Le contre-amiral Credendino, commandant l’opération Sophia, et les ministres de la Défense sur le pont du San Giusto (© NGV / B2)
(B2) Lors de la réunion informelle des ministres de la Défense, à Malte, le contre-amiral Enrico Credendino, a dressé le bilan des 21 premiers mois de fonctionnement de l’opération européenne en Méditerranée (EUNAVFOR Med / Sophia), qu’il commande.
35000 personnes sauvées
L’opération Sophia a contribué à sauver 35.037 personnes qui franchissaient la mer pour trouver asile en Europe, lors de 241 interventions de secours en mer (SOLAS). Soit 11,8% du total des migrants.
Par ailleurs, 422 bateaux servant au passage des migrants ont été neutralisés (= détruits). Et 109 suspects ont été appréhendés et remis à la justice italienne. C’est relativement peu… d’autant que la plupart des arrestations semble plutôt être du menu fretin. Pour autant à EUNAVFOR Med, on explique que l’opération a eu un effet notable : « Les trafiquants ont perdu leur liberté d’action dans les eaux internationales » (NB : ce qui est exact). Du côté des États membres, on est cependant moins enthousiaste. « L’opération n’a pas vraiment démontré son efficacité » confie une source européenne à B2.
Pas d’effet d’attraction
Du côté de l’opération, on nie catégoriquement tout effet d’attraction sur le trafic. Si les navires de l’opération Sophia « n’étaient pas là, cela n’empêcherait en rien le trafic d’être humains » lance son porte-parole, le cap. de vaisseau Antonello de Renzis Sonnino. Car l’obligation de secours à toute personne en détresse en mer existera toujours. Et le trafic maritime est intense dans la zone. « Chaque jour, près de 50 cargos et navires marchands naviguent en même temps sans compter les navires ONG (une quinzaine selon nos sources). Etant donné la densité du trafic maritime, en Méditerranée centrale, les secours prendraient place même s’il n’y avait pas de présence de EUNAVFOR Med. C’est une obligation légale, une obligation morale. »
Bilan plus contrasté pour l’embargo sur les armes
Du côté de la surveillance de l’embargo sur les armes – une tâche commencée il y a un peu plus de six mois (en octobre 2016) –, le bilan est plus contrasté. 442 vérifications hailing, 44 approches amicales (friendly approach) avec montée à bord avec l’accord du capitaine (« puis-je vous visiter »), une inspection (pour un bateau franchement suspect) et sept enquêtes de pavillon (vérification des papiers à bord de l’équipage, du cargo). Du côté de l’opération, on le reconnait, « on n’a pas encore une image complète, il y a un effet de dissuasion. Mais le trafic d’armes utilise différentes routes. »
Cinq navires en mer
L’opération dispose aujourd’hui de cinq navires en mer : le navire italien de débarquement San Giusto (L-9894), la frégate espagnole multiusages Canarias (F-86), le navire allemand auxiliaire Rhein (A-513), le navire océanographique multirôle britannique Echo (H-87), le patrouilleur de haute mer français Commandant Birot (F-796). Le premier navire sert de navire amiral, les deux suivants (espagnol et allemand) sont plutôt dédiés au sauvetage en mer, les deux derniers (français et britannique) sont plus particulièrement dédiés au contrôle de l’embargo en mer.
Quatre avions
En l’air, l’opération dispose de quatre avions : deux avions affrétés par le Luxembourg (auprès de la compagnie CAE aviation), un avion espagnol et un avion français de surveillance (Falcon ou autre selon la disponibilité).
(Nicolas Gros-Verheyde, à La Valette)
Le San Giusto (© NGV / B2)
(B2 sur le San Giusto, à Malte) La formation des garde-côtes et marins libyens commence à entrer dans une phase plus complète, comme l’ont expliqué à quelques journalistes (dont B2) les responsables de l’opération Sophia (EUNAVFOR Med), lors d’un briefing à bord du navire amiral de l’opération, le San Giusto, ancré spécialement, dans le port de Malte, le temps de la réunion informelle des ministres de la Défense.
Trois cycles de formation
La formation des garde-côtes se déroule selon trois cycles, le premier, dit de « formation basique », a permis de former 93 marins sur une durée de 14 semaines, du 26 octobre 2016 au 13 février 2017 sur deux navires, italien et néerlandais. Cette formation vise à donner des rudiments du cadre d’action en mer : le droit international humanitaire, la loi maritime, la recherche et le sauvetage, le contrôle des pêches, la protection maritime de l’environnement, des notions de langue (l’anglais, langue maritime internationale). Un nouveau cycle pourrait avoir lieu « si les Libyens le demandent ».
La second cycle de « perfectionnement » est actuellement en cours. Il dure normalement 14 semaines et concerne des groupes de militaires de différents rangs. Certains cours sont assez théoriques, d’autres plus pratiques. Une première session s’est déroulée du 30 janvier au 9 février en Crête (Grèce) pour 20 officiers expérimentés + 1 tuteur, sur différents points spécialisés théoriques : l’application de la législation maritime (MLE), le renseignement, la collecte de preuves et les enquêtes sur une scène criminelle, l’organisation de la garde-côte, les aspects juridiques, etc. Une seconde session s’est déroulée à Malte du 6 au 17 mars et du 27 mars au 7 avril concernant successivement 12 officiers sur la législation maritime et 8 autres sur la coordination.
L’Italie devrait prendre le relais pour former 255 stagiaires en tout : 65 pour former l’équipage de 5 navires de patrouille, 20 officiers et 25 sous-officiers pour la maintenance, 25 opérateurs de salle d’opération, 8 formateurs, 56 sous-officiers. Une autre série de stages devrait avoir lieu en Espagne pour finaliser ce second cycle, avec une formation plus technique, sur la maintenance, la législation maritime, les visites et inspections de bord pour 36 stagiaires (Visit, board, search, and seizure ou VBSS).
