You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 2 days ago

La croissance élitiste : proposition d’un nouvel indice sur les inégalités

Tue, 08/12/2020 - 21:00

La croissance élitiste[1] est un phénomène caractérisé par la capture des richesses par une minorité dominante. Une réalité croissante dans le monde qui provoque des fractures sociales et des soulèvements multiples : augmentation du prix du pain au Soudan, ras-le-bol de la classe moyenne en France symbolisé par les gilets jaunes, mouvement End Special Anti-Robbery Squad au Nigéria. Le phénomène de croissance élitiste est désormais un facteur d’exacerbation de la violence et de reconfiguration de la géographie de la colère sociale dans le monde. Des mouvements de contestation en Algérie[2] au Chili frappé par une grogne liée aux inégalités socio-économiques[3], en passant par le Liban marqué en 2019 par les manifestations violentes des écoliers et des étudiants contre les dirigeants politiques[4], le phénomène élitiste constitue un indicateur de l’ancrage des frustrations et du choc inégalitaire dans un univers où les élites développent une idéologie capitaliste centrée sur l’accumulation des richesses à tout prix.

La présente réflexion s’intéresse au triptyque « Elite-Domination-Croissance économique », faisant ressortir l’ingénierie que les élites mobilisent, dans les sociétés contemporaines, pour asseoir leur domination et conserver leurs privilèges. La démarche mise en perspective dans cette étude vise à comprendre comment les élites mettent en place une batterie de techniques repérables, visant à orienter la croissance économique dans une direction qui leur permette d’asseoir leur domination et position de rente afin de capturer les fruits de la croissance. Sous cet angle, la croissance élitiste peut-être définie comme « l’ensemble des combinaisons de comportements économiques, politiques et socioculturels qui génèrent une richesse dont la répartition renforce les inégalités et les positions de rente de l’élite dominante »[5].

Un modèle de croissance générateur des fractures sociales

Pour mieux comprendre les effets pervers de la croissance élitiste, il est pertinent de mettre en perspective le lien causal qui existe entre le développement du capitalisme et les inégalités croissantes. En effet, si le capitalisme a contribué à réduire les inégalités entre les grandes régions du monde comme le soulignent certains experts, ce dernier se trouve de nos jours dans une situation de crise avec des conséquences sociales inqualifiables. La décennie 1980 coïncide particulièrement non seulement avec le virage libéral que prennent certains pays anglo-saxons, mais aussi l’accélération structurelle du processus de mondialisation. Environ 1% des plus riches ont profité deux fois plus de la croissance des revenus que les 50% des plus pauvres [6]comme le confirme le rapport sur les inégalités mondiales 2018. En Europe, la part du revenu national perçue par les 10% les plus riches est passée de 32% en 1980 à 37% en 2016. Aux États-Unis, au cours de la même période, cette part est passée de 35 à 47% et en Chine de 28 à 41%. En termes de possession du patrimoine, la répartition est encore plus frappante, les plus pauvres ne possédant qu’environ 5% du patrimoine total, y compris dans les sociétés plus égalitaires du type des pays nordiques[7].

En plus des inégalités de patrimoine et fiscales qu’il entretient, le capitalisme surexploite les ressources naturelles avec pour corollaire les changements climatiques. En réalité, d’après Global Footprint Network (GFN), le système économique capitaliste « utilise actuellement les ressources écologiques 1,75 fois plus vite que les capacités de régénération des écosystèmes»[8]. Cela a des conséquences négatives sur l’empreinte écologique qui correspond à la surface terrestre disponible pour la production des biens et services consommables et pour l’absorption des déchets que l’humanité produit.

Un phénomène amplifié par les conséquences économiques et sociales du Covid-19

Selon la Banque mondiale, le Covid-19 pourrait entraîner 150 millions de personnes supplémentaires dans l’extrême pauvreté d’ici 2021[9]. Dans les pays émergents et les pays en développement, cette crise sanitaire risque de remettre en cause certains progrès et accélérer le creusement des inégalités entre les riches et les pauvres. Pour mesurer la profondeur du phénomène de croissance élitiste dans un contexte donné, la présente réflexion propose l’élaboration de l’indice de croissance élitiste (ICE), indice composite centré sur trois principales dimensions (économiques, social et politique) adossées sur quatre composantes à savoir la pauvreté et les inégalités, le partage équitable de la richesse créée, l’accès aux opportunités économiques et à l’inclusion sociale, l’état de droit et enfin, la redevabilité et la corruption. Chacune des composantes et dimensions englobe des aspects pertinents de la croissance susceptibles de la rendre inclusive et partagée.

Les indicateurs permettant de mesurer les principales composantes sont notamment l’indice de Gini, l’indice de développement humain (IDH), le taux de chômage, la proportion des impôts, la part des salaires et revenus du travail dans le PIB, la part des ressources affectées à l’éducation et le taux d’achèvement du cycle éducatif primaire (pour l’inclusion sociale et les opportunités économiques), le contrôle de la redevabilité, de la corruption et de l’état de droit.

Dans le présent article, elles ont été prises en considération pour illustrer le fonctionnement de l’ICE. À cet effet, la Chine, le Pakistan, le Sénégal et la Norvège ont servi d’échantillon.

En nous projetant sur la période 2010 à 2018 et en mobilisant onze indicateurs, la normalisation a été faite pour que chaque indicateur ait une valeur comprise entre 0 et 1 avec 0 comme la pire des situations et 1 la meilleure. Ainsi, les valeurs de l’indice de croissance élitiste vont varier entre 0 et 1. Plus la valeur calculée de l’indice est proche de 0, plus la richesse produite est capturée par l’élite. En lisant les sous-indices, il en ressort qu’une petite frange de la population a accès aux moyens de production et aux services de base, que les travailleurs perçoivent juste une faible proportion de la richesse créée en termes de salaires et autres rémunérations. Aussi constate-t-on que les plus riches payent peu d’impôts directs, que la justice n’est pas équitable et que la corruption n’est pas suffisamment combattue. En revanche, plus les valeurs calculées se rapprochent de 1, plus la société est équitable et la richesse créée distribuée selon plus de justice sociale. L’analyse des données montre des variations significatives entre 2010 et 2018 dont 1 point pour le Pakistan et la Norvège, 5 points pour le Sénégal et 7 points pour la Chine.

Pour les deux pays affichant les bonnes performances, il ressort globalement que l’amélioration du système de gouvernance contribue à l’amélioration de l’indice, suivi des efforts en matière de réduction de la pauvreté et des inégalités via une redistribution plus équitable de la richesse créée.

Les perspectives liées aux impacts de la croissance élitiste

En termes de perspectives, cet indice pourrait être calculé pour l’ensemble des pays du monde selon la disponibilité des données afin de faciliter les comparaisons avec d’autres indicateurs comme l’IDH dans le but de renforcer sa robustesse. De même, d’autres dimensions importantes comme la gestion des ressources naturelles et les éléments environnementaux pourraient être intégrés à l’indice pour renforcer sa transversalité. En effet, l’extraction de pétrole, de gaz et de minerais ou l’exploitation des ressources forestières est l’une des entreprises les plus politiquement, socialement et économiquement complexes du développement. Elle permet d’assouvir en grande partie la demande d’énergie et de matières premières. Elle produit les intrants nécessaires à la fabrication de presque toute production industrielle, mais elle contribue à l’un des défis les plus fondamentaux de l’histoire humaine : le changement climatique qui affectera encore davantage les plus vulnérables[10] (HDR, 2019).

Avec l’introduction en 1990 de l’indice du développement humain (IDH) du PNUD, pionnier dans le domaine, la mesure des inégalités a connu une réelle avancée avec une définition plus large du bien-être humain et la mise en place d’une mesure composite qui, en plus de la variable traditionnelle qu’est le revenu, intègre l’espérance de vie et l’éducation. L’introduction de l’ICE avec la prise en compte des autres dimensions comme l’accès aux opportunités économiques et à l’inclusion sociale, l’état de droit, la redevabilité et la corruption ainsi que la dimension environnementale permet de franchir un nouveau cap pour une compréhension plus fine et exhaustive des inégalités. En somme, l’ICE est incontestablement un indicateur transdisciplinaire (sociale, économie, politique), trans géographique et trans idéologique.

—————————-

[1] Jean-Luc Stalon est l’auteur de l’Indice de croissance élitiste (ICE)

[2] Cf. Olivier BERGER, « Mouvement de contestation en Algérie: un an après, le Hirak résiste toujours », La Voix du Nord, du 21 janvier 2020, consulté le 16/10/2020.

[3] Cf. « La contestation continue au Chili, trois mois après le début du mouvement », Euronews, du 18 janvier 2020, consulté le 14/09/2020.

[4] Cf. « Au Liban, le mouvement de contestation entre dans sa quatrième semaine », Le Monde, du 07 novembre 2019, disponible in, consulté le 16/10/2020.

[5] Cf. Jean-Luc STALON, « La croissance élitiste », in La tribune Afrique, consulté le 08 janvier 2020.

[6] Cf. Rapport du World Wealth and Income Database, 2017.

[7] Thomas Piketty, « La planète est traversée par de multiples fractures inégalitaires, que la pandémie va encore aggraver », Le Monde, 14 novembre 2020.

[8] Cf. « L’humanité a déjà épuisé les ressources de la planète pour l’année », Radio Canada, du 31 juillet 2019, disponible, consulté le 02/11/2020.

[9]Communiqué de presse de la Banque mondiale du 7 octobre 2020.

[10]  UNDP Human Development Report 2019.

J’ai lu… On a tous un ami noir, de François Gemenne

Tue, 08/12/2020 - 19:45

Dans son dernier ouvrage « On a tous un ami noir » – paru chez Fayard en septembre 2020 – François Gemenne rend un hommage à Nadine Morano et s’attache à déconstruire les idées reçues sur les questions migratoires. Un ouvrage nécessaire et éclairant qu’analyse Pascal Boniface dans cette vidéo.

Les mémoires de Barack Obama (2/5) : un patriotisme lucide donc critique

Tue, 08/12/2020 - 17:06

Dans cette série de cinq articles, Pascal Boniface aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, « Une terre promise », parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

Barack Obama est profondément patriote. Il croit en l’Amérique, il croit dans ses vertus et dans le caractère pionnier et fondateur de cette nation qui donne sa chance à tout le monde. Son patriotisme a été remis en cause parce qu’il est métis et que pour certains, voir un métis, un noir à la Maison-Blanche est inadmissible. Les mêmes n’ont donc cessé de remettre en cause le fait même qu’il soit né aux États-Unis et qu’il ait pu être élu – si on ne nait pas aux États-Unis, on ne peut être élu à la fonction suprême. Donald Trump avait d’ailleurs été l’un des premiers à inventer le mythe autour du lieu de naissance de Barack Obama.

Son opposition à la guerre d’Irak était également présentée par certains comme un manque de patriotisme. Il était accusé de ne pas être assez dur avec les régimes « ennemis des Américains ». Or, en constatant la catastrophe qu’a été la guerre d’Irak pour les États-Unis, c’est plutôt Obama qui avait raison. Être patriote ne signifie pas toujours suivre la ligne majoritaire et le courage en politique appelle parfois à aller à contre-courant. Et cela peut être au bénéfice des États-Unis : qui peut contester le fait que les États-Unis ont été bien plus populaires sous Obama que sous Bush ? Il est clair que le patriotisme de Barack Obama ne peut être remis en cause.

Il évoque également dans ses mémoires, dans de longs passages, ses visites aux soldats, les lettres que les soldats blessés ou mutilés lui envoyaient et les problèmes de conscience que lui posait à chaque fois l’idée d’avoir envoyé des jeunes Américains dans la force de l’âge aller se faire tuer ou mutiler dans une guerre inutile.

