Donald Tusk à Wrocław (crédit : Europejskiej Stolicy Kultury Wrocław 2016)
(B2) Les propos tenus par le président du Conseil européen, Donald Tusk, samedi dernier (17 décembre) en Pologne, lors de la cérémonie de clôture de Wrocław – capitale européenne de la culture — étaient remplis de sens. Et ils méritent une certaine lecture attentive.
Outre que c’était un des premiers discours de l’ancien Premier ministre polonais sur sa terre natale depuis longtemps, il survient à un moment clé pour le pays. La Pologne comme plusieurs autres pays s’interrogent sur la notion de liberté, de démocratie, de pouvoir,
Le message envoyé est un véritable avertissement au parti de Jarosław Kaczyński (PiS, Droit et Justice) et au gouvernement de Beata Szydło. Un message qui a une portée plus générale car il peut se lire au-delà de la Pologne…
« L’essence de l’Europe est un modèle unique de démocratie où les citoyens, le droit et la morale définissent les limites du pouvoir. Et non vice-versa. Comme nous le savons, la démocratie sans le respect de la culture, quand on prive les gens de l’accès à l’information ou qu’on impose un modèle de vie unique, cela devient aussi insupportable qu’une dictature.
« Aujourd’hui, donc, dans ce moment critique, [la démocratie] nécessite une protection, de la sollicitude, et même de la tendresse, d’elle-même ne survivra pas. Elle est plus fragile et délicate que nous, Polonais, quand nous l’avons raté derrière le rideau de fer pendant ma jeunesse. Est-ce le modèle européen survivra ? Ce n’est pas une question idéologique mais la question de notre survie. Celui qui aujourd’hui défie le modèle européen de démocratie, viole les constitutions et des bonnes mœurs, nous met en danger.
« Après les événements d’hier au Parlement et dans les rues de Varsovie (1), avec la mémoire personnelle de ce qui signifie décembre dans notre histoire (2), je lance un appel à ceux qui exercent effectivement le pouvoir dans notre pays, pour le respect des personnes. Et je dis merci à ceux qui luttent pour la démocratie européenne en Pologne. Merci, vous êtes les meilleurs gardiens de la Pologne. » (3)
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Vendredi après-midi (16 janvier), des députés de l’opposition ont commencé à bloquer la tribune parlementaire protestant contre les restrictions demandées aux journalistes dans l’enceinte du parlement. Les députés de la majorité se sont alors déplacés vers une autre salle, où ils ont décidé de voter notamment sur le budget 2017. Des manifestations s’en sont suivies.
(2) Donald Tusk fait référence principalement à décembre 1981 et la proclamation par le général Wojciech Jaruzelski, alors chef de l’Etat polonais, de la loi martiale (état de guerre) coupant court à un mouvement d’émancipation de la société polonaise. Mais il peut aussi faire référence à décembre 1970, avec les grèves contre la hausse des prix à Gdansk (la ville natale de Tusk, celui-ci avait 13 ans au moment des faits) et dans plusieurs villes de la Baltique. Des manifestations qui furent violemment réprimées par le régime avec plusieurs dizaines de morts. Elle entraîna la démission du dirigeant polonais d’alors, Władysław Gomulka.
(3) Traduit du polonais par nos soins, à partir du texte retranscrit par Gazeta
(B2) Un vendeur de 39 ans et son complice de 33 ans ont été arrêtés, la semaine dernière, à Ljubljana par la police nationale slovène pour avoir vendu des armes et des explosifs, au noir sur internet, vient d’annoncer Europol dans un communiqué parvenu à B2. Une « grande quantité d’armes découvertes au cours des fouilles de maisons ont également été saisies, y compris des fusils automatiques et semi-automatiques, des grenades à main et des munitions ». Les armes vendues étaient ensuite expédiées par la poste à des acheteurs situés dans l’Union européenne (France, Pays-Bas, Suède et Royaume-Uni) ou dans l’espace économique européen (Norvège). Les deux hommes vendaient « également des munitions pour ces armes ». Toutes ces transactions « étaient payées en Bitcoin ». L’agence européenne précise que c’est « l’analyse du renseignements fournis par le point focal d’Europol sur les armes à feu qui a permis à la police nationale slovène d’identifier les suspects ». Preuve s’il en est que la toile n’est pas aussi anonyme que cela… et qu’avec un peu d’organisation les polices européennes peuvent arrêter certains malfrats
(NGV)
Le général belge Peter Devogelaere prend le commandement d’EUTM Mali(Crédit: EUTM Mali)
(BRUXELLES2) Le camp de Koulikoro a été le témoin, ce lundi 19 décembre, de la passation de commandement entre le général de Brigade belge Eric Harvent et son successeur, son compatriote Peter Devogelaere.