Enfin, le troisième cycle devrait être proprement opérationnel, d’environ huit semaines, en mer, permettant aux équipages et officiers de mettre en pratique toutes les connaissances théoriques, engrangées dans les différents séminaires. Ce, à bord des dix navires de patrouille, remis en condition opérationnelle par les Italiens, et rendus aux autorités libyennes (*).
L’objectif serait ainsi d’avoir d’ici l’été 2017 une garde côte libyenne en état de marche, ou du moins un embryon de garde-côtes, avec dix navires opérationnels, les équipages, les personnels de maintenance et le commandement. Avec cette formation et les nouveaux navires promis par l’Italie, « quelque chose pourrait changer » confirme le porte-parole de l’opération, le capitaine de vaisseau Antonello de Renzis Sonnino. On l’espère…
(Nicolas Gros-Verheyde)
(*) Des navires qui, pour l’essentiel, étaient en maintenance lors de la guerre de 2011 et avaient été saisis dans le cadre de l’embargo mis en place par les Alliés et les Nations Unies
Un absent notable… sur la photo de famille à la réunion informelle des ministres de la Défense, dans la cour du Palais du Grand maitre à Malte (crédit : présidence maltaise de l’UE)
(B2) Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a fait ses adieux à ses collègues européens après cinq années intensives passées à la tête du ministère de la Défense et sur la question de la défense européen. C’est ainsi un des piliers du Conseil qui s’en va.
Le ministre est, en effet, le vétéran du Conseil, selon nos éléments (lire Les ministres de la défense de l’UE (et de l’OTAN). Qui est qui ?) précédant de peu la Néerlandaise Jeanine Plaschaert (nommée en novembre 2012).
Des efforts peu récompensés
Européen convaincu, le Breton n’aura pas ménagé sa peine pour voir avancer une défense plus européenne, à l’occasion de réunions mais aussi d’innombrables déplacements dans les capitales européennes. Mais la bonne volonté et l’ambition n’ont pas suffi. Et, du côté français, même si personne ne l’avoue officiellement, c’est plutôt la déception qui est au rendez-vous et une certaine amertume qui domine. Certes sur de nombreux sujets – le financement de la recherche de défense, le renforcement des capacités militaires dans les pays tiers (CBSD), la clause de solidarité, la coopération structurée, les battlegroups, etc. – des avancées ont pu être engrangées. Mais on pourrait parler plutôt de déblocage conceptuel, d’avancées politiques, dans les concepts, qui restent encore à mettre en œuvre et à renforcer.
Une évolution trop lente par rapport aux réalités
La réalité, c’est que les Européens ont évolué… à leur rythme. Mais les évolutions de la sécurité du voisinage ont été plus rapides, plus prégnantes et plus menaçantes. Les hésitations et tergiversations européennes dans un monde tournoyant n’étaient plus de mise. Et la situation mondiale aurait exigé une réaction et des prises de décision beaucoup plus rapides et plus fortes.
Une sorte de déprime européenne à Paris
Du coup, les Français se sont résignés à agir seuls, quitte à se voir rejoints ensuite par les Européens. Il y a ainsi une sorte de déprime européenne à Paris où, désespérant de voir les Européens agir, on préfère désormais travailler en bilatéral, avec les Britanniques d’un côté, les Espagnols de l’autre (sur l’opération Barkhane par exemple), ou les Allemands par ailleurs. C’est un peu un amour déçu : quand l’un veut, l’autre ne veut pas ; quand l’autre se ravise et veut bien, le premier est parti ailleurs.
Le bilatéral plutôt que le collectif européen
Du côté militaire, c’est très clair en tout cas. Un officier français préférera travailler avec un Britannique, dont il partage certaines conceptions, à commencer par un certain héritage historique de l’intervention en premier… qu’avec des Européens. « C’est compliqué, c’est lent et, au final, peu efficace » est le leitmotiv, le plus souvent entendu dans les rangs non seulement des officiers du rangs mais également des officiers supérieurs à Paris, jusqu’au premier d’entre eux, le chef d’état-major, Pierre de Villiers. Et cette sentence est devenue également le sentiment dominant dans l’entourage de Le Drian. Le ministre s’est d’ailleurs bien gardé de faire une apparition devant la presse à Malte. Une certaine prudence normale pour éviter d’être pris au piège de déclarations politiques dans un entre deux tours crucial pour l’avenir du ministre mais aussi peut-être pour ne pas devoir avouer face aux journalistes une certaine amertume européenne que, passés caméras et micros, à l’hôtel de Brienne (siège du ministère de la défense), on ne cache pas.
Un adieu qui est peut-être aussi un au-revoir
Le Drian a obtenu cependant un hommage appuyé de ses homologues européens. Interrogé par B2 pour savoir si c’était un adieu ou un au-revoir que les ministres lui avaient prononcé, la Haute représentante de l’Union a répondu, avec un sourire (et en français) « Les deux… Il a dit au-revoir. Et nous l’avons remercié car les résultats qu’on a eu dans cette dernière période sur le domaine de la sécurité et de la défense européenne sont aussi beaucoup grâce à la France et au travail du ministre Le Drian. Il a donc dit au revoir… Et on s’est dit peut-être à bientôt. Mais cela dépend d’autres dynamiques sur lesquelles je ne veux pas nécessairement commenter, plus liées à un calendrier électoral qu’à la défense européenne. »
(Nicolas Gros-Verheyde)