C’est justement parce qu’Obama est un vrai patriote américain qu’il peut être aussi critique lorsque son pays s’écarte des règles qu’il a lui-même fondées, des principes qu’il a lui-même proclamés. Dès la préface du livre, il pose explicitement la question : « Nous soucions-nous de faire coïncider la réalité de l’Amérique avec ses idéaux ? Si tel est le cas, croyons-nous vraiment que nos principes – autodétermination, libertés individuelles, égalité des chances, égalité devant la loi – s’appliquent à tout à chacun ? Ou tenons-nous en pratique si ce n’est en théorie à préserver ces grandes idées à quelques privilégiés ? »

Il poursuit « Le monde observe donc l’Amérique la seule grande puissance de l’histoire constituée de personnes venues des quatre coins de la planète, comprenant toutes les races, religions et pratiques culturelles pour voir si notre expérience en matière de démocratie peut fonctionner, pour voir si nous pouvons faire ce qu’aucune autre nation n’a jamais fait, pour voir si nous pouvons nous hisser à la hauteur de notre conviction. »

Bien sûr, cela n’a pas toujours été le cas : Obama rappelle par exemple comment les pays africains notamment, auquel les États-Unis et le FMI ont donné des leçons de bonne gestion, desquels ils ont exigé une réduction des dépenses publiques, ont pu porter un regard plus négatif sur l’Amérique après le grand crash économique de 2008-2009, symbole de la folie de la bourse américaine, des Subprimes, de la gourmandise de Wall Street, qui ont jeté non seulement des millions d’Américains, mais également des dizaines de millions de personnes dans le monde dans la misère.

Il critique l’état d’esprit à Washington de l’ère Bush « l’état d’esprit qui voyait des menaces à tous les coins des rues tirait une fierté perverse de son unilatéralisme et considérait l’action militaire comme une manière presque ordinaire de régler les situations géopolitiques. » Revenant sur la guerre froide, il écrit « Mais hélas, nous avons pris des aspirations nationalistes pour des complots communistes, confondu intérêts commerciaux et sécurité nationale, sabordé des gouvernements élus démocratiquement et pris le parti d’autocrates chaque fois que nous y serions à notre avantage ». Il ne faut pas oublier qu’Obama a vécu en Indonésie où un coup d’État au nom de la lutte contre le communisme a fait des centaines de milliers de morts. Il condamne bien sûr les multiples ingérences américaines dans les affaires des autres pays en écrivant « nous nous mêlions des affaires des autres pays avec des résultats parfois catastrophiques. Nos actes ont souvent été en contradiction avec les idéaux de démocratie et d’autodétermination dont nous nous revendiquions. »

Obama est animé d’un patriotisme conséquent : il a appris que s’il voulait porter haut et loin les couleurs de son pays, il fallait également tenir compte les aspirations des autres peuples. Comment expliquer cela ? Il le dit lui-même : « Exister, être entendu, avoir une identité propre, reconnue et jugée digne d’intérêt. Il me semblait que c’était un désir universel aussi fort chez les nations et les peuples que chez les individus. Si je comprenais mieux cette vérité élémentaire que certains prédécesseurs, c’était peut-être parce que j’avais passé une grande partie de mon enfance à l’étranger et que j’avais de la famille dans des endroits longtemps considérés comme arriérés et sous-développés ou que, étant afro-américain, je savais ce que cela signifiait d’être partiellement invisible dans son propre pays. »

Dans un pays comme les États-Unis – mais dans d’autres également – où très souvent les principes affirmés sont éloignés de la pratique suivie dans la politique réelle, ces paroles d’Obama sonnent haut et fort, et témoignent qu’être patriote, vouloir défendre l’intérêt national, ce n’est pas forcément vouloir écraser les autres, pas seulement vouloir ne jamais prendre en considération les intérêts et les aspirations des autres nations. C’est aussi en les respectant que l’on développe le mieux l’international de son propre pays.

Les mémoires de Barack Obama (1/5) : un parcours hors du commun

Mon, 07/12/2020 - 18:25

Dans cette série de cinq articles, Pascal Boniface aborde au fil de l’eau les mémoires de Barack Obama, Une terre promise, parues aux éditions Fayard le 17 novembre 2020.

Ce gros pavé de 840 pages est d’une lecture exigeante, mais jamais ennuyeuse. On entre vraiment au cœur de la Maison-Blanche : des tractations politiques aux difficultés à faire passer une loi, des négociations sans fin au parcours personnel de l’ancien Président, l’ouvrage est absolument passionnant.

Les mémoires sont généralement plutôt publiées pour chanter les louanges de celui qui les écrit. Barack Obama ne déroge pas à la règle et cherche à convaincre, à montrer comment il a essayé de changer les États-Unis. Mais la part de sincérité est supérieure à la moyenne de ce type d’exercice.

On imagine aisément le caractère tout à fait particulier dont il doit être doté pour être devenu président des États-Unis. Son père, de nationalité kenyane, a rapidement quitté sa mère après sa naissance. Celle-ci a eu deux enfants avec deux personnes différentes et qui n’appartenaient pas au même groupe ethnique et racial qu’elle. C’était donc une femme de caractère, surtout pour l’époque. Barack Obama a passé son enfance à Hawaï puis en Indonésie. Il a donc dès les premières années de sa vie été sensibilisé aux enjeux de la diversité. Il reconnait qu’il a eu une adolescence pas tout à fait focalisée sur le travail, qu’il aimait bien faire la bamboche. Il s’est ensuite mis au travail, est devenu travailleur social à Chicago et a rencontré sa femme Michelle.

Il aborde évidemment la question de sa vie de famille avec sa femme et ses deux filles. Nombreux sont les hommes politiques qui mettent en avant leur amour des valeurs familiales dans un objectif électoral alors qu’elles sont loin de constituer une priorité pour eux. Chez Barack Obama, on sent une réelle sincérité : tout au long de son parcours, y compris à la Maison-Blanche, Barack Obama a toujours eu pour priorité de protéger sa vie familiale, sa relation avec ses enfants. Ainsi, il interrompait quotidiennement sa journée de travail à 18h30 pour dîner avec ses filles et Michelle pour maintenir avant tout un équilibre familial.

On connaît le charisme d’Obama, on connaît son intelligence hors norme. Ce qui frappe aussi c’est son courage. Alors qu’il n’est pas encore élu sénateur, mais simplement élu à la Chambre de l’Illinois, il s’oppose à la guerre d’Irak dès 2002. S’opposer à la guerre d’Irak tout en s’appelant Barack Hussein Obama, en étant métis et régulièrement soupçonné de ne pas être tout à fait Américain dans l’ambiance ultra patriotique, chauvine et nationaliste de l’époque, est on ne peut plus courageux en plus d’être lucide.

Lors de la campagne des primaires démocrates qui va conduire à sa désignation en tant que candidat, il n’est au départ pas du tout favori, c’est vraiment une surprise qu’il puisse remporter la nomination. Il est alors interrogé sur le fait de savoir s’il accepterait de rencontrer des dictateurs, des despotes comme Castro ou le leader nord-coréen. Barack Obama répond par l’affirmative, estimant qu’il faut pouvoir négocier avec quelqu’un avec qui on est en désaccord. Hillary Clinton, son opposante de l’époque, et tout le camp, y compris démocrate, favorable à l’hégémonie libérale lui tombe dessus en dénonçant sa naïveté et en affirmant qu’il ne serait ainsi pas en mesure de défendre les États-Unis.

Tout au long du livre, Barack Obama constate et s’interroge sur les difficultés auxquelles il a été confronté pour faire passer des réformes et réussir à dépasser les blocages politiques sans trahir ses idéaux. La question qui l’occupe principalement lors de son mandat est celle de savoir comment améliorer la vie des citoyens, raison pour laquelle il a été élu pour cela. Il est élu sur un programme social dont fait partie l’Obamacare, mais aussi pour sortir le pays de la profonde crise économique déclenchée en 2008. Il admet d’ailleurs que c’est au moment où la crise est survenue que les choses ont basculé en sa faveur contre McCain.

Lorsque le 9 octobre 2009, tôt le matin, Barack Obama est réveillé à 6 heures du matin par son assistant qui lui annonce qu’il vient de remporter le prix Nobel de la paix, Barack Obama l’interroge d’un « Pourquoi ? ». Effectivement, lui-même sent que c’est prématuré, mais cette distinction témoigne des immenses espoirs qu’il avait soulevés parce qu’il voulait mettre fin aux guerres déclenchées par George Bush, même s’il n’a pas pu appliquer tout son programme en la matière.

Son combat pour le climat est également un passage important, j’y reviendrai. Il raconte dans les détails le sommet de Copenhague de 2009 et les tractations entre les pays sur les sujets climatiques. Il écrit à ce propos « le réchauffement climatique est un problème face auquel les gouvernements sont notoirement mauvais, car il exige la mise en œuvre immédiate de politiques neuves, coûteuses et impopulaires afin de prévenir des crises futures. » Et cela résume finalement tout le dilemme d’Obama qui fut plutôt un président du « long terme », mais qui dut faire face à des contraintes de court terme concernant le climat, l’Obamacare ou encore les conflits extérieurs.

En période de confinement, cet ouvrage, qui constitue une réflexion profonde à la fois sur l’homme et sur la société, l’ouvrage d’un homme d’État qui a dû faire face à de nombreuses contraintes et difficultés, est extrêmement stimulant intellectuellement.

 

Cyberespaces et cyberattaques en temps de Covid-19

Mon, 07/12/2020 - 17:40

Les cyberattaques sont devenues, depuis quelques années, l’objet d’une nouvelle lutte pour les États, au même titre que celles contre le terrorisme. À l’heure où la crise du Covid-19 pousse à utiliser encore plus le monde du numérique, les cyberattaques atteignent et opposent plus que jamais les États. Entretien avec Charles Thibout, chercheur associé à l’IRIS.

Les crises entraînent souvent une recrudescence des cyberattaques. Qu’en est-il de la crise du Covid-19 ?

L’ampleur de la crise actuelle, par ses effets sur les systèmes sociaux et politiques, tend à saturer les consciences et, ce faisant, occulte des problèmes antérieurs qui ne se sont pas éteints avec elle. C’est bien entendu le cas des cyberattaques. Le fait est que les individus, les entreprises, et même les États et les organisations internationales ont leur attention monopolisée par la crise sanitaire, ce qui accroît leur fragilité. Entre janvier et avril 2020, Trend Micro, une société de sécurité informatique japonaise, a relevé 907 000 spams, 737 incidents liés à des malwares et 48 000 URL malveillantes en rapport avec la pandémie dans le monde. Cette tendance s’est très fortement accrue au cours du deuxième trimestre 2020. Malgré un net ralentissement du rythme des attaques depuis juillet, la même société a répertorié plus de 3 millions d’attaques par mail, plus de 15 000 malwares et plus de 1 million d’URL malveillantes au troisième trimestre 2020. D’après un rapport d’Interpol, qui évalue la portée des attaques au début de la crise, les attaques en lien avec le Covid-19 se sont multipliées depuis le début de la crise : les principales menaces sont venues des attaques de phishing (59%), suivies des malwares et ransomwares (36%), des noms de domaine malveillants (22%) et des opérations de subversion (14%). Les attaques ont évolué au fil des mois. Désormais, les attaques de phishing représentent près de 79% des attaques, contre 8% pour les noms de domaines frauduleux.

On comprend très bien l’intérêt de ces attaques dans de telles circonstances : l’inquiétude légitime des personnes et des organisations, de surcroît dans un contexte de massification du télétravail, a plus facilement permis aux attaquants de se faire passer pour des institutions officielles (ministères de la Santé, OMS…), en créant des noms de domaine frauduleux ou en envoyant des mails de phishing à partir de fausses adresses pour obtenir des données d’identification, des mots de passe, transmettre des pièces jointes pour exploiter des vulnérabilités, etc.

