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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 12 hours 31 min ago

Hong Kong : pourquoi de nouvelles manifestations en pleine pandémie ?

Tue, 12/05/2020 - 20:32

 

Au moment même où les restrictions liées au coronavirus se sont adoucies, les mouvements populaires hongkongais ont repris de plus belle. Les affrontements avec la police chinoise ont été houleux puisque 18 personnes ont été blessées et 230 arrêtées. Face à la force des contestations, Pékin ne semble pourtant pas changer d’attitude. Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.

Le 10 mai, 230 personnes en marge des manifestations prodémocratie ont été arrêtées à Hong Kong. Comment expliquer la résurgence des contestations ? Les revendications des manifestants ont-elles évolué ces derniers mois ?

Le mouvement prodémocratie a, comme tout le reste, subi la crise du coronavirus, et les manifestations avaient totalement cessé en janvier. Parallèlement, la victoire écrasante du mouvement à des élections locales fin 2019 avait également contraint les autorités à se montrer plus discrètes autant qu’elle s’était traduite par une baisse d’influence dans les manifestations. Mais les revendications n’ont pas changé, et les manifestants ont simplement attendu la levée des restrictions pour raisons sanitaires pour se réunir à nouveau, avec à la clef des affrontements avec les forces de police – on parle de 18 blessés et 230 arrestations. On semble repartis pour un nouveau cycle de manifestations, Carrie Lam, chef de l’Exécutif de Hong Kong et pro-Pékin, ayant annoncé que les enseignements d’études critiques à l’université, qu’elle estime être responsables de la contestation, allaient être revus. Cette annonce a remis le feu aux poudres, et traduit l’impasse du dialogue entre les autorités et les démocrates. On évoque aussi un projet de loi qui sanctionnerait les offenses à l’hymne national chinois, voire même d’un texte anti-sédition. Si un tel texte est adopté (il avait été évoqué, puis oublié, en 2003, face à de vives protestations), les tensions seront encore plus vives.

Les restrictions liées au coronavirus servent-elles la police hongkongaise face aux manifestants ?

Elles ont permis de rendre impossibles les rassemblements. Mais ce n’est qu’illusoire et temporaire puisqu’on voit bien que les manifestants reprennent le mouvement dès qu’une occasion leur en est offerte. Et l’exécutif est passé maître dans l’art de provoquer, comme évoqué précédemment. La grande inconnue concerne la réaction de l’opinion publique. Soit il y a une forme de lassitude, comme on l’avait observé à la fin du mouvement des parapluies de 2014, et les étudiants se retrouveront isolés. Soit les provocations sont trop fortes et mobilisent encore plus, et dans la durée, et c’est cette fois l’opinion publique dans son écrasante majorité qui se retourne contre le pouvoir. Si un tel scénario se profile, il sera difficile pour Pékin de maintenir l’ordre sans montrer un visage qui lui fera forcément défaut.

Quelle est l’attitude de l’exécutif chinois face à ces mouvements populaires ? A-t-il évolué au cours des mois ?

Au-delà des provocations grossières et d’une vassalité tout aussi grossière à l’égard de Pékin, Carrie Lam se distingue par son incompétence. Son rôle doit consister à servir d’intermédiaire entre la Chine et les démocrates hongkongais, et donc à avancer en douceur, et sans créer de frustrations. Or, c’est exactement l’inverse. Les tensions étaient déjà grandes, mais elles se sont considérablement accentuées depuis son arrivée au pouvoir. C’est donc clairement une attitude délibérée et qui n’évolue pas, mais qui est un fiasco. Carrie Lam devrait donc, tôt ou tard, être remplacée, et on peut même s’étonner de l’entêtement de Pékin à miser sur elle. Elle est d’une certaine manière la meilleure alliée objective des manifestants.

Covid-19 : et maintenant, les enfants ?

Tue, 12/05/2020 - 12:45

New York, lundi 11 mai. Alors que le confinement se poursuit, un vent de panique circule dans les familles avec enfants.

Trente-huit gamins sont tombés malades d’un nouveau syndrome lié au virus du Covid-19. Trois sont morts.

Le maire, Bill de Blasio, a déclaré dimanche que ces enfants avaient été atteints d’un nouveau syndrome inflammatoire grave qui, selon les responsables de la santé de la ville, semble être lié à une réponse immunitaire au coronavirus.

C’est plus du double des cas recensés par le service de santé de la ville la semaine précédente.

La maladie, connue sous le nom de syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique, introduit un nouvel aspect troublant dans la pandémie de Covid-19, qui jusqu’alors avait largement épargné les enfants

Près de quatre-vingt-dix autres cas potentiels ont été recensés dans l’État a déclaré le gouverneur Andrew Cuomo.

Sur les trois enfants décédés, deux étaient en âge d’aller à l’école primaire et un était adolescent, a expliqué le Dr Howard Zucker, responsable de la santé pour l’État de New York. Ils vivaient dans trois comtés différents et n’étaient pas connus pour avoir des conditions préexistantes.

« Les parents doivent faire preuve de la plus grande prudence et ne laisser sortir leurs enfants sous aucune condition », a ajouté le Dr Zucker.

Le syndrome a été porté à l’attention des New-Yorkais pour la première fois la semaine dernière, mais le Dr Oxiris Barbot, commissaire à la santé de la ville, a déclaré que le département de la Santé avait été alerté dès le 1er mai, après que plusieurs cas ait été rapportés au Royaume-Uni.

Le syndrome inflammatoire, disent les responsables de la santé, ressemble à un choc toxique ou à la maladie de Kawasaki. Les enfants atteints de la maladie liée au virus peuvent présenter des fièvres élevées, des éruptions cutanées, des douleurs abdominales sévères, des battements de cœur et un changement de couleur de la peau, comme une rougeur de la langue.

« Cela continue d’évoluer et devrait malheureusement empirer », a déclaré le Dr Barbot lors du briefing du maire dimanche. Elle a appelé le gouvernement fédéral à contribuer à l’augmentation des tests de détection du virus dans toute la ville pour aider à identifier les enfants à risque.

Donald Trump n’a pas réagi.

Plusieurs cas viennent d’être signalés dans d’autres États, notamment en Louisiane, au Mississippi et en Californie. Outre en Grande-Bretagne, au moins cinquante cas ont été récemment recensés dans des pays européens, dont la Suisse, l’Espagne, l’Italie et la France.

