L’Afrique n’a jamais eu autant de pays pourvus de systèmes politiques issus des élections multipartites. La grande majorité d’entre eux tient régulièrement des élections nationales (16 en 2016), régionales et locales, permettant à leurs citoyens de choisir leurs dirigeants politiques et de garantir la légitimité formelle des gouvernements. Seule l’Erythrée, l’Etat-caserne qui pousse sa population à l’émigration, ne s’encombre pas d’élections, tandis que la Somalie n’est, depuis l’effondrement du régime de Siyaad Barre en 1991, pas en mesure d’en organiser.
Le dramatique scrutin présidentiel d’août 2016 au Gabon rappelle qu’il faut se méfier d’une lecture à courte vue sur les bienfaits de l’élection présentée comme la meilleure et la plus symbolique des conquêtes démocratiques. Elle a été souvent obtenue puis mise en œuvre dans un faisceau de contraintes qui en fragilisent les acquis. Pour s’en convaincre, il suffit de constater que l’élection qui est devenue presque partout la modalité de conquête du pouvoir (parfois pour sanctifier par les urnes d’anciens putschistes) ou de maintien au pouvoir (douze chefs d’Etat africain sont au pouvoir depuis plus de vingt ans) se déroule très souvent dans la violence : Côte d’Ivoire 2000 et 2010 ; Kenya, 2007 et 2008 ; Zimbabwe, 2007 ; Gabon, 2009 ; RDC, 2006 et 2011 ; Ouganda, 2011 ; Congo, 2016.
La raison tient à cette réalité : l’élection cache d’autres enjeux que le renforcement de la démocratie. Les acteurs politiques n’ont souvent pas de références idéologiques très précises ; ils sont surtout attachés, une fois élus, à gérer leurs intérêts et leurs alliances. Face à eux, les électeurs, une fois qu’ils ont touché la rétribution de leur vote, n’utilisent guère la modeste information disponible pour superviser ensuite la mise en œuvre des engagements de campagne des élus et surveiller les activités de ceux qui les gouvernent.
Les positions d’autorité légalisées par l’élection confortent le patrimonialisme ambiant et continuent de permettre à ceux qui les occupent d’extraire et de redistribuer les ressources. Entre Ali Bongo Odimba et Jean Ping, l’enjeu principal demeure l’accès privilégié aux rentes économiques et politiques du pays que la classe dominante qu’ils représentent amoncelle (plus qu’elle n’investit) et qu’elle redistribue pour endiguer la violence sociale endémique. L’instauration d’un « Etat de droit » est pervertie par la personnalisation du pouvoir et par la stratégie d’accumulation -redistribution qui préside à chaque niveau de la hiérarchie, du sommet à la base en passant par les intermédiaires. L’Etat gabonais existe, mais il adopte la forme d’un rhizome dont les tiges – les institutions – sont moins importantes que les racines souterraines qui plongent dans la réalité complexe des solidarités et des rivalités.
Depuis la vague des élections, qui ont suivi les Conférences nationales et l’instauration du multipartisme dans les années 1990, l’interpénétration de l’économie et du politique s’est consolidée. Dans de nombreux cas, c’est la démocratie élective qui a été adaptée à la logique du clientélisme et non l’inverse. On parle désormais de « pseudo-démocratie », de « démocratie de faible intensité », de « démocratie par délégation ».
Le système de l’élection n’annule donc pas ipso facto la marchandisation du politique dans les Etats où règne encore un système patrimonial. Au mieux, quand les circonstances sont les plus favorables, le combat politique, exacerbé le temps de l’élection, permet de limiter les prébendes en forçant les détenteurs du pouvoir à, pour reprendre une formule africaine imagée, « manger moins vite et moins seul ».
Reconnaissons toutefois que dans certains cas, l’évolution est positive. Au Sénégal ou au Ghana, deux bons exemples, les jeux politiques sont plus ouverts, la contestation intérieure plus militante, la surveillance extérieure plus vigilante. La violence d’Etat s’est atténuée au fur et à mesure de l’adhésion aux droits politiques et humains et à la liberté d’expression. De telles évolutions sont perceptibles sur la base de certains indicateurs. Le Worldwide Governance Indicators (WGI) qui tente de capturer les manières avec lesquelles une population est capable de jouir de ses libertés (expression, association) et d’interroger le gouvernement sur ses actes, donne des résultats plutôt en hausse, particulièrement en Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Ghana, Liberia, Niger et Nigeria).
