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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

F-35 japonais : renforcement face aux menaces aériennes et intégration régionale

Thu, 06/06/2019 - 14:24

 

La visite de quatre jours du président américain Donald Trump au Japon fin mai a été une étape importante sur le plan militaire. En effet, Tokyo a confirmé l’achat de 105 F-35 américains, ce qui portera sa flotte à 147 appareils et en fera une force redoutable.

La commande de ces avions furtifs de cinquième génération est constituée de 63 F-35A et de 42 F-35B (à décollage/atterrissage vertical). C’est la première fois que le Japon acquiert une telle version de l’appareil. D’un coût compris entre 89,2 et 115,5 millions de dollars par avion, cette acquisition devrait se chiffrer à plus de 10 milliards de dollars (8,9 milliards d’euros). La flotte japonaise de F-35 sera la plus importante après celle des États-Unis.

Une fois que ce système d’armes sera opérationnel, le Japon pourrait projeter une puissance aérienne considérable bien au-delà de ses côtes. Tokyo prévoit d’utiliser la variante F-35B, qui est capable de décoller et d’atterrir verticalement, sur les destroyers porte-hélicoptères de la classe Izumo au Japon. Les navires, qui ne peuvent actuellement emporter que des hélicoptères à bord, seront modifiés pour supporter les F-35. Ils deviendront alors de véritables porte-aéronefs.

Le F-35 peut changer la donne face à la menace chinoise et russe, dans une moindre mesure.

Il faut souligner que le F-35 a un faible niveau de détection (son signal radar a la taille d’une balle de golf) et pénétrerait facilement dans les espaces aériens chinois et russe (du moins pour le moment).

Même si les systèmes chinois et russe parviennent à localiser le F-35, ils auront beaucoup de mal à suivre et à cibler le chasseur furtif. De plus, au moment de la détection, le F-35 aura déployé son système d’arme embarqué, procurant un avantage décisif en première frappe sur des cibles stratégiques telles que les défenses anti-aériennes de l’ennemi.

La Chine affirme que son chasseur furtif J-20, qui a atteint sa capacité opérationnelle initiale, serait capable de relever le défi des F-35. C’est toutefois très peu probable, car le J-20 est toujours à la traîne par rapport au F-35 en ce qui concerne la connaissance de la situation sur le champ de bataille et les systèmes de propulsion, deux facteurs qui confèrent à l’avion un avantage opérationnel essentiel au combat.

Compte tenu de la supériorité du F-35 sur son rival J-20, le Japon, avec sa flotte projetée de quelque 150 F-35, posséderait une supériorité aérienne significative par rapport à la Force aérienne de l’Armée de libération du peuple.

Par ailleurs, la Russie a déployé dans la région des chasseurs Su-35. Mais, en dépit de sa manœuvrabilité et de sa puissance de frappe considérables, le Su-35 ne possède pas de fonctions furtives avancées de cinquième génération (contrairement au F-22 / F-35 et au J-20 chinois) et n’a pas de capteurs de pointe disponibles comme le F-35.

Toutefois, le crash d’un F-35A, récemment acquis par le Japon, le 9 avril 2019, puis la mise à l’arrêt de toute la flotte de F-35 qui en a découlé, soulèvent de sérieux doutes quant à la disponibilité opérationnelle de ce système d’armes révolutionnaire, ce qui suscite de nombreuses critiques.

Cet avion a jusqu’à présent été peu utilisé. Seuls les Israéliens l’ont utilisé en Syrie dans des missions opérationnelles, et dans ce contexte, sa furtivité aurait plutôt déçu. Et selon certaines sources militaires, il ne serait pas capable de contrer les systèmes anti-aériens S300 livrés à Damas par Moscou, et que possèderaient aussi Téhéran et Caracas… Or, la Chine a de tels systèmes, soit des S-300 PMU achetés aux Russes, soit son propre système de missiles sol-air HongQi 9 (HQ-9) qui est équivalent.

Pour le moment, les forces alliées possédant le F-35 pourront profiter du retour d’expérience des forces de défense aériennes israéliennes qui l’ont utilisé pour pénétrer l’espace aérien syrien pour engager des batteries iraniennes, avec succès.

Par ailleurs, les critiques du programme des F-35 ignorent le fait que tous les nouveaux systèmes d’armes sont confrontés à des problèmes dans leur phase d’introduction. Même le légendaire F-16, lancé officiellement en 1978, a été confronté à une série de problèmes techniques à ses débuts.

Compte tenu de la complexité technique du F-35, il faudrait probablement encore une décennie (après les deux premières décennies de développement) pour résoudre les nombreuses questions relatives à cet avion d’une complexité remarquable.

F-35 et intégration régionale

L’autre conséquence de l’achat massif de F-35 par le Japon est la mise en place d’une considérable flotte dans la région et l’intégration des forces aériennes locales avec celles de États-Unis.

En effet, d’autres alliés des États-Unis, l’Australie, la Corée du Sud et Singapour ont ou sont intéressés par cet appareil.

La flotte de F-35 des États-Unis et de leurs alliés sera très conséquente. Les États-Unis et leurs alliés disposeront de plus de 200 avions F-35 déployés dans la région Asie-Pacifique d’ici à 2025, selon le général Charles Brown, commandant des Forces aériennes américaines du Pacifique.

Outre le Japon, la Corée du Sud a reçu son premier F-35 en mars 2018 et prévoit d’en acheter 40.

Deux F-35A sont arrivés en décembre dernier en Australie. Il s’agit des premiers Joint Strike Fighter de la RAAF à être basés sur le territoire national. L’Australie a investi 17 milliards de dollars australiens (10,5 milliards d’euros) pour commander 72 F-35A de Lockheed Martin. Enfin, Singapour compte acheter quatre chasseurs furtifs américains F-35 pour moderniser sa flotte, a annoncé vendredi 1er mars son ministre de la défense Ng Eng Hen.

M. Brown a exprimé l’espoir de renforcer les capacités par des exercices conjoints avec les F-35 appartenant au Japon, à la Corée du Sud et à l’Australie. Par ailleurs, les liens entre Tokyo et Canberra, très étroits avec l’industrie de défense américaine, sont encore renforcés par le fait que le Japon et l’Australie sont les deux bases de maintenance pour les F-35 en Asie Pacifique.

L’ensemble renforcera l’intégration opérationnelle des États-Unis et de leurs alliés. En effet, le F35 se compose avant tout de deux systèmes informatiques embarqués : le JRE (Joint Reprogramming Entreprise), qui est une bibliothèque partagée de données sur les systèmes d’armes des adversaires potentiels distribués à toute la flotte de F35 dans le monde), mais aussi de l’ALIS (Autonomic Logistics Information System). Ce dernier dispositif est conçu pour gérer la maintenance préventive et la supply chain qui relie en permanence chaque avion à Lockheed Martin et Fort Worth aux États-Unis.

La maîtrise du système est donc totalement entre les mains de Washington puisque toutes les données techniques de vol, de maintien de condition ou de missions opérationnelles sont stockées dans des serveurs situés sur le territoire américain. Cela limite la souveraineté de chaque État client du F-35 mais cela facilite l’intégration opérationnelle entre les États-Unis et leurs alliés.

Le F-35 peut donc jouer un rôle majeur dans la supériorité aérienne des États-Unis et de leurs alliés face aux menaces russes et chinoises. Et dans ce contexte, le Japon et sa vaste flotte à terme de F-35, jouera un rôle central.

Kabul responds no more

Wed, 05/06/2019 - 17:12

What should we think of the spring maelstrom in which Afghanistan is struggling, more scattered and weakened than ever before? What words can be used to describe this exhausting, endless theatre of crisis where violence and ineptitude of actors drag their 35 million compatriots to the abyss? Forty years after the Red Army’s invasion of their country, a quarter of a century after the end of a painful civil war (1989-1992), and 18 years after the fall of the Taliban regime[1], could the Afghan population aspire to nothing but this desperate matrix of war, attacks, bad governance, corruption, hundreds of deaths and injuries, external interference and misplaced personal ambitions? Unfortunately, the observation of the transversal disaster of the moment leaves room for little optimism…

On the ground, chaos, from North to South

On April 11, even as the United Nations lifted the travel ban for a dozen Taliban leaders (to ‘facilitate’ the US-led peace talks in Qatar; see below), the Taliban insurgency ‘formalized’ the beginning of its annual spring offensive against Afghan security forces. This ultra-violent insurgency took no one by surprise; three weeks earlier (March 24), the pace of a particularly violent spring was set: in the south of the country (Helmand Province), the attack by several hundred Taliban against army and police positions in the infamous Sangin District left at least 70 people dead in the ranks of the security forces… For weeks, the North had not been left behind with suffering and fear: on March 11, during a Taliban assault on one of its bases in Badghis province, the Afghan National Army lost an entire company (about 50 men), while other units (nearly 150 soldiers in all) dropped their weapons and surrendered to the Taliban…

Since then, on the various fronts, things have not improved precisely, at least for government forces that have been exhausted, outdated and struggling with the negligence of their leaders: in the first half of May, no fewer than 160 security personnel[2] (army and police) fell under Taliban fire in the provinces of Badghis, Baghlan (Pul-i-Kumri), Paktika and Herat. Let us specify that the Taliban hierarchy has properly refused the principle of a truce in the fighting during Ramadan and further stretched its desire for chaos in the humanitarian field, by reinforcing attacks against the courageous NGOs present at the bedside of the Afghan population… On Tuesday, May 28, in Khost (East), Ghor (West) and Samangan (North) provinces, some 40 soldiers, police officers and civilians lost their lives in yet another series of Taliban attacks[3].

As if this orgy of sinister and bad news were not enough, observers have been concerned in recent weeks about the arrival in Afghanistan of fighters affiliated with another Islamic-terrorist nebula, which has been defeated in Iraq and Syria. The Islamic State (EI) is redeploying its elements to Afghanistan[4] in order to increase its ranks and preserve some of its troops. A « relocation » that obviously cannot benefit its hosts in any way whatsoever…

A pathetic and devastated political scene

If the example of harmony and national unity were to come from the Arg (presidential palace) or the Wolesi Jirga (lower house of Parliament), this would have been known long ago; in spring 2019, seven months after a legislative election that was as complicated to organize as it was to decipher the accounting results – with or without fraud… -, this constant jurisprudence continues.

