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Diplomacy & Crisis News

The Exchange: Why Americans Can’t Cope With Trauma

Foreign Policy - Wed, 11/01/2017 - 19:46
Writers Meghan O'Rourke and Hanya Yanagihara explore death and grief in the Facebook age.

Putin and Erdogan’s Marriage of Convenience

Foreign Policy - Wed, 11/01/2017 - 19:24
Moscow and Ankara have pivoted from foes to friends, and are now winning the war in Syria. Will Donald Trump join the party?

Tir groupé contre Bernie Sanders

Le Monde Diplomatique - Wed, 11/01/2017 - 12:49

Pourquoi les médias américains, qui souhaitaient la défaite de M. Donald Trump, ont-ils torpillé M. Bernie Sanders, un candidat démocrate qui aurait pu l'emporter ?

Jamais la presse américaine n'avait aussi ouvertement pris parti dans une élection. Mois après mois, elle s'est employée à discréditer tous les candidats qui lui déplaisaient, à commencer par le sénateur « socialiste » du Vermont Bernie Sanders, concurrent de Mme Hillary Clinton lors de la primaire démocrate. Or les scores réalisés par celui-ci dans les États-clés, ceux où Mme Clinton a été battue à la présidentielle, n'interdisent pas de penser qu'il aurait obtenu un meilleur résultat contre M. Donald Trump.

À coups de tribunes, d'éditoriaux et de billets de blog, le Washington Post a servi de boussole et de métronome à la campagne de dénigrement menée contre le candidat progressiste — qui proposait une assurance- maladie universelle et publique, une forte augmentation du salaire minimum, la gratuité des universités, etc. Avec ses appels incessants à la courtoisie et sa prédisposition quasi génétique au consensus, ce quotidien est bien plus qu'un « journal de référence » : il fait office de gazette d'entreprise pour l'élite méritocratique, laquelle a transformé la capitale fédérale en arène privatisée pour ses pratiques.

Les chroniqueurs et éditorialistes du Washington Post sont des « professionnels » au plein sens du terme. Bien éduqués, toujours connectés, arborant souvent des accréditations, ils gagnent confortablement leur vie. Quand ils croisent de hauts fonctionnaires, des professeurs d'université, des médecins, des financiers de Wall Street ou des entrepreneurs de la Silicon Valley — tous très bien payés également —, ils voient en eux des pairs. Ou d'anciens camarades d'études : cinq des huit membres actuels de la direction éditoriale du Washington Post sont passés par l'une des universités de la prestigieuse Ivy League.

À partir des années 1970, le Parti démocrate est peu à peu devenu l'instrument politique de cette classe dominante, à tel point que les « cols blancs » diplômés forment aujourd'hui le bloc électoral que les démocrates représentent le plus fidèlement. Avocate accomplie, dotée d'un CV clinquant, Mme Hillary Clinton évolue dans cet écosystème comme un poisson dans l'eau. M. Sanders, lui, a beau se présenter comme un progressiste s'inspirant du modèle scandinave (1), il n'incarne aux yeux des caciques du parti qu'un atavisme, une régression vers une époque où des démagogues en veste froissée cédaient aux caprices vulgaires de l'opinion publique en se dressant contre les banques, les capitalistes, les patrons.&discReturn;

« Les milliardaires ont fait plus que lui pour les causes progressistes »

La lecture des quelque deux cents éditoriaux, tribunes et billets de blog que le Washington Post a consacrés à M. Sanders entre janvier et mai 2016 fait d'emblée apparaître une inégalité de traitement élémentaire. Parmi les tribunes et éditoriaux, les textes négatifs ont été cinq fois plus nombreux que les positifs, alors que, pour Mme Clinton, la balance était à l'équilibre.

Les tirs de barrage contre le sénateur du Vermont ont commencé lors des semaines précédant le début des primaires, dans l'Iowa, quand l'idée s'est fait jour à Washington qu'il pourrait l'emporter. Le 20 janvier, un éditorial intitulé « Soyez honnête avec nous, monsieur Sanders » ouvre le bal en dénonçant son « manque de réalisme » : le candidat démocrate n'aurait aucun projet valable pour « réduire le déficit » et juguler les dépenses de retraite — les critères du Post pour évaluer le sérieux d'un homme politique.

Charles Lane remet le couvert le lendemain avec un article ridiculisant l'idée, défendue par M. Sanders, qu'il existerait une « classe de milliardaires » unie pour défendre l'ordre social. « Les milliardaires ont fait plus pour les causes progressistes que Bernie Sanders », juge même la tribune. Dana Milbank, un chroniqueur issu de l'université Yale, entre en scène le 27 janvier, quelques jours avant le vote de l'Iowa. « Désigner Sanders serait fou », martèle-t-il, car « les socialistes ne gagnent jamais les élections nationales ». Puis le comité éditorial du journal consacre un article à la « campagne mensongère » de M. Sanders, dépeint comme un virtuose de l'arnaque : « M. Sanders n'est pas un homme courageux qui dit la vérité. C'est un politicien qui vend son propre catalogue de mensonges à une partie du pays qui désire frénétiquement l'acheter. »

Semaine après semaine, une salve régulière d'accusations se fait alors entendre à Washington, la liste des erreurs prêtées au candidat socialiste ne cessant de s'allonger et de se diversifier. Après sa victoire dans le New Hampshire, le 9 février, le Washington Post le qualifie, au même titre que M. Trump, de « dirigeant intolérable » qui ne proposerait que des solutions « simplistes ». Il est également accusé d'utiliser la ploutocratie (le gouvernement des riches) comme un « bouc émissaire commode » pour masquer son absence de projet. Et ses saillies contre le libre-échange reposeraient sur « des chiffres “bidon” qui vont à l'encontre du large consensus entre économistes ».

Puis on en vient au soupçon que les questions raciales l'indifféreraient. Selon Jonathan Capehart, membre du comité éditorial du Washington Post, M. Sanders ne sait pas « parler des questions de race sans tout ramener à la classe et à la pauvreté ». Même son engagement de jeunesse en faveur des droits civiques est mis en doute par une enquête du détective Capehart. Examinant la photographie d'une manifestation de 1962, le fin limier affirme le 11 février que M. Sanders n'y figure pas. L'auteur du cliché a beau contredire cette allégation, le Washington Post refuse de s'excuser : « C'est une affaire où mémoire et certitude historique s'affrontent », se justifie-t-il.

Chroniqueur astucieux, Dana Milbank ne cesse de varier ses angles d'attaque. En mars, il assure que les démocrates sont trop « satisfaits » de la situation du pays pour suivre un rebelle comme M. Sanders. En avril, il s'en prend à ses propositions sur le libre-échange, au prétexte qu'elles ressembleraient à celles de M. Trump et pénaliseraient les pays pauvres. En mai, il présente le sénateur du Vermont comme faisant le jeu des républicains : « Sanders fait campagne contre Clinton, qui a d'ores et déjà remporté la nomination. C'est une excellente nouvelle pour Donald Trump. »

Pendant ces cinq mois, les blogs du journal ont certes accueilli des textes de sympathisants de M. Sanders. Mais les lecteurs de l'édition imprimée ont dû attendre le 26 mai pour lire, sous la plume de l'économiste Jeffrey Sachs, le premier article retentissant défendant les propositions du sénateur. Onze jours seulement avant que le Washington Post déclare Mme Clinton victorieuse à la primaire démocrate...

Les journalistes semblent désormais se comporter comme des soldats en temps de guerre, obligés de peser le moindre mot pour s'assurer qu'il ne servira pas la partie adverse. Cette manière de voir, que certains qualifient de politique, est en fait profondément antipolitique : elle exclut certaines idées du débat au motif qu'elles ne seraient pas « pragmatiques ».

Le Washington Post développe cette ligne dans deux éditoriaux parus en février. Signé par le comité de rédaction, le premier, « Les attaques de M. Sanders contre la réalité », reproche au sénateur de critiquer implicitement M. Barack Obama quand il prétend qu'il serait possible de faire mieux en matière de lutte contre les inégalités sociales ou de couverture sociale. « Le système — et par là nous entendons la structure constitutionnelle d'équilibre des pouvoirs — implique que les législateurs se contentent de changements graduels, explique le comité. M. Obama a orchestré plusieurs réformes ambitieuses, certes incomplètes, mais qui ont amélioré la vie des gens pendant que les idéologues des deux camps se gaussaient. »

Publié quelques jours plus tard, le second éditorial, « La bataille des extrêmes », compare M. Sanders et le républicain évangélique Ted Cruz. L'un et l'autre seraient intoxiqués par la croyance selon laquelle « la route vers le progrès passe par la pureté, pas par le compromis (...). Le progrès viendra de dirigeants qui ont des principes mais qui sont prêts à bâtir des compromis, qui acceptent le changement graduel, qui admettent ne pas avoir le monopole de la sagesse. Ce message est difficile à vendre lors des primaires, mais lui seul peut produire un candidat capable de s'imposer en novembre et de gouverner avec succès pendant les quatre années à venir », tranche le quotidien.

Or, si l'on appliquait la logique du Washington Post à tous, il faudrait réprouver y compris des personnalités tout à fait « pragmatiques ». Que dire, par exemple, d'un candidat qui voudrait — comme Mme Clinton en 2016 — instaurer un contrôle des armes à feu ? Tout le monde sait qu'une telle mesure n'aurait aucune chance d'être adoptée par le Congrès ; et, si elle l'était, il resterait toujours la Cour suprême et le deuxième amendement pour lui barrer la route.

En outre, l'argument du changement graduel, de la réforme à petits pas, permet d'éviter de penser les problèmes. M. Sanders s'est lancé dans la course aux primaires avec des idées qui heurtaient le Washington Post et la plupart des quotidiens de son rang. Au lieu de les combattre, les commentateurs autorisés les ont exclues du champ des possibles. La légitimité est leur propriété ; ils la distribuent à leur guise.

Les éditorialistes ne partagent rien avec leurs collègues en voie de déclassement

Pour avoir leur appui, mieux vaut s'en tenir au consensus, à l'adoration du « pragmatisme », à l'amour du bipartisme, au mépris des « populistes ». Ces ingrédients composent l'idéologie de la classe dominante, ces travailleurs raisonnables de la Côte est, frais émoulus de Princeton ou de Harvard, qui voient comme des autorités leurs pairs officiant dans des secteurs connexes, qu'ils soient économistes au Massachusetts Institute of Technology, analystes au Crédit suisse ou politologues à la Brookings Institution. Par-dessus tout, il s'agit d'un mode de pensée propre à un milieu protégé de l'insécurité économique, d'où l'on observe les gens ordinaires avec des lunettes d'aristocrate.

Pourtant, en tant que groupe social, les journalistes ne sont pas à l'abri des soubresauts économiques. Les journaux imprimés font figure de pièces de musée, au moins autant que les politiques de New Deal défendues par M. Sanders. Les critiques littéraires sont devenus des spécimens si rares qu'ils pourraient bien disparaître, à moins que quelqu'un ne décide de les mettre sous cloche et de les nourrir. Dans certains magazines, les chroniqueurs doivent occuper un autre emploi pour joindre les deux bouts. Bref, aucun groupe ne connaît plus intimement l'histoire du déclin de la classe moyenne que les journalistes. Pourquoi ceux qui occupent les sommets de cette profession moribonde s'identifient-ils donc aux suffisants, aux satisfaits, aux puissants ?

La réponse est simple : les éditorialistes ne partagent rien avec leurs collègues en voie de déclassement. Ils sont persuadés de ne jamais connaître le sort du Tampa Tribune, par exemple, qui a fermé ses portes en 2016. À Washington, les éditorialistes regardent vers le haut, toujours vers le haut. Le programme de M. Sanders échappait donc à leur champ de vision.

Pendant toute la primaire démocrate, les journaux américains « de référence » ont martelé que le sénateur du Vermont n'avait pas la moindre chance de remporter l'élection présidentielle, surtout face à M. Trump. Dans le New York Times, Paul Krugman a même menacé les électeurs qui seraient tentés par le candidat socialiste : « L'histoire ne vous le pardonnera pas », leur a-t-il lancé le 6 février. Pourtant, à l'époque, les sondages indiquaient l'exact inverse : M. Sanders battait systématiquement M. Trump, tandis que Mme Clinton était au coude-à-coude avec le milliardaire fanfaron.