La mission européenne de formation de l’armée malienne (EUTM Mali) sous commandement belge depuis le 3 juillet 2016, le restera encore pour encore six mois. Le contingent belge, maintenu en 175 personnes, en fait la principale opération extérieure (OPEX) de l’armée belge.
Lire :
(crédit : INA)
(B2) C’était il y a trente ans… Malik Oussekine décédait dans la nuit du 6 décembre dans le quartier latin, après une sévère dérouillée par des policiers peu avares de coups de matraque. Pour tous ceux qui étaient étudiants à l’époque, cela sonnait comme un tournant… Pour moi en particulier, cela sonnait comme une interrogation.
A l’époque, à tout dire, jeune étudiant à Paris I Sorbonne, j’étais devenu responsable du service santé étudiant. En gros, le service mis en place par la coordination étudiante pour assurer les secours en interne. Nous étions assez discrets.
Plusieurs dizaines d’étudiants dans les différentes facs
Nous avons réussi à rassembler plusieurs dizaines d’étudiants (secouristes, étudiants infirmiers ou médecins), souvent venus des facs en médecine. Des équipes disséminées aux quatre coins des facultés en grève et des cortèges, qui ont permis d’encadrer les manifs, de donner les premiers secours… et de faire remonter des informations. Cela a été assez improvisé, en quelques minutes sur un coin de table, entre les trois universités parisiennes (Sorbonne, Jussieu, Tolbiac) en pointe dans le mouvement. Mais cela a plutôt bien fonctionné. C’était aussi un vrai poste d’observation de la vie politique de cette petite coordination étudiante comme des débordements de part… et d’autre.
Des équipes en binômes
Ces équipes (par binômes à pied, voire moto ou véhicules ) avaient trois rôles essentiels :
1) en rythme normal de manifestation, soigner les petits bobos essentiels d’un rassemblement de personnes — du malaise à l’ampoule — ;
2) en rythme « confrontation », assurer le secours à des personnes blessés ou choqués dans la « bataille » : malaises dans la foule, tirs lacrymogènes,…
3) pouvoir apporter des témoignages sur la situation sur place, les éventuelles violences policières (un questionnaire avait même été mis au point).
Elles étaient structurées en équipes de niveau 1 (petits soins), de niveau 2 (+ médicaments) et de niveau 3 (au niveau central, avec du matériel plus lourd d’évacuation : brancard souple, O2, etc.). On avait réussi aussi à avoir du petit matériel de transmission radio (talkies walkies à l’époque).
Au niveau central, on avait plusieurs tâches, durant les manifestations : il s’agissait de localiser les différentes forces en présence pour mettre à même d’évacuer aussi vite que possible, non seulement côté pompiers/Samu/Croix-rouge mais aussi des forces de police. Nous étions arrivés à une connaissance assez fine ainsi des différentes compagnies (CRS, gendarmes mobiles, compagnies de district).
Après les manifestations, la tâche était moins gaie : recenser le nombre de blessés, légers ou plus graves, localiser où ils avaient été évacués, rassurer ou aiguiller les familles voire chercher un enfant perdu ou (moins gai) aller à la morgue pour vérifier qu’un signalé disparu n’avait pas fini dans la Seine ou sur la table de l’IML (l’Institut médico-légal). Ce recensement nous a permis de dire que le bilan côté étudiant était largement supérieur à ce qui avait été indiqué officiellement (voir encadré). Nombre d’étudiants ont souvent été soignés, in situ, et sont allés consulter ensuite, dans leur province, chez un médecin ou leur hôpital local.