On May 19, the surrealist clash that accompanied the inaugural session of the new lower house and the appointment of its speaker will speak volumes about the current deleterious atmosphere… and the serenity surrounding, in the coming quarter, the preparation of the next presidential election (September 2019), when the outgoing head of state Ashraf Ghani will run for a second term; naturally if the security conditions are right[5] for such an undertaking, on the scale of this country scarred on a daily basis by fighting and other suicide attacks…

In the meantime, in the charged atmosphere one guesses, both sides are twisting their weapons and arguments, levelling the debates even further down[6]. With a record that is at best contrasted if not very poor, the outgoing administration and its improbable unnatural two-headed leadership[7] therefore intend to convince the deserving Afghan electorate of the need to reappoint it for a new five-year term; a challenge in itself but, basically, in this Islamic Republic of Afghanistan, which has seen others at the electoral level, this would not be the first time that a head of state challenged by his constituents, his collaborators, his soldiers and police officers, and with limited credit outside national borders, has won a new mandate…

Peace talks (to say nothing of it?) in Qatar

It is in the ‘serene’ political and security context outlined above that peace talks between the Taliban leadership… and the American administration have followed one another in recent months, far from Kabul, Kandahar or Washington: Doha[8], the capital of the Emirate of Qatar, welcomes these discreet exchanges and negotiations which, at this time, remain closed to representatives of the official Afghan government, on the basis of a redhibitory injunction by the Taliban, which consider « illegitimate » the Ghani government[9]

At the beginning of May, during the 6th session of the peace negotiations[10], the exchanges would have focused in particular on the withdrawal of foreign troops (particularly US) from Afghan soil, on the guarantees (of the Taliban) against terrorism, on the prospects for talks between the insurgency and the Afghan government, and finally on the conditions for a lasting national ceasefire; one can imagine how simple the exchanges between the Taliban envoys and the representatives of the Trump administration should have been and how easy it was to reach consensus… Even though far from Doha, far from reducing the intensity of the fighting in order to create (more) favourable conditions for peace talks, the Taliban are stepping up their war effort by multiplying all over the place operations and attacks… Nothing that seems a priori contradictory in the eyes of American interlocutors and Taliban envoys, who are very comfortable in Doha…

In an offshore register here again, it should be noted that about fifteen Taliban emissaries were invited on 28 May to Moscow – a capital that is indeed familiar with the Afghan issue, increasingly involved in mediation companies in recent months – to participate in a multi-party conference on the future of Afghanistan…

At the discretion of the White House 

At the beginning of the year, the current tenant of the White House – who likes to remind us that since 2001, generous America has spent the equivalent of $780 billion in Afghanistan, including $130 billion for national reconstruction… – pleaded for a withdrawal of American (and foreign) troops[11] from Afghanistan according to a timetable stretched over 3 to 5 years. And Washington to propose to the Taliban peace negotiations that could eventually associate them with a government of national unity; provided that the latter, for their (obscure) part, « undertake » to deny access to Afghan territory to all terrorist groups seeking to attack the United States[12]. Conditions that will appear very tenuous to many observers, to use a circumstantial euphemism…

In order not to upset the sensitivity of this fundamentalist insurgency, not to further darken the national security landscape and to avoid being held accountable to public opinion, the American authorities recently suggested to the US military command in Afghanistan to stop mapping the areas of Afghan territory controlled by the government and the Taliban[13]; an initiative in many respects enlightening on the evolution of the balance of power on the ground and the chances for the population of this landlocked country to have to live under the yoke again one day soon, which we can imagine is laughing and flourishing for all, of an Islamic Emirate of Afghanistan 2.0.

————————————————–

[1] Islamic Emirate of Afghanistan, 1996-2001.

[2] Afghan War Casualty Reports (3-9 May, 10-16 May).

[3] ‘’Afghan Forces Hit with Wave of Attacks on Eve of Taliban Talks’’, The New York Times, May 28, 2019.

[4] ‘’After ‘caliphate’ collapse, jihadists head to Afghanistan to plot attacks’’, AFP, April 30, 2019.

[5] Initially scheduled for July, the organization of this national election has already been postponed by two months…

[6] ‘’Ex-official Levels New Corruption Accusations at Afghan Government’’, The New York Times, May 26, 2019.

[7] Involving President Ashraf Ghani to his unfortunate challenger in the previous election (spring 2014), the Chief Executive (a kind of prime minister… without much authority) Abdullah Abdullah.

[8] Where the Taliban have had a quasi-official embassy since 2013…

[9] The visit to Doha of an Afghan delegation including government representatives ended at the last minute on April 26 after disagreements (according to the Taliban) over the composition of the delegation.

[10] ’Taliban and U.S. Start New Round of Talks in Qatar’’, The New York Times, May 1, 2019.

[11] As of May 2019, the United States is still deploying 14,000 troops to Afghanistan; 8,400 are training Afghan security forces, with others focusing on counter-terrorist missions against al-Qaida and the Islamic state.

[12] ‘’Under Peace Plan, U.S. Military Would Exit Afghanistan Within Five Years’’, The New York Times, February 28, 2019.

[13] ‘’U.S. Military Stops Counting How Much of Afghanistan Is Controlled by Taliban’’, The New York Times, May 1, 2019.

Kaboul ne répond plus

Wed, 05/06/2019 - 17:04

 

Que penser du maelström printanier dans lequel se débat, plus affaiblie que jamais, l’Afghanistan ? Quels mots employer pour décrire cet interminable théâtre de crise où la violence et l’ineptie des acteurs entraînent vers les abysses leurs 35 millions de compatriotes ? Quarante années après l’invasion de l’Afghanistan par l’Armée rouge, un quart de siècle après le terme d’une douloureuse guerre civile (1989-1992), 18 ans après la chute du régime taliban[1], la population afghane ne pourrait-elle aspirer à autre chose qu’à cette désespérante matrice façonnée de guerres, d’attentats, de mauvaise gouvernance, de corruption, de morts et de blessés par centaines, d’ingérence extérieure et d’ambitions personnelles mal placées ? L’observation du désastre transversal du moment laisse malheureusement la place à peu d’optimisme…

Sur le terrain, le chaos, du Nord au Sud

Le 11 avril, alors même que l’ONU levait l’interdiction de voyager pour une douzaine de responsables talibans (pour ‘faciliter’ les pourparlers de paix menés au Qatar sous l’égide des États-Unis), l’insurrection talibane officialisait le début de son offensive annuelle printanière contre les forces de sécurité afghanes. Cette insurrection ultra-violente ne prit personne par surprise : le 24 mars dernier, l’attaque ourdie par plusieurs centaines de talibans contre des positions de l’armée et de la police, dans le tristement célèbre district de Sangin (province du Helmand, au sud du pays), faisait a minima 70 victimes dans les rangs des forces de sécurité. Le Nord n’était pas non plus en reste de souffrances et d’effroi : le 11 mars, lors d’un assaut taliban contre une de ses bases de la province de Badghis, l’Afghan national Army perdit une compagnie entière (une cinquantaine d’hommes), pendant que d’autres unités (en tout près de 150 soldats) baissaient les armes et se rendaient aux talibans.

La situation ne s’est pas améliorée depuis, à tout le moins pour des forces gouvernementales éreintées, dépassées, aux prises avec l’incurie de leurs dirigeants : lors de la première quinzaine de mai, pas moins de 160 personnels[2] de sécurité (armée et police) sont tombés sous le feu des talibans, dans les provinces de Badghis, de Baghlan (Pul-i-Kumri), de Paktika ou encore d’Herat. Précisons que la hiérarchie talibane a refusé le principe d’une trêve dans les combats durant le ramadan et a étiré plus encore ses velléités de chaos au champ humanitaire, en renforçant les attaques en direction des courageuses ONG présentes au chevet de la population afghane… Mardi 28 mai, dans les provinces de Khost (Est), de Ghor (Ouest) et de Samangan (Nord), une quarantaine de soldats, de policiers et de civils perdaient la vie dans une énième série d’attaques des talibans[3].

Les observateurs s’inquiètent également ces dernières semaines de l’arrivée de combattants affiliés à une autre nébuleuse islamo-terroriste : défait en Irak et en Syrie, Daech s’emploie à redéployer ses éléments vers l’Afghanistan[4], afin d’y étoffer ses rangs et de préserver une partie de ses effectifs. Une ‘relocalisation’ qui ne saurait bien évidemment profiter de quelques manières que ce soit à ses hôtes…

Une scène politique pathétique et sinistrée

Si l’exemple de la concorde et de l’unité nationale devait venir de l’Arg (palais présidentiel) ou de la Wolesi Jirga (chambre basse du Parlement), il y a longtemps que cela se serait su : au printemps 2019, sept mois après un scrutin législatif aussi compliqué à organiser qu’à en décrypter les résultats comptables – avec ou sans fraudes… -, cette jurisprudence constante perdure.

Le 19 mai, la foire d’empoigne surréaliste qui a accompagné la séance inaugurale de la nouvelle chambre basse et la nomination de son speaker en dit suffisamment long sur l’ambiance délétère du moment, et sur la sérénité entourant, lors du trimestre à venir, la préparation du prochain scrutin présidentiel (septembre 2019), où le chef de l’État sortant Ashraf Ghani briguera un second mandat, si toutefois les conditions de sécurité sont réunies[5] pour une telle entreprise.

