Un gros effort de clarification a été mené, sera-t-il suffisant pour convaincre, rassembler ? Toutes les pièces du dossier ont été mises sur la table, pour preuve la bibliographie quasi exhaustive des propositions et de la législation en vigueur. Manifestement les auteurs savent où ils veulent aller en proposant une feuille de route claire (cf . le résumé des recommandations). Par le passé l’urgence l’a souvent emporté sur la recherche de la cohérence et du durable. L’enjeu est connu de tous : plus de 1% de la population du globe est composé de déplacés, de réfugiés et de demandeurs d’asile. En 2015 1,250 000 demandeurs d’asile le double par rapport à 2014, en 2016 la Commission prévoit 2 millions.
Les meilleurs ont leur faiblesse : ici rien n’est dit sur l’information des opinions publiques, la dissipation des inquiétudes fantasmées et souvent instrumentalisées à des fins politiciennes. Rien n’est possible aussi longtemps que subsiste cet écart insupportable entre la réalité et la perception qu’en ont les populations. Les gouvernements ont peur de leur opinion et rien n’est fait pour y remédier. D’où des inhibitions paralysantes, des conduites erratiques et la multiplication des enquêtes, sondages n’y changeront rien : comment concilier le fait que Eurobaromètre nous indique que deux européens sur trois attendent de l’Union qu’elle en fasse plus l’immigration et les nombreuses études et sondages qui nous renseignent sur la perception désastreuse qu’en ont les populations. Eulogos en a citées plusieurs récemment. Dans « pour en savoir plus », vous trouverez celle faite par le Pew Research Center, un point de vue utile car venant d’outre-atlantique..
Beaucoup est écrit sur « asile et immigration »par des think tanks, ONG, centres de recherche de toute nature, souvent de bonne qualité, leur diversité et leur nombre n’aident pas à une claire compréhension du phénomène par les acteurs. L’Institut Jacques Delors serait bien inspiré de prendre l’initiative de réunir les meilleurs pour provoquer un échange de points de vue devant déboucher sur une vaste synthèse qui ferait autorité en la matière.
L’afflux massif de migrants a révélé les faiblesses existantes du régime d’asile européen commun (RAEC) et d’un de ses piliers, le système de Dublin. Bien qu’il existe des normes européennes communes, les choses se passent bien différemment en pratique. Les taux de reconnaissance divergents au sein des États membres encouragent les mouvements secondaires irréguliers des demandeurs d’asile. Un mécanisme de partage des responsabilités et des coûts entre les États membres fait également défaut.
Compte tenu de ces faiblesses et des profondes implications pour la sécurité et le fonctionnement de l’espace Schengen, l’Union européenne a lancé, au printemps 2016, un processus de réforme. Le policy paper vise à contribuer à ce processus en proposant la « meilleure »solution pour une révision globale du système de Dublin, qui comprend des mesures dans les domaines de la protection des frontières, de la sécurité intérieure et de la coopération extérieure.
La repose sur la conviction que l’afflux constant de migrants constitue un enjeu européen indivisible appelant à une réponse collective. Cette réponse devrait être axée sur des normes communes et mettre en pratique de manière efficace les principes de solidarité et de partage des responsabilités.
Concrètement, cette proposition repose sur cinq grands piliers :
Ces flux migratoires massifs ont mis le régime d’asile européen commun (RAEC) sous grande pression et ont remis en cause l’un de ses piliers, le système Dublin III. Ce système définit une série de critères pour l’attribution de la responsabilité concernant le traitement des demandes d’asile et la protection à un seul État membre. En pratique, la responsabilité a été très souvent attribuée au pays où la première entrée irrégulière a eu lieu. L’objectif original de ces critères était d’empêcher deux phénomènes : l’« asylum shopping » (de multiples demandes d’asile dans différents États membres afin d’obtenir les meilleures conditions) et les « réfugiés en orbite » (des transferts en chaîne de réfugiés entre des États membres en l’absence d’une responsabilité claire).
Toutefois, l’afflux massif de migrants a révélé deux grandes failles dans la conception et la mise en oeuvre du système de Dublin :
Premièrement, le système n’est pas parvenu à supprimer les incitations à l’« asylum shopping ». L’objectif du RAEC est de garantir que toutes les demandes de protection sont traitées de la même façon en termes de procédure et de détermination du statut dans toute l’UE. En pratique, les procédures des États membres, les normes relatives à la détermination du statut et les conditions d’accueil varient grandement. Cette variation incite fortement les demandeurs d’asile à ignorer les règles de Dublin et à échapper à l’enregistrement dans l’État membre de première entrée afin de se rendre de façon irrégulière dans un État membre où les chances de bénéficier de l’asile ou de conditions plus favorables sont plus grandes.
L’UE a tenté de compenser les dysfonctionnements du système de Dublin par des mesures d’urgence telles que des fonds supplémentaires aux pays en première ligne, la création de centres de crise (« hotspots ») de l’UE pour soutenir la Grèce et l’Italie dans l’identification, l’enregistrement et la prise d’empreintes digitales des migrants, ainsi que la mise en place de deux mécanismes de relocalisation temporaires. Toutefois, notamment dans le dernier cas, la mise en oeuvre a traîné. En juin 2016, les États membres avaient à peine garanti 5 % des 160 000 lieux de relocalisation et seuls 2 005 migrants avaient été réellement relocalisés. A ce rythme, il faudra plus de 50 ans à l’UE pour mettre en oeuvre les mécanismes de relocalisation, par rapport aux deux ans prévus à l’origine.
