J'ouvre avec ce billet une série qui reprend mes réflexions sur la transformation digitale et ses relations avec la stratégie. Il s'agit des éléments de ce qui constituera mon prochain livre, sans doute. Bonne lecture et n'hésitez pas à commenter, pour améliorer le produit final !
L’absence de définition
Septembre 2016 : j’arrive à l’état-major de l’armée de Terre comme officier en charge de la Transformation digitale. Personne ne sait très bien ce que c’est, mais le mouvement a été enclenché dans les grandes entreprises et l’état-major des armées, celui de l’armée de l’Air et la direction du service du Commissariat ont également mis en place un tel poste. Il s’agit de défricher, d’explorer, de mettre en place, de convaincre, de préparer l’avenir.
La fiche de tâche est donc assez floue, comme toujours quand il s’agit d’aller vers des domaines nouveaux. Surtout, je n’ai pas de définition de ce qu’est cette « transformation digitale » que je suis désormais chargée de porter. Je me tourne donc vers des consultants d’un grand cabinet de conseil, avec qui je vais travailler. Comme tous les consultants, ils montrent une belle assurance, expliquent que leur cabinet mondial a une grosse expérience, me remettent un livre sur la dite transformation digitale qui décrit comment la mener et à quel point c’est indispensable pour prendre le pas sur ses concurrents. Le livre compte plus de 200 pages . Nulle part la transformation digitale n’est définie.
Voici donc un objet qui ferait des miracles économiques, qui serait indispensable et inévitable, mais dont on n’a aucune définition. Je vais donc en librairie consulter la littérature sur le sujet (ce doit être mon côté rétrograde, je lis encore les livres sur papier et ai besoin de les compulser avant de les acheter) pour constater le même phénomène. Pas de définition !
Les tentatives de définition
Par exemple, le professeur Aurélie Dudézert propose un petit opuscule sur la transformation digitale des entreprises . Elle ne donne pas de définition stricto sensu, même si dans un encadré elle rassemble des « définitions » de CDO (Chief Digital Officer : Officier en charge de la transformation digitale). On apprend ainsi que « la transformation digitale, c’est l’irruption du digital dans la vie de l’entreprise, y compris dans les produits », qu’elle est « avant tout stimulée par le client », que « le digital est une réelle opportunité et aussi une remise en cause en profondeur des business models », qu’elle « implique tous les métiers, tous les aspects de l’entreprise », que « le digital doit être intégré partout, dans toutes les fonctions et dans tous les métiers de l’entreprise », ou encore que « la transformation digitale, c’est créer un état d’esprit numérique au sein de l’entreprise » (Dudézert, 2018, p. 15).A l’évidence, il n’y a aucune « définition » dans cette liste. Le Pr Dudézert poursuit en montrant, de façon fort intéressante d’ailleurs, les différentes caractéristiques de cette transformation digitale. Au détour d’un paragraphe, elle propose ce qui ressemble le plus à une définition : « la transformation digitale pour les entreprises, c’est l’exploration et l’exploitation des nouveaux « possibles » engendrés par ces technologies de l’information, en particulier au niveau organisationnel ». Cette définition correspond particulièrement bien à son approche académique, à mi-chemin entre les sciences de gestion et la sociologie des organisations. Elle est toutefois décevante pour celui qui chercherait à savoir ce qu’est la transformation digitale.
Ultime signe : dans Wikipédia en français, il n’existe pas d’article sur la Transformation digitale (en août 2018). Un article assez compact existe dans la version anglaise , publié fin 2017. Il expose successivement la digitization, la digitilization puis la digital transformation. La digitization est « la conversion d’une information analogique en forme numérique ». La digitilization comprend « les changements produits par les nouvelles technologies dans certains secteurs technologiques » (médias, banque, télécoms, santé…). La digital transformation serait alors « l’effet total et global de la digitalisation sur la société ». Notons que l’article ne fait pas l’unanimité puisque plusieurs mentions le précèdent : il relèverait d’une opinion personnelle et son style ne correspondrait pas à l’ambition académique de Wikipédia (on devine en effet qu’il a été rédigé par un étudiant en master qui veut mettre en valeur ses propres travaux). Il reste que l’approche est intéressante car elle distingue plusieurs niveaux : un niveau purement technique, un niveau économique, un niveau sociétal. Toutefois, la définition ne convainc pas vraiment.