En attendant, dans l’atmosphère chargée que l’on devine, les uns et les autres fourbissent leurs armes et arguments, nivelant plus encore par le bas les débats[6]. Fort d’un bilan pour le moins contrasté sinon fort maigre, l’administration sortante et son improbable direction bicéphale contre-nature[7] comptent donc convaincre le méritant électorat afghan du besoin de la reconduire dans ses fonctions pour un nouveau quinquennat ; une gageure en soi, mais au fond, dans cette République islamique d’Afghanistan qui en a vu d’autres au niveau électoral, cela ne serait pas la première fois qu’un chef de l’État contesté à la fois par ses administrés, ses collaborateurs, ses soldats et policiers, et au crédit limité hors des frontières nationales, remporte un nouveau mandat…

Pourparlers (pour ne rien dire ?) de paix au Qatar

C’est dans le contexte politique et sécuritaire esquissé ci-dessus que des pourparlers de paix entre la direction des talibans et l’administration américaine se succèdent ces derniers mois, loin de Kaboul, Kandahar ou Washington : Doha, la capitale de l’Émirat du Qatar[8], accueille ces échanges et négociations discrètes qui, à cette heure, demeurent fermés aux représentants du gouvernement officiel afghan, sur injonction rédhibitoire des talibans, lesquels considèrent « illégitime » l’administration Ghani[9]

Début mai, lors de la ­6e session de négociations de paix[10], les échanges auraient notamment porté sur le retrait des troupes étrangères (américaines notamment) du sol afghan, sur les garanties (des talibans) contre le terrorisme, sur les perspectives de pourparlers entre l’insurrection et le gouvernement afghan, enfin, sur les conditions d’un cessez-le-feu national durable. On imagine sans peine combien les échanges entre les émissaires talibans et les représentants de l’administration Trump ont dû être simples… Ce alors même qu’à des lieues de Doha, les talibans, loin de réduire l’intensité des combats accentuaient au contraire leur effort de guerre en multipliant tous azimuts les opérations et attaques… Rien qui ne semble a priori contradictoire aux yeux des interlocuteurs américains et des émissaires talibans.

À noter également qu’une quinzaine d’émissaires talibans étaient conviés le 28 mai à Moscou – une capitale familière du dossier afghan, de plus en plus impliquée dans les entreprises de médiation ces derniers mois – pour participer à une conférence multipartite sur l’avenir de l’Afghanistan.

Au bon vouloir de la Maison-Blanche 

En début d’année, l’actuel locataire de la Maison-Blanche – lequel aime à rappeler que la généreuse Amérique a dépensé depuis 2001 l’équivalent de 780 milliards de dollars en Afghanistan, dont 130 milliards au profit de la reconstruction nationale –  plaidait pour un retrait des troupes américaines[11] (et étrangères) d’Afghanistan selon un calendrier étiré sur 3 à 5 ans. Et Washington de proposer aux talibans des négociations de paix susceptibles, à terme, de les associer à un gouvernement d’unité nationale, pourvu que ces derniers « s’engagent » à interdire l’accès au territoire afghan à tous les groupes terroristes cherchant à attaquer les États-Unis[12]. Des conditions qui apparaîtront bien ténues à nombre d’observateurs, pour employer un euphémisme de circonstance…

Pour ne pas contrarier la sensibilité de cette insurrection fondamentaliste, ne pas assombrir davantage le panorama sécuritaire national et éviter de rendre des comptes à son opinion publique, les autorités américaines ont récemment suggéré au commandement militaire américain en Afghanistan de cesser de cartographier les pans du territoire afghan contrôlés par le gouvernement et par les talibans[13], une initiative à maints égards éclairante sur l’évolution du rapport de force sur le terrain et les chances pour la population de ce pays enclavé de devoir un jour prochain à nouveau vivre sous le joug d’un Émirat islamique d’Afghanistan 2.0.

————————————————–

[1] Émirat islamique d’Afghanistan, 1996-2001.

[2] Afghan War Casualty Reports (3-9 mai, 10-16 mai).

[3] ‘’Afghan Forces Hit with Wave of Attacks on Eve of Taliban Talks’’, The New York Times, 28 mai 2019.

[4] ‘’After ‘caliphate’ collapse, jihadists head to Afghanistan to plot attacks’’, AFP, 30 avril 2019.

[5] Initialement programmée en juillet, l’organisation de ce scrutin national a déjà été repoussé de deux mois…

[6] ‘’Ex-official Levels New Corruption Accusations at Afghan Government’’, The New York Times, 26 mai 2019.

[7] Associant le président Ashraf Ghani à son challenger malheureux du scrutin précédent (printemps 2014), le Chief Executive (sorte de Premier ministre, sans grande autorité) Abdullah Abdullah.

[8] Où les talibans disposent depuis 2013 d’une ambassade quasi officielle.

[9] La visite à Doha d’une délégation afghane comprenant des représentants du gouvernement a tourné court à la dernière minute le 26 avril après des désaccords (selon les talibans) sur la composition de la délégation.

[10] ‘’Taliban and US Start New Round of Talks in Qatar’’, The New York Times, 1er mai 2019.

[11] En mai 2019, les États-Unis déploient encore 14 000 soldats en Afghanistan ; 8 400 forment les forces de sécurité afghanes, les autres se concentrant sur des missions antiterroristes contre Al-Qaïda et Daech.

[12] ‘’Under Peace Plan, U.S. Military Would Exit Afghanistan Within Five Years’’, The New York Times, 28 février 2019.

[13]  ‘’U.S. Military Stops Counting How Much of Afghanistan Is Controlled by Taliban’’, The New York Times, 1er mai 2019.

« Les grands événements sportifs doivent être un levier de développement économique et sociétal »

Wed, 05/06/2019 - 15:47

À l’occasion de la Coupe du monde féminine 2019, la Fédération française de football (FFF) et la Fédération internationale de football association (FIFA) déploient une stratégie de communication visant à promouvoir le sport féminin et l’accès des jeunes filles au football.

Noël Le Graët, le président de la FFF, dit souhaiter que le nombre de licenciées passe de 160 000 (sur un total de 2,2 millions) à 300 000 d’ici à 2024. Quant à l’Union des associations européennes de football, plus connue sous son sigle UEFA (correspondant à son nom en anglais Union of European Football Associations), elle a lancé un plan sur cinq ans pour doubler le nombre de licenciées en Europe.

Accroître le nombre et la part des femmes dans la pratique encadrée et fédérale est important. L’ambition gagnerait cependant à être plus systémique : progresser vers l’égalité en matière de salaires et de primes des joueuses, de conditions de pratique dès le plus jeune âge, et de gouvernance dans les instances du sport ; faire en sorte que l’activité physique et sportive régulière augmente chez les jeunes filles et les femmes ; promouvoir l’égalité réelle dans l’ensemble de la société. On attend de cette Coupe du monde qu’elle soit un accélérateur de ces évolutions.

Progrès accomplis

Certes, des progrès ont été accomplis ces dernières années, grâce au volontarisme de quelques-uns et de quelques-unes, et parce que la loi a contraint les fédérations sportives à prendre le chemin de l’égalité. Bien sûr, le sport n’est pas une formule magique pour changer la société et les rapports sociaux de sexe. Néanmoins, il doit prendre sa part, et ce d’autant plus qu’il se prévaut de valeurs universelles de méritocratie et de respect.

L’éducation à l’égalité se fait dès le plus jeune âge et dans toutes les sphères de socialisation. L’école, dont on attend beaucoup, joue très largement son rôle avec l’éducation physique et sportive (EPS) obligatoire tout au long de la scolarité, la formation des enseignants à la lutte contre les stéréotypes de genre, sans oublier les actions des fédérations sportives scolaires (Union sportive de l’enseignement du premier degré, USEP, Union nationale du sport scolaire, UNSS), qui ont depuis longtemps fait de l’égalité des sexes une priorité. C’est aussi et surtout, outre la famille, dans les clubs, au niveau des communes que l’effort doit porter.

Or, l’exceptionnalité sur laquelle le sport (se) repose lui fournit encore un alibi pour perpétuer le statu quo, et le fossé se creuse avec la société : les attentes grandissent en matière de représentativité sociale des dirigeantes et dirigeants, et d’actions qui doivent être à la hauteur des promesses et des slogans. On ne peut néanmoins s’en tenir à la dénonciation du sexisme et, au-delà – car il serait réducteur de ne parler que de sexisme –, des habitudes genrées dans le sport. Il importe surtout de proposer des solutions.

L’application des textes existants est un premier pas. La FFF entend consacrer 15 millions d’euros à l’accompagnement des clubs amateurs pour développer la pratique féminine.

Si la formation à l’égalité se développe dans les clubs, il faut s’en réjouir mais cela n’a rien de révolutionnaire. Depuis la loi de 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes de Najat Vallaud-Belkacem, les communes de plus de 20 000 habitants, les départements et les régions doivent présenter un rapport sur leurs actions en faveur de l’égalité. C’est un levier concret qui appelle au débat démocratique. Pour envisager d’étendre cette mesure, il faudrait déjà en connaître l’effectivité : les élus locaux et leurs services s’en sont-ils emparés ?

L’évaluation des politiques publiques s’avère essentielle et permet de faire comprendre aux décideurs l’intérêt de répondre aux besoins des citoyennes et citoyens. En outre, des engagements ont été pris par le ministère des sports depuis 2012, par les plans interministériels en faveur de l’égalité femmes-hommes, notamment pour promouvoir une féminisation des pratiques dès le plus jeune âge et combattre les violences et les discriminations. Là encore, un état des lieux s’impose.

Ouvrir le regard

Il faut aussi ouvrir le regard. Aujourd’hui, on parle beaucoup d’émancipation, de pouvoir d’agir (empowerment) des filles. Ces mots ne doivent pas renvoyer qu’à la volonté individuelle mais être mis au service d’un combat collectif pour que les femmes de tous âges participent de manière active, volontaire et autonome au monde commun, pour que l’égal accès aux ressources de santé, d’éducation, d’emploi soit garanti.

Le sport, langage universel bénéficiant d’une immense médiatisation, peut être un levier de transformation sociale. Partout en France et dans le monde, des « preuves de concept » – ou démonstrations de faisabilité de projets – émanent de dispositifs participatifs, transversaux qui, en partant des besoins des populations, pourraient être un outil d’aide à la décision.

La promesse des instances nationales et internationales du football de contribuer à l’égalité de genre doit être tenue. Elles gagneraient, pour monter en expertise, à s’ouvrir davantage à la recherche universitaire interdisciplinaire, et à la recherche participative et citoyenne pour réfléchir, en particulier, aux retombées que la Coupe du monde 2019 doit avoir.

Quel a été l’impact social de la victoire des Bleus en 2018 ? La joie collective a montré la capacité de cohésion et de partage de la société française. Qu’en a-t-on fait ? Pourquoi le regard, le récit commun sur la banlieue n’a-t-il pas changé, alors que le savoir-faire des clubs de football et des bénévoles, dans les territoires, a été mis en valeur ? Les marques s’en emparent, pourquoi pas les décideurs politiques et les fédérations ?

