La guerre de Chine n’aura pas lieu
Le 15 mai 2020, sur la chaîne Fox News la sénatrice républicaine Martha McSally déclarait, après qu’un rapport du FBI ait fait état de nouvelles actions de cyber espionnage chinois : « Nous sommes en train d’entrer dans une Guerre froide avec la Chine » ; termes repris concomitamment par plusieurs autres membres autorisés du parti républicain ou anciens conseillers de Donald Trump. Comme en écho à cette affirmation, le 24 mai 2020, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi mettait en garde le monde sur le fait que la Chine et les États-Unis étaient « au bord d’une nouvelle Guerre froide ». « Guerre froide », les mots sont sur toutes les lèvres et renvoient à un passé que l’on croyait révolu, celui d’un combat entre deux blocs par tous les moyens possibles, à l’exception de l’affrontement militaire direct.
En réalité, cela fait plus de dix ans que la Chine inquiète les États-Unis, huit ans que Barack Obama a réorienté la politique étrangère américaine vers l’Asie et trois ans, depuis l’élection de Donald Trump, que les tensions s’accumulent. Si bien que pour beaucoup de commentateurs, la question ne semble plus de savoir si l’on est entré dans une nouvelle Guerre froide, mais de savoir comment elle va se développer : s’agit-il d’un engrenage inéluctable, qui pousserait les deux pays vers la guerre tout court ; ou bien est-il encore temps de revenir au statu quo ante à la faveur des élections américaines de novembre 2020 ?
Cette question a fait l’objet d’une multitude de réflexions, de livres et de conférence depuis plusieurs années, et il ne se passe quasiment pas un jour sans qu’un article de fond ne soit publié sur le sujet. L’ouvrage de référence en la matière est celui du politologue américain Graham Alison : « Destinés à la guerre : l’Amérique et la Chine peuvent-elles échapper au piège de Thucydide ? », publié en 2017[1]. Partant du fait que « c’est la peur inspirée à Sparte par l’ascension d’Athènes qui a rendu la guerre inévitable », Graham Alison a conduit un projet d’histoire appliquée à Harvard qui a révélé qu’au cours des cinq derniers siècles, la confrontation entre une puissance ascendante et une puissante régnante s’est produit seize fois et s’est soldée à douze reprises par une guerre. De là à penser que « les États-Unis et la Chine se dirigent tout droit vers la guerre »[2] il n’y a qu’un pas, que Graham Allison se refuse pourtant à franchir, estimant qu’une guerre ouverte entre la Chine et les États-Unis n’est pas une fatalité. Il s’agit simplement, nous dit-il, de reconnaître les tendances structurelles qui guident les relations entre ces deux grandes puissances, et qui provoquent un stress « tectonique » que les deux capitales doivent maîtriser pour éviter qu’une simple étincelle au large de Taïwan, entre les deux Corées, ou sur les îles Senkaku/Diaoyutai déclenche un conflit armé.
