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Politique étrangère (IFRI)

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La revue de référence sur les questions internationales
Updated: 1 month 6 days ago

Le contrôle de l’information et les relations internationales

Fri, 08/06/2018 - 11:06

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez « l’archive de la semaine ».

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L’article « Le contrôle de l’information et les relations internationales » a été écrit par Jean Chevalier et publié dans le numéro 1/1949 de Politique étrangère.

La crainte d’une prochaine guerre et le désordre des esprits sont, pour une grande part, attribuables à la confusion qui règne en ce moment dans le domaine de l’information internationale. Combien de nos idées sur le monde et sur les hommes ne dépendent-elles pas de la presse ? Or avons-nous jamais songé à faire une critique sérieuse de cette source de connaissance qui nous fournit la matière de presque tous nos jugements ? Nous ne croyons guère au désintéressement des journaux et des grandes agences, et nous admettons pourtant comme authentiques la plupart des informations que nous recevons, puisque nous les introduisons dans nos raisonnements. Essayons donc de réfléchir sur cette garantie de vérité que serait une liberté de l’information bien comprise, et spécialement en matière internationale. Dans une société en perpétuelle évolution, l’usage variable des libertés suscite des problèmes toujours nouveaux. L’évolution est créatrice de formes ; les formes anciennes deviennent vite inadaptées, monstrueuses, opprimantes, si elles résistent aveuglément à la poussée des événements, à la poussée de la vie. La liberté dans l’information n’échappe pas à cette loi.

Conçue d’abord comme liberté d’expression et d’opinion, elle se fonde sur l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : «La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté dans les cas déterminés par la loi. » Mais cette charte de la liberté, qui paraissait en 1789 définir avec assez de précision notre objet, se révèle aujourd’hui, après un siècle et demi d’expérience, après avoir été violée, tournée, dénaturée, comme une formule abstraite, vague et confuse, incapable de satisfaire aux difficiles exigences du moment. Le libéralisme qui l’inspire pouvait représenter un progrès lorsque cette charte fut promulguée. Il en fut un assurément, puisqu’il ne tarda pas à être contredit par le pouvoir. Mais il a produit, dans l’information, les mêmes bienfaits et les mêmes méfaits qu’en économie. Il détermina d’abord une extraordinaire expansion de la presse.

Pour ne citer qu’un chiffre, je signalerai qu’en 1805 15 journaux parisiens n’avaient que 25 000 abonnés ; le Journal des Débats, à lui seul, en comptait plus de la moitié : 13 800. De 1789 à 1800, le nombre des journaux français passe de 350 à 1 350 ; il atteint 6 831 en 1928. Après avoir déclenché cet essor, le libéralisme a révélé sa vraie nature. On est allé jusqu’à l’accuser d’avoir fomenté des guerres. La presse a même été jugée capable de faire pire, par esprit de lucre, à savoir de corrompre les mœurs et d’abêtir les peuples. Mais là n’est pas notre propos. Les accusations de provoquer des guerres ou de pervertir les mœurs ne sont d’ailleurs pas exemptes d’une certaine ambiguïté. C’est dans la mesure où la liberté s’est montrée faible devant l’argent ou devant le pouvoir qu’elle a pu prêter ses apparences aux entreprises intéressées de l’État et du capital. Or, pour garantir son indépendance par sa propre puissance, la liberté dans l’information doit réunir tant de conditions qu’il est difficile d’imaginer sans naïveté qu’elle puisse échapper au contrôle des pouvoirs officiels ou occultes. Et voilà bien la contradiction dans laquelle nous nous débattons : d’une part, un droit à l’information qui présuppose de multiples libertés, et, d’autre part, une incapacité d’exercer ces libertés, faute de moyens financiers, et, par conséquent, d’obtenir son dû. C’est un peu le cas d’un homme qui serait lésé dans un de ses intérêts, mais incapable d’intenter un procès, parce qu’il ne peut verser une provision entre les mains «d’un avoué ou d’un avocat. Ce n’est d’ailleurs là qu’un exemple des multiples contradictions de notre société. Dans le domaine de l’information, y a-t-il une issue pratique ? Quelles sont les diverses tentatives par lesquelles on a cherché à garantir l’exercice du droit de savoir, du « droit au fait », comme l’a nommé M. Bret ?

Définissons tout d’abord ce que nous entendons par le droit au fait et par la liberté dans l’information. Quelles en sont les conditions a priori ?

Le droit à l’information, qui est revendiqué par l’adulte, fait suite, on l’a dit, au droit à l’instruction que toute société civilisée reconnaît à l’enfant. En outre, il conditionne l’exercice éclairé des devoirs du citoyen électeur. Cette exigence, conforme à la nature de l’homme, devient donc, par surcroît, une nécessité dans une démocratie. Ce droit à l’information est illimité en lui-même en ce qu’il n’y a pas de frontières théoriques pour la curiosité de l’esprit, en ce que le citoyen a une part de responsabilité dans toute la politique de la cité et, enfin, en ce qu’il a une responsabilité totale dans la conduite de sa propre vie. Lui dissimuler des éléments de jugement serait restreindre injustement les raisons, et, par suite, la liberté de ses propres déterminations. Les limites à l’information ne peuvent donc être fixées que par les intérêts supérieurs d’une légitime défense individuelle ou collective ; mais, en fait, elles le sont par les moyens trop chichement mesurés des recherches et de la transmission des nouvelles.

Ne confondons pas cette information, qui est un droit à plusieurs titres, avec les opinions qu’en prétendent se former les journalistes, ni avec les interprétations qu’en donnent les milieux intéressés, ni avec les commentaires qui, la plupart du temps, étouffent le récit des événements, les colorent à leur façon ou les défigurent en nous en imposant une vision qui est particulière, ou trop particulière à son auteur. Le droit au fait suppose, de la part de celui qui veut le servir, une opération critique sur les trois principaux facteurs d’erreur contre lesquels Descartes mettait en garde tout homme en quête de vérité, à savoir : les passions, les préventions et les préjugés ; et prenons soin d’inclure dans les passions l’esprit de lucre et l’esprit de parti.

Aux journaux d’enrober à leur mode les nouvelles qu’ils reçoivent et qu’ils transmettent, sans avoir toujours les moyens ou même le souci de les contrôler. On sait une fois pour toutes qu’ils sont trop nombreux à se conduire en simples exploiteurs de la curiosité publique. Mais il doit exister des agences qui se mettent exclusivement au service du fait et du droit de savoir. Or la confusion entre la nouvelle et le commentaire est un des maux dont souffre le plus la presse dans ses informations internationales. Ce mal n’est d’ailleurs qu’une transposition d’un mal endémique et trop humain, à savoir la confusion de la simple observation et de l’interprétation, deux actes presque aussi difficiles à dissocier parfaitement que la sensations de la perception. Au lieu de se complaire dans cette confusion si propice à une présentation tendancieuse des faits, ou encore, de n’en avoir aucune conscience, comme c’est parfois le cas, il faudrait se montrer très vigilant, tendre constamment à détacher le fait brut de l’opinion qu’on s’en fait et de son utilisation commerciale ou politique. C’est la première condition de travail pour une agence qui voudrait, sans duperie ni mystification, satisfaire au droit commun de l’information. Ce serait déjà un progrès énorme et la meilleure façon pour elle d’honorer ses clients, qu’une agence se distinguât par une recherche rapide et complète, et par un énoncé exact et dépouillé du fait brut, laissant à chacun le privilège de l’apprécier selon son optique particulière.

Or c’est à un tel service que nous avons droit. Nous avons besoin d’informations indiscutables ; nous recevons, hélas ! des mots d’ordre, des explications et des opinions qui nous cachent d’autres réalités. En somme, nous avons droit, autant qu’il est possible de l’obtenir, à une information pure de toute expression personnelle de pensée, « ce qui a été, ce qui est, rien de plus », le fait»sans phrase ni parure.

Outre un esprit critique singulièrement éveillé, qui peut être le fruit d’une bonne formation professionnelle, cette présentation du fait pur exige une véritable maîtrise du langage. La propriété des termes et la propreté de l’information vont de pair. Il faudrait donc des hommes de métier, d’une solide culture et d’une grande exigence scientifique et littéraire. […]

Lisez l’article en entier ici.

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L’Union européenne et la lutte contre le terrorisme

Thu, 07/06/2018 - 09:40

Suite au sondage réalisé sur ce blog, nous avons le plaisir de vous offrir l’article du numéro d’été 2018 que vous avez choisi d'(é)lire : « L’Union européenne et la lutte contre le terrorisme », écrit par Séverine Wernert, membre du cabinet de Julian King, commissaire européen chargé de l’Union de la sécurité, et auparavant conseillère diplomatique adjointe au cabinet du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve.

La sécurité est aujourd’hui la première priorité des citoyens européens. Selon un sondage de l’Eurobaromètre de juin 2016, 82 % des Européens interrogés citent la lutte contre le terrorisme comme l’une des priorités principales pour l’Union européenne (UE). Selon ce même sondage, 83 % des Français interrogés demandent une plus grande action de l’UE en matière de lutte contre le terrorisme.

Relevant du domaine de la Justice et des affaires intérieures, la lutte contre le terrorisme est, selon le traité de Lisbonne, une compétence partagée entre l’UE et ses États membres. L’UE « œuvre pour assurer un niveau élevé de sécurité par des mesures de prévention de la criminalité, du racisme et de la xénophobie ainsi que par la lutte contre ceux-ci par des mesures de coordination et de coopération entre autorités policières et judiciaires et autres autorités compétentes, ainsi que par la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale et, si nécessaire, par le rapprochement des législations pénales ».