Un vaste agenda émancipateur

Consolider l’égalité femmes-hommes dans, et par le sport, nécessite de construire, par des choix assumés d’investissement social et une gouvernance élargie, un vaste agenda émancipateur qui évite le saupoudrage de subventions et qui n’oublie ni la périphérie des centres urbains ni les territoires ruraux.

Les grands événements sportifs internationaux doivent être un véritable levier de développement économique et sociétal, transversal et durable, dont les effets seront mesurables et tangibles pour les populations et auquel celles-ci pourront prendre part. La Coupe du monde de football 2019 est une occasion à ne pas manquer pour les droits des femmes ; il en va aussi, sur ce sujet, de l’influence de la France à l’international.

« Représentation et participation : le Brexit est révélateur des limites de nos deux modèles »

Wed, 05/06/2019 - 15:22

Que pensez-vous de la démission prochaine de Theresa May ?

Theresa May a tenté d’incarner le point de compromis des différentes options possibles sur le Brexit pour le Royaume-Uni. En temps normal, le rôle du pouvoir politique est précisément de construire ce type de compromis collectif. Mais nous ne sommes pas en temps normal. Le Brexit est le symptôme d’une période troublée dans laquelle le compromis a mauvaise presse. La situation est bloquée aujourd’hui parce que chacun veut faire son Brexit de son côté. Mais cela rend impossible l’émergence d’une solution collective.

Il se trouve en plus que le Brexit a ceci de spécifique qu’il touche les gens tant politiquement que très personnellement. La particularité de la période et les spécificités du Brexit expliquent que l’on assiste à la fois à une hystérisation du débat et une lassitude généralisée (concomitante et corrélée) qui sévit des deux côtés de la Manche. Cette double évolution est frappante et semble repousser d’autant l’hypothèse d’une issue favorable, voire d’une issue tout court.

Quelles ont été les erreurs de la Première ministre britannique ?

Il est toujours facile de relire l’histoire au prisme de la sagesse du présent. Mais l’erreur principale de Theresa May me semble avoir été de négocier un compromis avec l’Union européenne sans disposer elle-même d’un compromis au niveau national. Sans majorité, elle ne savait pas ce qu’elle pouvait faire accepter à Londres. Elle a pourtant déclenché le compte à rebours de l’article 50 de sa propre initiative, en espérant que cela serve de catalyseur. Mais les deux années de négociation qu’il prévoit ne lui ont pas permis de construire cette majorité.

A sa décharge, cette majorité n’existe peut-être pas. Il se trouve que le référendum ne faisait figurer aucune des différentes formes possibles de Brexit. Il consistait à répondre à une question binaire : oui ou non au Brexit. Or il existe diverses manières de sortir de l’Union européenne et de traiter avec elle par la suite. Mais aucune de ces différents modèles (Norvège, Canada, Singapour, Suisse, OMC pour caricaturer) ne recueille de majorité au sein du pays, des partis et au sein du gouvernement en lui-même.

Theresa May ne s’est bien sûr pas franchement facilitée la tâche dans ce domaine en se liant les mains dès le départ. Pour des raisons politiques, elle a très tôt entériné la sortie du marché unique et de l’union douanière. Cela lui a permis de vanter tant le contrôle de l’immigration que la liberté pour le Royaume-Uni de négocier ses propres accords de libre-échange. Ces lignes rouges se sont avérées très populaires bien sûr au sein du parti conservateur, mais ont tué dans l’œuf les marges de manœuvre dont la Première ministre disposait pour construire un compromis entre partis.

Doit-on craindre une sortie sans accord ?

La sortie sans accord est la plus mauvaise solution, mais c’en est une. Cela créerait un risque économique significatif pour le Royaume-Uni, mais aussi pour l’Union européenne. L’ancien maire de Londres Boris Johnson, (un des possibles successeurs de Theresa May ndlr) et le leader du parti du Brexit Nigel Farage sont les principaux soutiens d’une sortie sans accord. Sauf qu’en l’état, le Parlement britannique ne laissera pas faire puisqu’il n’y existe aucune majorité pour ce faire. Cela peut nous conduire à la convocation d’élections générales, dont les deux traditionnels partis de gouvernement (conservateurs et travaillistes) ne veulent pas, car ils s’y feraient laminer.

Les chances de faire passer un accord sans Theresa May, celle qui avait négocié un compromis, se sont également réduites. Reste que pour trouver une solution, le pays doit nécessairement consolider une position au niveau national. Ce n’est pas gagné et c’est pourquoi le Royaume-Uni est toujours dans l’impasse. Le nouveau délai est fixé au 31 octobre.

Le Brexit est-il symptomatique d’un échec de l’Union européenne ?

En réalité, le Brexit est le révélateur des limites de nos deux modèles : celui de la démocratie directe dont le Brexit est l’incarnation, et celui de la démocratie représentative européenne dont il est le résultat. Les errements de démocratie directe qu’incarne le Brexit sont la conséquence mécanique des errements de la démocratie représentative que symbolise l’UE.

Il s’agit bien sûr d’une leçon pour l’Union européenne. Les peuples veulent avoir voix au chapitre et participer des décisions qui ont trait à leur propre futur, mais les institutions sont trop lointaines pour eux et n’ont pas su les écouter.

Mais l’UE a-t-elle pris en compte la leçon que lui offre le Brexit sur un plateau de ce point de vue, ou l’a-t-elle déjà oubliée au vu des spectaculaires difficultés britanniques ? On semble aujourd’hui compter négativement sur les errements du Brexit pour faire apparaître aux peuples la valeur ajoutée de l’Union…

La même saine ambition d’apprivoiser le politique se fait sentir au niveau national. Mais la démocratie directe qu’incarne le référendum a créé davantage de problèmes qu’il n’a fait émerger de solutions. Dans un environnement constitutionnel bouleversé par le référendum, le système parlementaire britannique, qui a pourtant beaucoup de pouvoir, a lui aussi échoué à régler le problème du Brexit. Nous subissons en fait aujourd’hui les impasses des deux systèmes, c’est ce que j’appelais le piège de Tocqueville. Un troisième modèle est à concevoir.

Quelle serait l’alternative ?

Il faut une voie nouvelle qui puisse faire vivre l’aspiration des peuples à s’autodéterminer, sans pour autant détruire les institutions représentatives qui fournissent aux démocraties une stabilité salutaire par temps troublé.

Doit-on jeter les aspirations populaires aux orties ? Doit-on jeter les institutions représentatives au bénéfice de la démocratie directe ? La réponse est non dans les deux cas. Une troisième voie entre démocratie représentative et participative est nécessaire pour affronter les soubresauts de la période contemporaine. Il faut construire un système délibératif qui puisse tirer parti des bénéfices des deux modèles, sans en subir les inconvénients.

Plus facile à dire qu’à faire, bien sûr. En France, le grand débat national ou le référendum pour la privatisation des aéroports de Paris en sont deux exemples récents. Je ne sais pas s’ils sont bons ou mauvais, mais ils incarnent une alternative qui doit permettre aux citoyens de s’exprimer davantage sur des enjeux locaux, régionaux ou nationaux.

Pakistan : élections indiennes, allégations pakistanaises, interrogations internationales

Wed, 24/04/2019 - 16:38

« Une nouvelle agression indienne contre le Pakistan est possible entre le 16 et le 20 avril. D’après les renseignements fiables en notre possession, l’Inde planifierait un nouvel incident de type Pulwama (voir détail paragraphe suivant) pour accroître la pression diplomatique sur le Pakistan et justifier une action militaire contre notre pays (…). Après consultation avec le Premier ministre Imran Khan, nous avons décidé de partager immédiatement cette information avec le peuple pakistanais ainsi qu’avec la communauté internationale. Le Pakistan a informé les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies des velléités de l’Inde de perturber la paix (…)[1] ».

Quelle mouche a donc bien pu piquer dimanche 7 avril le chef de la diplomatie pakistanaise, S.M. Qureshi, alors en déplacement à Multan (province du Punjab), pour aborder avec une telle virulence et aussi abruptement, un sujet d’une telle gravité ? Serait-ce l’imminence du scrutin parlementaire chez le voisin indien (étiré du 11 avril au 19 mai) et la tentation d’en altérer d’une manière ou l’autre le cours ? S’agirait-il d’une « célébration par anticipation », avec un mois d’avance sur le calendrier, du 20e anniversaire du dernier conflit indo-pakistanais (« crise de Kargil[2] ») ? Sont-ce là « simplement » les ondes de choc printanières des récents incidents hivernaux entre ces deux pierres de touche du sous-continent ? Pour rappel, le 14 février 2019, un attentat suicide revendiqué par le groupe terroriste pakistanais Jaish-e-Mohamed (JeM) perpétré au Jammu-et-Cachemire indien (région de Pulwama ; 40 km au sud de Srinagar) coûtait la vie à une cinquantaine de personnels de sécurité indiens (Central Reserve Police Force), dans ce qui constituait l’attentat de plus meurtrier des trois dernières décennies à frapper le Cachemire. Une douzaine de jours plus tard, l’Inde et le Pakistan menaient des frappes contre des cibles se trouvant sur leur territoire respectif et engageaient brièvement leurs chasseurs dans des combats aériens ; une première depuis 1971 et la 3e guerre indo-pakistanaise[3].

Quelle que soit l’inspiration (douteuse et bien mal avisée) du ministre pakistanais des Affaires étrangères, cette saillie dangereuse ne pouvait demeurer sans réponse de la part de New Delhi qui, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires extérieures, apporta dès le 7 avril à ces propos étonnants la réponse cinglante suivante :

« L’Inde rejette la déclaration irresponsable et absurde du ministre des Affaires étrangères du Pakistan, dont l’objectif est clairement de susciter l’hystérie guerrière dans la région. Cette ruse publique semble être un appel aux terroristes pakistanais à commettre un attentat en Inde. Il a été clairement indiqué au Pakistan qu’il ne peut se dégager de sa responsabilité en cas d’attentat terroriste transfrontalier en Inde (…). L’Inde se réserve le droit de réagir fermement et résolument à toute attaque terroriste transfrontière ».