La vague de rages populaires et de mouvements de protestation en Afrique depuis la fin des années 2000 témoigne de l’engagement d’une jeunesse qui n’hésite plus à recourir à la « légitimité de la rue » contre les abus et les inerties des pouvoirs en place. Véritables poils à gratter des impostures politiques, porte-étendards des aspirations au changement, depuis l’apparition de Y en a marre au Sénégal en 2011, les mouvements citoyens s’imposent comme des acteurs politiques à part entière, avec à leur actif quelques trophées (l’échec d’Abdoulaye Wade au Sénégal en 2011, l’éviction de Blaise Compaoré au Burkina Faso en 2014). Ces manifestations de résistance sociale devenues plus fréquentes traduisent l’émergence d’une démocratie du quotidien et le renforcement de la société civile. Même si l’idée de citoyenneté demeure souvent embryonnaire, davantage de pays laissent s’exprimer les médias sur les affaires publiques. Dans un tel contexte favorable, les acteurs non-étatiques jouent un double rôle : ils élargissent les possibilités d’engagement citoyen et font pression pour tenir les gouvernements et institutions publiques responsables de leurs actes.
Il n’y a donc pas lieu de désespérer de la démocratie africaine. Aucun système n’est immuable. A l’origine profondément rétifs à prendre le risque de l’ouverture, les détenteurs du pouvoir devront évoluer et bientôt en céder une partie, ne serait-ce que par pragmatisme. D’autant qu’il pourra leur paraître opportun de rechercher une nouvelle rente dans l’arrivée des investissements étrangers et dans l’attribution des aides extérieures qui sont consenties à la condition que le système politique et social s’ouvre enfin. N’est-il pas significatif de constater que les membres de la classe au pouvoir en Afrique commencent à se rendre compte que leurs privilèges sont le mieux à l’abri s’ils sont définis comme des droits communs plutôt que comme des prérogatives personnelles. Ils devront, coûte que coûte, entériner cette ouverture, contrainte et nécessaire, par des réformes institutionnelles, étendant progressivement l’accès aux droits à la citoyenneté à une plus large partie de la population.
L’Etat islamique a perdu son dernier point de passage avec la Turquie. Quelle(s) conséquence(s) cela peut-il avoir pour le groupe terroriste ?
C’était une des voies de ravitaillement de l’Etat islamique, notamment en direction de la ville de Raqqa qu’ils nomment leur capitale. Ça va donc compliquer la tâche des djihadistes en terme de livraison d’armes, de ravitaillement sanitaire ou alimentaire mais aussi en terme de lieux de passage des apprentis djihadistes qui confluaient vers l’Etat islamique. De ce point de vue, sans pour autant considérer qu’on en a fini avec l’Etat islamique, les avancées de l’armée turque et des groupes rebelles liées à l’armée turque au cours des derniers jours sont un pas en avant dans l’étranglement de ce groupe terroriste. Nous sommes probablement à l’orée d’une nouvelle séquence parce que maintenant les vrais objectifs militaires ne vont plus être de conquérir quelques villages, quelques points de passage mais de reconquérir Raqqa, en Syrie, et Mossoul, en Irak. Et là, ça ne sera pas une promenade de santé.
L’Etat islamique a-t-il perdu tout contact avec l’extérieur ?
Non, il subsiste toutes les voies de ravitaillement qui passent par l’Irak. La frontière irako-syrienne avait, vous vous en souvenez, été détruite symboliquement par les troupes de l’Etat islamique au mois de juin 2014. Là encore, l’Etat islamique est affaibli mais pas du tout éradiqué, il y a encore des voies de communication entre la Syrie et l’Irak.
Quel impact cette nouvelle peut-elle avoir pour la Turquie, qui a subi plusieurs attentats sur son sol, revendiqués par l’Etat islamique ?
La Turquie a souvent été accusée de complicité avec l’Etat islamique, je parlerais plutôt de complaisance. On sait très bien qu’il y a eu, par exemple, des combattants de l’EI qui sont allés se faire soigner dans des hôpitaux turcs. Il y a eu aussi du trafic de pétrole brut ou des livraisons d’armes. Cette forme de complaisance est désormais terminée depuis début 2015. Cette décision a été renforcée ces dernières semaines à cause de la multiplication des attentats attribués à l’EI sur le sol turc. La Turquie prend désormais toute sa place dans la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis. Maintenant, les défaites que subit l’Etat islamique depuis plusieurs semaines risquent de radicaliser une partie de ses membres, de multiplier les attentats à travers le monde. La Turquie étant un des pays de la ligne de front, il est plus facile d’acheminer des kamikazes en passant la frontière que de venir dans une autre capitale occidentale.
Propos recueillis par Margaux Duguet
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Benoit Muracciole est Vice président de l’ONG Action sécurité éthique républicaine (Aser). Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de son ouvrage « Quelles frontières pour les armes ? » (éd. A. Pedrone) :
– En quoi le TCA est-il capital ? La géopolitique de ces dernières années aurait-elle été similaire si ce traité était entré en vigueur plus tôt ?
– Votre mouvement s’inscrit-il dans une démarche pacifiste ?
– Que retirez-vous de vos contacts avec la société civile, dont le puissance complexe militaro-industriel ?
– Dans quelle mesure votre parcours a-t-il mis en lumière les rapports de force entre les grandes puissances ? Quel rôle pour la France dans les négociations sur le TCA ?