Il y avait une raison évidente à cela : la force de M. Trump venait des classes populaires blanches, qui appréciaient encore davantage les propositions de M. Sanders. À l'inverse, Mme Clinton était impopulaire, plombée par les scandales, incapable de se faire entendre des travailleurs. Tous les médias américains se sont pourtant rangés derrière elle avec un unanimisme et un enthousiasme inédits — par aversion pour M. Trump, et parce que « Hillary » partageait leur idéologie de l'« expertise » et de la « compétence ». Les commentateurs se sont employés à convaincre les lecteurs de les suivre sur ce chemin. En « une » de son édition du 7 août, le New York Times estimait ainsi que, cette fois, les journalistes devaient « se débarrasser du manuel que le journalisme américain utilisait [jusqu'à présent] » et prendre parti — pour Mme Clinton.

La croisade des médias pour la candidate démocrate ne s'est pas achevée comme prévu. Si la guerre contre M. Sanders a été efficace avec les électeurs des primaires, davantage politisés et consommateurs de journaux, le grand public a réagi différemment aux attaques contre M. Trump. Car les Américains ont au moins un trait commun : ils répugnent à se conformer aux oukases des milieux autorisés. Le militantisme passionné des journalistes a engendré un contrecoup titanesque, avec lequel la planète va devoir vivre pendant les quatre années qui viennent.

(1) Lire Bhaskar Sunkara, « Un socialiste à l'assaut de la Maison Blanche », Le Monde diplomatique, janvier 2016.

Quatre ans pour une réforme

Le Monde Diplomatique - Wed, 11/01/2017 - 11:35

Il aura presque fallu un mandat entier à M. Barack Obama pour faire valider sa réforme du système d'assurance-maladie. Promise pendant la campagne de 2008, celle-ci devait permettre de fournir une couverture aux quarante-six millions d'Américains qui en étaient alors dépourvus. Edulcorée au fil d'un combat législatif tranché par la Cour suprême, la réforme en oubliera finalement treize millions. L'argent des lobbys, l'obstruction parlementaire et les innombrables amendements des républicains sont passés par là… Pourtant, même délestée de certains de ses aspects les plus progressistes — le système d'assurance publique, par exemple —, la loi sur la protection des patients et les soins abordables (Patient Protection and Affordable Care Act) constitue l'une des rares avancées sociales qu'aient connues les Etats-Unis depuis la présidence de Lyndon Johnson (1963-1969).

Auparavant, la santé était une affaire privée. Certains, sans moyens financiers, non couverts par leurs employeurs ou ni assez vieux ou assez pauvres pour bénéficier des programmes publics Medicare et Medicaid, se trouvaient sans aucune protection sociale. Désormais, chaque citoyen (ou presque) est obligé de contracter une police d'assurance (ce dont les compagnies se réjouissent…) ; s'il n'en a pas les moyens, il perçoit une subvention de l'Etat pour l'aider à payer ses cotisations. Autres progrès, les compagnies d'assurances privées n'ont plus le droit de choisir leurs clients en fonction de leurs antécédents médicaux, et leurs tarifs sont réglementés ; les entreprises de plus de cinquante employés refusant de couvrir leurs employés devront acquitter une amende ; le programme d'aide fédérale aux pauvres est étendu à une portion plus large de la population, etc. Mais la plupart de ces dispositions doivent entrer en vigueur en 2014, et les républicains ont d'ores et déjà juré de revenir sur une réforme qu'ils détestent (et appellent « Obamacare ») s'ils remportent la bataille électorale de novembre prochain.

Royaume d’asphalte. Jeunesse saoudienne en révolte

Politique étrangère (IFRI) - Wed, 11/01/2017 - 10:50

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Yves Gounin propose une analyse de l’ouvrage de Pascal Menoret, Royaume d’asphalte. Jeunesse saoudienne en révolte  (La Découverte/Wildproject, 2016, 288 pages).

« Comment peut-on être Saoudien ? » Chacun ou presque a aujourd’hui son opinion sur la politique qu’il conviendrait de mener avec l’Arabie Saoudite. Les plus réalistes y voient un pôle de stabilité dans un environnement régional troublé ; les moins cyniques s’alarment du soutien aveugle de l’Occident à l’un des régimes les plus rétrogrades au monde. Mais qui connaît l’Arabie Saoudite ? Si, depuis l’arrivée au pouvoir du roi Salmane en janvier 2015 et la sombre guerre de succession qui se joue déjà autour du monarque octogénaire, la gérontocratie qui la gouverne éveille désormais la curiosité, la société saoudienne demeure opaque à l’observateur étranger. Publiée en 2011, la thèse d’Amélie Le Renard « Femmes et espaces publics en Arabie Saoudite » levait le voile sur le sort fait aux femmes. C’est ici aux hommes que Pascal Menoret s’intéresse.

Il le fait par un biais surprenant et a priori déroutant : l’étude des rodéos urbains auxquels se livrent les jeunes marginaux de Riyad pour échapper au sentiment d’ennui (tufush) qui les submerge et pour manifester leur colère contre l’étouffante répression. Il ne faudrait pas cependant réduire le Saudi drifting à une déclinaison moyen-orientale de Fast and Furious. Les conducteurs qui s’y adonnent sont plus souvent des Bédouins lumpen-prolétarisés que des enfants de cheikhs ; les voitures qu’ils utilisent sont des berlines japonaises, pas des voitures de sport customisées.

Dans une « ville sur autoroute », déshumanisée, sans centre géographique, convertie au tout-automobile, les jeunes essaient de se réapproprier un espace dont ils se sentent exclus. Dans un pays d’où toute forme d’expression politique est bannie, où le clientélisme règne en maître, où la surveillance policière est omniprésente, où la séparation sourcilleuse des genres exacerbe les frustrations, les jeunes qui veulent mal se conduire conduisent mal. Les pilotes ne se contentent pas de faire crisser des pneus. L’alcool et les drogues s’échangent (le Captagon est la drogue la plus répandue). Les tabous sexuels sont violés. Le monde des rodéos renvoie « l’image macabre et inversée de la société saoudienne ».

Pascal Menoret a d’abord publié son livre en anglais chez Cambridge University Press en 2014. Profitant d’une résidence d’écrivain, il l’a traduit en français. S’il reprend une partie de sa thèse soutenue en 2008, sa démarche est volontiers interdisciplinaire et emprunte moins à l’histoire qu’à l’urbanisme. Il a exploité les archives personnelles de l’architecte Constantinos Doxiadis qui, au début des années 1970, a entrepris la rénovation urbaine de Riyad, essayant, comme Le Corbusier à Chandigarh ou Niemeyer à Brasilia, de forger la « ville du futur », mais se heurtant aux intérêts patrimoniaux des cheikhs.

C’est surtout à l’anthropologie que la démarche de Pascal Menoret est redevable. Il relate ses deux années de terrain à Riyad à la première personne du singulier, sans hésiter à évoquer les difficultés rencontrées. C’est que la société saoudienne ne se laisse pas pénétrer facilement. Pascal Menoret raconte avec beaucoup d’humilité la méfiance qu’il a suscitée en raison de ses origines – il n’est pas musulman et était suspecté d’être un espion –, et les résistances qui lui ont été opposées – il a dû renoncer à enquêter dans les tribus bédouines du Haut Najd pour se concentrer sur les réseaux informels de la capitale. Au-delà de ce qu’il nous apprend sur la société saoudienne, son livre est un modèle de recherche en anthropologie politique.

Yves Gounin

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La loterie des appels à projets

Le Monde Diplomatique - Wed, 11/01/2017 - 09:59

Les « investissements d'avenir » se déclinent en « initiatives d'excellence » (Idex), qui permettent d'obtenir des fonds pour financer des « laboratoires d'excellence » (Labex) et des « équipements d'excellence » (Equipex). Au jeu des appels à projets, Aix-Marseille Université (AMU) est un concurrent redoutable : elle a obtenu vingt-deux Labex et onze Equipex. Là réside toute l'ambiguïté des regroupements d'établissements voulus par le gouvernement français (lire « Aix-Marseille, laboratoire de la fusion des universités »). Ils sont coûteux : à Aix-Marseille, l'harmonisation à la hausse du régime indemnitaire du personnel, le rachat des licences, la réfection des locaux et la mise en place des logiciels communs ont nécessité 10 millions d'euros, ponctionnés sur le fonds de roulement (1). Mais ils permettent d'engranger les importantes sommes dévolues aux « initiatives d'excellence », qui « privilégient clairement la fusion des universités en un seul site », comme le relevaient vingt et un présidents d'université (2). « Les choix faits établissent clairement une volonté de concentration des moyens au profit d'universités dites de recherche “de rang mondial” situées au sein des métropoles »... à l'image d'AMU, constataient-ils.

Mêlant les approches philosophique, historique et physique, notamment autour de thèmes transversaux comme l'environnement, la licence « Sciences et humanités » fait partie des projets qui ont bénéficié du label « initiative d'excellence » : « Des sommes colossales réservées à quelques établissements et, au sein de ces établissements, à quelques secteurs », résume Mathieu Brunet, codirecteur de ce cursus. Pour ce maître de conférences à cheval sur cette formation « d'excellence » et sur le cursus classique, il est « difficile d'assumer que des moyens importants soient déployés pour soixante étudiants alors que la masse n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent ».

Toutes « autonomes » depuis 2012, les universités peinent en effet à exercer leurs « responsabilités et compétences élargies », en particulier la gestion de la masse salariale, qui augmente mécaniquement chaque année avec l'ancienneté des fonctionnaires. Ce phénomène n'a été que partiellement pris en compte par l'État : la non-compensation représente au total 98 millions d'euros, qui ont dû être pris en charge par les universités concernées, rapportent les sénateurs Jacques Grosperrin et Dominique Gillot (3).

Pour faire face à cette difficulté, AMU et les autres universités transforment beaucoup de postes de titulaire en postes ATER (attaché temporaire d'enseignement et de recherche), contrats d'un an renouvelables une fois et rémunérés au lance-pierre (4). Leur nombre ? « Confidentiel », botte en touche la direction des ressources humaines. Le « soutien de base », dotation de début d'année au montant fixe qui doit permettre aux laboratoires de financer leurs factures d'électricité comme leurs missions, a été fortement réduit au niveau national. Consciente de la difficulté, AMU a augmenté cette dotation de 30 % en moyenne, en particulier pour les sciences sociales, qui peinent à obtenir d'autres sources de financement via les appels à projets gérés par l'Agence nationale de la recherche (ANR), dont les fonds diminuent également : de 728,9 millions d'euros en 2012 à 555,1 millions d'euros en 2016.

Pour Philippe Delaporte, directeur du laboratoire LP3 (Laser, plasma et procédés photoniques), gagner des appels à projets est vital : « Un laser coûte deux fois le soutien de base d'une année », détaille-t-il en montrant l'écran de surveillance face à son bureau, qui donne sur une salle contenant 2 millions d'euros d'équipement. Derrière la fenêtre, le mont Puget surplombe le parc national des Calanques. Delaporte regrette que le taux de succès lors de ces appels ne soit que de 8 %, dans la mesure où un an s'écoule entre le dépôt des préprojets et l'attribution du financement. « Les chercheurs exposent d'abord leur projet en cinq pages et l'envoient à des rapporteurs. S'il est présélectionné, il faut le détailler en trente pages, dont une partie “Calcul du budget et propriété intellectuelle” faite avec —voire parfois par— les services administratifs du CNRS [Centre national de la recherche scientifique] et de l'université. Ça consomme du temps, donc de l'argent, pour quelque chose qui relève un peu de la loterie », estime-t-il.

Ce fonctionnement par projets qui oriente les recherches constitue une fausse bonne idée, selon de nombreux universitaires. Le physicien Albert Fert soulignait par exemple que ce modèle n'aurait pas permis de financer ses travaux, alors « loin des thèmes à la mode ». « Je n'ai pas démarré mes travaux [sur les multicouches magnétiques] en me disant que j'allais augmenter la capacité de stockage des disques durs. Le paysage final n'est jamais visible du point de départ », soulignait-il en 2007, après avoir reçu le prix Nobel (5). Pour l'historien Christophe Granger, la recherche par projets subvertit même « les formes élémentaires de la vie scientifique » : « En privilégiant la science biomédicale, et en son sein la recherche contre le cancer, et en son sein encore la génétique au détriment des approches métaboliques, en privilégiant les “nouvelles technologies” et les sciences de l'environnement, en imposant partout, et tout spécialement au sein des sciences humaines et sociales, l'empire des neurosciences et de leur instrumentalisation (neurohistoire, neurodroit, etc.), l'actuelle politique de la recherche anéantit le nécessaire pluralisme des objets, des méthodes et des raisonnements qui est au principe de l'intellection [la compréhension] scientifique du monde (6).  »

(1) Compte sur lequel les universités doivent légalement garder l'équivalent d'un mois de fonctionnement.

(2) « Quel avenir pour l'enseignement supérieur et la recherche français ? », Mediapart.fr, 29 mai 2015.