Pourquoi une telle absence ? Probablement parce qu’il s’agit d’abord d’un phénomène, d’une pratique sociale et économique dont on a vu les effets, dont on a pris progressivement conscience. La transformation digitale s’observe d’abord dans ses résultats et ses effets. Les praticiens qui l’ont examinée ont relevé des méthodes, des mécanismes, des facteurs de succès, sans pour autant déceler une universalité de ces méthodes et procédés. Voici donc un phénomène très divers et épars, dans lequel on a peine a relever des régularités et des répétitions, mais dont on observe malgré quelques similitudes, sinon de procédures au moins d’approche. Surtout, le phénomène est assez massif pour apparaître comme évident.
Cette dimension opératoire explique partiellement l’absence de définition. L’époque est au pragmatisme : les praticiens de la vie économique (car la Transformation digitale vient d’abord du monde économique) se fichent des belles théories ; ils veulent des recettes qui fonctionnent et qui produisent des effets. C’est pourquoi aussi bien ceux qui conduisent des transformations digitales que ceux qui les accompagnent n’ont pas eu le besoin de donner des définitions.
O. Kempf
(B2) La Tunisie s’est éloignée des feux de l’actualité… d’une certaine façon, heureusement. Après les attentats qui ont meurtri le pays en 2015, les pays européens se sont engagés dans un travail de renforcement de la sécurité. Non sans efficacité. Une ‘structure innovante’ a été mise en place : un mécanisme du « G7 élargi ». Franck Peinaud, le conseiller chargé de la sécurité intérieure à la délégation de l’UE en Tunisie en détaille le dispositif
Un mécanisme sui generis : le G7 élargi
Traditionnellement, l’appui à un pays tiers en matière sécuritaire, sujet éminemment régalien, passe essentiellement par la voie de la coopération bilatérale. Or, la coopération multilatérale joue un rôle de plus en plus important dans ce domaine.
L’intérêt de la coopération multinationale
D’une nature tout aussi essentielle que la coopération bilatérale, cette dernière est souvent mise en œuvre d’une façon différente. Elle nécessite, en effet, un cadre adapté pour atteindre sa pleine efficacité. Dans le contexte sécuritaire spécifique tunisien de 2015, un mécanisme sui generis a vu le jour, « le G7 élargi », dans sa dénomination définitive. Après trois ans de mise en œuvre, les résultats obtenus sont considérables et la présentation de cette réalisation innovante est de nature à favoriser l’exportation de ce modèle à d’autres pays, compte tenu des effets positifs obtenus par l’ensemble des parties prenantes.
Une détermination commune née des attentats du musée du Bardo
A la suite de l’attaque terroriste contre le musée du Bardo au mois de mars 2015 , les pays du G7 et l’Union européenne ont réaffirmé leur détermination à soutenir la jeune démocratie tunisienne. Au sommet d’Elmau (Allemagne), le G7 et la Tunisie en sa qualité de partenaire invité ont souligné leur volonté commune de renforcer leur coopération en particulier dans les domaines du développement économique et sécuritaire. L’enjeu était alors de contrer la menace que constituaient les avancées de Daech au Moyen-Orient et en Afrique du Nord (MENA). Le terrorisme incarne, en effet, un danger commun pour la Tunisie, l’Europe et la communauté internationale qui exige d’unir les efforts et d’intensifier la coopération pour y faire face.
Trouver le bon mécanisme
Animés par cette volonté commune de renforcer la coopération sécuritaire avec la Tunisie, les représentants du groupe initialement désigné « G7+ », à savoir les membres du G7, l’Union Européenne, la Belgique et l’Espagne, accrédités en Tunisie, ont participé à de nombreuses réunions de coopération multilatérale au cours des mois de juillet, août et septembre 2015. Du coté tunisien, ont assisté à ces réunions des représentants des ministères de la Défense et de l’Intérieur sous la direction de la Présidence de la République, représentée par celui qui allait devenir le premier conseiller à la Sécurité nationale du Président de la République, le contre-amiral Kamel Akrout. L’objectif de ces réunions était de trouver les moyens et les mécanismes nécessaires visant à identifier les domaines de coopération, de coordination et de renforcement des capacités (formation, interopérabilité des procédures et des équipements) dans le domaine de la lutte contre le terrorisme.