Un fonctionnement « plastique »
Chacune fonctionnait avec son cortège, son université, de façon à bien connaître qui y était. Il n’y avait pas en soi de coordination centrale du service de santé, chacun agissant — selon les instructions définies — et la situation propre sur place. Nous étions quelques uns à assurer la liaison à la fois avec les Services d’ordre (SO) étudiants, les services de secours classiques (SAMU, Sapeurs Pompiers) ou exceptionnels mobilisés pour la circonstance (Croix-Rouge, Protection civile, Armée), ainsi qu’avec les autorités (Préfecture de police) (1).
Cette intervention a parfois un peu dépassé la notion même de secours, agissant à la fois en observateurs permanents (voir encadré), voire en prévention en cas de tension croissante (2). Ce dispositif a un peu volé en éclat, lors des confrontations ; les binômes « santé » étant parfois disjoints de leurs cortège. Mais il a continué de fonctionner néanmoins. La plasticité du dispositif — avec des directives assez simples et claires mais une liberté d’application et d’improvisation au gré des circonstances — a permis de faire face à toutes les situations.
Le dispositif de croix-verte — choisi de faire toute confusion avec d’autres sigles — permettait de distinguer les effectifs. Il a été reconnu par les effectifs de sécurité, même au plus fort des affrontements, sauf des voltigeurs qui, à vrai dire, matraquaient un peu tout le monde, y compris les passants.
Une méthode d’extraction et de soins
La méthode de secours mise en place différait totalement de la méthode ordinaire habituellement suivie en région parisienne : il s’agissait 1° d’extraire au plus vite la personne de la zone « troublée » ou de la zone de foule, 2° de faire un bilan et faire quelques gestes rapides (pansements…) dès qu’on était dans une zone calme et 3° le plus rapidement possible d’évacuer soit vers la première ambulance disponible (Croix-Rouge essentiellement, pompiers, voire ambulance militaire), voire une pharmacie de garde (pour un petit bobo), soit directement vers l’hôpital le plus proche. En gros, on faisait du « take and run » (3), selon la méthode anglo-saxonne plutôt que la méthode française de soin sur place.
Cette méthode avait un avantage : segmenter les interventions, utiliser à bon escient chacun des outils — les binômes dans la foule, les ambulances dans les rues avoisinantes pour pouvoir dégager plus vite par les latérales — pour qu’ils puissent très vite réintégrer leur dispositif. L’évacuation rapide des blessés/malaises avait aussi un autre atout : éviter tout attroupement, tout énervement qui aurait ajouté davantage à l’angoisse — ou à la colère — des étudiants.
Nous avions listé à l’intention de tous nos binômes la méthodologie d’évacuation (télécharger le doc distribué) comme le matériel une cartographie des structures hospitalières d’urgence (à l’intention notamment des étudiants de province, nombreux lors des manifestations). Et nous avions une liaison étroite (par radio) avec les ambulances présentes sur place (Croix-Rouge, Samu, etc.). Au besoin, nous avons même fait des « évacuations moto » (ce qui plutôt hétérodoxe dans la doctrine de secours française) pour des blessés légers (4).
La nuit du 6 décembre
Le soir du 5 décembre, après une manifestation longue, plus calme cependant que celle du 4 décembre, la plupart des responsables de la Coordination étudiante avaient déserté le terrain, partis en meeting, réunion ou ailleurs. J’étais alors seul sur le terrain en responsabilité. Et nous avons fait le point avec les équipes de secours, où s’était placé le PC mobile des Croix-Rouge, le long du boulevard St Michel.
La question était lancinante : maintient-on le dispositif ? Pour combien de temps ? Vers 23h, la situation était claire pour moi : la manifestation étudiante était terminée, les derniers éléments étaient dispersés. S’il restait des groupuscules autour d’Odéon jouant à cache cache avec les policiers, cela ne concernait plus la manifestation.