(3) Avis présenté par M. Jacques Grosperrin et Mme Dominique Gillot au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2016, Sénat, Paris, 19 novembre 2015.

(4) Un ATER à plein temps (128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés par an) est rémunéré environ 1 650 euros net. Pour une charge d'enseignement identique, un maître de conférences avec trois ans d'ancienneté perçoit près de 2 200 euros.

(5) « Le Prix Nobel Albert Fert plaide pour une recherche libre », Le Monde, 25 octobre 2007.

(6) Christophe Granger, La Destruction de l'université française, La Fabrique, Paris, 2015.

Aix-Marseille, laboratoire de la fusion des universités

Le Monde Diplomatique - Wed, 11/01/2017 - 09:58

Fondées pour dispenser des savoirs et préparer à la recherche, les universités françaises se transforment. Pour se faire une place dans le supermarché mondial de l'enseignement supérieur, les établissements rendus « autonomes » par la réforme de 2007 fusionnent. Les exigences scientifiques et pédagogiques fondamentales se heurtent alors à l'expansion d'une bureaucratie libérale.

Surplombant le Vieux-Port de la grâce imposante de son architecture impériale, le siège de la présidence d'Aix-Marseille Université (AMU) donne le ton. L'établissement, né le 1er janvier 2012 de la fusion des universités de Provence, de la Méditerranée et Paul-Cézanne, se targue d'être devenu, avec 74 000 étudiants, la plus grande université francophone du monde. Projet « métropolitain » avant l'heure, il voit sa bannière turquoise et jaune sur fond blanc flotter d'Aix-en-Provence à Marseille.

« Une université à l'ambition internationale », proclame le slogan d'AMU sur toutes les plaquettes publicitaires. La fusion doit permettre aux facultés d'atteindre des tailles suffisantes pour rayonner au-delà des frontières hexagonales. Le mouvement a été amorcé par l'université de Strasbourg en 2009 et soutenu par Mme Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur (2007-2011) du gouvernement Fillon, qui s'était juré de « réparer les dégâts de Mai 68 (1) ». « Nous sommes des pastilles, vus de Shanghaï », se désolait en juillet 2013 sa successeure socialiste Geneviève Fioraso (2). Alors que les regroupements entreraient en ligne de compte « dans les classements internationaux de 2015 », la loi du 22 juillet 2013, dite « loi Fioraso », avait donné un an aux universités pour fusionner ou pour se réunir sous forme de communauté ou d'association.

En réalité, selon l'historien Christophe Charle, l'utilité de ces classements « réside moins dans l'information fournie que dans la justification (…) de décisions politiques ou administratives pour forcer les institutions et les personnels à évoluer et à se discipliner en fonction des objectifs fixés d'en haut ». Ils sont ainsi « en complète contradiction avec l'exaltation parallèle de l'autonomie et de l'esprit d'innovation (3) ». Cinq des six critères du classement de Shanghaï étant obtenus par comptage (nombre d'anciens élèves ayant reçu un prix Nobel ou une médaille Fields, quantité d'articles publiés dans les revues Nature et Science…), ce qui favorise les établissements de grande taille, la France fait le pari du gigantisme pour grimper dans le palmarès. AMU a ainsi gagné cent places depuis la fusion. Mais Harvard, Stanford ou le Massachusetts Institute of Technology (MIT), qui caracolent en tête, accueillent entre dix mille et vingt mille étudiants : des chiffres sans commune mesure avec ceux d'AMU.

Retards de salaire pour les vacataires

Le rapport des sénateurs Jacques Grosperrin (Les Républicains) et Dominique Gillot (Parti socialiste) épingle ces « quasi-monstres » dont la conception ne doit rien au hasard : elle s'inscrit dans la logique qui a abouti à la refonte des régions ou à la création des métropoles et des communautés d'agglomération. Le morcellement des institutions serait à l'origine d'une « gabegie » pour les finances publiques ; il faudrait donc se regrouper pour être plus fort, efficace et compétitif à l'échelle internationale. Ces réorganisations supposées « favoriser la mise en commun de compétences » et ainsi permettre des économies sont pourtant coûteuses. Ainsi, sur les mille postes créés en 2015 par le gouvernement pour l'enseignement supérieur, 348 ont été dévolus au fonctionnement de ces nouvelles structures, indique le rapport réalisé au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (4).

L'université mastodonte est encore en chantier — au propre comme au figuré —, mais son président, M. Yvon Berland, peut être satisfait : si l'immense majorité du personnel désapprouvait la fusion lorsqu'il l'a appelée de ses vœux en 2004, les opposants se font de plus en plus rares. « Aix-Marseille Université a acquis une telle visibilité aux niveaux local, national et international que celui qui est contre est un peu couillon », balaie le sexagénaire dans son vaste bureau avec vue sur le large. Pourtant, après quatre ans d'existence, le rouleau compresseur aux huit mille employés souffre toujours de difficultés logistiques et structurelles.

Un vacataire, intérimaire de la fonction publique qui souhaite garder l'anonymat pour ne pas compromettre ses chances d'être reconduit, se souvient ainsi d'un imbroglio lors des partiels de 2015 : aucun service n'était habilité à conserver les sujets d'examen destinés aux étudiants handicapés. Il a donc dû se « débrouiller » en bricolant une solution avec la « mission handicap » et la scolarité. « On ne savait même pas si c'était légal », confie-t-il dans une salle de la toute nouvelle Maison de la recherche d'Aix-en-Provence.

Le bâtiment, inauguré en grande pompe par M. Jean-Marc Ayrault, alors premier ministre, est aux antipodes du reste du campus, construit dans les années 1960, aujourd'hui maculé de graffitis et dont les installations électriques brinquebalent au plafond. Grâce au plan Campus, passerelle aérienne, patios et bâtiments ultra-modernes remplaceront bientôt les filets de sécurité. AMU fait en effet partie des dix campus sélectionnés pour ce plan en 2008 ; elle a reçu de l'État 500 millions d'euros, auxquels les collectivités territoriales ont ajouté 300 millions.

En attendant, le jeune vacataire enseigne dans des préfabriqués. Doctorant, il bénéficie d'un statut ambigu d'étudiant-salarié, mais, trois mois après la rentrée 2015, il attendait toujours sa carte d'étudiant, prérequis indispensable pour signer son contrat de vacation. Les cours ayant tout de même commencé, il travaillait « au noir, en somme », et n'avait droit à aucune réduction — en particulier sur la carte de transport ZOU ! Ces multiples problèmes de gestion seraient moins ennuyeux s'ils ne concernaient pas également sa paye… L'université doit au doctorant 3 600 euros, une somme déjà maigre pour un semestre passé à donner trois cours de vingt-quatre heures chacun, plus la préparation et la correction.

Un « personnel administratif » (on ne parle pas de « secrétaires » au sein d'AMU) regrette : « On ne sait pas si les personnes que l'on demande à recruter reçoivent leur contrat, on n'a aucune visibilité là-dessus, mais c'est auprès de nous qu'elles viennent se plaindre. On a le même problème pour la paye. On fait monter les infos au chef, puis au DRH [directeur des ressources humaines] de notre UFR [unité de formation et de recherche], qui fait remonter au DRH de l'université. Tout est géré à la présidence ; les DRH des UFR n'ont même plus accès aux dossiers des personnels, ils servent juste de courroie de transmission. Avant, il y avait des difficultés de paiement car on manquait de personnel. Maintenant on ne sait même pas pourquoi… »

Des conditions de travail dégradées

Un autre « personnel administratif » rebondit sur la multiplication des strates entraînée par la fusion : « Prenons l'exemple de la DEV [Direction des études et de la vie étudiante]. Une information part le lundi de la DEV d'AMU, au [siège du] Pharo. Le temps qu'elle nous arrive, ça prend au moins cinq jours. Si les dossiers sont à remplir sous quinze jours, ça nous met davantage de pression pour les traiter dans les temps. Avant, on avait l'information pratiquement en direct. » M. Berland, qui, en plus d'assumer la présidence d'AMU, reste chef de service au centre hospitalier universitaire, dit comprendre le mécontentement : « Je râle souvent contre l'hôpital parce que c'est trop compliqué ; mais, en tant que responsable, j'ai voulu tout connaître avant de déléguer », se justifie-t-il.

De nombreux employés administratifs ont dû changer de fonctions, et le « tuilage » prévu — la formation des nouveaux par les anciens — n'a pas toujours été effectué. Les postes eux-mêmes ont été profondément transformés par la réorganisation des départements, mais aussi par toutes les nouvelles pratiques et les nouveaux logiciels qui continuent à être mis en place. Il faut toujours « aller à la pêche aux informations : nous ne sommes jamais informés des changements de procédure, alors, pour chaque tâche, on doit vérifier que la démarche n'a pas changé, pour éviter un retour du document accompagné d'un petit mot disant : “On a changé de formulaire” », témoigne une autre secrétaire.

En avril 2015, la Confédération générale du travail (CGT) d'AMU a distribué six cents questionnaires pour évaluer la santé des salariés. Sur la centaine de répondants — essentiellement des agents de catégorie C —, 70% considèrent que leurs conditions de travail se sont dégradées depuis la fusion et s'estiment mal reconnus dans l'établissement ; 68 % déplorent que le travail se fasse dorénavant dans l'urgence, et près de la moitié jugent les directives souvent contradictoires. M. Philippe Blanc, secrétaire général de la CGT d'AMU, estime que son syndicat a aidé une centaine de personnes depuis la fusion. « On intervient auprès de la direction quand les gens ne vont pas bien et doivent changer de service, explique-t-il. Les personnels ont fait des choix par défaut, mais, une fois qu'ils ont été mutés, leur poste ne correspondait pas forcément à leurs compétences, ou alors ils ne s'entendaient pas avec leur hiérarchie, dont le management est devenu de plus en plus agressif. » Lui-même a dû changer de service : avec les doublons qu'a aussi créés la fusion, il a fait un bore-out (ou syndrome d'épuisement professionnel par l'ennui). « Avec la restructuration, mon service d'hygiène et de sécurité a eu un responsable, au Pharo, qui donnait tout le travail à l'ingénieur avec lequel je collaborais », regrette cet agent de catégorie C dont le poste a été supprimé après son départ aux collections patrimoniales.

La centralisation qui a accompagné la fusion a également apporté son lot de lourdeurs administratives pour les enseignants et les étudiants. La demande pour installer une table sur l'un des campus pour un événement quelconque requiert dorénavant trois semaines de délai, le temps d'être validée par tous les échelons. Obtenir un ordre de mission pour se rendre à un colloque relève du parcours du combattant. Même les photocopies nécessitent dorénavant des bons de commande.

Un à-valoir sur le marché du travail

Il est cependant des dossiers sur lesquels l'administration centrale se montre redoutablement rapide et efficace : les « investissements d'avenir », appels à projets gouvernementaux dotés de 22 milliards d'euros. Ces fonds visent à faire émerger « des pôles capables de rivaliser avec les plus grandes universités du monde ». AMU a fait partie des huit universités sélectionnées : en 2012, elle a reçu 750 millions d'euros — une dotation reconduite en avril 2016 — et s'avère l'une des grandes bénéficiaires des « politiques d'excellence » (lire « La loterie des appels à projets »).

Le système de financement par projets favorise le « clientélisme », regrette Philippe Blache, directeur du laboratoire Parole et langage. Certes, la présidence ne joue aucun rôle dans l'acceptation des appels à projets. Toutefois, si les experts externes évaluant les projets estiment, par exemple, que vingt d'entre eux méritent d'être financés mais que seuls dix peuvent l'être, le choix final est fait en interne. « Aujourd'hui, le lieu essentiel des décisions est la présidence. Une décentralisation serait indispensable — il en va de la survie même de la vie démocratique de l'université », poursuit cet ancien élu au conseil scientifique d'AMU. Il souligne un « manque de confiance dans les instances intermédiaires », qu'il s'agisse des facultés, des départements d'enseignement ou des laboratoires de recherche, « sans cesse obligées de monter des dossiers, d'exposer des demandes pour répondre à une vision selon laquelle tout doit remonter au niveau central ». Il estime qu'il passe chaque année trois mois à remplir des dossiers administratifs.

