir

Fri, 15/01/2021 - 15:31

À l’occasion du premier anniversaire de son accession au trône, le sultan Haïtham Bin Tarek Al Saïd a décidé de réformer la loi fondamentale du pays en modifiant le mode de transmission du pouvoir qui devient héréditaire. Il institue par la même occasion la fonction de prince héritier qui n’avait jamais existé auparavant.

La décision du sultan n’est pas une surprise. Son mode de gouvernance est différent de celui de son prédécesseur. Qabous Bin Saïd, qui n’avait pas d’héritier, s’était farouchement opposé à désigner un successeur de son vivant. Il craignait sans doute d’être renversé comme lui-même l’avait fait avec Saïd bin Timour, son père, le sultan autocrate qui avait gouverné et maintenu Oman dans le Moyen-Âge jusqu’à sa chute en 1970.

La loi fondamentale du Sultanat prévoyait jusque-là que le conseil de la famille royale (composé de 24 membres) choisisse, dans les trois jours suivant la vacance du trône, un successeur. En cas de désaccord seraient ouvertes les deux lettres testamentaires déposées à Mascate et à Salalah qui désignent la personne préalablement choisie par le sultan pour lui succéder.

Qabous a laissé planer l’incertitude qui n’a été levée qu’à sa mort le 10 janvier 2020 quand le conseil de famille, qui regroupe les principaux princes de la famille royale, a décidé d’ouvrir les enveloppes (sans attendre les trois jours qui lui étaient accordés) contenant les dernières volontés du défunt sultan. Le choix de Qabous qui n’avait pas d’héritier direct s’est porté sur son cousin Haïtham Bin Tarek alors que les spéculations alimentées par la longue maladie du sultan penchaient plutôt pour son frère non utérin As’ad Bin Tarek.

Très tôt le nouveau sultan a imposé un nouveau style, à commencer par la mise en avant de sa propre famille. Haïtham Bin Tarek est le père de deux fils Dhi Yazan (né en 1990) et Bel Aaarab et de deux filles, le sultan Haïtham a également mis en avant son épouse Sayeda Aahd bint Abdullah Al Busaïdi qui est apparue en public à l’occasion de plusieurs manifestations en faveur des femmes omanaises.

Le fils aîné du sultan Dhi Yazan (Zi Yazan) qui après des études à Oxford avait entamé une carrière diplomatique en tant que secrétaire à l’ambassade d’Oman à Londres a été rappelé pour faire partie du cabinet de Youssef Bin Alawi, l’ancien ministre des Affaires étrangères qui était resté en place une trentaine d’années. Dhi Yazan a ensuite été nommé ministre de la Culture, de la Jeunesse et des Sports avant d’être finalement désigné comme prince héritier. Ascension rapide pour ce trentenaire qui n’est pas sans rappeler celle de Mohamed Ben Salman.

La nouvelle loi fondamentale institue pour la première fois dans l’histoire d’Oman une transmission héréditaire directe par la primogéniture. Elle abolit la tradition de consensus, même formel, qui avait été mise en place depuis le temps de la dynastie des Imams yarubides pour désigner le sultan.

Les nouvelles dispositions sont très précises et ne laissent place à aucune ambiguïté ni spéculation. L’article 5 de la nouvelle loi stipule que le système de gouvernance est héréditaire chez les descendants mâles du sultan Turki bin Said bin sultan conformément aux dispositions suivantes : le pouvoir passe du sultan à son fils premier-né, puis à son fils aîné et par conséquent le pouvoir passe d’une strate à l’autre. Au cas où le fils aîné du sultan décède avant d’assumer le pouvoir, la succession doit être transférée à son fils aîné même si le défunt a des frères. La loi stipule également que dans le cas où la première personne en ligne de succession n’a pas de fils, la règle passe automatiquement à son frère aîné, et s’il n’a pas de frère, la succession passe au fils aîné de son frère aîné, et si son frère aîné n’a pas de fils la succession est transférée au fils aîné de ses autres frères selon l’ordre d’âge des frères. La loi stipule que dans le cas où l’héritier du trône n’a pas de fils ou de frères, la succession doit être transférée à ses oncles et à leurs fils selon l’ordre d’âge susmentionné. Le successeur du sultan doit être musulman, sain d’esprit et fils légitime de parents musulmans omanais. En outre, la Loi fondamentale de l’État stipule que si la succession est transférée à une personne de moins de 21 ans, le pouvoir du sultan doit être exercé par un conseil des gardiens nommé par le sultan. Au cas où un Conseil des gardiens n’aurait pas été nommé, le Conseil de la famille royale devrait nommer un Conseil des gardiens comprenant l’un des frères du sultan et deux de ses cousins.

