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Updated: 4 days 5 hours ago

La Cour de justice européenne au secours des eurodéputés catalans

Sat, 12/21/2019 - 20:22

Toni Comin et Carles Puigdemont montrant, vendredi 20 décembre, leur carte de membre du Parlement européen Photo JQ

C’est une claque majeure pour l’Espagne, mais aussi pour le Parlement européen et la Commission qui se sont soigneusement alignés sur Madrid depuis le début de la crise catalane. Dans un arrêt de principe rendu en « grande chambre », sa formation la plus solennelle, la Cour de justice de l’Union européenne a décidé, jeudi, qu’Oriol Junqueras, ancien vice-président de la Généralité, condamné à 13 ans de prison pour « sédition » en octobre dernier, avait acquis la qualité de député européen dès la proclamation des résultats des élection et comme tel bénéficiait de l’immunités attachée à cette fonction. Une décision qui vaut pour Carles Puigdemont, l’ancien président de la Généralité, et Toni Comin, tous deux réfugiés en Belgique. En clair, les trois hommes vont pouvoir siéger à Strasbourg et seul le Parlement européen pourra autoriser des poursuites contre eux. « La justice est venue d’Europe. Nos droits et ceux des deux millions de citoyens qui nous ont votés ont été violés. Nullité de la sentence et liberté pour tous !», a immédiatement tweeté de sa prison Junqueras.

L’affaire est née le 1er juin dernier, lorsque le président sortant du Parlement européen, l’Italien Antonio Tajani, a décidé d’interdire l’accès du Parlement à Puigdemont et Comin qui venaient d’être triomphalement élu le 26 mai. Junqueras, lui, n’a pu se rendre à Bruxelles, puisqu’il se trouvait en détention provisoire depuis 18 mois... Les autorités parlementaires, soigneusement briefées par Madrid, ont argué que, selon le droit espagnol, un élu européen ne devenait député qu’après avoir prêté serment de fidélité à la Constitution espagnole devant la Commission électorale centrale de Madrid. Un argument défendable, mais qui n’a pas été opposé aux 51 élus espagnols non indépendantistes, du moins jusqu’à ce que les médias révèlent l’affaire. Embarrassé, le Parlement a alors suspendu la délivrance de nouveaux badges d’accréditation jusqu’à la décision finale de la commission électorale centrale.

Le 13 juin, celle-ci a proclamé les résultats et constaté que Junqueras, Puigdemont et Comin avaient été élus (ils avaient été déclarés éligibles par les tribunaux espagnols). Mais, aucun d’entre eux n’ayant été prêté serment à Madrid, et pour cause, le 20 juin, la commission centrale a décidé qu’ils n’avaient pas remplis une condition nécessaire à la confirmation de leur élection et déclarait vacant les trois sièges. La veille, la Cour Suprême espagnole avait refusé que Junqueras se rende, sous escorte policière, devant la Commission électorale centrale pour ce faire. Une décision pour le moins contradictoire avec celle qu’elle avait prise au mois d’avril quand elle avait autorisé le même Junqueras à se rendre aux Cortes sous escorte policière pour prêter serment après son élection comme député national. Mais elle savait alors que c’était sans risque puisque, dans la foulée, le bureau du Parlement espagnol s’est réuni pour lever son immunité parlementaire... Une procédure expéditive totalement impossible dans le cadre de l’immunité européenne, puisque sa levée doit être votée par l’ensemble des eurodéputés. On comprend donc la différence de traitement, puisque dès sa prestation de serment, Junqueras aurait dû être libéré...

Ce dernier a donc introduit un recours et la justice espagnole a saisi la Cour de justice européenne pour qu’elle précise la portée des immunités accordées aux membres du Parlement européen. Les juges de Luxembourg ont suivi mot pour mot les conclusions de l’avocat général polonais, Maciej Szpunar : « une personne qui est élue au Parlement européen acquiert la qualité de membre du Parlement du fait et du moment de la proclamation des résultats électoraux, de sorte qu’elle bénéficie des immunités garanties par l’article 9 du Protocole sur les privilèges et immunités ». La Cour précise qu’il aurait donc dû être relâché dès le 13 juin pour lui permettre de siéger à Bruxelles et à Strasbourg. En clair, l’Espagne, mais, et c’est sans doute plus grave, le Parlement européen et la Commission censée veiller au respect des traités, ont violé le droit européen.

L’effet de cet arrêt de principe va être immédiat pour Puigdemont et Comin qui se sont réfugié en Belgique : ils vont pouvoir siéger au Parlement. Surtout, la justice belge va suspendre l’instruction du mandat d’arrêt européen délivré contre eux par l’Espagne en octobre dernier en attendant que le Parlement européen décide d’une levée de l’immunité parlementaire. En attendant, ils pourront librement voyager dans le monde entier, y compris en Espagne, sans crainte d’être inquiétés. Pour Junqueras, condamné entre temps à une peine de 13 ans de prison, l’affaire s’annonce plus compliquée : son immunité aurait dû empêcher la tenue de son procès et sa condamnation, du moins tant que le Parlement européen n’avait pas décidé de la lever. Ce qui signifie que sa condamnation est illégale et qu’il devrait être libéré sur le champ : le président du Parlement européen, David Sassoli, a d’ailleurs appelé Madrid à « se conformer à la décision de la Cour de justice »… Les autorités espagnoles vont sans doute plaider le contraire, en faisant valoir qu’il n’est plus simplement en détention préventive, mais condamné. Or, une telle interprétation reviendrait à vider de son contenu l’immunité parlementaire dont il jouissait avant sa condamnation.

Au-delà de l’affaire catalane, cet arrêt pose un principe qui s’applique à tous : un Etat ne peut ajouter de conditions supplémentaires pour acquérir le statut de député européen autre que son élection. La Cour de justice, passant par-dessus les Etats, consolide ainsi le statut d’eurodéputé qui s’autonomise.

Categories: Union européenne

Commission: le temps des copains et des clans

Thu, 12/19/2019 - 16:43

L’Europe des copains et des coquins, suite (1). Alors que les Etats membres sont déterminés à tailler dans les dépenses administratives de l’Union, les institutions communautaires sont mises en coupe réglée par une camarilla qui récompense ses obligés à coups de promotions truquées et de salaires plantureux. Ce clientélisme sévit partout et en particulier au sein de la Commission.

Sécuriser

Ainsi, l’exécutif présidé par Jean-Claude Juncker, a promu de nombreux hommes liges de l’Allemand Martin Selmayr, l’ancien chef de cabinet du Luxembourgeois devenu secrétaire général de la Commission avant d’être poussé vers la porte de sortie en juillet. C’est notamment le cas de l’Allemand Michael Hager, chef de cabinet du commissaire allemand sortant Gunther Oettinger. Cet AD12 (un grade de la fonction publique européenne) voulait sécuriser son grade d’AD14 lié à sa fonction.

Le 15 mai, un poste de directeur de grade AD14 à la direction générale Energie a été ouvert. Quelque 119 candidats se sont présentés, dont Hager. Et devinez qui l’a obtenu ? Le 30 octobre, Hager est donc officiellement nommé directeur par la commission Juncker, un poste qu’il n’occupe pas puisque le 2 décembre, Ursula von der Leyen l’impose au vice-président «exécutif», chargé des questions économiques et financières, le Letton Valdis Dombrovskis. Et bonne nouvelle, les chefs de cabinet des trois vice-présidents «exécutifs» ont obtenu le grade temporaire AD15 et non AD14 comme c’était le cas jusque-là, soit le même que celui du patron du cabinet de la présidente, l’Allemand Bjoern Seibert.

Normalement, pour sécuriser son grade d’AD14, Hager aurait dû faire un stage de neuf mois à la DG Energie, mais il en a été dispensé. Grâce à cette manœuvre, il a pu ainsi accélérer sa carrière : normalement passer d’AD12 à AD14 prend entre six et dix ans (avec un bond salarial mensuel de 12600 euros à 16200)… Il n’est pas le seul à avoir bénéficié de cette procédure pour le moins suspecte : «Si aucun Français n’est parmi les promus de Selmayr, on note que la moitié d’entre eux sont des Allemands de la CDU-CSU», souligne un eurocrate de haut niveau

Ascenseur

Ces promotions express ne sont pas une nouveauté. Selmayr, lui-même, est le maître en matière de contournement du statut de la fonction publique européenne. Entré en 2004 à la Commission au grade AD6, grade de base, il est promu, alors qu’il est le porte-parole de la commissaire luxembourgeoise Viviane Reding, au grade AD7 en 2007. Puis tous les deux ans, il grimpe d’un grade. Un exploit, car deux ans, c’est le minimum requis et il n’existe pas de précédent d’un tel parcours.

En 2014, alors qu’il est AD10, il s’offre un ascenseur express, comme celui dont a bénéficié Hager : un concours externe est ouvert pour un poste de conseiller principal (AD14) à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd), une fonction qui dépend du Finlandais Olli Rehn, commissaire chargé des questions économiques et monétaires. En tout, 91 candidats et Selmayr le réussit, bien sûr, ce qui lui permet de sauter quatre grades…

Au même moment, Viviane Reding nomme le chef de cabinet de Rehn, Timo Pesonen, directeur général adjoint à la communication, la matière faisant partie de son portefeuille… Selmayr, devenu chef de cabinet de Juncker, veillera à le promouvoir directeur général en juillet 2015. La ligne n’est pas rompue puisque la Commission Von der Leyen vient de le nommer patron de la nouvelle DG Espace et Défense qui dépend du Français Thierry Breton… «Les procédures de recrutement sont désormais tellement vérolées qu’il est impossible de faire carrière si on n’appartient pas à un clan», se désole un eurocrate qui a quitté la Commission.

(1) En 1971, Michel Poniatowski, proche de Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des Finances, dénonce «la République des copains et des coquins», celle de «l’Etat UDR», après le scandale de la Garantie foncière.

Photo: commission européenne

Categories: Union européenne

BCE: à Coeuré ouvert

Mon, 12/16/2019 - 21:25

Membre du directoire de la Banque centrale européenne (BCE) depuis janvier 2012,le Français Benoit Coeuré, 50 ans, termine son mandat le 31 décembre (1). Il m’a accordé son premier entretien dans les médias et il a accepté de me donner sa dernière interview. Il quitte Francfort alors qu’une véritable guerre civile a éclatéle 13 septembre dernier au sein de l’institut d’émission, les « faucons » (Allemagne, Autriche, Pays-Bas) ne digérant pas la réactivation du « quantitative easing » européen et le maintien de la politique des taux zéro voire négatifs. La membre allemande du directoire, Sabine Lautenschläger, a d’ailleurs claqué la porte de la BCE le 25 septembre. Benoit Coeuré s’explique sur cette crise et analyse les huit dernières années qui ont vu la liquidation de l’héritage de la Bundesbank, la banque centrale allemande.

La version anglaise est ici: https://www.ecb.europa.eu/press/inter/date/2019/html/ecb.in191216_1~bb222205e4.en.html

Les divergences au sein de la BCE s’étalent désormais au grand jour. Que s’est-il passé ?

En septembre, la zone euro était confrontée, de nouveau, à un risque de ralentissement et à une inflation encore trop éloignée de notre objectif de 2 %. Ce diagnostic était partagé par tout le Conseil des gouverneurs : le débat n’a d’ailleurs pas porté sur la nécessité d’agir, mais sur le choix des instruments. Une partie d’entre nous doutait que la relance des achats de titres de dette soit l’instrument le plus adapté, puisque les taux d’intérêt à long terme n’avaient jamais été aussi bas. Il est normal que les points de vue soient différents, mais une fois que l’on a décidé, on assume et on avance. C’est d’ailleurs l’une des grandes qualités de la BCE qui est capable de prendre des décisions à la majorité simple, ce qui la rend plus réactive que les autres institutions européennes. Tout le monde n’a pas à être d’accord, même si c’est mieux quand c’est le cas, car cela donne plus de force à la décision.

Un débat technique qui a néanmoins abouti à un affrontement ouvert et violent…

La démission de Sabine est liée à un ensemble de considérations personnelles qu’elle seule peut commenter. Un autre sujet est celui de la communication : j’estime qu’une fois que l’institution a tranché, quel que soit son avis personnel, il faut défendre la décision prise. Il en irait différemment si les votes étaient publics, ce que j’ai toujours souhaité : chacun devrait assumer son vote et expliquer en quoi il est dans l’intérêt de la zone euro, car les gouverneurs de banque centrale nationale siègent à Francfort à titre personnel et pour défendre l’intérêt collectif et non pas seulement celui de leur pays.

Depuis le début de la crise de la zone euro, en 2010, la Bundesbank vote systématiquement contre les décisions de la BCE, les critique publiquement, voire se joint à des actions judiciaires contre elle…

La quasi-unanimité du conseil des gouverneurs a considéré que les mesures prises pendant la crise étaient à la fois nécessaires et dans le mandat de la BCE. Je pense en particulier aux Opérations monétaires sur titre (OMT) décidées en septembre 2012 pour protéger la zone euro de la spéculation qui aurait pu pousser certains pays à la quitter. Cela a été accepté à l’unanimité moins une voix, celle du président de la Bundesbank qui considérait que cette opération franchissait la ligne séparant la politique monétaire de la politique budgétaire puisqu’il s’agissait de soutenir le marché obligataire d’un État membre de la zone euro attaqué par les marchés. Ce n’était pas l’avis du Conseil des gouverneurs qui a passé tout l’été 2012 à s’assurer que cette limite ne serait pas franchie : nous avons donc conditionné notre intervention à l’activation d’un programme d’ajustement du Mécanisme européen de stabilité (MES). C’est essentiel, car ainsi ce n’est pas la BCE qui réforme l’économie ou remet sur pied les finances publiques du pays qui demande de l’aide : il le fait lui-même dans le cadre d’un programme négocié avec le MES. Et ensuite la BCE peut fournir la liquidité qui permet de stabiliser le marché obligataire. La Cour européenne de justice nous a d’ailleurs donné raison.