Une dizaine de jours après ces échanges tendus, on demeure encore perplexe sur l’opportunité, la finalité et la valeur ajoutée d’une telle « prophétie ». Depuis fin février, n’observait-on pas jusqu’alors une certaine décrispation entre Islamabad et New Delhi ? Par ailleurs, le jour même où S.M. Qureshi proférait ces allégations (non documentées ou précisées), la République islamique du Pakistan ne libérait-elle pas, en guise de « bonne volonté », une centaine de prisonniers indiens (des marins pour la plupart « égarés » dans les eaux pakistanaises) embastillés[4] dans ses geôles ?

Au Pakistan même, l’opposition politique s’est également autosaisie de ce sujet contentieux, la porte-parole du Pakistan people party (PPP) estimant qu’il s’agissait là « d’une tentative visant à détourner l’attention de la population d’autres questions importantes et de l’incapacité du gouvernement à résoudre les problèmes auxquels le pays est confronté[5] ». Dans une veine proche, un autre cadre en vue de ce parti considère que « le gouvernement PTI[6] est le seul responsable de l’état actuel de l’économie et de la flambée des prix dans le pays, ce qui pourrait expliquer qu’il affirme être en possession de preuves crédibles d’une attaque imminente de l’Inde[7] (pour détourner l’attention des citoyens) ».

Loin de prétendre connaître la feuille de route pakistanaise des décideurs politiques indiens – à l’avant-veille d’un scrutin mobilisant du 11 avril au 19 mai, en sept dates et rendez-vous distincts, quelque 900 millions d’électeurs, cinq millions de fonctionnaires et de personnels de sécurité, nécessitant l’installation d’un million de bureaux de vote et une logistique électorale inouïe – on voit cependant assez mal les autorités indiennes se lancer dans une entreprise aussi risquée que hasardeuse. Pour quel gain ? Placer au printemps 2019 l’Asie méridionale, ses deux milliards d’individus, ses deux composantes nucléaires, au bord d’un nouveau chaos ?

Il y a précisément 20 ans, au printemps 1999, l’Union indienne se mobilisait pour convier un semestre plus tard (septembre) sa population aux urnes afin de renouveler sa chambre basse (Lok Sabha) ; la préparation de ce rendez-vous électoral quinquennal ne se fit pas précisément dans la sérénité la plus aboutie. En amont de ces élections, durant un long trimestre[8], les troupes indiennes et pakistanaises s’affrontèrent sur les hauteurs du Cachemire – opération Vijay (Victoire) pour l’Indian army[9] – dans la région de Kargil (200 km au nord-est de Srinagar), après que des troupes pakistanaises et autres combattants infiltrés ont investi durant l’hiver une kyrielle de postes militaires d’altitude indiens situés sur la Line of control[10].

« Facilitée » alors par les États-Unis, la sortie de crise coûta peu après son poste au Premier ministre pakistanais civil d’alors (N. Sharif), alors que le chef des armées pakistanaises, le général P. Musharraf (investi un an plus tôt par N. Sharif…), perpétrait en octobre 1999 le 3e coup d’État militaire[11] de l’histoire agitée de ce pays, conservant le pouvoir jusqu’à sa démission une décennie plus tard (été 2008). Deux décennies après ces événements regrettables, en Asie du Sud et ailleurs, il est assurément peu de monde à plébisciter un scénario similaire.

En ce vendredi 19 avril 2019, l’événement grave suggéré brutalement une douzaine de jours plus tôt par le chef de la diplomatie pakistanaise ne s’est fort heureusement pas matérialisé ; sans surprendre qui que ce soit, en vérité.

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[1] ‘’India preparing for another attack: Qureshi’’, quotidien The News (Pakistan), 7 avril 2019.

[2] Étiré au printemps-été 1999 (entre mai et début juillet) sur les hauteurs du Cachemire (région de Kargil). La 4e guerre indo-pakistanaise depuis l’indépendance des deux pays à l’été 1948.

[3] De courte durée (3 au 16 décembre 1971) ; un million d’hommes engagés (une douzaine de milliers de victimes) ; des hostilités qui débouchèrent notamment sur l’indépendance de la province orientale du Pakistan se muant alors en République populaire du Bangladesh.

[4] ‘’100 Indian fishermen released from Pakistan jail as goodwill gesture’’, India Today, 8 avril 2019.

[5] ‘’PPP terms Qureshi’s statement an attempt to divert people’s attention’’, Dawn, 8 avril 2019.

[6] Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) ou Mouvement du Pakistan pour la justice, au pouvoir depuis août 2018.

[7] ‘’Qureshi’s India attack talk draws skepticism’’, Business Recorder, 9 avril 2019.

[8] Du 3 mai au 26 juillet 1999.

[9] Laquelle mobilisa pour l’occasion 200 000 hommes…

[10] La frontière de facto séparant sur 720 km de long les parties du Cachemire administrées par l’Inde (État du Jammu-et-Cachemire) et le Pakistan.

[11] Après les précédents de 1958-1971 et 1977-1988.

Loi Helms-Burton contre Cuba : l’extraterritorialité du droit américain

Wed, 24/04/2019 - 12:16

Dans une interview publiée le 9 avril 2019, des journalistes de l’agence Reuters interrogeaient deux très hauts fonctionnaires de l’administration Trump sur la stratégie du président américain à l’égard de Cuba et du Venezuela[1]. À la question des journalistes s’interrogeant sur l’efficacité de la politique mise en œuvre à l’égard de ces deux pays, la réponse des deux hauts fonctionnaires fut sans ambigüité : « Il faut prendre au sérieux nos déclarations concernant Cuba et le Venezuela. Certains pensent, ou espèrent peut-être que le président Trump bluffe et que nous n’avons pas de stratégie. Nous avons une stratégie d’ensemble. Il s’agit de notre arrière-cour, c’est très sérieux ». Une affirmation confirmée depuis, le 17 avril, par le secrétaire d’État Mike Pompeo. L’administration américaine pourra dès la date du 2 mai, en application du titre III de la loi Helms-Burton, engager des poursuites judiciaires contre les sociétés étrangères, notamment françaises, présentes à Cuba. La loi Helms-Burton, de portée extraterritoriale, a été promulguée en 1996 sous la présidence de Bill Clinton. Son titre III permet, notamment aux exilés cubains, de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises soupçonnées de « trafiquer » (trafficking en anglais) avec des biens ayant appartenu à des ressortissants américains (ou à des exilés cubains ayant acquis depuis la nationalité américaine). Il s’agit des biens nationalisés par le régime de Fidel Castro après la révolution de 1959 dans l’île des Caraïbes. De nombreuses sociétés européennes ont investi à Cuba, certaines d’entre elles pourraient être contraintes de quitter l’île sous peine de se voir sanctionnées aux États-Unis. Ledit « trafic » comprend les investissements dans des biens nationalisés, la détention d’un intérêt légal sur ces biens ou la réalisation d’affaires directes avec ces biens, la gestion ou la location de ces biens. Le texte définit comme « faisant du trafic » quiconque participe à une activité commerciale dans laquelle il utilise un bien nationalisé ou en tire un profit quelconque.

La loi Helms-Burton (ainsi nommée du nom de ses auteurs, le sénateur républicain Jesse Helms et le représentant démocrate Dan Burton) est une loi fédérale américaine dont le titre Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) indique la finalité politique explicite : imposer à Cuba, grâce aux sanctions, un gouvernement qui ne comprenne ni Fidel Castro ni son frère Raúl. Cette loi est parfois surnommée « Bacardi Bill » par des juristes, car elle a été rédigée par les avocats de Bacardi, une entreprise productrice de rhum exilée aux États-Unis après avoir été nationalisée. Bacardi mène une guerre sans merci contre son rival, le groupe français Pernod Ricard. Alors que le rhum Havana Club -propriété d’une co-entreprise détenue par l’État cubain et Pernod Ricard – est fabriqué à Cuba, le rhum Bacardi est fabriqué à Porto Rico. Depuis 1996, le titre III de la loi avait été suspendu par tous les présidents américains, y compris par Trump, grâce à une disposition spécifique (« waiver ») suite à un mémorandum d’entente entre les États-Unis et l’Union européenne (UE). Sa réactivation a plusieurs objectifs : empêcher la « concurrence déloyale » des investissements directs d’entreprises  étrangères à Cuba, alors que les entreprises américaines ne peuvent pas y investir du fait de l’embargo, imposer l’extraterritorialité du droit américain sur le plan international (comme en Iran), asphyxier économiquement l’île pour renverser le régime castriste alors que La Havane connaît des difficultés économiques, satisfaire enfin aux exigences des exilés cubano-américains installés en Floride, un État clé pour l’élection présidentielle américaine de 2020.

La réactivation du titre III a suscité de nombreuses réactions en particulier de la part de l’UE. Cette dernière a jugé « regrettable », mercredi 17 avril, la décision de Washington de permettre, à partir du 2 mai, des actions en justice contre les entreprises étrangères espagnoles et françaises notamment, présentes à Cuba. Les vingt-Huit menacent Washington de représailles en cas de sanctions contre les investissements européens. « La décision des États-Unis (…) aura un impact important sur les opérateurs économiques de l’UE à Cuba (…) et ne peut que mener à une spirale inutile de poursuites judiciaires », ont déclaré la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, et la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini. « L’Union européenne sera contrainte d’utiliser tous les moyens à sa disposition » pour protéger ses intérêts, avaient-elles averti auparavant dans un courrier en date du 10 avril, adressé au secrétaire d’État américain, Mike Pompeo. Parmi ces moyens, le recours à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) est envisagé, les sanctions américaines étant contraires à son règlement. La saisine de l’organe de règlement des différends (ORD) de l’OMC permettrait de recourir à des arbitrages internationaux sur un certain nombre de lois américaines. Même si, comme le souligne un diplomate, « ils n’en ont cure ».

Mais pour certains observateurs, combattre l’extraterritorialité du droit américain par des sanctions permettant en miroir la poursuite des filiales nord-américaines en Europe ne sera pas suffisant. Les sanctions américaines ont un effet extrêmement dissuasif dans la mesure où pas une seule entreprise ne peut se passer du marché américain. Entre un (petit) marché cubain potentiel et l’immense marché américain, le choix est vite fait. Si vous ne coopérez pas, c’est « no deal ». La loi Helms-Burton codifie l’interdiction d’investir. Le droit américain est utilisé pour sanctuariser des marchés.