Et pourtant, comme si les derniers mois ne nous avaient rien appris, Emmanuel Macron a laissé la réouverture des écoles se poursuivre.

Cette fois, il n’y aura pas d’excuses. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.

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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider »  vient de paraître en Ebook chez Max Milo.

 

Religions : quelle place au sein des relations internationales ?

Mon, 11/05/2020 - 17:46

Comprendre le jeu des relations internationales ne peut se faire sans la compréhension du fait religieux ainsi que des acteurs qui le constitue. La mondialisation a bouleversé nos sociétés, impactant la culture et la religion, marquant un changement important des liens entre cette dernière et la politique, notamment à l’heure où celle-ci se retrouve instrumentalisée, en proie aux populismes. Entretien avec François Mabille, politologue, spécialiste de géopolitique des religions (CIRAD-FIUC), responsable de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de la RIS N°117 sur « Religions : l’ère des nouvelles influences » qu’il a co-dirigée.

En quoi la prise en compte du fait religieux est-elle importante pour la compréhension des relations internationales ?

Le fait religieux intervient sous de multiples formes dans les relations internationales. En fait, il est presque omniprésent ! Regardez ce qui se passe avec la crise du Covid-19 : le secrétaire général des Nations unies adresse un message aux autorités religieuses pour qu’elles se mobilisent ; les gouvernements sont obligés de traiter avec les responsables religieux dans le cadre des limitations des libertés publiques, ce qui est plus ou moins admis et accepté selon les pays ; les groupes terroristes radicaux qui se réclament de l’islam en profitent pour tenter de nouvelles subversions ; et en même temps, les ONG confessionnelles, musulmanes, chrétiennes notamment, sont sur le terrain et aident SDF, personnes isolées, demandeurs d’asile ou réfugiés. En Colombie, ces dernières années, difficile de comprendre le processus de paix sans y intégrer l’ensemble des acteurs catholiques qui, du local à l’international, se sont impliqués dans un cadre de multitrack diplomacy. Nous avons encore en tête la médiation du pape entre les États-Unis, dirigés alors par Obama, et le régime castriste. Mais prendre en compte le fait religieux, c’est aussi analyser des régimes spécifiques comme celui de l’Iran, l’intégration du religieux comme vecteur d’influence (soft power) comme en Russie notamment, l’usage du patrimoine et de la symbolique des cultures religieuses dans la montée des populismes ou des nationalismes, comme on le voit sur tous les continents. En France, le religieux est souvent appréhendé comme l’une des catégories du risque politique au sens large. Dans la tradition scandinave ou d’influence américaine, l’approche est plus ouverte, intégrant les acteurs religieux dans toute leur diversité, de leur contribution positive au sein des sociétés aux aspects plus négatifs.

Peut-on parler d’une résurgence du facteur et des mouvements religieux dans le monde ?

Pour comprendre l’intérêt actuel, il faut associer deux approches distinctes. Beaucoup de sociologues et de politologues ont simplement délaissé l’analyse du religieux, ou l’ont minoré, convaincus que la modernité politique et culturelle était antinomique avec la subsistance du religieux, et donc que le fait religieux était destiné à s’effacer de l’horizon de nos sociétés. Ce sont les thèses de la sécularisation des sociétés et du « désenchantement du monde » (empruntée à Weber) qui furent par exemple, dans leurs domaines respectifs, celles de Peter Berger ou de Marcel Gauchet. Or, ce type d’approche a été battu en brèche par l’évolution de nombreuses sociétés. Du coup, en 2001, Peter Berger a publié Le Réenchantement du monde !

Le deuxième aspect est lié précisément aux changements survenus dans nos sociétés depuis la fin des années 1970. La révolution en Iran, la résistance afghane à l’immixtion soviétique, le catholicisme de résistance prôné par Jean-Paul II, la crise des idéologies politiques et celle des formes d’État-providence, la mobilité accrue des personnes et des circulations des « biens culturels » et donc « biens religieux », sont autant d’éléments qui ont provoqué des bouleversements, accrus par la mondialisation. Depuis la fin de la guerre froide, la scène internationale est beaucoup moins interétatique et intègre de nouveaux acteurs : les acteurs religieux en font partie.

Quelles sont les nouvelles formes du lien entre religieux et politique à l’ère de la mondialisation ?

Traditionnellement, les liens étaient de deux sortes : existaient des partis politiques, directement associés à une religion, à une culture religieuse. Historiquement, viennent immédiatement à l’esprit les partis démocrates-chrétiens et, à une époque plus rapprochée, les partis islamiques et islamistes. Ce premier lien était en quelque sorte l’aboutissement logique, dans l’ordre politique, de la dimension sociale, ou intégrale, des religions. La culture française, exprimée par la notion pourtant complexe de la laïcité, a souvent voulu réduire le religieux à une affaire privée. Or, comme aimait à la rappeler Michel Meslin, les religions se veulent Loi, Communauté et Voie. Les textes religieux, interprétés par des autorités religieuses, véhiculent des normes, des prescriptions destinées à être vécues en collectivité, donc socialement : elles instruisent et forgent des identités personnelles et sociales. À ce titre, était ou est encore diffusé un ethos qui peut avoir des conséquences politiques, voire se traduire par des consignes de vote, données par des autorités religieuses, lors de campagnes électorales.

À ces deux approches traditionnelles sont venus s’ajouter ces trois dernières décennies deux nouveaux types de lien. Au niveau international, on constate l’existence d’une multitude d’acteurs religieux, qui s’exprime notamment par la présence d’ONG confessionnelles extrêmement actives : l’ONG World Vision est présente dans presque tous les pays du monde, il en est de même pour le réseau Caritas internationalis, plus connu en France sous le nom de Secours catholique. Ces importantes ONG ont toutes intégré des pratiques de plaidoyer international, à la fois auprès des États, des entreprises et des institutions internationales au sein desquelles elles évoluent. C’est donc à ce niveau international, par le biais du plaidoyer, et associées à tort ou à raison, à la notion de « biens communs », que ces ONG confessionnelles interviennent, et établissent un nouveau lien au politique, à cette nouvelle échelle mondiale.

