(B2) En plusieurs années, diverses menaces, réelles ou ressenties, ont visé tour à tour plusieurs pays européens. Aucun pays ne se sent réellement plus à l’abri, visé au moins directement par un type de menace (primaire) et indirectement par une ou plusieurs autres. Cette pression conduit à des évolutions majeures des réflexions nationales en matière de défense européenne
(crédit : Bundesheer Autriche – Christian Debelak)
Premièrement, une pression extérieure majeure
En trois ans, l’Europe a été parcourue de trois crises successives, graves, d’origine extérieure, qui ne sont pas toutes résolues :
1° le conflit russo-ukrainien et les tensions à l’Est. Elles sonnent comme une résurgence tragique d’une période sombre de l’histoire européenne. Se sentent surtout concernés les pays baltes et pays de l’Est (Pologne, Tchèque/Slovaquie, Hongrie, Roumanie, Bulgarie)
2° la crise des migrants/réfugiés et les tensions aux frontières Sud Est et Sud. Un véritable traumatisme pour nombre de pays européens peu confrontés jusqu’ici à ce type de crises. Sont surtout concernés les pays du Sud (Italie, Grèce, Bulgarie), dits pays de première ligne (bleu foncé), mais aussi les pays des Balkans (Serbie, Croatie, Slovénie, Hongrie, Autriche, Allemagne) en deuxième ligne (bleu roi) ; et des pays plus au nord (pays d’accueil ou de non-accueil) : Danemark, Suède, Finlande, Pologne, Tchèq/Slovaquie en troisième ligne (bleu clair).
3° Une nouvelle vague de terrorisme qui frappe l’Ouest de l’Europe. Sont plutôt concernés les pays à l’ouest du continent — France puis Belgique, Royaume-Uni, Espagne, Allemagne — mais aussi, plus récemment au nord — Finlande, Suède —.
Les attentats successifs de Paris, Copenhague, de Sousse (Tunisie), Bamako (Mali), Istanbul (Turquie), Ouagadougou (Burkina Faso)… montrent que le terrorisme n’est pas un épiphénomène (lire dossier : N°32. L’Europe face à une nouvelle vague de terrorisme). Ils puisent à la fois à l’intérieur des sociétés et à l’extérieur. Après la tentation de l’autruche (Lire : Face au terrorisme, la réponse européenne trop lente), chacun des pays a bien perçu qu’il ne peut faire face et lutter tout seul face à ce phénomène. Quand une arme des Balkans est désactivée en Slovaquie, revendue en République Tchèque ou en Belgique pour devenir une arme à disposition de terroristes, passés par plusieurs pays européens, pour commettre leur crime à Paris, on voit bien que la problématique est européenne.
Deuxièmement : une ceinture d’instabilité en première et deuxième ligne
Deux conflits civils majeurs « frontaliers » se déroulent en bordure de l’Europe : le conflit syrien (irakien) qui concerne au premier chef Chypre et le conflit libyen qui concerne surtout l’Italie et Malte. Et, plus au large, trois zones d’instabilité africaines sonnent comme autant de menaces : la Corne de l’Afrique qui concerne plus directement l’Italie ; le Sahel qui préoccupent particulièrement la France et l’Espagne ; le Nigeria qui concerne le Royaume-Uni.
Cette conjonction d’évènements a un effet politique. Quelle que soit la crise, plus aucun État, aujourd’hui, ne se sent à l’abri… ni capable d’y faire face seul.
Le déclenchement en novembre 2015, après les attentats du Bataclan, par la France de l’article 42.7 (clause d’assistance mutuelle) n’a sans doute pas eu l’effet espéré de déclencher une vague d’engagements à court terme (Lire : La demande française de solidarité : un semi flop). Elle a, en revanche, incontestablement été un signal politique fort. Elle a signé la fin d’une certaine inconstance et obligé à une réflexion à moyen terme.
Troisièmement, tous les moyens de défense mobilisables
Face à une telle diversité de crises, sur différents horizons géographiques et thématiques, tous les vecteurs opérationnels sont cette fois nécessaires pour assurer une réponse :
Un ensemble de moyens qui n’est plus accessible aujourd’hui à un seul État. Seuls deux pays européens (France et Royaume-Uni) disposent de toute la palette opérationnelle, mais pas de façon intensive. Pour une mobilisation simultanée, importante, sur une durée qui dépasse 24 ou 48h, ils doivent recourir à l’assistance de leurs voisins.