En octobre 2016, Pierre Lellouche et Karine Berger avaient présenté un rapport bipartisan devant la commission des Finances et la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’impact extraterritorial du droit américain. Les conclusions de leur mission d’information montraient comment l’administration américaine est dans une logique d’utilisation du droit pour défendre les intérêts économiques américains et éliminer les concurrents. La mission préconisait d’instaurer un mécanisme de blocage à l’échelle européenne afin de faire face à l’offensive américaine. Pour le député François-Michel Lambert, président du groupe d’amitié France Cuba, Trump a déclenché « la plus grande guerre économique contre l’Europe en utilisant Cuba comme prétexte ».

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[1] Entretien donné dans le programme « Economic Eve On Cuba ». Disponible sur le site https://www.cubatrade.org/

Égypte : la fuite en avant autoritaire

Tue, 23/04/2019 - 17:58

Les citoyens égyptiens ont donc été appelés, du 20 au 22 avril, à se prononcer par voie référendaire sur un texte de révision constitutionnelle. Les nouvelles dispositions de ce dernier vident de toute substance les derniers acquis de la crise révolutionnaire de 2011 en confirmant l’ordre autoritaire mis en place en Égypte depuis le coup d’État du 3 juillet 2013, qui avait alors démis Mohamed Morsi, président élu au suffrage universel. Au cœur de cette révision figurent l’extension du mandat présidentiel de quatre à six ans et la possibilité pour Abdel Fattah al-Sissi de postuler à un mandat supplémentaire, ce qui lui ouvre la possibilité de se maintenir au pouvoir jusqu’en 2030. C’est aussi le renforcement de sa mainmise sur l’institution judiciaire en lui permettant de prendre la tête d’un Conseil suprême de la magistrature, de nommer les présidents des principales juridictions, dont la Haute cour constitutionnelle. L’armée se voit enfin institutionnaliser son rôle politique comme « gardienne et protectrice » de l’État, de la démocratie, de la Constitution et des « principes de la révolution ».

La vie politique en Égypte ne fait pas exception au fort tropisme autoritaire qui caractérise les régimes politiques des mondes arabes et au sein desquels les appareils de sécurité ont profondément marqué les pratiques d’exercice du pouvoir. Ainsi, l’importance de l’institution militaire n’a cessé de croître, ce qui lui a permis de se placer au centre du jeu politique et des processus de décision.

En Égypte, au cours des dernières années, on constate ainsi qu’à chaque séquence ponctuant la vie politique, l’armée détient toujours un pouvoir de décision central. Aussi, depuis le coup d’État de 2013, on assiste à une régression sans fin des droits démocratiques individuels et collectifs. Non seulement les Frères musulmans sont interdits, pourchassés et réprimés de façon systématique (on estime à plus de 40 000 le nombre de leurs militants emprisonnés), leurs avoirs saisis, mais ils sont également qualifiés d’organisation terroriste depuis le 25 décembre 2013, ce qui donne toute possibilité au pouvoir de prendre les mesures les plus arbitraires à leur encontre.

On constate aussi que ceux qui étaient parés du vocable de « révolutionnaires » et qui avaient, au nom de la défense de la laïcité, soutenu le coup d’État sont pourchassés à leur tour par l’institution militaire. Cette situation doit être appréhendée comme un retour des forces réactionnaires mêlant l’armée et nombre de tenants de l’ancien régime de Hosni Moubarak, qui apparaissent à nouveau à des postes de responsabilité. Le moins que l’on puisse constater, c’est que les espoirs qui s’étaient cristallisés au moment du départ de Hosni Moubarak ne se sont pas concrétisés.

La victoire du « oui » lors du référendum constitutionnel de janvier 2014, avec 98 % des suffrages exprimés, ne constitua pas une surprise, et permit à Abdel Fattah al-Sissi d’enfiler les habits de l’homme providentiel. En ce sens, la stratégie de l’homme fort égyptien s’avère cohérente et les résultats des deux scrutins présidentiels, de mai 2014 puis de mars 2018, avec deux fois 97 % des suffrages exprimés en sa faveur, sont de ce point de vue sans appel.

Ces élections présidentielles ont paradoxalement marqué le retour institutionnellement codifié de l’influence de l’armée en tant que centre réel du pouvoir. La présence et l’importance de l’institution militaire sont d’ailleurs singulièrement perceptibles dans l’article 234 de ladite Constitution qui stipule que le Conseil suprême des forces armées fournit son aval à la nomination ou à la révocation du ministre de la Défense au cours des deux mandats présidentiels à venir.

En outre, en plus de la reprise en main politico-sécuritaire, il est loisible de constater une offensive idéologique du pouvoir. Prétendant se disjoindre des mouvances salafistes et de celles se rattachant aux Frères musulmans, Abdel Fattah al-Sissi cherche à promouvoir un islam conservateur en relation avec les principales institutions islamiques du pays, au premier rang desquelles l’université al-Azhar. Prenant en compte le conservatisme de la société égyptienne, il privilégie une version rigoriste des pratiques religieuses, garantes à ses yeux de stabilité sociale, et n’hésite pas, par exemple, à remettre en cause de facto les programmes de contrôle des naissances. L’ordre répressif s’accompagne ainsi d’un ordre moral conservateur.

En revanche, ses multiples déclarations martiales contre le terrorisme sont peu couronnées de succès. La dégradation de la situation sécuritaire dans le Sinaï et, plus largement, les attentats terroristes en Égypte, manifestent une relative impuissance de l’appareil sécuritaire. Ainsi l’opération « Sinaï 2018 », lancée en février 2018, n’a pas obtenu les résultats escomptés malgré une forte campagne médiatique et politique à son propos. Le 9 février 2018, ce sont pourtant 60 000 hommes et 335 avions de combat qui sont mobilisés dans le Sinaï Nord et une partie du désert occidental de la péninsule pour neutraliser les groupes djihadistes, détruire leurs caches d’armes et les tunnels qui existent entre le territoire égyptien et la bande de Gaza. Les communiqués de victoire de l’état-major sont pour le moins sujets à caution et les méthodes brutales utilisées ne permettent sans nul doute pas de gagner le soutien de la population locale, qui reste pourtant un objectif essentiel de toute lutte antiterroriste.

Si la situation politique telle que succinctement analysée précédemment fait état de multiples préoccupations, on doit de même admettre qu’aucune des difficultés sociales et économiques posées à la société égyptienne, qui avaient été l’une des principales causes du processus révolutionnaire de 2011-2013, n’a été résolue. L’économie égyptienne est en effet confrontée à des blocages et des contradictions d’une telle ampleur que seules des réformes structurelles seraient susceptibles de les surmonter. La situation est d’autant plus préoccupante que les quatre apports financiers traditionnels de son économie sont en crise : les devises envoyées par les travailleurs émigrés égyptiens depuis l’Arabie Saoudite et la Libye sont en baisse sensible ; les revenus du canal de Suez fléchissent en raison de la baisse du trafic international ; les revenus tirés du tourisme ont spectaculairement diminué ; les ressources pétrolières ne permettaient plus l’autosuffisance énergétique, du moins jusqu’à la récente découverte de champs d’hydrocarbures offshore gaziers en Méditerranée orientale.

Plaie de l’Égypte depuis de nombreuses années, la dette publique ne cesse de s’accroître pour atteindre désormais 97 % du produit intérieur brut (PIB). Facteur aggravant, les dépenses publiques servent principalement à financer les effectifs hypertrophiés du secteur d’État et ne sont que marginalement utilisées pour des investissements publics. Si le doublement du canal de Suez ou la construction d’une nouvelle capitale administrative concourent à améliorer la situation macroéconomique, on peut néanmoins émettre des doutes sur leur capacité à parvenir à surmonter ce défi structurel.

En outre, l’armée semble s’investir plus avant encore dans la vie économique du pays en s’impliquant dans les infrastructures de santé, la construction de routes, de ponts, du canal, des zones urbaines nouvelles. Cette situation induit la perception d’une institution qui cherche à conforter une bourgeoisie issue de ses rangs et qui possède une vision assez claire de ses intérêts, se traduisant par la fidélité au régime du président al-Sissi ‑ à moins que cela ne soit son instrumentalisation ‑ et la méfiance à l’égard du libéralisme économique et de l’ouverture aux capitaux étrangers. Cette situation risque, à terme, d’accroître les tensions entre l’institution militaire de plus en plus insérée dans le tissu économique et des entrepreneurs privés qui considèrent qu’ils sont systématiquement désavantagés dans l’attribution des marchés publics.

Cette situation générale dégradée a contraint de recourir à des négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) qui a accepté, en juillet 2016, d’effectuer un prêt de 12 milliards de dollars états-uniens sur trois ans, tout en exigeant des mesures drastiques en contrepartie : imposition de la TVA (taxe sur la valeur ajoutée), baisse des subventions sur des produits de base (carburant, électricité), dévaluation de la monnaie de près de 50 %. La spirale inflationniste, de l’ordre de 30 % au moment de l’octroi du prêt, pénalise mécaniquement les catégories les plus paupérisées de la population en touchant notamment l’alimentation et les transports, deux postes qui affectent traditionnellement le budget des familles. Ainsi, le prix du ticket de métro du Caire a augmenté, en mai 2018, de 250 % pour les longs trajets alors qu’il avait déjà doublé en 2017. Ces difficultés récurrentes contribuent à entretenir l’importance d’un secteur informel que certains économistes évaluent à la proportion de 50 % du PIB. Si cette dernière donnée est probablement à manier avec précaution, elle indique néanmoins l’ampleur de la tâche pour parvenir à assainir l’économie égyptienne. Les mesures de protection sociale sont à ce stade beaucoup trop embryonnaires pour aider les catégories sociales précarisées, voire une partie des classes moyennes, à absorber ces chocs.

Le pouvoir actuel est de ce fait pris entre deux feux : d’une part, il a un besoin impératif de recourir à des prêts, donc en l’occurrence de négocier avec le FMI, mais, d’autre part, l’application d’un tel accord risque de générer un fort mécontentement, voire des conflits sociaux d’envergure. C’est la classique expression du recours aux plans d’ajustement structurel exigés par les instances financières internationales et des contradictions que cela induit pour les gouvernements en place. Pour autant, le recours au FMI s’est avéré incontournable au vu des réticences désormais manifestées par les donateurs des monarchies arabes du Golfe, principalement l’Arabie Saoudite, à continuer à signer des chèques à un pays dont elles considèrent qu’il vit au-dessus de ses moyens.

