(B2) En matière de lutte anti-terrorisme, l’Europe n’a pas directement de pouvoirs d’action directs. Mais elle a permis d’instaurer un cadre législatif commun, des outils de coopération (police, justice), enfin des échanges d’information et des discussions politiques de plus en plus intenses au point qu’on peut parler aujourd’hui de politique européenne de lutte contre le terrorisme.
L’ouvrage qui vient de paraitre écrit par deux officiers de la Gendarmerie française, Grégoire Demezon et Franck Peinaud, arrive donc à point nommé. Il présente de manière synthétique, et didactique, la politique publique européenne de lutte contre le terrorisme, dont le contenu est épars dans les documents officiels européens. Un outil très utile pour tous ceux qui s’intéressent aux questions de sécurité européenne.
• L’Europe face au terrorisme, Grégoire Demezon et Franck Peinaud, éditions Nuvis – Collection la Pensée stratégique, 7 mars 2017, 150 pages, 25 euros
Le chien du Commandant Ducuing chargé de renifler les armes (crédit : EUNAVFOR Med / Marine nationale – Archives B2)
(B2) Le gouvernement d’union nationale libyen, établi à Tripoli, contournerait-il l’embargo sur les armes avec un certain assentiment du commandement d’EUNAVFOR. C’est un peu le sens de l’interpellation qu’a faite l’ambassadeur français lors d’une réunion du COPS (le Comité politique et de sécurité de l’UE), le 25 avril, lors d’un point spécifique de la réunion consacré à l’opération Sophia (EUNAVFOR Med). Un point tenu en formation « secret » au Justus Lipsius, le siège du Conseil, où seuls les ambassadeurs étaient conviés (comme le prouve l’ordre du jour).
L’objet de la discussion vaut évidemment ces mesures de précaution. L’ambassadeur français accuse, preuves à l’appui, l’opération européenne EUNAVFOR et l’amiral Credendino, d’avoir laissé passé au moins un navire transportant des armes en violation de l’embargo imposé par les Nations unies et du mandat reçu par l’opération depuis septembre. Effectivement dans le bilan dressé avant la réunion des ministres de la Défense, en plusieurs mois d’action, le « 0 » armes trouvées s’affiche de façon immanquable. Ce qui est plus qu’étonnant pour une tâche démarrée depuis septembre (lire Au bilan de l’opération Sophia).
Un bateau de pêche reconverti en transport de blessés… et d’armes
Selon Der Spiegel, l’ambassadeur français a des faits précis : le gouvernement libyen de Tripoli se livre à de la contrebande d’armes de Misrata à Benghazi (Benghazi). Et il le prouve. Le « Lufy », ou « Al Luffy », un gros bateau de pêche avec plus de 15 équipages, reconverti en navire de transport. Officiellement ce navire rapatrie des blessés, mais à l’intérieur on a surtout chargé des mitrailleuses et d’autres armes. Malgré tout, aucune saisie n’est effectuée… Le Lufy passe sans encombre le contrôle européen. On ferme les yeux. Le contre-amiral italien Enrico Credendino a donné l’ordre de relâcher le navire – écrit l’hebdomadaire allemand – car celui-ci évolue au nom du gouvernement d’union nationale et bénéficie donc d’une sorte d’immunité. De quoi susciter une sérieuse colère de quelques États membres mis au courant, un peu excédés du double jeu italien.
Un coup de pied ou un coup de chance
Quelques jours après cette « explication » en COPS, une première saisie d’armes est assurée (et rendue publique), le 1er mai, par une équipe lituanienne et le navire Rhein. A bord, lance-roquettes, mines terrestres… un petit arsenal – selon nos informations – pas vraiment destiné à assurer la paix, mais surtout destiné à lutter contre Haftar (Lire : Des armes à bord d’un navire libyen. Une première saisie pour Sophia). Un « coup de chance » ironise un diplomate. « Ce qui prouve que nous avions raison d’insister, et d’insister pour mettre en place un tel contrôle ». « Notre travail a payé » nous expliquera Enrico Credendino, assez peu loquace, alors que nous le croisons dans le patio du SEAE il y a quelques jours (le 4 mai).
Commentaire : Derrière la belle unité européenne, affichée officiellement, soutenant le gouvernement de El-Sarraj, les divisions sont en fait bien réelles. Entre Français et Britanniques, d’un côté, et Italiens ou Maltais, de l’autre, la vision de la solidité et du soutien au gouvernement de Tripoli est très différente (pour être diplomate…).
