You are here

IRIS

Subscribe to IRIS feed
Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Trump restera actif et nuisible

Thu, 05/11/2020 - 18:11

En ce jeudi 5 novembre, la victoire de Joe Biden aux élections présidentielles américaines ne semble plus guère faire de doute. La nuit dernière, il a d’ailleurs tenu un discours de réconciliation, discours traditionnel pour un vainqueur d’une élection présidentielle, aux États-Unis ou ailleurs. Il s’agissait pour lui d’affirmer qu’il sera le président de tous les Américains et pas seulement de ceux qui ont voté pour lui. Un discours que Donald Trump n’avait pas tenu ni lors de son élection ni par la suite. Preuve que pendant quatre ans, il s’est uniquement adressé à ses électeurs.

Dans le cas de ce scrutin très serré, Trump risque de ne pas du tout apprécier sa défaite et de ne pas faciliter la tâche du vainqueur, comme il est normalement d’usage dans une démocratie. Hillary Clinton, qui avait pourtant obtenu 3 millions de votes de plus que Donald Trump en 2016, avait malgré tout reconnu sa défaite. Mieux encore, en 2000, Al Gore avait accepté sa défaite alors que lui aussi avait récolté plus de voix que George Bush, qui avait obtenu la victoire grâce à une décision de la Cour Suprême qui avait suspendu le décompte des votes dans l’État clé de Floride, alors dirigé par son frère.

Contester la défaite n’est pas dans la tradition des démocraties, aux États-Unis ou ailleurs. Trump va certainement rompre avec cette tradition en contestant les résultats le plan juridique. On a vu cette nuit que certains bureaux de vote avaient été entourés par des hommes en armes par des gens en armes qui souhaitaient interrompre le décompte des votes. Ce ne sont pas des scènes dignes d’une démocratie. Il y aura des recours judiciaires, ce qui est plus admissible au regard du droit. En tout cas, l’actuel locataire de la Maison-Blanche va vouloir présenter sa défaite comme une victoire volée due à la tricherie du camp démocrate. Il va donc tenter de saboter le travail de réconciliation de Joe Biden au cours de son mandat.

Donald Trump va intégrer le club assez peu fréquenté des présidents américains qui n’ont fait qu’un seul mandat. Depuis la Seconde Guerre mondiale, il n’y eut que Jimmy Carter, battu en 1980 par Reagan – Jimmy Carter s’est ensuite consacré à des missions humanitaires et à sa fondation qui œuvre pour la paix, on n’imagine guère Trump en faire autant – et George Bush père qui avait été battu après un unique mandat par Bill Clinton, et qui a eu sa revanche avec l’élection de son fils en 2000. Que va faire Donald Trump par la suite ? Il ne se contentera pas de s’occuper de ses affaires personnelles. Son tempérament le poussera certainement à développer une capacité de nuisance maximale pour gâcher le mandat de celui qui l’a vaincu. On sait déjà qu’il avait une dent personnelle contre Obama, rancœur qui l’avait d’ailleurs en partie amené à se présenter. Il va certainement en être de même à l’égard de Biden. Trump ne risque pas de prendre sa retraite et il voudra certainement encore peser sur la politique américaine. Il a tout de même été le choix de 68 millions d’électeurs lors de ce scrutin, ce qui reste un score très impressionnant. Il a environ 90 millions d’abonnés sur Twitter et a par ailleurs emmagasiné, au cours des deux campagnes, des informations et données sur son électorat qui ne pourront que lui être utiles par la suite. Il est même question qu’il crée une chaîne de télévision, milieu dans lequel il a prospéré avant de se lancer en politique.  Et retour en télévision motivé là aussi par la rancœur qu’il entretient à l’égard de Fox News, chaîne pourtant ultra conservatrice, qu’il estime ne pas l’avoir suffisamment soutenu dans cette campagne. Il pourrait ainsi créer une chaîne de télévision qui viendrait évidemment nourrir les débats. Trump fera également tout pour peser sur la prochaine élection et sur le candidat qui portera, en 2024, les couleurs du parti républicain.

Revenons-en à l’issue de l’élection, le Sénat risque de rester à majorité républicaine et même si Joe Biden, qui a occupé un poste de sénateur pendant 38 ans et qui connaît par cœur les rouages de l’institution, pourra y disposer d’appui, il devra également faire face à une large opposition républicaine. Donald Trump va donc tout faire pour que Joe Biden puisse le moins possible réaliser son objectif de réconcilier l’Amérique avec elle-même, lui qui laisse une société fracturée, très profondément divisée. Mais il est peu probable dans tous les cas que Biden parvienne à le faire puisque pour cela il faut une volonté de réconciliation du vainqueur qui n’existait pas en 2016 et une acceptation de la réconciliation par le vaincu, qui n’existe pas plus en 2020.

[Campagne US #13] Où en est la campagne américaine à moins d’un mois des élections ?

Tue, 13/10/2020 - 18:22

Marie-Cécile Naves, directrice de recherche à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne régulièrement rendez-vous pour suivre ses analyses de la campagne présidentielle américaine. Elle répond aujourd’hui aux questions suivantes :

– Toujours à la traîne derrière Biden dans les sondages, Trump sillonne à nouveau les États-Unis après avoir été malade du Covid-19. Quel impact sa gestion de la maladie a-t-elle eue sur la campagne ?