La France et d’autres États membres de l’Union ont été touchés par des attaques terroristes ces dernières années. La menace reste élevée et en constante évolution. Sa nature transnationale a engendré une prise de conscience par les États membres du rôle renforcé que doit jouer l’UE dans ce domaine.

Le terrorisme d’extrême gauche a été à l’origine de la première forme de coopération en matière de Justice et d’affaires intérieures en Europe, dans le cadre du groupe TREVI (« Terrorisme, radicalisme, extrémisme, violence internationale ») constitué le 1er juillet 1975. Ce groupe réunissait les ministres de l’Intérieur et de la Justice des neuf États membres de la Communauté économique européenne (CEE). En 1992, le traité de Maastricht a créé la structure en piliers de l’UE, qui intègre la Justice et les affaires intérieures dans le troisième pilier.

C’est seulement en 2001, quelques jours après les attentats du 11 Septembre, que l’UE a adopté un premier plan d’action destiné à lutter contre le terrorisme. Les attentats de Madrid en 2004, puis de Londres en 2005, ont suscité l’adoption d’une « stratégie de l’Union européenne visant à lutter contre le terrorisme », et la création du poste de coordinateur européen de la lutte contre le terrorisme, occupé depuis 2007 par Gilles de Kerchove.

Il faudra malheureusement que l’Europe soit à nouveau frappée par le terrorisme, avec les attentats de Paris en janvier puis novembre 2015 et de Bruxelles en mars 2016, pour qu’une dynamique nouvelle, et beaucoup plus forte, se mette en place au niveau européen. Après les attaques de janvier 2015, une réunion extraordinaire est organisée à Paris à l’initiative de la France. Elle donne lieu à la Déclaration de Paris[5] du 11 janvier, qui se concrétise en avril 2015 par l’adoption par la Commission européenne d’un Programme européen en matière de sécurité. Puis, en octobre 2016 est nommé un commissaire européen chargé de l’Union de la sécurité, le Britannique Julian King, dont le rôle est de veiller à la mise en œuvre de cet agenda, ainsi que de proposer de nouvelles initiatives européennes visant à mieux lutter contre le terrorisme.

Ainsi le rôle de l’UE s’est-il affirmé au fil des années. L’UE a pu apporter un soutien aux États membres dans leur combat contre le terrorisme à travers des instruments juridiques, mais aussi des outils de coopération, un appui technique ou financier. Toutefois, lutter contre le terrorisme reste la prérogative première des États membres. L’UE ne peut pas arrêter des terroristes ou des criminels. Elle ne dispose pas de police ou de justice européenne. De plus, le mode de fonctionnement de l’UE comporte certaines limites, en particulier dans le rythme d’adoption et de mise en œuvre des décisions.

Les apports de l’Union européenne dans le cadre de la lutte contre le terrorisme

L’apport législatif

À la suite des attentats de Paris en 2015, mais davantage encore en 2016 et 2017, une accélération législative intervient dans le domaine de la sécurité sur le plan européen. De nouveaux textes consacrés à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme ont été proposés par la Commission européenne, et adoptés dans des délais beaucoup plus courts que d’habitude. En effet, les attentats se succèdent dans divers États membres entre 2015 et 2017 (France, Danemark, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Suède, Finlande, Espagne), ce qui provoque une prise de conscience : le terrorisme peut frapper à tout moment, aucun État membre n’est à l’abri, et la nature transnationale de la menace impose une action au niveau européen.

Selon le rapport de l’Assemblée nationale préparé suite aux attentats de Paris, « une autre leçon des attaques subies en France en 2015 réside dans le fait que les terroristes ne relèvent plus d’aucune logique nationale, ni dans leur profil ou leur recrutement, ni dans leur mode opératoire et la conception de leurs attaques ». En effet, ce rapport explique que les terroristes qui ont préparé les attentats en Syrie sont entrés en Europe par la Grèce, se sont ensuite rendus en Belgique pour acheter armes et explosifs, et y résider jusqu’à la veille de l’attaque à Paris. Ils n’ont donc pas été repérés à temps par les services français, car ils ne se trouvaient pas dans les bases de données françaises. En d’autres termes, le terrorisme a pris une dimension européenne.

À la suite des attentats, le Parlement européen – qui a parfois essayé de freiner une législation jugée, selon lui, trop sécuritaire et portant atteinte aux libertés fondamentales – s’est retrouvé sous pression. Ainsi le Passenger Name Record (PNR) européen, outil visant à collecter les informations des passagers arrivant ou partant du territoire européen afin de détecter des personnes recherchées ou dangereuses, a été proposé par la Commission européenne dès 2011, et finalement adopté en avril 2016. Puis, plusieurs législations importantes dans le domaine de la sécurité ont suivi. Ces législations visent à priver les terroristes de leurs moyens d’action, armes, explosifs ou financement, et à entraver leurs déplacements vers et dans l’UE. […]

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PE 2/2018 en librairie !

Wed, 06/06/2018 - 13:10

Le nouveau numéro de Politique étrangère (n° 2/2018) vient de paraître ! Il consacre un dossier complet à la cybersécurité, enjeu désormais international, et un contrechamps à l’Inde, puissance émergente en devenir. Ainsi qu’à chaque nouveau numéro, de nombreux autres articles viennent éclairer l’actualité, en particulier sur la lutte de l’UE contre le terrorisme, les nouvelles options nucléaires des États-Unis ou la piraterie dans le golfe de Guinée.

Le cyber est sans conteste devenu un élément géopolitique, en ce qu’il façonne, à sa manière, les rapports entre acteurs du jeu international – le dossier proposé par ce numéro de Politique étrangère le rappelle. Mais en même temps qu’il les façonne il les subvertit, en ouvrant de nouveaux champs d’action à de multiples acteurs. Tenter de maîtriser ce nouvel espace stratégique, c’est s’interroger sur la grande diversité des pratiques cyber pouvant mettre en cause notre sécurité, sur l’ensemble des acteurs susceptibles d’y recourir – États, entreprises, groupes mafieux, individus… –, sur les réponses à mettre en œuvre, et sur les régulations internationales possibles. Le tout pour un enjeu essentiel : la sauvegarde de nos libertés individuelles, et de nos souverainetés économiques et politiques.

Au-delà de ce nouveau champ cyber, Politique étrangère s’arrête sur quelques logiques actuelles de recomposition de la puissance. Les pays d’Europe centrale tentent-ils désormais de se définir une place particulière, commune, dans l’Union européenne ? À Washington, les nominations de Mike Pompeo et John Bolton marquent-elles une inflexion « brutaliste » de la diplomatie trumpienne ?

Quant à l’Inde, elle est trop souvent marginalisée dans nos fresques géopolitiques. Son poids démographique, sa dynamique économique, ses choix diplomatiques lui garantissent-ils un poids décisif dans un futur proche ? Ou ses problèmes internes, ses disputes de voisinage brideront-ils durablement son envol de puissance ?

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J-2 : numéro d’été 2018 de Politique étrangère

Mon, 04/06/2018 - 10:38

Le numéro d’été de Politique étrangère (n° 2/2018) sort mercredi !

Au programme, un dossier sur la cybersécurité, un contrechamps sur l’Inde, et de nombreux articles d’actualité : l’UE et la lutte contre le terrorisme, les nouvelles options nucléaires des États-Unis, l’énergie comme nouvel enjeu stratégique chinois, la piraterie dans le golfe de Guinée… Découvrez le teaser de notre prochain numéro !

 

 

Aspects permanents du problème syrien

Fri, 01/06/2018 - 09:00

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez « l’archive de la semaine ».

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L’article « Aspects permanents du problème syrien » est le fruit d’une communication faite par Jacques Weulersse, alors membre de l’Institut de Damas, devant le Groupe d’étude de l’Islam. Il a été publié dans le numéro 1/1936 de Politique étrangère.

Quand on suit sur place, depuis un certain nombre d’années, révolution politique intérieure des différents États sous mandat français dans le Levant, il faut bien avouer qu’elle apparaît singulièrement décevante. En effet, la politique intérieure de ces États paraît se résumer, presque uniquement, en conflits de coterie ou querelles de personnes ; bien plus, la vie politique est restreinte à une portion infime de la population ; à une classe de politiciens professionnels qui en profitent, à des agitateurs, à des journalistes et à des étudiants. Mais la grande masse de la population, et en particulier presque toutes les masses rurales, semblent parfaitement indifférentes à ces questions.

Cependant, il y a des problèmes fondamentaux, des problèmes permanents, qui se posent dans ces pays, et de la solution desquels dépend tout leur avenir.

C’est l’un de ces problèmes permanents, qui dépassent la politique pure, celui des minorités, que l’on m’a demandé de vous exposer aujourd’hui.

Le concept même de minorité, quand on en parle pour les pays du Levant, paraît assez flou. En effet, on ne peut pas lui trouver une base unique ; il y en a bien une, c’est la race ; mais, si l’on excepte l’Allemagne hitlérienne, on peut dire qu’au point de vue scientifique, la question de race ne saurait se poser, et dans le Proche-Orient encore moins qu’ailleurs, étant donné que ces pays ont vu se succéder, depuis des millénaires, toutes les races du monde.

Les éléments de l’idée de minorité

Par conséquent, il faut chercher quels sont les éléments sur lesquels va se concrétiser cette idée de minorités : l’élément religieux et l’élément linguistique.