Les thématiques et objectifs prioritaires de l'université sont en outre définis par les « conseils centraux » (5), qui regroupent enseignants-chercheurs, étudiants et personnel administratif. Difficile pour les élus de ces instances d'être au fait des dossiers : « Nous votons de façon globale, sur des tableaux qui contiennent des listes de cent à cent cinquante dossiers », précise Philippe Blache. Le président Berland, réélu au premier tour pour quatre ans (avec 27 voix contre 5 et 4 bulletins blancs ou nuls), le 5 janvier 2016, n'a pour ainsi dire pas d'opposition au sein du conseil d'administration, qui prend pour finir toutes les décisions ; ces conseils ont donc tout d'une chambre d'enregistrement. M. Tom Oroffino, étudiant en sociologie et élu de l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), enrage : « Quand on manifeste notre désaccord, ça n'a aucune conséquence. » La Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), le syndicat étudiant largement majoritaire à AMU, s'y est d'ailleurs résignée et préfère éviter toute contestation. « Ce n'est pas sur notre vote que ça se joue, remarque l'un de ses représentants, M. Renaud Argence. Aussi, nous préférons dire que nous avons des doutes ou qu'il faudrait retravailler un point particulier que de voter contre, car on sait que ça ne changera rien, mais que ce pourrait être préjudiciable à nos relations de travail par la suite. »

Pour M. Oroffino, la présidence s'est « mis les étudiants dans la poche » en attribuant aux associations une subvention de fonctionnement de 300 euros sans qu'elles aient à justifier d'aucune dépense, « juste pour qu'elles existent ». Ancien de l'association des étudiants en médecine, M. Argence confirme : « Lorsque je portais des projets avant la création d'AMU, on peinait à obtenir des fonds, et ils étaient moins importants qu'aujourd'hui. Si on voulait avoir un budget conséquent, il fallait passer par trois commissions, au lieu d'une seule depuis la fusion. » Les étudiants sont plutôt satisfaits de leurs associations et des nouveaux équipements mis à leur disposition ; mais le jour où ils arboreront les sweat-shirts ou les besaces siglés AMU, mis en vente par l'université sur le modèle de ses prestigieuses consœurs américaines, semble encore loin.

Les conseils d'administration restreints (entre 24 et 36 membres, au lieu des 30 à 60 permis par la loi Savary) ont été mis en place par Mme Fioraso pour que les entrepreneurs, invités à y prendre part, « y voient plus clair (6) ». Sept ou huit « personnalités extérieures », supposées mieux avisées de ces « réalités du monde » que l'université prend dorénavant pour horizon, font partie des administrateurs. Le conseil régional, la communauté du Pays d'Aix et la mairie de Marseille ont ainsi des représentants au Pharo. Mme Michèle Boi, directrice régionale de l'emploi chez Électricité de France (EDF), a aussi fait son entrée au conseil d'administration d'AMU en janvier 2016, ainsi que M. Johan Bencivenga, le président de l'Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône, une émanation du Mouvement des entreprises de France (Medef).

« En échange des capitaux qu'elles ont à présent à récolter auprès des entreprises, les universités doivent adapter leurs offres de formation aux besoins de l'économie, c'est-à-dire d'abord aux besoins des entreprises en matière de main-d'œuvre. Il leur revient, pour dire les choses autrement, d'assurer l'employabilité des futurs salariés », écrit l'historien Christophe Granger (7). Les entreprises partenaires poussent à des formations utilitaristes. Ainsi, EDF s'est fait tailler des diplômes sur mesure avec les masters « Modélisation et expérimentation des matériaux pour le nucléaire » et « Génie des procédés appliqués au nucléaire ». Pour le chercheur, ce changement de paradigme est lié au fait que « les universités ne disent plus qu'elles enseignent : elles prétendent assurer l'insertion professionnelle de leurs étudiants-clients. Elles n'osent plus dire qu'elles dispensent du savoir : elles vendent un à-valoir sur le marché du travail. »

Illusion d'interdisciplinarité

Opérée en partie au nom d'une meilleure lisibilité de l'offre de formation, notamment en sciences, la fusion n'a pas toujours eu l'effet escompté. Ainsi, Delphine Thibault, responsable de la licence « Sciences de la vie et de la Terre », regrette cette dénomination : « Auparavant, à Marseille, nous avions une spécificité autour des sciences de la mer qui était de fait très lisible. » Conséquence collatérale de la fusion, divers parcours ont été regroupés et le ministère n'a pas accepté d'intitulé précis : « Cela nous demande plus de démarches pour nous faire connaître aux niveaux régional et national. »

Toutefois, la crainte principale des opposants à la fusion, une baisse de l'offre de formation pour réduire les coûts, ne s'est pas réalisée. Si certaines options ont été supprimées, c'est « faute de combattants », indique Michèle Gally, responsable du master lettres. La méfiance reste pourtant de mise. En effet, l'offre de formation actuelle a été créée en 2011, avant la fusion. Elle la prenait en compte en supprimant les filières qui existaient à plusieurs endroits, en particulier en sciences. Mais, pour 2018, les mots d'ordre sont la mutualisation et l'interdisciplinarité.

« Les nuages s'accumulent peut-être à l'horizon », estime Michèle Gally. Pour elle, « cette fausse cohérence et cette illusion d'interdisciplinarité nuisent à la recherche et même à la formation ». Alors que les thématiques envisagées concernent notamment le big data et les villes connectées, une partie du secteur sciences humaines et sociales s'inquiète à l'idée de devenir la cinquième roue du carrosse.

(1) « Valérie Pécresse : “D'ici à 2012, j'aurai réparé les dégâts de Mai 68” », Les Échos, Paris, 27 septembre 2010.

(2) « Le gouvernement regroupe les universités en 25 grands ensembles », Les Échos, 22 juillet 2014.

(3) Christophe Charle et Charles Soulié (sous la dir. de), La Dérégulation universitaire. La construction étatisée des « marchés » des études supérieures dans le monde, Syllepse, coll. « La politique au scalpel », Paris, 2015.

(4) Avis présenté par M. Jacques Grosperrin et Mme Dominique Gillot au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication sur le projet de loi de finances pour 2016, Sénat, Paris, 19 novembre 2015.

(5) Le conseil d'administration de l'université, le conseil des études et de la vie universitaires et le conseil scientifique.

(6) « Fioraso : “Il faut ‘ouvrir' les universités aux entreprises” », Les Échos, 26 novembre 2012.

(7) Christophe Granger, La Destruction de l'université française, La Fabrique, Paris, 2015.

Lire aussi le courrier des lecteurs dans notre édition d'octobre 2016.

The Utility of Ethnic Minorities (II)

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Wed, 11/01/2017 - 00:00
(Own report) - The Institut für Auslandsbeziehungen (ifa, the Institute for Foreign Cultural Relations), founded 100 years ago, had been a leading institution for the Nazi's "Germanization" policy in Eastern Europe, as historians have exposed in their research. The institute, which celebrated the anniversary of its January 10, 1917 founding yesterday - with the German foreign minister attending - is also active today in cultural exchange activities. For more than four decades, it has been coordinating Germany's contribution to the Biennale in Venice on behalf of the German foreign ministry. In the 1930s and early 1940s, the institute's staff had been engaged in using their contacts to members of German-speaking minorities abroad also for purposes of espionage. Following Germany's invasion of the Soviet Union, members of the institute's staff, such as Karl Stumpp, carried out ethnic surveys of settlements in today's Ukraine, thereby contributing to the annihilation of East European Jews. The institute, which had been disbanded by the Allies in 1945, was re-established in 1951 under the leadership of a former high-ranking cultural functionary of the Nazis. Still today, the institute is nurturing relations with German-speaking minorities abroad for use in the interests of German foreign policy.

Routine présidentielle

Le Monde Diplomatique - Tue, 10/01/2017 - 21:51

Au moins trente-six « meurtres de masse » ont eu lieu durant les deux mandats de M. Barack Obama (1). Le président s'est souvent dit déterminé à limiter la circulation des armes à feu, mais au Congrès, les républicains ont bloqué la moindre de ses initiatives, même celle qui visait à instaurer un contrôle obligatoire des antécédents (judiciaires, psychiatriques…) de tous les acquéreurs d'armes à feu. Mieux : les républicains ont fait passer deux lois permettant de voyager avec son calibre dans les parcs nationaux et les trains de la société Amtrak. Parallèlement, plusieurs États ont également allongé leur liste des lieux ouverts aux revolvers : les bars, églises et hôpitaux dans le Michigan ; les universités au Texas, etc. Les récentes tueries ont paradoxalement conforté le Parti républicain dans sa conviction pro-armes car, prétend-il, si les victimes du Bataclan ou de la discothèque d'Orlando avaient eu un fusil sous la main, ils auraient pu empêcher les massacres.

(1) Selon le Federal Bureau of Investigation (FBI), un « meurtre de masse » est une attaque perpétrée dans un lieu public et faisant au moins quatre victimes.

Entre la carotte et le bâton

Le Monde Diplomatique - Tue, 10/01/2017 - 21:36
2009

20 janvier. Le jour de son investiture, M. Barack Obama suspend les tribunaux militaires d'exception créés en 2006 pour juger des détenus du camp de Guantánamo. Quatre mois plus tard, il annonce qu'ils seront finalement maintenus, mais avec de nouvelles règles de procédure.

27 février. Le président annonce le retrait progressif des troupes américaines d'Irak. Celui-ci sera achevé le 31 décembre 2011.

8 mars. Incident diplomatique entre Pékin et Washington après l'entrée d'un navire américain en mer de Chine méridionale.

2-5 avril. En tournée en Europe, M. Obama plaide pour un « monde sans armes nucléaires » et pour l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne.

18 avril. Lors du Ve sommet des Amériques, tenu à Trinité-et-Tobago, M. Obama propose aux chefs d'État latino-américains une « alliance entre égaux ».

18 mai. Au terme de la visite du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou à Washington, M. Obama défend la création d'un État palestinien.

4 juin. Dans un discours prononcé au Caire, en Égypte, M. Obama propose un « nouveau départ » entre les États-Unis et le monde arabo-musulman.

24 juin. Les États-Unis et le Venezuela rétablissent leurs relations diplomatiques, rompues après l'expulsion de l'ambassadeur américain à Caracas en septembre 2008.

28 juin. Un coup d'État militaire renverse le président du Honduras, M. Manuel Zelaya. Sous la pression de la secrétaire d'État Hillary Clinton, la Maison Blanche apportera son soutien au gouvernement issu du putsch.

29 octobre. Par 189 voix contre 3, l'Assemblée générale des Nations unies demande aux États-Unis de mettre fin à l'embargo contre Cuba, en vigueur depuis 1962.

18 novembre. M. Obama admet que, faute d'accord du Congrès, les États-Unis ne fermeront pas le centre de détention de Guantánamo avant la fin de l'année.

1er décembre. Le président annonce le déploiement accéléré de 30 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. Il évoque un retrait possible à partir de l'été 2011.

10 décembre. Recevant le prix Nobel de la paix à Oslo, décerné le 9 octobre, M. Obama évoque la notion de « guerre juste » et déclare qu'un « mouvement non violent n'aurait jamais arrêté les armées de Hitler ».

2010

5 février. La nouvelle doctrine de défense russe place l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) —dont les États-Unis sont le fer de lance— en tête des menaces extérieures.

8 avril. Washington et Moscou signent un nouvel accord sur le désarmement nucléaire Strategic Arms Reduction Talks (Start), après l'expiration du précédent en décembre 2009. Ils s'engagent à réduire de 75 % leurs arsenaux respectifs.

28 mai. À l'issue de la conférence de suivi du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), à New York, les États-Unis paraphent, malgré des réserves, le document proposant la création d'une zone dénucléarisée au Proche-Orient et enjoignant à Israël de placer ses installations sous contrôle international.

3 juillet. Les États-Unis et la Pologne signent un accord sur un bouclier antimissile, malgré les objections de Moscou.

30 août. Après des manœuvres navales aux côtés de la Corée du Sud en mer du Japon (du 25 au 28 juillet), Washington impose de nouvelles sanctions à la Corée du Nord. Elles font suite à la destruction, attribuée à Pyongyang, d'un navire sud-coréen en mars.

8 décembre. Trois mois après avoir relancé les pourparlers entre Israéliens et Palestiniens sous leur égide, à Washington, les États-Unis renoncent à exiger de Tel-Aviv le gel de la colonisation en Cisjordanie comme préalable aux négociations de paix.

2011

7 mars. Décevant les défenseurs des droits civiques, M. Obama donne son feu vert à la reprise des procès militaires d'exception à Guantánamo.

19 mars - 31 octobre. Les États-Unis participent, aux côtés de la France et du Royaume-Uni, à l'intervention militaire multinationale en Libye, menée sous l'égide des Nations unies et dirigée par l'OTAN.

2 mai. Oussama Ben Laden, le chef d'Al-Qaida, est tué par un commando américain au Pakistan.

19 mai. À la suite des « printemps arabes », M.Obama dévoile son « plan Marshall » de plusieurs milliards de dollars pour aider le monde arabe à se démocratiser. Il se déclare favorable à un État palestinien dans les frontières de 1967.