Enfin, la toute dernière évolution renvoie à la montée de populismes : exemples significatifs de Modi en Inde, de Bolsonaro au Brésil, d’Erdogan en Turquie, d’Orban en Hongrie, de Duda en Pologne… Cette fois c’est la culture religieuse, le patrimoine religieux, qui sont instrumentalisés par des hommes politiques, et apparaissent comme réservoir de symboles, fournissant à la fois un imaginaire de continuité et un ciment identitaire discriminant, entre un groupe majoritaire et des minorités stigmatisées. La véhémence politique populiste se nourrit ici de l’intolérance religieuse, dont on connaît les progrès depuis plusieurs décennies.

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Aller plus loin :

Riyad / Washington : le divorce ?

Mon, 11/05/2020 - 14:25

Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur la relation de plus en plus tendue entre les deux capitales Riyad et Washington.

[Les entretiens géopolitiques d’IRIS Sup’ #10] Primaires démocrates et situation en Libye

Fri, 06/03/2020 - 11:26

Une fois par mois, Pascal Boniface rencontre des étudiants d’IRIS Sup’ pour aborder les grands thèmes de l’actualité internationale.

Cette semaine Joachim et Lambert l’interrogent sur les primaires démocrates et la situation Libye.

L’émission est disponible sur Soundcloud, l’application Podcast, I-Tunes, Youtube, le site internet de l’IRIS, Mediapart et le blog de Pascal Boniface.

Campagne US #3 – Les primaires démocrates : vers un duel serré entre Biden et Sanders ?

Thu, 05/03/2020 - 14:36

Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne rendez-vous pour suivre la campagne présidentielle américaine :

– Quelles leçons tirer du Super Tuesday du 3 mars ?

– Quels sont les défis pour les démocrates, avec désormais le match Sanders-Biden ?

– Où en est Donald Trump, de son côté ?

HE’S ALIVE !

Thu, 05/03/2020 - 13:05

Et voilà…[1] Après ses victoires du Super Tuesday en Alabama, Arkansas, Caroline du Nord, Main, Massachusetts, Minnesota, Oklahoma, Tennessee, Texas et Virginie, Joe Biden, candidat de l’establishment démocrate, est bien parti pour remporter l’investiture.

Et depuis que mercredi matin, le pathétique candidat Mike Bloomberg s’est retiré au profit de celui qui, il y a encore quelques jours, s’annonçait comme candidat au Sénat et non à la présidentielle – les confusions du grand âge… -, il n’y a presque plus aucun doute possible.

Ce n’est malheureusement pas la victoire de Bernie Sanders en Californie et dans quelques autres primaires à venir qui changera la donne.

Car, même si Sanders réussissait, d’ici la convention de juillet à remonter la pente et à légèrement dépasser Biden en nombre de délégués, et que donc nous allions vers une brokered convention, ses chances seraient quasi nulles.

En effet, Nancy Pelosi, et autres clintoniens, veilleraient à ce quaucun candidat n’obtienne le nombre de voix nécessaires lors du premier tour de scrutin. Tous les délégués promis à un candidat seraient alors « libérés », c’est-à-dire, libres de changer leur allégeance. Si ce scénario se produisait entre Bernie Sanders et Joe Biden, nul doute qu’un second tour donnerait une nette majorité de délégués à l’ancien vice-président.

En 2016, le parti de l’âne et de Nancy Pelosi – pardon pour le pléonasme- a fait le choix d’un candidat centriste. On connaît le résultat.

L’histoire se répète et ainsi que je l’avais écrit il y a près d’un an dans ses colonnes, Joe Biden sera le candidat démocrate et, à moins d’un miracle, Donald Trump sera réélu[2].

Les républicains en sont si convaincus que dans de très nombreux États ils ont tout bonnement annulé leurs primaires et caucus, et cela bien que Bill Weld, ancien gouverneur du Massachusetts, se présente contre le président sortant.

Il est vrai, ainsi que le journal Le Monde l’apprenait récemment au public français, qu’une partie des électeurs du Donald – les évangéliques – voient très sérieusement en lui un « envoyé de Dieu », « l’élu » venu « sauver » les États-Unis, et même le monde.

D’autres reconnaissent même en lui un nouveau roi David ou le roi perse Cyrus, qui, selon l’Ancien Testament, fit reconstruire le temple de Jérusalem.  « Les croyants pensent que Dieu organise les affaires du monde et se sert de gens imparfaits pour accomplir son dessein parfait. Trump a donc été élu selon Sa volonté.  D’ailleurs, s’il n’est pas réélu, le pays sera en proie aux socialistes et aux haineux », clame un commentateur évangélique.

Comme pour appuyer ces propos, Chris Matthews, d’évidence l’un des plus fins chroniqueurs américains, nous averti sur NSNBC que, si les rouges de Bernie Sanders arrivent au pouvoir, nous assisterons très rapidement à des exécutions publiques dans Central Park.

Promoteur immobilier, présentateur télé, auteur de best-sellers qu’il n’a jamais écrit, président, le Donald n’avait sans doute pas imaginé que des millions d’Américains verraient un jour en lui « le sauveur envoyé par Dieu ». Grâce aux évangéliques, c’est désormais chose faite.

Alors, n’allons pas contre la volonté divine ! Tant pis pour Bill Weld, l’ancien gouverneur du Massachusetts, annulons les primaires républicaines et faisons fi de la démocratie !

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[1] HE’S ALIVE ! Le titre de cet article renvoie à la Une très amusante du New York Post, daté du 4 mars. On y voit une main de mort-vivant s’arracher d’une tombe et en arrière-plan une photo de Biden.

[2] Pour une analyse « détaillée », lire ma correspondance de juin 2019.

Sanders/Biden : le match est-il déjà plié ?

Wed, 04/03/2020 - 17:55

Pascal Boniface revient sur le duel opposant les deux favoris à la primaire démocrate américaine, au lendemain du « Super Tuesday ».

Super Tuesday : le « come-back » de Joe Biden

Wed, 04/03/2020 - 15:53

Quelle nuit !

« On appelle ça un super mardi et on sait pourquoi », a (presque) sobrement commenté Joe Biden en s’adressant à se supporters depuis la Californie. Il faut dire qu’il était certainement loin d’imaginer, il y a à peine une semaine, que cela aurait pu se passer ainsi :

Début de soirée : pas le temps de s’installer

La soirée a commencé gentiment, avec le caucus des Samoa, un territoire dépendant des États-Unis et qui participe à la primaire démocrate, bien que ces habitants n’ont pas le droit de vote pour l’élection générale. Mike Bloomberg (qui y a investi une somme déraisonnable en publicité) et Tulsi Gabbard (qui est née ici) ont remporté ce premier scrutin.