– Le vote par anticipation bat des records, à plus de trois semaines des élections. En quoi celui-ci est un des gros enjeux de cette campagne électorale, surtout pour les démocrates ?

– C’est ce lundi dans un contexte tendu que commencent les auditions au Sénat pour la nomination de la juge Amy Coney Barrett à la Cour suprême. Faut-il craindre sa nomination pour l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis ?

Les pandémies : une menace éternelle ?

Mon, 12/10/2020 - 20:55

Astrid Vabret est professeure de médecine, spécialité virologie et directrice du laboratoire de virologie du CHU de Caen et le Centre national de référence pour les virus de la rougeole, oreillons et rubéole. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes, organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 25 et 26 septembre 2020 :

– Quel regard portez-vous sur le système d’alarme international et l’importance du rôle de l’OMS ?

– Comment concilier le financement de la recherche avec le temps de réponse à l’épidémie et le développement d’un vaccin ?

– Quelles perspectives voyez-vous à court et long termes pour la pandémie du Covid-19 ?

Trump, Biden : les jeux sont-ils faits ?

Mon, 12/10/2020 - 17:03

À moins d’un mois des élections présidentielles américaines, Donald Trump est au plus bas dans les sondages face à son concurrent démocrate Joe Biden, dans un contexte de crise sanitaire et économique. Mais l’élection de 2016 a rappelé que jusqu’au jour du vote, rien n’est jamais déterminé à l’avance lorsqu’il s’agit d’élire le futur occupant de la Maison-Blanche. L’analyse de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

La relation Chine-Taiwan au révélateur de la pandémie mondiale

Mon, 12/10/2020 - 12:16

La Chine est parfois qualifiée de « vainqueur » de la crise de Covid-19. Comment expliquer cela au niveau national, régional et international ?

La reprise en main assez rapide en Chine d’une crise d’autant plus difficile qu’elle trouve sa source dans l’une des provinces les plus densément peuplées du pays et la médiatisation autour de l’implication des pouvoirs publics a renforcé la légitimité du pouvoir central. Derrière ce succès, c’est tout un mode d’organisation, basé sur le confinement et des mesures strictement appliquées, qui inspira les mesures adoptées dans le reste du monde, y compris en Occident. Le retour à la mondialisation que la Chine appelle de ses vœux s’appuie pour sa part sur un soft power basé sur une politique de main tendue (la « diplomatie du masque ») autant que sur l’exemple de sa gestion de la crise qu’elle met en avant. Pékin a ainsi abondamment communiqué sur sa capacité à apporter une assistance aux pays les plus affectés par la pandémie. Si un tel discours reste fortement critiqué dans les démocraties occidentales, il reçoit un écho nettement plus positif dans les sociétés en développement, où c’est sur la Chine que l’on compte pour sortir de la crise sanitaire et relancer l’activité économique. Sur le terrain de l’influence, combat ultime que livrent les grandes puissances, Pékin et Washington en tête, la gestion de la crise sanitaire donne un avantage à la Chine, tandis que les États-Unis présentent un bilan très négatif. Et on mesure au cours des dernières années à quel point les déboires de Washington font les affaires de Pékin. Au niveau régional, Pékin a su profiter de sa sortie de crise pour accentuer ses pressions sur la population de Hong Kong, avancer ses pions en mer de Chine méridionale et hausser une nouvelle fois le ton face à Taiwan, comme pour mieux asseoir son hégémon en Asie orientale. Les conséquences économiques de la pandémie seront lourdes en Chine, comme dans le reste du monde, mais la victoire politique est significative.

Taiwan ne compte qu’un peu plus de 500 cas et sept décès seulement depuis le début de la crise sanitaire. Comment expliquer ce succès ?

En marge de la réélection facile de Tsai Ing-wen pour un second mandat à la présidence de la république de Chine (Taiwan) en janvier 2020, Taipei mit en garde l’OMS contre les risques de propagation du coronavirus par transmission humaine, sans aucune réaction de l’organisation dont il n’est pas membre. On ne peut d’ailleurs que déplorer que la communication taiwanaise ne fût pas alors davantage appuyée, et plus encore entendue, ce qui caractérise les problèmes et les limites de la diplomatie taiwanaise. Pour autant, et en dépit de la proximité géographique et de la fréquence des échanges avec la Chine continentale, Taiwan présente un bilan exceptionnel dans la gestion de la crise sanitaire, sans confinement et en ayant recours à la technologie, notamment des applications de géolocalisation. Ce n’est pas le caractère autoritaire des mesures, mais leur efficacité qui a fait la différence et fait de Taiwan l’un des « vainqueurs » de cette pandémie, tant dans son bilan sanitaire que dans sa légitimité politique. Dès lors, la communication post-Covid-19 de Taiwan s’articule autour d’une nécessaire adhésion à l’OMS (soutenue par de nombreux pays occidentaux et le Japon), les vertus d’un système de santé très performant et les mérites de son régime démocratique favorisant une transparence totale sur la gestion de la crise. Autant de points qui distinguent Taipei de Pékin. 

Les tensions entre les deux entités demeurent vives. Dans quelle mesure la pandémie mondiale peut-elle modifier les équilibres entre Pékin et Taipei ?