Observons du reste que cette crainte d’un conflit armé ne date pas de l’arrivée au pouvoir de Donald Trump. Le roman de fiction intitulé : « La flotte fantôme »[3], paru en 2015, et qui aurait, paraît-il, beaucoup inspiré les militaires américains, raconte l’histoire d’une guerre future dans laquelle la Chine, assistée par la Russie, lancerait une offensive sophistiquée sur les États-Unis dans le Pacifique, conduisant à l’occupation des îles hawaïennes. Il est intéressant de noter que l’offensive serait rendue possible par le fait que les puces électroniques, vendues par la Chine aux États-Unis, et présentes dans tous les systèmes d’armes américains, en particulier les drones et les missiles, permettraient aux militaires chinois de prendre le dessus. Tout rapprochement entre ce roman et les inquiétudes américaines vis-à-vis de l’entreprise chinoise Huawei serait sans doute purement fortuit…
En vérité, cette « Guerre froide » en cours de développement est bien différente de la précédente. D’abord parce que la Chine ne prétend pas à la domination idéologique et n’est pas une puissance expansionniste. C’est en tous les cas ce que prétend l’ancien ambassadeur de Singapour aux Nations unies, Kishore Mahbubani, dans un ouvrage très argumenté, intitulé : « Est-ce que la Chine a gagné[4] ? » et dont le titre résonne comme une réponse à l’interrogation de Graham Allison. En outre, quelle que soit sa puissance économique et technologique, la Chine ne dispose pas, pour le moment, d’un outil militaire lui conférant une portée mondiale. Surtout, elle ne constitue pas un modèle culturel exportable hors d’Asie et ne prétend pas le devenir. Son soft power est faible, du moins en Europe, où elle est vue comme un « partenaire, un compétiteur, mais aussi un rival systémique »[5]. Enfin, parce que les liens économiques et financiers tissés entre les États-Unis et la Chine et entre la Chine et l’Europe sont d’une telle ampleur qu’un conflit, même limité à sa dimension commerciale, conduirait à une « destruction économique mutuelle assurée ».
Certes, un accident militaire peut vite arriver tant les passions ont été exacerbées de part et d’autre depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Mais il est peu probable, si jamais un tel accident devait se produire, qu’il dégénère en guerre ouverte. La raison en est simple : les dirigeants chinois, en fidèles adeptes de Sun Tzu, ne dévieront pas de la stratégie consistant à vaincre sans combattre. Ils éviteront à tout prix un affrontement militaire et chercheront, par une politique de long terme, à isoler les États-Unis. C’est du reste ce que Donald Trump a réussi si bien tout seul. Si guerre il devait y avoir, on peut donc raisonnablement parier qu’elle resterait « froide ». Tout le problème est que les nations savent se montrer aussi irrationnelles que les hommes et les femmes qui les dirigent. Ce qui fait de la prédiction en matière de relations internationales un art difficile et donc intéressant.
L’Union doit-elle choisir un camp et si oui lequel ?
Il est évident qu’il n’y a pas, du point de vue de l’Union européenne, une symétrie de relations entre, d’une part, les États-Unis et, d’autre part, la Chine. L’histoire, la culture, la langue, l’économie, la technologie et par-dessus tout le régime politique sont autant de facteurs qui rapprochent infiniment plus les Européens des Américains que des Chinois. D’autant que, vue avec des lunettes d’Européens, la Chine est un contre-modèle en matière de droits de l’Homme et de libertés publiques et entretient une politique difficilement acceptable tant à l’intérieur de ses frontières vis-à-vis des minorités musulmanes (les Ouïghours), qu’à l’extérieur, par exemple au Tibet. Les événements récents de Hong Kong n’ont pas aidé à améliorer son image en Europe.
À cela, il faut ajouter le comportement chinois en matière de commerce international. En effet, son gouvernement a imposé des restrictions pour accéder à son marché qui se révèlent, à la longue, insupportables aux entreprises européennes. C’est, par exemple, l’obligation d’avoir des partenaires chinois qui bénéficient de transferts de technologie forcés et deviennent ensuite des compétiteurs féroces des entreprises européennes. Enfin, la mauvaise réputation de la Chine en Europe tient aussi au grand nombre d’affaires d’espionnage industriel. De tout cela, il résulte que la Chine part avec un handicap important vis-à-vis des États-Unis, pour gagner le cœur des Européens. La Chine a réussi son décollage économique et militaire. Mais elle n’a pas réussi à se faire admirer et encore moins à se faire aimer, du moins par l’Occident.
Mais il faut bien admettre, d’un autre côté, que les États-Unis de Donald Trump se sont montrés franchement hostiles vis-à-vis de l’Union. Au lieu de former un front commun, le président américain a laissé entendre qu’il s’occuperait de l’Union européenne sans même attendre d’en avoir fini avec la Chine[6].
Dans ce contexte, l’Union n’a pas d’autre choix que celui d’une politique d’équilibre en fonction de ses propres intérêts, sans renier ses valeurs, mais sans faire la leçon à quiconque. Quels pourraient en être les principes directeurs ?