On a alors pu penser pendant un instant que cela allait annoncer une vague Bloomberg, porté par ses millions et une campagne immorale, qui pouvait montrer qu’on peut s’acheter son siège à la Maison-Blanche.

Le premier résultat continental est venu du Maine, un État du nord-est, une région dans laquelle Bernie Sanders devait logiquement écraser tout le monde : il est sénateur du Vermont, et les démocrates sont ici tournés vers l’Europe et les idées plutôt progressistes : un programme de couverture-santé pour tous, ça parle aux électeurs et ça ne fait pas forcément peur. Mais la surprise a été de taille : dans cet État, le vote, qui ne devait être qu’une formalité, s’est révélé très serré et il a été impossible aux instituts de sondage de désigner un vainqueur.

Puis tout s’est emballé très vite : les États du sud ont commencé à tomber et il est devenu évident qu’il se passait quelque chose d’inattendu : en Virginie et en Caroline du Nord, la victoire de Joe Biden a été écrasante. Très vite, il a aussi fallu prendre en compte que la participation était massive : les Afro-Américains, en particulier, étaient donc sortis de chez eux pour faire entendre leur voix et peser sur ce scrutin. En Virginie, où 700 000 électeurs s’étaient déplacés en 2016, on a eu la surprise de constater qu’ils étaient cette fois plus de 1,3 million : presque le double !

Les bastions sont tombés

Les équipes de Sanders n’y ont pas cru tout de suite même si, sur les réseaux sociaux, il y a eu soudain un calme étonnant –certainement dû à l’inquiétude. Et le coup de massue est tombé assez vite : le Minnesota d’abord, mais surtout le Massachusetts, ont été gagnés par Joe Biden. Réalisons-nous bien que le Massachusetts est quasiment le jardin d’hiver de Bernie Sanders qui, en tant que voisin, pensait qu’il n’en ferait qu’une bouchée ? Oh, bien sûr, il fallait d’abord vaincre Elizabeth Warren, qui est sénatrice de cet État, mais il pensait que c’était à sa portée : Elizabeth Warren a été effectivement défaite, durement, mais elle finit troisième car Sanders a rendu les armes lui-aussi. Le Minnesota a donné à l’ancien vice-président de Barack Obama une autre de ces grandes victoires symboliques qui marquent les soirées électorales : il a été aidé par le ralliement d’Amy Klobuchar, la « régionale » de l’étape, et par cette formidable dynamique de rassemblement qui s’est mise en route à 48h de l’élection.

Le sud a suivi : tous les États y ont voté comme un seul électeur : Biden, Biden, Biden semblait être leur seul crédo. Tennessee, Arkansas, Oklahoma… les victoires se sont enchainées et on commençait à se demander ce qu’il resterait à Bernie Sanders pour digérer cette soirée.

Bernie à l’Ouest

Pour le candidat autoproclamé « socialiste », le salut est venu des États situés le plus à l’Ouest : peut-être le vent n’avait pas réussi à souffler assez fort jusque-là pour emporter tous ses espoirs. En réalité, on y a beaucoup voté par anticipation, c’est-à-dire AVANT que ce vent pro-Biden ne se lève sur les États-Unis ; avant aussi que Pete Buttigieg et Amy Klobuchar ne quittent la course : il était donc trop tard pour redresser totalement la barre. Dans le Colorado, Bernie a réussi à passer en tête, tout comme dans l’Utah. Mais pour quel gain ? 67 et 29 délégués, respectivement. Une bien maigre collecte !

Il restait alors les deux grosses timbales de la soirée : le Texas et la Californie : 228 délégués pour l’un et 415 pour l’autre. Les partisans les plus convaincus ont cru y voir un moyen de retourner les choses. Mais il confondait visiblement là deux systèmes qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre et qui sont respectivement celui des primaires et celui de l’élection générale : dans le second, le vainqueur emporte TOUS les délégués : c’est le « winner-take-all », le gagnant rafle tout. Toutefois, ce n’est pas le cas dans les primaires, puisque les voix sont réparties à la proportionnelle, en fonction d’un vote populaire pour une part d’entre eux et des résultats dans les territoires pour l’autre partie, et à la condition d’avoir atteint un seuil de 15%. La victoire de Sanders en Californie, que l’on a appris au petit matin ne lui rapportera donc que quelques dizaines de délégués en plus par rapport à Biden, même pas de quoi rattraper le retard accumulé dans les autres États.

Réunir à tout prix

Il s’est donc passé quelque chose d’extraordinaire dans cette course et quelque chose a changé : mais si Sanders se retrouve assommé et que Joe Biden devient ultra-favori pour décrocher l’investiture, il reste toujours un même problème que cette primaire a révélé de façon encore plus criante : l’électorat démocrate a des attentes différentes en fonction du groupe auquel il appartient. Les Hispaniques veulent une couverture-santé plus protectrice et n’ont pas peur de l’interventionnisme de l’État mais les plus âgés veulent conserver un système d’assurances privées et ont peur du coût astronomique des propositions de Bernie Sanders. Les plus jeunes sont idéalistes et adhèrent aux propositions inclusives du doyen des candidats, appelant de leurs vœux un même accès aux soins, à l’éducation ou au logement, pour tous. Les Afro-Américains sont plus pragmatiques et modérés et se méfient de la radicalité de Bernie Sanders.

Autant de groupes différents auxquels le futur candidat unique devra parler et dont il devra porter les aspirations. Il faudra que le candidat unique soit aussi en capacité de parler aux ouvriers, auquel le parti ne parle plus depuis longtemps et qu’il propose une voie pour sortir de la division qui gangrène le pays.

Joe Biden s’est positionné pour être ce candidat modèle, parce qu’il a inscrit sa campagne dans la réunification de la famille démocrate qui était éclatée : les ralliements de Pete Buttigieg, Amy Klobuchar et beto O’Rourke ont créé l’électro-choc qui manquait à ces primaires. Maintenant, il va tacher de ne plus laisser retomber ceet énergie et va tenter de la porter jusqu’au 3 novembre en l’habillant d’un projet qui les mettra tous d’accord : « il faut chasser Donald Trump de la Maison-Blanche. »

« Lesbos, la honte de l’Europe » – 3 questions à Jean Ziegler

Wed, 04/03/2020 - 14:20

Longtemps Conseiller national au Parlement de la Confédération suisse puis Rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, Jean Ziegler est aujourd’hui membre du Comité consultatif du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Il répond aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de son ouvrage « Lesbos, la honte de l’Europe », aux éditions du Seuil.

