(B2) Entre l’Italie et la France, sur la Libye, inutile de le préciser qu’il y a parfois de la friture sur la ligne. L’un des objectifs de la réunion des ministres des Affaires étrangères d’aujourd’hui à Luxembourg était surtout, sous couvert de répéter un message qui peut paraitre assez convenu — soutenir le processus de paix en Libye et l’envoyé spécial de l’ONU — de faire la ‘paix’ entre les frères ennemis européens. Un message prononcé en absence de tout représentant ministériel français (cf. encadré). Retour sur une ‘petite’ défaite de la diplomatie Macron.
Poignée de main bien serrée entre J.-Y. Le Drian et E. Moavero Milanesi et sourires un peu crispés entre les deux chefs de diplomatie français et italien – à New York en marge de la 73e assemblée générale de l’ONU (crédit : Diplomatie française, Martin Loper)
La tentative d’OPA sur la réconciliation libyenne de Paris
Paris, avec quelque talent, était parvenu en mai dernier à prendre une tête d’avance et ‘piquer’ le leadership historique de l’Italie sur le sujet. En organisant une conférence réunissant les quatre principaux acteurs libyens, en annonçant une date pour les élections générales avant la fin de l’année, l’Elysée avait marqué un coup (Lire : Des élections prévues le 10 décembre en Libye. Accord historique obtenu à Paris) et, au passage, provoqué une sérieuse ire du voisin italien, furieux qu’on marche sur ses platebandes libyennes. Les diplomates transalpins — et d’autres également — taxaient l’initiative française de contreproductive et surtout d’illusoire.
La victoire à la Pyrhus
Las… le temps a montré qu’ils n’avaient pas tout à fait tort. Le compromis décroché par le président Emmanuel Macron et son ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian s’est écroulé comme le château de sable sur lequel il était fondé. La proclamation des élections en décembre semble aux yeux de la plupart des experts comme des diplomates européen inatteignable. « On en est loin » remarque l’un d’eux. Même les Français le reconnaissent, à mi-voix.
La défaite de la diplomatie ‘Macron’
La tentative française d’OPA sur le processus de la réconciliation libyenne a échoué. Chacun mise désormais sur la conférence organisée à Palerme par les Italiens en novembre pour remettre la Libye sur le droit chemin de la réconciliation. Les Européens ont ainsi tous aujourd’hui soutenu le processus de Palerme, avec Federica Mogherini a leur tête. Très peu ont parlé de la conférence de Paris. La France a subi une défaite qui, pour être, discrète est cuisante.
(Nicolas Gros-Verheyde)
Rome et Paris promettent de ‘travailler ensemble’
Le ministre français Jean-Yves Le Drian n’était pas présent à Luxembourg, au conseil des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne, même s’il avait annoncé sa venue. D’autres occupations devaient sans doute le retenir à Paris. Mais dimanche à Rome, profitant du déplacement pour la canonisation du pape Paul VI, où il représentait le gouvernement d’Edouard Philippe, il a rencontré son homologue Enzo Moavero Milanesi, histoire de sceller un minimum de réconciliation. Les deux ministres ont tenu à « souligner l’interaction constante et fructueuse entre la France et l’Italie lors de la préparation de la conférence [de Palerme] et l’engagement de travailler ensemble afin de favoriser son issue constructive au service du processus de stabilisation de la Libye » selon le communiqué diffusé par la Farnesina.
(B2) Les dernières statistiques le prouvent, le flux migratoire s’est limité de façon drastique sur la route centrale vers l’Italie, qui n’est plus aujourd’hui le point majeur d’arrivée.
En 2017 la plupart des migrants (114.542, 67%) prenaient la route centrale vers l’Italie, avec des risques importants (2831 morts selon une évaluation de l’OIM, soit un taux de 2,5%). 28.848 personnes (17%) passaient par la voie Est vers la Grèce et les Balkans, 27.253 personnes (16%) par la voie Ouest vers l’Espagne.
En 2018, la situation a complètement changé, la route Ouest vers l’Espagne concentre la majorité des migrants (42.470 personnes, 51% des migrations). La route ‘Est’ par la Grèce et les Balkans (24.537 personnes, 28%) est la seconde voie. La voie centrale vers l’Italie reste plus minoritaire aujourd’hui (18.322 personnes, 21%), qui a ainsi retrouvé un rythme similaire à celui d’avant la crise de 2015-2016. Cette route reste cependant très risquée avec un taux de mortalité à presque 7% (1260 morts au 5 octobre selon une estimation de l’OIM).