Premièrement, il faut abandonner l’idée, au cœur de la politique américaine, dite « d’engagement » vis-à-vis de la Chine, selon laquelle on pourrait faire évoluer ce pays vers une démocratie par la seule vertu de l’ouverture des échanges. La Chine est une puissance d’un milliard et demi d’habitants et son histoire multimillénaire est différente de la nôtre. Dans cette histoire, la démocratie n’est ni une valeur ni un modèle. En se référant à l’histoire de la transition de l’Union soviétique vers la démocratie qui s’est transformée en quasi-disparition de la Russie, la Chine aurait tendance à faire de la démocratie un contre-modèle. S’il devait donc y avoir un jour des changements radicaux dans la façon dont est gouvernée la Chine, ces changements seront le fruit d’évolutions internes et certainement pas de pressions externes. Au contraire, toute pression externe visant à influer sur la forme du gouvernement chinois ou sur ses agissements dans ce qu’il considère relever de sa seule souveraineté (Tibet, minorités ouïghoures, Hong Kong, mer de Chine, droits de l’Homme, etc.), ne peut conduire qu’à un durcissement. Suivant un schéma moult fois éprouvé dans l’histoire, tout accroissement des pressions extérieures ne fait que servir de prétexte pour durcir la politique intérieure.
La deuxième idée est que la politique de l’Union doit être conditionnée par ses propres intérêts. Cela ne veut pas dire qu’elle doive renoncer à ses valeurs. Mais cela veut dire qu’elle ne peut les promouvoir qu’à la condition d’utiliser sa puissance à bon escient. Cela ne sert à rien de faire la leçon à la Chine ni de lui imposer des sanctions. Est-ce que les sanctions imposées à la Russie ont permis le retour de la Crimée à l’Ukraine ou la fin de la guerre dans le Donbass ? Un changement de régime en Corée du Nord ou en Iran ? Du reste est-ce que l’Union européenne se montre toujours aussi sourcilleuse en matière de droits de l’Homme ? A-t-elle pris des sanctions contre l’Arabie saoudite après le meurtre ignoble de Jamal Khashoggi ? Prendra-t-elle des sanctions similaires à celles qu’elle a prises vis-à-vis de la Russie si le gouvernement de Benyamin Netanyahu annexait une partie de la Cisjordanie ? Dans l’état actuel de sa puissance, la seule position possible pour l’Union européenne vis-à-vis des régimes autoritaires qui enfreignent les droits de l’Homme est celle énoncée dans la « stratégie globale » de 2016, d’un « pragmatisme à principes ». Comme l’explique justement Sven Biscop[7], cela veut dire coopérer avec la Chine chaque fois que cela est dans notre intérêt, aussi longtemps que nous ne devenons pas complices de violations des droits de l’Homme, ce qui doit être notre ligne rouge absolue. Cette coopération doit se faire en maintenant un dialogue critique, qui ne se résume ni à des incantations, ni à des leçons, ni à des sanctions. Les régimes autoritaires aussi sont sensibles à leur image.