Taiwan reste une épine dans le pied du géant chinois et le succès de Taipei dans la gestion de la pandémie lui permet de communiquer avec force et on peut dès lors considérer qu’il y aura dans la communication politique et diplomatique taiwanaise un avant et un après Covid-19. Pékin n’entend cependant pas accorder de la place à Taiwan sur ces questions, et au-delà des pressions militaires accentuées (avec notamment des incursions répétées dans l’espace maritime taiwanais) et un discours menaçant (mais qui l’était déjà avant la pandémie, tout comme le soutien de Taipei aux opposants de la Chine à Hong Kong ou au Tibet), les dirigeants chinois cherchent à surenchérir avec la diplomatie du masque et reproduire ainsi avec Taipei une course mondiale aux soutiens économiques et politiques autrefois qualifiée de « diplomatie du chéquier », cette fois articulée autour des aides médicales et techniques aux pays nécessiteux. Taiwan a en effet saisi l’importance de capitaliser sur ses succès en proposant une aide importante (les productions de masques notamment ont rapidement permis à Taipei de se placer sur le marché de l’aide et des exportations), créant ainsi une compétition entre les deux entités rivales. Les équilibres ne sont pas modifiés, mais la rivalité s’est étendue aux questions sanitaires, avec de part et d’autre une communication très forte qui vise prioritairement un public différent : les sociétés en développement pour Pékin et le monde occidental pour Taipei.

—————–

Barthélémy Courmont est directeur de recherche à l’IRIS et responsable du programme Asie-Pacifique. Il est également maître de conférence à l’Université catholique de Lille et vient de publier avec Frédéric Lasserre, Eric Mottet et Serge Granger (dir.) Marges et frontières de la Chine, aux Presses de l’Université de Montréal.

—————–
Cet article est publié dans le cadre de l’Observatoire (Dés)information & Géopolitique au temps du Covid-19 de l’IRIS.

Argentine : mort de Quino, dessinateur honoré, ambassadeur méconnu

Sat, 10/10/2020 - 10:17

 

Quino, l’inventeur d’une philosophe en herbe, et de papier illustré, Mafalda, est mort il y a quelques jours, à Luján de Cuyo, au nord de l’Argentine. Depuis cinquante-six ans, Mafalda, petite fille, hors d’âge, déroulait son irrévérence de bon sens, de bulle en bulle, de BD en BD, dans un pays qui en avait et en a toujours bien besoin. Besoin généreusement partagé. Mafalda a été traduite en vingt-sept langues et publiée d’Argentine en Allemagne, aux États-Unis, en Italie, en France, et bien ailleurs.

Les mérites du dessinateur et créateur sont universellement reconnus par les lecteurs et les professionnels. Mafalda et Quino, ont en France été honorés par le Festival de la bande dessinée d’Angoulême en 2014. Mafalda est l’un des personnages du panthéon bédéiste global, au côté d’Astérix, Tintin, Superman, Spirit, les Schtroumpfs… Et avec ces personnages virtuels, leurs inventeurs, Hergé, Goscinny, Will Eisner, Siegel et Schuster, et bien d’autres sont « frères d’encre » de Quino.

Quino aura, peut-être à son insu, en tous les cas sans le vouloir, porté outre mers et terres, une image différente de l’Argentine. Différente du quotidien médiatique argentin, mêlant tragiquement coups d’État, terrorisme, disparus, crises financières, politiciens exotiques…

Le 1er octobre au matin, le décès de Joaquin Salvador Lavado Tejón, alias « Quino », a fait la Une des principaux journaux de la planète, die Zeit, La Repubblica, Le Devoir, Aljazzera, TaiwanNews, Le Figaro, L’Humanité, El Pais, le Washington Post, Fox News. Et pour une fois, un événement concernant l’Argentine en a donné une image positive.

Un jour de deuil a été décrété par le président argentin, Alberto Fernandez. Le décret, n°784/2020, signale le travail de Quino, « dans la diffusion internationale de l’humour graphique argentin (…) avec un langage en capacité d’interpeller tout citoyen et citoyenne du monde, au-delà des frontières, contribuant au respect de la diversité ». Julio Cortazar, Umberto Ecco, Gabriel Garcia Marquez ont en leur temps rendu hommage à cette universalité. « Ce que je pense de Mafalda n’est pas important », a pu écrire Julio Cortazar. « L’important est ce que Mafalda pense de moi[1] ».

Quino, en effet, aura été la pointe d’une Argentine créative, influente. Une Argentine foyer parmi d’autres, mais incontestable, de la bande dessinée mondiale. L’Italien Hugo Pratt a fait ses armes à Buenos Aires. Comme Goscinny qui après dix ans là-bas a rhabillé en gaulois deux héros de la BD argentine des années 1950, le gros Patoruzu et le petit Patoruzito.

Sans le vouloir donc, et qui sait sans le savoir, Quino, crayon en main, a fait plus pour le rayonnement de son pays, que bien des responsables, politiques et militaires, assumant dans leurs panoplies régaliennes un destin malheureux.

—————-

[1] Cité par le dessinateur espagnol Peridis dans El Pais, 1er octobre 2020

Françafrique : Mythe ou réalité ?