Rôle de l’élément religieux et de l’élément linguistique

Pouf l’élément religieux, nous sommes abondamment pourvus en Syrie, car nous avons, pour commencer, tout le groupe des minorités chrétiennes. Ce groupe comprend, en premier lieu, tous les vieux éléments chrétiens antérieurs à la conquête islamique : d’abord les Maronites, qui datent du Ve siècle de notre ère, et qui sont rattachés depuis le XIIe siècle à l’Église romaine. Puis les Grecs; c’est l’ancien fond chrétien de la Syrie, l’ancienne Église byzantine. Enfin les dissidents de cette Église, c’est-à-dire d’une part les Syriaques, et d’autre part les Chaldéens. Vous savez quelle est l’origine de ces deux éléments ; ce sont les deux hérésies qui apparaissent aux IVe et Ve siècles. La différence entre les deux, porte sur la nature du Christ. L’une, l’hérésie monophysite ou jacobite, adoptée par l’Église syriaque, insiste sur l’unité de nature ; l’autre, adoptée par les Chaldéens, insiste sur la dualité de la nature du Christ, c’est l’hérésie nestorienne.

Au cours des siècles, et particulièrement depuis les temps modernes, les trois derniers rites : grec, syriaque et chaldéen, se sont eux-mêmes dédoublés par suite de la propagande romaine qui a cherché à attirer à elle les Églises orientales ; si bien qu’il y a, dans chacune de ces Églises, un groupe resté en dehors de l’Église romaine et un groupe qui est uni à Rome. Vous avez entendu parler de l’Église grecque catholique et de l’Église grecque orthodoxe, de l’Église syriaque indépendante et de l’Église syriaque unie à Rome, de même que de l’Église chaldéenne unie à Rome et de l’Église chaldéenne indépendante.

Avec les Maronites, cela fait déjà sept communautés chrétiennes.

A ces minorités chrétiennes, sont venus s’ajouter, depuis que l’Occident a pénétré en Orient, les Latins d’une part, et les Protestants de l’autre. Latins et Protestants sont numériquement très peu nombreux : un millier de Latins, si on excepte les Français, dans les États du Levant, et à peu près huit ou neuf mille Protestants ; minorités très faibles, qui exercent cependant une influence hors de proportion avec leur nombre, étant donné la situation sociale de ces adeptes.

Voilà donc tout un groupe de minorités religieuses qui ont pour base le christianisme. A côté de celles-ci, il y a les minorités, ou le groupe de communautés, qui dérivent de l’Islam. La différence entre les deux grands groupes : les sunnites et les chiites, vient de ce que les sunnites suivent la coutume, ou sunna, du Prophète ; les chiites repoussent la sunna et se rattachent au souvenir d’Ali, gendre du Prophète.

Une série de sectes hétérodoxes se rattachent plus ou moins aux chiites ; elles sont au nombre de quatre : les Métoualis, qu’on peut également appeler duodécimens parce qu’ils reconnaissent non seulement Ali mais tous ses descendants et successeurs jusqu’au douzième imam. Puis les Ismaélis qui s’arrêtent au sixième imam. Enfin les Druses, qui datent du XIe ou XIIe siècle et les Alaouites.

Cela fait au point de vue islamique cinq communautés différentes.

A côté de ces différences religieuses je vous ai dit que le second élément était l’élément linguistique. En Syrie, si la langue courante, parlée par tous, est en majorité l’arabe, il y a pourtant quelques minorités linguistiques qui ont une autre langue maternelle. Vous avez d’une part les Turcs, et de l’autre les Kurdes et les Tcherkesses. Les Kurdes parlent un dialecte apparenté plus ou moins au persan, et les Tcherkesses des langues qui se rattachent au groupe du Caucase.

Voilà donc une seconde série de communautés. Il y en a une troisième : celles qui concilient à la fois l’originalité au point de vue langue et au point de vue religion ; ce sont naturellement, au point de vue groupes, les plus scindées, les plus tranchées : d’une part les Juifs, et d’autre part les Arméniens. Les Juifs, vous connaissez leur religion ; au point de vue langue, si la plupart des Juifs de Syrie ont adopté, comme langue parlée courante, l’arabe, l’hébreu a toujours été la langue religieuse et a toujours été enseigné, comme tel, dans leurs communautés ; et vous savez que, depuis le sionisme, l’hébreu est redevenu langue vivante en Palestine, une langue qui a son université, toute une littérature et ses journaux. Il est vrai que cette littérature vivante hébraïque n’a pas encore beaucoup pénétré en Syrie, mais chaque jour elle y fait des progrès.

Enfin, il y a les Arméniens qui, dès le début du christianisme, se sont séparés de la masse de la communauté chrétienne. La scission remonte jusqu’au Concile de Chalcédoine. Ces Arméniens possèdent une autonomie à la fois de langue, d’écriture et de rite. Mais ce rite arménien n’a pas échappé à la conquête romaine depuis l’époque moderne, si bien qu’il y a aujourd’hui deux groupements : le groupement des Arméniens grégoriens ou orthodoxes, resté en dehors de Rome, et le groupement des Arméniens catholiques. Pour les uns comme pour les autres, la langue arménienne reste fondamentale.

Voilà, si l’on peut dire, et de façon succincte, le tableau des différents éléments sur lesquels s’appuient les communautés, les minorités dans les États du Levant. Mais ce qu’il faut bien comprendre, et ce qui est le point essentiel, c’est que, ni la religion, ni la langue, ni même les deux, religion et langue unis, ne suffisent à créer ce que je peux appeler le complexe minoritaire. C’est ce complexe qui fait qu’un groupe social acquiert une cohésion particulière et qu’il la renforce en se dressant contre les autres.

D’où vient donc, en Orient, ce complexe minoritaire ? Ni la religion, ni la langue — avons-nous dit — ne suffisent à le créer. Pour la religion, il suffit que je vous rappelle les traditions de tolérance religieuse qui sont celles de tout l’Orient. L’Orient est le pays des religions ; naissant et vivant côte à côte, à force de se fréquenter, elles ont appris à vivre en commun.

A côté de la multiplicité des cultes, il y a aussi le syncrétisme, qui est aujourd’hui encore chose vivante en Syrie. Les cultes se sont tellement enchevêtrés les uns avec les autres que, dans de très nombreux endroits encore, le même lieu de pèlerinage sert aux chrétiens et aux musulmans.

Rappelons aussi la tolérance de l’Islam, surtout en ce qui concerne les religions du Livre : judaïsme et christianisme. Vous savez également toute la part qu’ont apportée les Juifs et les chrétiens dans la civilisation musulmane, de Bagdad à Cordoue.

Enfin il faut compter sur cette puissance de tolérance de l’Orient, qui apparaît très nettement déjà au moment des croisades. C’est en effet une chose curieuse de voir quelle est la différence de mentalité entre les Vieux croisés et les nouveaux croisés ; les Vieux croisés, habitués aux pays d’Orient, à force de vivre à côté des rites différents des leurs, ont fini, non seulement par ne plus être choqués par eux, mais même par tolérer beaucoup de croyances ; au contraire, c’est le conflit immédiat avec les Jeunes croisés qui arrivent d’Occident et qui ne demandent qu’à pourchasser l’infidèle !

Enfin, rappelons qu’actuellement aucune des religions du Proche-Orient, ni chrétienne, ni juive, ni islamique, ne pratiquait d’une façon courante et normale le prosélytisme. C’est d’Occident qu’est venu le complexe minoritaire, si on peut appeler ainsi l’esprit missionnaire qui cherche à conquérir le terrain sur d’autres religions. […]

Lisez l’article en entier ici.

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Origins of the North Korean Garrison State

Thu, 31/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Youngjun Kim, Origins of the North Korean Garrison State: The People’s Army and the Korean War (Routledge, 2017, 248 pages).

Officier de l’armée de Terre sud-coréenne et docteur en histoire de l’université du Kansas, Youngjun Kim est professeur à la National Defense University de Corée du Sud. Dans cet ouvrage, il s’appuie sur le concept « d’État garnison » développé par Harold Lasswell en 1941, pour expliquer la montée en puissance de l’armée nord-coréenne de la fin de Seconde Guerre mondiale à la conclusion de la guerre de Corée. Pour sa démonstration, l’auteur utilise des sources nombreuses et, pour certaines, originales : archives nord-coréennes saisies par les Américains à Pyongyang en 1950, biographies d’anciens combattants nord-coréens, archives soviétiques transférées en Corée du Sud en 1990, et documents russes détenus à Washington.

Dans une première partie, Kim revient sur les origines de l’Armée populaire. Il démontre qu’elle n’est pas uniquement le fruit de l’influence soviétique, comme cela est souvent avancé, mais que sa culture et son organisation résultent d’influences plurielles. Kim-Il Sung et son groupe étaient membres du Parti communiste chinois et combattirent contre l’armée japonaise en Chine dans les années 1930. Ils furent ensuite intégrés dans la 88e Brigade soviétique spéciale jusqu’en 1945. Un deuxième groupe faisait partie de l’Armée populaire de libération pendant la guerre civile chinoise. Il rejoignit la Corée du Nord entre 1947 et 1950. Ainsi, la plupart des officiers de haut rang et plus de la moitié des soldats étaient soit des anciens des forces antijaponaises de Mandchourie, soit des vétérans de la guerre civile chinoise. Le troisième groupe, moins volumineux, était formé des « Coréens-soviétiques » qui luttèrent sur le front de l’est, ou contre les Japonais.