L’Union européenne a des leviers de puissance sur la Chine, ne serait-ce qu’en matière commerciale et technologique. Elle a les moyens et le droit d’exiger – au sein de l’Organisation mondiale du commerce – que la Chine modifie ses comportements dans l’accès aux marchés publics, le respect de la propriété intellectuelle et la protection des investissements. L’affaire des réseaux de téléphonie mobile de cinquième génération (5G) et la possibilité de recourir aux infrastructures de l’entreprise chinoise Huwaei en fournissent un bon exemple. De ce point de vue, l’Union européenne ne doit pas se laisser bousculer par les États-Unis, qui n’ont pas attendu l’élection de Donald Trump pour placer des écoutes sur les téléphones mobiles des dirigeants européens. Un autre important domaine de coopération entre l’Union européenne et la Chine doit être l’action en faveur du climat où les intérêts des deux puissances sont alignés. Par ailleurs, en matière de développement des pays africains, les intérêts de la Chine et ceux de l’Union européenne devraient également converger. L’intérêt bien compris de l’Union est en effet que l’Afrique se développe le plus possible, ne serait-ce que pour fixer sur place les populations les plus fragiles et réduire sinon éviter de nouvelles vagues de migration. Dans cette perspective, une concertation avec la Chine serait plus avantageuse pour tout le monde que la compétition à couteaux tirés actuelle. Enfin, l’Union européenne et la Chine ont tout intérêt à prendre ensemble la défense du multilatéralisme, d’autant plus nécessaire après le retrait des États-Unis de toutes les organisations les plus importantes telles que l’Organisation mondiale de la Santé, sans être « naïf » et sans s’accommoder de l’entrisme souvent pratiqué par la Chine.
Enfin, la troisième idée qui doit guider la politique de l’Union européenne vis-à-vis de la Chine est tout simplement de rester unie. Les États membres européens sont face à la Chine, mais aussi face à la Russie et aux États-Unis, dans la même situation que les tribus gauloises l’étaient face à Jules César. Compte tenu de l’exigence d’un vote unanime en matière de politique étrangère, il suffit à l’une de ces trois puissances d’avoir barre sur l’un quelconque des États membres pour bloquer toute politique. C’est une fragilité immense dont il nous faudra bien sortir un jour, et le plus vite sera le mieux.
L’Union européenne n’a donc aucun intérêt à se laisser embarquer dans la querelle sino-américaine. Quelle que soit notre proximité avec les États-Unis, la fin de la Guerre froide a montré que leurs intérêts et les nôtres ne coïncidaient plus automatiquement. Il faut donc aujourd’hui en tirer les conséquences. L’Union doit, elle aussi, agir en fonction de ses intérêts. Mais il ne suffit pas de dire que l’on va suivre sa propre voie. Encore faut-il la décrire et lui donner un contenu concret, ce qui en l’état actuel de la gouvernance européenne, est notre plus grand défi.
L’Union en sera-t-elle capable ou bien est-elle condamnée à disparaître dans le vide stratégique ?
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[1] Graham Allison, Destined for war – Can America and China escape Thucyde’s trap?, First Mariner Books New York 2017 – version française : Vers la guerre – l’Amérique et la Chine dans le piège de Thucydide – Odile Jacob – Paris, 2019
[2] Titre d’un interview donné par Graham Allison au Figaro Magazine, 3 mai 2019.
[3] P. W. Singer and August Cole, Ghost fleet – Houghton Mifflin Harcourt, US, juin 2015.
[4] Kishore Mahbubani, Has China won? The Chinese Challenge to American Primacy, Public Affairs New York, avril 2020.
[5] European Commission and HR/VP contribution to the European Council, EU-China – A strategic outlook, 12 mars 2019
[6] Propos tenus à la chaîne CNBC, le 21 janvier 2020, en marge du Forum économique de Davos. « Il n’y a pas plus dur en affaire que l’Union européenne. Ils tirent avantage de notre pays depuis des années (…) Je voulais attendre d’en avoir fini avec la Chine. Je ne voulais pas m’occuper de la Chine et de l’Europe en même temps (…) Maintenant, j’en ai terminé avec la Chine et j’ai rencontré le nouveau chef de la Commission européenne, qui est formidable. Mais j’ai dit, écoutez, si nous n’obtenons rien, je vais devoir agir et l’action sera des tarifs douaniers très élevés sur les voitures et autres choses qui entrent dans notre pays. »
[7] Sven Biscop, European Strategy in the 21st century – new future for old power, Routledge, 2019.