Du 29 août au 2 septembre 2016, s’est tenue à Paris la désormais traditionnelle « Semaine des ambassadeurs ».
L’occasion d’une réflexion collective de la part de nos représentants à l’étranger sur les questions stratégiques, mais également sur leur méthode de travail. Occasion également d’aller vers les citoyens en organisant une journée ouverte aux échanges sur leur métier et un concours d’éloquence pour les étudiants. Lilian Thuram, champion du monde de football et citoyen engagé, était le grand témoin de cette journée.
Mais c’est avant tout l’occasion de discours cadrant l’action internationale de la France : du président de la République, du Premier ministre et du ministre des Affaires étrangères et du Développement international.
François Hollande prononçait le dernier discours de son mandat actuel. Alors que son bilan économique et social est largement contesté, F. Hollande est généralement crédité de succès en matière de politique étrangère. Il a dû faire face au terrorisme et aux diverses crises : accords de Minsk, COP 21, intervention au Mali, réconciliation avec les pays heurtés par le style de l’ancien président (et actuel candidat), Nicolas Sarkozy. Il a été à la fois bon diplomate et guerrier, quand cela était nécessaire. S’il a bien commencé par évoquer la place particulière de la France dans le monde, il n’a pas par la suite continué sur un discours global. F. Hollande n’a jamais aimé être enfermé dans un cadre conceptuel. Il pense que son pragmatisme protège sa liberté, mais cela l’a aussi empêché de dégager une grande fresque sur la France et le monde.
Il a donc, comme depuis 2012, évoqué les uns après les autres les grands dossiers internationaux en commençant par le terrorisme, puis les différents conflits qui agitent la planète : de la guerre civile en Syrie à la crise ukrainienne. Sur Israël et la Palestine, il s’est contenté de rappeler que la solution est connue : deux États qui peuvent vivre en paix et en sécurité, sans parler de Jérusalem ni des frontières, en retrait par rapport aux discours de N. Sarkozy. Il s’est montré ferme à l’égard du Royaume-Uni, en jugeant irréversible sa sortie de l’Union européenne et également insisté sur la nécessité de conclure rapidement l’accord sur le réchauffement climatique, signé à Paris en décembre 2015. Il a enfin officialisé la fin des négociations sur le traité transatlantique.
Mais, à la conclusion de son discours, il a pris le chemin d’un dessein globalisant sur la voix de la France dans le monde. C’est contraire à ses habitudes mais il l’a fait pour des raisons de politique intérieure. Faisant référence, de manière implicite, au discours sur la place de l’islam en France, il a déclaré que « céder sur nos valeurs serait non seulement une régression pour l’État de droit mais aussi un risque pour notre cohésion nationale. Ce serait surtout un discrédit pour notre influence internationale. La France est forte quand elle est elle-même, pas quand elle se défigure. Ainsi, face à l’intolérance, à la haine et à l’obscurantisme, la France n’a renoncé à rien de ce qu’elle est. »
Il est vrai que pratiquement tous les ambassadeurs présents ont fait part en privé ou en public des dégâts qu’ont créés les polémiques sur les musulmans, le voile (plus récemment le Burkini), sur l’image de notre pays dans le monde. Dans les pays occidentaux, la France passe désormais pour un pays intolérant. Dans les pays musulmans, elle passe pour un pays islamophobe. La photo de policiers encadrant une femme sur une plage qui portait un Burkini a eu un effet désastreux. Le constat, sévère, est unanime, quelles que soient les sensibilités personnelles des ambassadeurs : le prestige et le rayonnement de la France sont largement entamés. Les responsables politiques français qui se sont exprimés avec véhémence sur le sujet n’ont soit pas conscience des répercussions à l’international, soit n’en ont cure.
Manuel Valls, dans son discours centré sur la compétitivité économique du pays, n’a pas évoqué le sujet, au grand soulagement des ambassadeurs.
Dans son discours de conclusion, Jean-Marc Ayrault est revenu sur le sujet : « certains d’entre vous sont les témoins de l’impact dévastateur à l’étranger des emballements dont notre vie politique est capable. Il est urgent de retrouver un peu de sérénité (…) Le risque d’interdire, c’est de stigmatiser et de finir par rejeter. Cela, ce n’est pas la France. Quand la France rejette, elle ne règle aucun problème, notamment pas celui de l’intégration. Elle n’est plus en phase avec elle-même. » Or, si personne ne l’a exprimé, chacun sait que le clivage sur ce point ne se situe pas uniquement entre le gouvernement et l’opposition, mais au sein du gouvernement, et en l’occurrence entre le Premier ministre d’un côté, le ministre des Affaires étrangères et celui de l’Intérieur de l’autre.
François Hollande a un goût prononcé pour la synthèse. Mais, sur ce sujet, si la polémique venait à reprendre, il lui faudrait trancher clairement et publiquement, pour que cela soit audible aussi bien en France qu’à l’étranger.