(B2 – exclusif) Alors que Donald Trump est en pleine visite au Moyen-Orient, l’Europe est en train de voir un de ses atouts maitres (un des seuls outils opérationnels) dans les territoires palestiniens s’effriter. La mission européenne de soutien à la police palestinienne (EUPOL Copps) a été mise au ralenti depuis plusieurs mois déjà. De façon très discrète et pour des raisons assez difficiles à comprendre.
Des faits graves présumés
Le service diplomatique européen a, en effet, engagé en décembre dernier une « enquête administrative » pour des faits présumés si graves (népotisme, harcèlement, etc. (1)) que ses différents responsables (chef de mission, chef adjoint, responsable administratif, chef de soutien à la police) – de différentes nationalités – ont été soit suspendus de leurs fonctions (c’est-à-dire privés de tout poids hiérarchique), soit placés sous enquête administrative (ce qui veut dire qu’ils sont sous surveillance). D’ordinaire, ces policiers et magistrats mènent des enquêtes. Aujourd’hui ce sont eux qui sont sous enquête…
Une enquête qui traîne en longueur
Cela fait bientôt cinq mois que la mission fonctionne ainsi. Plusieurs délégations venues de Bruxelles pour procéder à certains auditions. Mais aucune mesure n’a encore été prise. Un chef faisant fonction a été nommé (le néerlandais Mike Albers) mais il est là pour gérer l’intérim, non pour engager de nouveaux projets. Les principaux intéressés se sont déjà vus avertir que leur contrat prendrait fin (2), au renouvellement du mandat de la mission (fin juin). Sans attendre, d’autres agents ont commencé à chercher ailleurs, certains ont déjà démissionné. La mission continue certaines de ses activités, bien entendu, mais le pied sur le frein et dans une atmosphère plus que pesante. L’ambiance n’est vraiment pas propice à lancer de nouveaux projets comme à répondre aux principales préoccupations des policiers palestiniens. Aujourd’hui, ils ont certes besoin de formation mais surtout d’équipements (3).
Une information très succincte
De façon plutôt bizarre, le Parlement européen – qui est normalement l’autorité budgétaire – n’a pas été averti de cette procédure. Aucune plainte à l’OLAF ni à une autorité judiciaire n’a (semble-t-il) non plus été déposée. De la même façon, l’IDOC, l’Office d’investigation et de discipline de la Commission européenne, l’inspection des services, n’a pas été saisie. Ce qui semble extraordinaire vu l’ampleur des mesures prises. Le Comité politique et de sécurité (COPS) – qui représente les États membres et est l’autorité de contrôle politique des missions de la PSDC – a été informé, de manière très succincte, et pas vraiment élaborée. La transparence ne semble pas être de mise. Interrogé par B2, un des diplomates du COPS a été très succinct sur le dossier, n’ayant apparemment pas vraiment d’informations précises. « S’il y a des éléments, nous prendrons des décisions. Si dossier se révèle vide au final, il faudra que les responsables au SEAE rendent des comptes » a-t-il affirmé.
La crédibilité européenne remise en question
Sur place, les autorités palestiniennes et israéliennes semblent au courant (une telle affaire ne peut rester secrète longtemps même si la discrétion est de mise). Et la crédibilité européenne en prend un coup. Quelle que soit la réalité des faits reprochés (que ceux-ci soient vrais ou faux), le mal est fait. Cinq mois sans décision, c’est long… Surtout au moment où les Américains réaffirment leur présence sur place.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Officieusement, ils ont été informés que leur demande de renouvellement ne serait pas acceptée. Officiellement, il n’y aucune mesure de prise et la présomption d’innocence reste pleinement affirmée.
(2) La police palestinienne a demandé notamment à l’Union européenne de l’aider à renouveler son par automobile. Un parc automobile, vieillissant. Certains véhicules, de dix ans, sont au bord de l’arrêt mécanique. Ce qui pourrait menacer assez vite l’opérationnalité de la police dans les territoires. Las d’attendre les Européens, les Palestiniens devraient se tourner… vers les Américains.
(3) Les motifs reprochés restent flous. Et les institutions européennes invoquent la présomption d’innocence pour ne pas communiquer davantage sur ces éléments.
Tambours aux rencontres de l’IHEDN (© NGV / B2)
(B2) « Avec les États-Unis, il n’y a pas de malentendu, mais des divergences de vues » a expliqué Nicole Gnesotto lors des rencontres de l’IHEDN. Pour l’ancienne directrice de l’institut d’études de sécurité de l’UE (et actuelle présidente du Conseil d’administration de l’IHEDN), la situation a totalement changé depuis la chute du mur. « Les États-Unis ne perçoivent pas la Russie de la même façon que la Pologne ou la France. Ils ne perçoivent pas par exemple l’annexion de la Crimée une menace ». Certaines menaces semblent avoir ainsi disparu de l’autre côté de l’Atlantique : « l’Armée rouge ne va pas envahir la Pologne ou l’Allemagne ». « L’Europe n’est plus d’un intérêt vital don pour la sécurité américaine. Ils ont d’autres priorités : la sécurité d’Israël, le « containment de la Chine », la sécurisation des voies maritimes.
Pour Nicole Gnesotto, « certains Européens sont actuellement dans une sorte de déni. Ils ne veulent pas croire que les États-Unis peuvent être dangereux pour les Européens [car ils n’ont pas les mêmes centres d’intérêt ou que le contexte de la sécurité se dégrade. Ils persistent à croire que le Brexit n’aura pas lieu. Ils estiment qu’il ne faut surtout rien faire pour éviter que les États-Unis se désintéressent de l’Europe…. » L’autre réaction salutaire c’est sur le sursaut ».
Les Européens doivent combler cette absence d’Amérique, « cette incertitude par un grand volontarisme stratégique ». Ce qui n’est pas tâche facile. Pour cela les Français doivent résister à trois tentations. Premièrement, il ne s’agit pas de faire de la France un gendarme européen. Certes la France a des capacités, quasiment toutes les capacités, mais l’objectif est davantage psychologique, que militaire. Il s’agit de créer un gendarme collectif, de convaincre les Européens de pouvoir intervenir sur les conflits extérieurs. Il ne s’agit pas non plus de se dire que la France intervient et que les autres paient, si c’est l’objectif, ce n’est même pas la peine d’essayer. C’est raté d’avance. Enfin, il ne s’agit pas de remplacer l’OTAN mais de pouvoir la remplacer au cas où, de pallier son absence ».
Nb : Une question fondamentale au moment où les États-Unis sont plus qu’incertains sur leur politique et surtout que la Turquie évolue de façon pas très positive – c’est une « quasi dictature » et dans un sens souvent contraire
(Nicolas Gros-Verheyde, à Paris)