1/ Les dépenses investies selon vous dans « la technologie des frontières » en Europe s’élèvent à 15 milliards d’euros. D’où vient cette conclusion ?

La technologie des frontières ne cesse d’innover. Par exemple, les murs érigés sur les frontières sont aujourd’hui dotés de mitrailleuses auto-déclenchables. L’être humain qui s’en approche à 300 mètres entend d’abord un avertissement – émis en trois langues et à plusieurs reprises – qui lui ordonne de faire demi-tour. S’il continue d’avancer, il est abattu par la mitrailleuse dont le tir se déclenche automatiquement. Des drones ultra-performants surveillent nuit et jour les mouvements des réfugiés. Des satellites géostationnaires sont positionnés au-dessus du détroit de Gibraltar, de la mer Égée et du nord du Sahara. Pour détecter les réfugiés cachés dans des camions en Serbie ou au nord de la Bosnie, une nouvelle technologie permet de capter les battements de cœur et de mesurer le volume d’air respiré. Ces scanners aux rayons X sont extrêmement onéreux : un seul appareil coûte 1,6 million d’euros.

Aujourd’hui, les dépenses pour la sécurisation technologique des frontières s’élèvent à 15 milliards d’euros par an. Elles atteindront, selon les prévisions, 29 milliards d’euros en 2022. Tout cela profite évidemment aux marchands d’armes… et incombe aux contribuables européens.

Pour les marchands de canons, les industriels de l’armement et les trafiquants d’armes, la lutte contre les réfugiés et les migrants est désormais plus rentable que toutes les guerres réunies du Yémen, de Syrie et du Darfour. L’Union européenne (UE) vient de publier ses perspectives budgétaires. Jusqu’en 2027, les dotations des deux postes intitulés « Sécurité des frontières » et « Migrations » seront portées à 34,9 milliards d’euros. FRONTEX, l’organisation militaire chargée de sécuriser la frontière sud de la forteresse Europe, verra son budget augmenter de 12 milliards d’euros sur la période 2021-2027. Avec les garde-côtes grecs, eux aussi financés par l’UE, les bateaux de guerre de FRONTEX interceptent en haute mer les embarcations des réfugiés. Par la violence, ils les empêchent d’accoster sur les côtes de l’Europe.

Dans l’esprit de l’UE, les réfugiés constituent une menace pour l’Europe. Le Commissaire européen en charge de la politique des réfugiés, Margaritis Schinas, est en tête d’un dicastère que la Commission a nommé « Migration et promotion du mode de vie européen ». En pratiquant la chasse à l‘homme dans la mer Égée (en Méditerranée et le long des frontières terrestres de l’Europe méridionale), l’UE empêche les persécutés de déposer une demande d’asile.

2/ Vous êtes très sévère avec Filippo Grandi, actuel Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés. Pourquoi ?

Le Haut Commissaire aux réfugiés des Nations unies doit veiller à l’application de la Convention de l’ONU relative au statut des réfugiés de 1951. Il fonctionne selon un principe de subsidiarité : ce qu’un État membre de l’ONU peut faire, le Haut Commissaire ne le fait pas.

Dans les camps de premier accueil, les hot spots des îles grecques de la mer Égée, où 34.000 hommes, femmes et enfants sont enfermés souvent depuis 3 à 4 ans, dans des abris précaires, suroccupés, manquant de nourriture, souffrant de conditions hygiéniques abominables, les réfugiés sont traités comme des animaux. Les camps sont administrés par la Grèce et financés par l’UE. Ces camps sont une honte pour l’Europe.

Dans de telles situations de carence et d’échec, aucune subsidiarité ne peut être invoquée. La totale passivité de l’ONU est un scandale.

3/ Jusqu’où peut-on ouvrir les frontières aux réfugiés ?

La question n’a pas lieu d’être.

Quiconque est menacé – torturé, bombardé – dans son pays d’origine a le droit de traverser une frontière et de demander protection dans un autre État. Le droit d’asile est une conquête de civilisation. C’est un droit de l’homme universel, garanti par l’article 14 de la Déclaration des droits de l’homme de 1948 et par la Convention internationale relative au statut des réfugiés de 1951. Tout réfugié a le droit de déposer une demande d’asile. Aucun État n’a le droit de fermer ses frontières au demandeur d’asile. L’État hôte peut ensuite, après interrogatoire et enquête, accepter ou refuser la demande d’asile. Mais refuser au persécuté de déposer sa demande – par la fermeture des frontières – est un crime contre l’humanité.

Le Déméter 2020 : le Brexit, quelles conséquences agricoles ?

Wed, 04/03/2020 - 10:15

À l’occasion de la sortie du Déméter 2020, Ludivine Petetin, maître de conférences de l’Université de Cardiff, répond à nos questions :
– Quel était le poids du Royaume-Uni dans le secteur agricole européen ? Son retrait de l’UE va-t-il peser sur le secteur ?
– Comment le Brexit va-t-il impacter les secteurs de l’agriculture des différentes nations du Royaume-Uni ?
– Le départ du Royaume-Uni peut-il amener les Européens à repenser leur politique agricole ?

Brexit : quel avenir pour les relations entre le Royaume-Uni et l’Union européenne ?

Fri, 31/01/2020 - 17:46

À l’occasion du Brexit, Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’IRIS, répond à nos questions :
– Le Royaume-uni passe ses dernières heures au sein de l’Union européenne, et maintenant ?
– À quel type de relations économiques et commerciales entre les Royaume-Uni et l’UE pourrons-nous nous attendre ?
– Qu’en est-il de la coopération dans le domaine de la défense entre le Royaume-Uni et l’UE ? Le Brexit va-t-il la remettre en cause ?

Crises d’Amérique latine : montée des forces de l’ordre en première ligne politique

Fri, 31/01/2020 - 17:31

 

Pratiquement tous les pays latino-américains, à un titre ou à un autre, passent par la case « crise » depuis quelques mois. Crise économique et financière en Argentine, en Équateur et au Venezuela. Crise sociale au Chili, et en Colombie, crise politique en Bolivie, au Brésil et au Nicaragua, crise sécuritaire au Mexique. Ces différents facteurs, qui parfois se combinent en un seul pays, ont retenu l’attention prioritaire des analystes.