Quatrièmement, des traumatismes politiques et des voisins instables
Ces crises seraient assez ‘gérables’ si les Européens ne devaient pas faire face à plusieurs traumatismes politiques, internes (cf. § suivant) et dans le voisinage, qui changent la donne stratégique. Plusieurs des alliés ou/et voisins de l’Europe considèrent désormais l’Union européenne (UE), non plus comme un ami, un allié ou un voisin ‘sympathique’, mais comme un adversaire ou un concurrent qu’il faut minorer, voire abattre.
1. la tendance autocratique russe. Pour le président russe Vladimir Poutine, l’Union européenne apparait plus dangereuse que l’OTAN avec son système démocratique et libéral, son dynamisme mou, ses accords d’association à visée économique mais aussi politique. Elle se révèle plus dangereuse au final, qu’un adversaire ‘dur’ type OTAN, le bon vieil ennemi très utile pour mobiliser au niveau national. Avec l’annexion de la Crimée en 2014 et les troubles dans le dombass ukrainien, il poursuit une politique d’établissement d’un no mans’land entre la Russie et l’Europe, ayant renoncé au projet d’une grande zone de sécurité européenne. Et les tentation d’ingérence dans les campagnes électorales nationales se font plus nombreuses.
2. le coup de clairon américain (2). L’arrivée au pouvoir en 2016 de Donald Trump sonne le glas d’une époque. Le nouveau président n’a pas la même considération pour l’Union européenne que ses prédécesseurs, et le montre très clairement. Sa tentation de casser tous les accords internationaux défendus par l’Europe (climat, nucléaire iranien, forces nucléaires à portée intermédiaire, statut de Jérusalem), de ne pas l’associer dans ses différentes discussions internationales (Syrie, Corée du Nord) tout comme son mépris latent pour les Européens prédomine.
3. le tournant turc. Le président turc Recep Tayip Erdogan, surtout après le coup d’état raté de 2016, considère que les relations avec l’Europe, et notamment l’adhésion à l’Union européenne, ne sont plus une priorité.
Autant de signaux supplémentaires incitant les Européens à, désormais, travailler un peu plus ensemble. Ils n’hésitent plus ainsi à faire voler en éclat les quelques principes qui sclérosaient jusqu’ici toute évolution.
Cinquièmement, des menaces d’implosion interne
A ce tableau, plutôt sombre, on peut ajouter quatre facteurs d’implosion interne.
1. Le décrochage britannique avec le Brexit est un traumatisme notable. C’est la première fois que la marche en avant d’une Union qui élargissait sans cesse son territoire s’interrompt et part dans l’autre sens. L’Europe perd un membre important de son Union (même s’il était parfois impertinent) et le Royaume-Uni perd de sa capacité d’influence.
2. La tentation conservatrice, nationaliste, de plusieurs États membres doit inquiéter. Les références à certaines valeurs ne sont plus évidentes aujourd’hui. Elles sont même discutées ouvertement. La solidarité européenne n’est plus naturelle aujourd’hui. Elle devient même exceptionnelle. Ce phénomène s’observe par trois éléments
3. L’extrême-droite progresse. Des mouvements néo-nazis se développent au grand jour, y compris en Allemagne pays qu’on croyait vacciné contre de tels agissements. On note ainsi :
4. La tentation séparatiste. Certains pays qui paraissaient « solides » voient en leur sein se développer une tentation séparatiste. Elle peut être qualifiée de tendance ‘douce’, très différente de celle qu’ils ont connu dans le passé, marquée par des mouvements à tendance paramilitaire comme l’IRA en Irlande ou l’ETA en Espagne. Elle apparait cependant bien réelle dans au moins trois pays : Belgique (Flandre), Espagne (Catalogne), Royaume-Uni (Ecosse).
Cette tentation séparatiste pourrait atteindre d’autres pays. Ce qui amènera inévitablement une interrogation sur l’organisation de l’Union européenne.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Une succession de crises qui oblige à changer les moyens
Les crises qui frappent l’Europe sont de nature différente mais elles interpellent, toutes, la notion même de pouvoir, d’autorité étatique : Zone Euro, frontières, sécurité et défense. On se trouve dans les fondements de l’Etat ‘puissance’ et non plus seulement de l’Etat ‘providence’ comme lors de la période 1980-1990, années ‘rêvées’ de l’Europe,
Ce n’est donc pas seulement une crise européenne, c’est une crise des États qui la composent, qui s’interrogent sur leur devenir et leur capacité d’action. S’il est difficile pour un seul État de faire face seul à toutes les crises, chacun rechigne bien souvent à faire les efforts nécessaires en commun. Ce qui explique le retard pris à prendre certaines mesures. Un retard qui agit comme une spirale infernale. Non seulement il aggrave et prolonge la crise existante (Zone Euro, Migrants, Sécurité), mais il contribue à fragiliser le pouvoir européen, et à entraîner la crise suivante, faisant d’une crise ‘technique’ une crise plus profonde et politique.