Quatre groupes techniques
Quatre groupes techniques ont été créés ab initio (cf. encadré). Ils se réunissent en principe une fois par mois. Les attachés de défense (AD) et les attachés de sécurité intérieure (ASI) ou encore des conseillers diplomatiques pour les ambassades accréditées en Tunisie ne disposant ni d’attaché de défense ni d’ASI en assurent la composition. En fonction des besoins, la partie tunisienne convoque les experts étatiques nécessaires, assurant ainsi l’interministérialité du mécanisme.
Les quatre groupes de travail, constitués à l’été 2015, concernent :
Le Comex : clé de voûte du dispositif
La clé de voûte du dispositif est incarnée par comité exécutif (Comex) dont la fréquence est trimestrielle. Présidé par alternance par le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense (1), coté Tunisien, il l’est, côté international, par le pays qui possède la présidence en cours du G7. Au moment où ces lignes sont écrites, il s’agit du Canada à qui la France succèdera en janvier 2019. Les ambassadeurs, côté international, siègent au Comex. Le comité exécutif est l’illustration même des liens de confiance qui se sont peu à peu tissés entre la partie tunisienne et la partie internationale sur une thématique par nature sensible, à savoir la sécurité et la lutte contre le terrorisme. Du côté tunisien, le Comex accueille des représentants de la Présidence de la République, des ministères de la Défense, de l’Intérieur, des Affaires étrangères, de la Justice, du Tourisme mais également de la Commission nationale de lutte contre l’extrémisme et le terrorisme (CNLCT) (2).
Un dispositif évolutif
Progressivement le format, côté international, s’est agrandi et le « G7 élargi » est désormais composé de 14 participants : Allemagne, Belgique, Canada, Espagne, Etats-Unis, France, Italie, Japon, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suisse, Turquie, Union européenne et l’Organisation des Nations unies. Un cinquième groupe en charge de la lutte contre la radicalisation a été créé en août 2017. Le point focal, côté tunisien est le ministère de la Justice, et, côté international, l’Union européenne et les Pays-Bas.
Prévention et lutte contre le terrorisme
Le choix a ainsi été fait de diviser en deux le groupe de travail relatif à la lutte contre le terrorisme qui traitait initialement de la prévention de la radicalisation jusqu’à la lutte contre le terrorisme proprement dit. Cela était trop volumineux mais surtout présentait une difficulté car certains aspects ne concernaient pas prioritairement ni le ministère de la Défense ni le ministère de l’Intérieur. La cohérence d’ensemble est désormais atteinte avec ce dernier groupe dont le chef de file, le ministère de la Justice, travaille en lien étroit avec la CNLCT, tout particulièrement sur le volet Prévention de la stratégie nationale de lutte contre l’extrémisme (3) et le terrorisme qui en comporte quatre (4).
Une structure de coopération emboitée
Le « G7 élargi » n’est pas doté d’un fond propre. Cela implique qu’il s’agit au final de mettre en commun la coopération bilatérale de chacun dans un cadre multilatéral. Sur la base d’un agenda de travail établi préalablement en commun, les discussions au sein des groupes de travail permettent aux parties d’approfondir leur coopération, de manière constructive et proactive, dans un cadre de confiance et de respect.
C’est ainsi que chaque groupe de travail a élaboré une matrice des actions (5) menées, principalement de formation et d’équipements (6). Cela permet d’éviter les duplications, d’identifier les appuis utiles mais non encore pris en compte par un partenaire international ou encore de créer des synergies. La partie tunisienne a récemment présenté plusieurs projets structurants en proposant aux partenaires internationaux de l’appuyer en fonction des possibilités de chacun. L’objectif est d’arriver à concevoir, adopter et conduire des projets réellement multilatéraux, ce qui est traditionnellement particulièrement complexe dans l’appui aux pays tiers.
Atteindre cet objectif permettra de démontrer le caractère de plus en plus indispensable de ce mécanisme novateur d’appui. En outre, ces travaux permettent d’accueillir des présentations ciblées, par des experts de haut niveau, sur des instruments ou des politiques publiques, à l’échelle tant nationale qu’internationale, dont l’expérience peut s’avérer profitable pour l’ensemble des participants et inspirer de nouvelles pistes d’actions.