On semble assister à un vrai clash idéologique droite-gauche au sein de la BCE, puisque votre politique des taux zéro aboutit à « euthanasier les rentiers », comme l’on disait au XIXe siècle, c’est-à-dire les épargnants et les retraités, d’où les hurlements allemands ou néerlandais, au profit des travailleurs, c’est-à-dire de la croissance.

C’est une opposition artificielle. L’un de mes regrets est que l’on n’ait pas réussi à convaincre l’opinion publique allemande du bien-fondé de notre politique. Car, d’une part, la politique monétaire agit toujours et partout sur l’équilibre entre l’épargne et la consommation via les taux d’intérêt. Si elle ne le faisait pas, elle ne servirait à rien ! Et d’autre part, dans une période où le chômage monte en flèche, la croissance ralentit ou la déflation menace, comme en 2012 et en 2014, il est normal que la BCE soit du côté de l’emploi. Je n’ai aucun état d’âme là-dessus, cela fait partie de notre mandat : sans la croissance et l’emploi, il n’y a pas de stabilité des prix. Notre politique est dans l’intérêt de la zone euro dans son ensemble et donc de l’Allemagne, c’est aussi simple que ça. A partir du moment où l’on a un marché et une monnaie uniques, cela ne sert à rien d’opposer artificiellement les intérêts des différents pays puisqu’on est tous dans le même bateau…

Votre politique a aussi fragilisé les banques qui ont vu leur marge se réduire au point que certaines d’entre elles n’hésitent plus à faire payer les dépôts.

D’une part, ce n’est pas à cause de la BCE que les taux d’intérêt sont bas : si nous avons dû baisser nos « taux directeurs » (par exemple le taux auquel les dépôts des banques à la BCE sont rémunérés) à des niveaux très bas voire négatifs, c’est parce qu’il y a un excès d’épargne dans l’économie : le taux d’intérêt naturel a baissé sous l’effet d’une faible croissance, du vieillissement de la population et d’une forme d’anxiété dans l’économie mondiale qui s’est traduite par une demande d’actifs très sûrs comme les obligations d’État. Or pour que la politique monétaire fonctionne, et stimule l’économie, il faut que le taux d’intérêt fixé par la banque centrale soit en dessous de ce taux naturel. Si on veut recréer un rendement de l’épargne et des conditions qui soutiennent le secteur financier, il ne sert à rien de critiquer la banque centrale. Il faut agir sur les fondamentaux et ainsi accroître le rendement du capital, ce qui fera naturellement remonter les taux d’intérêt et la banque centrale pourra suivre. D’autre part, il est exact que le fait que la courbe des taux d’intérêt soit plate, c’est-à-dire que les taux d’intérêt sont bas à toutes les échéances de maturité, pèse sur le secteur financier. En effet la différence entre le rendement de l’épargne à long terme et le coût de la ressource à court terme est aujourd’hui quasiment nulle. Mais ce qui pèse encore plus sur la profitabilité des banques européennes, c’est qu’elles ont une base de coûts beaucoup plus élevés qu’aux États-Unis, au Japon, au Royaume-Uni ou dans les pays scandinaves, que dans certains pays, elles ont dans leur bilan des créances douteuses qui ne rapportent plus rien. Enfin, il y a trop de banques en Europe et la consolidation n’a pas commencé.

Il faut donc moins de banques dans la zone euro ?

L’Union bancaire n’a pas encore permis une consolidation du secteur. Les fusions de banques devront être transfrontalières et il faudra aussi lever un certain nombre de barrières à l’activité bancaire. Mais l’union bancaire a rempli un rôle utile en stabilisant un secteur qui est beaucoup plus robuste qu’en 2012, puisque la BCE a pris le contrôle de la supervision bancaire et a renforcé les exigences en capital et en liquidités. Il faut bien voir que l’un des grands acquis des huit dernières années, c’est qu’on a diminué l’influence du lobby bancaire : l’union bancaire a mis fin au ménage à trois infernal dans chaque pays entre des grandes banques, le régulateur, c’est-à-dire le ministère des Finances, et le superviseur, en général la banque centrale nationale. Nous avons créé de la distance entre le secteur bancaire et le superviseur, ce qui est une bonne chose pour le citoyen européen.

Un autre effet de votre politique monétaire est de créer les conditions d’une nouvelle bulle immobilière, l’épargne ne rapportant plus rien.

Le risque est là, mais on n’y est pas encore. Il y a des tensions locales, mais rien qui impacte l’ensemble de la zone euro et la prevention des risques doit commencer au niveau national : quand le prix de l’immobilier monte en flèche dans une ville, est-ce un problème de crédit immobilier ou de plan d’occupation des sols ? Dans ce dernier cas, cela n’est franchement pas du ressort de la BCE. Les institutions financières sont fondamentalement plus solides qu’en 2008, car elles sont mieux capitalisées et elles doivent respecter des règles plus strictes, notamment dans la manière dont elles mesurent leurs risques. Par exemple, Bâle III a instauré une limite à l’utilisation des modèles internes des banques : jusque-là, elles pouvaient calculer elles-mêmes les risques qu’elles prenaient, ce qui les rendait trop confiantes. Cela étant, si on reste dans cette situation de taux bas pour longtemps, les risques de bulles immobilières vont naturellement augmenter. Je souhaite que la BCE développe une approche qui permette de mieux comparer les bénéfices pour l’économie réelle des taux bas et les risques créés à travers le secteur financier. On ne sait pas aujourd’hui à partir de quand les risques l’emporteront sur les avantages.

Ne faut-il pas aussi renforcer les règles que les banques doivent respecter avant d’accorder un prêt ?

Les instruments macroprudentiels permettent de renforcer les obligations en capital des banques et les conditions qu’elles exigent des emprunteurs si l’on pense qu’il existe un problème de stabilité financière. Cela se fait au niveau national : par exemple en France, le Haut conseil de stabilité financière présidé par le ministre des Finances a pris des mesures pour les crédits accordés aux grandes entreprises et pour les crédits immobiliers. Si la BCE considère qu’un pays n’en fait pas assez, elle peut prendre les choses en main : le Conseil européen du risque systémique identifie les risques, peut envoyer des recommandations à un pays et si la BCE considère que ce n’est pas suffisant, elle peut prendre le contrôle et rajouter des obligations au niveau européen, ce qui n’a jamais été fait jusqu’ici. Là où les instruments n’existent pas et c’est un souci, c’est pour les activités non bancaires. Or, depuis la crise financière, il y a eu un basculement vers le non bancaire, les banques ayant réduit leur bilan, alors que les fonds d’investissement, les fonds monétaires, les gestionnaires d’actifs continuent à grossir et de facto financent l’économie. Ainsi, quand un fonds d’investissement achète un portefeuille de prêts à une banque, il se retrouve créancier des entreprises ou des ménages. Or c’est un secteur beaucoup moins surveillé et où il y a moins d’instruments prudentiels. Le grand chantier des prochaines années sera de développer une approche macroprudentielle pour les activités non bancaires afin que l’on puisse durcir en cas de besoin les conditions de crédit.

Entre le moment où vous êtes arrivé à la BCE, en janvier 2012, et aujourd’hui, l’institution s’est profondément transformée : avant, c’était plutôt la Bundesbank et aujourd’hui elle se comporte plutôt comme la Réserve fédérale américaine.

La situation de crise existentielle, d’abord à l’été 2012 avec l’Espagne et l’Italie, puis à l’été 2015 avec la Grèce, et l’action d’un homme, Mario Draghi, qui a présidé la BCE jusqu’en novembre dernier, nous ont donné la maturité nécessaire pour utiliser pleinement les instruments que nous donnaient les traités. Est-on pour autant devenus l’équivalent de la Réserve fédérale ? À certain égard oui, puisqu’on s’est doté d’une boîte à outils complète pour soutenir l’économie de la zone euro par tout temps, avec des instruments comme l’assouplissement quantitatif inspiré du modèle américain, et une capacité d’intervenir sur les marchés. Mais il y a des différences essentielles. D’une part, on n’a pas le même mandat : celui de la Fed est dual et met sur le même plan la stabilité des prix et le plein emploi alors que la BCE a un mandat qui donne priorité à la stabilité des prix. D’autre part, on n’a pas les mêmes marchés financiers : les États-Unis ont des marchés obligataires très profonds et liquides ce qui donne à la Fed une capacité d’intervention quasiment illimitée. En Europe, on n’a pas d’union des marchés de capitaux, les marchés obligataires sont fragmentés entre 19 pays, ce qui limite la capacité de la politique monétaire.

Êtes-vous fier de l’œuvre accomplie ?

J’ai trois motifs de fierté. D’abord le discours de Mario Draghi de juillet 2012 lorsqu’il a déclaré que la BCE ferait tout ce qui est nécessaire pour sauver l’euro dans le cadre de son mandat et la création des OMT, qui en sont la manifestation concrète et qui ont permis de maintenir l’intégrité de la zone euro. Ensuite, l’épisode de la Grèce, certes très controversé, on le voit bien dans le film de Costa Gavras « Adults in the room ». Mais alors que l’Etat grec était proche de la banqueroute, nous avons maintenu le financement de l’économie grecque et des banques helléniques - qui avaient perdu l’accès au marché et à leurs propres épargnants puisqu’il y avait une fuite des capitaux - tout en respectant la volonté politique des gouvernements de la zone euro qui était que l’aide à la Grèce soit conditionnelle. Notre action a permis in fine à la Grèce de rester dans l’euro. Certains voulaient faire porter le chapeau à la BCE d’une sortie de la Grèce de la zone euro mais nous avons résisté ! Troisième motif de fierté : en 2015, le lancement du QE qui a permis d’éviter la déflation.

Avez-vous des regrets ?

On a probablement commencé l’assouplissement quantitiatif (QE) un peu trop tard, même si je ne blâme personne. C’était une grande nouveauté qui a demandé un gros travail de conviction au sein du conseil des gouverneurs. Par exemple, on a eu de longues discussions pour savoir qui porterait le risque de ces achats d’actifs et on a finalement décidé que 80 % seraient portés par les banques centrales nationales sur leur bilan et pas par la BCE. L’idée était d’éviter que le QE, un achat massif de titres publics – aujourd’hui on détient presque un tiers de toute la dette européenne, l’équivalent de 20% du PIB de la zone euro- ne soit une façon de réaliser l’union budgétaire par la porte dérobée alors que les États membres n’en veulent pas. On a aussi sous-estimé l’impact que la politique d’austérité budgétaire sanctuarisée par le Traité budgétaire (TSCG), nécessaire sur le moment, car il fallait donner des gages de stabilité aux marchés financiers,aurait sur l’activité. Comme le recommandait le FMI il fallait une politique monétaire plus accommodante allant jusqu’au QE, et ce, dès 2010 et pas en 2015. Enfin, on a été un peu long à la détente sur la question climatique, même si ça n’est pas notre métier principal : d’autres banques centrales, dont la Banque d’Angleterre, en ont pris conscience plus tôt que nous. Le changement climatique doit être, par exemple, intégré dans la supervision du secteur financier en prenant en considération les risques qu’il fait peser sur certains secteurs d’activité ou certains titres financiers, et une réflexion est nécessaire sur ses conséquences pour la politique monétaire.

Rien d’autres ?

Après il y a d’autres erreurs qui ne sont pas de notre fait. Ainsi, l’une des raisons du pourrissement de la crise de la zone euro est qu’on a assaini le secteur financier beaucoup plus tard qu’aux États-Unis. Les pays européens se sont bercés d’illusions sur l’état de leurs banques et l’on a fait des stress tests sérieux et imposé des recapitalisations beaucoup trop tard. Certains dont la France ont même mené des combats d’arrière garde pour éviter de renforcer les fonds propres de leurs grandes banques. Tout cela a pesé sur la croissance. Désormais, il s’agit de ne pas revenir en arrière !

Christine Lagarde a annoncé qu’elle allait mener une revue de la stratégie de la BCE.

Christine Lagarde a raison. Il est sain de prendre du recul et de mener un tel débat. J’espère qu’il n’aura pas lieu uniquement au sein de la BCE, mais qu’il impliquera des économistes indépendants et la société civile.

Lorsqu’on fait le bilan de l’euro depuis 1999, on s’aperçoit qu’il n’a pas produit tous les effets que l’on espérait. Les échanges au sein de la zone euro diminuent, l’union des marchés de capitaux est dans les limbes, les pays qui ont des excédents massifs de capitaux, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, les investissent aux États-Unis ou en Chine, etc.. Au fond, le pays qui profite le plus de l’euro est l’Allemagne qui bénéficie à plein de la sous-évaluation de l’euro.

Tout le monde bénéficie de l’euro puisque le risque de change a disparu et que les conditions financières n’ont jamais été aussi propices pour investir. De même, l’euro est un bien commun qui nous permet de parler d’une seule voix sur la scène internationale, même si on n’utilise pas assez cette force. Mais il est vrai qu’on a créé l’euro, qui a été renforcé avec l’union bancaire ou le MES, pour faire fonctionner un marché unique en Europe, et force est de constater que ce marché i fait du surplace. Pourquoi ? Parce qu’au départ il a été conçu comme un espace de libre circulation des marchandises alors que désormais on est dans une économie de services et qu’il n’y a pas de marché unique des services.