22 juin. Le président annonce le rapatriement d'un tiers des 100 000 soldats américains déployés en Afghanistan, d'ici à l'été 2012. Le départ du reste des troupes est programmé pour 2014.

2 septembre. La divulgation par WikiLeaks de 250 000 câbles diplomatiques internes du département d'État américain met toutes les chancelleries en émoi, en premier lieu à Washington.

2012

17 avril. Washington décide d'alléger les sanctions financières contre la Birmanie pour soutenir le processus de démocratisation amorcé en 2011.

26 avril. Les États-Unis et le Japon s'accordent sur le retrait de 9 000 marines de l'île d'Okinawa, où des soldats américains stationnent depuis 1960.

5 mai. Début du procès, dans le camp de Guantánamo, des cinq principaux suspects dans les attentats du 11-Septembre.

13 juillet. Première liaison maritime —censée devenir hebdomadaire— entre les États-Unis et Cuba depuis 1962, avec l'arrivée à La Havane d'un navire américain transportant du matériel humanitaire.

11 septembre. L'ambassadeur des États-Unis en Libye et trois de ses collègues sont tués lors de l'attaque du consulat américain de Benghazi par des militants armés. Le 15, Al-Qaida déclare « venger » ainsi la mort de son numéro deux, éliminé en juin par Washington.

18 septembre. Moscou ordonne à l'Agence américaine pour le développement international (Usaid) de quitter la Russie d'ici à la fin du mois. L'Usaid, qui finance les organisations non gouvernementales (ONG) du pays, est accusée de s'immiscer dans ses affaires intérieures.

13 novembre. En tournée en Australie, le chef du Pentagone, M.Leon Panetta, assure que le redéploiement des forces américaines dans la région Asie-Pacifique est « réel » et à « long terme ». M.Obama se rend en Birmanie, en Thaïlande et au Cambodge une semaine plus tard.

3 décembre. M.Obama met en garde le président syrien Bachar Al-Assad contre les « conséquences » de l'emploi d'armes chimiques.

4 décembre. L'OTAN autorise le déploiement de missiles américains Patriot en Turquie, une mesure réclamée par Ankara pour protéger sa frontière avec la Syrie.

14 décembre. M.Obama promulgue une loi interdisant l'entrée sur le sol américain de personnes responsables de violations des droits humains en Russie et prévoyant le gel de leurs avoirs aux États-Unis.

2013

20-21 mars. Première visite officielle du président Obama en Israël et dans les territoires palestiniens occupés. Tout en appelant à un règlement pacifique du conflit, il réaffirme l'alliance « éternelle » entre Washington et Tel-Aviv.

23 mai. Dans une allocution prononcée à la National Defense University de Washington, M. Obama explique vouloir mettre fin à la « guerre globale contre le terrorisme » et annonce un changement radical de stratégie.

5-30 juin. Révélations sur les programmes d'espionnage menés à l'échelle mondiale par l'Agence nationale pour la sécurité américaine (NSA). L'auteur des fuites, M.Edward Snowden, un ancien employé de la NSA, trouve asile en Russie.

18 juin. Sa mission terminée, la force internationale de l'OTAN en Afghanistan remet au gouvernement afghan le contrôle de la sécurité dans le pays.

29 juillet. Washington obtient la reprise des négociations directes entre Israéliens et Palestiniens, gelées depuis 2010. Elles bloqueront à nouveau sur la poursuite de la colonisation juive en Cisjordanie.

2-11 août. Devant les menaces d'attentats proférées par Al-Qaida, les États-Unis décident de fermer temporairement une vingtaine de leurs ambassades au Proche-Orient et en Afrique.

14 septembre. Moscou et Washington parviennent à s'entendre sur un plan de démantèlement de l'armement chimique du régime syrien. Il permet d'éviter l'éventualité d'une intervention militaire américaine.

17 septembre. Après la publication, le 1er septembre, de documents relatifs à sa mise sur écoute par la NSA en juin 2012, la présidente du Brésil, Mme Dilma Rousseff, annule sa visite aux États-Unis prévue en octobre.

27 septembre. À son initiative, M. Barack Obama s'entretient par téléphone avec M. Hassan Rohani, élu à la présidence de l'Iran en juin. C'est le premier contact direct entre les chefs d'État des deux pays depuis trente-quatre ans.

21-29 octobre. Crise diplomatique entre l'Europe et les États-Unis après la parution de nouveaux documents sur l'espionnage pratiqué par la NSA à l'encontre de diplomates et de dirigeants européens, dont la chancelière allemande Angela Merkel.

20 novembre. Accord de principe entre Washington et Kaboul sur un pacte bilatéral de sécurité. Huit mille à douze mille soldats de l'OTAN resteront en Afghanistan après le départ des forces de l'Alliance fin 2014 ; les militaires américains bénéficieront de l'immunité juridique.

24 novembre. Signature à Genève d'un accord préliminaire sur le programme nucléaire iranien entre l'Iran et les États du G5 + 1 (États-Unis, Royaume-Uni, France, Russie, Chine et Allemagne).

2014

16 mars. Les États-Unis et l'Europe adoptent une série de sanctions contre Moscou après le rattachement de la Crimée à la Russie consécutif au référendum d'autodétermination organisé dans la péninsule. Les pays occidentaux contestent la légitimité de cette consultation.

28 avril. Accord américano-philippin pour renforcer la présence militaire des États-Unis aux Philippines.

19 juin. Après la prise de Mossoul (Irak), le 10 juin, par l'Organisation de l'État islamique (OEI), M. Obama décide de dépêcher trois cents conseillers militaires américains en Irak pour appuyer l'armée gouvernementale. Leur nombre passera à trois mille en novembre.

8 août. Début des bombardements américains contre les positions de l'OEI dans le nord de l'Irak. Le mouvement djihadiste a proclamé son califat le 29 juin dans les régions irakiennes et syriennes qu'il contrôle.

5 septembre. Les États-Unis forment une coalition internationale pour lutter contre l'OEI. Elle regroupe notamment la France, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Turquie. Dix pays arabes, dont l'Arabie saoudite, l'Égypte et la Jordanie, la rejoignent une semaine plus tard.

8 décembre. Un rapport du Congrès américain évalue à 1 600 milliards de dollars les dépenses des États-Unis depuis le 11 septembre 2001, dans le cadre de la lutte antiterroriste.

9 décembre. Un rapport du Sénat américain sur les « interrogatoires renforcés » pratiqués par la Central Intelligence Agency (CIA) après les attentats du 11 septembre 2001 estime qu'ils « n'ont pas été efficaces » et constituent des actes de torture.

17 décembre. La Havane et Washington annoncent le rétablissement de leurs relations diplomatiques, rompues en 1961. La question de la levée de l'embargo économique, auquel est soumis Cuba depuis 1962, doit être examinée par le Congrès américain.

2015

3 mars. Dans un discours au Congrès américain à l'invitation des républicains, M. Netanyahou, le premier ministre israélien, fustige la politique de M.Obama à l'égard de Téhéran et dénonce l'accord sur le nucléaire iranien en voie d'être conclu.

11 avril. Premier tête-à-tête entre le président cubain Raúl Castro et M.Obama, en marge du sommet des Amériques, à Panamá. Trois jours plus tard, M. Obama déclare vouloir retirer Cuba de la liste américaine des pays soutenant le terrorisme, ce qui sera fait le 29 mai.

14 juillet. Signature de l'accord final sur le nucléaire iranien, à Vienne, entre Téhéran et les pays du G5 + 1. Vivement critiqué par les républicains aux États-Unis, il sera entériné de justesse par le Congrès américain le 11 septembre suivant.

20 juillet. Réouverture officielle des ambassades américaine à La Havane et cubaine à Washington.

28 septembre. Rencontre sous tension à l'Organisation des Nations unies (ONU) entre M.Obama et M.Vladimir Poutine —dont les troupes sont présentes en Syrie pour soutenir M. Al-Assad—, qui s'accusent mutuellement d'attiser le chaos syrien. Ils conviennent d'une coordination tactique entre leurs forces respectives sur le terrain. Les raids aériens russes en Syrie débutent deux jours plus tard.

3 octobre. En Afghanistan, les États-Unis bombardent « par erreur » (selon le commandement américain) l'hôpital de Médecins sans frontières (MSF) à Kunduz, faisant vingt-deux morts. M.Obama s'excusera auprès de MSF, qui parle de « crime de guerre ».

15 octobre. M. Obama annonce que les 9 800 soldats encore en poste en Afghanistan y resteront finalement en 2016, et que 5 500 d'entre eux seront maintenus après 2017.

14 novembre. Le chef de l'OEI en Libye est tué au cours d'un raid aérien mené pour la première fois par les États-Unis dans le pays, où le mouvement djihadiste gagne du terrain.

15 novembre. Lors d'un entretien imprévu pendant le sommet du G20, MM. Obama et Poutine s'accordent sur la nécessité d'un cessez-le-feu et d'une transition politique en Syrie, menée entre l'opposition et le régime sous l'égide de l'ONU. Le sort de M. Al-Assad demeure en suspens.

2016

4 février. Signature, en Nouvelle-Zélande, du partenariat transpacifique (Trans-Pacific Partnership, TPP), qui prévoit la création d'une zone de libre-échange unissant les États-Unis à onze autres pays du Pacifique (Australie, Canada, Chili, Japon, Singapour, Vietnam, etc.).

17 février. Selon des estimations officielles américaines, les frappes conduites par les États-Unis contre l'OEI, en Irak et en Syrie, ont tué environ 27 000 combattants de l'organisation.

20 avril. Le président Obama annonce l'envoi de 200 membres des forces spéciales américaines en Irak. Le 25 avril, 250 hommes sont dépêchés en Syrie.

7 juillet. À la veille du sommet de l'OTAN à Varsovie (8-9 juillet), M. Poutine dénonce la « frénésie militariste » de l'Alliance atlantique. Le 15 juin, celle-ci a fait savoir qu'elle avait décidé de déployer en 2017 des troupes en Pologne, en Estonie, en Lituanie et en Lettonie.

14 juillet. En visite à Moscou, le secrétaire d'État John Kerry propose à M. Poutine la création d'un « commandement militaire conjoint » à Amman (Jordanie) et des opérations américano-russes coordonnées en Syrie, dans le cadre de la lutte contre l'OEI et contre Al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaida épargnée jusque-là par les Américains.

19-21 juillet. Tensions entre Ankara et Washington après le putsch militaire manqué contre le président turc Recep Tayyip Erdogan, dans la nuit du 15 au 16 juillet. La Turquie reproche aux États-Unis d'abriter le prédicateur Fethullah Gülen, qu'elle accuse d'avoir fomenté la tentative de coup d'État.

L'ours polaire, animal géopolitique

Le Monde Diplomatique - Tue, 10/01/2017 - 16:22

L'ours polaire est devenu le symbole d'une biodiversité en péril, sous la menace du réchauffement climatique. Impossible toutefois de dissocier la protection de l'espèce des enjeux géopolitiques liés à un territoire convoité, l'Arctique. Une dimension dont les organisations environnementales ne sont pas toujours conscientes, pas plus qu'elles ne mesurent le rôle des peuples autochtones.

En avril 2010, M. Vladimir Poutine, alors premier ministre de la Russie, se faisait photographier avec un ours polaire — une femelle anesthésiée par des scientifiques — sur l'archipel François-Joseph, à l'extrême nord du pays. Le discours écologiste qu'il tenait alors, plaidant pour la protection de l'animal et de l'Arctique, dissimulait mal certaines arrière-pensées.

En septembre 2012, la réduction de la surface des glaces de mer estivales qui couvrent l'océan Arctique a atteint un record, au point que celles-ci pourraient avoir totalement disparu d'ici à 2050. Un minimum de glaces hivernales a aussi été atteint en mars 2015. Or l'ours polaire — nanouk dans la langue des Inuits, qui le divinisent et le chassent régulièrement— ne peut vivre sans la banquise, où il trouve ses principales proies, les phoques. Désormais en danger, il est donc devenu l'étendard de la lutte contre le réchauffement climatique. De surcroît, d'autres périls pèsent sur l'animal, dont la population est estimée à 20 000 ou 25 000 individus : la chasse, le braconnage ou encore les polluants, qui se concentrent dans les tissus de cet ultime maillon de la chaîne alimentaire.