Nous avons décidé de donner l’ordre de lever le camp selon les termes : « la manifestation est close. Les derniers éléments sont rentrés chez eux. A partir de maintenant, il ne s’agit plus de manifestation. Mais d’éléments individuels. On n’a plus d’utilité en tant que structure exceptionnelle. Cela ressort des forces de secours « ordinaires » et non plus du dispositif « manifestation ». Nous avons donc convenu de lever le camp.
Je suis remonté à pied le long du Boul’Mich. Rien ne laissait planer un changement d’évaluation. Puis moitié à pied, moitié en stop jusqu’à chez moi (par hasard, non loin de Meudon, où habitait Malik et sa famille). Le lendemain tôt le matin, j’apprenais la mort de l’étudiant malgré l’intervention du Samu. Les premières déclarations des ministres de l’Intérieur mettant en cause la santé fragile de l’étudiant pour dédouaner toute faute de la police — « si j’avais un fils sous dialyse, je l’empêcherais de faire le con dans la nuit » disait R. Pandraud — ont eu un effet dévastateur, provoquant colère et stupéfaction.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Retour sur la manifestation du 4 décembre
On peut ainsi cerner deux éléments qui complètent l’hagiographie officielle des évènements. Pour compléter les services d’ordre étudiants, décision avait été prise au sein de la Coordination étudiante de faire appel à des groupes d’extrême-gauche (LCR et autres) et non pas aux services d’ordre des syndicats (plus habitués à ce genre d’évènement). Tous n’ont pas vraiment joué le jeu de l’ordre, préférant semer le trouble.
Le rôle trouble d’un certain service d’ordre étudiant
Certains d’entre eux ont mené une attitude volontairement offensive, provocatrice, vis-à-vis des forces de l’ordre, en particulier lors de la manifestation du 4 décembre, qui avait vu plus d’un demi-million d’étudiants battre le pavé parisien (selon nos propres estimations). Ils couraient en avant, se détachant de plus en plus du cortège. Ils ont « laissé passé » ou « reçu » le renfort de divers groupes « autonomes » (à partir du niveau de la gare Montparnasse). Ceux-ci n’avaient rien de pacifiques Ils étaient organisés en petites unités, très mobiles, armées de battes, de barres de fer et autres, et se situaient très en avant des premiers éléments de la manifestation. L’intention était claire : en découdre… Ces différents éléments (plusieurs centaines) étaient déjà en posture place des Invalides se livrant à plusieurs heurts avec les forces de police, alors que le gros de la manifestation était encore loin. Quand les premiers contingents de manifestants, totalement pacifiques et débonnaires, sont arrivés sur la place, la situation était déjà plus que tendue…
Un affrontement inévitable
L’affrontement était inévitable. Quelques centaines d’étudiants et autres voulaient pénétrer en direction du Palais Bourbon. Les forces de l’ordre avaient reçu l’ordre de les en empêcher, avec les méthodes traditionnelles (grenades lacrymogènes, avancées en format bouclier). La pluie de pavés, cailloux et objets en tout genre (bouteilles) sur les forces de l’ordre était assez notable. Les petites unités, organisées, faisaient des « charges » au pas de course puis se retiraient ; elles disparaissaient totalement au moment des charges de police. Le service d’ordre étudiant (officiel) faisait tout ce qu’il pouvait pour éviter une confrontation, formant une chaîne pour éviter tout contact. Mais il a été très vite débordé et reçu peu de renforts, comme de consignes. Certains d’entre eux ont été blessés par les projectiles lancés par les étudiants.
Un climat de champ de bataille
Le climat fait de cris, et d’insultes en tout genre, d’un côté ; de lacrymogènes et d’avancées — qui se voulaient dissuasives mais ne faisaient qu’ajouter à la tension — a joué tout autant que des éléments objectifs pour faire de la place des Invalides une scène de bataille là où elle aurait dû être une manifestation pacifique. Au bout de plusieurs heures de présence, la volonté publique était de « nettoyer » la place, sans ménagement, pour éviter tout « kyste » manifestant. Le bilan de la manifestation en termes de blessés est largement supérieur au bilan officiel : au moins 300 blessés (5).