Par ailleurs, un décret devrait fixer dans les prochains jours les prérogatives et fonctions du prince héritier nouvellement institué.

Oman jusqu’ici faisait figure d’anomalie. Toutes les monarchies du Golfe ont un prince héritier désigné à l’exception du Qatar où la fonction existe, mais qui n’a pas été désigné par l’émir Tamir Bin Hamad.

Ces mesures viennent consolider la stratégie de pouvoir que le nouveau sultan met en place depuis son accession au trône. Il sait que son pays est confronté à une grave crise économique et doit résoudre le problème de l’emploi des jeunes qui arrivent sur le marché et qui peinent à s’y insérer. La crise du Covid-19 comme partout dans le monde a accentué cette difficulté privant Oman du tourisme, une ressource importante. Il sait aussi que la levée des subventions sur l’eau et l’électricité et l’introduction d’une TVA à partir d’avril prochain accentueront le mécontentement d’une population qui jusqu’ici a été choyée en échange de la paix sociale. C’est sans doute la raison pour laquelle, Haïtham Bin Tarek a décidé de concentrer le pouvoir dans les mains d’un cercle restreint de personnes sur lesquelles il peut compter.

Révoltes arabes, 10 ans après

Fri, 15/01/2021 - 09:32

Il y a 10 ans, le 14 janvier 2011, Ben Ali quittait le pouvoir en Tunisie après un mouvement populaire d’une ampleur inédite dans le pays. La révolution tunisienne marquait le point de départ de ce qu’on allait appeler, à tort, le « Printemps arabe ». Les trajectoires des Etats de la région ont pourtant été diverses. Après les Tunisiens, les Egyptiens, les Libyens, les Syriens, les Yéménites, les Bahreinis, et dans une moindre mesure les Marocains, les Algériens et les Jordaniens sont sortis dans la rue. En Tunisie, la société civile a su renouveler une partie de la classe politique et ainsi doter le pays d’une nouvelle constitution. Mais elle fait office d’exception. En Syrie et en Libye, la répression d’une violence inouïe à mener à des guerres civiles qui se poursuivent aujourd’hui. En Egypte, après une lueur d’espoir, le pouvoir a été repris par l’armée, et s’avère plus dur encore qu’à l’époque de Moubarak. Au Yémen, le départ du président à fait éclater l’unité nationale déjà faible, et plongé le pays dans la guerre et la misère. En Algérie enfin, si en 2011 la mobilisation n’a pas pris, le Hirak a été lancé en 2019 contre un cinquième mandat de Bouteflika. Un long chemin vers plus de liberté et de démocratie se dessine difficilement. Retour sur les révoltes arabes 10 ans après, et sur leur héritage aujourd’hui.

Violences à Washington : « Le projet de Biden sera de réconcilier l’Amérique, alors que Trump a été le président du chaos »

Thu, 14/01/2021 - 16:41

Joe Biden a condamné une « insurrection », d’autres évoquent un coup d’Etat. Comment qualifiez-vous cette intrusion violente des pro-Trump au Capitole ?

C’est bien Trump qui a appelé ses partisans à marcher sur le Capitole. Et après les scènes que l’on a vues, le terme d’« insurrection » n’est pas trop fort. On a assisté à une tentative de putsch, il ne faut pas minimiser les faits ni leur ampleur. Ce sont des faits de violence politique, qui ont fait quatre morts, et qui, par les images et les slogans, ont un pouvoir « performatif » important : cela va sans doute produire des effets au sein des Etats-Unis, mais aussi à l’international.

A quoi s’attendre maintenant, pour les jours et semaines à venir ?