Ce prédateur symbole de puissance, dont les plus gros mâles peuvent dépasser les 600 kilos et mesurer deux à trois mètres, régna longtemps en maître absolu sur les étendues gelées. Les premiers explorateurs blancs l'associaient au danger de l'« enfer polaire ». Au XVIIe siècle, Hollandais, Danois et Britanniques se livrent déjà des conflits armés pour prendre pied en Arctique, dont les ressources prometteuses suscitent la convoitise : animaux à fourrure, phoques, baleines, morues... L'archipel du Svalbard, à l'est du Groenland, est très disputé. La faune, et particulièrement l'ours polaire, seigneur déchu, paie un lourd tribut, subissant une élimination de masse.

Puis, à partir des années 1950, l'Arctique se retrouve au cœur de la guerre froide. Les Etats-Unis mettent en place la ligne DEW (pour « Distant Early Warning line », soit « ligne avancée d'alerte précoce »), un réseau de radars allant des îles Aléoutiennes à l'Islande en passant par l'Alaska, le nord du Canada et le Groenland. Avec pour objectifs d'anticiper l'arrivée par le plus court chemin de missiles ou de bombardiers en provenance d'URSS et d'espionner l'ennemi. Des bases militaires se mettent en place en Arctique, dont celle de Churchill (Manitoba, Canada), l'une des plus importantes. Située sur la route migratoire de l'ours blanc, la ville est aujourd'hui devenue une destination touristique. Au cours d'une guerre froide plutôt calme sous ces hautes latitudes, les soldats désœuvrés se rendent coupables d'une chasse excessive autour des bases : se procurer une peau d'ours à rapporter en souvenir agrémente leur morne quotidien. Cette pression de la chasse est particulièrement forte autour des bases de Resolute (Nunavut) et de Thulé (Groenland).

A cette hécatombe s'ajoutent diverses pollutions durables dans un milieu pourtant réputé immaculé. Les Soviétiques réalisent des essais nucléaires dans l'archipel de la Nouvelle-Zemble et entreposent fûts et réacteurs radioactifs en mer de Kara et en mer de Barents. Mais ils ne sont pas les seuls : les Canadiens abandonnent également des déchets radioactifs près de mines d'uranium autour du Grand Lac de l'Ours. Les militaires américains, eux, exploitent deux centrales nucléaires, l'une au Groenland, l'autre en Alaska, et laissent sur place des déchets radioactifs qui contaminent les cours d'eau et les populations locales. La plupart des bases, responsables de pollutions aux hydrocarbures, seront démantelées dans les années 1990.

Pourtant, à la même époque, l'ours polaire offre aussi l'occasion d'une coopération internationale faisant fi des frontières Est-Ouest. En 1965, des biologistes travaillant dans l'Arctique s'inquiètent de la diminution de sa population. Les Soviétiques et les Américains posent alors les fondements d'une collaboration indifférente aux tensions politiques. En 1968, un groupe de spécialistes se crée au sein de l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN). L'initiative de fédérer les cinq nations abritant l'animal autour d'un même projet annonce une collaboration plus large, prémices du futur Conseil de l'Arctique. Les représentants de ces pays se réunissent à Oslo en novembre 1973 pour entériner l'Accord sur la protection des ours polaires.

Le Conseil de l'Arctique voit le jour en 1996. Il réunit les nations circumpolaires, ainsi que des représentants des communautés autochtones. Par la suite, plusieurs pays, de plus en plus éloignés du pôle Nord, obtiendront des sièges d'observateur. On y traite d'environnement et de sécurité des transports, le rôle géopolitique du Conseil étant officieux.

L'Arctique retrouve son importance stratégique après les années 2000, même si la gravité des conflits est souvent surestimée. Les enjeux de souveraineté et d'exploitation des ressources sont réels ; mais la coopération et la négociation dominent. La plupart des pays circumpolaires règlent leurs litiges en s'appuyant sur le droit international, à commencer par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée en 1982 à Montego Bay (Jamaïque). La Russie s'est par exemple appuyée sur les règles régissant le plateau continental pour demander à l'ONU, le 4 août dernier, de lui reconnaître une « zone économique exclusive » de 1,2 million de kilomètres carrés. La Norvège avait obtenu une extension de ce type en 2009.

Les demandes d'exploitation des ressources minérales ne traduisent pas des prétentions d'appropriation hégémonique ; pour reprendre les termes du géographe Frédéric Lasserre, « c'est une course contre la montre, pas contre les voisins (1) ». Souvent évoqué, le pétrole revêt une importance bien moindre que le gaz et, surtout, que les autres ressources naturelles : zinc, nickel, cuivre, or, diamant, uranium... Des Etats non polaires s'intéressent également à la zone et à ses ressources, à l'instar de la Chine, du Japon et de Singapour, qui ont obtenu des sièges d'observateur au Conseil de l'Arctique en 2013.

Entre les Etats circumpolaires, les batailles se livrent à fleurets mouchetés, comme en témoigne le statut des routes maritimes. Le passage de l'Est est contrôlé par la Russie, qui a la meilleure pratique de la navigation périlleuse dans les eaux arctiques grâce à sa flotte de brise-glaces nucléaires. Le Canada souhaite développer la route de l'Ouest, de plus en plus libre de glaces. Cependant, plusieurs pays, à commencer par les Etats-Unis, contestent ces appropriations nationales, considérant qu'il devrait s'agir d'eaux internationales.

Dans cet écheveau de tensions géopolitiques, l'ours polaire occupe une place de choix. Régulièrement réévaluée, la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Convention on International Trade of Endangered Species, Cites), dite aussi convention de Washington, fixe les règles du commerce d'espèces protégées. Actuellement, l'ours blanc est classé en « annexe II », c'est-à-dire qu'il bénéficie d'une protection forte : très limités, le commerce et l'exportation de produits issus de l'animal ne sont autorisés que pour certaines communautés comme les Inuits du Canada. Mais des Etats signataires tels que les Etats-Unis ou la Russie, soutenus par plusieurs ONG, comme Polar Bear International (PBI) ou le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW), militent pour qu'il passe en annexe I, qui implique une protection intégrale et l'interdiction totale du commerce lié à l'animal. Ils arguent que l'espèce serait menacée d'extinction et que l'existence d'une chasse légale encouragerait le braconnage grâce à des certificats d'exportation contrefaits en Russie. Le Canada est vent debout contre ce projet et crie à la désinformation : selon lui, les effectifs seraient stables, voire croissants — du moins sur son territoire, qui en concentre plus de 60 %.

Le gouvernement d'Ottawa défend les intérêts des communautés autochtones qui bénéficient d'un droit de chasse sur des espèces protégées comme les baleines et les ours polaires. Mais, avec les campagnes contre la chasse aux phoques, qui ont débuté à la fin des années 1970, puis l'interdiction par l'Union européenne, en 2009, de l'importation des produits issus de cet animal, leurs rentrées monétaires se sont taries. Dès les années 1980, afin de compenser ces pertes, Ottawa a incité les Inuits à transformer une partie de leurs quotas de prélèvement d'ours en chasses sportives pour des Européens ou des Américains fortunés. De crainte qu'une protection intégrale n'encourage le braconnage, des ONG écologistes comme Greenpeace ou le Fonds mondial pour la nature (WWF) soutiennent le maintien en annexe II de la Cites.

Ce sont aussi des considérations géopolitiques qui motivent ce soutien du Canada à la chasse. Le gouvernement fédéral a absolument besoin de conserver de bonnes relations avec les Inuits, car ceux-ci jouent le rôle de véritables bornes vivantes des territoires de l'Arctique. Il doit également se faire pardonner les déportations passées. En 1953, il a déplacé onze familles inuits originaires du Labrador beaucoup plus au nord, afin de créer les communautés de Grise Fjord et de Resolute. En langue inuit, celles-ci ont été rebaptisées respectivement Aujuittuq, « le lieu qui ne dégèle jamais », et Qausuittuq, « l'endroit où il n'y a pas d'aube »... En 2008, le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles et versé 10 millions de dollars de dédommagements aux survivants.

Sur ces territoires au climat plus rigoureux, aux ressources plus limitées et à la nuit hivernale plus longue, ces communautés ont dû s'adapter pour survivre et sont ainsi devenues expertes en chasse à l'ours polaire. Pour établir la frontière entre le Nunavut, région inuit autonome depuis 1999, et les Territoires du Nord-Ouest, les zones de chasse ont été déterminantes. S'y ajoutait l'éventualité d'une exploitation pétrolière et minière, dont chacune des entités territoriales voulait préserver les bénéfices potentiels. Depuis 2007, pour affirmer la souveraineté du pays sur les territoires arctiques, l'armée canadienne organise chaque été l'« opération Nanouk ».

Les questions de protection animale et environnementale ont créé des dissensions entre des nations circumpolaires et l'Union européenne. Alors que celle-ci devait entrer au Conseil de l'Arctique avec le statut d'observatrice en mai 2013, le Canada a obtenu que son intronisation soit suspendue à la résolution du contentieux sur les restrictions aux importations de produits dérivés du phoque. Cela explique probablement que l'Union — ainsi que la France — se soit abstenue lors du vote concernant le passage de l'ours polaire en annexe I de la Cites la même année.

Les discussions sur le droit de chasse masquent les menaces les plus importantes qui pèsent sur l'ours blanc : la disparition de la banquise, liée au réchauffement climatique, et la diffusion de polluants régionaux et mondiaux. Or Etats-Unis et Russie figurent parmi les premiers responsables de ces deux phénomènes.

Au Canada et au Groenland, la chasse permet la conservation du patrimoine culturel, car les autorités la conditionnent à l'usage d'équipages de traîneaux à chiens. Si elle disparaissait, l'acculturation des Inuits et leur déconnexion par rapport à leur territoire, déjà réelles, ne pourraient que s'aggraver. Si la pratique peut choquer des écologistes, surtout quand ces droits sont vendus à des nantis occidentaux, les quotas accordés (de 400 à 600 bêtes sur une population estimée à 15 000 pour le Canada) sont présentés comme raisonnables et limitent le braconnage.

Pour sauver le plantigrade, certains scientifiques comme Steven Amstrup, de PBI, accréditent l'idée plus que discutable selon laquelle il faudrait capturer davantage de spécimens et utiliser les zoos comme banques génétiques (2). Il est vrai que plusieurs zoos ont transformé l'ours polaire en produit financier rentable. PBI, qui s'inscrit en partie dans la pratique d'ONG américaines animées par des hommes d'affaires, n'est pas exempt de mercantilisme. De tels propos contribuent à dissocier la cause de l'ours de son milieu. Or, même si des menaces sérieuses pèsent sur lui à moyen et long terme, il semble aussi faire montre de capacités d'adaptation. La situation de ses dix-neuf sous-populations n'est pas uniforme : certaines déclinent, mais plusieurs autres sont stables, voire en légère croissance.

Communautés locales, ONG, entreprises et Etats utilisent l'ours à des fins géopolitiques, car c'est l'usage futur des territoires de l'Arctique qui est en jeu ; mais l'animal n'est pas sorti d'affaire pour autant.

(1) Frédéric Lasserre, « Frontières maritimes dans l'Arctique : le droit de la mer est-il un cadre applicable ? », Ceriscope Frontières, 2011.

(2) Cf. Mika Mered, Rémy Marion, Farid Benhammou et Tarik Chekchak, « Pour que l'ours polaire ne soit plus la vache à lait des zoos », les blogs du Huffington Post, 5 juin 2015.

Réenchanter la politique par la dérision

Le Monde Diplomatique - Tue, 10/01/2017 - 16:12

Au lendemain de l'effondrement de 2008, la capitale de l'Islande était l'image de la désolation. La forêt de grues hérissée durant la bulle financière avait disparu. Les immeubles inachevés de Reykjavík offraient au blizzard leurs flancs de béton brut. Une partie importante de la population, surendettée, perdait son logement ou se saignait aux quatre veines pour le conserver. Lors des municipales de 2010, les électeurs désemparés choisirent pour maire un acteur humoriste, M. Jón Gnarr.

La candidature de ce punk gravement dyslexique au parcours tourmenté (1), admirateur de Tristan Tzara, Pierre Joseph Proudhon ou Mikhaïl Bakounine, était au départ purement parodique. Il déclarait vouloir le pouvoir pour « [s']en foutre plein les poches sans se fatiguer » et en profiter pour « placer [ses] proches à des postes juteux ». Il était accompagné de musiciens et d'acteurs, beaucoup dans l'entourage de la chanteuse Björk, qui se qualifiaient eux-mêmes d'« anarchistes surréalistes ». Annonçant qu'elle trahirait ses promesses électorales, la liste du Meilleur parti proposait l'abolition de toutes les dettes, des voyages surprises pour les personnes âgées, l'obligation pour les hommes de rester à la maison certains jours ou l'introduction dans le pays d'ours blancs, d'écureuils et de grenouilles.