Les annonces des différents gouvernements ont également appuyé ces attaques, par exemple, en promettant des exonérations fiscales exceptionnelles, ce qui a plus facilement permis aux criminels d’escroquer leurs victimes en imitant des sites gouvernementaux ou en reproduisant des applications pour détourner des fonds ou récolter des données personnelles. Sans parler des attaques qui se sont multipliées contre les infrastructures critiques et les organisations d’importance vitale, comme les hôpitaux : dans ce cas de figure, les organisations victimes d’un ransomware ont souvent été contraintes de payer la rançon, simplement parce que la vie de personnes était en jeu.

Quels États se montrent les plus « agressifs » sur la scène géopolitique en matière cyber ? Quels rapports géopolitiques dans cette recrudescence des actes cyber ?

Il est toujours extrêmement difficile d’attribuer une attaque, d’identifier l’acteur ou les acteurs qui sont derrière. Si bien que l’on n’a jamais identifié formellement les personnes ou les organisations à l’origine des attaques recensées depuis le début de la pandémie. Les rivaux traditionnels, Chine et États-Unis en tête, continuent de s’accuser mutuellement : l’Australie, l’Inde et les États-Unis accusent la Chine, qui accuse l’Inde et les États-Unis en retour, etc. De fait, les antagonismes internationaux n’ont pas cessé avec la crise sanitaire : il faudra simplement plus de temps et de recul pour savoir, si cela est possible, qui a lancé ces attaques. Si l’on verse dans l’exégèse sauvage, eu égard au peu d’informations fiables dont nous disposons, nous participerons peut-être à notre insu aux opérations de désinformation que d’aucuns lancent à l’heure actuelle.

Toutefois, il est fort probable que la numérisation accrue et brutale des activités en lien avec la pandémie est en train d’élargir considérablement la surface d’attaque d’États, de cybercriminels ou de « proxies », c’est-à-dire des « corsaires » travaillant au service d’États auxquels ils sont plus ou moins liés. Par ailleurs, le cyberespace étant un champ de confrontation à part entière, il continuera, sans doute de façon plus sensible, à refléter les rapports de force existant dans la sphère physique. Espionnage, sabotage et subversion ont leur pendant dans le domaine cyber ; il ne faut pas y voir une aire conflictuelle déliée des enjeux du monde physique.

Le cyberespace sert-il les fake news ?

Internet est un espace de démocratisation de (l’accès à) l’information, d’accélération des communications, d’amplification de la portée des messages – les fausses informations y compris. Le fait est que, ces dernières années, d’importantes manifestations de défiance à l’égard des gouvernants (France, Liban, Algérie, Chili…) et des médias ont montré que les informations officielles n’étaient plus reçues aussi aisément que par le passé. En parallèle, les canaux et les sources d’information se sont démultipliés avec, de toute évidence aussi, son lot de propagandes diverses, de théories du complot et de mensonges. À mon sens, le cyber n’introduit essentiellement rien de nouveau à cet égard ; son originalité réside bien davantage dans la portée de ces informations de qualité inégale, liée au caractère fondamentalement acentré, horizontal et quasi universel d’Internet, même si des gouvernements et de grandes entreprises tentent, avec plus ou moins de succès, de remettre en cause ce fonctionnement pour en revenir aux modèles centralisés qui avaient cours lorsque la télévision était le principal organe d’information, vertical par nature puisqu’il s’agit d’un mode unilatéral de diffusion de l’information.

Avec le Covid-19, les États se sont trouvés face à une crise d’ampleur inédite qu’ils n’avaient pas anticipée et qu’ils ont gérée plus ou moins maladroitement. À telle enseigne que, comme cela a été maintes fois établi, les gouvernants ont menti aux gouvernés, en partie parce qu’il en allait de leur légitimité – d’autant que les coordonnées politiques des sociétés occidentales tendent à assimiler le gouvernant à un expert, un « sachant ». Cette image, déjà fort érodée, s’est effondrée, ce qui a nourri la défiance envers la parole et l’action publiques et accru, ce faisant, la caisse de résonnance des (sources d’)informations alternatives, qui ont trouvé dans les plateformes en ligne des chambres d’écho particulièrement efficaces. Les diverses initiatives tendant à endiguer cette démocratisation de l’information, voire l’information tout court, sont le symptôme par excellence de cette défiance.

—————–

Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

 

Conflit en Éthiopie : un risque d’embrasement pour toute la Corne de l’Afrique ?

Fri, 04/12/2020 - 18:00

 

L’Éthiopie connaît actuellement des revendications sécessionnistes risquant de faire imploser l’unité du pays. Abiy Ahmed, le Premier ministre éthiopien, a beau revendiquer la victoire dans la guerre qu’il mène depuis un mois contre le pouvoir dissident de la région du Tigré, le conflit semble s’enliser. Avec un risque d’embrasement pour toute la Corne de l’Afrique si la situation n’était pas contenue. Le point sur la situation avec Gérard Grizbec, chercheur associé à l’IRIS.

Pouvait-on anticiper le conflit qui secoue actuellement l’Éthiopie ? Quelle analyse des causes peut-on dresser ?

L’histoire n’est jamais écrite, mais on pouvait craindre une crise de ce type tant les tensions sont vives entre les Tigréens et le gouvernement fédéral éthiopien depuis l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed en 2018. Ainsi l’an dernier le chef d’état-major des armées, originaire du Tigré, a été assassiné par son garde du corps à Addis Abeba dans des conditions obscures. Le même jour, une autre attaque a eu lieu contre des dirigeants de la région Amhara. Abiy Ahmed avait alors dénoncé une tentative de coup d’État. Cette fois, les deux parties se sont engagées dans une épreuve de force sans chercher à trouver une sortie politique. Des élections générales devaient avoir lieu en mai dernier. Elles ont été repoussées en août pour cause de Covid-19, puis repoussées encore à 2021. Jugeant la raison du report non fondée, le TPLF, le front de libération des peuples du Tigré, a organisé seul les élections dans l’État régional du Tigré en septembre, remportant tous les sièges. Dès lors le gouvernement a déclaré le scrutin illégal et le leader du TPLF, Debretsion Gebremichael, a jugé Abiy Ahmed illégitime, ayant dépassé la durée de son mandat depuis le mois d’octobre. Avec cette excommunication réciproque, la messe était dite. La guerre dure maintenant depuis le 4 novembre et même si l’armée éthiopienne est entrée dans Mekele, la capitale du Tigré, rien n’est réglé, bien au contraire.

Les Tigréens ne représentent que 6% de la population éthiopienne, sur un territoire grand comme l’Autriche, mais le TPLF, créé en 1975, a joué un rôle essentiel dans la chute de la dictature de Mengistu Haile Mariam, en 1991. Meles Zenawi est alors porté au pouvoir par une coalition, mais très vite le FPLT prend le dessus. Lui-même Tigréen, Meles Zenawi va favoriser les siens durant plus de 20 ans, jusqu’à sa mort en 2012. Aucun poste important ne va échapper au FPLT, quel que soit le domaine : politique, militaire ou économique. L’Éthiopie donne alors l’impression d’être une extension du Tigré… Il est vrai que ce peuple se vit comme l’âme du pays avec son passé prestigieux : le Royaume d’Aksoum a donné le nom d’Éthiopie dès le IVe siècle. Jusqu’au VIIe siècle, ce royaume devenu empire couvrait un vaste territoire incluant l’Éthiopie, l’Érythrée, la Somalie, le Soudan, l’Égypte, le Yémen et l’Arabie saoudite. Autant dire que les Tigréens ont un fort sentiment identitaire. Ils ont su résister aux invasions arabe, perse, mais aussi portugaise et italienne jusqu’au début du XXe siècle.

Peut-on considérer que la question religieuse y joue un rôle important ?

La religion ne joue pas de rôle dans cette crise, mais en revanche les chefs religieux peuvent aider à apaiser les tensions. La religion chrétienne est la plus répandue, l’islam sunnite est la 2e religion. Les relations entre les deux confessions sont plutôt apaisées et les mariages mixtes sont courants. Ainsi, le Premier ministre Abiy Ahmed est protestant, de père musulman et de mère chrétienne. L’islam est resté longtemps cantonné sur la côte avec l’arrivée des Arabes par la mer Rouge. En revanche, le christianisme apparaît dès le Ier siècle, sans doute propagé par des marchands. La conversion du Roi d’Aksoum a lieu au IVe siècle peu de temps après l’empereur Constantin. Le Tigré se vante de détenir l’Arche d’alliance dans une chapelle d’Aksoum, où nul ne peut pénétrer. Ce coffre, selon la tradition, contiendrait les Tables de la Loi données par Dieu à Moïse. Une relique sacrée pour les trois religions monothéistes.

Pendant des siècles, l’Éthiopie chrétienne va vivre isolée, cernée au Nord et à l’Est par le monde musulman. À tel point que lorsque les Croisés arrivent à Jérusalem au XIIe siècle, ils apprennent qu’il existe un pays chrétien, de l’autre côté du « monde musulman ». Ce n’est qu’au XIVe siècle que des représentants de l’Église se rendent à Rome et à Avignon. Un lieu de culte leur est attribué, qui existe encore aujourd’hui, derrière la basilique Saint-Pierre : Santo Stefano dei Mori (des Maures).

Du fait de son long isolement, l’Église éthiopienne est restée indépendante et a gardé un lien très fort avec l’Ancien Testament. Par exemple, elle pratique la circoncision, le Shabbat et les interdits alimentaires. C’est une religion orthodoxe autocéphale depuis 1948, date de sa séparation de l’église copte orthodoxe d’Égypte. Son patriarche, Abune Mathias, est Tigréen, il entretient de bonnes relations avec le Vatican. Les catholiques ne représentent que 1% de la population. Il existe aussi une communauté protestante (18% de la population) implantée surtout au sud-ouest du pays.

Le pape François a reçu à Rome Abiy Ahmed en janvier 2019. À l’époque, le Premier ministre éthiopien suscitait beaucoup d’espoir, car il avait signé un accord de paix avec l’Érythrée, ce qui lui a valu le prix Nobel de la paix quelques mois plus tard. L’archevêque d’Addis Abeba a lancé, il y a quelques jours, un appel à la raison, rappelant que le pays n’est sorti qu’en 2000 d’une guerre avec l’Érythrée qui a fait 80 000 morts.

Quelle est la situation actuelle du pays, alors que Abiy Ahmed revendique la victoire dans la guerre qu’il mène depuis un mois contre le pouvoir dissident de la région du Tigré, et que les élections générales sont une nouvelle fois repoussées ?

La guerre dure depuis le 4 novembre. L’armée fédérale est montée au combat avec son artillerie et son aviation. L’accès au Tigré a été interdit aux journalistes, le téléphone et l’électricité ont été coupés. Avant l’offensive, Abiy Ahmed réclamait l’arrestation de 76 dirigeants du FPLT et la livraison des armes détenues par le mouvement. Évidemment, les Tigréens ne pouvaient que refuser. On sait peu de choses sur la situation à Mekele, capitale du Tigré, qui compte 500 000 habitants. Les organisations humanitaires dénoncent des crimes de guerre. 45 000 Tigréens, en majorité femmes et enfants, ont déjà trouvé refuge au Soudan voisin. Avant même cette guerre, au Tigré, 600 000 personnes dépendaient de l’aide humanitaire.