Il ne faudrait pas abuser des constats négatifs. Le tableau n’est pas complètement noir. Si on raisonne sur un temps plus long que lques années, après ces tergiversations, l’Europe a souvent réagi (ou est en train de réagir), transformant la réalité du projet politique européen, le complétant ou le consolidant, sans parfois changer un iota aux traités de base.
La Monnaie et le budget
Avec la crise en Grèce, la Zone Euro et la Commission européenne se sont dotées de moyens, de type fédéral, qui n’étaient pas prévus à l’origine. Des moyens de surveillance, contestés, car ils ne s’accompagnent de l’élément indispensable de l’exercice de la contrainte, une certaine légitimité démocratique. Certes, ce sont les gouvernements — et leurs parlements — qui ont consenti à ce glissement de souveraineté. Mais il manque une représentation européenne de cette légitimité, un parlement de la Zone Euro.
Les frontières
La crise des migrants et des réfugiés, qui devient une crise des frontières, va obliger les Européens à se doter d’un dispositif commun non seulement en matière d’asile (répartition des réfugiés sur tout le territoire européen) ou d’immigration, mais aussi de surveillance et de contrôle des frontières extérieures. C’est le sens de la proposition faite par la Commission européenne en décembre 2015 (Lire notre dossier : N°30. Garder les frontières de l’Europe. Vers un corps européen de garde-côtes et garde-frontières).
La défense
Les menaces aux portes de l’Europe devraient obliger à une réflexion identique en matière de défense. L’Europe en matière de défense paraît être encore un enfant qui suce son pouce et veut rester dans sa poussette alors qu’il devrait être adulte. Face à un danger, les Européens en sont toujours réduits à faire appel au gentil ‘tonton’ d’Amérique pour fournir hommes et matériels — drones, avions de transport stratégique ou moyens de reconnaissance, voire même… réparer une piste d’aéroport ! (Lire : Les Etats-Unis veulent quadrupler leur budget de présence en Europe. Faute d’Européens). Les moyens restent très éparpillés, sans réelle coordination politique. L’invocation de la clause de l’article 42.7 par la France était un signal politique. Les Européens feraient bien de s’en saisir et de mettre sur pied, d’ici quatre ou cinq ans, une vraie capacité de défense, et pas seulement quelques instruments (fonds de recherche, facilité européenne de paix, projets capacitaires).
(NGV)
NB : Ces éléments ont été développés lors d’un exposé à l’université de Grenoble en mars 2018, repris et complétés plus récemment
(B2) Le président américain Donald Trump n’a pas aimé la dernière proposition de Emmanuel Macron sur l’armée européenne. Et il l’a exprimé vertement, à son arrivée à Paris. A-t-il tout à fait tort ?
« Le président français (Emmanuel) Macron vient de suggérer que l’Europe construise sa propre armée afin de se protéger des Etats-Unis, de la Chine et de la Russie. C’est très insultant, mais peut-être que l’Europe devrait tout d’abord payer sa part équitable à l’OTAN, que les USA subventionnent énormément. » (1)
Cette colère est-elle justifiée ou du moins explicable ?
On peut trouver le propos de Donald Trump relativement impoli à son arrivée à Paris. Mais il répond, brutalement, à une déclaration d’Emmanuel Macron au micro d’Europe 1, tout aussi abrupte (lire : Face aux menaces, Macron propose une armée européenne. Un vieux ou un jeune phantasme ?).
Même si l’Elysée s’en défend et cherche à déminer le terrain, quand on écoute attentivement l’intervention du président de la République qui déroule un fil tout seul, sans être interrompu par des questions, il y a réellement une certaine novation dans les relations USA-France qu’on n’avait pas vécue depuis Jacques Chirac et la crise irakienne en 2003.
Est-ce la mise sur le même pied que la Russie et la Chine qui irrite l’Américain…
En mettant au même plan « la Russie, la Chine, et même les États-Unis » comme les raisons de protéger l’Europe. Puis en développant la nécessité « face à la Russie », d’avoir « une armée européenne », d’avoir « une Europe qui se défend davantage seule, et sans dépendre seulement des États-Unis et de manière plus souveraine », Emmanuel Macron a non seulement fait franchir un pas à une doctrine française réticente à cette idée d’armée européenne. Il a également mis en cause le rôle d’allié fiable des Etats-Unis. C’est d’une certaine façon la réponse du berger à la bergère Trump qui rangeait l’Union européenne au rang d’adversaire (2).