La Maison-Blanche a publié un communiqué dans lequel Trump indique que la transition avec son successeur se fera de manière ordonnée, mais il ne reconnaît toujours pas sa défaite et persiste à dire qu’il a gagné l’élection. Dès lors, et surtout avec Trump, on peut s’attendre à tout ! On l’a vu plusieurs fois, notamment en 2017 à l’occasion des émeutes à Charlottesville : il avait condamné les violences commises mais encouragé les groupes d’extrême droite.

Au Capitole, c’est allé très loin, alors peut-être craint-il des poursuites judiciaires. Mais CNN disait ce jeudi matin qu’il ne fallait pas voir cette situation comme une fin, mais comme un début. Donc il y aura peut-être d’autres événements, encouragés et soutenus par Trump. Il lui reste deux semaines de mandat avant l’investiture de Joe Biden, il n’est pas exclu qu’il fasse de nouveaux appels à des rassemblements, voire à la violence. Il n’a d’ailleurs pas condamné l’invasion du Capitole, et jamais il ne condamnera l’action de ces supporteurs, dont il sait qu’ils lui vouent une ferveur totale.

Quel avenir – politique notamment – Donald Trump peut-il espérer ? Quel poids peut-il conserver dans le parti républicain ?

Des voix s’élèvent pour recourir au 25e amendement, le démettre de ses fonctions et l’empêcher de se présenter à la présidentielle de 2024. Mais à moins de deux semaines de la fin de son mandat, est-ce vraiment réalisable ? Et cela n’alimenterait-il pas la rhétorique anti-establishment chère à Trump ?

J’ignore les suites judiciaires. En revanche, sur le plan politique, il n’est pas dit que le parti républicain le mette à l’écart. Une frange le soutient toujours : sept sénateurs ont voté après l’attaque du Capitole contre la certification des votes en Pennsylvanie, et il a encore des soutiens à la Chambre des représentants. La raison est simple : Trump représente un réservoir de 74 millions de voix, c’est sa grande force. Ses électeurs expriment un vote d’adhésion : ils adhèrent à son projet de société. Reste à savoir ce que Trump voudra faire à l’issue de son mandat. Voudra-t-il conserver son influence au sein du parti ? Ou bien – et c’est une hypothèse forte – le trumpisme va-t-il continuer d’exister en dehors ? Notamment dans la sphère médiatique, avec pourquoi pas la création par Trump d’un nouveau média, d’une nouvelle université ? Il ne faut pas oublier que Donald Trump est un homme d’affaires, qu’il est endetté, et qu’il a besoin de raviver son business et faire fructifier sa marque. En clair, il peut, s’il le décide, pourrir la vie du parti.

Quel est avenir pour les républicains désormais ?

C’est un parti divisé, fragilisé, qui risque d’être fragilisé encore quelque temps, et ce alors que Trump avait réussi à l’unir pendant quatre ans. Il y a dans la politique de Trump un socle idéologique républicain, mais le chèque en blanc donné aux conspirationnistes, le recours aux fake news et aux mensonges politiques, la déstabilisation de la démocratie sont autant de choses dont le parti républicain, à long terme, a tout intérêt à se débarrasser. Parce que dans les urnes, cela ne paie pas. On le voit en Géorgie, où Biden a été élu et rafle deux sièges au Sénat. Les républicains perdent un Etat qui leur était historiquement acquis. A trop vouloir satisfaire les électeurs pro-Trump, il y a un risque de se confronter à une mobilisation électorale d’autant plus forte.

Le défi du parti républicain est de réussir à s’unifier derrière un projet de société qui reprenne les contenus traditionnels de la droite républicaine et qui séduise les pro-Trump, tout en se détachant du trumpisme. Car dans moins de deux ans, il y aura les élections de mi-mandat, où la Chambre des représentants sera intégralement renouvelée, où un tiers des sénateurs remettront leur siège en jeu. Et les républicains ne peuvent pas se priver de cet électorat acquis à Trump. Ils sont sur la corde raide.

Ces incidents au Capitole mettent-ils à mal le président élu Joe Biden, ou l’installent-ils dans son rôle de Commander in chief ? Et parviendra-t-il à restaurer la confiance et l’unité ?