La prise de Mekele a été annoncée par le Premier ministre ; même si l’information se confirmait, ce ne peut être la fin de la guerre. Le FPLT a une longue tradition de guérilla ; selon International Crisis Group, il peut aligner 250 000 combattants, ce qui correspond à peu près aux effectifs de l’armée fédérale éthiopienne. Autant dire que cette guerre risque d’être longue et sanglante. Debretsion Gebremichael, chef du FPLT, mise sur un pourrissement du conflit et les pressions internationales pour faire reculer le gouvernement fédéral. Pour le moment, Abiy Ahmed rassemble l’adhésion des autres communautés, en particulier la sienne, les Oromos, qui représentent 35% de la population, mais aussi les Amharas (25% de la population). Frustrée, humiliée par 20 ans de domination tigréenne, chaque communauté veut prendre sa revanche. Déjà, l’armée fédérale a été purgée de ses éléments tigréens, même à l’étranger, parmi les Casques bleus de l’ONU, et même à l’Union africaine, dont le siège est à Addis Abeba ; le chef de la sécurité de l’organisation a ainsi été limogé. À New York, l’ONU a publié un communiqué s’inquiétant du rapatriement du Sud Soudan et de Somalie de soldats éthiopiens sous uniforme des Nations unies. Certains auraient disparu. D’autres sont restés, mais ont été désarmés, comme en Somalie : les chiffres de 2 à 300 ont été avancés. L’ONU est d’autant plus inquiète que les soldats éthiopiens sont considérés comme les plus efficaces sur le terrain.

Ces dernières semaines, de nombreuses médiations ont été tentées, à commencer par celle du président sud-africain, Cyril Ramaphosa, qui préside en ce moment l’Union africaine, mais aussi les chefs de la diplomatie américaine et française. La Chine suit avec inquiétude l’évolution de la situation, car l’Éthiopie est sa porte d’entrée en Afrique, et est une pièce importante de son projet de « routes de la soie ».

Cette crise est grave, elle aura forcément des conséquences au plan régional : l’Éthiopie est un géant de la Corne de l’Afrique, c’est le pays le plus peuplé du continent après le Nigéria (110 millions d’habitants), avec une superficie égale au double de la France. Il était jusqu’alors un facteur de stabilité régionale, entouré de pays en guerre ou en crise : les deux Soudan à l’Ouest, l’Érythrée au Nord et la Somalie au Sud-Est. Il est le deuxième contributeur mondial de soldats pour les Nations unies. Il subit déjà le plus grand mouvement migratoire interne de la planète, de l’ordre de 3 millions de personnes, qui errent d’une région à l’autre, en raison de la malnutrition et des frictions entre les communautés (on dénombre 80 communautés dans tout le pays). Le risque d’une implosion est possible. Un article de la Constitution permet le droit à la sécession d’une province, mais aucun des belligérants ne le réclame.

Si la guerre devait s’embraser entre les peuples comme dans les années 90 en Yougoslavie, les conséquences pourraient être pires, car la guerre en Yougoslavie était restée circonscrite au pays. Là, toute la Corne de l’Afrique risquerait l’embrasement, aux portes du petit territoire de Djibouti, où sont basés des soldats français, américains et chinois.

Le monde selon Biden

Mon, 09/11/2020 - 17:02

Joe Biden deviendra en janvier 2021 le 46e président des Etats-Unis. Mais que changera l’élection de Joe Biden en termes de relations internationales ? Si on s’attend à ce que le ton change et à ce que la politique du nouveau président américain soit plus multilatéralisme que celle de son prédécesseur, certaines constantes ne changeront pas, dont la rivalité croissante à l’égard de la Chine. L’analyse de Pascal Boniface.

Conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 : au-delà de la crise, des déséquilibres qui se creusent

Mon, 09/11/2020 - 16:05

La pandémie de Covid-19 a conduit pour la première fois dans l’histoire contemporaine à confiner une grande partie de la population mondiale pour limiter autant que faire se peut la propagation du virus. Face au manque d’anticipation et l’impréparation de la plupart des États, ces derniers n’avaient pas d’autres choix pour faire face à une épidémie de ce type. Ils devaient aussi composer avec la multiplication des mouvements sociaux en grande partie liés à l’amplification des inégalités, au déclassement d’une partie de la population et aux injustices sociales qui en découlent partout dans le monde.

Paradoxalement pourtant, il se pourrait bien que tant la pandémie et sa gestion que les conséquences économiques du confinement amplifient encore toutes les problématiques qui prévalaient avant la crise (changement climatique, dettes publiques et privées, poids déterminants de la finance mais aussi écarts entre les classes populaires et ceux qui ont pleinement profité de la mondialisation) sans être réellement priorisées par les pouvoirs publics. Et dans un tel contexte, il est fort possible que le monde d’après retrouve assez vite le chemin de la croissance.

En effet, la réponse politique au Covid-19 et le confinement ont entrainé un double choc économique. Un choc de l’offre dans un premier temps, lorsque la Chine confinée ne pouvait plus assurer ses approvisionnements poussant nombre d’entreprises, partout sur la planète, à réduire voire stopper leurs productions par manque de pièces et composants. Un choc de la demande ensuite, les consommateurs ne pouvant plus consommer comme avant puisque confinés chez eux. L’ensemble des économies ont été affectées et le sont encore puisque la pandémie est loin d’être sous contrôle. Début octobre, le FMI constatait que, depuis le mois de juin, la situation économique s’était encore détériorée et que les pays émergents et en développement apparaissaient les plus fragilisés[1]. Plus de 90 millions de personnes pourraient retomber dans une situation d’extrême pauvreté (moins de 2 dollars par jour pour vivre). Le PIB mondial devrait décroitre de 4,4% en 2020, ventilé par une décrue de 6% pour les économies avancées et de 3,3% pour les économies émergentes. La relative performance des économies émergentes est toutefois faussée par la résistance de l’économie chinoise dont la croissance économique avoisinerait les 2% en 2020. L’Amérique latine verrait un repli du PIB régional dépasser les 8% et l’Inde de plus de 10%. Le continent africain perdrait 3% de son PIB, résistant relativement même si certains pays pourraient connaître des situations plus compliquées, à l’image de l’Afrique du Sud dont le PIB serait en repli de 8%

Pourtant, la reprise de l’économie en Chine, aux États-Unis et même en Europe fut rapide dès l’été et même plus importante qu’initialement prévue. L’économie européenne a par exemple connu un rebond de sa croissance au troisième trimestre atteignant 12,7% et même 18,2% pour la France. Le PIB européen restant toutefois inférieur de 4,3% à son niveau de 2019 à la même période selon les dernières estimations d’Eurostat.

Pour autant, comme pour la première vague, l’économie repartira certainement au fur et à mesure de l’assouplissement des mesures et s’il y a une troisième vague avant que le vaccin ne soit découvert, la même chose sera observée. Peut-être même faudra-t-il s’habituer à vivre avec un tel virus et l’économie s’en accommodera dans une sorte de « stop and go » de la croissance économique et de la courbe du chômage. Il est très probable également que ce confinement et la prise de conscience des importantes dépendances de toutes les économies de la planète aux produits et composants chinois poussent les entreprises, mais aussi les États, à tenter de réduire ces dépendances en relançant certaines productions industrielles. Cela prendra toutefois des années puisqu’au-delà de la relocalisation des productions, se pose la question des compétences et de la formation, mais aussi celle du coût de telles mesures et de leur impact sur la consommation.

La croissance économique retrouvée aura pourtant un goût amer tant elle ne résoudra pas les déséquilibres qui préexistaient avant la pandémie et qui pourraient être encore plus criants après. La pandémie touche en effet une fois de plus des populations déjà marginalisées ou affectées négativement par le mouvement de mondialisation depuis 30 ans. Les politiques tant monétaires que budgétaires reprennent les méthodes éprouvées de relance de la croissance, mais incompatibles en l’état avec la lutte contre le changement climatique ou contre les inégalités, porteuses de risques de défaut pour des États trop endettés ou de bulles spéculatives…

La question est toutefois plus politique qu’économique. En effet, suite à cette crise, les États, tout au moins dans les économies les plus riches, vont disposer de moyens financiers colossaux au travers de la dette publique ou de politiques monétaires accommodantes. Les emploieront-ils à relancer une économie sur les mêmes bases que par le passé et dans une vision court-termiste dont l’échéance est la prochaine élection ou auront-ils une approche plus structurelle afin de réduire les déséquilibres qui déstabilisent nos mondes et sont en partie responsables de la pandémie et/ou de sa gestion erratique. Il n’est plus question du comportement du consommateur, mais bien de celui de l’électeur… À moins que les 2 ne se confondent ! De ce point de vue, la récente élection aux États-Unis est intéressante puisqu’elle suggère une opposition de deux mondes et de deux visions de dimension assez comparable même si, in fine, c’est encore l’ancien monde qui semble gagner.

—————–

[1] World Economic Outlook, October 2020 – https://www.imf.org/en/Publications/WEO/Issues/2020/09/30/world-economic-outlook-october-2020

—————–

Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

Malabar naval drills commence as calls for boycott of 2022 Winter Olympics emerge

Mon, 09/11/2020 - 14:59

During November, the annual Malabar naval drills are taking place in the Bay of Bengal. The usual participants – India, the United States and Japan – are being joined this year by Australia, thirteen years after it last took part in the exercise.

Intended to serve as a counter to China’s growing power, the drills will likely irritate government in Beijing at a time when relations between the East Asian nation and the Western alliance have been deteriorating.

Donald Trump’s bellicose tenure as US president has ramped-up tensions with China on a multitude of fronts. Relations with neighbouring India have been no better, border skirmishes having erupted this summer resulting in the deaths of several Indian soldiers.

Australia has recently adopted a position which reflect its fears that China represents a significant threat to the country’s national sovereignty. Geography and history dictate that relations between Japan and China are always sensitive with the potential for fractiousness, even at the best of times.

It is no surprise, then, that reports are emerging of some countries contemplating a boycott of the 2022 Winter Olympics in Beijing. Prominent within this group are the United States and Australia. Alongside them are the likes of Great Britain, another country with which China has a souring relationship.

Given that India is not one of alpine sport’s most notable global competitors, recent sporting spats with China have centred upon cricket. One fallout of this summer’s border deaths was a consumer backlash against Chinese brands, some of which were actively engaged in Indian sports sponsorships (notably telecommunications business Vivo). Indeed, several deals were subsequently terminated.

As for Japan, the government finds itself in a difficult position. Tokyo was supposed to host this summer’s Olympic and Paralympic Games, which have been delayed until 2021 due to the Corona virus outbreak. Any suggestion of complicity by Japan in moves to boycott the 2022 Winter Olympics would inevitably cause difficulties for the country.

Hence, it has been left to the US, Australia, Britain and other allies to make the running in fuelling talk of a boycott. The platform upon which staying away from Beijing in 2022 is being advocated is the persecution of Western China’s Uyghur minority. Some also point to Chinese interference in Hong Kong, a matter consistently emphasised by the British government.

Concern for such issues and the support of people involved is both laudable and necessary, though the moral high ground is safe territory in which to locate one’s position. It enables the allies to assert their liberal, democratic values, whilst at the same time diminishing China’s politics and its treatment of others. It is nevertheless worth keeping in mind that all of those associated with the boycott rumours remain deeply engaged in trading relations with China.

Even so, on the issue of human rights government in Beijing is globally vulnerable. China’s hosting of the Games themselves is also subject to vulnerability. Though a rather less ostentatious affair than Sochi 2014 was, or indeed Beijing 2008, China is estimated to be spending upwards of €12 billion on its staging of the Winter Games.

A boycott would undermine this investment, though the country would also lose face if countries stayed away. Furthermore, the event is supposed to mark a further step in China’s ascent to becoming a pre-eminent member of the global sport community. By threatening boycott, countries would hope to undermine the country’s growing power and effect changes in its policies.

Looking ahead, China’s sights have already moved on from the Winter Olympics with Beijing now looking ahead to making a successful bid to host the 2030 FIFA World Cup. Given the power of Europe and European institutions to influence FIFA’s hosting decisions, antagonising the Western alliance at this stage would risk the likelihood of a successful Chinese tournament bid.