Le fait nouveau est le flux important de personnes qui viennent de Tunisie, et non plus de Libye. Environ 4819 personnes — essentiellement des Tunisiens (91%) qui fuient leur pays — se dirigent vers les deux principales iles italiennes de Méditerranée la Sardaigne et la Sicile.
Une route qui reste la plus mortelle également avec une estimation à 1260 morts (source OIM)
(NGV)
(B2) On l’oublie bien souvent mais la construction européenne n’est pas faite que de plans d’actions, de déclarations, de réglementations et de conclusions de sommets. Il y a aussi la puissance et le relationnel des hommes. Si on observe la direction européenne actuelle, on peut être frappé par l’existence d’un groupe d’hommes et de femmes — un quintet — qui, malgré certaines nuances, partage une même volonté d’avancer sur les questions de défense européenne.
Michel Barnier et Antonio Tajani se retrouvent au Parlement européen, juillet 2017 (crédit : PE)
Un quintet à la tête des institutions européennes
A la présidence de la Commission européenne, on a Jean-Claude Juncker (PPE), qui est depuis des années un chantre de la défense européenne. Une conviction qui ne l’a pas abandonnée et que cet ancien Premier ministre luxembourgeois porte depuis des années, depuis le traité de Maastricht mais plus particulièrement depuis le début des années 2000 (lire aussi : L’Europe est capable de nous surprendre (Juncker)).
En charge de la négociation du Brexit, et un des personnages sans doute les plus connus au-delà des frontières, il y a Michel Barnier (PPE) qui était président du groupe de travail ‘défense’ et un des deux représentants de la Commission européenne à la Convention (avec Antonio Vitorino) qui a préparé à la Constitution européenne en 2002-2003. Il a ensuite été commissaire chargé du Marché intérieur en 2010-2014, met en œuvre le paquet défense de la commission précédente (axé sur le marché) mais surtout prépare une nouvelle communication qui pose les bases d’une évolution future de la défense (recherche de défense financée par l’Union européenne, capacités de protection civile, présence dans l’espace, etc.). Il devient ensuite ‘conseiller défense’ du président de la Commission Jean-Claude Juncker, avant de prendre en charge la négociation du Brexit. Autant dire un de ceux qui a le mieux suivi les différentes tentatives récentes pour faire de ce sujet une thématique européenne.
A la présidence du Parlement européen, on a l’Italien Antonio Tajani (PPE), qui était commissaire en charge de l’Entreprise et des Industries de 2010 à 2014, et le compère de Michel Barnier pour la communication de 2013 sur la Défense.
En charge de la diplomatie européenne et de la politique européenne de sécurité, l’Italienne Federica Mogherini, ancienne ministre des Affaires étrangères italienne, a été en charge de gérer la crise migratoire directement à Rome. Elle a assisté à une certaine absence de solidarité européenne, critique, et en a tiré pour l’avenir des leçons.
Idem pour le Grec Dimitris Avromopoulos, ministre de la Défense grec au moment de la crise migratoire, convaincu d’emblée d’une intégration plus profonde de l’Europe sur des questions de sécurité.
Une volonté de plusieurs Etats membres
Dans les États membres, aussi on retrouve toute une équipe de dirigeants parallèlement convaincus qu’il faut avancer sur ce plan de la défense européenne. Ils peuvent être très opposés au point de vue politique, soutenir ce projet pour des raisons différentes, mais ils se retrouvent sur ce principe. De Emmanuel Macron à Viktor Orban, en passant par l’Allemande Angela Merkel, l’Espagnol Pedro Sanchez, l’Estonien Jüri Ratas, le Finlandais Sauli Niinistö ou le Grec Alexis Tsipras, chacun est convaincu qu’il faut aller plus loin dans une certaine vision européenne de défense, de renforcement des capacités, voire (pour certains) d’une action plus efficace.
L’importance du facteur humain
On a ainsi un ‘contexte politique favorable’ qui explique pourquoi, outre toutes les autres raisons (le contexte américain, les menaces, le contexte intérieure), il y a certaines avancées aujourd’hui là où hier elles étaient moins sensibles. Ce facteur ‘humain’ est un point souvent oublié dans toutes les explications politiques, mais qu’il faut garder à l’esprit.
(Nicolas Gros-Verheyde)