Fri, 09/10/2020 - 17:25

En marge des Géopolitiques de Nantes qui se sont tenus fin septembre, Caroline Roussy, chercheuse à l’IRIS en charge du Programme Afrique/s, a interrogé Serge Michailof, fin connaisseur de la scène africaine, ancien directeur des opérations de l’Agence française de développement (AFD) et chercheur associé à l’IRIS, qui avait participé à la table ronde consacrée au thème « Françafrique ou Afrique-France ? ». Entretien exceptionnel sur le système Françafrique et sur ce qu’il en reste aujourd’hui.

Vous avez arpenté entre autres continents l’Afrique pendant près de cinquante ans, côtoyant au plus près, de par vos diverses fonctions, le système Françafrique. Quelle est la part de mythe et de réalité de ce système ? Durant votre parcours avez-vous noté des inflexions dans les rapports entre la France et l’Afrique et si oui dans quel contexte plus général s’inscrivent-elles ? 

Il y a une part de mythe dans le concept de Françafrique dans la mesure où l’on imagine des hommes de l’ombre à Paris renverser les gouvernements africains et faire la pluie et le beau temps dans ce continent ou du moins dans sa partie francophone. Mais cette vision mythique s’appuie sur ce qui a été une réalité et sur ce plan sans doute faut-il rappeler l’historique et remonter aux années 1960, époque de la décolonisation.

Depuis les indépendances jusque vers les années 1990, la France a eu une politique extrêmement cohérente vis-à-vis de ses anciennes colonies :

Cette politique s’appuyait sur un ensemble d’institutions et de mécanismes bien conçus :

– Les accords monétaires de la zone franc
– Une politique de coopération efficace avec le FAC et la CCCE
– Des accords de défense avec des clauses secrètes
– Une forte implantation économique et commerciale.

Cette politique fut personnifiée par Foccart. Elle a permis une décolonisation sans grands drames si l’on met à part le Cameroun, et le maintien dans le camp occidental d’une Afrique francophone parfois tentée par le non-alignement ou par un rapprochement avec le camp soviétique.

Pendant toute cette période s’est établie une grande connivence entre dirigeants politiques français et africains. Cette connivence s’est traduite par une diplomatie parallèle court-circuitant le Quai d’Orsay et un étroit dialogue entre le « Monsieur Afrique » de l’Élysée, un homme de confiance du tout premier cercle du président français, et les chefs d’État africains.

Installé dans les discrets bureaux du 2 rue de l’Élysée, le Monsieur Afrique définissait la politique africaine de la France et en même temps rendait d’innombrables services aux chefs d’État africains allant de l’accueil de « madame » à Orly lorsque l’ambassade locale était dans l’incapacité de le faire, une prise en charge médicale d’urgence, la surveillance d’un opposant, ou un concours budgétaire en cas de difficulté imprévue pour payer les fonctionnaires.

Et il est vrai que le pouvoir de Foccart était considérable. C’est ainsi lui qui a permis au tout jeune Omar Bongo de prendre le pouvoir. C’est lui qui pour répondre aux pressions des pétroliers a financé et armé la révolte Ibo lors de la guerre du Biafra. Et c’est son successeur qui, sous Giscard, a envoyé les parachutistes français débarquer l’empereur Bokassa 1er… Il est ici frappant de voir à quel point la disparition de De Gaulle n’a nullement modifié le système qui a perduré de manière quasi inchangée sous Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac.

Quelle est aujourd’hui la réalité de tout cela ? Peut-on encore parler de Françafrique ?

La grande période de la Françafrique que je viens d’évoquer a permis à de nombreuses sociétés françaises d’occuper des positions quasi monopolistiques, en particulier dans le domaine commercial et celui des infrastructures. C’est l’époque où la Peugeot est la reine des voitures en Afrique francophone, où Elf conduit ses campagnes d’exploration et met en service les champs offshores du golfe de Guinée, ce qui permet avec l’uranium nigérien, de sécuriser nos approvisionnements énergétiques.

Cette période est aussi celle des dérapages que nous rappelle le film récemment passé sur Arte, « l’Ivresse du Pouvoir », qui met en scène l’ancien PDG de Elf, mis en prison par la juge Eva Joly pour corruption.

En matière de corruption justement, dans quelle mesure la Françafrique a-t-elle favorisé ce système ?

Tant la négociation de grands contrats d’équipement que les grands contrats d’exportations de matières premières (pétrole, cacao, etc.) portaient sur des montants qui se chiffraient en dizaines, voire centaines, de millions de dollars. Ils impliquaient systématiquement les responsables politiques locaux. Dans des pays où les contre-pouvoirs n’existaient pas, la corruption était alors systématique. Elle existe en Afrique, mais elle existe dans tous les pays sans mécanismes de contrôle et sans contre-pouvoirs.

Cette corruption s’est donc généralisée en Afrique francophone et le paiement de commissions a conduit à un enrichissement considérable des élites politiques africaines au pouvoir. Ces mécanismes ont nourri les systèmes de pouvoir prédateur de la plupart des États africains décrits par Jean-François Bayart. Ces élites ont vite compris que c’est l’accès aux postes de responsabilité politique qui permettait l’enrichissement et non l’investissement privé.