… ou un petit désir d’émancipation des Européens
Le propos du président français révèle que l’Alliance atlantique (3) ne suffit pas à protéger les Européens. Amorcer une autonomie européenne plus grande, comporte en germe, une atteinte à ce qui, pour les États-Unis, est vital : sa suprématie. C’est aussi une petite entaille au principe de l’America First soutenu par le président américain. NB : Encore faut-il que ce projet d’armée européenne soit suffisamment sérieux et puisse être mené à terme, c’est une autre histoire (lire article à suivre).
Trump a-t-il raison quand il dit que les Européens ne paient pas assez à l’OTAN ?
Non. C’est faux. C’est une vieille rengaine de Trump qui confond, sciemment, la contribution au budget de l’OTAN et l’effort de défense de chaque Etat membre. Pour le budget de l’Alliance, la contribution des USA est à peine supérieure à un cinquième (22%) du budget de l’Alliance, tandis que les Européens assument 2/3 du budget, le reste étant assumé par les pays hors UE. La seule contribution franco-allemande dépasse la contribution américaine, s’établissant à 25% du budget de l’alliance. Cette contribution est plutôt juste puisqu’elle fondée sur le produit intérieur brut de chaque pays.
Sur les budgets de défense, les USA sont en pointe cependant ?
Sur l’effort de défense, c’est une autre question, c’est un fait que le budget américain de défense représente une nette majorité (2/3) de l’ensemble des dépenses des autres pays de l’Alliance (Canada, Turquie, Norvège inclus). Sur ce point, Trump a raison, les Américains dépensent largement plus que les Européens.
Mais il faut pas oublier qu’une grande partie de l’argent US n’est pas destinée à l’Europe, il sert à remplir des tâches primordiales pour l’intérêt national : d’une part, la place de premier plan, que les USA entendent assumer au plan mondial ; d’autre part, les fonctions classiques de sécurité intérieure (jusqu’au déploiement de militaires sur la frontière mexicaine par exemple). Enfin, il ne faut pas oublier le rôle moteur du budget militaire US en tant que facteur de croissance économique par ses commandes à l’industrie nationale, les USA achetant peu à l’étranger, contrairement aux Européens.
En fait, si on regarde cela d’un point de vue purement économique, l’investissement américain à l’OTAN (près de 500 millions d’euros par an) est largement rentabilisé par les achats européens aux Américains.
Mais les Américains s’investissent en Europe ?
C’est un fait. Les Américains restent investis dans la sécurité européenne, d’une part car les Européens sont incapables de s’entendre entre eux pour avoir une force commune de défense ; d’autre part, car les Américains estiment que la sécurité du territoire européen est une partie de leur sécurité. D’où un effort supplémentaire, engagé sous le président Obama avec l’initiative de dissuasion européenne (European Deterrence Initiative) dépassant 4 milliards $ en 2017 pour renforcer la présence en Europe (Lire : Les Etats-Unis veulent quadrupler leur budget de présence en Europe. Faute d’Européens…)
N’y-a-t-il pas un double langage américain ?
En effet. On est dans un double langage, assez classique outre Atlantique. D’un côté, les Américains ne cessent d’appeler, sur tous les tons, les Européens à être responsables, à dépenser davantage. Mais dès qu’il y a un quelconque projet de l’Europe dans ce sens, les mêmes s’efforcent de miner de l’intérieur le projet, de le rabrouer vertement de façon extérieur ou de hurler au protectionnisme. On avait vu les mêmes alarmes américaines se mettre en branle lorsque les Européens ont mis en place un Fonds pour la recherche et le développement industriel de défense (lire : Quand les Américains critiquent les Européens : Ignares ou roublards ?).