Vous ne pouvez pas passer sous silence le refus de toute solidarité financière par les pays d’Europe du Nord.

Nous avons un problème politique : les États européens se sont dotés d’une monnaie unique dont l’existence est en soi est un facteur de solidarité extraordinaire. Mais ils considèrent trop que la zone euro est un club dont la carte d’adhésion est gratuite donnant droit à un certain nombre de services. Or, l’adhésion à l’euro entraine un devoir de solidarité quand le voisin va mal. Certes, les Etats membres s’en sont acquittés vis-à-vis de la Grèce, de l’Irlande, du Portugal, de Chypre et de l’Espagne, mais dans des conditions politiquement très coûteuses voire toxiques. Les programmes d’ajustement ont créé énormément de tensions et d’acrimonies. . Et, à l’inverse, il faut garder sa maison en ordre pour ne pas créer de problèmes pour les voisins. On peut avoir la politique économique que l’on veut, c’est la démocratie, mais à condition de ne pas mettre en danger le voisin. Pour y remédier, il y a des règles que les membres du club doivent respecter mais ces règles sont en réalité assez peu respectées. Il faudra un jour créer des institutions ad hoc, dont une autorité gérant un budget de la zone de la zone euro qui incarnerait l’intérêt collectif, qui aurait les moyens de décider et qui serait responsable devant le Parlement européen. Tant que cela n’existe pas, il faudra croiser les doigts et espérer qu’il n’y ait pas de crise.

La BCE suppléait donc la défaillance de la volonté politique ?

Oui. Comme il n’y a pas de coordination dans le domaine budgétaire, cela nous conduit à faire le travail . Je rêve d’une zone euro dotée d’un pilier politique fort et démocratique qui permettrait d’alléger la BCE d’un certain nombre de tâches. La politisation de la BCE c’est le résultat de la faiblesse du volet politique de l’Union économique et monétaire. Certains accusent la BCE d’en faire trop et de ne pas être assez démocratique mais les attentes excessives projetées sur la BCE ne sont que le miroir de la faiblesse du politique.

(1) La BCE est dirigé par un directoire de six membres nommés par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Ce directoire et les gouverneurs des banques centrales de la zone euro forment le conseil des gouverneurs qui prend les décisions de politique monétaire à la majorité simple.

Photo: Photo Ferhat Bouda. Vu

Categories: Union européenne

Brexitertiny

Sun, 12/15/2019 - 21:15

Le soulagement est général à Bruxelles : la victoire nette et sans bavure de Boris Johnson devrait permettre au Royaume-Uni de quitter l’Union européenne de façon ordonnée le 31 janvier 2020, avec dix mois de retard sur la date initialement prévue du 29 mars 2019. « Nous avons attendu un an qu’il nous dise ce qu’il voulait. Maintenant, les choses sont claires », s’est réjoui le négociateur européen, Michel Barnier. Mais l’Union n’en a pas fini avec la saga du Brexit, même si l’accord de divorce du 25 novembre 2018 est ratifié dans les temps par la Chambre des Communes. Dès le 1er février, la saison deux débutera avec la période de transition pendant laquelle le Royaume-Uni restera dans le marché unique jusqu’au 31 décembre 2020. Dans l’intervalle, il faudra négocier un accord de libre-échange afin d’éviter une brutale rupture des ponts à l’issue de la période de transition… Autant dire que la saison deux s’annonce, elle aussi, pleine de rebondissements palpitants !

« Nous déposerons une proposition de mandat de négociation sur la table du Conseil des ministres d’ici fin janvier, une fois l’accord de divorce ratifié par la Chambre des Communes et le Parlement européen », explique-t-on dans l’entourage de Michel Barnier. Les Vingt-sept devront l’adopter à l’unanimité courant février, ce qui permettra d’ouvrir les pourparlers en vue de conclure un traité commercial (qui devrait inclure la question des zones de pêche), mais aussi une série d’accords dans les domaines qui intéressent les deux parties : transports, recherche, éducation, énergie, climat, défense, nucléaire, coopération policière et judiciaire, accès à Galileo (le GPS européen), etc.. En dix mois, la tâche s’annonce impossible : initialement, la période de transition devait s’étendre d’avril 2019 à décembre 2020, mais à force de retarder le Brexit, les Britanniques l’ont réduite à 11 mois.

« On ne pourra pas aller au-delà d’un accord intermédiaire, un paquet contenant l’essentiel pour permettre aux marchandises et peut-être à certains services, comme les services financiers, de circuler », poursuit le fonctionnaire déjà cité. Et même un tel accord n’est pas garanti, les Européens exigeant des conditions de concurrence équitables (« level playing field ») pour s’ouvrir aux produits britanniques : il n’est pas question que le Royaume-Uni ne respecte pas les normes communautaires si elle veut s’ouvrir largement les portes de l’Union. « Je ne pense pas que l’on puisse avoir accès au marché unique avec des législations différentes sur le climat, l’environnement, l’économie ou le social », a martelé Emmanuel Macron, vendredi, à l’issue du Sommet européen d’hiver. C’est tout l’enjeu des mois à venir : Boris Johnson sera-t-il prêt à renoncer à l’autonomie réglementaire et judiciaire, l’une des revendications phares des Brexiters ?

Autant dire que l’année 2020 sera celle de tous les dangers : car, à défaut d’un accord commercial avant la fin de l’année, le Brexit dur, cauchemar des entreprises des deux côtés de la Manche, n’aura été reculé que d’un an, puisque le 1er janvier 2021, le Royaume-Uni deviendra, pour l’Union, un pays tiers comme l’est le Zimbabwe. Pour retarder cette échéance, Londres pourra cependant demander, en juin prochain, une prolongation de la période de transition jusqu’en 2022 au maximum, ce que Boris Johnson a exclu à plusieurs reprises.

En attendant, le 1er février, les 73 députés européens britanniques vont quitter les bancs du Parlement de Strasbourg, ce qui va modifier les équilibres au sein de l’Hémicycle. 27 sièges seront redistribués entre plusieurs pays (5 de plus pour la France et l’Espagne, 3 pour l’Italie et les Pays-Bas, 2 pour l’Irlande, etc.), les autres étant gelés en attendant de futurs élargissements, ce qui fera passer le nombre de députés de 751 à 705. Sur le plan politique, les conservateurs du PPE non seulement ne perdront aucun siège, les conservateurs britanniques les ayant quittés depuis 2009, mais en gagnera une dizaine. À l’inverse, les socialistes, Renew Europe, le groupe où siègent les élus En Marche, et les Verts perdront entre six et dix sièges. Symboliquement, le groupe écologiste deviendra le cinquième groupe politique de l’Assemblée en passant derrière l’extrême droite… Alors qu’actuellement, 41 voix font défaut au PPE et aux socialistes pour atteindre la majorité absolue, il ne leur manquera plus qu’une vingtaine de voix dans l’Hémicycle post-Brexit, ce qui affaiblira le rôle central de Renew Europe…

Reste que le Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement de jeudi et vendredi, qui s’est tenu pour la première fois sans le Royaume-Uni a montré que le Brexit ne changera rien aux habituelles divisions européennes. Ainsi, la Pologne a refusé de se rallier à l’objectif 2050 pour que l’Union atteigne la neutralité carbone et l’Allemagne a repris le flambeau britannique, soutenu par le club des pays riches, pour exiger une baisse du cadre financier pluriannuel de l’Union 2021-2027. Le roi est nu.

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Un Pacte vert européen pour améliorer le climat

Sun, 12/15/2019 - 20:13

La Commission promeut une véritable révolution écologique, le mot n’est pas galvaudé, afin de permettre à l’Union européenne d’atteindre la neutralité climatique d’ici à 2050. Le « Pacte vert européen » (European Green Deal en eurocrate) adopté mercredi 11 décembre ne propose rien de moins qu’un changement radical de logiciel économique impactant toutes les politiques de l’Union, de la politique de concurrence à la politique monétaire en passant par la politique industrielle, la politique commerciale, la politique agricole commune (PAC), le marché intérieur, la politique budgétaire, etc. Si certains secteurs économiques fortement émetteurs de gaz à effet de serre vont souffrir, comme à chaque révolution, il n’y aura pas que des perdants, loin de là : « le Pacte vert, c’est la nouvelle stratégie de croissance de l’Europe », a martèle ainsi la démocrate-chrétienne allemande qui préside l’exécutif européen, Ursula von der Leyen.

Le texte adopté hier par le tout nouveau collège de 27 commissaires n’est pour l’instant qu’une communication de 23 pages qui se contente de décliner les objectifs et les grandes lignes du Pacte vert. La Commission pouvait difficilement faire mieux onze jours après son installation : pour le mettre en musique, il faudra non seulement obtenir la bénédiction de principe des États membres, ce qui s’annonce mouvementé, mais aussi rédiger des dizaines de textes législatifs et réglementaires, textes qui devront être adoptés par le Conseil des ministres (où siègent les Etats), à la majorité qualifiée ou à l’unanimité pour certains, et par le Parlement européen. La Commission se donne donc deux ans pour tout mettre sur la table de négociation. Mais le processus est lancé et on le voit mal s’enliser, les opinions publiques étant fortement mobilisées. Ironiquement, cette révolution verte est lancée par un exécutif qui penche nettement à droite, ne comporte qu’un commissaire apparenté écologiste, et est composée en grande majorité de « OK boomers » honnis... Décryptage.

· Quels sont les objectifs du Pacte vert ?

L’exécutif le martèle. Son Pacte vert, même s’il est encore jalonné de beaucoup de points d’interrogation, instaurera le principe du “Do not harm”, c’est-à-dire qu’aucune politique européenne ne devra faire barrage à la transition écologique. Cette nouvelle vision a vocation à être inscrite dans la législation européenne, à travers un projet qui sera présenté début mars. Cette première “loi Climat” de l’histoire de l’UE entérinera aussi l’objectif de neutralité climatique pour 2050 : à la différence de la neutralité «carbone», elle vise à réduire au maximum les émissions de tous les gaz à effet de serre, et non plus seulement de dioxyde de carbone.

«Notre ligne rouge, au Parlement, est que ce nouveau texte prévoit un objectif relevé de réduction des émissions pour 2030, et qu’il soit d’au moins -55% [contre -40% actuellement, NDLR], souligne Pascal Canfin, eurodéputé Renaissance et président de la commission Environnement du Parlement. L’ensemble de ce processus législatif doit être terminé d’ici octobre 2020 pour que l’UE arrive à la COP26, à Glasgow en novembre, avec une inscription dans la loi d’un nouvel objectif de moyen terme.» D’après les dernières informations données par la Commission, elle n’arrivera pas à respecter ce calendrier. L’étude d’impact, lancée mercredi, sur les conséquences de ces nouvelles ambitions 2030 ne devrait être publiée que fin 2020. L’UE arrivera donc les mains vides à la COP26, pourtant censée être un jalon essentiel de l’application de l’accord de Paris sur le climat.

Sur le volet mobilités, Bruxelles veut rendre les transports propres plus avantageux économiquement, installer un million de bornes de rechargement électrique et à l’hydrogène d’ici 2025, forcer les bateaux dans les ports à couper leurs moteurs en se branchant sur l’électricité, investir dans le développement des trains pour les passagers et les marchandises, et doubler voire tripler le nombre de bâtiments rénovés énergétiquement. De leur côté, les États veulent imposer un principe de “neutralité technologique”. En clair, pouvoir choisir quels secteurs ils soutiennent. On voit facilement la France défendre le nucléaire et l’Allemagne le gaz.

· La Politique agricole commune va-t-elle être impactée ?

Un des volets qui restent les plus nébuleux du « Green Deal » est ce que Bruxelles appelle la “Stratégie de la ferme à l’assiette”. Elle doit être présentée «au printemps». Le commissaire à l’agriculture est bien sous l’autorité de Frans Timmermans, le vice-président de la Commission chargé du Pacte vert, mais la réforme de la PAC, engagée en début d’année étant au point mort, impossible pour la Commission de s’avancer trop précisément. Sa volonté affichée: que 40% de la PAC et 30% du fonds pour la pêche contribue à l’action climatique, via la préservation des sols et la réduction des intrants azotés.

Plus largement, Ursula von der Leyen place la barre haut en annonçant un Plan zéro pollution dans l’eau, l’air et les sols. Un des principaux leviers d’action sera la lutte contre le plastique jetable et la promotion de « l’économie circulaire ». Elle prévoit aussi de revoir les standards de qualité de l’air, pour les aligner sur ceux de l’Organisation mondiale de la santé, ainsi que le lancement d’une nouvelle «stratégie sur l’innovation chimique» et une amélioration des règles d’autorisation des substances potentiellement dangereuses. Pas difficile de voir là le spectre de l’affaire du glyphosate dans laquelle les institutions sanitaires européennes ont été mises en cause. Encore vague, la Commission planche aussi sur un grand plan de reforestation.

· Quel argent pour financer la transition écologique ?

L’argent est évidemment le nerf de la guerre. Car la transition écologique sera particulièrement coûteuse pour les économies fortement carbonées dont une bonne partie se trouve à l’est de l’Europe. Ce sont d’ailleurs la Pologne, la République tchèque et la Hongrie qui ont refusé, en juin dernier, l’objectif proposé par la précédente Commission présidée par Jean-Claude Juncker, d’une neutralité carbone en 2050. De fait, peut-on demander à des économies en rattrapage de faire davantage de sacrifice que les pays d’Europe de l’Ouest qui, eux, ont joyeusement pollué durant le XXe siècle. Bref, sans solidarité financière, le Pacte vert restera lettre morte.

