Le périple du Privacy Shield semble désormais avoir atteint sa destination : après une demande de la part du Parlement européen fin mai 2016 de renforcer les garanties en matière de protection des données personnelles des citoyens européens après leur transfert outre-atlantique, la Commission a tranché le 12 juillet dernier. Les commissaires ont ainsi jugé que le niveau de sécurité était équivalent à celle offerte par l’Union européenne.
Toutefois, cette décision d’adéquation est loin d’être venue couper court aux incertitudes qui entourent cet Accord : le G29 – le groupe de travail qui rassemble les 28 CNIL européennes en charge de veiller à une protection effective des données personnelles des citoyens européens – a rendu public un communiqué qui renouvelle les « préoccupations » déjà formulées au printemps dernier.
Plusieurs dispositions et lacunes avaient alors été épinglées, en particulier un « manque de clarté général » du texte, l’absence de délai de conservation des données, la complexité des possibilités de recours offertes, le manque d’indépendance du médiateur tel que proposé, et surtout le manque de garanties visant à balayer le risque de « surveillance massive et indiscriminée » des données – ce qui est légal dans le cadre du Patriot Act mais contraire au Droit européen.
« Face aux lacunes du Privacy Shield, le G29 joue pleinement son rôle de protecteur des données personnelles et de gardien de ce devoir de l’Union envers ses citoyens »
La position du G29 n’a guère évolué malgré les dernières modifications apportées à l’accord : s’il accueille favorablement les engagements renouvelés des négociateurs américains, les garanties concrètes restent trop vagues notamment en ce qui concerne la problématique de la surveillance de masse.
Face aux lacunes du Privacy Shield, le G29 joue pleinement son rôle de protecteur des données personnelles et de gardien de ce devoir de l’Union envers ses citoyens. De ce fait, cet organisme indépendant sera d’autant plus central qu’il va devoir garantir ce droit fondamental tant dans l’application de l’accord et l’interprétation qui en seront faites que dans le système de recours mis en place afin d’épauler les citoyens. En parallèle, le 29 juillet, le G29 a rendu public une déclaration dans laquelle il indique sa volonté de collaborer avec la Commission européenne dans l’élaboration et l’implémentation d’un organe européen de centralisation des plaintes (EU centralized body) ainsi que dans l’organisation pratique de l’évaluation conjointe prévue dans les modalités de l’Accord. La majorité des documents relatifs à ces nouveautés, de même que les lignes directrices du G29, ont été adoptées mi-décembre, alors que les dernières modalités doivent être finalisées durant la plénière de février. Ces lignes directrices ont été définies en étroite collaboration avec les organes européens et internationaux compétents ainsi qu’avec les acteurs de la société civile concernés.
Les failles que présente le Privacy Shield tel qu’il a été adopté sont donc étroitement surveillées du côté européen grâce à ce rôle de garde-fou qu’a endossé le G29. Cette mission de gardien des données tend d’ailleurs à s’institutionnaliser avec l’évolution du G29 vers un Comité européen de protection des données (CEPD) qui doit le remplacer pour 2018.
Par son suivi attentif du Privacy Shield, le futur CEPD pourrait donc permettre de faire face aux garanties qui manquent à l’Accord tel qu’il a été adopté. Les critiques dont il a fait l’objet sont certes réelles et préoccupantes, mais elles peuvent dans ce cas être contrebalancées par la surveillance active du G29, tout comme des autres organes de l’Union telle que la Cour de Justice européenne, laquelle avait déjà fait valoir le droit européen lors de son invalidation du prédécesseur du Privacy Shield, le Safe Harbor.
Emmanuelle Gris
En savoir plus :
Article 29 Working Party Statement on the decision of the European Commission on the EU-U.S. Privacy Shield :
http://ec.europa.eu/justice/data-protection/article-29/press-material/press-release/art29_press_material/2016/20160726_wp29_wp_statement_eu_us_privacy_shield_en.pdf
Communiqué du G29 – séance plénière des 12 et 13 décembre 2016 :
https://www.cnil.fr/fr/communique-g29-seance-pleniere-du-g29-des-12-et-13-decembre-2016
REES, Marc, « Privacy Shield : les inquiétudes du G29 persistent, sans conséquence immédiate », 26 juillet 2016 :
http://www.nextinpact.com/news/100776-privacy-shield-inquietudes-g29-persistent-sans-consequence-immediate.htm
L’Union Européenne n’a pas vraiment été épargnée par les crises au cours des dernières années. La crise de l’euro et de la dette souveraine, l’effondrement financier de la Grèce et les menaces de sa sortie de l’Euro , la guerre en Ukraine, les attentats islamistes et l’afflux de réfugiés ont profondément divisé les opinions publiques dans tous les pays européens. Certains y ont vu les signes de l’échec définitif de l’Union européenne, programmé pour le court terme. D’autres y ont vu des raisons supplémentaires de renforcer les liens entre pays de la «vieille Europe».Donc au mieux la dislocation de l’Union .
Mais souligne la Fondation Bertelsmann deux vènements récents considérés comme catastrophiques pour l’Europe, le Brexit et l’élection de Donald Trump à la Présidence des Etats-Unis, pourraient bien devenir sa chance. Car ils montrent aux différents pays de l’Union et plus encore à leurs opinions publiques qu’ils n’ont pas d’autre choix que de se serrer les coudes et faire face ensemble.