Le rôle trouble des « compagnies de quartier »
Si les lignes des gendarmes mobiles ont attendu stoïquement l’ordre d’intervenir — puis se sont mises en branle ensuite de façon inexorable —, les compagnies de quartier (basés dans les commissariats et peu entraînés à une situation à demi-insurrectionnelle) ont réagi de façon beaucoup plus épidermique, plus anticipative, plus désordonnée, avec l’utilisation de leurs armes de façon peu conventionnelle. Portant les mêmes insignes que les CRS, ils ont souvent été confondus avec eux (6), mais ne présentaient pas les mêmes qualités d’entraînement ni d’ordre… Selon nos localisations, ce sont ainsi de leurs rangs — placés parfois en seconde ligne, derrière les gendarmes mobiles — que sont venus nombre d’incidents graves, notamment les tirs tendus.
(1) La préférence avait été donnée aux services « blancs », non rattachés à la préfecture de police (Samu, Croix-rouge) plutôt qu’aux autres (Pompiers, Protection civile), sauf urgence vitale ou impossibilité de rejoindre rapidement.
(2) Cette méthode a été utilisée notamment dans les débuts de la manifestation, après le matraquage (malheureux) d’un passant un peu vindicatif par le SO (service d’ordre) de la manifestation. Comme quoi, les petites frappes n’étaient pas que d’un côté…
(3) Rien de très original à cela, une méthode issue de la médecine de guerre, mais assez peu usitée à l’époque, où le principe était de soigner sur place (cf. attentats de 1986). Cette méthode a été reprise lors des récents attentats.
(4) Certaines forces de police avaient – même après le 6 décembre – la fâcheuse posture de se mettre en avant, au plus près de la manifestation. Ce qui n’avait pas vraiment pour effet de calmer la situation, au contraire. A plusieurs reprises, on a réussi à faire dégager ces cordons de sécurité. Ce qui a eu un effet immédiat : pacifier le défilé (sans renier un pouce aux forces de l’ordre).
(5) Pour la grosse manifestation du 4 décembre, la protection civile a fait 172 interventions : 146 soins sur place + 26 évacuations dont 50% de CRS, et 2 hospitalisations pour soins graves. La Croix-Rouge a procédé à plus de 200 interventions : 130 soins sur place + 85 évacuations et 26 décharges (soins qui auraient nécessité une évacuation mais refusée par les bénéficiaires). 24 heures après, 12 personnes restaient hospitalisées en soins plus ou moins graves à Laennec, Ambroise Paré, La Pitié, Boucicaut et Hotel Dieu.
(6) Ces compagnies (dites d’intervention) portent les mêmes insignes et équipements à deux petites exceptions près : l’écusson cousu sur leur uniforme ne porte pas la mention des CRS mais de Police nationale (mais les couleurs et la disposition est quasiment identique) ; ils n’ont pas la ligne jaune sur le casque typique des CRS.
(crédit : MOD Belgique)
(B2) La défense belge va recruter régulièrement dans les prochaines années… Plus de 1000 personnes vont ainsi être recrutées en 2017. Avec un accent mis sur le recrutement de jeunes femmes. Le ministre Steven Vandeput l’avait indiqué lors d’une conférence de presse le 4 octobre dernier.
Des stéréotypes qui ont la vie dure
Depuis 1975, et l’entrée de la première femme à intégrer les rangs militaires, « beaucoup de choses ont changé » souligne-t-on à la défense. « Mais les stéréotypes ont la vie dure et l’équilibre en est encore lourdement affecté ». Le taux de personnel féminin n’atteint toujours que 8% des effectifs totaux en 2016.
Départs massifs en retraite = davantage de recrutements
Le recrutement dans les prochaines années devrait être « conséquent », afin de compenser des « départs à la pension massifs ». Au total, 1160 incorporations sont prévues en 2017 parmi lesquelles 130 officiers, 600 sous-officiers et 430 soldats et matelots. La Défense recherche « jeunes motivés, ne reculant pas devant l’effort, aimant l’aventure et prêts à accepter des risques mesurés » ainsi que le précise la doxa officielle.