Ursula von der Leyen l’a bien compris : elle veut que la transition écologique soit socialement juste et propose donc un « mécanisme de la Transition juste » qui serait doté d’un fonds de 100 milliards d’euros sur sept ans dont les bénéficiaires restent à déterminer. Problème : ce fonds sera intégré au cadre financier pluriannuel européen (2021-2027) qui est dans l’impasse, car les pays riches veulent réduire leurs versements... Une bataille de chiffonnier qui n’a pas grand sens quand on sait que, selon la Commission, l’inaction climatique aura un coût faramineux de 200 milliards d’euros par an pour l’économie européenne pour faire face aux conséquences du changement climatique (si le réchauffement atteint + 3 degrés). La solidarité financière ne se limitera pas au budget communautaire stricto sensu. En janvier, la Commission va proposer un plan d’investissement pour une Europe durable qui est censé permettre, via une mise de fonds minime et la mobilisation de la Banque européenne d’investissement (BEI), qui devenir la Banque du climat, de lever 1000 milliards d’euros sur dix ans. Pour rappel, le plan Juncker destiné à relancer l’investissement a permis de lever près de 400 milliards d’euros sur cinq ans à partir d’un fonds de garantie de 16 milliards d’euros financé par le budget européen et d’une contribution de 5 milliards d’euros de la BEI… Sur un autre plan, la Commission va examiner la possibilité de sortir les investissements en faveur du climat du déficit public.

· L’économie européenne risque-t-elle d’en pâtir?

Réformer l’industrie européenne, ce qu’elle prévoit de faire massivement dans le secteur de l’acier, signifiera une perte de compétitivité par rapport au reste de la planète. Pour pallier cela, elle a imaginé un «mécanisme d’ajustement aux frontières». La taxe carbone qui est dans les sables est, pour l’instant, mise de côté. L’idée de ce mécanisme est d’imposer une taxe aux produits entrant dans l’Union. Ce surcoût serait calé sur le prix du CO2 sur le marché carbone européen. Sans que l’on sache comment, von der Leyen compte aussi offrir des exemptions aux États les moins responsables du dérèglement climatique, mais qui font des efforts. L’Inde, par exemple, pourrait-elle être concernée? La Commission botte en touche.

Sur le plan commercial, le Green Deal prévoit de faire du respect de l’accord de Paris une clause sine qua non des accords de libre-échange, au même niveau que le travail des enfants et l’interdiction des armes de destruction massive. Bruxelles ne sait pas encore si cette mesure concernera seulement les nouveaux accords ou sera rétroactive. Aucun pays ne respectant pour l’instant l’accord de Paris, cela veut-il dire qu’aucun nouvel accord ne sera conclu? Silence au bout de la ligne.

· Quelles sont les forces en présence ?

La première bataille s’annonce rude et elle aura lieu dès jeudi lors du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement réuni à Bruxelles. En effet, les pays d’Europe de l’Est craignent d’être les principaux perdants de ce Pacte vert et ils vont le faire savoir. D’où l’importance des compensations financières, mais aussi de l’assistance technique qui devra leur être fournie pour les aider à effectuer leur transition énergétique. Mais ils ne sont pas les seuls à avoir des réserves : l’Allemagne, qui a renoncé unilatéralement au nucléaire, est aussi fortement dépendante du charbon, tout comme l’Espagne. Or, il faut l’unanimité du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement pour lancer le Pacte vert, puis ensuite une majorité qualifiée d’États (55 % des pays représentant 65 % de la population), voire l’unanimité dans le domaine fiscal, pour adopter les lois européennes…

Ensuite, les secteurs économiques les plus impactés vont aussi faire de la résistance : automobile, transport routier, aviation, industrie chimique, agriculteurs, etc. Et ils trouveront d’efficaces étatiques, comme l’Allemagne qui a déjà montré qu’elle sait défendre son industrie automobile.

Enfin, des bras de fer sont à attendre avec les partenaires commerciaux de l’Union si elle veut imposer l’équivalent d’une taxe carbone aux frontières.

N.B.: article cosigné avec Aude Massiot, la spécialiste environnement de Libé.

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Commission von der Leyen: le temps des copains

Wed, 12/11/2019 - 19:47

La Commission a une apparence, une administration publique européenne au service des citoyens, une réalité, une vaste machine à promotion des copains et des coquins. Ursula von der Leyen, la nouvelle présidente de l’exécutif européen, vient d’en faire une nouvelle fois la démonstration en bombardant l’un de ses très proches, Jens Flosdorff, un homme charmant au demeurant, conseiller en communication de son cabinet avec rang de directeur général adjoint (DGA) de grade AD15, soit l’une des plus hautes fonctions (il n’y a que directeur général au-dessus) et des plus haut grade (AD16 est le maximum) de la fonction publique communautaire.

C’est une véritable fonction de vice-roi que va occuper Flosdorff au sein du cabinet de von der Leyen : ce n’est pas un hasard s’il a le même grade que le chef de cabinet, Bjoern Seibert, un autre très proche qui occupait le même poste au ministère de la défense allemand, celui-ci ayant cependant le rang de directeur général (une pratique instaurée par José Manuel Durao Barroso pour donner au chef cab l’autorité nécessaire). Flosdorff va donc émarger à environ 17000 euros par mois (soit plus qu’un ministre fédéral allemand)… Pas mal pour un ancien journaliste du quotidien populaire Bild qui ne connait strictement rien aux affaires européennes et qui n’a comme mérite que de suivre von der Leyen depuis une quinzaine d’années dans les mêmes fonctions.

Non seulement c’est la première fois qu’un simple communiquant est aussi choyé, mais c’est aussi la première fois qu’un président de la Commission s’offre le luxe d’un tel conseiller. Normalement ce rôle est tenu par le chef du service du Porte-Parole (SPP) qui gère non seulement la communication du président, mais celle de tous les commissaires via une équipe de porte-paroles et « d’officiers de presse », les petites mains qui font le boulot au quotidien. Mais von der Leyen a décidé de dédoubler la fonction entre, d’une part, le français Eric Mamer, chef officiel du SPP, mais qui n’a rang que de directeur (certes payé AD15), et, d’autre part, Flosdorff qui le coiffe puisqu’il a rang de DGA.

Pourquoi une telle solution qui coûte cher au budget communautaire (à eux deux, ils vont toucher deux millions d’euros de salaire sur cinq ans) ? Tout simplement parce que Flosdorff ne pouvait pas occuper le poste de chef du SPP, car il ne parle pas français, une condition sine qua non, les deux langues de la salle de presse étant l’anglais et le français. Autrement dit, il n’avait pas les qualifications requises. Qu’importe donc, Ursula von der Leyen a su trouver une solution imaginative pour trouver une place à son protégé !

Quel sera exactement le rôle de Flosdorff, sachant que la gestion quotidienne du SPP sera assurée par Éric Mamer et son adjointe, la Roumaine Dana Spinant ? On ne voit guère, si ce n’est parler à la presse allemande, ce qu’il fait d’ailleurs très bien selon mes confrères. Mais 17.000 euros par mois, n’est-ce pas exagéré dès lors qu’il s’agit d’argent public et quand on sait qu’une partie de plus en plus grande des tâches de l’exécutif européen sont assurées par des contractuels sous-payés faute de budget suffisant ?

En réalité, ce sont les mauvaises manières instaurées par Martin Selmayr, l’ancien secrétaire général de la Commission, qui se poursuivent. Quoi d’étonnant lorsqu’on constate que la conseillère que von der Leyen a chargé de l’administration dans son cabinet est la Bulgare Jivka Petkova, une proche de Selmayr qui l’avait imposé dans l’équipe de transition de la nouvelle présidente. En la conservant auprès d’elle, celle-ci a vite compris le parti qu’elle pourrait en tirer, comme le montre le job en or dont hérite Flosdorff…

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Le pantouflage, un fléau qui touche aussi les journalistes européens

Sun, 12/08/2019 - 14:05

Le mercato ne concerne pas que les postes de direction de l’Union. Tous les cinq ans, les nouveaux patrons des institutions communautaires font leur marché parmi les journalistes chargés de couvrir l’Europe afin de trouver leur conseiller en communication ou leur porte-parole. Rares sont les journalistes qui refusent de passer de l’autre côté du miroir, la paye étant plus qu’alléchante comparée à ce qu’ils gagnent dans ce métier en voie de paupérisation.

Cette fois encore, la pêche a été fructueuse. Ainsi, le nouveau président du Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement, le libéral belge Charles Michel, qui prend ses fonctions aujourd’hui, a débauché l’une des figures de la salle de presse européenne, le chef du service monde du quotidien belge Le Soir, Jurek Kuczkiewicz, bombardé « conseiller stratégique en communication ». Il n’est pas le seul : on a appris lundi, à l’occasion de la présentation du nouveau service du Porte-parole (SPP), qu’une journaliste espagnole, Ana Pisonero, avait aussi décroché le Graal. En 2014, deux Allemandes, une Française, un Portugais et un Italien avaient franchi le Rubicon en intégrant le SPP. Comme pour bien souligner à quel point ces transferts sont considérés comme normaux par les journalistes européens, une bonne partie d’entre eux ont applaudi leur ex-consoeur, toute honte bue.

Ces réorientations professionnelles posent de sérieux problèmes déontologiques puisque ces journalistes passent au service d’institutions qu’ils ont couvertes. On peut d’abord penser seuls ceux qui ont su ne pas déplaire sont recrutés, l’emmerdeur n’ayant pas bonne presse dans la bulle bruxelloise. Ce qui encourage ceux qui caressent l’espoir de changer de bord à ne pas mener des enquêtes dérangeantes ou à se livrer à une critique sans concession des politiques européennes. Les papiers élogieux ou prudents que ces journalistes ont pu écrire ces dernières années doivent-ils être relus à cette aune ? Ces transferts ont donc des répercussions sur l’ensemble de la profession : au fond, ne peut-on soupçonner chaque journaliste un peu trop «eurobéat» de soigner sa future carrière d’eurocrate ? Comment donner tort aux citoyens qui se méfient de plus en plus de la presse ?

A Bruxelles, c’est encore plus grave, car les institutions européennes sont un tout petit monde où tout le monde connait tout le monde : un lanceur d’alerte osera-t-il encore parler à un journaliste qu’il risque de retrouver un jour au service de l’institution qu’il a dénoncé ? Car ce sont en général des fonctionnaires qui contactent les médias pour dénoncer tel ou tel scandale. Si le journaliste à qui ils ont parlé passe au service de la Commission, n’y a-t-il pas un risque qu’il révèle ce qu’il sait ou s’en serve pour assurer sa propre carrière ? Autrement dit, un journaliste qui devient eurocrate fragilise le travail de ses confrères qui auront le plus grand mal à trouver des sources. C’est ce qu’on appelle un conflit d’intérêts - qui existe indépendamment de sa réalisation…

Si les avocats, par exemple, sont soumis à une réglementation très stricte dans ce domaine, les journalistes, eux, n’ont à affronter que leur propre conscience, ce qui est pour le moins insuffisant. Ne faudrait-il pas instaurer, à l’image de ce qui se fait pour les anciens commissaires ou les hauts fonctionnaires, une période pendant laquelle ils ne pourraient pas passer au service de l’institution qu’ils couvraient ? La réflexion mérite d’être menée.

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Quand Costa Gavras filme l'UE, c'est du brutal

Wed, 12/04/2019 - 17:34

Si les Américains savent mettre en scène leur vie politique, ce n’est pas le cas des Européens. L’Union européenne est la grande absente des films, des séries, des pièces de théâtre ou des romans : un sujet jugé aride et intraitable, non pas tant par les auteurs que par les producteurs, diffuseurs, éditeurs, qui campent sur leurs a priori. Il fallait avoir le culot et la bouteille de Costa-Gavras, 86 ans aux pelotes, pour s’attaquer de front à «Bruxelles» avec son vingtième film, Adults in the Room, qui sort mercredi sur les écrans, exactement cinquante ans après son mythique Z.

Un film sur l’Europe, cela mérite à tout le moins une «coulisse». D’autant que Costa-Gavras s’attaque à un sujet particulièrement difficile, celui de la crise de la dette grecque, ou plutôt son ultime rebond en 2015. Il retrace en deux heures passionnantes la période qui s’étend de la victoire de Syriza, alors un parti de la gauche radicale, lors des élections de janvier 2015, jusqu’au référendum du 5 juillet qui précède de quelques jours la capitulation en rase campagne d’Aléxis Tsípras, le Premier ministre grec, obligé d’accepter un plan d’austérité sans précédent pour éviter une sortie de l’euro.

La réalité brutale de l’Eurogroupe

Le réalisateur a un parti pris assumé puisque la crise est racontée du point de vue du seul Yánis Varoufákis, joué par l’excellent Christos Loulis. Un choix périlleux puisqu’il prend le risque d’affaiblir le film, l’éphémère ministre des Finances – éjecté du gouvernement grec en juillet 2015 – étant un personnage controversé, y compris dans son ancienne famille politique. Mais cinématographiquement, il se justifie : Costa-Gavras a voulu montrer la réalité brutale de l’Eurogroupe (l’enceinte où siègent les 19 ministres des Finances de la zone euro) contre lequel il batailla durant six mois.

Mais, pour ne pas être accusé de sombrer dans le pamphlet gauchiste, le risque dès que l’on parle de la Grèce, il ne pouvait pas (trop) s’éloigner de la réalité. Or Varoufákis, fidèle à son personnage d’outsider, a enregistré toutes les réunions auxquelles il a assisté au premier trimestre 2015 et en a tiré un livre un tantinet hagiographique, Conversation entre adultes, dans les coulisses secrètes de l’Europe. Il fournit donc la trame du film, Costa-Gavras ayant ainsi pu s’appuyer sur des dialogues authentiques.