One nevertheless gets the sense that talk of America, Britain, Australia and their allies is little more than posturing and positioning. Unlike, say, a Western boycott of Chinese consumer goods, sporting boycotts are often a low risk threat and less likely to materially affect a country’s population.

This is highly pertinent as China in 2020 is not the same as China in 2001, when Beijing was awarded the right to host 2008’s Olympic and Paralympic Games. Back then, the country was emergent and seeking to globally re-launch itself. Now, China is an established world power, embedded in networks of economic dependency.

To illustrate this, one need to look no further than sports sponsorships to understand how reliant Western organisations have become on Chinese money. Alibaba is an established IOC sponsor, whilst Mengniu Dairy has recently engaged in a unique relationship with America’s Coca Cola that saw it become a global partner of the Olympics.

At the same time, Chinese companies and brands have clustered around FIFA as the country pursues its World Cup hosting aspirations. This has created a co-dependency between the two organisations that several years ago, even FIFA’s president acknowledged had saved football’s governing body from financial problems.

With dependency comes power, which means that it seems unlikely a proposed boycott will garner enough support such that it becomes a genuine possibility. Indeed, it is worth considering that, for example, the Chinese government has already fired warning shots across the bows of British government and the English Premier League.

Earlier this summer, some of the league’s games being broadcast in China were demoted to smaller television channels. Later, the main television contact for television coverage of Premier League football in China was terminated, being replaced with a one-year deal that is up for renewal in the last quarter of 2021 (ahead of the Winter Games in the first quarter of 2022).

Given the highly lucrative and strategically important nature of Premier League television rights to the British economy, one suspects that the British government will be highly reluctant to press its demands for countries to boycott Beijing’s next Olympics.

All of which means that, as the ships of four nations circuit the Indian Ocean to signal their strength towards an Eastern audience, so there are other nations using the 2022 Winter Games and a threat of boycott for very similar purposes. It will be a surprise if a large contingent of athletes misses the Beijing event, though in the meantime the bellicose noise could be defeaning.

 

—————–
This article belongs to the GeoSport platform, developed by IRIS and EM Lyon

Kirghizistan : coup d’État masqué en « Révolution d’octobre »

Fri, 06/11/2020 - 18:15

« Révolution d’octobre », telle est l’appellation un peu ironique du bizarre coup d’État qui, du 5 au 15 octobre 2020, au prix d’un mort seulement, a bouleversé à Bichkek le gouvernement de la République kirghize. À un pouvoir mafieux discret, hésitant et mou, succède, cette fois-ci, un pouvoir mafieux avéré d’« autorités » plus jeunes et déterminées qui, si elles parviennent à s’entendre, pourraient avoir la capacité et les moyens de remettre le Kirghizistan sur pied.

Tout va se jouer dans les trois mois qui viennent. On saura alors l’orientation choisie par la camarilla de 3 trois ou quatre personnages dorénavant aux gouvernes : sera-ce la dictature pure et dure d’un seul ou bien la direction collective d’oligarques cachant plus ou moins une réalité dictatoriale ? Le peuple kirghiz, révulsé par l’anarchie et la cupidité de la classe politique traditionnelle, laissera-t-il faire -avant de se révolter à nouveau- ou, au contraire, pourra-t-il profiter des prochaines échéances électorales pour aménager l’institution honnête, pragmatique, moins compliquée que l’opinion souhaite ?

Nous commencerons par décrire à grands traits la nouvelle équipe en place, les liens qui l’unissent et sa relation avec le peuple.

Dans la mesure où la situation actuelle les révèle, nous essaierons de donner un aperçu des forces neutres ou hostiles au gouvernement : l’islam en forte progression, plutôt neutre, et, sommairement, l’opposition dite démocratique des partis et de la rue, et les mouvements de jeunes (qui se sont appuyés sur les réseaux sociaux, etc.[1])

Nous finirons en mentionnant les influences externes qui pourraient être les arbitres de la situation, surtout si cette dernière s’envenime : la Russie, par son poids militaire, administratif, énergétique et logistique, la Chine – présente aux frontières – par son influence économique et commerciale et, malgré leur éloignement, les États-Unis qui devraient intervenir par leur action financière, politique et les réseaux sociaux. Mention sera aussi faite de l’entourage centrasiatique qu’il convient d’étendre en y incluant aussi bien l’Afghanistan que le Xinjiang.

Nous insisterons, en conclusion, sur l’importance pour le Kirghizistan d’un retour à la stabilité. Ce retour est si vital que le pouvoir en place devra, peut-être, lui sacrifier ce qu’il reste de démocratie et d’indépendance d’esprit dans le pays.

****

Le nouveau pouvoir et la mise au pas du crime organisé et de l’appareil d’État

Selon la terminologie kirghize, la nouvelle direction correspond à un pouvoir « noir », souterrain, officieux qui a, soudain, fait surface et assujetti le pouvoir « rouge », officiel, des « organes » répressifs ex-soviétiques, à savoir la milice, la sécurité d’État, le procurateur, l’armée, l’administration des prisons.

Le chef nominal de la mafia kirghize, l’autorité suprême, est Kamtchybek Kolbayev, un vor v zakone[2], « voleur dans la loi », en russe, une sorte de bandit d’honneur reconnu par ses pairs en 2008 à Moscou. Il est âgé de 46 ans. Sa richesse considérable est fondée surtout sur le trafic de drogues transitant, via l’Asie centrale, par la « route du nord » d’Afghanistan à la Russie. « Kamtchy », comme disent familièrement les Kirghizes avec crainte, certes, mais aussi une sorte d’affection mêlée de fierté, est un genre de « Robin des bois » national recherché par toutes les polices et mis à prix par le FBI en tant que baron de la drogue. Il ne semble pas avoir d’ambition politique et n’est cité ici que pour son prestige et son influence cachée sur l’exécutif politique kirghiz. Comme on le verra, il vient d’être arrêté par le nouveau pouvoir probablement désireux de se dédouaner de sa réputation mafieuse, mais aussi d’avoir dans son jeu, en le détenant, un atout face aux États-Unis[3].

La principale caractéristique de l’actuel coup d’État est qu’il découle d’une conjuration montée par des « autorités mafieuses » de renom que l’on retrouve parfois dans la mouvance de Kolbayev. Le stratège de l’affaire ne serait autre que Raïmbek Matraïmov. Cet ancien vice-directeur des douanes kirghizes a monté un détournement massif à la frontière chinoise de conteneurs importés et non dédouanés. Ils lui auraient rapporté la bagatelle de 700 millions de dollars[4] qui auraient servi à toutes sortes de placements répréhensibles ou non. C’est ce personnage inventif qui, cet été, selon une rumeur persistante[5], aurait écrit le scénario du coup d’État menant en dix jours – du 5 au 15 octobre – Sadyr Djaparov, chef du parti Mekentchil, de la prison d’État où il croupissait au faîte de la république kyrgyze puisqu’il en devient, le 16 octobre, Président ad intérim. Arrêté lui aussi, le 20 octobre dernier, Matraïmov, que sa richesse et ses relations rendent visiblement inaccessible à la justice, a dû rembourser la somme de 25 millions de dollars à l’État pour voir sa peine de prison immédiatement et sans jugement commuée en une simple assignation à résidence le soir même ! Le côté théâtral des deux arrestations amène à croire qu’elles étaient des « coups montés » pour améliorer la réputation des conjurés.

Le nouveau président Sadyr Djaparov est un personnage marquant par son énergie et sa jeunesse relative (52 ans). Il est natif en 1968 du village de Ken-Souou dans la région nord-est de l’Issyk-Koul et a reçu une formation de base de professeur d’éducation physique. Il s’enrichit à la tête d’une compagnie gazière et, en 2005, partisan de Bakiyev, devient député. En 2012, il est emprisonné pour avoir suscité des troubles en faveur de la nationalisation de la mine de Koumtor. Il est libéré au bout de quelques mois, mais ayant récidivé et pris en otage en 2013 le gouverneur de Karakol[6], il se réfugie à Chypre où il devient une sorte de représentant officieux du clan Bakiev. Il est arrêté à nouveau, le 25 mars 2017, à l’aéroport de Manas à son retour de Chypre : on lui reproche probablement son engagement bakiévien. Il est alors accusé de l’enlèvement du gouverneur en 2013. Djaparov nie ce fait et, le 4 avril 2017, proteste contre sa détention préventive en se mutilant au coude et à la main gauche. Il est condamné très sévèrement, le 2 août 2017, à 11 ans et 6 mois de privation de liberté et de détention dans une prison à régime sévère.

La mutilation, les malheurs familiaux[7] de Sadyr Djaparov et, malgré tout, le refus obstiné de l’administration d’alléger son régime carcéral sont montés en épingle auprès de la population où Sadyr devient populaire. Toujours incarcéré, il adhère au parti nationaliste Mekentchil, qu’il fusionne alors au parti Ata-Jourt de son ami Tachiyev, en perte de vitesse depuis 2010. Le 6 octobre 2020, il est libéré par le même Kamtchybek Tachiyev, qui, dirigeant « la révolution d’octobre », l’aide à devenir Premier ministre puis à « subtiliser », dès le 16, à Djeenbekov la Présidence par intérim de la République. Son existence, jusque-là, ne l’a pas incorporé à la mafia, mais lui a appris à la connaître et, par relations, à savoir l’utiliser.

La popularité de ce réputé mafieux repose aussi sur le fait qu’au Kirghizistan la mafia, plus qu’ailleurs, « materne », notamment par les liens claniques et tribaux, le peuple. Un grand mafieux – ce fut notamment le cas de « Ryspek » – vor v zakonie sous Bakiev – est toujours un recours, avec son système et ses moyens, pour tous ceux de sa tribu, de son clan et, bien sûr, pour ses amis.

Le grand apport de la mafia à Djaparov, par l’intermédiaire de Tachiev son vieil ami, peut-être indéfectible, a consisté en sa libération de prison, le 6 octobre par une escorte mafieuse, la mise à la disposition, du 5 au 16, d’une foule de partisans (500-1000 ?) souvent utilisée ; enfin, l’accompagnement de Sabyr par Kamtchybek quand il s’est agi d’extorquer la présidence à Djeenbekov. En retour, le nouveau président a installé Tachiev à la tête des services spéciaux kirghizes.

Kamtchybek Tachiyev, deuxième personnage après Djaparov de la camarilla au pouvoir, est né en 1968 à Barpy, village du sud près de Djalalabad. Avec une formation juridique et d’ingénieur-chimiste, il devient député en 2005, comme Djaparov qui est de deux mois son cadet. Il fait fortune en vendant du kérosène aux bases aériennes étrangères[8]. Ses liens avec Djaparov datent probablement de cette époque. En 2007, il est nommé ministre des Situations d’urgence et quitte ce poste en 2009. Il dirige le parti nationaliste Ata-Jourt depuis 2010. Il serait en relation avec Kolbayev, l’autre « Kamtchy », proche en « affaires ».

En reconnaissance de ses services éminents, Djaparov le nomme, le 7 octobre 2020, au poste-clé de président du Comité d’État de la sécurité populaire (GKNB c’est-à-dire le KGB kyrgyz), une affectation très inattendue étant donné le passé du personnage…

L’amitié entre Djaparov et Tachiyev survivra-t-elle au pouvoir ? Une rivalité entre eux nuirait à leur avenir. Pour l’instant, l’un et l’autre se contentent de nier leurs relations compromettantes du passé ou leurs comportements parfois répréhensibles. Ils donnent le change. Ainsi, à peine arrivé au GKNB, Tachiyev a-t-il lancé (à certains de ses anciens collègues comme aussi aux fonctionnaires locaux…) un tonitruant : « Respectés bandits, rendez-vous ! », non suivi d’effet, bien sûr. Par ailleurs, pour obtenir la bienveillance des milieux internationaux, le binôme au pouvoir comme on l’a vu, s’est dépêché de faire arrêter les mafieux notoires à sa merci, même s’ils figuraient parmi ses amis : Raïmbek Matraïmov et son frère Tilekbek, maire de Kara-Sou[9] et surtout Kamtchy Kolbayev[10]. Ce dernier a été officiellement arrêté le 22 octobre pour une durée de 48h. Mais, les États-Unis, en renouvelant leur proposition d’un million de dollars pour des renseignements sur les trafics de « Kamtchy », espèrent qu’il sera gardé sous les verrous afin de mener une enquête sur ses activités.