A part un bon mot, ce tweet a une vertu : noyer immédiatement toute velléité d’autonomie stratégique européenne, perçue à Washington comme un danger. Pour Donald Trump, un Européen est, en fait, juste bon à payer et acheter du matériel US, voire à contribuer à des opérations décidées par lui.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) La révélation par le chancelier autrichien en personne de l’existence d’une taupe au sein de la Bundesheer (l’armée autrichienne) sonne-t-elle comme un tournant politique dans un pays réputé ‘souple’ vis-à-vis de la Russie
(crédit : Bundesheer)
Une valse de Vienne qui se termine mal
Il y a quelques temps entre Vienne et Moscou, on était dans les flonflons de la valse et les glissements doux des violons. La ministre des Affaires étrangères Karin Kneissl invitait Vladimir Poutine à son mariage avec deux trois pas de danse à la clé en août dernier. Tout récemment, fin octobre, le ministre de l’Intérieur H. Kickl (FPÖ) faisait le voyage de Moscou pour signer un accord de coopération policière avec échanges d’informations à la clé. La lune de miel semble s’être rompue. Lors d’un point de presse, tenu ce vendredi (9 novembre), le chancelier Sebastian Kurz (ÖVP) et son ministre de la Défense, Mario Kunasek (FPÖ), de concert, ont révélé une affaire d’espionnage qui pourrait nourrir le sujet d’un prochain film.
Un colonel à la retraite espion depuis ses débuts
Un colonel de l’armée fédérale, résident à Salzbourg, depuis 5 ans à la retraite, aurait espionné la Russie durant presque trente ans. Il aurait commencé son travail d’agent double « dans les années 1990 ». Et cela aurait duré jusqu’il y a peu « en 2018 » a révélé Sebastian Kurz. « Cela ne va pas améliorer les relations avec la Russie » a-t-il ajouté.
Extrêmement professionnel
Selon le quotidien Krone Zeitung, l’individu aurait touché 300.000 euros sur toute la période. Il était « extrêmement professionnel. Il avait un travail extrêmement discret dans un poste de commandement de l’armée ». Toutes les deux semaines, il prenait contact avec un certain ‘Yuri’, son officier traitant russe. Il recevait les commandes par l’intermédiaire d’un récepteur mondial, écrivait des messages chiffrés ou transmettait l’information directement par communication par satellite.
Des faits découverts il y a quelques semaines
Le ministre de la Défense Mario Kunasek a expliqué que l’information « avait été connue il y a quelques semaines ». Le ministère de la Défense a entamé des « discussions » avec l’individu soupçonné. « Différents appareils, notamment un ordinateur portable, ont été saisis et sont en cours d’évaluation » a-t-il indiqué, précisant que les faits avaient été transmis au ministère public. Une enquête pour trahison rapidement. « Même après la fin de la guerre froide, il y a encore de l’espionnage » a reconnu Kunasek.
Colère autrichienne et grand nettoyage en perspective ?
Le chancelier autrichien affiche, lui, sa colère : « L’espionnage est inacceptable » de façon générale. « Et l’espionnage russe en Europe est également inacceptable et condamnable ». L’affaire bruissait dans les milieux gouvernementaux depuis hier soir (jeudi) et s’est répandu comme une traînée de poudre dans les salons viennois. Le gouvernement a pris rapidement la mesure de l’évènement. La ministre des Affaires étrangères, Karin Kneissl a ainsi fait convoquer le chargé d’affaires russe vendredi matin. Elle a également annulé sa visite, prévue à Moscou les 2 et 3 décembre prochains en guise de signe de mécontentement. Quant au ministre de la Défense, Mario Kunasek, il a annoncé un grand nettoyage au ministère, indiquant vouloir « resserrer encore plus le filet de sécurité en Autriche comme au sein du ministère fédéral de la Défense », notamment sur le personnel et les cyberespaces. Il était temps ! L’Autriche qui abrite nombre d’institutions internationales, dont l’OIAC, était considérée par de nombreux services en Europe comme un peu trop ‘permissive’ par rapport à certaines tentatives d’entrisme.
Vienne, le point faible de l’Europe ?
Cette révélation très officielle par le Premier ministre comme le ministre de la Défense, l’un du parti populaire ÖVP et l’autre du parti d’extrême-droite FPÖ n’est donc pas une simple péripétie. Elle pourrait constituer un tournant politique.
Une taupe ou plusieurs taupes ?
La grande vérification annoncée par le ministre n’est pas anodine. Le colonel de Salzbourg pourrait ne pas être la seule taupe infiltrée dans les forces autrichiennes. Il était temps. Depuis plusieurs mois, et en partie depuis l’arrivée du FPÖ au pouvoir et les perquisitions menées au BVT (le service de protection de la Constitution et de lutte contre le terrorisme), l’Autriche avait acquis le statut de ‘pestiféré’ auprès de la plupart des services de renseignement européen qui rechignaient à partager des informations, en particulier sur la Russie.