Dans une deuxième partie, l’auteur s’intéresse plus particulièrement à l’efficacité militaire de l’Armée populaire pendant la guerre de Corée. Il développe beaucoup la question des guérillas communistes à partir de 1948, et s’attarde sur le rôle clé qu’a joué leur échec dans l’issue du conflit. Il explique aussi que la plupart des officiers nord-coréens avaient plus d’expérience au combat que leurs homologues du Sud, et qu’ils étaient mieux formés. Il leur manqua néanmoins un ou deux ans pour entraîner leurs unités. Surtout, la politisation de l’armée – avec la création du « bureau politique général » en 1950, et la mise en place des commissaires politiques – détruisit l’allant des chefs militaires et leur esprit d’innovation. Au fur et à mesure de la guerre, l’Armée populaire devint une «bureaucratie inefficace ».

À la fin du livre, l’auteur évoque l’écho que son propos peut avoir dans l’actualité. L’armée nord-coréenne joue toujours un rôle significatif pour le maintien de « l’État garnison », pas en tant qu’instrument de répression comme peut l’être le Parti, mais plus comme un symbole national pour le peuple. Malgré les difficultés économiques et l’impopularité du service militaire, la population continuerait à souhaiter une armée forte.

En somme, cet ouvrage de Youngjun Kim, fruit d’une recherche très poussée, est précis et passionnant. Son explication convaincante des premières années de cette institution clé en Corée du Nord en fait une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire de la guerre de Corée ou à celle des Corées en général.

Rémy Hémez

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Élection présidentielle au Venezuela: Nicolas Maduro peut-il perdre ?

Wed, 30/05/2018 - 16:20

Dans l’émission « Le débat du jour » du 18 mai dernier sur RFI, l’article écrit par Thomas Posado, « Le Venezuela peut-il sortir de l’impasse ? », et publié dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n° 1/2018) a été mentionné.

« Au Venezuela, c’est fin de campagne officielle en vue de l’élection présidentielle de dimanche. Le pays est enfoncé dans une crise économique sévère et l’opposition a décidé de boycotter le scrutin. On s’attend donc à une abstention massive et à la réélection du président Nicolas Maduro. Face à lui, pourtant, il y a deux candidats et l’un d’eux pourrait créer la surprise. La population subit la pénurie et une partie de la communauté internationale verrait d’un bon œil un changement de régime au Venezuela. Élection présidentielle au Venezuela : Nicolas Maduro peut-il perdre ? C’est notre débat du jour. »

Pour réécouter l’émission, cliquez ici.

 

The Power of Economists within the State

Wed, 30/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Juan Flores Zendejas propose une analyse de l’ouvrage de Johan Christensen, The Power of Economists within the State (Stanford University Press, 2017, 232 pages).

Les économistes occupent un rôle de plus en plus central dans la gestion des politiques économiques. Derrière ce constat, Johan Christensen montre que leur influence dans les structures gouvernementales n’a pas progressé au même rythme partout. Dans certains pays, la prise de pouvoir par les économistes s’est faite en quelques années, dans d’autres elle s’est étalée sur plusieurs décennies. Le livre montre également de manière détaillée le bouleversement vécu dans la conduite des politiques fiscales, menée auparavant par différents groupes professionnels, tels que les juristes ou généralistes. Après la prise de pouvoir des économistes, les politiques économiques se sont concentrées sur l’efficience du système fiscal aux dépens d’autres objectifs. Selon l’auteur, ces bouleversements sont liés à l’ascension de l’école néoclassique, depuis les années 1960 principal courant de pensée mondiale.

L’analyse suit le système fiscal de quatre pays (Nouvelle-Zélande, Irlande, Norvège et Danemark) et cherche à montrer comment le contexte institutionnel et politique a facilité (en Nouvelle-Zélande et en Norvège), ou retardé et limité (en Irlande et au Danemark) l’influence des économistes sur la politique fiscale. À leur arrivée au pouvoir, les économistes ont introduit des politiques fiscales « neutres » qui ont favorisé la taxation sur une base longue, avec un taux d’imposition marginal bas, tout en éliminant les exceptions ou déductions qui auraient pu déformer le ­fonctionnement des marchés.

Pour chaque cas, l’auteur décortique le rôle des économistes dans des réalités nationales uniques et complexes. L’influence de plusieurs acteurs est prise en compte : la structuration de l’administration publique, la compétition entre partis politiques et le rôle des groupes de pression. L’ouvrage englobe deux aspects de nos sociétés qui ne sont pas, en principe, liés directement. Tout d’abord, le recours à l’expertise dans la gestion des politiques économiques. Si la spécialisation du travail est devenue une caractéristique commune à presque tous les secteurs de l’économie, le recours à une expertise spécialisée peut aussi obéir à des raisons très contingentes et locales, par exemple la légitimation politique d’une réforme socialement impopulaire. Le second aspect concerne l’adoption d’un paradigme unique, autour de l’école néoclassique qui domine cette expertise. Sur ce point, l’ouvrage est convaincant.

Néanmoins, certaines questions restent ouvertes. L’adoption d’un paradigme unique devrait comporter l’adoption plus ou moins généralisée des politiques économiques préconisées. Mais l’auteur admet que le cadre institutionnel peut, dans un premier temps, freiner cette tendance à la généralisation. Si on suit la thèse du livre, les politiques économiques finiront par converger à moyen – ou long terme. Mais est-ce véritablement le cas ? La diversité d’expériences analysées dans l’ouvrage ne permet pas de dégager un pattern commun.

Le paradigme dominant sera probablement modifié avant que la convergence ait lieu. L’auteur suggère ainsi le rôle des crises financières (comme celle de 2008-2010) ou des pressions externes (l’OCDE ou l’Union européenne) comme sources exogènes de changement de politique économique. Depuis la crise de 2008 et à la suite des nombreuses critiques formulées à l’encontre des économistes, le futur de la profession reste incertain. Non seulement la réputation des économistes a été fortement endommagée, mais les piliers même de la discipline ne sont pas encore à l’abri d’une implosion.

Juan Flores Zendejas

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Le conflit israélo-palestinien

Tue, 29/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Denis Bauchard, conseiller pour le Moyen-Orient à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Alain Dieckhoff, Le conflit israélo-palestinien. 20 questions pour vous faire votre opinion (Armand Colin, 2017, 144 pages).

Comme le rappelle Alain Dieckhoff, 2017 représente un triple anniversaire : celui de la déclaration Balfour qui, en 1917, se prononçait en faveur d’un foyer national juif ; celui de la résolution des Nations unies du 29 novembre 1947 qui appelle à la création de deux États, l’un arabe, l’autre juif ; celui enfin la guerre des Six Jours de juin 1967 qui permit à Israël d’occuper la partie est de Jérusalem, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ce rappel montre à quel point le conflit israélo-palestinien s’inscrit dans la durée. Un siècle plus tard, aucune solution politique satisfaisante ne semble proche.

Les accords d’Oslo de 1993 ont fait poindre un espoir qui s’est rapidement évanoui après l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Après des négociations intermittentes qui s’étirent sur plus de 25 ans, le processus de paix est dans l’impasse, voire en mort clinique. Cependant, à l’heure de la décision américaine de déplacer l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem et de l’élaboration d’un deal par Jared Kushner, gendre du président Trump, cet ouvrage représente un vade-mecum très pertinent pour comprendre l’un des plus vieux et des plus complexes conflits non résolus, qui constitue toujours un baril de poudre en suspension dans cette région instable.

Toutes ces raisons appelaient effectivement à faire le point de façon aussi sereine que possible sur ce sujet qui, de part et d’autre, suscite des engagements souvent passionnés. Nul mieux qu’Alain Dieckhoff ne pouvait avoir cette sérénité, pour écrire cet ouvrage de synthèse, compte tenu de sa connaissance de la politique intérieure d’Israël comme de celle de l’évolution de la question palestinienne. De ce conflit, il propose avec succès « une approche raisonnée de ses origines, de ses logiques, de ses dynamiques, une approche qui permet de restituer les indispensables complexités ».

Le libellé des 20 questions classées par ordre chronologique témoigne de cette volonté de décrypter tous les aspects de ce conflit multiforme. Parmi celles-ci, citons : pourquoi juifs et arabes s’affrontent-ils en Palestine depuis 100 ans ? Pourquoi un processus de paix est-il lancé depuis 1990 ? Les États-Unis sont-ils un acteur ­impartial ? Pourquoi l’Europe, dont les liens sont étroits avec Israël, a-t-elle été marginalisée ? La solution des deux États qui, à un moment donné, a été reconnue seule solution possible est-elle menacée, voire morte ? Jérusalem peut-elle être la capitale des deux États ? Ce conflit aura-t-il une fin ?

La conclusion de l’auteur sur cette dernière question n’est pas spécialement optimiste, et l’évolution récente du contexte depuis la parution du livre ne peut que renforcer cette impression. « La situation de “paix partielle/guerre intermittente” peut encore perdurer ». Certes, toutes les guerres s’achèvent un jour, mais à quel prix ? En l’espèce, on peut craindre que la solution des deux États ne soit morte avec le développement des colonies de peuplement à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, et la perspective d’une annexion progressive de l’essentiel des territoires palestiniens à la demande de plusieurs partis de la majorité actuelle en Israël. Se dirige-t-on vers une occupation permanente de ces territoires ? La solution de l’État unique est-elle réaliste ? Israël ne risquerait-il pas dans cette hypothèse de perdre son âme, et de ne plus être un État démocratique ? Autant de questions ouvertes ; mais le temps ne travaille pas en faveur de la paix.