En septembre 2017, le FMI a publié un premier rapport actant un retour de la confiance dans l’économie égyptienne et une nouvelle tranche de prêts a été débloquée en décembre de la même année. Quelques indices macroéconomiques semblent en effet s’améliorer : réserves en devises étrangères remontées à 38 milliards de dollars états-uniens, réduction du déficit budgétaire, baisse de l’inflation qui retrouvait à la fin de l’année 2018 un taux situé entre 11 % et 13,5 %. Ces chiffres sont bien sûr à prendre en compte, mais ne signifient pas que l’économie égyptienne ait surmonté ses tensions, d’autant que la dette extérieure s’est considérablement creusée, atteignant environ 80 milliards de dollars états-uniens, c’est-à-dire près de 20 % du PIB. Diversification de l’économie et création d’une croissance inclusive restent des défis non résolus à ce jour. L’Égypte d’Abdel Fattah al-Sissi a cependant su redonner une forme de confiance en l’avenir de son économie, car le régime autoritaire réduit le risque-pays, et contribue à donner confiance aux créanciers et aux marchés.

Enfin, l’Égypte doit affronter un considérable défi démographique, sa population ayant doublé en moins de 40 ans. Forte aujourd’hui de quelque 95 millions d’habitants, elle pourrait compter de 140 à 170 millions d’individus en 2050. Ces difficultés s’accumulent dans un pays dont seulement 5 % à 6 % de la totalité de la superficie sont « utiles » — la vallée du Nil, au long de laquelle s’est concentré l’essentiel de la population, de l’agriculture et des industries. La question est donc de savoir comment mettre en valeur le reste du territoire, ce qui nécessite des investissements considérables ; cet objectif constitue l’un des principaux défis que les autorités doivent relever dans le court terme.

On le voit, les réformes constitutionnelles renforçant les pouvoirs du raïs ne permettront pas à l’Égypte de surmonter les défis structurels auxquels le pays est confronté. Une nouvelle vague de contestation y est ainsi potentiellement envisageable.

« Trump veut mettre à genou l’Iran »

Tue, 23/04/2019 - 17:23

Directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), où il est spécialiste des problématiques énergétiques, Francis Perrin analyse dans une interview au Point les conséquences de la décision américaine pour l’Iran et le marché mondial.

Avec la fin des exemptions, entrons-nous dans une nouvelle phase de pression sur Téhéran ?

Il s’agit certainement d’une phase nouvelle, car huit pays bénéficiaient jusqu’à aujourd’hui d’une exemption sur les achats de pétrole iranien : cinq en Asie (Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Taïwan) et trois en Europe (Grèce, Italie, Turquie). Or, à partir du 2 mai, il n’y en aura plus du tout.

Les États-Unis peuvent-ils réussir à réduire à néant les exportations iraniennes de brut comme ils l’affirment ?

Ceci est loin d’être acquis, mais il y aura forcément une diminution significative des exportations iraniennes de pétrole. À mon sens, l’objectif « 0 exportation » est davantage un affichage politique. L’idée est de mettre l’Iran à genou et frapper le point clé que constitue le pétrole pour la République islamique en diminuant le plus possible ses ventes. Mais je doute que plus personne n’achète de pétrole iranien.

Quel est l’effet de cette décision sur l’économie iranienne ?

Cette nouvelle phase est très négative pour l’Iran, qui a déjà vu ses exportations baisser significativement depuis le retrait de Donald Trump de l’accord sur le nucléaire iranien et le rétablissement des sanctions extraterritoriales américaines. Le volume d’exportations est en effet passé de 2,5 millions de barils par jour à environ 1,1 million de barils par jour aujourd’hui. C’est considérable, d’autant que les ventes de pétrole représentent de 60 à 70 % des exportations iraniennes. L’impact des sanctions sur l’économie iranienne, déjà très important jusqu’ici, va donc être renforcé.

Les pays visés pourraient-ils refuser de céder aux pressions américaines ?

Sur les huit pays qui bénéficiaient d’exemptions, il y en a peu qui puissent résister aux sanctions extraterritoriales américaines. Taïwan, le Japon et la Corée du Sud sont des alliés des États-Unis et on voit mal ces pays dire «  non  » à Washington. Il en va de même de la Grèce et de l’Italie. Pour ce qui est de la Turquie (qui a annoncé qu’elle continuerait à commercer avec Téhéran, NDLR), le volume de pétrole qu’elle achète à l’Iran n’est pas significatif. Il n’y a donc que la Chine et l’Inde qui, en tant que puissances, puissent braver les injonctions des États-Unis, notamment Pékin. La Chine est à mon sens un point clé.

La Chine, grand importateur de pétrole iranien, pourrait-elle ne pas se soumettre à la décision américaine ?

Du point de vue chinois, l’Iran peut être considéré comme une carte dans la partie de poker entamée avec les États-Unis. Il existe des intérêts énormes entre les deux pays, notamment sur le plan commercial, car Washington taxe 250 milliards de dollars d’exportations chinoises vers les États-Unis, ce qui est préoccupant pour Pékin. De la même manière, les entreprises chinoises sont très présentes aux États-Unis. Par conséquent, si la Chine peut se permettre de dire « non » aux États-Unis sur le pétrole iranien, elle doit tout de même tenir compte des menaces de sanctions américaines.

L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis ont indiqué leur souhait de compenser la baisse du pétrole iranien sur le marché. Est-ce réaliste ?

Cette annonce était attendue et c’est tout à fait logique. Riyad et Abu Dhabi partagent avec Washington l’objectif stratégique d’affaiblir l’Iran, ce qui passe par des sanctions contre son pétrole. Ces deux pays ne peuvent donc qu’apprécier ce que réalise Donald Trump. Au contraire, ils avaient très peu goûté au rapprochement qu’avait entamé Barack Obama avec l’Iran, et qui s’était concrétisé par la signature de l’accord sur le nucléaire iranien. Aujourd’hui, Donald Trump fait beaucoup pour plaire aux Saoudiens, ce qui mérite de leur part un renvoi d’ascenseur. Par ailleurs, Riyad et Abu Dhabi disposent de suffisamment de capacités pétrolières non utilisées pour introduire d’importants volumes de pétrole sur le marché. Il y a donc à la fois une volonté d’aider les États-Unis, et les capacités de le faire.

On assiste à une augmentation du cours du pétrole. Risque-t-on une flambée des prix ?

Le cours du baril de brent a augmenté de près de 3 %, pour atteindre 74 dollars, ce qui était inévitable. Mais il y a clairement une volonté de Washington de limiter les dégâts. L’objectif est de convaincre le marché que les prix ne vont pas flamber. Pour ce faire, les États-Unis ont indiqué qu’ils allaient augmenter leur production, ce qu’ils font par ailleurs depuis dix ans avec leurs énergies non conventionnelles (pétrole de schiste). Là-dessus, Donald Trump sait qu’il bénéficie du soutien des industriels américains. Washington a également souligné qu’il bénéficiait de l’accord de l’Arabie saoudite, et des Émirats arabes unis pour utiliser leurs capacités de production non utilisées. Les pétroles américain et saoudien sont donc les deux joyaux de la couronne pour que les prix du pétrole ne flambent pas avec la chute du pétrole iranien.

La France face à ses défis

Tue, 23/04/2019 - 16:37

Xavier Pasco, directeur de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– La France est-elle encore en mesure de peser sur la scène internationale ? À quels défis doit-elle répondre pour continuer à peser ?
– Quelles sont les grandes puissances spatiales aujourd’hui ? Se dirige-t-on vers une guerre de l’espace ?
– Comment la France et l’Europe se positionnent-elles sur ces enjeux ?

Elections espagnoles : vers quel transit post transition démocratique ?

Fri, 19/04/2019 - 17:50

Le 28 avril 2019, les Espagnols sont appelés aux urnes pour désigner leurs 350 députés. Et qui sait, permettre la formation d’un gouvernement disposant d’une majorité, introuvable depuis la dernière consultation. Le président sortant, le socialiste Pedro Sanchez, avait réussi le 1er juin 2018 à renverser le populaire Mariano Rajoy, fragile vainqueur des législatives du 26 juin 2016. Il a dû, faute de périmètre parlementaire suffisant, ne disposant que de 85 députés sur 350, jeter l’éponge huit mois plus tard.

Cette instabilité est inattendue dans une Espagne où pendant plusieurs années droite et gauche ont alterné sans problème. Les raisons objectives ont sans doute joué. L’insubordination constitutionnelle catalane « gèle » une part importante des électeurs catalans espagnols de droite et de gauche. L’afflux de migrants dans un pays ayant envoyé les siens pendant longtemps aux Amériques et en Europe l’a déstabilisé. La longue crise économique et le chômage de masse ont dilué bien des allégeances partisanes. Le culte du futur – des artistes de la « movida » au parti Ciudadanos – a opacifié le passé en l’instrumentalisant.

La transition espagnole de la dictature franquiste à la démocratie faisait figure de modèle il y a encore quelques années. Avec la crise économique de 2008, les certitudes sont tombées. D’indignations juvéniles en nostalgies médiévales, le passé antérieur a repris des couleurs. L’Espagne serait sortie de la transition. Pour entrer en transit, un transit pour l’instant réduit à la salle des pas perdus, décorée de symboles franquistes, de bannières républicaines et de senyeras catalanes.

Au point d’égarer dans un nouveau labyrinthe les « amis » étrangers de l’Espagne. 41 sénateurs français, de toutes obédiences, ont dénoncé le retour du franquisme, l’existence de prisonniers politiques. Le président mexicain, Andrés Manuel Lopez Obrador, a de son côté réactualisé une Espagne de la « légende noire ». Donald Trump, en mettant les firmes espagnoles ayant investi à Cuba sur le banc des accusés aux États-Unis, a complété le tableau.