Mettre fin au ‘Except Vienna’
Les ‘services’ de plusieurs pays européens (France, Allemagne, Royaume-Uni) évitaient de mettre en copie l’Autriche de leurs recherches sensibles. Une méfiance confirmée à B2 par certains connaisseurs du dossier. Ils n’étaient pas les seuls. Même la Sûreté nationale finlandaise (SUPO), aurait décidé d’exclure son homologue autrichien (le BVT) de ses demandes d’aide aux différents renseignements européens quand elles concernent un diplomate russe, vient de révéler le magazine Falter, publiant un fac similé d’un document mentionnant « Except Vienna ».
La question des sanctions russes
Cette affaire n’est pas isolée. Elle survient juste après les révélations néerlandais d’un espionnage autour de l’OIAC aux Pays-Bas comme en Suisse. L’Autriche qui avait une position ‘souple’ sur les sanctions russes pourrait ainsi changer de position. Cette ‘soudaine’ révélation pourrait donc amorcer un tournant politique plus important, d’autant plus observé que Vienne assure aujourd’hui la présidence du Conseil de l’Union européenne, notamment dans ses formats ‘Justice’ et ‘Affaires intérieures’.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(B2) Même si le Parti populaire européen (PPE) vient de désigner aujourd’hui à Helsinki sa tête de liste pour la campagne des Européennes — l’eurodéputé de la CSU bavaroise Manfred Weber —, rien ne dit que ce sera celui-ci qui sera à la tête de la Commission européenne en novembre prochain (1).
L’automatisme voulu par les différents leaders de partis lors de la précédente campagne en 2014 est brisé. Du no man’s land de candidats, il n’y a aujourd’hui qu’un seul nom qui émerge pour prendre la tête de la Commission européenne. A condition qu’il le veule, et que la France le souhaite, c’est Michel Barnier. Il réunit sur le papier nombre de critères.
Michel Barnier dans les couloirs du Conseil européen rencontrant le président Donald Tusk (Crédit : Conseil de l’UE)
1° Il appartient au parti, le PPE qui devrait rester le premier parti lors des élections européennes, malgré une baisse certaine. Et le PPE a compris depuis longtemps que c’est la Commission européenne qui est le poste le plus puissant.
2° C’est un Européen convaincu, avec une vraie expérience, à différents postes. Représentant de la Commission lors de la Convention européenne préludant à la Convention, commissaire à la Politique régionale puis au Marché intérieur, et enfin et surtout, négociateur de l’UE pour le Brexit, il a montré une certaine dextérité dans ces différents postes.
3° Ce n’est pas un personnage clivant. S’il appartient au PPE, il a montré dans le passé qu’il savait dialoguer avec toutes les composantes de la famille européenne. C’est un candidat très acceptable que ce soit par les libéraux, les socio-démocrates ou les verts. Il est plus en faveur de l’intégration européenne que certains Libéraux patentés et sans doute plus ‘social’ que d’autres sociaux-démocrates revendiqués.
4° Il n’est pas membre du Conseil européen, n’a pas été Premier ministre ou dirigeant. C’est sans doute un des seuls critères (non écrits) qui n’est pas rempli. Enfin pas tout à fait rempli. En tant que négociateur sur le Brexit, il a été en effet à plusieurs reprises invité au Conseil européen, a rencontré nombre de dirigeants européens, qui le connaissent ou ont appris à le connaître. Bref ce n’est pas un inconnu du sénacle dirigeant européen.
5° Il a montré, durant toute la négociation sur le Brexit, difficile, ardue, où les embûches se multipliaient à mesure que d’autres disparaissaient, ses capacités à négocier, à garder unis les Européens.
6° Reste à savoir si la France et Emmanuel Macron, seul décideur en matière de désignation d’un commissaire européen, voudrait pousser un candidat français à la tête de la Commission. Ce ne serait pas absurde. E. Macron poursuivrait son œuvre de casser les deux blocs, montrant qu’il peut se défaire du bipartisanisme. Au plan interne, il ne puiserait pas dans les réserves de ‘responsable politique’ dont le dernier remaniement a prouvé qu’elles n’étaient pas illimitées. Si la volonté existe à Paris, il serait difficile à d’autres pays de critiquer un tel choix. Le poste de président de la Commission n’a plus été confié à un Français depuis Jacques Delors (1985-1995), soit il y a presque 25 ans, une génération (2). La seule concurrence notable pourrait venir de Berlin (3).
Seul obstacle que certains pourraient voir, son âge, 67 ans… Mais à côté de Juncker, 63 ans, il paraît plus jeune et plus fringuant. Aux commandes de l’Europe aujourd’hui et demain, il vaut mieux un être sage, expérimenté, qui n’a pas d’autre ambition devant lui que de réussir son mandat, que d’avoir un plus jeune, plus fougueux ou dont l’ambition domine certaines décisions (pour ne pas fâcher l’avenir).