Deux semaines après la mise en place du nouveau pouvoir, on observe donc, à son égard, des réponses plutôt favorables venant des chefs d’État ou des ambassadeurs. La réponse russe va dans ce sens, quoique, de sa part, l’arrêt de tout financement ne semble pas encore avoir été levé. Le processus d’acceptation du gouvernement nationaliste dans l’arène internationale est en cours. Mais cela va-t-il durer ? Des dissensions au sommet « pour le partage du gâteau » seraient fatales…

État des lieux et influences en présence

L’état des lieux au Kirghizistan est catastrophique. D’après les résultats des neuf premiers mois de 2020, le commerce avec la Chine, premier partenaire économique, aurait baissé de moitié ; la chute de l’activité économique avoisinerait les 6 % ; les transferts d’argent des émigrés vers la mère patrie[11] ont diminué de 8% ; le cours du dollar ne cesse de grimper. Le déficit du budget (15 milliards de soms) serait l’un des plus élevés que le Kirghizistan ait connu… Par ailleurs, les conséquences des désordres qui ont concerné les principaux centres de production (la mine de Koumtor, par exemple) se font encore sentir. Enfin, les installations intérieures de la Maison-Blanche (le centre névralgique du gouvernement) ont été quasi détruites et l’administration se remet très lentement de cette atteinte. À part cela, les grands services de l’État (armée, transports, communications, santé) fonctionnent à peu près et obéissent, pour l’instant, aux nouveaux dirigeants.

Les influences en présence en mesure d’intervenir sont surtout religieuses, voire ethnico-politiques.

L’influence religieuse se limite à celle de la religion musulmane d’obédience sunnite qui néanmoins, à elle seule, est considérable. Elle a pris, certes, beaucoup d’importance, mais, au sud comme au nord, n’est pas intervenue politiquement au cours des derniers événements. Elle aurait pu, pourtant, au moins faire mine de prendre la défense de Djeenbekov qui, tout au long de son mandat, a affiché ses préférences pour l’islam[12].

L’islam sunnite rigoureux, qui n’était que superficiel dans un peuple voué au chamanisme et au soufisme, a connu une très forte progression ces vingt dernières années. Avec l’appui financier généreux et constant de l’Arabie saoudite et des Émirats du Golfe, le Kirghizistan s’est littéralement couvert de mosquées, grandes et petites. À la chute de l’Union soviétique, quatre-vingt-dix lieux de culte musulmans subsistaient… En 2016, dans un petit pays de 6 millions d’habitants ils étaient 2 540, flambant neufs, et doivent bien, aujourd’hui, avoisiner les 3 000.[13]

Cela s’est accompagné de la formation, souvent très lacunaire, mais en progrès, de milliers de mollahs. La réislamisation est menée par le salafisme prédicateur du Djamaat al-Tabligh, dont les équipes de volontaires (30 000 dont 3 000 femmes[14]) parcourent villes, banlieues et localités et renseignent sur elles. Le salafisme conspirateur du Hizb ut-Tahrir, organisation interdite, regrouperait plus de 15 000 militants clandestins dans la communauté des croyants kirghizes. Quant au salafisme djihadiste (al-Qaïda, Daech, etc.) particulièrement surveillé par la sécurité d’État, il n’est encore qu’embryonnaire, mais disposerait, par endroits, d’éléments armés.

Tout ceci, sous la coupe théologique et administrative théorique du muftiat de Bichkek, constitue un ensemble assez considérable. Pourtant, visiblement, peut-être à cause de la soudaineté des événements ou de leurs bons renseignements, rien n’a bougé chez les musulmans kirghizes. Ceci donne l’avantage à l’islam local de sortir de l’épreuve de ce coup d’État indemne et non déconsidéré. Si l’islam jouait réellement la carte électorale, il pourrait gagner, du moins au sud : il dispose de personnalités charismatiques, gardées en réserve, pouvant l’emporter si elles se font connaître. Sachant que plus de la moitié des Kirghizes surtout au sud, mais même dans certaines provinces nordistes, pourraient répondre aux injonctions islamiques, cela donne un certain poids national à l’influence de la religion musulmane.

Cette force, très surveillée par les « organes » (police, milice, armée, sécurité d’État) qui, dans la continuité de tradition soviétique, maintiennent un contrôle assez rigoureux de la religion, ne s’est mobilisée que très modérément. Le recours par ailleurs aux escortes des chefs mafieux professant l’islam ne peut pas être considéré comme un soutien musulman : ces escortes sont en effet disponibles pour n’importe qui contre argent comptant[15]. Au cours des événements d’octobre, elles ont immédiatement été mobilisées pour le coup d’État mafieux à Bichkek où elles ont renforcé, notamment, les hommes de main et partisans de Tachiyev, mais aussi d’Atambayev, le fils du pays. Ces éléments sont très rapidement intervenus par des tirs de semonce contre les escortes d’autres partis et politiciens, suscitant la fuite des opposants (Omurbek Babanov, Sapar Isakov) ou leur réincarcération (Almazbek Atambayev). Leur efficacité s’est traduite, lors de cette pseudo-révolution (non encore terminée, il est vrai), par la mort d’un seul manifestant contre une centaine au cours de la deuxième. Une alliance entre les musulmans et les autorités de la mafia, qui affichent leur sympathie islamique et payent la « zakat » (l’impôt musulman), serait « payante » dans tous les sens du terme, mais serait-elle possible ? Pas encore, au moins pour l’instant, par suite de la pression exercée par l’environnement centrasiatique aussi bien qu’international du pays.

Les responsables musulmans kirghizes sont bien conscients du fait qu’une révolte islamique, même limitée, déclencherait une intervention immédiate de l’OTSC[16], notamment de sa Force d’intervention rapide à partir de la base de Kant, immédiatement renforcée en cas d’alerte. Cette intervention aurait l’appui sans réserve de la Chine quelque peu harcelée dans le Xinjiang voisin par les musulmans ouïghours. Forts de ce constat, les notables de l’islam font profil bas, accompagnent les événements sans les susciter.

En ce qui concerne les problèmes ethniques du pays kirghize et leur influence, notons schématiquement les faits suivants :

– malgré tous les déséquilibres et secousses, le Kirghizstan ne paraît pas encore mûr pour une partition entre le sud, plus musulman, plus agricole, plus pauvre et le nord plus industrialisé et « occidentalisé » – à la russe il est vrai… Le réseau routier, grâce au financement des Nouvelles Routes de la soie par les Chinois, va bientôt doubler les liens, très insuffisants jusqu’ici, entre le Nord et le Sud séparés cruellement par les monts Célestes. L’unité nationale s’en portera mieux.

– la minorité ouzbèke du Sud, (presque la moitié de la population urbaine) particulièrement malmenée au cours des pogroms et révolutions de 1990 et 2010 prend traditionnellement parti pour le Nord et continuera à le faire : il ne peut en aller autrement. Après les premiers désordres entre Ouzbeks et Kirghizes, c’est un élément de restabilisation.

– l’encouragement au commerce des « Nouvelles routes de la soie » devrait surtout profiter au Sud, stratégiquement mieux placé, et lui permettre de rattraper son retard économique et social par rapport au Nord. Tout ceci, bien sûr, si la paix règne.

Bien entendu, aussi bien l’entourage centre-asiatique qu’international du Kirghizistan est extrêmement attentif à ce qui s’y passe.

La trêve actuelle scrutée par la Russie, la Chine et les États-Unis

La Russie et la Chine agissent de concert – ce qui est rare dans l’histoire de la région – afin de calmer le jeu. Elles refusent l’une et l’autre de prendre parti pour tel ou tel camp[17] tout en influençant en sous-main et en favorisant tout dirigeant et tout groupe politique qui parviendra à instaurer une certaine stabilité, même sous une férule dictatoriale.

Les deux puissances ont, certes, envoyé leurs ambassadeurs respectifs prendre contact avec le nouveau ministre des Affaires étrangères. Mais le Kremlin, en sus, a prévu, en accord avec le nouveau pouvoir, d’élargir et renforcer en effectifs sa base aérienne de Kant pour parer à l’irruption de toute force politique ou sociale hostile. L’OTSC, rappelle-t-il, comporte en son sein une force de réaction rapide pour lutter à la fois contre la désintégration territoriale d’un État et le djihadisme. La Chine a de son côté confirmé sa lutte contre le terrorisme et les séparatismes dans le cadre de l’Organisation de coopération de Shanghaï (OCS). Notons que Djaparov, qui essaye d’amadouer la Russie, a prévu de faire, comme il se doit, sa première visite officielle à Moscou.

La Fédération russe reste aujourd’hui encore le premier partenaire militaire du Kirghizistan, disposant non seulement de la base aérienne de Kant, mais aussi d’autres installations aux quatre coins du territoire kirghize[18]. Moscou dispose par ailleurs d’un certain moyen de pression sur les organes sécuritaires du pays, par les liens entre le GKNB et le système d’écoutes russe SORM. Toutefois, la crise actuelle n’en a pas moins montré de façon cruelle les limites de l’influence russe sur place, avec l’impossibilité de profiter du chaos ambiant pour imposer l’ancien ministre kirghize de l’Intérieur, Omurbek Souvanaliyev, favorable à Moscou, à la tête du pays et en même temps du GKNB. Le « milieu » local a ainsi eu raison des pressions moscovites.

La Chine devient de son côté le premier partenaire économique du Kirghizistan. Pékin a su utiliser à son profit la division régionale kirghize par l’ouverture de deux routes, l’une passant par Torougart au Nord et l’autre par Irkechtam au Sud. La Chine rénove sur place l’ancien réseau routier soviétique, vétuste, et crée actuellement, à travers les monts Célestes, un deuxième axe autoroutier reliant le Nord au Sud, de Bichkek à Och, à travers le col de Kazarman et Djalalabad. En 2022 ou 2023, quand l’autoroute sera terminée, le Sud sera bien mieux accessible en hiver et le pays gagnera en unité… mais il sera du même coup plus accessible aux armées chinoises !

Du point de vue militaire, si les gardes-frontières chinois profitent de la situation pour faire au Kirghizistan ce qu’ils font déjà au Tadjikistan, à savoir pénétrer sur le territoire kirghize sur une profondeur de 50 kilomètres, installer des postes d’observation et même une petite base, cela serait très mal perçu par une population et une armée sinophobes. Les Chinois le savent et, à l’inverse des Russes, bien mieux accueillis par le peuple kirghize, n’interviendront pas de sitôt.

Les États-Unis, en quittant à contrecœur leur base de Manas sous une forte pression du président Atambayev, ont pris leurs distances par rapport au Kirghizistan. Ils n’en restent pas moins actifs sur le plan diplomatique, humanitaire et culturel[19], car ils continuent à voir dans le pays kirghize un pivot d’importance stratégique majeure dans la région : une sorte de balcon leur permettant d’observer à équidistance les questions russe, chinoise, afghane et même iranienne. Ils profitent aujourd’hui, pour exercer une influence, de différents éléments dont ils ne disposaient pas ou moins naguère :

  • Le développement à Bichkek en particulier, mais aussi dans des recoins de la montagne de petites communautés protestantes russo-kirghizes (souvent baptistes), qui servent de relais assez efficace à l’influence américaine.
  • Les ONG américaines bien financées et très présentes dans l’information, l’éducation, l’action humanitaire et dont l’activité en sous-main ou avérée est de plus en plus réelle en cas d’événements.
  • Les réseaux sociaux qui ont l’avantage de drainer l’influence et l’action de la jeunesse[20] étudiante ou désœuvrée, très présente en cas de crise.