Premiers résultats
Un avantage psychologique sur l’adversaire
Après le succès des forces armées et des forces de sécurité intérieure à Ben Gardane, en mars 2016 — où les autorités tunisiennes ont marqué un coup d’arrêt à l’expansion du Califat territorial —, celles-ci ont pris un réel avantage psychologique sur l’adversaire, notamment du fait du soutien massif de la population, en plein cœur de l’action, aux différentes forces tunisiennes engagées dans l’opération.
Un Retex pour analyser la réaction tunisienne
A la demande du co-président européen du groupe de travail relatif à la lutte contre le terrorisme, un retour d’expérience (Retex) a été organisé quelques mois plus tard par les autorités tunisiennes, in situ, au profit des attachés de défense et des attachés de sécurité intérieure. Cela a permis de mieux faire connaître dans les capitales la qualité de la réaction tunisienne face à Daech et de diffuser les bonnes pratiques et enseignements tirés par ceux qui, désormais, ont acquis sur le terrain une véritable expertise dans la lutte contre le terrorisme. Les liens de confiance entre le pays faisant l’objet d’un appui, la Tunisie, et les partenaires internationaux trouvent ici une parfaite illustration avec ce Retex.
L’amélioration de la sécurité des zones touristiques
Plus largement, la création de cinq groupes de travail spécifiques, dans lesquels l’ordre du jour est partagé entre les chefs de files tunisiens et internationaux permet, au gré de l’évolution des besoins, d’adapter les travaux afin de les rendre toujours plus efficaces, concrets et opérationnels. L’exemple de la coordination des efforts communs, en matière de sûreté aérienne ou encore de gestion intégrée des frontières, permise par les deux groupes de travail dédiés, témoigne à lui seul des résultats obtenus grâce à ce mécanisme. L’amélioration très nette de la sécurité des zones touristiques, suite aux évènements de Sousse, est une autre illustration de la concentration des efforts en vue d’obtenir un effet majeur que le groupe de travail spécifique a permis de mettre en œuvre.
Evaluation approfondie
Enfin, preuve de maturité du mécanisme, les autorités tunisiennes, en liaison avec leurs partenaires internationaux, ont lancé une évaluation encore plus approfondie de celui-ci en vue d’optimiser toujours davantage la performance.
(Franck Peinaud)
Lire :
Officier supérieur de gendarmerie, il a été détaché depuis trois ans en Tunisie à la délégation de l’UE comme conseiller sécurité/contre-terrorisme. Saint-Cyrien, Franck a commandé différentes unités opérationnelles et participé à plusieurs opérations extérieures. Breveté de l’Ecole de guerre, il est titulaire d’un Master 2 en Histoire des relations internationales. Il est aussi le coauteur avec Grégoire Demezon de « L’Europe face au terrorisme » (Éditions Nuvis, collection Pensée stratégique, mars 2017, préface du directeur général de la Gendarmerie Nationale, le général d’armée Richard Lizurey).
(1) Actuellement c’est l’inspecteur général des forces armées tunisiennes qui préside le mécanisme.
(2) En juillet 2015, le Parlement tunisien a voté une loi relative à la lutte contre le terrorisme et la lutte contre le blanchiment d’argent qui, entre autres dispositions, a créé la CNLCT. Elle est placée au niveau de la présidence du Gouvernement. Elle est composée de 19 membres et constitue un mécanisme favorisant la communication entre les différentes parties concernées c’est-à-dire les ministères, les organisations internationales et la société civile. Son rôle principal s’articule autour de la coordination entre les différents départements ministériels à travers l’élaboration de plans d’action.
(3) Le Conseil de sécurité nationale tunisien l’a adoptée le 7 novembre 2016.
(4) La protection, la poursuite et la riposte sont les trois autres.
(5) Il s’agit d’un véritable outil de pilotage compte tenu des possibilités de filtrages ou de représentations graphiques intégrées dans ces matrices.
(6) Cette mise en commun témoigne d’un grand degré de confiance entre les acteurs, même si chacun peut naturellement conserver strictement bilatérale sa coopération sécuritaire la plus sensible.
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