Oui, décidément, Michel Barnier serait le bon choix pour le futur exécutif européen dans les années à venir…
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Lire : Que cache la candidature de Manfred Weber à la Commission ?
(2) Le poste a été ensuite successivement occupé par un Luxembourgeois (Jacques Santer), un Italien (Romano Prodi), un Portugais (José-Manuel Barroso, pour deux mandats) et, à nouveau, un Luxembourgeois (Jean-Claude Juncker).
(3) Des proches de Angela Merkel avaient fait savoir, par le biais de fuites à la presse, leur désir de voir placer un Allemand à la tête de la Commission.
(B2) Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) vient d’appeler ce jeudi (8 novembre) les belligérants de la guerre du Yémen, « à protéger la population et les infrastructures civiles contre les dommages superflus ». Ce alors que les combats s’intensifient fortement autour de Hodeïda.
Les civils pris pour cible ?
« La ville de Hodeïda est une fois de plus plongée dans la violence, et ce sont des centaines de milliers de Yéménites qui en paient le prix. La perspective de négociations ne saurait justifier de bafouer le droit de la guerre qui protège la vie des civils », a souligné Fabrizio Carboni, directeur régional du CICR pour le Proche et le Moyen‑Orient. « Les guerres ont des règles et les parties au conflit doivent les respecter, même dans les batailles les plus acharnées. »
L’offensive sur Hodeida un mauvais signal
« Cette nouvelle offensive sur Hodeïda tempère l’optimisme suscité par l’annonce récente de négociations de paix », indique M. Carboni. « On peine à décrire à quel point la situation est dramatique au Yémen. Ce pays a plus que jamais besoin d’entrevoir une lueur d’espoir. »
Les centres de santé proches de la ligne de front
Les affrontements se rapprochent des centres de santé, notent les équipes de l’organisation humanitaire. Ce qui a forcé l’hôpital du 22 mai de Hodeïda à interrompre son activité. L’hôpital Al-Thawra, le plus grand de la ville, n’est qu’à quelques mètres de la ligne de front. « Si d’autres centres de santé devaient fermer leurs portes, les structures restantes risquent de ne pas avoir la capacité d’assurer les services réguliers ou de faire face à un afflux de blessés. »
(NGV)
(B2) Alors que le serpent de mer de l’armée européenne ressurgit par la grâce d’Emmanuel Macron (*), il n’est pas inutile de revenir sur terre. Ce qui existe aujourd’hui … et ce qui n’existe pas en matière de défense au niveau européen.
A la conquête du grand nord ? (crédit : Premier ministre danois)
La réalité inscrite dans les Traités européens actuels est la politique (européenne) de sécurité et de défense commune (PeSDC). Ou en langage commun, l’Europe de la défense. Elle n’est cependant pas comparable à ce qui se définit au plan national comme une politique de défense. Que ce soit dans le langage des pro ou des anti-intégrations européennes, cet aspect est bien souvent gommé. Or, il est primordial d’avoir une vue ‘honnête’ et ‘objective’ de la situation actuelle.
Une politique nationale de défense
D’un point de vue national, une politique de défense se définit tout d’abord par une autorité qui imprime sa marque et un circuit décisionnel court (comme en France avec un président de la république acteur principal) ou plus long (comme en Allemagne avec une décision du gouvernement, une approbation du parlement). Elle répond à une stratégie de défense, qui est élaborée par strates successives, en répondant à des antécédents historiques et une logique politique. Elle se développe ensuite dans un budget d’investissement d’une armée, des équipements militaires, des troupes, une logique d’action et une légitimité dans l’opinion publique qui accepte, plus ou moins, un engagement militaire intérieur ou extérieur, à risque ou non.
L’Europe de la défense : un projet politique
L’Europe de la défense est tout d’abord un projet politique, qui vise à affirmer la place de l’Europe dans le monde, au service d’une politique étrangère. Elle ne consiste pas ainsi à assurer la défense du territoire ni la protection des citoyens (malgré les déclarations politiques en ce sens). Elle ne procède que d’une coordination des efforts des États membres. Son circuit décisionnel repose ainsi toujours, à toutes les étapes, de l’initiative à l’approbation puis au commandement et au contrôle, sur un accord de tous les États membres, de façon collégiale. Mettre tout le monde d’accord au même moment sur un enjeu commun est un véritable ‘challenge’. Elle a comme objectif unique d’avoir une capacité d’intervention, limitée, dans des missions ou opérations de paix ou de consolidation de l’état de droit. Elle n’est pas ainsi une force d’intervention tout azimut, n’a pas de commandement militaire direct (national) ou intégré (comme l’OTAN), ni de troupes ou de forces disponibles en permanence ni en propre. Elle ne peut intervenir qu’à l’extérieur des frontières, avec le consentement des États concernés (ou au moins de leurs gouvernements) et de la communauté internationale. On est ainsi très loin des ‘fondamentaux’ d’une armée européenne.