Devenu maire, M. Gnarr s'est associé aux sociaux-démocrates pour diriger cette municipalité qui fut longtemps un bastion du Parti de l'indépendance (conservateur) et qui abrite plus du tiers de la population du pays. Il a endossé alors un nouveau rôle. Le provocateur je-m'en-foutiste a fait place à un personnage d'une humilité désarmante. Les habitants de la capitale l'ont suivi dans sa démarche de transparence et de démocratie participative. Et ce personnage atypique a paradoxalement été l'homme de la situation. Les Islandais, plongés dans la récession, ne croyaient plus aux promesses et sentaient que le mieux serait gagné à la marge, dans la qualité de vie.

La crise a aidé M. Gnarr et ses amis à transformer une ville où la « bagnole » était reine en une capitale écologique, branchée et pourvue d'un très dense réseau de pistes cyclables. Passés brutalement de l'opulence à la récession, les Islandais ont liquidé leur troisième voiture, voire leur deuxième, et la circulation a diminué. Les pistes cyclables doublant une voie piétonne se sont multipliées — ce qui agace aujourd'hui les automobilistes avec le retour de la prospérité et des bouchons.

M. Gnarr a voulu donner la parole à la population. Mais en dépassant le chauvinisme de quartier. Deux programmeurs avaient créé des forums pour un « meilleur quartier » et un « meilleur Reykjavík ». Loin de se sentir court-circuitée, la municipalité les a encouragés. Ainsi, chaque habitant peut lancer une initiative sur ces plates-formes. Une discussion s'ouvre alors : pour ou contre, les intervenants participant sous leur nom. Le projet qui a le plus de soutiens obtient un financement immédiat. Toutes les positions doivent être expliquées et justifiées, ce qui exclut les mouvements d'humeur, les rancœurs et les effets de manche.

Aux élections municipales de 2014, la classe politique attendait Jón Gnarr au tournant. Après avoir goûté au pouvoir, n'allait-il pas rempiler ? C'était dans la logique des choses, il allait enfin devenir l'un des leurs. Au zénith dans les sondages, l'homme annonçait qu'il quittait la politique. Il a refusé d'y revenir en 2016 après l'épisode des « Panama papers », quand ses admirateurs lui ont demandé d'être candidat à l'élection présidentielle. L'aventure continue pour le Meilleur parti, qui s'est transformé en parti Avenir radieux. Il compte six députés au Parlement et gère toujours la municipalité au sein d'une coalition dirigée par un social-démocrate, avec la participation des écologistes de gauche et du Parti pirate.

Jadis morne capitale dès la tombée de la nuit, Reykjavík est devenue avec l'explosion du tourisme une ville vivante, gaie, dynamisée par de nombreux événements culturels et un sentiment de sécurité dont l'effet est contagieux. Accusés souvent d'abîmer la nature, les visiteurs ont rendu la ville plus écologique en se déplaçant à pied, ce que les Reykjavikois ne pratiquaient plus guère. Ils ont certes fait monter le tarif des consommations, mais sans eux les nombreux bars et restaurants qui ont éclos n'existeraient pas. Ombre au tableau, il leur faut de la place. Les grues sont de retour. La municipalité de gauche accorde des permis de construire à des hôtels de luxe, alors que les habitants les plus pauvres n'arrivent pas à se loger. Le succès très rapide d'Airbnb raréfie les locations disponibles à l'année et tire les prix à la hausse. L'opposition de droite, hier favorable à la destruction des vieilles maisons en bois, se découvre des états d'âme esthétiques et critique le bétonnage du centre.

En 2010, M. Gnarr promettait du rêve à bon marché dans une capitale paupérisée. La construction d'échangeurs sur les artères reliant les quartiers éloignés par un étalement urbain jusqu'ici sans limites sera sans doute l'enjeu du prochain scrutin auprès d'une population de nouveau enrichie. Une ville à deux vitesses, au sens propre, se dessine : un centre coquet sans voitures où l'on marche aisément, et des banlieues banales suréquipées en automobiles où l'on roule au pas.

(1) Qu'il raconte dans deux livres traduits en anglais, The Indian et The Pirate, Deep Vellum, Dallas, 2015 et 2016.

Des Pirates à l'assaut de l'Islande

Le Monde Diplomatique - Tue, 10/01/2017 - 16:10

Touchée de plein fouet par la crise financière et l'effondrement de son système bancaire en 2008, l'Islande affiche aujourd'hui une santé économique resplendissante. Si ce petit pays a pu très vite se redresser en s'écartant de l'orthodoxie libérale, les promesses de refondation du contrat social restent à accomplir.

Geirix. – Noir et Blanc jouant aux échecs dans le centre de Reykjavik, 2015 © Pressphotos - Geirix

Pas un policier à l'horizon, pas une invective entre militants : le Forum nordique réunit début septembre tous les partis politiques islandais dans une grande quiétude. À la veille des élections législatives du 29 octobre, les principaux candidats s'expriment sous un modeste chapiteau planté devant l'université de Reykjavík. Par 64 degrés de latitude, l'inclinaison des rayons solaires donne à la lumière une grande douceur, tandis qu'un air venu du large apporte un peu de fraîcheur. Dans les débats, l'avenir de la Constitution passionne davantage que l'immigration, la construction de logements bien plus que le niveau des impôts ; la protection des données personnelles figure en bonne place. La crise… quelle crise ?

Sur cette île-volcan, la lave bouillonne pourtant toujours sous les glaciers depuis la débâcle financière de 2008. En avril 2016, une éruption populaire a balayé en quarante-huit heures le premier ministre Sigmundur Davíð Gunnlaugsson, empêtré dans les « Panama papers ». À son tour rattrapé par les révélations concernant l'argent de son épouse dissimulé dans un paradis fiscal, le président de la République Ólafur Ragnar Grímsson a dû renoncer à se présenter aux élections de juin dernier, après vingt ans de pouvoir. Enfin, à la mi-septembre, les sondages laissaient entrevoir une nouvelle réplique en plaçant le Parti pirate en tête des intentions de vote.

Il y a huit ans, ce pays de 320 000 habitants perdu au milieu de l'Atlantique nord a vécu un cauchemar. Les premiers jours d'octobre 2008 voyaient s'effondrer les trois principales banques, dont les actifs représentaient neuf fois la production nationale, tandis que partaient en fumée l'essentiel de la capitalisation boursière et une partie de l'épargne des familles. Seule l'intervention massive de l'État par la nationalisation des banques, la garantie des dépôts des insulaires et un strict contrôle des capitaux permit d'éviter le chaos social et la faillite des principales entreprises. En 2016, le pays affiche un budget en excédent, une dette en net recul, une croissance de plus de 3 % et un taux de chômage de 2,7 % (1)…

Il figure dans les premiers du monde pour le revenu par habitant et présente le plus fort taux d'emploi des pays industrialisés, avec 84,7 % d'actifs au sein de la population en âge de travailler (contre 64,5 % dans la zone euro ou 50,8 % en Grèce (2)).

Appelé au chevet de l'Islande par le premier ministre de l'époque Geir Haarde, le Fonds monétaire international a apporté une aide financière jusqu'en 2011. Même ses économistes ont dû reconnaître que cette success story doit beaucoup aux mesures antimarché, et notamment à la décision du gouvernement de donner la priorité aux déposants sur les actionnaires et de ne pas assumer la responsabilité des pertes des banques, contrairement à l'approche irlandaise (3). Après la « révolution des casseroles » qui a chassé du pouvoir le Parti de l'indépendance (conservateur, allié aux sociaux-démocrates), la majorité de gauche élue en avril 2009 (sociaux-démocrates et gauche écologiste) a mis en place des mesures d'austérité. Mais elle s'est efforcée de réduire la charge des emprunts pour les particuliers, en effaçant notamment les dettes excédant la valeur des propriétés tout en utilisant les recettes de l'État-providence pour atténuer l'impact de la récession sur les ménages (4). D'un côté, les programmes sociaux visant les plus faibles revenus étaient renforcés (les transferts aux ménages et la protection sociale, hors retraite, passant de 15 % du produit intérieur brut en 2008 à 19,5 % en 2009) ; de l'autre, les plus hauts revenus se voyaient fortement mis à contribution par l'impôt (par exemple, pour les 10 % les plus riches, l'impôt est passé de 24 % du revenu disponible en 2008 à 31,8 % en 2010). Ainsi, outre le retour rapide de la croissance et la baisse du chômage, l'exemple islandais se caractérise par une réduction des inégalités accompagnant la sortie de crise (voir le graphique ci-dessous).

Plusieurs banquiers ont été condamnés à la prison

« Nous avons aussi refusé les privatisations et mis en place un grand nombre de formations pour les personnes qui perdaient leur travail », nous explique Mme Katrín Jakobsdóttir, ministre de l'éducation à l'époque. Aujourd'hui cheffe du Mouvement gauche-vert, elle estime qu'avoir pu dévaluer la monnaie et ne pas être membre de l'Union européenne fut une chance : « La politique économique de la Banque centrale européenne est trop guidée par la lutte contre l'inflation. Avec de tels taux de chômage, les mesures d'austérité prises en Grèce, en Espagne, au Portugal engendrent beaucoup de rage dans la population, ce qui peut mener vers des routes très dangereuses. Nous pensons qu'il faut repenser la politique économique par une approche plus keynésienne. »

Les Islandais, qui avaient longtemps reconduit au pouvoir les partisans de la dérégulation et de la privatisation des banques en espérant devenir riches, découvraient alors les affres de la finance. L'envie de réussite et l'esprit pionnier forgé sur ces terres ingrates laissèrent la place au dégoût pour la triche et à la soif de justice. « L'attente était telle que beaucoup de gens qui ne possédaient plus rien ne comprenaient pas toutes les précautions de procédure. Mais les poursuites en matière de criminalité financière s'avèrent beaucoup plus difficiles que pour d'autres crimes », se souvient Mme Ragna Árnadóttir, nommée ministre de la justice au plus fort de la crise. Aujourd'hui directrice adjointe de la compagnie nationale d'électricité, elle semble encore éprouvée par cette expérience : « Lorsque les gens n'ont plus confiance dans le système, c'est à celui-ci de trouver la voie pour regagner la confiance du peuple. Y avons-nous réussi ? Je ne sais pas. » Les enquêtes du groupe spécial de magistrats et de policiers (5) ont permis d'envoyer plusieurs banquiers en prison et de condamner (sans peine) M. Haarde. Mais la Cour européenne des droits de l'homme n'a toujours pas statué sur le sort de l'ancien premier ministre, et la plupart des banquiers sont déjà revenus dans la vie économique. Les révélations sur les « Panama papers » n'ont pour l'instant donné lieu qu'à des enquêtes fiscales.

Geirix. – Jón Þór Ólafsson, ancien député du Parti pirate d'Islande, 2015 © Photographer.is - Geirix

« Nous n'avons pas vraiment réalisé ce que les gens attendaient après le très bon rapport parlementaire (6) sur ce qui ne fonctionnait pas dans la sphère politique ou dans le système bancaire », explique Mme Birgitta Jónsdóttir, la figure de proue du Parti pirate, qui se verrait bien présider le prochain Alþingi (Parlement) si le succès était au rendez-vous. Artiste, militante de WikiLeaks et d'une association écologiste, elle s'est lancée en politique en 2009 avec le Mouvement des citoyens. Depuis, elle siège au Parlement et a fondé le Parti pirate en 2012. « Par exemple, nous n'avons toujours pas séparé les banques de dépôt des “banques-casinos ”, poursuit-elle. L'élaboration d'une nouvelle Constitution fut un beau moment. Nous avons un bon texte sur la séparation des pouvoirs, la transparence et la responsabilité (7), mais, malgré son approbation par référendum, le processus est bloqué par le Parlement depuis 2013. » En juin 2010, elle a obtenu le vote d'une résolution unanime des députés en soutien à une « Initiative pour la modernisation des médias » qui visait à transformer l'Islande en paradis de la liberté d'expression et en refuge pour les lanceurs d'alerte : « Cela reste aussi un projet inachevé. Les textes d'application attendent leur passage devant le Parlement. Alors que les technologies évoluent rapidement, nous n'écrivons pas les lois assez vite. »