Denis Bauchard

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Pierre Hassner (1933-2018)

Mon, 28/05/2018 - 15:04

Pierre Hassner, chacun le sait, était l’un des grands spécialistes français des relations internationales. Ami de l’Ifri, il a toujours répondu à nos sollicitations avec la courtoisie, la bienveillance qui le caractérisaient.‎ Il a aussi collaboré à Politique étrangère. Nous vous proposons de relire son article « Le rôle des idées dans les relations internationales » paru en 2000. Ses autres textes publiés dans notre revue peuvent être consultés sur la plate-forme Persée.

 

Politique étrangère n° 2/2018 : votez pour (é)lire votre article préféré !

Mon, 28/05/2018 - 09:00

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« Les États-Unis et la sécurité du Golfe »

Fri, 25/05/2018 - 09:30

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez « l’archive de la semaine ».

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L’article « Les États-Unis et la sécurité du Golfe » a été écrit par Albert Wohlstetter, alors président de l’European American Institute for Security Research , et publié dans le numéro 1/1981 de Politique étrangère.

Sur les 50 millions de barils de pétrole consommés quotidiennement par le monde non communiste, 20 millions proviennent du Golfe. Un programme judicieux de mesures autres que militaires pourrait diminuer de façon substantielle notre dépendance et celle de nos alliés et il est urgent de le mettre en œuvre. Pourtant, à moins que la politique économique des Occidentaux ne témoigne d’une plus grande perspicacité et que ceux qui élaborent cette politique ne rechignent moins à risquer la réprobation populaire ou des difficultés passagères dans leurs affaires intérieures, la dépendance des alliés subsistera vraisemblablement longtemps encore. Il est donc essentiel pour ceux-ci d’améliorer leurs capacités de protection militaire du pétrole du Golfe. Mais au cours de la dernière décennie, ces capacités de protection se sont affaiblies alors que leur dépendance énergétique n’a fait que grandir.

Une dépendance croissante

Les importations européennes de pétrole en provenance du Golfe, qui représentaient, en 1964, 58,9 % du total de leurs besoins, étaient passés à 64,8 % en 1977. Qui plus est, la consommation de pétrole augmenta par rapport à celle des autres formes d’énergie primaire de sorte que l’Europe occidentale voyait croître sa dépendance à l’égard du Golfe dans une proportion supérieure encore à celle qu’indiquent les chiffres cités. En pourcentage de l’énergie primaire consommée, les importations européennes de pétrole originaires du Golfe étaient passées de 24,5 à 35 % au cours de la même période. Au Japon, les importations en provenance du Golfe, calculées également en pourcentage de l’énergie primaire consommée, étaient passées de 44 % en 1964 à 59,2 % en 1977. Quelques-uns des principaux alliés européens des États-Unis avaient vu croître leur dépendance plus rapidement encore que celle du Japon. Les importations françaises en provenance du Golfe par exemple, calculées sur cette même base, passaient de 21,15 % en 1964 à 51,6 % en 1976, rendant ainsi les Français presque aussi vulnérables que les Japonais. Certes ce pourcentage a diminué : en 1977 il n’était que de 46,3 % — plus du double néanmoins du chiffre de 1964. La France consomme beaucoup plus de pétrole que des pays comme la République fédérale d’Allemagne qui possède de grandes quantités de charbon. Les Américains importent aussi du pétrole du Golfe dans des proportions qui n’ont cessé d’augmenter rapidement par rapport au total de l’énergie primaire consommée. Cependant, leur dépendance est bien moins marquée que celle de l’Europe ou du Japon, car ils produisent une grande partie du pétrole qu’ils consomment et possèdent de vastes réserves d’énergie sur leur territoire — en plus de leur pétrole. En pourcentage de l’énergie primaire consommée par les États-Unis, les importations pétrolières américaines en provenance du Golfe sont passées de 1,4 % en 1964 à 8,4 % en 1977.

Il est un point que révèle toute analyse économique — fût-elle la plus rudimentaire — , la dépendance directe de nos alliés n’est pas seulement supérieure à celle des États-Unis, mais elle varie considérablement d’un pays à l’autre. Cela ne signifie pas, comme on le prétend parfois, que le pétrole du Golfe est « vital » pour nos alliés mais seulement « important » pour nous. A long terme, si l’Alliance demeure pour les Américains d’une importance fondamentale, le pétrole, essentiel pour ses alliés, n’en est pas moins vital pour eux. De ce point de vue cependant, nos alliés seront vulnérables, autrement que nous, à court terme. C’est pourquoi leurs intérêts à court terme peuvent souvent s’opposer et se différencier des nôtres. Il faut saisir les implications de cette situation pour comprendre les objectifs potentiels et la stratégie éventuelle de l’URSS dans la région du Golfe. La dépendance critique et prolongée de nos alliés quant au pétrole du Golfe, ainsi que les divergences latentes parmi eux, mettent un fait en évidence : si une puissance hostile parvient à s’assurer la mainmise, par des moyens politiques, sur les fournitures de pétrole en provenance du Golfe, elle disposera d’un instrument de pression capable de faire éclater l’Alliance. Nous entendons par mainmise la faculté de proposer ou de refuser à l’Europe et au Japon l’assurance d’un approvisionnement régulier. Une attaque dans cette région, qui se trouve à l’extérieur du périmètre de l’OTAN (et à des milliers de kilomètres de notre principal allié dans l’Asie du Nord-Est) entraînerait, de toute évidence, moins de risques pour l’URSS qu’un assaut direct au centre du dispositif de l’OTAN. Et pourtant le coup serait précisément porté au cœur de l’Alliance atlantique et de l’alliance entre les États-Unis et le Japon.

La stratégie de l’URSS

L’objectif de la stratégie soviétique ne pourrait-il pas être, non de supprimer ou même d’interrompre les fournitures de pétrole, dans la partie supérieure du Golfe, mais seulement de s’en assurer la disposition — par des moyens politiques — pour être en mesure de choisir si elle veut approvisionner l’Europe et le Japon à un prix acceptable ou «fermer le robinet ».

Pour certains, les intérêts soviétiques dans le Golfe ne seraient pas « vitaux » pour Moscou, qui ne saurait vraisemblablement menacer l’Occident dans la région. Un tel jugement semble s’appuyer sur le fait que, pour l’instant, les Soviétiques produisent plus de pétrole qu’ils n’en consomment. L’étude de la CIA, réalisée en 1977, selon laquelle l’Union soviétique deviendra importatrice nette de pétrole au cours de la présente décennie semble devoir limiter mais non pas contredire l’optimisme implicite de cette assertion.

L’Union soviétique pourrait néanmoins tirer, d’une mainmise sur le Golfe, de bien plus vastes avantages que la simple possibilité de s’y ravitailler. Les réserves du Golfe représentent un trésor économique de quelque 25 000 milliards de dollars au cours actuel. Mieux encore, les revenus assurés par la gestion de ce capital entraîneraient une augmentation considérable des ressources brutes des Soviétiques et des moyens qu’ils mettent en œuvre pour faire sentir leur influence politique et militaire. Après tout, les producteurs actuels du Golfe ne consomment qu’une infime partie du pétrole qu’ils extraient. Aussi ce sont eux, et non l’URSS et les États-Unis — principaux pays producteurs — , qui ont conservé la faculté de déterminer le volume des fournitures marginales de pétrole dans le monde. Ils peuvent augmenter ou diminuer leurs livraisons dans des proportions considérables et se sont trouvés en mesure d’influer sur les prix. Mais surtout, une mainmise des Soviétiques sur cette production complémentaire «importante et mouvante » pourrait, dans la mesure où les intérêts de l’URSS s’opposent à ceux des alliances occidentales (OTAN et traité américano-japonais), profiter considérablement à Moscou, précisément parce que le pétrole est d’une importance critique pour nos principaux alliés. Il est largement démontré que l’URSS déploie depuis des années les plus grands efforts pour affaiblir ou briser le système des alliances américaines, quelles que soient les autres ambitions qui l’inspirent.

Les alliés de l’Amérique et le Golfe

On a pu certes enregistrer quelques déclarations encourageantes de la part des Allemands, quant à leur « solidarité » avec les États-Unis, dans le Golfe ; mais si de telles manifestations paraissent apporter un soutien moral à la protection des intérêts américains dans la région, elles ne vont pas jusqu’à reconnaître que les intérêts de l’Alliance les plus directement affectés sont allemands ou plus généralement européens. En fait, on a assisté en Allemagne à des débats de nature scolastique sur la « divisibilité de la détente ».

Pour un Américain, cela semble signifier que les Européens continueraient à rechercher la détente en Europe tandis que les Américains assumeraient le poids de l’affrontement dans le Golfe ; le principal, pour les Européens, serait que les États-Unis traitent la crise avec mesure et retenue. Il est évident que nos principaux alliés mettent vigoureusement en doute l’idée exprimée par le président Carter dans son message sur l’état de l’Union, les «implications » de l’invasion de l’Afghanistan « pourraient représenter la plus grave menace que la paix du monde ait connue depuis la Seconde Guerre mondiale ». […]

Lisez l’article en entier ici.