Cela lui met une pression supplémentaire, mais il est prêt. C’est un fin limier de la politique, il s’est entouré d’une équipe béton, qui n’a rien à voir avec les pieds nickelés dont Trump s’était entouré.

Et ce n’est pas la première fois que Biden appelle à l’unité, c’est d’ailleurs en partie sur l’anti-Trumpisme qu’il s’est fait élire. Son grand discours d’unité, il l’a prononcé au moment de sa victoire en novembre, appelant à la solidarité, à l’union nationale. Des notions que l’on a retrouvées dans son discours prononcé mercredi soir. Tout le projet de Biden va être de réconcilier cette Amérique extrêmement divisée et polarisée par Trump.

Au contraire, Trump a prospéré sur les clivages : il a été le président du chaos, n’a cessé d’attiser les violences. La société américaine a rarement été aussi divisée. Joe Biden ne sera pas l’homme providentiel, mais va donner une dynamique pour refaire de l’Amérique une nation unie, et cela prendra du temps. D’autant qu’il va devoir composer avec un parti démocrate lui aussi divisé, entre son aile centriste et son aile progressiste. Ce sont des divisions que l’on a moins vues ces dernières semaines, mais qui vont vite réapparaître.

La démocratie américaine est-elle abîmée par cette intrusion au Capitole, et par cette rhétorique de l’élection volée martelée par Trump ?

Forcément, surtout pour une Nation qui se pose en première démocratie de la planète et qui a offert ce piètre spectacle. Mais la démocratie américaine a 250 ans, et elle en a vu d’autres ! Et le tableau n’est pas si sombre : il ne faut pas assimiler les supporteurs d’extrême droite néonazie qui ont attaqué le Capitole à l’ensemble de l’électorat trumpiste.

En outre, alors que Trump n’a eu de cesse de vouloir détruire la démocratie américaine depuis quatre ans, elle a résisté et a les moyens de se remettre. Elle a montré qu’elle était forte, dotée d’institutions solides. Preuve en est, après l’attaque, le Congrès a certifié la victoire de Biden. Et l’autre preuve de la vitalité démocratique des Etats-Unis, c’est l’énorme participation à l’élection présidentielle, qui a bénéficié d’un fort militantisme de terrain.

Le travail forcé, ce très vilain secret qui se cache au cœur du développement de l’énergie solaire

Wed, 13/01/2021 - 17:13

On a évoqué les Ouïghours pour le marché de la tomate, du textile et maintenant pour les panneaux solaires. Pourquoi associe-t-on travail forcé et panneaux solaires ? Quels problèmes éthiques posent la production du silicium polycristallin utilisé pour construire les cellules photovoltaïques ?

Rappelons tout d’abord que le silicium polycristallin, comme les terres rares, abonde en Chine et plus particulièrement dans le nord-ouest du pays, le Xinjiang. Son utilisation est nécessaire à la fabrication des téléphones cellulaires, à certaines composantes de missiles militaires mais aussi aux panneaux solaires. C’est en 1992 que la production chinoise des terres rares dépasse celle des États-Unis. Le dirigeant Deng Xiaoping déclare alors :« Il y a le pétrole en Arabie Saoudite, il y a les terres rares en Chine ». Il ne croyait pas si bien dire. La production de silicium polycristallin est donc stratégique. Cependant, l’on sait aussi que dans le cycle de vie d’un panneau solaire, la partie la plus énergivore est l’extraction et la purification du silicium. Si cette opération est menée à base de charbon, le bilan est forcément mauvais en termes de pollution. En outre, les poussières de silice cristalline peuvent induire une irritation des yeux et des voies respiratoires, des bronchites chroniques et une fibrose pulmonaire irréversible nommée silicose. Cette atteinte pulmonaire grave et invalidante n’apparaît en général qu’après plusieurs années d’exposition et son évolution se poursuit même après cessation de l’exposition. Vous comprenez pourquoi les Ouïghours sont sollicités par les autorités chinoises pour ces tâches à la fois ingrates et dangereuses.

Quel est l’objectif de la Chine en voulant accaparer la production de panneaux solaires ?