(Nicolas Gros-Verheyde)
Afin de marquer la fin de la formation du Bataillon d’Infanterie Territoriale (BIT) 3 et faisant suite à l’exercice bataillonnaire, une remise d’attestation de formation est remise aux cadres. (Crédit: EUTM RCA)
(B2) Le premier bataillon des forces armées centrafricaines formé par la mission européenne EUTM RCA, est opérationnel. Une cérémonie de remise de diplômes a été organisée au camp Kasaï hier (jeudi 11 mai), pour marquer la fin des sept mois de formation.
Une formation de sept mois
Les 650 soldats, hommes et femmes, du bataillon d’infanterie territoriale numéro 3 (BIT3) ont suivi une formation et un entraînement allant de la mise en place de la structure de commandement, de l’entraînement individuel, puis niveau groupe, section, compagnie puis enfin bataillon. Deux priorités ont guidé la formation : « défendre la population et les biens » et « garantir l’intégrité du territoire national ».
Un premier (petit) pas pour la reconstruction des FACA
Pour Herman Ruys, le général belge commandant la mission européenne EUTM, la formation de ce premier bataillon n’est qu’un « premier pas » dans la reconstruction de l’armée centrafricaine. « Maintenant, on a un bataillon de 600 personnes est capable de faire certaines tâches, mais il faut que l’on continue. Au fur et à mesure on va augmenter la capacité des FACA. » La formation du second bataillon, le « BIT1 », a déjà commencé. Européens et Centrafricains sont désormais mieux rodés. Sa formation devrait prendre trois ou quatre mois, selon ce qu’a pu savoir B2. D’ici la fin de son mandat de deux ans, EUTM RCA devrait avoir formé trois bataillons, soit 1800 personnels.
Pas de déploiement prévu… par manque de moyens
Un petit bémol vient tempérer ce bon résultat. Les 650 soldats centrafricains auraient dû être déployés sur le terrain, en particulier au sud-est du pays, où opèrent les forces spéciales américaines et les forces africaines régionales lancées aux trousses de Joseph Kony. La réalité a imposé de reporter ce déploiement. Ces soldats centrafricains ne disposent ni de l’équipement basique (logistique, camions, systèmes radio…) ni de l’armement (individuel ou d’unité) pour cela. Le risque est réel. « Si on les envoie sans moyens, sans armement, sans soldes, ils pourraient retomber dans les travers du passé », à savoir le racket de la population, expliquait récemment à B2 un connaisseur du pays.
A peine l’armement pour équiper une compagnie
« L’armement dont dispose les FACA suffit à peine à équiper une compagnie de combat, soit environ 150 hommes. Les munitions à disposition suffiraient à peine à tenir pendant 30 minutes une hostilité à faible intensité » affirmait le chef d’état-major Ludovic Ngaïfeï lors d’un colloque, début avril. La question des véhicules tactiques a été, en partie, réglée par des donations bilatérales de la France d’un côté, des États-Unis, de l’autre. La Chine a promis de livrer du matériel et des uniformes.
(Leonor Hubaut)
Lire aussi :
(B2) Le renforcement de l’Europe de la défense a aujourd’hui un mot et un symbole : la coopération structurée permanente.
Son objectif parait clair : permettre à ceux qui veulent aller de l’avant d’approfondir, entre eux, des liens et des projets pour permettre des déploiements plus rapides et efficaces sur le terrain en cas de crise majeure, comme de renforcer leurs capacités de défense. En un mot, l’Europe de la défense tant rêvée mais jamais appliquée.
Ce dispositif s’inscrit dans la filigrane de l’Europe politique ébauchée lors du Traité de Maastricht, reformulée sous le terme d’Union européenne de la sécurité et de la défense dans les années 2000 (sommet des Pralines). Il a été reformulé dans la Convention européenne, conçu pour réunir les pays disposés à reprendre les obligations d’assistance mutuelle et de défense collective de l’UEO moribonde, et intégré dans la Constitution européenne / puis dans le Traité de Lisbonne sous la forme d’un dispositif apparemment plus technique, la Coopération structurée permanente. Mais l’esprit est resté le même, posant haut l’ambition de défense. A l’entrée en vigueur du Traité, fin 2009, ce dispositif aurait dû voir le jour. Il n’en a rien été. Aucun État membre ne semblait disposer, en pleine crise financière, à dépenser plus et agir davantage en matière de défense. Il a fallu attendre 2016 et une nouvelle impulsion menée, de façon concomitante, par la Haute représentante Federica Mogherini (qui l’a inclus dans sa « stratégie globale ») et le couple franco-allemand (aidé des Espagnols), pour voir ressurgir le projet, aujourd’hui sur la table des 28. Les ministres de la Défense doivent en parler le 18 mai prochain.