Consultez les journées portes-ouvertes / job days
Elmar Brok et Cristian Dan Preda pendant un débat au Parlement européen (Crédit : PE)
(BRUXELLES2) S’il est un endroit où une Europe de la Défense est toujours au cœur de l’action européenne, c’est bien au Parlement européen. Les parlementaires ne veulent pas céder au défaitisme ambiant ou baisser les bras sur l’ambition d’une « Union de la défense ». Ils le disent haut et clair face à des Chefs d’Etat et de gouvernement qu’ils jugent timorés. A la veille du sommet, B2 a regroupé les quelques phrases entendues ces derniers jours au Parlement.
« L’Europe ne sera pas l’Europe tant que nous n’aurons pas une politique européenne de défense » — Inés Ayala Sender (S&D, Espagne).
L’Europe n’est pas prête
Après avoir construit la paix sur le continent, les Européens ont oublié de se préparer à une nouvelle guerre, quelle que soit sa forme.
« Notre Union n’est pas équipée pour faire face à des défis majeurs en matière de défense. » — Urmas Paet (ALDE, Estonie)
Ne plus dépendre de l’OTAN
Les Européens ne pourraient pas assurer leur propre sécurité si la Russie devait passer à l’acte, dépendant de l’accord des Américains… et des Turcs. Le Parlement européen reprend de plus belle sa demande d’indépendance face à l’organisation transatlantique.
« L’OTAN ne peut pas, avec sa table de décision à laquelle siègent M. Erdoğan et bientôt M. Trump, être la caution de sécurité des Européens. Nous devons nous prendre en main, et il est temps de transformer les bonnes intentions et les bonnes paroles en actions concrètes. » — Arnaud Danjean (Les Républicains/PPE)
Arrêter l’hypocrisie
Pour les députés européens, le vrai problème est politique. Le manque de volonté des États membres est le véritable frein à une Europe de la défense. Ils demandent donc aux Chefs d’État et de gouvernement d’assumer « une plus grande responsabilité ».
« Nous avons de nombreux exemples ridicules de mauvais fonctionnement. Prenons les battlegroups. Ils existent depuis 2007 mais n’ont jamais été utilisés. C’est encore plus ridicule si on regarde de près les raisons pour lesquelles ils n’ont pas été utilisés […] » — Urmas Paet (ALDE, Estonie)
« Les États membres doivent arrêter de dire qu’ils veulent plus de défense, de sécurité, sans pour autant contribuer financièrement. Ça ne fonctionne simplement pas. » — Ioan Pascu (PSD/S&D, Roumanie).
Repenser la PSDC pour acquérir une autonomie stratégique
Il faut commencer à mettre en oeuvre le « C » de la politique européenne de sécurité commune (PSDC), disent les députés : « mutualiser » les efforts de capacités, d’échange d’informations, d’unités militaires mises à disposition de l’UE pour ses missions en Afrique ou ailleurs… Objectif : avoir plus d’autonomie stratégique.
« La politique de sécurité et de défense commune (PSDC) doit être radicalement remaniée afin d’affirmer l’autonomie stratégique de l’Union européenne et de renforcer sa capacité de résistance » — Ioan Pascu (PSD/S&D, Roumanie).
Parler de défense régulièrement dans les hautes sphères
Aussi contradictoire que cela puisse paraitre, sécurité et défense sont des thèmes fort peu traités par les décideurs européens. Les ministres de la Défense des 28 ne se réunissent que deux fois par an, toujours dans l’ombre de leurs confrères des Affaires étrangères. Les chefs d’État et de gouvernement ne parlent de défense et sécurité que de façon épisodique et souvent lapidaire…
« Le véritable problème est l’absence d’un Conseil des ministres de la défense. Tout comme l’absence d’un commissaire pour la défense. Il en découle un manque réel de leadership. Bien sûr, il y a la Haute représentante, Federica Mogherini, avec une casquette pour les affaires étrangères et la sécurité, ce qui signifie à peu près tout dans le monde… Je crois que c’est trop. Un seul commissaire ne peut pas gérer tout cela, simplement parce que personne n’a pas plus de 24 heures par jour » — Urmas Paet (ALDE, Estonie)
Pour avoir des capacités, relancer l’industrie de la défense
La clé pour avoir les capacités de défense nécessaires est de renforcer l’industrie européenne de la défense, par de nouveaux programmes, de nouveaux financements…
« Depuis des années, nous savons que l’industrie de la défense est une industrie stratégique confrontée à un nombre croissant de défis. En effet, il n’était pas nécessaire de le reformuler dans un autre plan. Seuls de nouveaux programmes d’armement commun garantissent la survie de notre industrie de la défense. Ce qui manque, ce sont les programmes coopératifs »— Michael Gahler (CDU/PPE/ Allemagne)
Une question de crédibilité
L’enjeu final est clair. Considérée un soft-power, l’Union européenne n’est plus crédible si elle ne peut pas se protéger elle-même.