Pékin représente 70 % de la production photovoltaïque dans le monde. L’objectif pour le gouvernement chinois étant de développer un secteur économiquement très prometteur en termes de création d’emplois mais aussi pour atteindre une autonomie énergétique. La Chine possède en effet le parc photovoltaïque le plus important au monde, avec une puissance installée totale de 176,1 GWc en 2018, soit 35 % du total mondial. La France, par comparaison, est très en retard dans la production d’énergie photovoltaïque. L’accord de principe signé entre Européens et Chinois sur les investissements, le 30 décembre dernier, porte notamment sur la possibilité pour les groupes européens d’accéder plus facilement aux secteurs du solaire et de l’éolien sur le marché chinois. Au vu des enjeux, on peut naturellement en douter.

Ce monopole de la Chine sur le secteur peut-il remettre en question l’ambition des plans d’énergie prévus par les Occidentaux, et notamment celui de Joe Biden ?

les Occidentaux ne renonceront pas à leur mue écologique. Au reste, Biden fera revenir les Etats-Unis dans les accords de Paris de la Cop-21. Le dilemme auquel ils sont exposés est le suivant : la rivalité avec la Chine se fait dans l’interdépendance. La réciproque est tout aussi vraie. Jamais l’économie chinoise n’a été aussi dépendante des marchés extérieurs et de la technologie occidentale. Pour l’heure, chaque puissance essaie de gagner du temps. Mais l’issue à ce dilemme, comme le rappelle Graham Allison, n’a rarement été un autre horizon que celui de la guerre.

Amériques latines 2021 : Recomposer un vivre ensemble écorné

Wed, 13/01/2021 - 17:08

Tombé dans ce bouillon de culture, la covid-19 a dégradé une situation déjà difficile. L’Amérique latine est sans surprise l’une des régions du globe ayant le moins bien répondu à un défi sanitaire qui a débordé les capacités de riposte des sociétés et des gouvernements. Brésil, Mexique, Argentine, Pérou, Colombie, Chili, Équateur sont tout en haut de la liste des pays les plus touchés par la crise sanitaire et ses retombées économiques et sociales. Il suffit de lire les indicateurs : le nombre de victimes mortelles est parmi les plus élevés, le taux de chômage est en extension, l’informalité a progressé, comme la pauvreté, la croissance a chuté, tout comme la consommation intérieure et les exportations.

Déjà en flux politique tendu, les États ainsi bousculés, glissent vers un vivre ensemble de plus en plus précaire. Faute d’avoir la capacité, et la volonté, de répondre aux défis posés par la crise économique et sociale, qui préexistait à une pandémie qui l’a aggravée, les démocraties sont à la peine. Dans le meilleur des cas les électeurs sanctionnent les sortants. De plus en plus souvent ils prennent la rue, comme on l’a vu au Chili, en Colombie, en Equateur fin 2019, et plus récemment au Guatemala et au Pérou. Voire la route pour chercher un éventuel salut personnel à l’étranger comme les migrants d’Amérique centrale et du Venezuela, qui ont abandonné leurs foyers par centaines de mille. Plus grave, certains dirigeants n’hésitent plus à manipuler l’ordre institutionnel, afin de bloquer les compteurs d’alternances possibles, et éviter d’avoir à rendre des comptes. Le phénomène est universel, touchant des présidents dits de droite, au Brésil, en Colombie, au Guatemala, au Salvador ou classés à gauche comme au Nicaragua et au Venezuela.

Le contexte international n’a jusqu’ici pas permis d’apaiser ces dérives. Et même au contraire. Portés par les angoisses, plus que par les convictions citoyennes, les dirigeants conservateurs ont constitué en 2017, une sorte de Sainte Alliance, le Groupe de Lima. Ce réseau collectif de certitudes ultra-libérales, coalise leurs efforts destinés à réduire la perpétuation de gouvernants attachés au rôle régulateur de l’Etat. Le Venezuela, principal pays ciblé, a réagi en jouant sur la même gamme. Il a verrouillé toute option alternative, politisant la justice, modifiant le code électoral, donnant le pouvoir législatif à une chambre aux ordres, s’imposant à l’Assemblée nationale oppositionnelle élue en 2015.