Les dysfonctionnements du système de Dublin et la perception aiguë de menaces alimentée par une série d’attentats terroristes sur le sol européen mettent en péril l’ensemble du système Schengen. Plusieurs pays, dont l’Allemagne, l’Autriche, la Slovénie, la Hongrie, la Suède, la Norvège, le Danemark et la Belgique ont rétabli temporairement des contrôles des frontières intérieures en 2015. Un rétablissement à long terme de ces contrôles aurait de grandes répercussions sur les plans économique, politique et social. Selon des études quantitatives, les coûts économiques annuels d’un effondrement de l’espace Schengen pourraient atteindre 143 milliards EUR. Un sondage Eurobaromètre de novembre 2015 a révélé que les citoyens européens considéraient la libre circulation comme l’un des deux résultats les plus positifs de l’Union européenne, avec la paix entre les États membres. Le même sondage a indiqué que deux-tiers des citoyens européens étaient en faveur d’une politique européenne commune en matière de migration. Le fait de ne pas être à la hauteur de ces attentes sur le long terme pourrait véritablement menacer le projet européen.
1 Résumé des recommandations relatives à l’harmonisation des normes de jure et de facto
2 Résumé des recommandations pour un partage des responsabilités plus équitable
Pour en savoir plus : principales sources d’information
-. L’enquête américaine du Pew Research Center http://www.pewglobal.org/2016/07/11/europeans-fear-wave-of-refugees-will-mean-more-terrorism-fewer-jobs/
-. En route vers Dublin IV (FR) http://www.institutdelors.eu/011-23479-Asile-et-refugies-en-route-vers-Dublin-IV.html
(EN) http://www.delorsinstitute.eu/011-23480-Asylum-and-refugees-towards-Dublin-IV.html
REUTERS/Dado Ruvic/Illustration
«Ne doutez pas de mon ardeur» à lutter contre l’évasion fiscale, lançait à des députés européens dubitatifs, le 12 novembre 2014, un Jean-Claude Juncker sonné par la révélation, une semaine plus tôt, du scandale LuxLeaks. Le nouveau président de la Commission européenne, cueilli à froid quelques jours après sa prise de fonction, avait dû expliquer qu’il n’était ni «l’ami du grand capital» ni celui de l’évasion fiscale et qu’au contraire, il était déterminé à lutter contre celle-ci et la fraude. Bref, l’homme qui avait si bien promu la place fiscale luxembourgeoise pendant vingt-cinq ans comme ministre des Finances puis comme Premier ministre du grand-duché allait être le Vidocq de la fiscalité, ce truand devenu le père de la police judiciaire moderne.
Deux ans plus tard, il a tenu parole, comme l’affaire Apple vient une nouvelle fois de l’illustrer. Jamais avant sa présidence un exécutif européen, pourtant dominé par les conservateurs et les libéraux, n’avait montré une telle détermination à en finir avec une concurrence fiscale particulièrement dommageable pour des budgets nationaux de plus en plus contraints. Son action s’est déroulée sur deux fronts. D’un côté, une série de textes législatifs ont profondément changé le paysage fiscal communautaire : directive sur la transparence des rescrits fiscaux, plan de lutte contre la fraude à la TVA, fin du secret bancaire, proposition de directive imposant aux multinationales la transparence fiscale pays par pays (CBCR, Country by Country Report) afin qu’elles ne puissent plus profiter des différences de législation et de l’opacité pour échapper à l’impôt, etc. De l’autre, la Commission a attaqué l’évasion fiscale par le biais de la politique de concurrence. Selon elle, les entreprises qui bénéficient d’une fiscalité arrangeante et dérogatoire à la règle commune sont aidées par les Etats européens au détriment de leurs compétiteurs : c’est ainsi une aide d’Etat illégale, non pas en soi puisque la plupart de ces aides sont légales, mais parce qu’elle n’est ni justifiée ni équitable.
Apple vient d’en faire les frais, tout comme avant lui Starbucks, Fiat, Celio, BP, AB Invest, BASF, Belgacom, British American Tobacco… McDonald’s ou Amazon devraient suivre. Une interprétation juridiquement osée puisqu’en réalité, c’est moins une aide d’Etat destinée à une entreprise particulière qui est visée que des dispositions fiscales iniques. Mais, faute de compétence dans le domaine fiscal, les Etats ayant toujours refusé de partager leur souveraineté dans ce domaine, c’est là le seul moyen d’attaquer ces dispositifs destinés à attirer les entreprises. Surtout, la concurrence étant une compétence fédérale, les gouvernements n’ont aucun moyen de bloquer la Commission, comme ils peuvent le faire dans le domaine législatif, ce dont ils ne se privent pas.
Le seul moyen pour les Etats de freiner ces ardeurs nouvelles de la Commission est de la poursuivre devant la Cour de justice européenne, comme le font les entreprises obligées de payer les impôts éludés. Ainsi, le gouvernement irlandais vient d’annoncer son intention de contester la décision de l’exécutif européen dans l’affaire Apple,ce qui suscite de forts remous internes, alors que les 13 milliards d’euros qu’il lui doit combleraient son déficit public. La Belgique et le Luxembourg l’avaient déjà fait pour éviter aux entreprises de payer un impôt pourtant dû. Les Irlandais, qui viennent de subir une cure d’austérité après le sauvetage massif des banques décidé par Dublin, apprécieront. Si les Etats voulaient fournir une ultime preuve que ce n’est pas l’Union européenne qui souhaite la concurrence fiscale, comme le clament les europhobes, mais bel et bien les gouvernements nationaux, ils ne s’y prendraient pas autrement. C’était d’ailleurs la défense de Juncker au moment du LuxLeaks : en tant que chef de gouvernement, il n’a pas fait plus que ses partenaires européens. Autant dire que l’évasion et la fraude fiscales ne cesseront pas en pariant sur une supposée bonne volonté des Etats, mais seulement si la fiscalité des entreprises devient une compétence communautaire.
N.B.: article paru dans Libération du 31 août