Référendums gagnants contre la Commission européenne

Le retour de la droite au pouvoir en avril 2013 a figé le processus de refondation de la vie politique. La gauche n'avait pas su répondre à l'aspiration pour davantage de démocratie ou à certains problèmes concrets, telle l'insuffisance de logements. Elle a surtout payé ses positions sur l'Europe et le remboursement des épargnants étrangers. Depuis les années 2000, l'Alliance sociale-démocrate militait, tout comme la très puissante Confédération islandaise du travail, pour entrer dans l'euro afin de ne plus subir les variations de la monnaie, explique M. Kristján Guy Burgess, son secrétaire général : « En lançant le processus d'adhésion à l'Union européenne en 2009, nous pensions qu'il serait possible d'obtenir un bon accord, même s'il y a des questions très difficiles comme la protection de notre pêche et de notre agriculture. Aujourd'hui, nous avons toujours besoin d'une solution monétaire durable pour lever sereinement le contrôle des capitaux. Pouvoir dévaluer notre couronne fut certes un avantage pendant et après le krach, mais sa volatilité représente aussi une cause du krach, en offrant la possibilité de spéculer sur les taux d'intérêt avec une banque centrale peu regardante. »

« Le gouvernement a commencé à perdre la confiance de la population à cause du dossier Icesave, reconnaît-il en se justifiant : Nous savions que nous allions le payer politiquement, mais qu'il nous fallait travailler pour l'intérêt national. » Après la faillite de la banque Icesave (succursale de la Landsbanki), le Royaume-Uni et les Pays-Bas réclamèrent le remboursement des dépôts de leurs ressortissants. Sous la pression européenne, le gouvernement islandais se montra ouvert à un compromis coûteux pour ses contribuables. C'est alors que le président Grímsson, sortant de sa fonction protocolaire, sut transformer en colère contre les Britanniques et les Néerlandais la révolte de la population contre le système capitaliste. Par deux fois, en mars 2010 et avril 2011, les électeurs rejetèrent un accord validé par le Parlement, mais que le président avait soumis à un référendum (8). Entêtée dans sa volonté de faire payer les Islandais, la Commission européenne porta l'affaire devant la cour de justice de l'Association européenne de libre-échange (AELE), qui lui donna tort le 28 janvier 2013 (9). Le tribunal considéra que l'État n'avait pas failli aux obligations de l'Espace économique européen en ne garantissant pas lui-même les dépôts des ressortissants étrangers. Depuis, la vente des actifs de la Landsbanki a tout de même permis de rembourser en partie ces apprentis spéculateurs.

« Ne pas confondre manifestants et électeurs »

En promettant d'aider au désendettement des ménages et en approuvant le recours au référendum par le chef de l'État, le Parti du progrès (centre droit, d'origine agrarienne) et le Parti de l'indépendance s'offrirent une virginité qui permit leur retour aux commandes. Député du Parti de l'indépendance, M. Vilhjálmur Bjarnason reconnaît aussi l'aubaine qui s'est présentée à leur retour : « Nous avons eu beaucoup de chance dans deux domaines clés : le tourisme et la pêche. En bloquant le trafic aérien plusieurs jours en 2010, le panache du volcan Eyjafjöll a fait connaître l'Islande comme une destination d'aventure et provoqué une explosion du tourisme (lire l'encadré ci-dessous). Et, avec le réchauffement des océans, de gigantesques bancs de maquereaux remontent vers le nord pour se jeter dans les filets des pêcheurs islandais. » En dépit de l'émoi suscité depuis par les « Panama papers » et du discrédit rapide de la majorité actuelle, il se veut optimiste à la veille du scrutin : « Il ne faut pas confondre les manifestants et les électeurs. »

Ces électeurs conservateurs, on pouvait les rencontrer le 3 septembre dernier dans l'immeuble moderne et cossu qui abrite le siège de leur mouvement. La plupart des partis islandais se sont convertis au rite des primaires, et il s'agissait ce jour-là de désigner les candidats pour les soixante-trois sièges en jeu. Gros véhicules de luxe ou tout-terrain, bijoux bien visibles voire talons hauts pour les dames, vestes impeccables et belles montres pour les messieurs, la composition sociale des votants relève de la caricature. Dans la salle protocolaire, de grands portraits rappellent que ce parti a dominé la vie politique depuis l'indépendance, en 1944, jusqu'en 2009.

GEIRIX. – Birgitta Jónsdóttir s'informant du procès de Chelsea Manning dans l'affaire WikiLeaks, 2013 © Pressphotos - Geirix

La droite a su comprendre qu'avec les déboires de la Grèce et de l'euro les électeurs des couches sociales les plus défavorisées se détourneraient davantage des partisans de l'Union européenne (essentiellement les sociaux-démocrates) que des artisans de réductions d'impôts pour les plus riches. Eurosceptiques par souci de leur clientèle (notamment les armateurs), ses dirigeants ont même cru pouvoir pousser leur avantage en écrivant à la Commission européenne en mars 2015 pour que l'Islande « ne soit plus considérée comme candidate ». Mais cela a provoqué une nouvelle éruption. Car, même s'ils s'opposent majoritairement à une adhésion, beaucoup d'électeurs auraient préféré juger sur pièces à l'occasion du référendum promis par ce gouvernement. Cette trahison des promesses électorales a entraîné une dissidence au sein des conservateurs, avec l'émergence d'un nouveau parti europhile de centre droit, Viðreisn, qui pourrait jouer les arbitres dans la formation de la prochaine majorité. L'épisode a aussi propulsé le Parti pirate, chantre de la démocratie directe, à plus de 40 % des intentions de vote, avant qu'il ne retombe entre 20 et 30 % cet été.

L'ambiance au siège du Parti pirate plonge dans un tout autre univers : un pavillon violet flottant au vent au milieu d'une zone d'activités inachevée, des bureaux étroits en duplex face à la mer (et aux baleines). À l'intérieur : des petits drapeaux Pirates, des chopes Pirates, un coin enfants avec un bateau Pirates, une étagère remplie de jeux de société… Âge moyen des candidats : la trentaine. Sont-ils prêts pour le pouvoir ? « Nous sommes prêts à redistribuer le pouvoir », répond M. Björn Leví Gunnarsson, informaticien dans l'éducation nationale. « Nous portons une responsabilité internationale : celle de donner l'espoir que l'on peut changer la politique », ajoute M. Viktor Orri Valgarðsson, jeune docteur en science politique.

Sont-ils de gauche ou de droite ? Mauvaise question ! « Nous sommes antiracistes, internationalistes, pour l'État-providence de type nordique, l'accès pour tous à l'éducation et à la santé, indépendamment du revenu ou du domicile, répond ce dernier. Toutefois, nous voulons sortir des monopoles et du protectionnisme. Nous voulons lutter contre la corruption, la triche, mais nous ne pensons pas que le rôle de l'État soit de rendre le monde plus égalitaire. Dans l'absolu, pour moi, si un riche s'est enrichi loyalement, ce n'est pas un problème. » Quelques nuances chez ses voisins, mais pas de réprobation dans ce parti taxé tantôt de « libertarien » — pour ses positions favorables à une grande liberté des affaires —, tantôt de « communiste de conseils » — pour sa défense de la démocratie directe.

« Les Pirates répondent à leur manière au rejet du système »

Un des projets-phares des Pirates étant l'instauration d'un revenu universel garanti, on obtiendra tout de même une réponse plus concrète le lendemain en poussant Mme Jónsdóttir dans ses retranchements : « Nous ne sommes pas pour le revenu garanti tel que le voyait Milton Friedman, mais clairement pour la version de gauche (10). J'espère que nous saurons rester ouverts à d'autres visions et nous entourer de compétences plurielles, y compris de l'étranger. Le rôle des artistes et des militants est surtout de faire évoluer les normes, pour que les gens qui ne sont pas politisés puissent aller de l'avant. » Elle compte beaucoup faire avancer la bataille qui fédère son parti autour de la neutralité de l'Internet et de la protection des données personnelles : « Dans les Constitutions, le respect de la vie privée est érigé en droit fondamental ; pourquoi cela n'est-il pas appliqué à l'Internet ? D'un autre côté, et alors qu'il serait beaucoup plus facile aujourd'hui de donner accès aux informations d'intérêt général, pourquoi est-il si difficile d'obtenir le droit d'éclairer les zones obscures où se tapit la corruption ? »

Geirix. – Juste avant une manifestation contre l'attribution de mitraillettes MP5 à la police. Sur l'affiche : « Les Islandais sont de retour ! Deuxième édition révisée » © Photographer.is - Geirix

La droite a déjà indiqué qu'elle ne voulait pas gouverner avec les Pirates. Un accord de coalition semble en revanche possible avec le nouveau parti centriste Viðreisn, les sociaux-démocrates et le Mouvement gauche-vert. La dirigeante de ce dernier parti et favorite pour le poste de premier ministre en cas d'alternance, Mme Jakobsdóttir, ne craint pas les nouveaux venus : « Comme partout en Europe, la politique islandaise devient très versatile. Mais nous sommes assez chanceux de ne pas être confrontés à des partis d'extrême droite. Les Pirates répondent à leur manière au rejet du système. C'est une bonne chose, car ce sont des gens avec lesquels nous pouvons travailler. Bien sûr, nous ne sommes pas d'accord lorsqu'il s'agit de politique fiscale ou de dépense publique. Mais nous nous retrouvons sur l'accueil des réfugiés, la démocratie, les droits de l'homme, la transparence. Je reste toutefois inquiète, car nous voyons monter le sentiment qu'il n'y a pas vraiment de différence entre la gauche et la droite. Pour moi, il n'y en a jamais eu autant : partout on voit croître les inégalités. »

Relation avec l'Europe, redistribution, protectionnisme, les sujets de discorde ne manqueraient pas dans une telle coalition. Sur le plan géopolitique, les écologistes de gauche sont les seuls à préconiser une évolution vers la neutralité avec une sortie de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord. Mais leur cheffe relativise l'enjeu à l'échelle de ce pays qui n'a pas d'armée, « et même pas de services secrets », ajoute-t-elle.

(1) Banque centrale d'Islande, 7 septembre 2016.

(2) Données de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) pour 2015, www.data.ocde.org

(3) « Iceland's recovery. Lessons and challenges », Reykjavík, 27 octobre 2011.

(4) Stefán Ólafsson, « Level of living consequences of Iceland's financial crisis. What do the social indicators tell us ? » (PDF), Reykjavík, 2011, et « La sortie de crise de l'Islande », École des hautes études en sciences sociales, Paris, 28 mai 2014.

(5) Lire le témoignage d'Eva Joly, « Pour en finir avec l'impunité fiscale », Le Monde diplomatique, juin 2016.

(6) « Rannsóknarnefnd Alþingi » (rapport de la commission spéciale d'enquête du Parlement), 12 avril 2010, www.rna.is

(7) Lire Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade, « Une Constitution pour changer d'Islande ? », La valise diplomatique, 18 octobre 2012.

(8) Lire Silla Sigurgeirsdóttir et Robert Wade, « Quand le peuple islandais vote contre les banquiers », Le Monde diplomatique, mai 2011.

(9) Judgment of the Court (Directive 94/19/EC on deposit-guarantee schemes). European Commission vs Iceland (PDF), 28 janvier 2013.

(10) Lire Mona Chollet, « Le revenu garanti et ses faux amis », Le Monde diplomatique, juillet 2016.

Haiti: UN-supported supply system provides clean water to remote community

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A new drinking water distribution system, partly funded by the United Nations Stabilization Mission in Haiti (MINUSTAH), is now providing safe water for the people of Los Palis – a community in the district of Hinche, located in the centre of the island nation.

In opinion piece, Secretary-General António Guterres shares new vision for UN

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In an opinion piece today for Newsweek, United Nations Secretary-General António Guterres outlined a vision for addressing the enormous challenges facing the international community, including maintaining peace and security, promoting economic development, and combatting climate change.

This is the ‘moment of truth’ says UN envoy ahead of international conference on Cyprus

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Speaking ahead of an international conference on Cyprus, the United Nations Special Adviser on the country stressed that the coming days would be crucial for the resolution of the remaining matters, and said that while the path ahead is “going to be difficult,” a solution is possible.

Thousands of Afghan children dying of hunger amid ‘unprecedented’ displacement – UN

UN News Centre - Mon, 09/01/2017 - 21:07
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Iran: UN rights expert warns prisoners of conscience at risk of death after prolonged hunger strike

UN News Centre - Mon, 09/01/2017 - 20:53
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Yemen: EU-UN partnership to target ‘alarming’ food insecurity

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With 14 million people in Yemen lacking reliable access to a sufficient quantity of affordable, nutritious food, the European Union (EU) has committed 12 million euros to assist the efforts of the United Nations Food and Agriculture Organization (FAO) to tackle rising hunger in the strife-torn Gulf of Aden country.

UN agency seeks $813 million to support Palestine refugees fleeing Syria and those in occupied territory

UN News Centre - Mon, 09/01/2017 - 18:29
With Palestinians in the Occupied Palestinian Territory – including East Jerusalem – and those who have fled the conflict in Syria, facing humanitarian crises, the United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East (UNRWA) today launched an $813 million emergency aid appeal.

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