Dans un contexte où la zone franc assurait une totale convertibilité et la liberté des transferts, les commissions ont aussi facilité les rétrocommissions qui ont commencé à irriguer les partis politiques français, avec les fameux « porteurs de valises » disposant de facilités pour éviter les contrôles aux aéroports. Ces valises n’avaient rien du mythe, je peux en attester. Un de mes amis banquiers au Gabon m’a expliqué comment, en période électorale française, il remplissait lui-même les valises… Les virements des banques locales vers la Suisse et les grands paradis fiscaux étaient aussi courants.

Pourquoi, l’expression Afrique-France tend-elle aujourd’hui à se substituer au concept de Françafrique ?

Il y a un proverbe africain qui dit que la main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. Les responsables africains qui étaient les principaux contributeurs financiers des partis politiques français – je pense là essentiellement aux Présidents Bongo et Houphouët Boigny -, sont rapidement devenus des acteurs importants dans la politique française. Ceci au point d’être couramment consultés par des présidents français pour le choix de certains ministres, et capables de provoquer la chute de ministres de la Coopération qui leur déplaisait, comme ce fut le cas avec Jean-Pierre Cot et Edwige Avice.

Il y a donc eu une inversion des pouvoirs. Les vrais patrons sont devenus les chefs d’État africains qui finançaient les partis français (à ma connaissance en arrosant tout le monde, du PC au FN). D’où le pouvoir de Bongo et de Houphouët qui, manipulant ainsi les responsables politiques français, définissaient en bonne partie la politique française en Afrique.

Lorsque je dirigeais les opérations de l’AFD, je devais professionnellement rencontrer le président Bongo lors de ses passages à Paris comme je le faisais pour nombre de chefs d’État africains. J’ai toujours été sidéré de rencontrer dans la salle d’attente du Crillon attenante à sa suite, nombre de personnalités politiques françaises de premier plan de droite et de gauche que je n’avais vu qu’à la télévision, qui n’avaient à ma connaissance aucune activité au Gabon, mais qui venaient « saluer le président ». Plus d’une fois, Bongo me fit appeler et passer devant tout ce monde provoquant la stupeur de ces personnalités (chuchotant entre eux « mais qui c’est ce type qui passe le premier ? »), petite vacherie du président tout heureux de rappeler qui était le « patron »…

Où en sommes-nous ? Ce système bien huilé est-il encore d’actualité ?

Ce système a commencé à se fissurer à la fin des années 1980 avec la fin de la Guerre froide, la persistance anormale de la crise économique dans la zone franc, les dérives de certains chefs d’État, l’importance prise par une coopération multilatérale et un FMI qui a commencé à fouiller dans les comptes publics, les pressions exercées par la France pour la démocratisation depuis le discours de La Baule, irritant beaucoup en Afrique du moins dans les sphères du pouvoir.

Pendant cette période des années 1980 et 1990, période de vaches maigres en Afrique et ceci tout particulièrement en zone franc qui, refusant l’ajustement monétaire, s’enfonça dans la crise. Les investisseurs français ont fortement diversifié leurs implantations et se sont tournés vers les pays anglophones (Nigéria, Afrique du Sud et Kenya) et lusophones en particulier l’Angola.

De leur côté, les gouvernements des pays francophones ont aussi fortement diversifié leurs partenaires commerciaux, financiers et diplomatiques. C’est l’époque où la 4×4 Toyota se substitue à la Peugeot. La Banque mondiale impose ses approches (cf. la guerre du coton entre coopération française et la Banque).

Et puis une série d’évènements ont sérieusement affecté la relation entre la France et l’Afrique francophone : je listerais la mort du président Houphouët Boigny en 1993, la dévaluation du franc CFA en 1994, mal comprise et vécue comme une trahison par les élites politiques africaines.

Puis la gestion désordonnée et chaotique par la France de la crise politique ivoirienne de 1997 à 2011. La France n’a pas réagi à l’effondrement en 1997 de la démocratie ivoirienne gangrénée par la corruption, face à une mutinerie de bas étage. Les gouvernements africains en ont conclu à juste titre que les clauses secrètes des accords de défense les protégeant de troubles intérieurs étaient désormais inopérantes.

Nous avons enfin, en 2004, l’évacuation de nos ressortissants d’Abidjan en proie à un véritable pogrom organisé par les durs du pouvoir ivoirien. On peut dire que cette année-là, le système mis en place par Foccart est largement à terre, et la mort en 2009 du président Bongo lui porte le coup de grâce. D’autant que la grande période des comptes suisses et des paradis fiscaux est terminée.

Est-ce pour autant le signe d’un désengagement de la France en Afrique ?

Certainement pas. Les présidents Sarkozy, Hollande et Macron ont tous proclamé lors de leur investiture qu’ils allaient inaugurer une nouvelle politique africaine totalement dégagée des reliques de la Françafrique. Mais il faut bien noter de curieux alignements politiques. Ainsi, le parti socialiste soutenait le président Gbagbo de Côte d’Ivoire, alors que l’UMP soutenait son ennemi Ouattara. Au fait, qui soutenait qui ? En l’occurrence, Sarkozy a fait intervenir les hélicoptères de combat français pour mettre fin au refus de Gbagbo d’accepter sa défaite électorale en 2011.

Et puis la France est intervenue militairement au Mali en 2013 à la demande du gouvernement malien pour éviter un effondrement du pays et sa prise de contrôle par des groupes armés djihadistes. La rumeur veut que ce soit François Hollande qui ait poussé IBK à se présenter à l’élection présidentielle au Mali en 2013 avec le soutien de la France.