C’est en tout cas le résultat surprenant que montre un sondage réalisé par la Bertelsmann Foundation. Dans cinq des six pays les plus peuplés de l’Union, les opinions favorables à l’Europe progressent. Le seul pays où elles reculent est l’Espagne. Et au Royaume-Uni, si la consultation sur le Brexit était refaite aujourd’hui, une majorité des électeurs voterait contre.
2016, l’année qui prouve la nécessité de l’EuropeComment cela est-il possible? Il y a deux explications. La première est que la sortie de l’Union par le Royaume-Uni semble être politiquement et plus encore économiquement périlleuse. La seconde est que la crainte de ne plus pouvoir compter sur l’allié américain contraint les Européens à se ressouder. Illustration, plus de 40% des Danois souhaitaient un référendum sur la sortie de l’Europe avant le vote sur le Brexit, il ne sont plus que 10% aujourd’hui à le vouloir.
La crainte pour la défense et la sécurité de l’Europe face à la menace terroriste et à celle de l’armée russe, l’apparition de nouveaux équilibres stratégiques avec de nouveaux protagonistes comme la Turquie et l’Iran se liant avec la Russie a créé un sentiment d’urgence. Et même le Président allemand, Joachim Gauck, pacifiste de tradition, vient d’appeler à un renforcement de la coopération européenne sur la sécurité et des moyens de défense. Le discours allemand depuis des décennies était plutôt celui du désarmement et du «dialogue».
La défense européenne et la sécurité européenne semblent d’autant plus nécessaires que l’OTAN n’est plus une priorité américaine. L’administration Obama l’avait déjà clairement signifié et Donald Trump a encore été plus explicite en déclarant pendant la campagne présidentielle américaine que les Etats-Unis ne voulaient plus payer pour la défense de pays en Europe qui n’étaient pas prêts à faire le moindre effort financier dans le domaine militaire.
Comme le souligne Bertelsmann, «Ce serait ironique que 2016, l’année qui a semblé marquer le début de la fin pour l’Union Européenne, soit en fait le début d’un renforcement de l’Europe face aux menaces de toute nature».
Ce n’est pas une voix isolée, Jean Quatremer dans Libération a écrit son « hymne à la foi » ( cf. pour en savoir plus) ; il a recensé six arguments qui contredisent les fossoyeurs de la construction européenne.
– .1 l’Euro a passé l’épreuve du feu, nul ne doute que l’édifice sera un jour achevé, même s’il manque encore des pièces, un budget digne de ce nom pour la zone euro, une capacité d’emprunt fédéral, un contrôle démocratique .
-.2 le Brexit n’a pas suscité de nouvelles vocations. Le processus de contamination si souvent prédit n’a pas fonctionné, bien au contraire. Le Royaume-Uni risque de se retrouver, seul, dans la position d’un simple pays tiers comme beaucoup d’autres. Il n’est pas étonnant que les instituts de sondage aient constaté un rebond du sentiment pro-européen, y compris au Royaume-Uni, où 56% des personnes interrogées voteraient maintenant pour rester dans l’Union
-.3 la crise des réfugiés a suscité un nouveau saut dans l’intégration. Le flux migratoire s’est ralenti de façon importante, la surveillance des frontières extérieures a été renforcée et en partie communautarisée avec la création rapide d’un corps européen de gardes frontières habilité à intervenir y compris contre la volonté d’un Etat. Un point délicat en suspens : le partage du fardeau.
-.4 l’élection de Trump a relancé l’intégration militaire et policière ; le paradigme de la sécurité a changé totalement en Europe. Ceux qui ne juraient que par les Etats-Unis ont redécouvert les vertus de la défense européenne. La Commission européenne (Jean-Claude Juncker) et le couple franco allemand en ont profité pour pousser l’intégration militaire industrielle. Le tabou de l’usage militaire de Galileo, le GPS européen qui émet depuis le 15 décembre, est tombé.
Dans le domaine de la lutte antiterroriste, les progrès ont été importants (cf. article de eulogos) après un premier réflexe de repli sur soi sur le réduit national.
-.5 on se bouscule aux portes de l’Union. Il n’y a pas que les pays qui veulent la rejoindre, mais aussi des êtres humains, migrants et réfugiés qui votent avec leurs pieds, parfois au risque de leur vie. L’Europe fait rêver, car c’est la seule région du monde où les Etats ont accepté volontairement de partager une partie de leur souveraineté et mis en place des transferts financiers importants entre les plus riches et les plus pauvre des Etats membres.
-.6 les crises ont toujours renforcé l’Europe. Pourquoi des crises à répétition ? Parce que la coopération volontaire est toujours ressentie comme « contre-nature » après des siècles de guerres qui ont ravagé l’Europe. Mais la preuve a été donnée qu’il n’y a pas de fatalité à cela : toute crise est faite pour être surmontée.
Deux textes dont Eulogos va s’inspirer pour sa « Réplique ». Sous de telles auspices, l’année 2017 ne peut-être que meilleure que l’année 2016, une « année de dingues » a titré le journal Libération !
Donc bonne année 2017 !
Pour en savoir plus : principales sources de l’information.
– Sondages Bertelsmann http://www.msn.com/en-us/news/world/after-brexit-and-trump%E2%80%99s-victory-europeans-are-beginning-to-like-the-eu-again/ar-AAkHAkS?li=BBnb4R7
– Jean Quatremer malgré des bémols, un hymne à la foi http://www.liberation.fr/planete/2016/12/28/ue-malgre-des-bemols-un-hymne-a-la-foi_1537927