«Il faut payer, payer, payer !»

Et c’est du brutal. L’UE n’a vraiment pas le beau rôle dans l’affaire, même si Costa-Gavras ne cache pas la responsabilité grecque dans le déclenchement de la crise. Mais son propos est ailleurs : il montre à quel point l’Eurogroupe est une instance non démocratique, opaque, ne rendant de comptes à personne. L’extrême arrogance allemande, Berlin ayant imposé sa domination à la zone euro, prend à la gorge : c’est une chose de le savoir, une autre de le voir à l’écran.

Les scènes avec Wolfgang Schäuble, le grand argentier d’Angela Merkel, sont d’ailleurs parmi les plus réussies : cloué sur sa chaise roulante, il n’est pas sans évoquer le docteur Folamour de Kubrick lorsqu’il hurle en plein Eurogroupe : «Il faut payer, payer, payer !»Avant d’avouer un peu plus tard à Varoufákis qu’à sa place il n’accepterait pas un programme d’austérité dont la Grèce ne se relèverait pas.

Ce film convainc que, sans une injection massive de démocratie, ce dont l’Allemagne ne veut évidemment pas entendre parler, l’Europe n’a guère d’avenir. Mais sa vraie force est surtout de démontrer brillamment que l’Union européenne est un sacré sujet !

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Les fondations d'argile de la Commission von der Leyen

Sat, 11/30/2019 - 18:47

La Commission présidée par la chrétienne-démocrate allemande Ursula von der Leyen va enfin entrer en fonction dimanche : par 461 voix contre 157 et 89 abstentions (707 présents sur 748 eurodéputés), soit 61% des voix, le Parlement européen a largement investi, mercredi à Strasbourg, le nouveau collège de 27 commissaires qui dirigera l’Union au cours des cinq prochaines années. Mais ce score est en trompe-l’œil : en réalité, jamais une commission n’a disposé d’une base politique aussi fragile et incertaine. Ce qui risque de compromettre son grand dessein, le «Green Deal» censé changer le modèle de développement européen.

Crises

Certes, par rapport à son vote d’investiture de juillet, la présidente de la Commission a sérieusement accru sa marge par rapport à la majorité absolue de 374 voix, un seuil nécessaire pour adopter les textes législatifs en seconde lecture : elle passe de 9 à 87 voix, ce qui lui offre a priori un seuil de sécurité appréciable. Mieux, l’ex-ministre de la Défense allemande a même réussi l’exploit de réunir une majorité plus large que celle obtenue par son prédécesseur, Jean-Claude Juncker, en octobre 2014 (423 voix contre 209 et 67 abstentions), qui était pourtant le candidat choisi par le Parlement à la différence d’Ursula von der Leyen, imposée par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. «Si le vote avait eu lieu à bulletins secrets, on aurait soupçonné une substitution d’urnes», s’amuse une éminence du PPE, le groupe conservateur, surprise par ce résultat inattendu.

La majorité qui l’a soutenue est constituée, sans surprise, des conservateurs du PPE (Parti populaire européen), le premier groupe politique qui a voté comme un seul homme pour elle, des socialistes (à l’exception d’une voix contre et de 9 abstentions, dont les Français) et de Renew Europe (RE), le groupe où siègent les élus macronistes (4 abstentions malgré tout). Elle a pu aussi compter sur le soutien de 30 eurodéputés eurosceptiques de l’ECR, en particulier ceux du PiS polonais, de 5 Verts et d’une partie du Mouvement Cinq Etoiles italien. Une autre partie de l’ECR a voté contre elle, avec l’ensemble de l’extrême droite, des europhobes britanniques de Nigel Farage, de la gauche radicale (dont LFI) et de 9 Verts. Enfin, la grande majorité des écologistes s’est réfugiée dans «l’abstention constructive», comme l’a expliqué Ska Keller, la coprésidente du groupe. Il est à noter que les deux groupes qui ont explosé façon puzzle sont les eurosceptiques de l’ECR et, dans une moindre mesure, les écologistes.

Le problème est que cette base politique n’est que de circonstance, car elle n’est liée par aucun programme politique, la négociation d’une «feuille de route» entre le PPE, les socialistes, RE et les Verts ayant été interrompue en juillet à la suite du rejet de la candidature de Manfred Weber, la tête de liste (allemande) du PPE, par le Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement. Si Ursula von der Leyen a obtenu sa majorité, c’est essentiellement pour deux raisons : d’une part la volonté des eurodéputés de ne pas ajouter une crise européenne aux multiples crises politiques qui paralysent une partie des Etats membres (Royaume-Uni, bien sûr, mais aussi Espagne, Italie, Allemagne ou même France). Surtout, les logiques nationales ont corrigé les préventions idéologiques : chacun a voulu confirmer le commissaire de sa nationalité, comme le confiait sans illusion un membre du nouveau collège… Certes, Ursula von der Leyen a fait mieux que Juncker, mais beaucoup moins bien que tous les autres président de la Commission depuis que le Parlement a le pouvoir de les investir.

Tensions

L’hémicycle était d’ailleurs loin d’être plein lors du discours d’investiture de Von der Leyen, jugé par beaucoup de députés «ennuyeux» et «sans inspiration». «On sent de la frustration», juge Raphaël Glücksmann (Place publique), l’indifférence polie manifestée par les députés donnant «le sentiment d’une grande abstention, plus que d’une grande mobilisation». Stéphane Séjourné, le patron de la délégation française de RE, conscient de la démobilisation des eurodéputés, a d’ailleurs passé la session à mobiliser les énergies et à essayer de convaincre les écologistes de revenir sur leur consigne d’abstention. En vain. Or, sans cet apport essentiel, Von der Leyen restera une présidente faible, car sans majorité solide, contrairement à ses prédécesseurs, qui pouvaient compter sur le soutien indéfectible de la grande coalition conservateurs-socialistes. Ainsi, lorsqu’elle présentera ses textes sur le Green Deal, il est quasi-certain que les tensions nationales, surtout entre l’Est et l’Ouest, réapparaîtront, notamment au PPE et du groupe socialiste, des défections que devront être compensées par les Verts qui monnaieront leur vote au prix fort au risque d’accroître les divisions au sein des groupes politiques.

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Budget 2020: Paris épinglé par la Commission

Sat, 11/30/2019 - 18:41

Même si tous les Etats membres de la zone euro sont désormais sous le plafond des 3% du PIB de déficit public, la Commission européenne a estimé, mercredi 20 novembre, que huit pays, dont la France, ne font pas les efforts nécessaires pour réduire à un rythme suffisant leurs dépenses publiques, alors même que la crise économique est derrière eux. A ce stade, il ne s’agit pas de les sanctionner, mais seulement de les avertir que leur projet de budget 2020 présente des risques élevés de violer les règles du Pacte de stabilité.

C’est en 2013 que la zone euro a durci son règlement intérieur pour instaurer un contrôle ex ante par la Commission des projets de budgets nationaux : à défaut d’un budget commun, il s’agissait de rassurer les marchés (et l’Allemagne) sur la détermination commune des Dix-Neuf de mieux gérer leurs finances publiques afin de prévenir une nouvelle crise de la dette. Plutôt mal accepté au départ par les administrations nationales, alors même que la réforme a été adoptée à l’unanimité des Etats, le dialogue se déroule désormais sans drame : «Globalement, cette procédure, dont c’est la sixième édition, a permis d’améliorer la situation des pays, onze d’entre eux respectant désormais toutes les règles», se félicite-t-on dans l’entourage de Pierre Moscovici, le commissaire chargé des questions économiques et monétaires.

«Rendez-vous est pris en mai 2020»

La seule anicroche sérieuse a eu lieu en 2018 avec l’Italie, engluée dans une croissance zéro, lorsque la coalition entre le Mouvement Cinq Etoiles et la Ligue a voulu s’éloigner des engagements pris par la majorité précédente en matière de réduction du déficit structurel (c’est-à-dire corrigé des variations de la conjoncture). Finalement, un accord avait été trouvé, Rome acceptant de réduire son dérapage budgétaire de 10 milliards d’euros.

Pour parvenir à l’équilibre budgétaire et ainsi réduire la dette, le Pacte de stabilité a prévu que les Etats devraient diminuer chaque année leur déficit structurel de 0,6% de leur PIB, l’effort pouvant être limité à 0,35% durant deux ans. Or la France, l’Italie, la Slovénie, la Slovaquie, la Finlande, l’Espagne, le Portugal et la Belgique sont en deçà de cet effort minimal. Ainsi, l’Hexagone n’a réduit son déficit structurel que de 0,1% en 2019 et 2020, ce qui est inférieur à ce que prévoit le Pacte. D’ailleurs, sa dette augmente (98,9% du PIB en 2020 et 99,2 % en 2021), un «dérapage inquiétant, bien plus que celui du rythme de l’ajustement structurel», admet-on à Paris. D’autant que, dans le même temps, l’endettement de la zone euro a diminué de 10 points en cinq ans pour s’établir à 85 % (avec un déficit moyen de 0,5%). L’Italie, elle, «déconsolide», puisque son déficit va passer de 2,3% en 2020 à 2,7% en 2021. «A ce stade, ce n’est pas grave, mais rendez-vous est pris en mai 2020 et des sanctions ne sont alors pas à exclure»,prévient-on à la Commission.

Un tabou européen

Reste que le vrai problème de la zone euro est ailleurs : certains pays, dont l’Allemagne et les Pays-Bas, dégagent un excédent commercial extrêmement élevé grâce à la sous-évaluation de la monnaie unique, qui ne bénéficie pas au reste de la zone euro. «Leurs monstrueux surplus de capitaux financent l’économie américaine et chinoise, ce qui déséquilibre gravement les pays du Sud», qui doivent comprimer leur demande intérieure pour faire disparaître leur déficit extérieur, souligne-t-on à Paris. Même si Pierre Moscovici s’est félicité que ces pays commencent à mettre en œuvre «une politique budgétaire plus expansive», cela reste largement insuffisant. La Commission présidée par l’Allemande Ursula von der Leyen, qui prendra ses fonctions le 1er décembre, osera-t-elle s’attaquer à ce qui est devenu un tabou européen ? Car l’avenir de l’euro se joue à Berlin, bien plus qu’à Paris ou Rome.

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Macron s'oppose à la religion de l'élargissement

Thu, 11/21/2019 - 17:40

L’Europe est une religion. Comme telle, elle a ses dogmes et ses prêtres. S’éloigner de ses canons, c’est prendre le risque du blasphème voire de l’hérésie et de l’excommunication. Emmanuel Macron en a fait l’expérience en osant bloquer, lors du sommet européen du 18 octobre, le lancement de négociations d’adhésion de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. Le président de la République s’est attaqué à l’un des piliers de la pensée européenne – avec la rigueur budgétaire, le primat du marché et l’appartenance à l’Otan –, celui de l’élargissement sans fin de l’Union.

Depuis, tout ce que l’Europe compte de bien-pensants, des dirigeants des institutions communautaires à la plupart des médias en passant par une bonne partie des gouvernements, le vouent aux gémonies. Ainsi, le président sortant du Conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement, le Polonais Donald Tusk, a vertement critiqué, le 13 novembre, Emmanuel Macron en l’accusant d’affaiblir l’Union : «Il n’y aura pas d’Europe souveraine sans Balkans stables intégrés au reste du continent, et il n’est pas nécessaire d’être un historien pour comprendre cela.»

Réforme du processus

Le dernier à s’être risqué à interroger la politique d’élargissement a été Hubert Védrine, alors ministre français des Affaires étrangères. En 1998, à York, il avait demandé à ses quatorze collègues s’il ne fallait pas ralentir le rythme, l’Union n’étant pas institutionnellement prête à supporter l’adhésion en bloc de dix pays d’Europe centrale. La réaction fut unanime et violente, ses partenaires, notamment allemand et britannique, l’accusant de manque de solidarité, d’égoïsme, de refuser de s’acquitter d’une dette historique et on en passe. En sortant, Védrine confia à quelques journalistes : «Je m’y suis risqué et je ne recommencerai plus.» De fait, depuis cette date, l’élargissement est devenu téléologique.

Pourtant, aucun des problèmes soulevés par le passage de 15 à 28 Etats membres (et bientôt à 32 voire 35) n’a été résolu. Comme l’a expliqué Emmanuel Macron, «pourquoi ce qui ne marche pas à 28 devrait marcher à 30 ?» Il place ainsi l’Allemagne, l’un des plus farouches défenseurs de l’élargissement, devant ses responsabilités, elle qui, en même temps, veut réduire la taille du budget communautaire et s’oppose à toute réforme institutionnelle. Dans un «non-paper» – ces documents de travail officieux qui servent de base de négociations – envoyé la semaine dernière à ses partenaires, la France explique qu’elle ne veut pas bloquer l’élargissement pour l’éternité, mais obtenir une réforme du processus avant de donner son feu vert à l’Albanie et à la Macédoine du Nord

Intégré graduellement

En particulier, elle souhaite que les négociations se déroulent non plus par «chapitre», mais par «bloc cohérent de politiques» afin de permettre au candidat de participer aux politiques sectorielles et aux financements ad hoc, y compris les fonds structurels : ainsi, il serait intégré graduellement au fonctionnement de l’Union afin de tester sa capacité à assumer ses obligations. C’est seulement s’il réussit à mettre en œuvre ces politiques et à pratiquer une «réelle convergence en matière économique et sociale» qu’il pourrait négocier un second bloc. Paris veut aussi que le processus soit réversible si un Etat ne respecte pas ses engagements. Macron sera-t-il le Luther de la construction communautaire ?