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« États : en perte de vitesse ? »

Thu, 24/05/2018 - 09:30

Le blog Reflets du Temps, qui consacre une large place aux questions internationales, a publié le 28 avril dernier un article mettant à l’honneur le numéro de printemps (n°1/2018) de Politique étrangère : « États : quel nouveau souffle ? ».

Où en sommes-nous, où en sont les débats sur la question : les États sont-ils en perte de vitesse (thèse décliniste) ou redressent-ils la tête (thèse de la résistance) ?

« Danser avec les États »(Serge Sur) dresse depuis les années 90 le tableau de la fragmentation des États, en Europe notamment, happés parfois par des empires « mal disparus ou renaissants », alors que de nombreuses tentations de sécessions secouent d’autres États européens. Tableau étendu à l’évolution de la notion d’État en Asie, Afrique.

Mais qu’est-ce qu’un État ? « Remplir pour sa population des missions telles qu’éduquer, protéger, favoriser son emploi, garantir la santé publique, reconnaître ses droits, assurer sa vie paisible, et l’épanouissement individuel de ses membres, dans un cadre juridique et politique, accepté sans discriminations par tous ».

Ensemble fragile – Serge Sur parle de l’État Titanic – multipliant les défaillances, précipitant moins les sécessions par attaques extérieures que par faiblesses intérieures. Riche article faisant un point très précis et clair sur l’historique, fourmillant de notions définies ; ainsi du rappel de l’État nation dont le creuset intègre, et dont l’appartenance est de l’ordre d’une solidarité subjective, librement consentie (conception française ou américaine). Modèle qui cède souvent à présent le pas à une conception d’origine germanique, reposant sur une communauté ethnique.

« Les débats contemporains sur la fin des États »(Frédéric Ramel) : remarquable éclairage sur la somme des débats d’experts sur la thématique de « la fin des États » depuis la fin des années 70, alimentés par la fin de la guerre froide, relancés par le 11 Septembre, la crise économique et financière de 2008, le Brexit, bien sûr, et la victoire de D. Trump en 2016. Traversés par la crise des migrants dès 2015 en Europe, la montée des populismes. Où en sont les États dans ces difficultés et profondes modifications ? L’auteur examine ces débats à travers trois prismes : stratégique – désétatisation du fait guerrier, mais aussi retour des guerres entre États – économique – du G20, et de son utilisation – et morphologique – entendons, où en est le désir d’État aujourd’hui, et les représentations qui l’accompagnent ? De très utiles repères notionnels nourrissent l’article ; ainsi de l’évolution de l’État gendarme, de l’État providence, mais aussi de l’État virtuel, ou de l’État région. La mondialisation – élément fondamental dans le jeu étatique, oblige de fait à des adaptations incessantes (l’exemple éclairant est pris du Brexit dans ses origines, mécanismes, conséquences). Les États n’ont donc pas disparu, mais leur tectonique agitée, leur façon de se mouvoir dans le système international fait l’objet de constants changements.

Ce sont aux empires (l’ensemble varié avec centre, sous la direction d’une ethnie ou d’un groupe national dominant) que s’intéresse Georges-Henri Soutou (Des empires dans tous leurs États). Large rappel historique des empires européens du passé, leur facteur paix en internalisant les conflits, ou guerre, comme au siècle dernier. Leur dissolution (fin de l’URSS) et l’instabilité qui en découla(e) souvent. La problématique développée par l’auteur : « Leur mode de fonctionnement pré-national pourrait aider à penser le post-national » est fort intéressante.

Le dernier article du thème principal de la revue PE de printemps, signé de la spécialiste du Moyen–Orient de l’IFRI, Dorothée Schmid, est consacré aux « États du Moyen-Orient, crise et retour ». Article brillant qui traite du concept d’État sur ces territoires, si mouvants et instables à nos yeux. « Revitalisation d’une demande d’État » dans cette partie du monde ébranlée par les révolutions arabes de 2011, qui a, depuis, travaillé à de multiples réformes. Comme une vaste conclusion au thème, un chantier – crises multiples, menaces d’éclatements, violences, puis chemins de retour : « L’État connaît dans la région une vie nouvelle même si elle est mouvementée », appliqué à des territoires, leur histoire, leurs minorités.

Signalons que d’autres sujets et articles de ce numéro de la revue ont en fil rouge le concept d’État ; ainsi : « L’Écosse, nationalisme, immigration, retour des frontières ».« La crise en Catalogne, une fracture décisive ». Ou « Liban, entre clientélisme régional et carcan national ».

Car un concept comme celui des États n’a pas fini d’animer le regard, et la réflexion des géopoliticiens…

Retrouvez cet article sur www.refletsdutemps.fr.

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War by Numbers: Understanding Conventional Combat

Wed, 23/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rémy Hémez propose une analyse de l’ouvrage de Christopher A. Lawrence, War by Numbers: Understanding Conventional Combat (University of Nebraska Press, 2017, 374 pages).

Les premiers modèles informatisés de combat, apparus dans les années 1950, créèrent le besoin d’une analyse quantitative de la guerre. L’historien militaire américain Trevor Dupuy (1916-1995) et les diverses organisations qu’il a dirigées furent des précurseurs dans ce domaine, constituant des bases de données statistiques sur les engagements au combat. L’auteur de War by Numbers s’inscrit dans cette lignée. Il a longtemps travaillé avec Dupuy et préside le Dupuy Institute. Après plusieurs années à étudier les insurrections, il insiste sur la nécessité d’exhumer la recherche sur les conflits de haute intensité. Pour ce faire, il présente des études menées par son institut, qui viennent compléter les travaux de Dupuy lui-même.

À partir de plusieurs bases de données recensant des combats de 1618 au début des années 2000, Lawrence revient, en chiffres, sur de nombreux sujets traversant les études sur la guerre : le rapport entre offensive et défensive, la valeur de la dispersion ou celle de la surprise, les rapports de force, les facteurs humains dans l’issue des combats, etc.

Il n’est pas possible d’être exhaustif ici. Trois thématiques majeures du livre peuvent néanmoins être soulignées. Tout d’abord, en ce qui concerne les rapports de force, l’auteur démontre que, dans 74 % des cas, lorsqu’un attaquant l’emporte, c’est qu’il se trouve en supériorité numérique. Lorsqu’on analyse les victoires des défenseurs, on s’aperçoit qu’ils étaient en infériorité numérique dans 64 % des cas. L’attaquant sort presque toujours vainqueur d’un affrontement lorsqu’il dispose d’un rapport de force supérieur ou égal à deux contre un.

Un chapitre particulièrement intéressant s’attache à démystifier ce que l’auteur appelle les « légendes urbaines », c’est-à-dire les idées préconçues sur le combat en ville. Les chiffres confirment qu’un attaquant progresse plus lentement en zone urbaine que sur les autres types de terrain : 0,96 km par jour contre 1,41. En revanche, les cas étudiés ne corroborent pas la croyance que les chars de combat souffrent plus de pertes en zone urbaine qu’en terrain ouvert. De même, le rapport de force nécessaire pour l’emporter ne serait pas influencé par ce terrain particulier. Pour l’auteur, ces biais sont la conséquence de la focalisation sur des études de cas extrêmes (Grozny), en oubliant qu’ils ne sont pas représentatifs.

Enfin, dans une partie consacrée aux pertes au combat, l’auteur fait remarquer que, de la guerre mexico-américaine (1846-1848) à la guerre du Vietnam (1963-1975), l’Army a compté 4 blessés pour 1 tué. Un changement majeur a eu lieu avec les engagements en Irak et en Afghanistan, où le taux est passé, respectivement, à 8,68 et 9,1 blessés pour 1 tué. Les évolutions liées aux prises en charge médicales, ou celles de la protection individuelle, y ont bien évidemment contribué. Mais les causes de blessures ont aussi un rôle clé. Les armes à tir direct (fusils ou mitrailleuses) tuent plus de 25 % des soldats touchés ; ce chiffre passe à 10 % pour les armes à fragmentation, ce qui inclut les engins explosifs improvisés (IED), omniprésents en Irak et en Afghanistan.

La lecture de cet ouvrage technique, entrecoupé de nombreux tableaux et statistiques, quelque peu rébarbative, n’est à conseiller qu’aux spécialistes. Pour ces derniers, il s’avérera un outil de travail particulièrement précieux.

Rémy Hémez

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Sunnites et chiites. Histoire politique d’une discorde

Tue, 22/05/2018 - 09:30

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Rachid Chaker propose une analyse de l’ouvrage de Laurence Louër, Sunnites et chiites. Histoire politique d’une discorde (Seuil, 2017, 252 pages).

Qu’est-ce que le chiisme ? Qu’est-ce que le sunnisme ? Chiites et sunnites ont-ils toujours été en guerre ? Assiste-t-on aujourd’hui à une nouvelle guerre de religions au Moyen-Orient ? Qui sont les Frères musulmans et que veulent-ils ? Alors que les réponses les plus simplistes à ces questions circulent fréquemment, l’ouvrage de Laurence Louër tombe à point nommé pour quiconque désire une compréhension approfondie et exhaustive des rapports entre les deux courants majeurs de l’islam.

Abordant leur naissance sur le plan à la fois théologique et politique, l’auteur analyse les divergences mais également les similitudes ­rencontrées par ces deux courants religieux dans leur développement au cours des siècles. Au-delà des préjugés les plus réducteurs, on y découvre que le chiisme s’est surtout avéré révolutionnaire lorsqu’il fut marginalisé et éloigné des sphères du pouvoir, puis s’est trouvé plus consensuel et moins radical lorsqu’il a pleinement été intégré aux sociétés musulmanes. Le sunnisme a également connu une trajectoire similaire, les oulémas adoptant l’obligation de suivre le gouverneur dès lors que celui-ci leur accorda statut et droit d’ingérence dans les affaires sociétales.