« Si nous ne sommes pas capables d’assurer notre sécurité, l’Union européenne cessera d’exister. » — Sandra Kalniete (PPE/Vienotiba, Lettonie)
« Nous avons besoin d’une solide capacité militaire. Nous avons besoin d’une capacité de projection de puissance substantielle. Nous avons besoin d’un pouvoir crédible pour pouvoir participer à la prévention des conflits avec succès. » — Tamás Meszerics (Verts/ Allemagne)
(Leonor Hubaut)
Le Parlement veut voir se concrétiser l’Union européenne de la défense (projet de rapport)
Il faut repenser les priorités de la PSDC. La Syrie doit être au top de la liste (Ioan Pascu)
Les 10 propositions des parlementaires (en bref):
Bertrand Badie lors d’une conférence organisée par l’ambassade de France à Oman (Crédit: Ministère français des Affaires étrangères)
(B2) Face à la situation dramatique à Alep, nous avons choisi de donner la parole à Bertrand Badie, professeur de sciences politiques à Sciences Po-USPC. Il analyse — bien mieux que nous aurions pu le faire — la débâcle totale des diplomaties occidentales (européenne et américaine) faisant « des vieilles puissances (…) des spectateurs impuissants, badauds diplomatiques d’une des crises les plus aiguës de la scène internationale d’après-guerre ». Et ce n’est pas fini. La situation actuelle recèle encore d’autres dangers.
Humainement, les souffrances de la population d’Alep couvrent toute autre considération. Politiquement, la déroute occidentale fait l’événement tant elle est accablante. Les vieilles puissances étaient jadis tour à tour les gendarmes, les administrateurs et les arbitres d’une région où, dès 1919, elles se considéraient chez elles.
Elles se retrouvent aujourd’hui au rang de spectateurs impuissants, badauds diplomatiques d’une des crises les plus aiguës de la scène internationale d’après-guerre. Pire encore, incapables d’agir, elles sont en partie les responsables plus ou moins conscientes du drame. Réunions au Quai d’Orsay, missions parlementaires, bons sentiments rhétoriques : tout est bon pour servir de cache-misère. Mais la débâcle est là : il va falloir la gérer…
Un mauvais départ et une naïveté diplomatique
Peut-être convient-il d’abord de la comprendre. Convenir que le point de départ était absurde : brandir, la main sur le cœur, qu’on ne parlerait plus jamais au dictateur incriminé. Bonne ou mauvaise sur le plan éthique, la posture relevait de l’extrême naïveté diplomatique. Elle rendait impossible toute négociation, puisqu’elle l’excluait par avance et qu’elle brandissait le résultat avant même que ne commence le débat.
Assortie de la certitude que Bachar al-Assad ne tiendrait que quelques semaines, elle devenait l’otage d’un pari risqué digne de turfistes ou de pelousards d’occasion. Le choix était même irréaliste dès lors qu’on savait que les armées occidentales ne conduiraient aucune coalition capable d’épauler une insurrection dont on ne s’assurait ni de l’identité ni des soutiens régionaux. Il devenait carrément arrogant dès lors qu’il était perçu, à tort ou à raison, comme le prolongement d’une diplomatie « transformationnelle », c’est-à-dire visant à guider les changements de régime là où on le décide.