Photo: AFP

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La démocratie est-elle soluble dans l'europhobie?

Sun, 11/17/2019 - 19:41

La démocratie britannique est-elle soluble dans le Brexit ? La véritable guerre engagée par Boris Johnson, le Premier ministre conservateur britannique, contre le plus vieux parlement du monde (le parlement d’Angleterre a vu le jour au XIIe siècle) ainsi que la purge sans précédent visant tous ceux qui ne partagent pas ses vues semble montrer que la tentation autoritaire est consubstantielle à l’europhobie. Au fond, toutes les autres tentatives de dénouer les liens avec l’Union européenne ayant échoué devant le Parlement, le seul moyen de la quitter n’est-il pas de mettre entre parenthèses la démocratie ?

La question posée aux citoyens britanniques en juin 2016 avait toute l’apparence de la simplicité, celle qui sied si bien à la démocratie directe : voulez-vous ou non rester dans l’Union ? Si le oui l’avait emporté, le sujet aurait été clos, au moins temporairement : la situation du Royaume n’aurait en rien été modifiée. La réponse négative, en revanche, ne résolvait qu’une toute petite partie du problème : partir, oui, mais comment ? Et cela, les citoyens ne l’ont pas dit puisqu’un référendum impose par nature un choix binaire même lorsque la question est d’une rare complexité.

Or il y a plusieurs façons de le faire : brutalement, en coupant tous les liens (le Royaume-Uni devient un pays totalement tiers comme le Zimbabwe), en restant dans l’union douanière (modèle turc), en négociant une série d’accords bilatéraux dans les domaines intéressant le pays (modèle suisse) ou encore en adhérant au marché unique et à l’union douanière (modèle norvégien). Bref, ce n’est pas deux, mais au moins cinq questions qu’il aurait fallu poser. Mais dans ce cas, aucune majorité absolue ne se serait dégagée et la majorité relative aurait été en faveur du statu quo… Donc le choix binaire s’imposait. Ou alors il aurait fallu organiser une série de référendums : dans ou en dehors de l’UE. Puis, en cas de victoire du Brexit, de nouvelles consultations sur toutes les options. Ce qu’a refusé d’envisager la classe politique britannique au nom du respect de la volonté populaire.

Résultat, faute d’indication claire sur ce que souhaite réellement le peuple britannique, voter pour le Brexit ne signifiant pas forcément une rupture de tous les liens, la Chambre des communes s’est déchirée, aucune majorité pour une solution ne se dégageant. Après trois ans de vaines négociations et de crises politiques qui ont paralysé le pays, les militants du Parti conservateur ont finalement choisi comme président et donc comme Premier ministre BoJo. Un choix qui n’est pas anodin, celui-ci étant favorable à une sortie brutale de l’UE (« no deal ») à défaut d’un accord qui ferait droit à ses revendications qu’il sait inacceptables, et ce, quel qu’en soit le prix pour son pays.

Faute de disposer du soutien unanime de son propre parti, l’ancien journaliste a choisi la manière forte en essayant de s’affranchir des contraintes de la démocratie afin de parvenir à ses fins. En réalité, la suspension du Parlement pour cinq semaines qu’il a décidé début septembre, qualifiée par ses opposants de « coup d’État », est l’équivalent de l’article 16 de la Constitution française qui permet au Président de la République, en cas de crise majeure, de s’emparer de tous les leviers du pouvoir. Il n’a été utilisé qu’une fois, lors du putsch d’Alger, en avril 1961. Mais la Chambre des communes, à sa grande surprise, a résisté et la Cour suprême britannique l’a soutenue. Il l’a immédiatement fait payer aux députés conservateurs qui ont voté contre le « no deal » en les excluant. Une véritable purge qui évoque les heures glorieuses du communisme, même si personne n’a (encore ?) été envoyé dans des goulags dans les Midlands… Dans la tradition britannique, de telles exclusions sont rares : Chamberlain et Churchill qui se sont affrontés sur une question autrement plus grave, la résistance à Hitler, sont restés dans le même parti lorsque le premier a dû céder la direction du pays au second. Nul ne peut dire où ce Brexit sans fin entrainera le Royaume-Uni.

Ce naufrage de la démocratie britannique sur la question européenne est riche d’enseignements. Car il est frappant de constater que partout, dans l’Union, les forces europhobes appartiennent aux extrêmes (droite et gauche), c’est-à-dire aux forces qui revendiquent un gouvernement autoritaire. Que ce soit le Rassemblement national ou la France insoumise (fascinée par le « modèle » vénézuélien), la Ligue italienne, l’AfD allemande, le Vlaams Belang flamand, etc. En Europe centrale, des partis tels le Fidesz hongrois ou le PiS polonais, viscéralement eurosceptiques, ne restent dans l’Union que pour des raisons économiques, le budget européen leur versant chaque année environ 4 % de leur PIB. Mais ils n’en partagent pas les valeurs. Il est frappant de constater que lorsque ces forces anti-européennes acceptent finalement l’Europe et ses valeurs, elles quittent les marges pour rejoindre le centre libéral à l’image de Syriza en Grèce, un parti de gauche radicale proche de LFI au départ qui siège désormais aux côtés des socio-démocrates au Parlement européen. Autrement dit europhobie et rejet de la démocratie parlementaire vont de pair. L’évolution des Tories est, de ce point de vue, révélatrice : ils dérivent vers l’extrême droite, attirés par le trou noir du parti du Brexit de Nigel Farage. La purge en cours vise d’ailleurs tous ses éléments modérés.

Pourtant, les europhobes attaquent l’Union sur son supposé déficit démocratique qui mettrait en péril la démocratie nationale, celle-ci étant menacée par les « technocrates de Bruxelles » décidant à la place du peuple. Ainsi, le célèbre Étienne Chouard a, lors du référendum français de 2005 sur le traité constitutionnel européen (TCE), mené une campagne très efficace sur internet sur ce thème. Cela n’indique-t-il pas un attachement à la démocratie ? En réalité, il ne s’agit que d’un rideau de fumée. D’ailleurs, Chouard a depuis longtemps tombé le masque : ce grand défenseur de la démocratie directe, à l’image de tous les partis autoritaires, la démocratie représentative à l’européenne étant accusée d’être un moyen d’imposer un libéralisme rejeté par les peuples, a rejoint les rives de l’extrême droite révisionniste. Un simple exemple qui démontre que la critique radicale de l’Europe au nom de la démocratie ne fait que dissimuler un rejet de l’Europe et de ses valeurs.

Certes, l’Union est une démocratie imparfaite, si on la compare à celle des États, mais cela tient à sa nature : ce n’est pas une fédération de peuples dotée de la compétence de la compétence (c’est-à-dire de la liberté de choisir ses domaines d’intervention), mais une confédération de pays qui lui délèguent (sous de strictes conditions) une partie de leur souveraineté. Dès lors, sauf dans quelques domaines très précis, comme la politique monétaire, la concurrence ou l’interprétation du droit communautaire, ce sont les États souverains qui contrôlent l’Union qui, par construction, ne peuvent être contrôlés par des peuples étrangers… Imagine-t-on le conseil européen des chefs d’Etat et de gouvernement renversé par le Parlement européen ? Autrement dit, l’Union ne sera jamais aussi démocratique qu’un Etat, sauf à se transformer en fédération, ce que peu de monde souhaite.

Si l’Union est une nébuleuse complexe dans son fonctionnement, elle est très cohérente dans son idéologie : c’est une construction libérale, c’est-à-dire qu’elle promeut les valeurs que sont la liberté politique (la démocratie), économique, sociale et sociétale, en un mot le respect des individus. Entendu en ce sens, le corpus libéral appartient autant à la droite qu’à la gauche : les politiques menées dans ce cadre peuvent-être très différentes. Précisons, les Français ayant souvent une mauvaise compréhension du terme, que le libéralisme économique se distingue du capitalisme : celui-ci est anti-libéral en ce qu’il vise à la domination et à la concentration, alors que le libéralisme cherche à contrôler le marché en instaurant des règles pour éviter que le renard libre ne dévore les poules libres… C’est la fameuse « concurrence libre et non faussée » dont le but est de lutter contre les monopoles ou les ententes entre entreprises. En clair, le marché, c’est la liberté d’entreprendre, le libéralisme, c’est éviter que le plus fort impose sa loi au détriment des plus faibles.

C’est cette liberté que combattent les europhobes, mais pas forcément dans tous ses aspects. Ainsi, le parti conservateur britannique n’est pas opposé à la démocratie, mais au contrôle par l’État (ou l’Union) du marché : il refuse les règles (économiques ou sociales) qui empêchent la concentration et la domination des plus forts. L’extrême-droite et l’extrême-gauche combattent non seulement le libéralisme économique (la première par refus des règles, comme le parti conservateur, la seconde pour remplacer le capital par l’Etat), mais aussi le libéralisme politique qui les empêcherait d’appliquer leur programme. Enfin, l’extrême droite refuse le libéralisme sociétal, car elle veut imposer des normes de comportement (refus du mariage gay ou de la PMA, par exemple) et estime que les droits de l’homme doivent céder le pas à l’intérêt de l’État. Bref, l’Europe est rejetée parce qu’elle incarne un libéralisme, au sens anglo-saxon du terme, honni.

S’opposer à l’Europe, c’est donc s’opposer au libéralisme, c’est-à-dire à la liberté. Rien d’étonnant à ce que les souverainistes aient dérivé soit vers l’extrême-droite, tel Nicolas Dupont-Aignan, soit vers l’extrême-gauche, tel Jean-Luc Mélenchon. Si rien n’oppose ontologiquement le souverainisme à la démocratie, force est de constater qu’aujourd’hui tous les souverainistes sont devenus a-démocratiques.

Une évolution qui n’avait rien d’inéluctable. En réalité, c’est le monde occidental qui est tenté par l’autoritarisme. La démocratie et le libéralisme, 70 ans après la défaite des totalitarismes fascistes et 30 ans après l’effondrement du totalitarisme soviétique, n’ont plus rien d’évident. La démocratie est devenue un régime parmi d’autres, une frange de plus en plus importante ne la jugeant plus comme le pire à l’exception de tous les autres… Il y a une fatigue démocratique de Rio à Washington, de Londres à Rome en passant par Bruxelles et Berlin. Partout des forces autoritaires qui remettent en cause toutes les institutions héritées de la Seconde Guerre mondiale, prennent le pouvoir ou s’en approchent dangereusement. On assiste à un effondrement de la société politique telle qu’on la connaissait au XXe siècle : l’individu est érigé en absolu. De ce point de vue, le mouvement des gilets jaunes est parfaitement représentatif de ce nouveau monde : simple addition d’individus, il a refusé toute représentation, toute articulation d’un corpus revendicatif, tout loyalisme à l’égard de qui que ce soit. Si on élargit ainsi la focale, l’Europe n’est donc en réalité qu’une victime collatérale d’un mal plus profond, celui du rejet de la démocratie et de tous les corps politiques qui font obstacle à l’individu. De ce point de vue, les souverainistes se trompent : l’europhobie n’a rien à voir avec le nationalisme, celui-ci impliquant une loyauté à la nation et à l’Etat qui disparait sous nos yeux.

N.B.: article paru dans l’Hémicycle du mois d’octobre

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BCE: Christine Lagarde prend la relève

Sun, 11/03/2019 - 19:14

Christine Lagarde débarque à Francfort en pleine guerre de tranchées entre les «colombes», avant tout soucieuses de croissance, un camp jusque-là dirigé par son prédécesseur, Mario Draghi, et les «faucons», emmenés par les Allemands, qui veulent en finir avec la politique de l’argent gratuit pour sauver les épargnants et la marge bénéficiaire des banques. Il faudra beaucoup de talents à l’ancienne directrice générale du FMI pour ramener la paix au sein de la Banque centrale européenne, l’affrontement ayant pris la tournure d’une guerre totale entre deux conceptions antagonistes de la politique monétaire.

Rupture

La tâche de Christine Lagarde, 63 ans, première femme nommée à la tête de la BCE, s’annonce d’autant plus ardue qu’elle n’est pas membre de «l’amicale des banquiers centraux», comme l’appelait ironiquement Jacques Chirac, à la différence de ses prédécesseurs, tous gouverneurs de leur banque centrale nationale avant d’être propulsés à Francfort (le Néerlandais Wim Duisenberg, le Français Jean-Claude Trichet et l’Italien Mario Draghi).

Cette ancienne avocate d’affaire associée d’un cabinet américain, plus à l’aise en anglais qu’en français, qu’elle pratique de moins en moins, a, en effet été ministre du Commerce (2005-2007) de Chirac, puis des Finances (2007-2011) sous Sarkozy, avant de prendre à la volée la succession au FMI de Dominique Strauss-Kahn, empêtré dans l’affaire du Sofitel de New York. Sa nomination le 2 juillet, par les 28 chefs d’Etat et de gouvernement, constitue donc une rupture dans la jeune histoire de l’institution monétaire.

Solidarité

Son absence de passé monétaire ne veut pas dire qu’elle n’a pas des préférences, comme l’a montré son audition devant le Parlement européen, le 4 septembre : même si elle est très appréciée de la chancelière allemande, Angela Merkel, elle a clairement assumé l’héritage de Mario Draghi, à la grande satisfaction des députés, dont la grande majorité ne partagent pas la vision allemande de la politique monétaire.

Christine Lagarde a ainsi martelé que «sans la plasticité novatrice de la BCE, la crise de la zone euro aurait été bien plus profonde»,une plasticité qui l’a même conduite à «transgresser les traités»européens… Pour elle, l’activité économique est prioritaire, même si elle a reconnu qu’il fallait étudier «l’impact à long terme des politiques non conventionnelles», notamment sur la rentabilité des banques, l’épargne et le marché immobilier.