L’auteur analyse également les rivalités turco-persanes et explique le choix par les Safavides du chiisme comme religion officielle, et aborde avec précision l’émergence progressive, notamment avec la fin de l’Empire ottoman, d’un mouvement de renaissance islamique visant à rassembler les musulmans, par-delà les clivages confessionnels, dans une communauté de croyants pour faire face au colonialisme occidental. Y est ainsi abordée la naissance des Frères musulmans, fondés en Égypte par Hassan Al-Banna, qui parviendront via leur mainmise sur l’université Al-Azhar à influencer bon nombre de penseurs islamiques à travers le monde, au-delà des sunnites eux-mêmes, tandis que Sayyid Abul Ala Maududi fonda un mouvement quelque peu similaire en Asie. Dès lors, certains thèmes pourront fédérer les musulmans dans leur ensemble, à commencer par la cause palestinienne.

Un focus est notamment fait sur l’Arabie Saoudite, maison mère du wahhabisme, et sur la stratégie du royaume et son instrumentalisation du fait religieux pour contrer l’influence d’abord nassérienne puis khomeyniste, hostile à la monarchie en place. L’Iran est également abordé, et son soutien à des organisations telles que le Hezbollah est relié à la stratégie d’influence de la nouvelle République islamique, dans un contexte de marginalisation sur la scène internationale.

Enfin, l’ouvrage se termine par une analyse pays par pays des différents foyers de tension actuels entre chiites et sunnites, du Moyen-Orient au sous-continent indien, mettant en lumière, au-delà des divergences théologiques, les rivalités politiques qui sont à l’origine de ces crispations. On y voit notamment que, derrière l’apparente opposition confessionnelle, se cache une lutte d’influence politique entre deux poids lourds régionaux, l’Arabie Saoudite et l’Iran, chacun accusant sa minorité confessionnelle d’allégeance politique au rival, au-delà de toute idéologie religieuse.

Voici un ouvrage complet, qui intègre les dimensions théologiques, politiques et historiques, et donc indispensable à quiconque désire comprendre à la fois la complexité des sociétés du Moyen-Orient et les enjeux politiques régionaux.

Rachid Chaker

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« Un caillou dans la chaussure des organisations internationales »

Mon, 21/05/2018 - 09:30

>> Retrouvez l’article dont est extraite cette citation : « Danser avec les États », écrit par Serge Sur dans le numéro de printemps 2018 de Politique étrangère. < <

Les grands ensembles africains

Fri, 18/05/2018 - 09:00

Créée en 1936, Politique étrangère est la plus ancienne revue française dans le domaine des relations internationales. Chaque vendredi, découvrez « l’archive de la semaine ».

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L’article « Les grands ensembles africains. Aspects économiques et financiers de l’industrie saharienne » a été écrit par Jean-Michel de Lattre, et publié dans le numéro 5/1955 de Politique étrangère.

Plus que jamais l’avenir de l’ensemble africain français commande celui de la France. Largement, il commande aussi celui de l’Occident européen.

Le développement en Afrique des « grands ensembles industriels » est un des moyens de cet avenir. La France, si elle veut maintenir son autorité internationale et continuer à jouer son rôle de grande puissance mondiale, doit savoir s’adapter à l’évolution du monde moderne dans ses concepts comme dans ses techniques. Il serait vain et dangereux de croire que la création d’ensembles industriels est susceptible de remédier globalement au déséquilibre économique, social, fondamental de l’Union française. Le déséquilibre appelle d’autres solutions, d’autres réformes. Mais les ensembles industriels peuvent contribuer à établir des « points de force ».

La mise en valeur des confins algéro-marocains sahariens peut être considérée comme la première expérience de montage d’un grand ensemble industriel. Le gouvernement français accorde à cet effort une attention de plus en plus large. Secteur public et secteur privé auscultent la terre saharienne et sont à l’écoute de ses réponses. A l’étranger, les industriels s’interrogent ; les gouvernements s’informent. Pourquoi créer un ensemble industriel au Sahara ? Quelles sont les conceptions et les méthodes qui président à cet effort ? Quels renseignements peut-on dégager des études en cours ?

S’agit-il là d’une simple bouffée de romantisme technologique — comme le disent certains — et qui disparaîtra rapidement ? S’agit-il, au contraire, d’une œuvre significative du devenir de l’ensemble eurafricain français ? « Ce sont les faits qui louent, ce sont les faits qui blâment », disait un philosophe. Regardons-les.

S’il est vrai que l’organisation complémentaire de l’économie métropolitaine et de l’économie africaine doit être le programme de toute politique soucieuse de la tradition et de l’équilibre français aussi bien que des exigences du monde moderne, voyons ce que les « ensembles » industriels, par leurs conceptions et par leurs méthodes, peuvent apporter à ce grand dessein.

Évolution des données mondiales

Pour les entreprises comme pour les Nations, de nombreux facteurs incitent à la constitution de « grandes entités régionales » et de « grands ensembles industriels ». Les raisons qui incitent à ce mouvement irréversible sont les uns d’ordre politique, les autres d’ordre technique. Pour telles de ces Nations, il s’agit de défendre ou de promouvoir une idéologie politique, car elles sont maintenant averties que tout système politique est étroitement dépendant d’un certain développement économique. Pour telles autres, la nécessité de produire à des prix de revient toujours plus bas les contraint à développer une structure technique de plus en plus coûteuse. En un mot, l’importance croissante des investissements techniques et financiers, comme l’obligation de plus en plus impérieuse de trouver des débouchés, entraînent la constitution d’ensembles, de combinats, d’unités économiques permettant le fonctionnement de circuits de production et de consommation harmonieusement équilibrés.

Sur le plan de la Nation, la prospérité américaine nous est un exemple. Elle provient en partie de l’aménagement du continent américain en un vaste « ensemble industriel », établi sur des bases compétitives et rentables. On sait que ce vaste ensemble est régi par les principes de l’économie de marché. Mais le pouvoir central exerce de plus en plus une action d’initiative et de contrôle sur ce marché afin d’en assurer l’équilibre interne. Il n’est plus guère possible de prétendre se trouver encore au sein d’une économie libérale. On s’éloigne là sensiblement du capitalisme classique. Il s’agit de quelque chose de nouveau : d’un capitalisme révisé, soutenu et contrôlé par une action gouvernementale. On assiste à une transformation progressive mais profonde de l’économie américaine, qui consiste en ce que, dans ce vaste ensemble industriel, l’action conjuguée du secteur public et du secteur privé vise à un équilibre constant entre les forces de production et de consommation. On sait comment, au delà du rideau de fer, un autre principe et d’autres méthodes prétendent à constituer un autre vaste ensemble et une autre cohérence industrielle parfaite.

Entre ces deux termes, que peut tenter la France ?

Les difficultés éprouvées dans la constitution de l’ « Europe des six » semblent prouver que toutes les nations en cause ne sont pas encore convaincues de l’idée européenne ou du moins de la possibilité de la réaliser.

Qu’on le veuille ou non, l’Union française — en dépit du vouloir et de la préférence des hommes — est hors d’état de vivre dans un circuit totalement ouvert à la concurrence étrangère. Les États-Unis pareillement. Contrainte d’organiser sa structure économique et sa défense stratégique, le devoir demeure pour elle de concevoir et de mener à bien une politique constitutive d’une grande entité régionale : du Rhin au Congo. Elle ne perdra rien à intégrer solidement Métropole et Outre-Mer, avant de penser à intégrer l’Union française dans l’Europe-Unie.

Mais il lui faut agir, agir au rythme même de la transformation du monde. Agir avant que ne s’accentue l’écart entre elle et les autres grandes entités régionales. Dans une vaste perspective économique et sociale, le développement africain s’impose. La France doit le considérer. Car la «relance africaine » peut contribuer à la « relance économique française» en même temps que permettre la « relance européenne ».

L’idée européenne a subi un déclin prononcé ; aucune des nations intéressées n’envisage de transférer à un organisme supranational les éléments essentiels de sa souveraineté.

Par contre, la recherche de l’unité s’exprime par le biais des agences spécialisées, par l’appel à une méthode fonctionnelle et non plus institutionnelle.

Cette méthode, appliquée avec prudence, parla France, en Afrique, en des secteurs délimités, pour des produits déterminés, n’est-elle pas susceptible de faire apparaître l’Eurafrique comme une solution possible alors que l’Europe, pour l’instant, semble être une fiction, un jeu de l’esprit ? C’est en Afrique que se fera l’Europe.

Au moment où l’Union française cherche ses assises, des solutions constitutionnelles concrètes, des éléments permanents de stabilité et de cohérence, des ciments de nature à unir les intérêts comme les cœurs de ses diverses populations, on ne saurait douter que l’aménagement de grands ensembles industriels lui apporterait une contribution du plus haut prix, avec les bienfaits infinis d’un assemblage économique et de liens fédéraux.