La recherche des causes de ces désordres répond à une curiosité naturelle, qu’elle soit scientifique, journalistique ou citoyenne. L’une de ses conséquences en revanche est passée relativement inaperçue. D’un pays à l’autre, les gouvernants ont eu, sans se concerter, et quelle que soit leur orientation, recours aux forces de l’ordre, police et armée, pour tenter d’éteindre des accidents sociaux dépassant la capacité de proposition, de résolution des tensions, de fabrication de compromis qui sont les remèdes à disposition des démocraties.

Ce recours à l’ordre armé vise à perpétuer l’ordre politique et social existant, bousculé par le mécontentement, et/ou la dissidence de larges couches de la population. À droite, Sébastian Piñera au Chili et Iván Duque en Colombie ; au centre droit, Lenín Moreno en Équateur ; à gauche, Nicolás Maduro au Venezuela et Daniel Ortega au Nicaragua, ont affronté les difficultés de rue en mobilisant l’ensemble des moyens policiers et militaires à leur disposition. Andrés Manuel Lopez Obrador au Mexique a créé en 2019 une Garde nationale, composée de militaires pour affronter le défi sécuritaire. Sébastien Piñera a le 20 octobre 2019, légitimé le recours aux armées en déclarant le Chili et sa démocratie en guerre contre un ennemi extérieur qualifié « de puissant et implacable ».

Avec des conséquences physiques et souvent létales pour la population. 1810 personnes ont été tuées par les forces de l’ordre à Rio de Janeiro en 2019. 8 morts en Équateur du 2 au 13 octobre 2019. Au Chili, 23 manifestants sont décédés, et 350, d’octobre à décembre 2019, ont souffert de graves lésions oculaires. Le Haut-Commissariat des droits de l’homme des Nations unies a publiquement stigmatisé l’usage disproportionné de la force par les autorités de Bolivie, du Chili et du Venezuela.

La voie des armes a été consolidée par des lois et dispositifs sécuritaires, encadrant les libertés fondamentales, en particulier le droit de manifester, adoptées en vue, selon leurs initiateurs, de défendre la démocratie. En Bolivie, Evo Morales, au Brésil les amis de Michel Temer, au Venezuela le régime de Nicolás Maduro ont proposé et pratiqué une lecture perverse de la démocratie. Evo Morales n’a pas respecté en 2016, le verdict d’un référendum populaire interdisant sa réélection. Le Parlement brésilien a en 2016, déposé la présidente élue, Dilma Rousseff, avec des arguments inconstitutionnels, validés par le vote majoritaire de ses adversaires politiques. Nicolás Maduro a procédé en 2017 à l’élection sur mesure d’une Constituante dotée de pouvoirs législatifs, reléguant aux oubliettes l’Assemblée nationale à majorité oppositionnelle.

Ces premiers pas ayant été franchis, les dérives se sont banalisées. En Bolivie, après la démission d’Evo Morales, une présidente intérimaire, Jeanine Añez, a été proclamée sans quorum parlementaire, et a immédiatement, au nom du « rétablissement » de la démocratie, engagé une chasse aux sorcières contre les amis et partisans du Chef de l’État sorti. Son gouvernement intérimaire a créé le 3 décembre 2019, le GAT, une unité antiterroriste « pour désarticuler les cellules terroristes menaçant notre patrie (…) agissant dans le pays depuis 14 ans » (date de la première élection d’Evo Morales) a précisé le ministre de l’Intérieur. Le Sénat du Chili a adopté le 21 janvier 2020, un projet de loi accordant aux forces armées la responsabilité de sécuriser les espaces publics, sans nécessité de déclarer un état d’exception, « en cas de grave altération de l’ordre public ». Au Venezuela, un président de l’Assemblée nationale a été élu le 5 janvier 2020, par une coalition « maduriste » en l’absence d’adversaires, pourtant majoritaires en nombre, empêchés par les forces de l’ordre d’entrer au Parlement.

De fil en aiguille l’armée est sortie de son rôle, étroitement limité depuis la fin des dictatures militaires à la défense de la souveraineté nationale. Elle est intervenue comme institution appelée à modérer les tensions sociales et politiques et à leur imprimer une orientation répondant aux intérêts de l’une des parties aux conflits. En Bolivie, le général en chef des forces armées, Williams Kaliman, a « conseillé » le 10 novembre 2019 à Evo Morales de démissionner. Au Brésil, les militaires sont intervenus dans le débat politique en 2018, adressant un avertissement au Tribunal suprême saisi d’une demande de libération conditionnelle de l’ex-président Lula, en vue d’empêcher sa candidature aux présidentielles. L’un des leurs a été élu chef de l’État, le capitaine Jair Bolsonaro, l’un des leurs est également vice-président, le général Hamilton Mourão, tandis que d’autres sont ministres et directeurs de départements ministériels. Au Pérou, le président Martín Vizcarra, contesté par le Congrès, a réaffirmé son autorité le 1er octobre 2019, en publiant une photo où il apparaît entouré et « adoubé » par les généraux des forces armées. Une semaine plus tard, en Équateur, Lenín Moreno, qui avait abandonné son palais présidentiel, en a repris possession après avoir prononcé un discours encadré par un groupe de généraux. Même scénario fin octobre au Chili, où le chef de l’État, Sébastian Piñera, est apparu à la télévision, flanqué du général Javier Iturriaga, qu’il venait de nommer responsable de la sécurité à Santiago, la capitale.

L’Argentine a échappé à cette dérive militarisante. Le traumatisme laissé par la dictature la plus répressive du sous-continent, et la dégradation du prestige militaire, les forces armées ayant été vaincues sur leur terrain d’excellence aux Malouines, ont asséché budgétairement et moralement la corporation. Pour autant le général César Milani, chef d’État-Major des armées argentines, de 2013 à 2015, incarcéré pendant plus de deux ans, pour être finalement acquitté, en a tiré la leçon suivante : « les classes privilégiées pensent que l’armée est au service de leurs intérêts ».