Une équation compliquée
Malgré plusieurs discussions dans différents cercles depuis l’adoption de la stratégie globale en juin 2016, les résultats sont pour le moins mesurés. Il faut bien l’avouer. L’équation est, en effet, compliquée : il faut réussir à associer une majorité d’États membres (la décision se prend à la majorité qualifiée), prêts à s’impliquer davantage, à dépenser plus et, surtout, à mettre en jeu la vie de leurs hommes (et femmes) sur des terrains présentant quelques risques. Or, en Europe, il y a peu d’États aujourd’hui qui réunissent ces différents paramètres : 1) volonté politique d’aller plus loin, 2) capacités militaires pour le faire, 3) potentiel de défense, 4) disponibilité financière pour investir, 5) acceptation du risque.
Des paramètres que peu d’États réunissent
Certains ont soit une certaine volonté politique, soit l’acceptation du risque mais pas vraiment de finances (Grèce, Portugal, Belgique, Slovénie). Quelques uns ont les finances mais pas la volonté ou pas les capacités (Autriche, Irlande, Suède). Certains ont tout … sauf l’acceptation du risque (Allemagne) et ne veulent pas jouer trop « noyau dur » pour éviter de briser les cercles. Quelques uns, enfin, ne veulent rien du tout, et surtout pas que l’UE s’investisse dans sa défense (Royaume-Uni mais aussi Pologne). La majorité n’ont ni l’un ni l’autre mais ne veulent pas être exclus des différents projets (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Malte, Chypre, Slovaquie). Bref, au-delà de la belle unanimité de façade, la division est réelle et l’incapacité d’agir latente.
Le mouton à cinq pattes ou une mobylette solaire
Pour réconcilier tout le monde, on a trouvé un nouveau concept (légèrement éloigné de l’idée d’origine) : « une coopération structurée permanente, inclusive, reposant sur une approche modulaire, et traçant les contours de projets éventuels ». C’est un peu le mouton à cinq pattes, ou à peu près. C’est un peu comme si vous aviez le projet d’une fusée à envoyer sur la lune, en dictant trois conditions : la consommation d’un moteur de mobylette, la vitesse supérieure à l’attractivité terrestre, un toit arboré et pouvoir emporter l’équivalent d’un bus complet en personnel… Difficile à réaliser. Etre inclusif – c’est-à-dire associer tous les États membres ou presque (excepté Danemark (1) et Royaume-Uni (2) voire l’Irlande (3)) – revient en fait à décider à 26 ou 27 comme aujourd’hui. Etre très ambitieux équivaut à exclure quasiment tous les pays et donc à casser une certaine cohésion européenne, ce que personne ne veut (France y compris).
Objectif : ne pas casser l’unité
L’approche modulaire est aussi séduisante intellectuellement mais elle revient, elle aussi, à casser l’unité et contrecarre le coté « structuré » de la PESCO. Et, surtout, elle ne présente pas vraiment d’originalité avec ce qui est déjà possible aujourd’hui. Comme l’expliquait un haut responsable national, si nous voulons coopérer avec un pays, sur un projet précis, nous n’avons pas vraiment besoin de l’Union européenne. Nous le faisons très bien. Et c’est la réalité aujourd’hui en matière de défense. Nombre de projets se mènent de manière bilatérale (Belges avec Néerlandais, Français et Britanniques, Tchèques et Slovaques, Suédois et Finlandais, etc.) ou de manière multilatérale (EATC).
Une certaine confusion des instruments
Résultat, on discute, on discute. On mange du chamallow. Cela a certes un avantage : cela permet de garder vivant et remettre sur le tapis des discussions politiques un dispositif dont tout le monde avait oublié, jusqu’à l’existence. Mais on en oublierait presque de définir la plus-value de cette PESCO. Or, personne aujourd’hui n’est vraiment capable de dire ce que permettrait de plus cette Coopération structurée, inclusive, modulaire, unique et multiforme. Certes les Allemands ont fait quelques propositions. Mais celles-ci sont assez succinctes et peuvent très bien être réalisées sans cet instrument. On semble ainsi confondre les autres coopérations, possibles dans le cadre du Traité, avec d’autres instruments (4) ou hors du Traité (5) et la Coopération structurée permanente qui est « unique », ne peut être déclenchée qu’une seule fois, et est permanente ensuite… A la manière de la monnaie unique.