Mauvaise pioche à l’évidence. Un chef d’État incapable et corrompu que nous avons soutenu et financé pendant 7 ans et qui vient de se faire dégager par ses militaires dans un coup d’État qu’aucun des responsables français n’avait vu venir. Nos « services » ont-ils perdu la main ? Ou ont-ils évité de passer l’information à nos politiques ?

Nous avons aujourd’hui plus de 5000 hommes ensablés au Sahel dans une opération Barkhane qui ne peut empêcher l’extension de l’insécurité dans toute cette zone. Où va la relation privilégiée franco-africaine alors que des foules au Mali, chauffées par des gens qui nous veulent du bien, s’en vont brûler le drapeau français devant notre ambassade en appelant les Russes à la rescousse ?

Un prix Nobel de la paix anti-Trump ?

Fri, 09/10/2020 - 16:57

Le prix Nobel de la paix vient d’être décerné au programme alimentaire mondial des Nations Unies, un signal fort en soutien aux organisations multilatéralistes, pourtant vivement critiquées par l’administration Trump. Un prix Nobel qui se révèle être, une fois encore, éminemment politique. Pascal Boniface est le directeur de l’IRIS, retrouvez ses articles et toutes ses actualités sur son blog, sa page Mediapart et sur le site de l’IRIS.

En attendant Hitchens

Fri, 09/10/2020 - 15:35

« C’est dingue ! C’est tout simplement irresponsable ! », a hurlé, fou de rage, Harald Schmidt, professeur adjoint d’éthique médicale et de politique de la santé à l’Université de Pennsylvanie, devant des médias qui l’interrogeaient lundi 5 octobre au soir après les dernières déclarations de Donald Trump.

Les experts en santé publique avaient espéré que le Donald, enfin conscient de la gravité de la pandémie de Covid-19 suite à sa propre infection et à celle de plusieurs de ses proches, allait finalement expliquer à ses aficionados que le port de masques et la distanciation sociale étaient essentiels pour se protéger eux-mêmes et leur famille.

Mais au lieu de cela, tweetant lundi après-midi depuis l’hôpital militaire où il recevait un traitement de pointe, le président américain a une fois de plus minimisé la menace mortelle du virus. « N’ayez pas peur du Covid », a-t-il écrit. « Ne le laissez pas dominer votre vie. »

Lorsqu’il est arrivé à la Maison-Blanche quelques heures plus tard, Trump a ostensiblement enlevé son masque avant de rejoindre plusieurs personnes présentes dans son bureau. Et cela bien qu’il se sache encore contagieux…

Le Dr William Schaffner, spécialiste des maladies infectieuses à la Vanderbilt University Medical School, a qualifié le message du président de « criminel » car il encourage ses adeptes à ignorer les recommandations de base pour se protéger. « Cela va conduire à un comportement encore plus décontracté, ce qui va entraîner une plus grande transmission du virus, et donc plus de décès. »

Et c’est sans parler ici, de la sortie – surprise – en voiture du Donald, dimanche après-midi, afin de saluer pendant quelques minutes ses fans agglutinés devant les portes de l’hôpital.

Sortie qui a obligé un chauffeur et des membres des services secrets à se retrouver, peut-être au péril de leur vie, enfermés dans un véhicule avec un malade du Covid-19 ! Et cela sans aucune raison. Juste pour satisfaire le caprice d’un Ubu roi lancé dans une course en avant qui conduit une Amérique en pleine crise sanitaire, financière, sociale et politique au bord de l’abîme !

210 240 MORTS AUX ÉTATS-UNIS À L’HEURE OÙ J’ÉCRIS CES LIGNES. PLUS QUE LE NOMBRE COMBINÉ DES VICTIMES AMÉRICAINES DE LA PREMIÈRE GUERRE MONDIALE ET DE LA GUERRE DU VIÊT-NAM …

Un nombre qui selon les experts aurait pu facilement être réduit de plus de moitié si Trump avait agi depuis le printemps en chef d’État lucide et responsable et non en candidat à la présidentiel obsédé par sa réélection au point d’en perdre tout sens moral.

Comment donc s’étonner de l’entendre déclarer aujourd’hui que le virus n’est rien de moins qu’un petit rhume dont il ne faut guère se préoccuper. Il y a une logique dans cet esprit que certains commentateurs disent « pour le moins troublé ». Il sait que l’élection du 3 novembre va se jouer en fonction du nombre de personnes qui se déplaceront aux urnes. Il sait qu’avec ce début de seconde vague qui voit New York et plusieurs villes du pays se reconfiner, de très nombreux démocrates décideront au dernier moment de rester chez eux. Majoritairement impopulaire dans le pays, il sait que sa seule chance est que ceux qu’Hillary Clinton appelait « les déplorables » aillent voter en masse !

Alors, surtout ne pas mettre dans la tête de ces derniers qu’ils risquent quelque chose ! Qu’ils se rendent aux bureaux de vote, peu importe ce qui leur arrivera ensuite ! Être réélu est tout ce qui importe, oui, et à n’importe quel prix !

Le pire, c’est que ça peut marcher.