Quand on met face à face ainsi les principes d’une défense nationale et ceux de l’Europe de la défense, il est inévitable que la seconde soit moins efficace que la première. On peut considérer qu’il s’agit d’une faiblesse temporaire, due aux personnalités politiques du moment. Ce peut être le cas parfois. Mais il ne faut pas minorer les faiblesses structurelles dû à un fait principal : l’Europe n’est pas un État mais une structure juridique et économique de concertation et de coopération avant tout.
Si on veut donner un aperçu plus mathématique, j’ai évalué, sous forme d’une note — sur une échelle de 0 à 3 — quels points remplit l’Union européenne, une fois mis en place tous les projets évoqués ces derniers temps. On va ainsi d’une note de 0 à 3 selon les thèmes : de 0 pour les équipements et les forces disponibles à 2 pour le budget de recherche, en passant par le mode de décision et le consensus politique que je cote à 1 sur 3.
Des avancées mais lentes et tardives
Cette évaluation prend en compte certaines évolutions, très récentes, sur de nombreux points, qui ne sont pas négligeables mais ne permettent pas encore de combler toutes les lacunes.
Au niveau de la sécurité intérieure, on peut ainsi noter la création d’un corps européen de garde-frontières, le renforcement d’Europol, la compétence donnée au futur Parquet européen pour le terrorisme ou la mise sur orbite complète du système Galileo, concurrent européen du GPS. Toutes nouveautés qui ne sont pas encore pleinement en place. Elles le seront d’ici 2019-2021.
En matière de défense, on peut remarquer les propositions de création d’un fonds européen de défense, d’une facilité européenne de paix, d’un fonds transport pouvant être utilisé pour la mobilité militaire. Ces propositions doivent être encore approuvées et n’entreront réellement en vigueur qu’en 2021, avec une montée en puissance d’ici 2027. A cela il faut ajouter la coopération structurée permanente, qui a été créée, mais dont le réel effet ne se fera sentir qu’à l’horizon 2021-2025, car elle repose sur une approche dite ‘phasée’.
Des lacunes comblées, mais pas toutes
On le voit donc. Certaines lacunes sont en passe d’être comblées, mais pas toutes. L’Europe a souvent manqué de réactivité et d’adaptation aux différentes crises. Pas seulement en matière stratégique, mais aussi diplomatique ou même économique.
Qu’il s’agisse de la crise financière, de la crise migratoire, de la guerre en Syrie ou à l’Est de l’Ukraine, le scénario est souvent le même. L’Europe parait surprise d’un évènement, tâtonne durant plusieurs mois (au bas mot) puis essaie une ou deux solutions, parfois sans succès, car la crise a ensuite évolué, pour trouver enfin le moyen adéquat (crise financière ou crise migratoire)… ou baisser les bras (crise syrienne). Entretemps, les dégâts sont profonds : économiques et sociaux durant la crise financière, éthiques et politiques durant la crise migratoire.
La politique de défense intrinsèquement liée à une politique étrangère nécessite de s’interroger sur les défaites et succès de la diplomatie européenne.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(*) Lire : Face aux menaces, Macron propose une armée européenne. Un vieux ou un jeune phantasme ?
NB : cet article est développé à partir d’un court exposé consacré à ‘l’Europe de la défense aujourd’hui’, aux Entretiens de la Citadelle à Lille le 25 octobre 2018. La photo illustrative est choisie à dessein, le Danemark étant le seul pays de l’Union européenne à ne pas participer à la politique de sécurité et de défense…
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Europe de la Défense ou défense européenne
Un débat a lieu chez certains observateurs ou responsable sur l’utilisation de ce terme. A juste titre. Car le terme officiel — politique de sécurité et de défense commune — est plutôt complexe à dérouler. Mais je n’en ai pas trouvé de plus symbolique. Le terme de ‘défense européenne’ souvent utilisé est tout aussi irréel, car il n’y a pas de ‘défense européenne’ au sens de l’Union européenne. Il prête à confusion, avec la défense territoriale du continent européen, incarné par l’OTAN.