L’Union française traverse une crise sérieuse. Examinons très brièvement, au risque de les déformer quelque peu, les divers aspects de cette crise :

a. Crise politique : au sein de l’Union française existent, de plus en plus avouées, des tendances fédéralistes, autonomistes. De tous côtés, on réclame la révision de la Constitution de 1946, et notamment de son titre VIII.

b. Crise économique : l’économie française connaît de profondes difficultés. Pour la qualifier, les mots de sclérose et de malthusianisme nous deviennent familiers. Elle ne possède pas, nous dit-on, les structures nécessaires pour faire face aux tâches modernes ; à bien des égards, on peut se demander si un esprit constructeur l’anime encore… Il lui faudrait se reconvertir, c’est-à-dire orienter autrement son activité pour retrouver des «productions exportables », c’est-à-dire qui font actuellement défaut dans l’économie internationale comme dans l’économie française, au lieu de favoriser des « productions inexportables » (vin, agrumes) parce qu’en excédent sur les marchés étrangers aussi bien que français.

Il est incontestable que les territoires d’Outre-Mer pourraient contribuer à un meilleur équilibre de la balance des paiements en exportant, contre des devises fortes, des matières premières de base.

c. Crise sociale : malgré l’œuvre immense accomplie par la France, l’Afrique du Nord connaît une grave crise sociale due à une énorme poussée démographique entraînant un abaissement du niveau de vie. Il est donc souhaitable que l’industrialisation, conçue d’une façon raisonnable, s’y développe. Il ne s’agit pas d’y sacrifier l’agriculture à l’industrie. C’est là querelle de doctrinaires. La vérité s’y trouvera dans le respect des diverses vocations africaines. Un équilibre constant et fécond devrait être maintenu entre les deux mondes africains, les pays de structure traditionnellement agricole d’une part, les régions à vocation industrielle d’autre part.

à. La France et l’Europe connaissent un même et grave péril militaire. Le pacte Atlantique laisse subsister d’inquiétantes lacunes dans son dispositif sud ; il ne peut présenter une structure solide sans un développement industriel africain.

— Du point de vue africain, deux tendances se partagent les élites : islamisme ou eurafricanisme ? Les Africains doivent-ils se rattacher à la Communauté islamique ou, au contraire, s’associer à l’Europe ? Si l’Europe tend à se constituer en communauté avec l’Afrique, elle doit se l’attacher par des liens économiques dont l’importance exprimera la solidarité réelle des deux continents.

Lisez l’article en entier ici.

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« La clé de la sortie de crise pour le Venezuela demeure dans la relance de son économie… »

Thu, 17/05/2018 - 09:00

>> Retrouvez l’article dont est extraite cette citation : « Le Venezuela peut-il sortir de l’impasse ? », écrit par Thomas Posado dans le numéro de printemps 2018 de Politique étrangère. < <

Shadow Banking and the Rise of Capitalism in China

Wed, 16/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Norbert Gaillard propose une analyse de l’ouvrage de Andrew Collier, Shadow Banking and the Rise of Capitalism in China (Palgrave Macmillan, 2017, 208 pages).

Andrew Collier, ancien président de la filiale américaine de la Bank of China International, analyse le système financier chinois en se penchant spécifiquement sur le shadow banking.

L’auteur rappelle tout d’abord les causes profondes de la naissance puis de l’essor de cette finance de l’ombre, qui échappe à tout contrôle réglementaire et alimente toutes sortes de projets, légaux et illégaux.

En fait, l’instauration d’un « capitalisme chinois » à partir de 1978 passe par une politique de répression financière impliquant une faible rémunération de l’épargne des acteurs économiques chinois. L’objectif est de financer à moindre coût l’industrialisation du pays. Le corollaire est la création de petites banques informelles qui vont se lancer dans des investissements certes risqués, mais offrant des taux d’intérêt supérieurs à ceux des grandes banques d’État. L’emprise du shadow banking s’étend dans les années 1980 et 1990, via des entreprises et des banques coopératives locales qui prêtent aux ménages et à des entreprises de plus en plus imposantes.

C’est cependant la relance budgétaire de 2008 – assurée aux deux tiers par les gouvernements locaux – qui consacre le rôle primordial de la finance de l’ombre. Afin de mener à bien leurs diverses opérations spéculatives (en particulier immobilières), les municipalités et les provinces empruntent massivement à des banques du secteur informel. La bulle immobilière ne cesse de gonfler et aboutit dans un certain nombre de cas à la réalisation d’« éléphants blancs » – le plus célèbre étant la construction de la cité-fantôme d’Ordos en Mongolie intérieure.

Le shadow banking est aussi fascinant que complexe et dangereux. Il reflète tout d’abord un système bancaire insuffisamment libéralisé. Certes, il favorise la diversification de l’économie chinoise et soutient les entreprises de taille intermédiaire, mais au prix d’une forte corruption et de multiples conflits d’intérêts. Par ailleurs, les principaux acteurs de cette finance informelle, initialement appelés trusts, présentent des statuts opaques. Par exemple, certains se prévalent d’une garantie (implicite ou explicite) d’une grande société, d’un autre trust ou d’un gouvernement local sans que cela soit avéré… Plus récemment, le shadow banking a essaimé dans la banque traditionnelle, qui y voit un moyen d’augmenter sa rentabilité. Cette évolution est inquiétante, car elle est susceptible de gangrener le système financier chinois dans son ensemble. D’où la préoccupation finale de l’auteur : celle de l’aléa moral. Devenues trop importantes, les institutions financières risquent de poursuivre des stratégies hasardeuses, comptant sur un renflouement massif de l’État en cas de banqueroute. Les autorités politiques et les experts écartent cette éventualité, considérant que l’épargne des ménages chinois et les réserves de change suffiront.

Fruit de nombreuses interviews, fourmillant d’anecdotes, l’ouvrage d’Andrew Collier est éclairant. Il permet de comprendre la difficulté de concilier croissance économique élevée et système financier sain. En creux, il souligne l’importance des réglementations bancaires et de l’analyse du risque de crédit.

Norbert Gaillard

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Afrique du Sud : les paradoxes de la nation arc-en-ciel

Tue, 15/05/2018 - 09:00

Cette recension a été publiée dans le numéro de printemps de Politique étrangère (n°1/2018). Victor Magnani, chercheur au Centre Afrique subsaharienne de l’Ifri, propose une analyse de Philippe Gervais-Lambony, Afrique du Sud : les paradoxes de la nation arc-en-ciel (Le Cavalier bleu, 2017, 176 pages).

En 1994, Philippe Gervais-Lambony a ouvert la voie de l’Afrique du Sud à de nombreux chercheurs français en sciences humaines et sociales, en étant le premier directeur scientifique de l’Institut français d’Afrique du Sud. Les études de géographie, notamment urbaine, puis d’histoire et de préhistoire, d’anthropologie ou encore de science politique s’y sont ainsi développées pour tenter de saisir les multiples facettes de la société sud-africaine. Cet ouvrage mobilise ces différentes disciplines, non pour invalider certains lieux communs comme l’exceptionnalité sud-africaine sur le continent ou le « miracle » de sa transition démocratique, mais plutôt pour les nuancer et les mettre en perspective.

Les efforts de contextualisation et de pédagogie révèlent l’érudition d’un fin connaisseur de l’Afrique du Sud. Les entrées thématiques (histoire, société et culture, économie) permettent d’aborder les principales continuités de l’Afrique du Sud post-­apartheid, telles la ségrégation spatiale, les antagonismes raciaux ou la culture de la violence, ainsi que les grandes recompositions à l’œuvre – ­notamment la consolidation d’une démocratie ­multiraciale ou l’émergence d’une classe moyenne noire.

Un des grands intérêts de cet ouvrage est également de mettre en lumière la diversité et, parfois, la cohabitation (des langues, des religions, des communautés…) observées en Afrique du Sud, à tel point que l’auteur propose la dénomination « les Afriques du Sud », plus en phase avec sa pluralité. On comprend aussi la pluri-appartenance qui caractérise bon nombre de Sud-Africains. Celle-ci peut être spatiale (le township en tant que lieu de sociabilité et la banlieue périurbaine qui permet d’accéder à un confort supérieur), religieuse (syncrétisme entre christianisme et religions dites « traditionnelles »), linguistique (usage des langues africaines dans le cadre familial et de l’anglais dans le cadre professionnel ou pour l’éducation des enfants), sociale (la fragilité de l’appartenance à la classe moyenne), raciale (c’est le cas notamment d’élèves noirs ayant été scolarisés dans des écoles majoritairement et historiquement « blanches ») ou politique (l’alliance au pouvoir permet d’être syndicaliste et membre du gouvernement, communiste et soutien de politiques néolibérales).

On regrettera cependant une bibliographie générale limitée et le faible nombre de références pour chacun des thèmes abordés. Celles-ci auraient permis au lecteur d’approfondir ses connaissances en se référant aux multiples sources mobilisées par l’auteur et d’explorer différentes perspectives sur des thématiques particulièrement complexes, à l’image des causes de la fin de l’apartheid, des défis de la « réconciliation », ou de la mutation de l’African National Congress, de mouvement de libération à parti de gouvernement. Par ailleurs, certaines thématiques sont éludées ou abordées seulement à la marge. Ainsi en est-il des évolutions de la politique étrangère sud-africaine, ou d’une dépendance croissante vis-à-vis de la Chine, traitées de manière quelque peu ­réductrice sous l’angle économique.

Cet ouvrage reste une parfaite introduction pour quiconque cherche à se familiariser avec les enjeux contemporains de l’Afrique du Sud. Il est également fort utile, y compris pour des observateurs avertis, car il expose de manière claire et synthétique les principaux indicateurs socio-économiques et démographiques du pays.

Victor Magnani

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