Interrogé mardi soir devant la Maison-Blanche ou il brandissait une pancarte Keep America Great -sic-, Dany, un red neck, très fier de ne pas porter de masque même dans les magasins, a déclaré : « Pourquoi j’aurais peur de cette maladie ? Si j’l’attrape, j’ai 99% de chance de ne pas en mourir ! Regardez notre président ! »

Sure, Dany. Et je suis d’ailleurs certain que si vous tombez malade, vous aurez droit aux mêmes soins et à la même équipe médicale que votre cher président.

Naguère, le très regretté Christopher Hitchens avait publié un ouvrage intitulé Les crimes de Monsieur Kissinger. Indiscutablement, un tel livre reste à écrire sur Trump.

 

______________________________________

Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.

J’ai lu… Voulons-nous (sérieusement) changer le monde ? de Bertrand Badré

Fri, 09/10/2020 - 12:09

Le point de vue de Pascal Boniface sur l’ouvrage du financier Bertrand Badré, dans lequel il expose, grâce aux leçons qu’il tire de la crise de 2008 et de la crise actuelle, ses solutions pour faire évoluer le monde de la finance et bâtir une économie fondée sur le développement durable et la prise en compte de l’humain, grâce à une vision de long terme.

Le genre s’est-il imposé dans l’agenda politique international ?

Fri, 02/10/2020 - 15:52

Rokhaya Diallo est journaliste, auteure et réalisatrice travaillant en faveur de l’égalité raciale, de genre et religieuse. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes, organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 25 et 26 septembre 2020 :

– Pourquoi le genre est-il une perspective éclairante pour aborder les questions de géopolitique ?

– Que serait un féminisme universel ?

– Quel regard portez-vous sur le mouvement #MeToo et ses effets sur le droit des femmes ?

Iran : la république islamique en péril ?

Thu, 01/10/2020 - 12:43

Azadeh Kian est professeure de sociologie et directrice du département du CEDREF de l’Université de Paris Diderot. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes, organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 25 et 26 septembre 2020 :

– Quels sont les effets politiques et économiques des sanctions américaines suite au retrait des États-Unis du P5+1 ?

– Nous avons assisté l’année dernière à une escalade rapide et violente des tensions entre les États-Unis et l’Iran. Peut-on craindre un affrontement militaire direct ?

– Quelle est, face au Covid-19, la situation sanitaire dans le pays ?

Afrique-France ou Françafrique ?

Wed, 30/09/2020 - 18:39

Francis Laloupo est enseignant en relations internationales à l’Institut pratique de journalisme de l’Université Paris-Dauphine et essayiste. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes, organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 25 et 26 septembre 2020 :
– Qu’est-ce que le concept Françafrique ? À quels types de pratiques renvoit-il ?
– Comment cela se matérialise-t-il plus concrètement aujourd’hui ?
– Comment réinventer le narratif France-Afrique ? Est-ce possible ?

L’Amérique latine et soixante-quinze ans de Nations Unies en nuit américaine

Wed, 30/09/2020 - 15:58

Les Amériques latines, leurs gouvernants, ont participé le 22 septembre dernier au rendez-vous annuel des Nations unies. Rendez-vous cette année bien particulier. L’Onu fêtait son 75e anniversaire. Sans éclat. Le coronavirus a forcé la main des chefs d’État contraints à une présence virtuelle. Risque de contagion, agendas nationaux perturbés par la maladie et ses séquelles économiques et sociales, obligent. Sans oublier le fond de l’air, local et international, bien perturbé.

Tout en effet contraignait les uns et les autres, à rester chez eux. Tous sont en effet enlisés par l’équation bien difficile posée par la Covid-19. La nécessité d’arbitrer entre la protection immédiate de la santé de leurs concitoyens, et celle de protéger leur survie alimentaire. La voie moyenne et zigzagante, suivie par la plupart n’a pas jusqu’ici fait preuve de sa pertinence. L’épidémie résiste. Le Brésil, et ses 130 000 morts au 20 septembre, le Mexique avec plus de 75 000 victimes à la même date, sont deux des pays les plus affectés dans le monde. Chili, Colombie, Équateur, Pérou ont perdu pied. L’Argentine qui, quasiment seule, avait résolument choisi de préserver la vie, est pourtant elle aussi aujourd’hui sérieusement touchée.

La pandémie a en parallèle violemment secoué les économies et les sociétés. BID, FMI, OCDE, parmi d’autres institutions de prévision, ont ces dernières semaines annoncé des PIB latino-américains en capilotade. 2019 devrait être une année en négatif. Un minimum moyen de moins 10 %. L’OIT (Organisation internationale du travail) vient d’en tirer les retombées sociales. La région après avoir perdu, 9 millions d’emplois au premier trimestre 2020, 80 au deuxième trimestre, devrait encore en ajouter 60 au troisième. Avec comme conséquence, analysée par la CEPAL (Commission Économique des Nations-unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe) un fort accroissement des personnes en situation de pauvreté, qui passeraient passer de 185,5 millions en 2019 à 230,9, soit 37,3 % de la population.