Le leadership américain, tel qu’il s’est construit progressivement après la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis la fin de la fin de la Guerre froide, reposait sur quatre éléments. Le premier d’entre eux était la volonté des États-Unis de guider les destinées du « monde libre » et leur capacité à le faire ; cette volonté était sous-tendue par l’idée que les États-Unis avaient un rôle éminent à jouer dans l’histoire, ce que résumait la formule de « l’exceptionnalisme américain ». Le second élément était un solide réseau d’alliances, à la fois économiques et militaires, tissé autour des États-Unis. Le troisième était constitué par un ordre international ayant pour objectifs le multilatéralisme, le libéralisme et le respect du droit. Enfin, le quatrième élément était la disparition de tout rival systémique depuis l’effondrement de l’URSS. Depuis le tournant des années 2000, ces quatre éléments ont été fortement corrodés.
La fin de « l’exceptionnalisme américain »
L’attraction exercée par les États-Unis sur le reste du monde était faite d’un mélange de hard power et de soft power qui reposait sur trois composantes. La première, d’ordre économique, englobait l’universalité de leur monnaie et le privilège qu’elle leur conférait de s’endetter à volonté, le dynamisme de leurs entreprises, leur potentiel scientifique et leurs capacités d’innovation qui semblait sans limites. La seconde composante était la force de leurs armées, sorties victorieuses de la Seconde Guerre mondiale, et leur capacité de projection en tout point du globe, sur tous les champs de bataille. Enfin, la troisième composante, peut-être la plus importante, la composante culturelle, qui reposait à la fois sur la diffusion progressive de la langue anglaise, la puissance d’Hollywood qui a partout répandu l’idée d’un « rêve américain », assurait la promotion des valeurs démocratiques et repoussait les frontières de l’univers connu et inconnu dans l’imaginaire collectif de l’humanité. Tout cela, bien sûr, était rendu possible par des institutions dont la solidité semblait à toute épreuve et qui empêchaient, par un subtil équilibre des pouvoirs, le gouvernement d’un seul homme.
Ces trois composantes s’enrichissaient et se renforçaient mutuellement. Ainsi, la richesse créée par l’économie américaine permettait de financer un puissant effort d’armement qui lui-même générait d’innombrables innovations technologiques dont a bénéficié toute la société occidentale, le tout largement encensé par la machine hollywoodienne. Qu’y a-t-il de plus efficace pour montrer la voie aux autres nations que de faire marcher un homme sur la Lune ? La Guerre froide a sans doute été gagnée ce jour-là. Et quels qu’aient été les qualités et les défauts des dirigeants américains, beaucoup leur était pardonné parce qu’ils étaient capables de coordonner les efforts des démocraties, de rassurer leurs alliés, d’intimider leurs ennemis et de pousser à la roue le progrès scientifique, qu’il s’agisse de la conquête spatiale ou de l’internet.
L’Amérique était non seulement puissante, mais elle était aimée et admirée. Et cette admiration attirait à elle les individus les plus entreprenants de tous les pays, convaincus que, là-bas, tout devenait possible. L’Amérique était la nouvelle Athènes, the place to be, une nation exceptionnelle. Et cet « exceptionnalisme » fait de liberté, d’égalité devant la loi et de responsabilité individuelle était l’essence même de sa force.
Or, cet « exceptionnalisme américain » a été mis à mal depuis le tournant des années 2000. Les attentats du 11 septembre 2001, par leur incroyable brutalité, ont forcé Georges W. Bush à réagir et cette réaction a entraîné une plus grande concentration des pouvoirs au profit du président, déréglant le jeu subtil des équilibres et des contrepoids. La présidence de Barack Obama fut marquée, quant à elle, par le début du retrait de l’Europe – le célèbre « pivot » vers l’Asie – et par la volonté des États-Unis de ne plus être toujours en première ligne, ce que traduisait maladroitement le concept de leadership from behind.