La monarchie, l’une des clefs de voûte de la transition, est interpellée de divers côtés. Par les indépendantistes catalans, mais aussi par le parti de gauche Podemos. La loi de mémoire historique, visant à réhabiliter les vaincus républicains de la guerre d’Espagne, est ignorée par la droite espagnole. L’Espagne fait débat en Catalogne en ordre dispersé, chez les indépendantistes, et ailleurs au sein des droites nationales, Parti populaire, Ciudadanos et Vox. Le féminisme, valeur phare de la modernité démocratique espagnole, est remis en question par la droite espagnole.

Difficile de faire table rase du passé. Le défaut de la cuirasse démocratique fabriquée par les acteurs de la transition est sans doute là. On a recyclé les franquistes, on a ajouté les anciens exclus démocrates de tout poil. Puis ensemble on a tourné la page solennellement avec une loi d’amnistie, une Constitution et l’État des autonomies régionales. Le vaisseau a été regardé comme un modèle de sortie de dictature, en Amérique latine et en Europe de l’Est.

Cette transition qui a mal digéré son histoire récente peut-elle paradoxalement faciliter le transit vers un équilibre consensuel ?

À première vue c’est mal engagé. Pedro Sanchez, a tenté, sans succès, de déménager le corps du dictateur. Le caudillo, Francisco Franco, repose en effet dans un sanctuaire, subventionné par l’État de la transition. Pablo Casado, jeune taureau du Parti populaire, diffuse rumeurs, attaques personnelles et fantômes de la défunte ETA, en guise de campagne. Le Centre a basculé à droite toute. En acceptant les votes d’un tout nouveau parti d’extrême-droite, Vox qui a fait irruption le 2 décembre 2018 aux régionales andalouses. Les indépendantistes catalans avec la compréhension de Podemos, de la droite flamande, et d’un cocktail de sénateurs français vendent l’image d’une Espagne définitivement marquée par ses antécédents franquistes.

L’espoir d’une seconde transition, réhabilitant l’esprit de la transition – le dialogue et le sens du compromis – ne doit pas être exclu. Le socialiste Pedro Sanchez a imposé ses vues aux secteurs de troisième voie. La défaite du PSOE en Andalousie a quelque part sanctionné les tenants d’une alliance centriste et validé un retour aux valeurs social-démocrates. Toutes choses pouvant faciliter un rapprochement ultérieur, à défaut d’un pacte en bonne et due forme avec Podemos, affaibli par de multiples scissions. La démarche indépendantiste catalane a généré des querelles de clocher et embourbé la relation avec Madrid dans une voie sans issue démocratique et constitutionnelle. À la différence du Parti nationaliste basque, qui a mis en forme une efficace stratégie d’élargissement des compétences basques respectueuse de la loi, Iñigo Urkullu, président du gouvernement basque, a incité, sans succès, les indépendantistes catalans à sortir de l’unilatéralité, et à dialoguer dans le cadre institutionnel. Parce que « parler de l’indépendantisme au XXIe siècle, c’est tenter de redonner des couleurs à des images du XIXe siècle ».

Au soir du 28 avril, la page de la transition va être définitivement tournée. Mais qui va en écrire les premiers mots ? La coalition des droites (Parti populaire ; Ciudadanos ; Vox) ou les forces motrices d’un renouveau raisonné (PSOE ; PNV et Podemos) ?

Nouvelles sanctions de Washington sur Cuba : quels enjeux ?

Fri, 19/04/2019 - 16:20

Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS, répond à nos questions :
– Washington vient d’annoncer l’autorisation de poursuites judiciaires envers les sociétés étrangères soupçonnées de profiter de biens confisqués à des Américains lors des nationalisations de 1959 à Cuba. Comment comprendre une telle décision ?
– Les pays impactés par cette mesure sont notamment ceux de l’UE et le Canada. Comment peuvent-ils répliquer face à la justice extraterritoriale américaine ?
– Cette décision suit la politique de rupture de Donald Trump, qui souhaite restreindre les relations entre Washington et La Havane. Quels sont ses intérêts à isoler Cuba ?

[Comprendre le monde] La mondialisation

Fri, 19/04/2019 - 10:05

À l’occasion de la parution de la dernière édition de son ouvrage « Comprendre le monde », aux éditions Armand Colin, Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, nous parle de la mondialisation.

Le climat en crise

Thu, 11/04/2019 - 15:36

L’ancienne ministre Cécile Duflot, aujourd’hui, directrice générale d’Oxfam France, répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Internationales de Dijon, le 6 avril 2019 :
– En quoi le réchauffement climatique est-il un problème d’inégalités ?
– Pourquoi les États semblent-ils impuissants à lutter contre le réchauffement climatique ?
– Est-ce à la société civile de prendre le relai ? En est-elle capable ? Comment y contribue Oxfam France ?

Le triomphe de Netanyahou

Thu, 11/04/2019 - 12:46

 

Les élections israéliennes ont eu lieu ce mardi 9 avril 2019. Elles ont rendu leur verdict : Benyamin Netanyahou en est le grand vainqueur.

Ces élections législatives ont en fait été un référendum pour ou contre Benyamin Netanyahou, et finalement les électeurs israéliens ont voté pour lui.

Le parti de Benny Gantz et celui de Netanyahou sont au coude à coude s’agissant des résultats, mais Benyamin Netanyahou est en mesure de former une large coalition autour de lui, grâce au soutien de l’extrême droite. Benny Gantz, lui, manque de réserves. C’est sur une coalition pouvant représenter 65 sièges sur 120 que Netanyahou peut compter pour former un gouvernement.

Il va devenir le Premier ministre qui aura été en poste le plus longtemps, battant même le record du fondateur du pays, David Ben Gourion. Ça sera son quatrième mandat successif, son cinquième au total. Le résultat de ces élections montre bien un enracinement, et même une poussée de l’extrême droite ainsi qu’un effondrement du parti travailliste, pourtant parti fondateur du pays, qui ne disposera que de six sièges dans cette nouvelle législature. C’est une défaite historique pour ce parti.

Benyamin Netanyahou avait fait le pari gagnant de la polarisation. Extrêmement clivant, il a mené une campagne très violente, accusant son adversaire de mettre en danger la sécurité d’Israël, alors même que celui-ci fut chef d’état-major des armées.

Comment expliquer que, malgré les différentes affaires de corruption, les enquêtes qui se multiplient, les mises en cause de l’intégrité personnelle de Benyamin Netanyahou, il ait quand même remporté les élections ?

Ce qui explique ce succès, c’est justement la stratégie de polarisation choisie par Benyamin Netanyahou. C’est aussi la conséquence d’une économie israélienne qui se porte bien – même si les inégalités sont de plus en plus fortes. Mais le pays n’a surtout jamais été aussi fort diplomatiquement : Benyamin Netanyahou bénéficie du soutien de leaders comme Donald Trump, Vladimir Poutine, ou encore le Premier ministre indien Modi. A cela on peut ajouter un autre succès historique, la visite du nouveau président brésilien Bolsonaro, qui est venu apporter un fervent soutien à Netanyahou. Mais surtout, le grand succès de Benyamin Netanyahou qui change la donne, c’est le soutien de l’Arabie Saoudite et de l’Égypte : il n’y a plus réellement de pays arabes qui s’opposent à lui. Il faut ajouter à ce tableau une percée israélienne dans le continent africain.

Jamais un Premier ministre israélien n’aura été aussi éloigné des critères de règlement du conflit israélo-palestinien, soutenu par la communauté internationale, mais jamais il n’aura eu le soutien aussi affirmé de dirigeants d’autres pays.

Aux précédentes élections, la question qui se posait était de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre le processus de paix. Cette fois-ci, il s’agissait de savoir si les Israéliens étaient pour ou contre l’annexion, officiellement condamnée par la communauté internationale. Ce qui a peut-être fait pencher la balance en faveur de Netanyahou, c’est son engagement à annexer juridiquement les territoires occupés et donc à changer leur statut juridique.

Il ne s’est pas engagé sur l’ampleur de l’annexion ni sur le calendrier, mais c’est un geste très fort qui sera certainement le dernier clou planté dans le cercueil du processus de paix, déjà moribond depuis plusieurs années.

On peut d’ailleurs penser que cette annexion, comme celle du Golan, sera approuvée par Donald Trump. Celui-ci affirme depuis déjà plusieurs mois qu’il compte proposer un plan de paix « révolutionnaire ».

On en connaît les grandes lignes, c’est effectivement un plan de paix qui est inacceptable pour les Palestiniens, mais qui ravit Netanyahou et qui semble acceptable pour Mohammed Ben Salmane : annexion de Jérusalem reconnue, donc sans partage de la ville en capitale de deux États, palestinien et israélien, et puis surtout reconnaissance de l’annexion d’une partie de la Cisjordanie. Donc la perspective d’un État viable palestinien s’éloigne totalement et peut-être définitivement.

On pourra parler de paix, mais d’une paix par la force, une paix imposée, une paix qui n’est pas du tout acceptée. Le moins que l’on puisse dire c’est que la politique israélienne ne rencontre pas d’obstacles.

Certes, le mouvement palestinien n’est pas exempt de tout reproche. Il est en profonde déliquescence, avec un Hamas répressif, et un leader palestinien, Mahmoud Abbas, qui perd de plus en plus en légitimité. Ce dernier a été élu il y a maintenant 13 ans, et on peut dire qu’il est très contesté en interne. Mais Israël aurait tort de se réjouir de la déliquescence du mouvement palestinien. Cela peut lui servir à court terme, mais à long terme ce n’est pas rassurant.

Mais si la communauté internationale accepte bon gré mal gré la politique israélienne, il n’en est pas de même pour l’opinion publique internationale.

On est face au même antagonisme dans les pays arabes, les gouvernements, soit acceptent la politique israélienne, soit ne sont pas en mesure de lutter contre elle parce qu’ils ont trop de problèmes intérieurs, soit, enfin, parce qu’ils ont peur des États-Unis. Mais dans l’opinion publique arabe, la cause palestinienne reste encore un élément fédérateur et sacré. Elle constitue peut-être d’ailleurs un des rares éléments de l’unité arabe.

L’absence de perspective politique se traduit souvent par des violences incontrôlées. Depuis très longtemps, les Palestiniens font preuve de résilience, les Israéliens ont tort de penser que cette résilience est une résignation.

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