Tout cela sur un fond d’air politique cyclonique. La région, déjà en situation économique difficile, est agitée de mouvements politiques et sociaux rugueux. Les contradictions catégorielles opposant riches, et moins riches, aux pauvres et aux plus démunis, ont été à l’origine d’alternances brutales, de quasi-coups d’états, d’Argentine au Mexique en passant par la Bolivie, le Brésil et le Pérou. Des mouvements populaires puissants ont agité et agitent toujours, Chili, Colombie, Équateur. La violence politique, la violence policière, la violence délinquante accompagnent cette conjoncture politique et épidémiologique. C’est dans ce contexte que les Chiliens sont appelés à décider de leur avenir par référendum, le 25 octobre, les Boliviens et les Vénézuéliens à élire un président et un parlement les 18 octobre et 6 décembre. Suivis par les Équatoriens le 7 février 2021.

Comme si cela ne suffisait pas l’approche des présidentielles aux États-Unis a accentué les pressions de Donald Trump sur la région. Pressions visant à écarter le concurrent chinois, à réduire les importations latino-américaines, à tarir les flux migratoires, à couper les routes d’acheminement de stupéfiants, à donner satisfaction aux électeurs nord-américains d’origine cubaine. En quelques mois Donald Trump a bousculé le voisin mexicain, contraint de déployer des troupes sur la frontière nord et d’accepter une révision de l’ALENA (Accord de libre échange nord américain), tiré les oreilles de « l’ami » colombien, prié d’oublier l’accord de paix avec les FARC pour se concentrer sur la lutte contre le narcotrafic, étouffé financièrement le Venezuela, considéré comme une sorte de porte-avion chinois en Amérique du sud, réactivé le blocus de Cuba. Et afin que chacun fasse ses devoirs, les institutions multilatérales régionales sont tombées en domino tout au long de 2020 dans l’escarcelle de Washington : OEA (Organisation des Etats Américains), BID (Banque Interaméricaine de développement, CIDH (Commission Interaméricaine des Droits de l’Homme)

Dans le message qu’il a adressé à l’ONU, le 22 septembre, consacré à la Chine pour l’essentiel, Donald Trump a malgré tout salué ses bons élèves latino-américains, le Mexique, le Guatemala, le Honduras et le Salvador, « pour leur partenariat historique dans la lutte contre les trafics humains » et tancé les résistants, Cuba, Nicaragua et Venezuela. Ballotés par les évènements les discours vidéo des gouvernants latino-américains ont reflété l’instabilité et la fébrilité du moment. Certains ont cherché à en appeler à des alliés hors zone. L’Argentin Alberto Fernández, a invoqué le Pape François, son homologue équatorien, Lenin Moreno, a remercié la Banque mondiale, le FMI et l’OMS. D’autres ont évoqué les valeurs qui inspirent leur politique. Le brésilien Jair Bolsonaro a indiqué que « le Brésil était un pays chrétien et conservateur, ayant pour fondement la famille ». Le Mexicain, AMLO, Andres Manuel López Obrador, a placé son intervention sous les auspices de grandes figures historiques, Miguel Hidalgo, Benito Juarez, Benito Mussolini, Flores Magon, Francisco Madero, Emiliano Zapata. Tous ont saisi cette tribune exceptionnelle pour défendre leur bilan. Le chilien Sebastian Piñera s’est assez longuement exprimé sur la crise démocratique traversée par son pays. Le brésilien Jair Bolsonaro, s’est efforcé de répondre aux critiques internationales sur sa gestion de la nature et des forêts, en attaquant son voisin vénézuélien. AMLO a centré son propos sur son projet de Quatrième transformation du Mexique. Nicolas Maduro a vanté les résultats de vingt ans de politique bolivarienne. La plupart ont parlé agenda 2030 et développement durable. Ivan Duque, le Colombien, a centré son intervention sur la biodiversité. Alberto Fernandez, l’Argentin, Lenin Moreno, l’Équatorien, ont parlé de la Covid-19 et des mesures sanitaires et sociales adoptées par leurs pays.

A l’exception de Jair Bolsonaro qui a fait l’éloge de la diplomatie des États-Unis, les uns et les autres ont signalé leur attachement au multilatéralisme, une inquiétude partagée sur le détricotage des amortisseurs construits par la société internationale depuis la création des Nations unies.

La pistache, outil de puissance américain face à l’Iran

Wed, 30/09/2020 - 15:53

Incontournable dans les apéritifs ou les instants de snacking, la pistache mérite bien plus qu’une poignée de main addictive et un grignotage indifférent. On la croit banale, on vante parfois ses vertus nutritionnelles, elle est surtout le miroir grossissant d’une géopolitique de l’agriculture sur nos tables.

Plantons le décor. Si la consommation de pistache s’est globalisée, la production, en revanche, reste hyper-polarisée. Deux pays dominent : les Etats-Unis et l’Iran. Ils réalisent 70 % de la production mondiale qui s’élève entre 650 000 et 800 000 tonnes (soit le double par rapport à la fin des années 2000, sachant que 100 000 tonnes seulement étaient récoltées au début des années 1990). De ce duo productif (45 % pour les États-Unis, 25 % pour l’Iran) dépend donc le marché mondial, sachant que la Turquie et la Syrie suivent très loin derrière.

Les échanges mondiaux de pistaches (300 000 à 400 000 tonnes par an en moyenne depuis dix ans) représentent un business de 2,5 à 3 milliards de dollars. Quand nous trinquons à l’apéro et que les pistaches accompagnent ces moments de détente, nous contribuons donc à la santé des économies agricoles américaine et iranienne. Un couple pistachier qui n’en est pas un sur le terrain…

Pages