De façon plus transversale, les gouvernants, quels qu’ils soient, ont privilégié l’appel aux forces armées pour préserver l’ordre existant, à Bogota, Caracas, Rio de Janeiro, ou Santiago du Chili. Faute de pouvoir, ou vouloir, affronter démocratiquement de difficiles débats, conduisant à la fabrication de compromis supposant l’acceptation d’alternances et une juste répartition du poids social et économique de la crise, on assiste à une militarisation des démocraties latino-américaines. Ce retour des soldats dans les affaires intérieures, écartés dans les années 1980/1990 au sortir des dictatures militaires, interpelle. Le constat que l’on peut en tirer aujourd’hui est mitigé. Le levier d’influence qui leur est ainsi accordé a jusqu’ici été utilisé à des fins corporatistes. Les militaires refusent de partager le poids des efforts collectifs et entendent que leur soient maintenus leurs avantages, salariaux et sociaux, des retraites avantageuses. Ce qui veut dire en termes budgétaires, 5,5 % du PIB au Pérou, 6,4 % en Équateur, 7,1 % au Chili, 11,6 % en Colombie.

Quel avenir pour le Royaume-Uni après le Brexit ?

Fri, 31/01/2020 - 10:38

Plus de trois ans après le référendum qui avait vu la victoire des partisans du Brexit et après de nombreux reports et incertitudes sur la réalisation du projet, le Royaume-Uni passe aujourd’hui son dernier jour au sein de l’Union européenne. Quels seront les impacts du retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne ? Le point de vue d’Édouard Simon, directeur de recherche à l’IRIS.

Aujourd’hui est le dernier jour du Royaume-Uni au sein de l’Union européenne. Quelles sont désormais les prochaines étapes pour sa mise en œuvre effective ?

Ce qui est historique c’est qu’à partir de demain, le Royaume-Uni cesse officiellement d’être un État membre de l’Union européenne. Il ne sera donc plus représenté dans les différentes institutions de l’UE. C’était déjà le cas au sein de la Commission von der Leyen, qui a pris ses fonctions malgré l’absence de Commissaire britannique. Ce sera désormais le cas dans les autres institutions de l’Union : le Conseil et le Parlement européen, les députés européens britanniques ont ainsi fait leurs adieux à leurs collègues cette semaine à Strasbourg, lors de leur dernière session plénière.

Pour autant, le Brexit est loin d’être achevé. Le Royaume-Uni entre demain dans une « période de transition » qui doit prendre fin, en théorie, le 31 décembre et qui doit lui permettre de négocier avec l’Union européenne le cadre et les détails de leur relation future. On en sait un peu plus désormais sur la nature de celle-ci.

Parmi toutes les possibilités qui étaient évoquées ces dernières années (régime OMC, accord de libre-échange [type Canada], régime EEA [type Norvège]), le gouvernement de Boris Johnson a fait savoir qu’il souhaitait négocier un accord de libre-échange. Cela étant, si la forme est réglée (à peu près, car la coopération en matière de défense, par exemple, devra faire l’objet d’un accord spécifique), le fond ne l’est pas et l’essentiel reste à négocier.

Et 11 mois c’est très peu. Un accord de libre-échange met généralement au mieux une dizaine d’années à être négocié. Cependant, dans le cas du Royaume-Uni, la mécanique de négociations sera assez différente des autres négociations commerciales de l’Union puisque l’objectif n’est pas de faire converger des régimes tarifaires, réglementaires ou juridiques, mais de déterminer dans quelle mesure ils pourront diverger – ce qui n’est pas nécessairement plus simple. Par ailleurs, il existe, au Royaume-Uni, de fortes tensions sur la possibilité de prolonger cette transition. Car, le régime appliqué au Royaume-Uni — qui ne participe plus au processus législatif, mais doit continuer à se conformer au droit européen — est le cauchemar absolu des Brexiters.

Quel devrait être le Royaume-Uni post-Brexit ? Certains ont peur qu’il devienne un paradis fiscal au cœur de l’Europe ; ces inquiétudes sont-elles fondées ? Quid des dossiers nord-irlandais et écossais dans ce contexte ?

Les Britanniques doivent aujourd’hui faire un choix sur la nature de la relation qu’ils souhaitent avoir avec l’Union européenne, mais celle-ci est intimement liée à la nature de leur propre trajectoire nationale, notamment en termes de stratégie de développement économique. Leur intérêt objectif serait d’avoir la relation la plus proche possible avec l’Union européenne, qui est aujourd’hui, de très loin, leur principal partenaire commercial (environ 45 % des exportations britanniques alors que les États-Unis n’en représentent que 15 %). Pour autant, la contrepartie d’une telle proximité c’est l’absence de divergence réglementaire, ce qui limite d’autant la possibilité de développer un modèle de dumping fiscal, social, environnemental… Mais, si le Royaume-Uni accepte le principe d’un alignement réglementaire, alors pourquoi avoir quitté l’UE ?

Se pose donc, de manière concomitante, la question du projet national britannique. Et, là encore, celle-ci est loin d’être simple à régler.

D’une part, il leur faudra déterminer une nouvelle stratégie de développement économique. Si le Royaume-Uni voulait devenir un paradis fiscal, ce n’est pas le fait d’être un État membre de l’Union qui l’en aurait empêché. En matière de fiscalité, l’unanimité est, en effet, de mise et l’Union économique et monétaire est précisément minée par la concurrence que se livrent les États européens en matière fiscale. Paradoxalement, il sera peut-être plus difficile pour les Britanniques de le faire en dehors de l’UE du fait du rapport de force qui n’est pas vraiment à leur avantage.

Mais d’autre part, et alors que le Brexit avait été vendu aux électeurs britanniques comme la possibilité d’écrire un nouveau récit national, c’est-à-dire comme un facteur de cohésion nationale, ce processus apparaît bien plutôt comme une force centrifuge importante. La géographie du référendum de 2016 le montre. En témoigne également la nouvelle demande officielle du gouvernement écossais d’organiser un second référendum d’indépendance, qui a reçu — pour l’heure — une fin de non-recevoir de Boris Johnson. De telles velléités pourraient-elles voir le jour en Irlande du Nord ? Ce n’est théoriquement pas impossible, l’Irlande ayant élu 9 nationalistes pour 8 unionistes. Le statut particulier de l’Irlande après la période de transition, qui devrait continuer à appliquer certaines régulations européennes, pourrait jouer en ce sens.