Tout comme Draghi, elle estime qu’un budget de la zone euro est nécessaire ou, à tout le moins, que les Etats qui ont de «l’espace budgétaire», comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, devraient l’utiliser pour investir. Le message est clair : il est contradictoire de vouloir abandonner «les politiques non conventionnelles» mises en œuvre par la BCE pour donner de l’air aux pays du sud de la zone euro, tout en refusant la moindre solidarité budgétaire dans une zone monétaire unique. Car, à terme, les déséquilibres économiques qui s’accroissent entre les 19 pays de la zone euro risquent d’emporter la monnaie unique. Les faucons sont prévenus : la politique de Mario Draghi n’est que la résultante de leur égoïsme. Autrement dit, on ne peut avoir le beurre, l’argent du beurre et le sourire de la crémière.

Photo: Photo Boris Roessler. Reuters

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Super Mario sort de la zone euro

Sun, 11/03/2019 - 19:12

L’Italien Mario Draghi tire sa révérence ce jeudi. Après huit ans passés à la tête de la Banque centrale européenne (BCE), il laisse la place à la Française Christine Lagarde, jusqu’ici directrice générale du Fonds monétaire international. Huit années au cours desquelles cet homme de 72 ans, pur produit du monde de la finance (fils de banquier, ancien directeur du Trésor public italien, vice-président de la branche européenne de Goldman Sachs, gouverneur de la Banque centrale d’Italie de 2006 à 2011), a profondément transformé l’institut monétaire de Francfort. Jetant par-dessus bord les derniers vestiges hérités de l’idéologie de la Bundesbank allemande (Buba), «Super Mario» a aligné sans états d’âme la BCE sur ses consœurs américaine, britannique ou japonaise afin de préserver la monnaie unique, puis relancer la croissance, quitte à sacrifier les épargnants. Ce n’est pas un hasard si Draghi quitte ses fonctions sous les applaudissements de la France et des pays du sud de la zone euro, et sous les huées de l’Allemagne et de ses satellites.

Le fait d’armes qui fait entrer Mario Draghi dans la légende a lieu le 26 juillet 2012 à Londres, neuf mois après sa prise de fonction, alors que la crise de la zone euro connaît un énième soubresaut. Les marchés, inquiets de l’état des caisses d’épargne de la péninsule Ibérique gorgées de créances douteuses, vendent alors à tour de bras les emprunts d’Etat espagnol, dont les taux grimpent à 7 %. Sans avoir consulté personne, il lâche lors d’un discours prononcé à la City : «La BCE est prête à faire tout ce qui est nécessaire pour préserver l’euro. Et croyez-moi, ce sera suffisant.» Aussitôt, la Bundesbank prend ses distances en affirmant son hostilité totale à la réactivation du SMP (Securities Markets Programme, en sommeil depuis le mois de mars), qui a permis à la BCE de racheter des obligations d’Etat sur le marché secondaire afin de stabiliser les taux d’intérêt. Fait inhabituel : l’ensemble du gouvernement allemand se range derrière Draghi.

Coup de maître

Le 2 août, Draghi en rajoute une couche : l’euro est «irréversible»,«il reste, il reste, il reste. Il est inutile de spéculer contre l’euro».En septembre, le programme OMT (Outright Monetary Transactions, «Transactions monétaires fermes») est lancé : un pays de la zone euro attaqué par les marchés doit d’abord demander au Mécanisme européen de stabilité (MES) de lui acheter directement de la dette (marché primaire) afin de se soumettre à un «programme d’ajustement». C’est seulement ensuite que la BCE interviendra sans limites (c’est Francfort qui crée la monnaie) sur le marché secondaire (celui de la revente des obligations d’Etat) pour faire baisser les coûts de financement. Ainsi les investisseurs auront toujours la certitude de récupérer leur mise, ce qui les dissuadera de vendre et donc de pousser un pays au défaut… Jens Weidmann, le patron de la Buba, est le seul à s’opposer à ce programme car il «est proche d’un financement des Etats par la planche à billets», interdit par les traités européens.

Un coup de maître qui met immédiatement fin à la crise. Mais Draghi, qui, contrairement à son prédécesseur, le Français Jean-Claude Trichet, n’a pas cherché le consensus au sein du Conseil des gouverneurs de la BCE, n’aurait pas pu agir si les Etats n’avaient pas décidé, au mois de juin, de lancer l’union bancaire. Et ainsi de transférer à la BCE le contrôle de leurs banques et de mettre en place un bail in (un sauvetage payé d’abord par les banques) qui garantit que les budgets nationaux ne seront plus en première ligne. C’est seulement à partir de là que Draghi a pu garantir sans limites les dettes publiques, inversant la logique qui prévalait depuis 2009 : un bail in pour les dettes publiques (chacun pour soi), un bail outpour les dettes bancaires (les budgets nationaux payent). Autrement dit, il n’a pas sauvé l’euro à lui tout seul.

Innovation

Second bémol : Draghi s’est engouffré dans les brèches ouvertes par Trichet, en 2010 et 2011, en particulier l’intervention - limitée - sur le marché secondaire afin de racheter les emprunts vendus par les banques ou les assurances. Cette innovation si peu conforme au monétarisme rigide de la Bundesbank a d’ailleurs entraîné la démission de l’économiste en chef de la BCE, l’Allemand Jürgen Stark, et surtout du patron de la Buba, Axel Weber. «Je ne pouvais pas aller plus loin, sinon je perdais l’Allemagne», expliquait le Français à Libération à la fin de son mandat… Draghi, lui, n’a pas hésité.

Et il ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Le 22 janvier 2015, inquiet d’un taux d’inflation proche de 0 (loin de l’objectif de politique monétaire de 2 % par an), qui pourrait se muer en déflation, il lance un «quantitative easing» («assouplissement quantitatif») baptisé PSPP (Public Sector Purchase Programme), à l’image de ceux que pratiquent les autres grandes banques centrales de la planète. Là aussi en dépit de l’opposition de Weidmann.

«Draghila»

En rachetant de la dette publique (puis des actions et obligations d’entreprises), c’est-à-dire en faisant tourner la planche à billets, il injecte de la liquidité, ce qui fait baisser les taux d’emprunt, mais aussi l’euro, le tout au bénéfice de la croissance. A l’issue de ce programme, en décembre 2018, la BCE a acquis l’équivalent de 20 % du PIB de la zone euro en dette publique (soit 2 600 milliards d’euros). Grâce à son action, les Etats empruntent désormais à taux négatif et les entreprises et les ménages à des taux proches de zéro. Une action musclée qui, selon les économistes, a permis d’augmenter le taux d’inflation et la croissance de près de 2 points de pourcentage entre 2016 et 2020.

En septembre dernier, il a réussi à imposer la relance du PSPP, la croissance et l’inflation ralentissant dangereusement. Même si les rachats sont limités à 20 milliards d’euros par mois, contre 80 milliards au plus fort du programme précédent, l’opposition a cette fois été forte : outre l’habituel Weidmann, les banquiers centraux français, néerlandais et autrichien ont voté contre ces mesures qui plombent les bilans des banques et grignotent les dépôts des épargnants. Le 25 septembre, Sabine Lautenschläger, la membre allemande du directoire et «faucon» déclaré, a même démissionné, à l’image de son prédécesseur Jürgen Stark. En Allemagne, la campagne contre Mario Draghi est violente : le quotidien Bild le surnomme même «Draghila», car il suce le sang des épargnants et des retraités… Un tir de barrage qui vise surtout à impressionner Christine Lagarde afin qu’elle détricote l’héritage de l’Italien. Si elle cherche le consensus entre les gouverneurs, c’est bien ce qui risque de se passer.

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L'heure des comptes pour la Commission Juncker

Sun, 10/27/2019 - 19:36

« Fatigué, vieilli, usé », tel est apparu Jean-Claude Juncker, le 22 octobre à Strasbourg, pour son discours d’adieu au Parlement européen. Marchant péniblement, l’élocution lente, les gestes précautionneux, l’homme qui préside depuis le 1er novembre 2014 et pour quelques semaines encore la Commission européenne, celle « de la dernière chance » comme il le proclamait, affichait infiniment plus que ses 64 ans. Rien à voir avec le Jacques Chirac fringant de 2002 qui, à 69 ans, a démontré à son cadet de 5 ans, Lionel Jospin, qu’il avait eu tort de l’enterrer si vite en lui appliquant ces qualificatifs restés célèbres. Juncker, saisi à plusieurs reprises de sanglots, ce tueur politique ne s’étant jamais départi de son émotivité comme le montre sa propension à claquer la bise à tout le monde, a affirmé devant les eurodéputés qu’il laissait l’Europe dans un bien meilleur état qu’il ne l’avait trouvé. Ce qui reste à démontrer surtout à l’heure du Brexit.

«Un boulot épuisant»

« Fatigué, vieilli, usé », l’ancien Premier ministre l’était déjà en 2013 lorsque les électeurs luxembourgeois (et surtout ses partenaires de coalition) l’ont éjecté d’un pouvoir qu’il détenait sans discontinuer depuis 1995 (ministre depuis 1989, Premier ministre depuis 1995). Fumeur et buveur invétérés, son corps donnait déjà des signes inquiétants d’usure : il ne faisait pas mystère à ses visiteurs et à ses proches qu’il n’avait strictement aucune envie de diriger l’exécutif européen, « un boulot épuisant réservé à plus jeune que moi ». Et ce, en dépit de sa passion, dont personne ne peut douter, pour la construction communautaire. Il savait déjà à l’époque qu’il avait laissé passer sa chance en 2009 en refusant de pousser vers la sortie le médiocre José Manuel Durao Barroso en quête d’un second mandat de président.

Pourtant il s’est laissé convaincre en 2013 par l’Allemand Martin Selmayr, le chef de cabinet de la commissaire luxembourgeoise de l’époque, Viviane Reding, de disputer la tête de la liste PPE (conservateur) au Français Michel Barnier pour les élections européennes de mai 2014. En réalité, il s’est lancé dans la course sur un malentendu : Angela Merkel, la chancelière allemande, l’a, en effet, assuré qu’il était hors de question que le Parlement européen mette son nez dans la désignation du président de la Commission, une prérogative du seul Conseil européen des chefs d’État et de gouvernement. Elle lui a donc proposé un deal un rien tordu : accepter d’être le « Spitzenkandidat » du PPE, mais avec la garantie, s’il arrivait en tête, d’être nommé président du Conseil européen, un job taillé pour lui : peu fatigant, il restait dans un cénacle qu’il connaissait parfaitement pour y avoir siégé durant 19 ans. La place libre, les chefs auraient pu ensuite nommer le candidat de leur choix face à un Parlement qui n’en aurait pu mais.

A l’insu de son plein gré

Mais tout à dérapé à cause de Selmayr qui n’entendait pas laisser le pouvoir suprême lui échapper : il a convaincu les journaux allemands, et notamment le populaire Bildzeitung, de défendre le système des « Spitzenkanditaten » au nom de la démocratie, un argument auquel aucun dirigeant allemand ne peut résister durablement. C’est ainsi que Juncker s’est retrouvé président de la Commission à l’insu de son plein gré.

Cette genèse explique qu’il ait laissé l’essentiel de la direction de la Commission à Martin Selmayr, son mauvais génie devenu son chef de cabinet. Ne sortant que rarement de son bureau, préférant le téléphone aux voyages, trop fatigants, il s’est petit à petit muré au 13e étage du Berlaymont, le siège de l’exécutif européen. Il faut dire qu’il a été cueilli à froid par les « Luxleaks » dès le lendemain de sa prise de fonction, le 1er novembre. Ce grand Européen s’est retrouvé accusé d’avoir joué contre l’Europe en transformant son pays en paradis fiscal. Rien d’illégal cependant, l’Union n’ayant que peu de compétences en matière fiscale, mais quelle image ! À la suite de ces révélations, il a eu à cœur de démontrer que l’ancien braconnier pouvait être un excellent garde-chasse : c’est sous son mandat que les progrès les plus importants de l’histoire communautaire en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ont été accomplis, à la fois en mettant définitivement fin au secret bancaire, mais aussi en utilisant les instruments de la politique de concurrence pour contraindre les États membres à cesser leur course au moins-disant fiscal.

Le braconnier devenu garde-chasse

C’est sans doute l’un de ses principaux succès avec le « plan Juncker », qui a permis de mobiliser 500 milliards d’euros en faveur de l’investissement industriel, une interprétation « créative » du Pacte de stabilité, qui a permis à la France de ne pas être sanctionnée, la révision de la directive sur le détachement des travailleurs ou encore la Grèce, qui lui doit (avec la France) de ne pas avoir été éjectée de la zone euro par l’Allemagne.

Mais voilà : ces succès sectoriels ne marqueront pas son règne qui restera entaché par un évènement sans précédent, le Brexit dont il n’a pourtant pas soufflé mot durant son discours. Or Juncker ne s’est absolument pas engagé dans la campagne référendaire de juin 2016, ce qu’il regrette aujourd’hui. Car il n’avait strictement rien à perdre dans cette affaire qui mettait en jeu la pérennité du projet européen. Mais, prisonnier des réflexes précautionneux de ses services, il s’en est tenu à l’habituelle non-intervention quand la situation exigeait une mobilisation totale. De même la crise migratoire a montré que l’homme avait perdu sa vista. Pour soulager la pression migratoire qui pesait sur l’Allemagne, il a défendu une solution allemande comme le lui soufflait Selmayr, une répartition obligatoire des demandeurs d’asile entre les États contre l’avis des pays d’Europe de l’Est qui refusaient d’accueillir le moindre musulman. Avec pour résultat un schisme sans précédent entre les deux parties de l’Europe.