Mais c’est surtout Donald Trump qui, dès le jour de son investiture, a déclaré que la politique des États-Unis consisterait dorénavant à prendre soin uniquement des intérêts américains. Il a de la sorte jeté le trouble sur l’existence même d’un camp occidental. Fidèle à ses promesses, il n’a montré aucune volonté de coordonner l’effort des occidentaux dans la lutte contre le Covid-19 et, en plein milieu de la pandémie, la seule ligne cohérente de sa politique étrangère a été de gérer le retrait de son pays de la scène internationale. Comme le souligne l’ancien ambassadeur de France à Washington[1], « sa vision du monde est la conviction que seuls comptent les États-nations et que leurs relations ne peuvent reposer que sur les rapports de force ».
Le résultat est qu’aujourd’hui, l’Amérique ne fait plus envie, en tous cas beaucoup moins qu’avant. Même si la primauté du dollar demeure et la supériorité de ses armées est incontestable, l’Amérique apparaît désormais aux yeux du monde comme une nation terriblement inégalitaire et dans laquelle le sexisme, le racisme et la violence sont monnaie courante. Moins attachée à la défense des valeurs qui unissaient le camp occidental, l’Amérique semble préoccupée par ses seuls intérêts, lassée de jouer le rôle de leader du « monde libre » qui était le sien depuis 1941.
Le délitement des alliances
De tous les présidents des États-Unis, Donald Trump est le seul qui, sans autre méthode que celle consistant à suivre ses pulsions, a affaibli toutes les alliances qui faisaient la force du camp occidental. Il a ainsi accordé davantage d’égards aux dictateurs et aux pseudo-hommes forts, qu’à ses homologues occidentaux. Son slogan « l’Amérique d’abord » s’est traduit dans les faits par « l’Amérique toute seule » et par « Trump d’abord ».
L’alliance avec l’Europe, la plus ancienne, a été affectée à la fois dans sa dimension commerciale et dans sa dimension militaire. S’agissant du commerce, non seulement les négociations sur le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement ont été gelées, mais Donald Trump a déclaré que l’Union européenne était un « ennemi » des États-Unis. Quant à l’OTAN, si la formule de « mort cérébrale » utilisée par le président français a beaucoup choqué, personne ne peut nier que son volet politique est en piteux état. Le résultat de tout cela est que la garantie de sécurité apportée par les États-Unis vis-à-vis de la menace russe fait l’objet de questionnements. Même les Allemands, qui étaient parmi les plus proaméricains des Européens, doutent désormais de la fiabilité de leur allié[2].
En Asie du Sud-Est, Donald Trump a mis à la poubelle, dès janvier 2017, le projet de traité sur le partenariat transpacifique, dont les négociations avaient débuté en 2008. Cela n’a pas empêché toutes les autres parties de le signer, à savoir : l’Australie, le Canada, le Japon, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, Singapour et le Viêt Nam. Par ailleurs, ses palinodies vis-à-vis du leader nord-coréen Kim Jong-un n’ont eu aucun effet sur le désarmement nucléaire de ce pays. Elles ont au contraire endommagé la relation des États-Unis avec la Corée du Sud et le Japon, tant l’accent a été mis auprès de ces deux pays, sur l’importance de compensations financières. Quant à l’alliance des États-Unis avec les Philippines, elle appartient désormais au passé.
Au Moyen-Orient, la politique menée par les États-Unis ne semble avoir eu que deux déterminants : la politique intérieure et l’argent. Donald Trump a ainsi multiplié les cadeaux à son allié Benyamin Netanyahou en transférant l’ambassade américaine à Jérusalem, en proposant le « deal du siècle », et finalement, en acceptant l’idée d’une annexion d’une grande partie des territoires occupés, pour des raisons qui semblent tenir exclusivement à la satisfaction de l’électorat évangéliste américain, très en faveur de la restauration de l’État d’Israël dans ses frontières bibliques. Quant à son abandon en rase campagne des alliés kurdes en Syrie, il ne peut que dévaloriser la parole des États-Unis. S’agissant de l’Arabie saoudite, le président américain maintient son soutien à Mohammed Ben Salmane, quels que soient ses agissements, sans dissimuler qu’il en va des emplois américains dans le secteur de l’armement. C’est ce qu’a montré l’affaire Jamal Khashoggi. Certes on ne pourra faire grief d’hypocrisie au président américain, mais toute considération morale a disparu de sa politique étrangère. D’autant qu’il a retiré une partie de la protection antimissile à ce pays, afin d’obtenir une réduction de la production de pétrole pour sauver une partie au moins des producteurs américains de gaz de schiste. C’est en somme la question que pose le grand politiste américain, Joseph S. Nye : Do morals matter?[3]. Quant à la politique menée en Iraq et en Afghanistan, qu’il s’agisse de l’exécution du général iranien Qassem Soleimani ou de « l’accord de paix » avec les talibans, on ne voit pas très bien où elle pourrait conduire sinon à un retrait précipité.