Comment devrait se mesurer le départ du Royaume-Uni au niveau des politiques européennes ?

Pour l’instant, et tant que durera la période de transition, les politiques communes (politique agricole, de recherche, de cohésion, etc.) ne devraient pas être affectées par le départ du Royaume-Uni, qui continue à participer à celles-ci. Au-delà, la participation du Royaume-Uni aux différentes politiques de l’Union sera tout d’abord conditionnée par l’existence d’un accord de libre-échange puis se réglera au cas par cas.

La première conséquence du départ du Royaume-Uni de l’UE sera budgétaire. En quittant l’UE, le Royaume-Uni (qui était un contributeur net au budget de l’Union), laisse un « trou » de 11 milliards d’euros dans le budget européen. Même si le Royaume-Uni devra payer pour participer aux politiques communes qui l’intéressent, cela ne viendra pas compenser ce trou. Réduction du budget, augmentation des contributions nationales, création de nouvelles ressources propres : les solutions sont connues, mais aucune ne fait l’unanimité chez les Européens.

Les conséquences devront ensuite être mesurées politique par politique. Le Royaume-Uni ne participera plus à l’intégralité des politiques communes que cela soit de son fait (politique agricole commune, par exemple) ou de celui des Européens (il n’est pas encore certain que le Royaume-Uni puisse accéder aux financements du Fonds européen de défense, par exemple). Et là, les conséquences peuvent être préjudiciables aussi bien pour le Royaume-Uni que pour les Européens. Par exemple, ceux-ci se montrent particulièrement inquiets des conséquences potentielles du départ du Royaume-Uni sur la coopération en matière de renseignement ou judiciaire.

Liban : le nouveau gouvernement peut-il faire face à la crise ?

Thu, 30/01/2020 - 18:47

 

Après plusieurs mois de fortes contestations sociales dans le pays, Hassan Diab a été nommé nouveau Premier ministre en décembre dernier, et vient de former un nouveau gouvernement. Quels sont les défis auxquels ce nouveau gouvernement devra faire face ? Qu’en est-il des contestations populaires ? Le point de vue de Karim Émile Bitar, directeur de recherche à l’IRIS

Un nouveau gouvernement s’est formé. Vous semble-t-il à même de répondre à l’urgence de la situation ? Les nouveaux ministres inspirent-ils confiance ? Quels seront les principaux chantiers ?

La situation a atteint un tel degré de gravité que même si ce gouvernement avait été composé d’une vingtaine de superhéros dopés à la potion magique, il aurait eu beaucoup de mal à répondre aux multiples urgences. Bien que comportant quelques belles figures, ce gouvernement est loin de répondre aux attentes des Libanais et la façon dont il a été formé ne laisse rien augurer de bon. Le Premier ministre a réussi à former une équipe comportant une dizaine de personnalités plus ou moins indépendantes, mais il a aussi été contraint de jouer le jeu politique traditionnel (marchandages en coulisses, noms sortis du chapeau à la dernière minute, vetos sur plusieurs personnes pour des raisons inavouables, partages des postes entre les leaders communautaires conspués par la rue).

Ce gouvernement est donc hybride et les quelques personnes qui pourraient avoir des velléités réformatrices risquent de se retrouver noyées dans la médiocrité générale et n’auront peut-être ni le temps ni les moyens d’imprimer leur marque.

L’urgence la plus absolue est celle de la crise économique et financière. Les Libanais ont le sentiment que leur classe politique n’a pas du tout pris conscience de la gravité de la situation. Le Premier ministre n’est pas véritablement maître du jeu. L’oligarchie au pouvoir depuis 30 ans conserve la haute main sur le gouvernement et le parlement.

L’heure n’est donc pas encore à l’optimisme, mais il pourrait y avoir quelques percées et réformes qui pourraient être menées à bien, notamment celle de la justice. La ministre de la Justice, Marie-Claude Najm, première femme à occuper ce poste, est une universitaire respectée, agrégée de droit et spécialiste du pluralisme, des relations entre systèmes laïques et systèmes religieux. Elle est porteuse d’une véritable vision et milite depuis de nombreuses années pour l’indépendance de la justice, pour la transparence et la déconfessionnalisation. Elle pourra compter sur le soutien du nouveau bâtonnier de l’ordre des avocats, Melhem Khalaf, autre figure intègre et indépendante élue dans l’enthousiasme postrévolutionnaire. D’autres personnalités comme le très respecté président du Conseil Supérieur de la Magistrature Souheil Abboud, le dynamique Club des juges, ainsi que des ONG comme Kulluna Irada et Legal Agenda font un lobbying actif pour soutenir cette réforme qui est indispensable à toute lutte contre la corruption et à des réformes politiques plus ambitieuses.

Une autre nomination qui fut très bien accueillie est celle de Nassif Hitti au Ministère des Affaires étrangères. Bien connu des milieux diplomatiques et universitaires français puisqu’il fut en poste à Paris pendant de nombreuses années comme ambassadeur de la Ligue des États arabes, Nassif Hitti est un diplomate habile, affable et chevronné, qui dispose d’un excellent réseau aussi bien dans le monde arabe qu’en Occident. Sa nomination a été accueillie avec un grand soulagement aussi bien par le corps diplomatique libanais que par les diplomates étrangers en poste à Beyrouth qui ont plus que jamais besoin d’un interlocuteur solide et respecté de tous.

Où en sont les mobilisations populaires au Liban et leurs revendications ? La formation de ce nouveau gouvernement est-elle en mesure de les calmer ?

Les partis au pouvoir misaient sur un essoufflement de la mobilisation populaire et escomptaient que cette vague révolutionnaire finirait par céder la place à un retour de la torpeur de la population libanaise, confrontée aux urgences économiques. Il n’en est rien et l’on voit que le souffle de la révolution ne s’est toujours pas éteint.

Cependant, il est certain que cette mobilisation est en train de changer de forme : la formation du nouveau gouvernement a quelque peu changé la nature des mobilisations populaires. Certains estiment, peut-être à juste titre, qu’il faut donner sa chance, ou du moins un délai de grâce, au nouveau gouvernement, et attendre qu’il présente son projet économique, bien que personne n’en attende de miracles.

À ce stade, rien n’est encore venu calmer la colère des Libanais, qui ont toujours le sentiment que leur intelligence est encore insultée quotidiennement par leurs élites politiques.

 

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