Les ONG anglo-saxonnes et les réseaux sociaux influencent ainsi aujourd’hui fortement cette jeunesse, faisant et défaisant les « révolutions ». La jeunesse urbaine est désormais ouverte au monde et voit autrement l’avenir du pays que les anciens au pouvoir. Cette jeunesse s’investit dans la politique. Mais, partout, dans la rue, au Parlement et désormais dans les partis, elle conteste, dans un vent de fronde décomplexée, le verrouillage des accès aux fonctions dirigeantes par les anciens et entend dorénavant s’imposer.

Les Américains, pour l’instant, vont se focaliser sur le personnage de Kamtchy Kolbayev, dont l’emprisonnement au Kirghizistan donne l’occasion d’une enquête et, probablement, d’un règlement de compte… Djaparov et Tachiyev peuvent-ils revenir sur ce cadeau en libérant Kolbayev comme ils semblent le lui avoir promis ? Cela paraît difficile… Si néanmoins la libération intervient, le nouveau pouvoir aura mauvaise réputation et ne pourra plus s’attendre qu’à l’hostilité des États-Unis.

****

La soi-disant « révolution d’octobre » a mis en lumière le nombre important de partis politiques enregistrés (46 officiellement !). La plupart ne sont qu’une faible force d’appoint de voix pour un personnage dont l’aura ne repose que sur sa tribu. Toutefois, plus occidentalisé et russisé, le Nord du pays regroupe des partis à base idéologique, disposant de sections dans l’ensemble du pays (PS-Ata-Meken, PSDK, PSK, Ak-Choumkar, Respoublika…). Si certains de leurs chefs, compromis avec l’ancien système sont en fuite ou en prison, leur absence n’empêche pas leurs partis de fonctionner, la jeunesse partant à l’assaut des places vacantes. Une nouvelle génération politique mieux formée, plus expérimentée, plus ouverte à la globalisation, également plus éloignée des querelles tribales et des coups tordus des anciens, émerge ainsi. Elle pourrait représenter un sérieux espoir pour la stabilité du pays, le jour où les portes du pouvoir lui seraient enfin ouvertes.

À brève échéance, les élections présidentielles (prévues pour le 10 janvier 2021) et législatives (malgré leur report sine die au printemps 2021) renouvelleront la donne politique sur place. Elles n’apporteront pas de sitôt de changement à la situation de corruption, de concussion et de défiance régionale et tribale qui gangrène le pays, mais pourraient le stabiliser, en redonnant une légitimité perdue au suffrage universel et à la vie politique. Si la nouvelle direction triche et ne permet pas cela, ce sera pour elle, à plus ou moins long terme, la menace de l’échec.

Dans l’immédiat, le gouvernement devra avant tout se focaliser sur la situation préoccupante de la population kirghize face au Covid-19. Les événements révolutionnaires n’ont fait qu’aggraver l’impact de la pandémie[21] tout en affaiblissant encore la qualité des soins donnés dans les hôpitaux. Sadyr Djaparov sera aussi jugé sur la façon dont il abordera ce problème crucial.

Situation intérieure, initiatives vers l’étranger, covid-19, le nouveau président ad intérim va devoir révéler toute son envergure… s’il en a une – comme c’est probable – et si on le laisse courir sa chance !

————————————————-

[1] Les associations de jeunes et les réseaux sociaux ont été actifs au cours de la révolution d’octobre pendant laquelle ils ont pris le parti des révoltés. Ils ont ainsi donné l’impression que non seulement la jeunesse, mais aussi les classes moyennes, avaient choisi le parti des insurgés.

[2] Organisation semi-clandestine de criminels née dans les camps staliniens et caractéristiques de l’espace russophone. Elle vise à réguler quelque peu les rapports entre grands mafieux.

[3] Cf ci-après note 11.

[4]  Cet article en russe de radio Azattyk révèle toutes les circonstances du trafic de marchandises chinoises, effectué à partir du Xinjiang par un clan ouïghour en liaison avec Raymbek Matraïmov qui empoche dans l’affaire au moins 700 millions de dollars. Il a généré par l’intermédiaire d’un autre clan semi-ouïghour installé à Och, puis Istanbul, des placements immobiliers et autres aux Émirats, en Europe, aux États-Unis, etc.

[5] D’après une rumeur « familiale » en milieu bichkékois proche du gouvernement.

[6] Il était alors déjà accompagné par son ami Tachiev. Le coup de Kumtor préfigure pour les deux compagnons celui de Bichkek, mais ce dernier a réussi…

[7] Il perd successivement son père, son fils aîné et sa mère pendant sa détention en 2017-19.

[8] Kant pour les Russes, Manas pour les Américains.

[9] L’un des plus grands bazars d’Asie centrale.

[10] Notons que Kolbayev est comme Djaparov originaire de la région au nord-est de l’Issyk-Koul. Au Kirghizistan un tel fait rapproche beaucoup les gens.

[11] Rien qu’en Russie, les Kirghizes sont 1 500 000, soit un quart de la population kirghize.

[12]Le Président Djeenbakov s’est rendu en pèlerinage à La Mecque. Deux de ses frères étaient ambassadeurs en Arabie saoudite et en Égypte et toute la famille misait sur l’islam après avoir misé sur le communisme….

[13] René Cagnat, Le désert et la source : Djihad et contre-djihad en Asie centrale, Ed. du Cerf, Paris, 2019, p. 198.

[14] Les otynes, dans le sud kyrgyz, sont traditionnellement des femmes dévouées à l’enseignement du Coran.

[15] Cf. le rôle trouble de la famille Bakiyev durant l’été 2010 dans la région d’Och et le sud kirghyi, https://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/080710/au-sud-kirghiz-les-liaisons-dangereuses

[16] Organisation du traité de sécurité collective créée en 2002 et regroupant, autour de la Russie : l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan.

[17] La Chine se montre plus intéressée par cette neutralité, répétant inlassablement à chaque révolution que ses créances restent toujours dues, quel que soit le nouveau personnel politique arrivant au pouvoir à Bichkek. Elle signale aussi à chaque soulèvement les dangers encourus par ses nationaux et son commerce, soulignant ainsi la sinophobie ambiante.

[18] À la base aérienne de Kant, située à 30 km de Bichkek, créée en 2003, s’ajoutent des installations datant de l’héritage soviétique, comme une base d’essai d’armes anti-sous-marines de la marine russe à Pristan-Prjevalsk au bord du Lac Issyk-Koul, un centre de communications de la marine « Marevo » (station Prométhée) à Tchaldovar, près de Kara-Balta, et une station sismique à Mailouou-Souou, près du Ferghana kirghiz.

[19] Bichkek possède la seule université américaine de toute l’Asie centrale : elle est active et réputée.

[20] Rappelons que les moins de 25 ans représentent près de la moitié de la population.

[21] Elle atteint actuellement un pic maximum.

[GeoSport] Sport, good countries and the importance of soft power

Fri, 06/11/2020 - 15:26

GeoSport, created by IRIS and EM Lyon, is a home for intelligent, value-adding content on geopolitics and sport, providing informed, expert analyses onf contemporary issues. The key focus of the content will be around diplomacy; international relations; nation branding; politics and soft power, and the link of these areas to sport.

Today, Professor Simon Chadwick from emlyon business school and Paul Widdop, from the Manchester Metropolitan University, interview Simon Anholt, an independent policy advisor who has worked to help develop and implement strategies for enhanced economic, political and cultural engagement with other countries.

Élections américaines : Xi Jinping a gagné

Fri, 06/11/2020 - 09:46

En ce 6 novembre, nous n’avons toujours pas de résultats définitifs du suffrage présidentiel américain. Joe Biden se rapproche encore plus de la victoire, et Donald Trump s’enfonce dans la dénonciation de supposées fraudes en contestant les résultats. Ce qui est certain désormais, c’est que c’est la Chine de Xi Jinping qui sort victorieuse de ce scrutin. L’analyse de Pascal Boniface.

Tensions en Éthiopie : triste scénario, mais ô combien prévisible

Thu, 05/11/2020 - 18:53

 

Dans la nuit du 3 au 4 novembre dernier, une base militaire fédérale éthiopienne de la région du Tegray a été attaquée, aggravant les tensions entre la région et le pouvoir central. Avec cet évènement et la déclaration de l’état d’urgence au Tegray, l’Éthiopie semble aujourd’hui au bord de la guerre civile. Le point sur la situation avec le Dr Patrick Ferras, président de l’association Stratégies africaines, enseignant à IRIS Sup’, qui vient de rentrer d’un séjour de deux mois en Éthiopie.

Quelles sont les causes des évènements violents qui viennent de se dérouler en Éthiopie, à la fois dans la région du Tegray, mais aussi dans celle d’Oromi ? Ces évènements étaient-ils prévisibles ?

Les récents événements dans différentes régions d’Éthiopie montrent que la situation sécuritaire se détériore et que le gouvernement central ne maîtrise plus ses régions-États. À la crise sécuritaire se rajoute une situation économique difficile qui n’est pas uniquement liée à la pandémie de Covid-19. Sur le plan politique, les élections ont été repoussées sans que l’on sache quand aura lieu ce rendez-vous important. Les Tegréens reprochent à ce gouvernement de ne pas avoir voulu les organiser et ils estiment que le gouvernement est non légitime. Ils ont notamment organisé leurs élections, ce qui a été sanctionné par Addis Abeba considérant cela comme une provocation.

Depuis plusieurs semaines, les tensions sont donc importantes entre les deux « camps » et la dégradation de la situation était prévisible.

Assistons-nous à une rupture entre la région du Tegray et le centre du pays ?

La rupture est actée. Le 4 novembre 2020, le Premier ministre, Abiy Ahmed, a accusé les Tegréens d’avoir attaqué une caserne de l’armée en région-État du Tegray et il estime que la ligne rouge a été franchie. Il a assigné aux Forces de défense nationale éthiopiennes (FDNE) la mission de « sauver le pays et la région de la spirale de l’instabilité ».

La situation sera très compliquée, car on peine à voir la mission réelle des FDNE dans une région très homogène où l’armée nationale risque de se retrouver en terrain ennemi. De plus, les Tegréens sont nombreux dans l’armée éthiopienne et s’il y avait des combats, il n’est pas sûr que les soldats oromo, amhara ou autres tirent sur d’autres Éthiopiens. Des risques de désertions ne sont pas à exclure.

L’escalade des tensions est-elle aujourd’hui évitable ? Des médiateurs peuvent-ils intervenir pour éviter que la situation dégénère davantage ?

Il faudra une action volontaire des deux camps pour que les tensions diminuent et que le dialogue soit ouvert. Mais, il appartient au Premier ministre de faire le premier pas. L’unité du pays ne peut se faire sans les Tegréens. Il n’est pas inutile de rappeler que l’Éthiopie ne sortit de l’ère Mengistu que grâce aux combats menés par les Tegréens (et les Érythréens) pendant 17 ans. Les élections doivent aussi se tenir rapidement malgré la pandémie de Covid-19.

La crise en Éthiopie est un problème interne au pays et il n’y aura pas de médiation possible de l’Union africaine ni de l’Autorité intergouvernementale pour le développement (organisation régionale qui couvre les États de la Corne de l’Afrique). Deux États regarderont avec attention les événements : l’Égypte qui compte sur un assouplissement des positions éthiopiennes sur le Grand barrage de la renaissance et l’Érythrée toujours heureuse de voir le poids des Tegréens diminuer dans la région.