Chacun des camps s’est cherché des parrains extérieurs puissants. Le Groupe de Lima a été adoubé par un président des États-Unis, décidé à reprendre la main en Amérique latine à n’importe quel prix éthique. Il a usé sans fard de la puissance commerciale, économique, et financière de son pays. L’habillant de discours diabolisant l’adversaire en communiste, chaviste, castro-chaviste, socialiste et à l’occasion mariant l’un ou l’autre de ces qualificatifs, dont l’énoncé aurait valeur d’argument. Ainsi cornaqué le concert des nations conservatrices latino-américaines, est parti à l’assaut : Appels au soulèvement lancé aux généraux vénézuéliens, tentative de forcer les frontières du Venezuela, reconnaissance comme chef d’État d’un personnage démocratiquement fluctuant, Juan Guaido, démontage du cadre diplomatique multilatéral, de la Celac à l’Unasur. Toutes choses encouragées par les États-Unis qui ont donné le « La » et soutenues par une chorale européenne -Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni – acceptant de suivre la partition signalée par la Maison Blanche. Caracas, La Havane, ont réagi en se tournant vers les rivaux globaux, technologiques et commerciaux des États-Unis, la Chine, et la Russie. Cuba, Nicaragua mais surtout Venezuela, ont été pris dans une nouvelle dialectique des blocs, prenant au fil des mois des engagements énergétiques, économiques, financiers, technologiques et parfois militaires, avec Moscou et Pékin, recomposant un bras de fer à la mode « Est/Ouest », subi plus que voulu, à la différence de celui des années 1950/1980.

Ces dérives menaçant l’ordre démocratique et la coexistence pacifique interaméricaine, bien que préoccupantes, n’ont rien d’inéluctable. La fin de règne rocambolesque en hors jeu démocratique du président des États-Unis, Donald Trump, pourrait débloquer la voie d’un vivre ensemble écorné, à l’intérieur des pays comme dans leurs relations mutuelles. Les années Obama avaient permis d’aller dans cette direction. Joe Biden, nouveau premier magistrat des États-Unis était alors son vice-président. Il suffit ici de rappeler la normalisation des relations entre Washington et La Havane, le soutien de Barrack Obama aux négociations de paix entre les autorités colombiennes et les FARC, ainsi que la collégialité nouvelle au sein de l’OEA.

Les lignes diplomatiques bougent. L’Europe prend ses distances avec Washington. En dépit des ambiguïtés du président français s’exprimant en anglais devant un drapeau des États-Unis, pour condamner les dérives illibérales de Donald Trump, les Européens, avec Angela Merkel, ont affirmé leurs différences. Juan Guaido n’est plus reconnu président du Venezuela. En Amérique latine, les nouveaux gouvernants d’Argentine, de Bolivie, et du Mexique ont suspendu toute participation significative aux activités du Groupe de Lima. Le président mexicain a rappelé la nécessité de redonner un sens effectif à la non-ingérence, au respect des souverainetés pour conforter les principes de paix collective et de démocratie.

Ce contexte naissant, sortant les Amériques d’intolérances croisées, pourrait apaiser les relations mutuelles et rendre aux « huit plaies » structurelles signalées par Pierre Salama, la priorité qui aurait dû rester la leur en ces temps successifs de crise économique et de crise sanitaire. La nouvelle feuille de route des gouvernants, a depuis longtemps été mise noir sur blanc par bien des observateurs. Les argentins, par exemple, Mario Rapoport et María Cecilia Miguez : en synthèse, ont-ils écrit en 2015, il faut construire une architecture (…) nationale et régionale fondée à l’international, sur la plus grande indépendance économique, le refus des hégémonismes, la non-intervention et le règlement pacifique des différends, et au sein des États l’édification de sociétés plus justes, combinant croissance et meilleure distribution des richesses, afin de renforcer la démocratie représentative[2].

 

[1] Pierre Salama, « Contagion virale, Contagion économique, Risques politiques en Amérique latine », Vulaines-sur-Seine, Ed. du Croquant, 2020, p 10

[2] Mario Rapoport, Maria Cecilia Miguez, Desafios y ejes para una inserción internacional autonoma de la Argentina y América del Sur en el escenario mundial, in José Briceño Ruiz, Alejandro Smimonoff, « Integración y Cooperación Regional en América Latina, Buenos Aires, Biblos, 2015 pp 143/162

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