Les missions les plus exigeantes
Certains diplomates (français notamment) n’ont pas tort de rappeler l’ambition de départ. Une ambition qui se retrouve dans le texte même du Traité . Il ne s’agit pas de faire des missions ordinaires mais de remplir les « missions les plus exigeantes » de l’Union, les plus robustes, celles qui visent à l’interposition voire à l’imposition de la paix.
« Les États membres qui remplissent des critères plus élevés de capacités militaires et qui ont souscrit des engagements plus contraignants en la matière en vue des missions les plus exigeantes, établissent une coopération structurée permanente dans le cadre de l’Union. Cette coopération est régie par l’article 46. Elle n’affecte pas les dispositions de l’article 43. » (article 42.6 du Traité)
En clair, il ne s’agit pas de faire quelques projets sans doute éminemment utiles (et sympathiques) mais de construire l’embryon d’une capacité robuste de défense européenne, capable de remplir ses ambitions annoncées de stabilisation dans son voisinage (6).
L’Europe de la défense a aujourd’hui besoin de projets plus ambitieux, concrets, structurants… pas d’usines à gaz qui seront à combustion lente et ne produiront pas autre chose que du chamallow à l’arrivée.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Le Danemark a un opt-out en matière de défense.
(2) Le Royaume-Uni est sous l’effet de sa déclaration de Brexit et a une opposition fondamentale à tout projet de l’Europe de la défense.
(3) L’Irlande a un statut de pays neutre. Et, à deux reprises, une déclaration annexée au Traité l’a rappelé (en dernier lieu le Traité de Lisbonne) et était une condition expresse de la ratification de ces traités.
(4) Le traité permet ainsi des coopérations renforcées (désormais possibles dans le domaine de la Défense) qui obéissent aux règles habituelles de celles-ci, et qui sont distinctes de la Coopération structurée permanente. Il permet aussi aux 28 de confier à quelques États membres des actions communes, menées en quelque sorte par délégation.
(5) L’Airbus A400M comme EATC ont été faits hors du cadre du traité communautaire, de même que la coopération Benelux en matière maritime ou aérienne, ou la coopération terrestre germano-néerlandaise.
(6) A supposer qu’un accord de cessez-le-feu réel soit signé un jour en Ukraine ou en Syrie, et que l’ONU (ou une autre instance) demande à l’Union européenne de s’investir pour prendre en charge une force militaire chargée de surveiller ce cessez-le-feu, les Européens seraient, bien en peine, aujourd’hui de mettre en place cette force.
(crédit : MOD Uk)
(B2 – exclusif) Le naturel semble être revenu au galop… Après une manifeste bonne volonté, les Britanniques ont mis ce qui ressemble à un « véritable » veto à la mise en place du projet de mini QG pour certaines missions militaires européennes. Ce qu’on appelle la MPCC en langage européen (1). Une habitude chez eux…
Un accord en mars… un désaccord en mai
Pourtant, en mars, le ministre britannique à la Défense, Michael Fallon, avait montré son accord. Mais est-ce l’habituelle duplicité britannique ou plutôt le contexte électoral ? Dans tous les cas, les Britanniques ont tourné casaque et ont, jusqu’à présent, refusé toutes les propositions de compromis qui leur étaient présentées. « Il ne s’agit pourtant que de transcrire en termes juridiques un accord politique » plaide un diplomate d’un État membre en faveur de la MPCC. « Il y a un accord politique certes » reconnait son homologue britannique. Mais il faut ensuite le traduire dans une décision. Et le langage a alors toute son importance. « Le langage traduit ce que espérez faire » constate-t-il.
Durcissement lié au Brexit
Cette attitude est assez logique, d’une certaine manière. Et elle correspond au durcissement affiché à Londres sur le Brexit. Mais elle passe mal auprès des autres États membres, notamment en France mais aussi en Allemagne, en Espagne, et jusqu’en Finlande. Elle ne laisse présager de bon sur le reste des négociations.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Lire tous les détails : MPCC. Fidèles à leurs habitudes, les Britanniques bloquent. Les points de désaccord
Et notre fiche mémo : Le commandement des missions militaires (MPCC)
Lire aussi : Un mini QG pour les missions de l’UE. Pour quoi faire ?
(1) Capacité de conduite et planification des missions (militaires non exécutives).