Trump restera actif et nuisible

Thu, 05/11/2020 - 18:11

En ce jeudi 5 novembre, la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles américaines ne semble plus guère faire de doute. La nuit dernière, il a d’ailleurs tenu un discours de réconciliation, discours traditionnel pour un vainqueur d’une élection présidentielle, aux États-Unis ou ailleurs. Il s’agissait pour lui d’affirmer qu’il sera le président de tous les Américains et pas seulement de ceux qui ont voté pour lui. Un discours que Donald Trump n’avait pas tenu ni lors de son élection ni par la suite. Preuve que pendant quatre ans, il s’est uniquement adressé à ses électeurs.

Dans le cas de ce scrutin très serré, Trump risque de ne pas du tout apprécier sa défaite et de ne pas faciliter la tâche du vainqueur, comme il est normalement d’usage dans une démocratie. Hillary Clinton, qui avait pourtant obtenu 3 millions de votes de plus que Donald Trump en 2016, avait malgré tout reconnu sa défaite. Mieux encore, en 2000, Al Gore avait accepté sa défaite alors que lui aussi avait récolté plus de voix que George Bush, qui avait obtenu la victoire grâce à une décision de la Cour Suprême qui avait suspendu le décompte des votes dans l’État clé de Floride, alors dirigé par son frère.

Contester la défaite n’est pas dans la tradition des démocraties, aux États-Unis ou ailleurs. Trump va certainement rompre avec cette tradition en contestant les résultats le plan juridique. On a vu cette nuit que certains bureaux de vote avaient été entourés par des hommes en armes par des gens en armes qui souhaitaient interrompre le décompte des votes. Ce ne sont pas des scènes dignes d’une démocratie. Il y aura des recours judiciaires, ce qui est plus admissible au regard du droit. En tout cas, l’actuel locataire de la Maison-Blanche va vouloir présenter sa défaite comme une victoire volée due à la tricherie du camp démocrate. Il va donc tenter de saboter le travail de réconciliation de Joe Biden au cours de son mandat.

Donald Trump va intégrer le club assez peu fréquenté des présidents américains qui n’ont fait qu’un seul mandat. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y eut que Jimmy Carter, battu en 1980 par Reagan – Jimmy Carter s’est ensuite consacré à des missions humanitaires et à sa fondation qui œuvre pour la paix, on n’imagine guère Trump en faire autant – et George Bush père qui avait été battu après un unique mandat par Bill Clinton, et qui a eu sa revanche avec l’élection de son fils en 2000. Que va faire Donald Trump par la suite ? Il ne se contentera pas de s’occuper de ses affaires personnelles. Son tempérament le poussera certainement à développer une capacité de nuisance maximale pour gâcher le mandat de celui qui l’a vaincu. On sait déjà qu’il avait une dent personnelle contre Obama, rancœur qui l’avait d’ailleurs en partie amené à se présenter. Il va certainement en être de même à l’égard de Biden. Trump ne risque pas de prendre sa retraite et il voudra certainement encore peser sur la politique américaine. Il a tout de même été le choix de 68 millions d’électeurs lors de ce scrutin, ce qui reste un score très impressionnant. Il a environ 90 millions d’abonnés sur Twitter et a par ailleurs emmagasiné, au cours des deux campagnes, des informations et données sur son électorat qui ne pourront que lui être utiles par la suite. Il est même question qu’il crée une chaîne de télévision, milieu dans lequel il a prospéré avant de se lancer en politique.  Et retour en télévision motivé là aussi par la rancœur qu’il entretient à l’égard de Fox News, chaîne pourtant ultra conservatrice, qu’il estime ne pas l’avoir suffisamment soutenu dans cette campagne. Il pourrait ainsi créer une chaîne de télévision qui viendrait évidemment nourrir les débats. Trump fera également tout pour peser sur la prochaine élection et sur le candidat qui portera, en 2024, les couleurs du parti républicain.

Revenons-en à l’issue de l’élection, le Sénat risque de rester à majorité républicaine et même si Joe Biden, qui a occupé un poste de sénateur pendant 38 ans et qui connaît par cœur les rouages de l’institution, pourra y disposer d’appui, il devra également faire face à une large opposition républicaine. Donald Trump va donc tout faire pour que Joe Biden puisse le moins possible réaliser son objectif de réconcilier l’Amérique avec elle-même, lui qui laisse une société fracturée, très profondément divisée. Mais il est peu probable dans tous les cas que Biden parvienne à le faire puisque pour cela il faut une volonté de réconciliation du vainqueur qui n’existait pas en 2016 et une acceptation de la réconciliation par le vaincu, qui n’existe pas plus en 2020.

[Campagne US #13] Où en est la campagne américaine à moins d’un mois des élections ?

Tue, 13/10/2020 - 18:22

Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne régulièrement rendez-vous pour suivre ses analyses de la campagne présidentielle américaine. Elle répond aujourd’hui aux questions suivantes :

– Toujours à la traîne derrière Biden dans les sondages, Trump sillonne à nouveau les États-Unis après avoir été malade du Covid-19. Quel impact sa gestion de la maladie a-t-elle eue sur la campagne ?

– Le vote par anticipation bat des records, à plus de trois semaines des élections. En quoi celui-ci est un des gros enjeux de cette campagne électorale, surtout pour les démocrates ?

– C’est ce lundi dans un contexte tendu que commencent les auditions au Sénat pour la nomination de la juge Amy Coney Barrett à la Cour suprême. Faut-il craindre sa nomination pour l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis ?

Les pandémies : une menace éternelle ?

Mon, 12/10/2020 - 20:55

Astrid Vabret est professeure de médecine, spécialité virologie et directrice du laboratoire de virologie du CHU de Caen et le Centre national de référence pour les virus de la rougeole, oreillons et rubéole. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes, organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 25 et 26 septembre 2020 :

– Quel regard portez-vous sur le système d’alarme international et l’importance du rôle de l’OMS ?

– Comment concilier le financement de la recherche avec le temps de réponse à l’épidémie et le développement d’un vaccin ?

– Quelles perspectives voyez-vous à court et long termes pour la pandémie du Covid-19 ?

Trump, Biden : les jeux sont-ils faits ?

Mon, 12/10/2020 - 17:03

À moins d’un mois des élections présidentielles américaines, Donald Trump est au plus bas dans les sondages face à son concurrent démocrate Joe Biden, dans un contexte de crise sanitaire et économique. Mais l’élection de 2016 a rappelé que jusqu’au jour du vote, rien n’est jamais déterminé à l’avance lorsqu’il s’agit d’élire le futur occupant de la Maison-Blanche. L’analyse de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La relation Chine-Taiwan au révélateur de la pandémie mondiale

Mon, 12/10/2020 - 12:16

La Chine est parfois qualifiée de « vainqueur » de la crise de Covid-19. Comment expliquer cela au niveau national, régional et international ?

La reprise en main assez rapide en Chine d’une crise d’autant plus difficile qu’elle trouve sa source dans l’une des provinces les plus densément peuplées du pays et la médiatisation autour de l’implication des pouvoirs publics a renforcé la légitimité du pouvoir central. Derrière ce succès, c’est tout un mode d’organisation, basé sur le confinement et des mesures strictement appliquées, qui inspira les mesures adoptées dans le reste du monde, y compris en Occident. Le retour à la mondialisation que la Chine appelle de ses vœux s’appuie pour sa part sur un soft power basé sur une politique de main tendue (la « diplomatie du masque ») autant que sur l’exemple de sa gestion de la crise qu’elle met en avant. Pékin a ainsi abondamment communiqué sur sa capacité à apporter une assistance aux pays les plus affectés par la pandémie. Si un tel discours reste fortement critiqué dans les démocraties occidentales, il reçoit un écho nettement plus positif dans les sociétés en développement, où c’est sur la Chine que l’on compte pour sortir de la crise sanitaire et relancer l’activité économique. Sur le terrain de l’influence, combat ultime que livrent les grandes puissances, Pékin et Washington en tête, la gestion de la crise sanitaire donne un avantage à la Chine, tandis que les États-Unis présentent un bilan très négatif. Et on mesure au cours des dernières années à quel point les déboires de Washington font les affaires de Pékin. Au niveau régional, Pékin a su profiter de sa sortie de crise pour accentuer ses pressions sur la population de Hong Kong, avancer ses pions en mer de Chine méridionale et hausser une nouvelle fois le ton face à Taiwan, comme pour mieux asseoir son hégémon en Asie orientale. Les conséquences économiques de la pandémie seront lourdes en Chine, comme dans le reste du monde, mais la victoire politique est significative.

Taiwan ne compte qu’un peu plus de 500 cas et sept décès seulement depuis le début de la crise sanitaire. Comment expliquer ce succès ?

En marge de la réélection facile de Tsai Ing-wen pour un second mandat à la présidence de la république de Chine (Taiwan) en janvier 2020, Taipei mit en garde l’OMS contre les risques de propagation du coronavirus par transmission humaine, sans aucune réaction de l’organisation dont il n’est pas membre. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la communication taiwanaise ne fût pas alors davantage appuyée, et plus encore entendue, ce qui caractérise les problèmes et les limites de la diplomatie taiwanaise. Pour autant, et en dépit de la proximité géographique et de la fréquence des échanges avec la Chine continentale, Taiwan présente un bilan exceptionnel dans la gestion de la crise sanitaire, sans confinement et en ayant recours à la technologie, notamment des applications de géolocalisation. Ce n’est pas le caractère autoritaire des mesures, mais leur efficacité qui a fait la différence et fait de Taiwan l’un des « vainqueurs » de cette pandémie, tant dans son bilan sanitaire que dans sa légitimité politique. Dès lors, la communication post-Covid-19 de Taiwan s’articule autour d’une nécessaire adhésion à l’OMS (soutenue par de nombreux pays occidentaux et le Japon), les vertus d’un système de santé très performant et les mérites de son régime démocratique favorisant une transparence totale sur la gestion de la crise. Autant de points qui distinguent Taipei de Pékin. 

Les tensions entre les deux entités demeurent vives. Dans quelle mesure la pandémie mondiale peut-elle modifier les équilibres entre Pékin et Taipei ?

Taiwan reste une épine dans le pied du géant chinois et le succès de Taipei dans la gestion de la pandémie lui permet de communiquer avec force et on peut dès lors considérer qu’il y aura dans la communication politique et diplomatique taiwanaise un avant et un après Covid-19. Pékin n’entend cependant pas accorder de la place à Taiwan sur ces questions, et au-delà des pressions militaires accentuées (avec notamment des incursions répétées dans l’espace maritime taiwanais) et un discours menaçant (mais qui l’était déjà avant la pandémie, tout comme le soutien de Taipei aux opposants de la Chine à Hong Kong ou au Tibet), les dirigeants chinois cherchent à surenchérir avec la diplomatie du masque et reproduire ainsi avec Taipei une course mondiale aux soutiens économiques et politiques autrefois qualifiée de « diplomatie du chéquier », cette fois articulée autour des aides médicales et techniques aux pays nécessiteux. Taiwan a en effet saisi l’importance de capitaliser sur ses succès en proposant une aide importante (les productions de masques notamment ont rapidement permis à Taipei de se placer sur le marché de l’aide et des exportations), créant ainsi une compétition entre les deux entités rivales. Les équilibres ne sont pas modifiés, mais la rivalité s’est étendue aux questions sanitaires, avec de part et d’autre une communication très forte qui vise prioritairement un public différent : les sociétés en développement pour Pékin et le monde occidental pour Taipei.

—————–

Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Asie-Pacifique. Il est également maître de conférence à l’Université catholique de Lille et vient de publier avec Frédéric Lasserre, Eric Mottet et Serge Granger (dir.) Marges et frontières de la Chine, aux Presses de l’Université de Montréal.

—————–
Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

Pages