Défense des intérêts allemands

Cette défense des intérêts allemands est d’ailleurs rapidement devenue la marque de son mandat : la Commission a ainsi enterré le dieselgate, alors que cela relevait de sa compétence, allant même jusqu’à assouplir les normes de pollution automobile pour soulager la pression pesant sur l’industrie germanique. De même, il a cédé aux Américains, en juillet 2018, en acceptant de négocier sous la menace de sanctions contre les automobiles teutonnes, un accord de libre-échange avec les États-Unis. Ou encore, il a refusé d’engager des poursuites contre la Hongrie pour violation des valeurs européennes, car Viktor Orban est un allié clef d’Angela Merkel à l’Est, une chance que n’a pas eue la Pologne dont le gouvernement n’appartient pas au PPE, qui, elle, a rapidement subi les foudres de la Commission. En réalité, le seul secteur du jeu où Juncker n’a pas défendu les intérêts allemands est celui qu’il maitrisait parfaitement, sans avoir besoin d’aide : l’union économique et monétaire.

Une santé dégradée

Pour ne rien arranger, sa santé a continué à se dégrader. Toujours trop porté sur la bouteille, il souffrait aussi de calculs rénaux, a dû subir une ablation de la vésicule biliaire en août dernier et devait vivre avec une méchante sciatique… Et dernièrement, les médecins lui ont découvert un anévrisme qui doit être opéré en novembre : en attendant, il a interdiction de prendre l’avion. Cette dégradation spectaculaire de son état explique en grande partie pourquoi il a de plus en plus délégué la gestion de la Commission, y compris son agenda politique, à Selmayr. Mais celui-ci lui a fait franchir la ligne rouge en le convaincant de le nommer illégalement secrétaire général de la Commission en février 2018, une affaire révélée par Libération. Au lieu de le lâcher immédiatement une fois l’affaire devenue publique, il a mis sa démission dans la balance pour le sauver, alors que le Parlement européen et la médiatrice européenne condamnaient un « coup d’État ». Il a alors ainsi reconnu que sans son âme damnée, il ne pourrait continuer à diriger la Commission, un aveu de faiblesse étonnant.

Bien que les eurodéputés aient demandé son départ à deux reprises, c’est finalement sa successeure désignée, Ursula von der Leyen, qui l’obtiendra, en juillet dernier, pressée, il est vrai, par les chefs d’État et de gouvernement qui voulaient se débarrasser d’un personnage de plus en plus encombrant. Commencée avec les Luxleaks, marquée par le Brexit, la Commission Juncker se termine donc dans le népotisme. « J’ai le sentiment de m’être démené », a clamé Juncker devant le Parlement européen : « si tout le monde faisait pareil, cela irait mieux ». On peut en douter ?

Photo: SIPA

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"Il faut achever l'euro" récompensé.

Sun, 10/27/2019 - 19:16

Mon livre, «il faut achever l’euro», paru en janvier chez Calmann-Lévy, a reçu jeudi le prix Camille Gutt qui récompense les livres économiques et financiers. Camille Gutt fut ministre des finances de Belgique et premier directeur général du FMI. Merci à la fondation Gutt (et à son directeur, le baron Michel Vanden Abeele) et à l’ULB pour cette marque d’estime et de confiance qui me touche profondément.

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Commission européenne: Macron avance le nouveau pion Breton

Sun, 10/27/2019 - 16:43

France, deuxième essai. Après le retentissant rejet de la candidature de Sylvie Goulard, Emmanuel Macron a proposé jeudi le nom de Thierry Breton pour représenter la France dans l’équipe de 27 commissaires européens présidée par l’allemande Ursula von der Leyen. A gauche, plusieurs voix ont aussitôt affirmé que ce choix ne serait pas sans risque. Ex-ministre des Finances de Jean-Pierre Raffarin, l’actuel patron du groupe Atos, 64 ans, a derrière lui une longue carrière d’industriel qui serait potentiellement susceptible de le mettre en conflit d’intérêts.

«Vous vous doutez bien que toutes les précautions ont été prises»,assure une source ministérielle. A l’Elysée, on n’imagine pas une seconde que le Parlement européen puisse une nouvelle fois rejeter le candidat de Paris. «Thierry Breton a des compétences solides dans les domaines couverts par son portefeuille», fait valoir la présidence. Après l’élimination de Goulard, Macron avait indiqué que sa priorité était de préserver le périmètre du portefeuille obtenu pour le Commissaire français (politique industrielle, marché intérieur, numérique, défense et espace). Ursula von der Leyen aurait, sur ce point, donné toutes les assurances.

En charge de l’industrie quand il régnait sur Bercy entre 2005 et 2007, Breton a dirigé plusieurs groupes concernés par le numérique ou la défense (Thomson, France Télécom, Atos). Ce qui l’a amené à travailler avec Ursula von der Leyen, alors ministre allemande de la Défense, sur la création d’un Fonds européen de la défense et de la sécurité. Outre une «solide réputation d’homme d’action», l’Elysée fait valoir que son champion est un «Européen convaincu». En guise d’illustration, l’entourage du chef de l’Etat rappelle que Breton a négocié un partenariat stratégique avec l’allemand Siemens dont le groupe Atos a racheté en 2010 l’entité Solutions and Services. C’est d’ailleurs à la banque Rothschild et à son associé gérant, un certain Emmanuel Macron, que sera confié le mandat de vente. Le patron et le jeune banquier se connaissaient déjà : en 2005, le premier, ministre de l’Economie, avait confié au second, jeune inspecteur des finances, une mission sur la trésorerie de l’Etat.

«Créativité».

Un ancien ministre de Chirac pour remplacer Goulard ? Jusque dans la majorité, ce choix en déçoit certains. «Thierry Breton est évidemment fait pour ce poste mais on a sans doute raté l’occasion d’une ouverture à gauche», confie l’eurodéputé Bernard Guetta qui cite, entre autres, l’économiste Jean Pisany-Ferry, coordinateur du programme du candidat Macron en 2017, ou la négociatrice de la COP 21, Laurence Tubiana. Le vivier de la macronie serait-il à ce point tari qu’aucune figure nouvelle - et féminine - ne pouvait être trouvée ? «Parce que vous trouvez que les autres viviers, ceux de LR ou du PS, sont particulièrement riches ?» réplique, amusé, un cadre de LREM. De nombreux responsables de la majorité ont tenu à saluer «l’excellent choix» présidentiel. Même François Bayrou, notoirement hostile à la candidature Goulard, s’est fendu jeudi d’un tweet laudateur : «Un choix remarquable, […] une personnalité qui a une expérience majeure et une grande créativité !» Le nom de Thierry Breton ne tombe pas du ciel. Il avait déjà circulé avec insistance au moment de l’élection de Macron. On le disait alors intéressé par un super ministère de l’Economie et des Finances.

Le Parlement européen peut-il recaler pour la seconde fois le candidat français ? C’est douteux, même si le passé d’homme d’affaires de Breton suscite des réserves sur les bancs socialistes, écologistes et de la gauche radicale. Un nouveau camouflet, sans précédent dans l’histoire communautaire, serait une vraie déclaration de guerre à Macron, alors même qu’il est le dernier chef d’Etat et de gouvernement à défendre une Union plus intégrée. Surtout, le Parlement prendrait le risque de déclencher une crise interinstitutionnelle de grande ampleur à l’heure du Brexit, ce que personne ne souhaite.

Que le président de la République soit un très mauvais DRH, c’est devenu une évidence à Bruxelles après les crashs Nathalie Loiseau et Sylvie Goulard - sans parler de Catherine Pignon qui n’a pas obtenu le poste d’avocate générale auprès de la Cour de justice européenne pour manque de connaissance du droit communautaire… On fait valoir à Paris que le chef de l’Etat était contraint par la taille gigantesque du portefeuille négocié avec Von der Leyen : il y aurait là de quoi occuper sans problème trois commissaires… Trouver l’oiseau rare n’était donc pas aisé et peu d’eurodéputés pourraient prétendre le contraire.

Thierry Breton est d’un niveau autrement plus relevé que la plupart des commissaires déjà adoubés par le Parlement, estime-t-on à Paris. «On ne va pas nous faire croire que le commissaire polonais à l’agriculture, Janusz Wojciechowski, est plus compétent que notre candidat, s’exclame un diplomate français. Qu’on lui laisse sa chance, c’est tout ce qu’on demande.» Les vieilles affaires reprochées à Breton n’ont jamais donné lieu à condamnation et il n’est pas difficile d’évacuer les soupçons de conflits d’intérêts. A Paris, on considère qu’il peut soit confier ses actions et obligations à un trust durant son mandat, soit les vendre comme s’est par exemple engagé à le faire l’Espagnol Josep Borrell, ministre des affaires étrangères désigné de l’UE (un portefeuille estimé à 500 000 euros). «Il va diviser sa rémunération par dix, alors l’accuser de vouloir s’enrichir n’a aucun sens», poursuit ce diplomate.

Emiettement.

Reste que la dynamique du Parlement élu en mai peut échapper à tout contrôle : outre qu’il n’existe aucune discipline de vote à l’intérieur des groupes politiques, 63 % des eurodéputés sont de nouveaux élus qui ont soif de prouver leur indépendance. Surtout, la majorité absolue ne peut être atteinte qu’en réunissant les voix des conservateurs, des socialistes et des centristes de Renew Europe où siègent les députés de LREM, trois groupes auxquels il faut ajouter les écologistes pour se doter d’une marge confortable. Autant dire que la logique institutionnelle qui plaide pour une confirmation de Thierry Breton pourrait ne pas résister à cet émiettement politique justement souhaité par Macron… Et si le candidat français est finalement confirmé, rien ne dit que la Commission Von der Leyen obtiendra in fine la confiance : le 16 juillet, la présidente désignée n’a dépassé la majorité nécessaire de 374 voix que de 9 petites unités.

Photo: Reuters

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Ursula von der Leyen veut des Allemands partout

Tue, 10/22/2019 - 18:12

Ursula von der Leyen est-elle taillée pour le rôle de présidente de la Commission européenne ? Ses propres commissaires se posent (off, bien sûr) la question face à la gouvernance chaotique et paranoïaque que l’ancienne ministre de la défense allemande met en place. A tel point que certaines éminences se demandent même si elle parviendra à faire investir son collège par le Parlement européen fin novembre.

C’est la première fois, depuis l’origine le lancement de la construction communautaire qu’une transition entre deux Commissions se passe si mal, von der Leyen refusant tout conseil de l’équipe en place comme s’il s’agissait de ses ennemis personnels. Ce n’est pas un hasard si elle n’a toujours pas constitué son cabinet puisque cela suppose de faire confiance à des fonctionnaires qu’elle ne connait pas par définition. Or, la confiance, c’est ce qui fait défaut à l’ex-ministre de la Défense. Elle n’écoute que deux hommes, son chef de cabinet Bjoern Seibert, et son porte-parole, Jens Flosdorff, qui la suivent depuis 15 ans dans les mêmes fonctions. Le problème est qu’ils ne connaissent strictement rien à l’Europe et à ses institutions comme l’a montré le fiasco des auditions : trois commissaires, dont la Française Sylvie Goulard, recalés, c’est une claque sans précédent qui fragilise l’autorité de von der Leyen face au Parlement européen.

Cette petite équipe est tellement germano-centrée qu’elle n’a pas bien compris que l’Europe est par définition pleine d’étrangers à qui elle doit faire confiance. Seibert, dont la réputation de brutalité fait fuir les meilleurs, a ainsi cherché à imposer des Allemands dans tous les cabinets des commissaires, y compris des chefs de cabinet ou chefs de cabinet adjoint. Les plus fortes personnalités l’ont envoyé gentiment paitre, à l’image du Luxembourgeois Nicolas Schmit, alors que d’autres se sont couchés : ainsi, le Letton Valdis Dombrovskis, l’un des trois supers vice-présidents chargé l’économie, a viré son chef de cabinet italien pour le remplacer par l’Allemand envoyé par Seibert. Le but est de permettre à l’Allemagne d’avoir à l’œil l’Italien Paolo Gentiloni qui a hérité des affaires économiques et financières... Paris et d’autres capitales sont fermement intervenus en expliquant à Ursula von der Leyen que son approche nationale (pour rester poli) était hors d’âge. Mais selon nos informations, rien n’a changé.

D’ailleurs, elle a décidé de faire de son fidèle Flosdorff le vrai patron du service du Porte-Parole (SPP), un organe stratégique assurant l’interface entre la Commission et les quelque mille journalistes en poste à Bruxelles. Mais comme il ne parle pas français (tout comme Seibert), l’une des deux langues de la salle de presse avec l’anglais, il restera au cabinet, au plus près de sa patronne : le chef du SPP en titre, le Français Eric Mamer (il parle, lui, allemand, français et anglais) est donc placé sous ses ordres. Fait là aussi sans précédent, le communiqué de presse annonçant la nomination de Mamer et celle de son adjointe commençait par celle de Flosdorff au poste de conseiller communication du cabinet de la présidente, une fonction qui n’a aucune valeur hiérarchique… Bref, cette volonté de tout contrôler, ce refus de jouer collectif, ce nationalisme borné augurent mal de l’avenir.

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Le Brexit sans fin

Sun, 10/20/2019 - 17:47

Mes papiers sur le sommet européen des 17 et 18 octobre dernier consacrés en grande partie au Brexit sont ici, ici et ici. Bonne lecture !

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Un Netflix européen?

Wed, 10/16/2019 - 21:09

Ma chronique dans «La faute à l’Europe» sur France Info

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