L’échec de la diplomatie transformationnelle
Cette diplomatie a échoué partout tout en faisant pourtant la réputation de l’Occident : elle s’est effondrée en Afghanistan, en Irak, en Libye ; elle s’est révélée meurtrière et source de problèmes nouveaux sans cesse plus graves. Pire encore, elle a éveillé le soupçon d’un grand nombre pour s’imposer comme une aubaine chez les plus cyniques. Les islamistes radicaux s’en sont nourris avec abondance, les puissances émergentes au souverainisme sourcilleux s’en sont inquiétées jusqu’à s’éloigner de la diplomatie de l’ancien monde tandis que la Russie de Poutine y a trouvé les choux gras de sa nouvelle diplomatie : se protéger d’un interventionnisme qu’elle n’avait pas vu venir en Libye et se présenter comme la garante des pouvoirs établis, là où tant de régimes autoritaires tremblent pour leur survie.
S’immiscer pour imposer un autre pouvoir n’aboutit jamais
L’équation est pourtant simple : intervenir chez l’autre pour réchauffer un pouvoir chancelant est possible, parfois gratifiant à court terme. S’immiscer pour imposer un autre pouvoir n’aboutit jamais : aucun fourgon étranger n’est assez grand pour y transporter un régime de substitution. Les puissances occidentales ont pu sauver des dictateurs, au Gabon, en République démocratique du Congo, au Tchad et ailleurs : elles ont été moins heureuses lorsqu’il s’agissait de mettre en place des formules de substitution.
Moscou ou Téhéran avaient trop besoin de démontrer à l’Occident que celui-ci perdait la main en la matière pour faciliter une transition politique douce en Syrie. Ils ont trop besoin de démontrer que la diplomatie occidentale a définitivement perdu cette prétention d’antan pour se prêter à une concertation ouverte sur l’évolution du régime de Damas.
Le choix dangereux des révoltes qui arrangent
L’avenir n’est réjouissant en fait pour personne. Renforcée par son succès militaire, la coalition russo-irano-assadienne n’a pas fini le travail, tant s’en faut. Quelques heures après que François Hollande se fut réjoui des « reculs » de Daech, celui-ci avançait victorieusement vers Palmyre, tandis que la bataille de Mossoul semble s’enliser. Les actions menées vers Raqqa sont le fait d’une coalition « arabo-kurde » qui risque de provoquer l’ire d’Ankara et mettre la Russie face à des soutiens occidentaux ambigus.
Devant de telles incertitudes, les handicaps l’emportent sur les atouts. Le jeu occidental est terriblement pauvre. Les puissances qui l’orchestrent n’ont pas d’alliés dans la région, face à une Turquie incontrôlable et une Arabie saoudite des plus complexe. Elles n’ont plus de leviers, tant la méfiance des uns et l’incrédulité des autres viennent à les affaiblir. Appuyant certaines dictatures et choisissant les révoltes qui les arrangent, elles ne savent pas construire une diplomatie réellement en prise avec les réalités sociales régionales ; piégées par leurs échecs, elles ont du mal à atteindre les tables de négociation, à l’exception des États-Unis que la Russie recycle partiellement pour lui servir de faire-valoir…
Les impasses des uns, le bonheur des autres
La Russie, quant à elle, a mangé son pain blanc : elle a pu montrer sa force, ce dont elle rêvait pour revenir dans le jeu. Il lui faut maintenant montrer que cette force est convertible en capacité politique. Mais il ne suffit plus de faire d’Assad un nouvel Husak ou un Gomulka d’après 1956. Ce temps est terminé et cette résistance des dynamiques sociales risque bel et bien de faire le jeu du troisième larron incarné par les entrepreneurs islamistes les plus radicaux. « Voilà pourquoi votre fille est muette » et comment les impasses des uns font le bonheur des autres : il serait temps d’y penser…
Bertrand Badie
Professeur des Universités à Sciences-Po (Institut d’études politiques de Paris) et enseignant-chercheur associé au Centre d’études et de recherches internationales (CERI).
Article publié en premier lieu dans le Journal du Dimanche, reproduit avec l’autorisation de son auteur. Titres et intertitres sont de la rédaction