Seule, l’alliance conclue autour de la communauté du renseignement dite des Five Eyes (Australie, Nouvelle-Zélande, Canada et Royaume-Uni) semble encore résister aux foucades du président américain. Néanmoins elle se paye au prix fort par un alignement inconditionnel de ces pays sur la politique des États-Unis.
L’érosion du multilatéralisme
Le multilatéralisme a été pensé et mis en place par les États-Unis dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Son objectif était de stabiliser les relations internationales en tissant une toile d’interdépendances entre les États qui le composent. Il est fondé sur le respect de l’état de droit, et assure un fonctionnement relativement démocratique par lequel chaque État souverain peut faire entendre sa voix. Il s’appuie sur des institutions multilatérales, à la fois internationales et régionales, définies par des principes comme la non-ingérence, la non-discrimination et le respect des droits de l’homme. Les pays adhérant à ce système international sont liés par l’intérêt mutuel ou la réciprocité, afin de réaliser « l’ordre au-dessus du chaos » sur une base ternaire : la paix et la sécurité, la prospérité et le bien-être »[4].
La première vraie rupture avec le multilatéralisme date de l’invasion de l’Iraq par les États-Unis en 2003, sans mandat de l’ONU, à l’initiative du président Georges W. Bush. Cette invasion a montré que le camp occidental pouvait s’exonérer du respect de la règle de droit quand celle-ci ne lui convenait pas. Barak Obama s’est lui aussi laissé convaincre par ses alliés français et britanniques, en 2011, pour intervenir en Libye et obtenir la liquidation de Mouammar Kadhafi, bien au-delà de ce que prévoyait la résolution 1973 du Conseil de Sécurité des Nations unies.
Certes, les atteintes portées au droit international n’émanent pas que des seuls États-Unis. Les agissements de la Russie en Géorgie en 2008, en Ukraine en 2014 ainsi que son soutien indéfectible au dictateur syrien, ont montré que les droits de l’homme les plus élémentaires pouvaient être bafoués impunément sans que le Conseil de Sécurité ne puisse rien y faire. La Chine a aussi pris sa part à l’érosion du multilatéralisme ne fut-ce que par son refus de la décision de la Cour d’Arbitrage international de La Haye en 2016, sur le contentieux qui l’opposait aux Philippines. Le quotidien officiel Renmin Ribao avait même osé titrer : « L’emploi abusif du droit international sera un coup porté à l’ordre international. ». Depuis, la Chine a notamment militarisé les îles Spratleys et vient de porter un coup fatal au statut spécial de Hong Kong, au mépris de ses engagements internationaux.
Il faut bien dire que Barack Obama, non plus, n’a pas fait montre d’un grand respect pour les règles internationales, en particulier celles du commerce, en poussant aussi loin que possible l’extraterritorialité du droit américain. On se souvient de l’amende de neuf milliards de dollars imposée à BNP Paribas pour avoir bravé l’embargo financier sur l’Iran et celle d’un milliard de dollars, imposée à Alstom dans des questions de corruption de fonctionnaires non américains en dehors du territoire américain.
Donald Trump n’aura donc eu aucun mal à enfoncer les derniers clous dans le cercueil du multilatéralisme. En septembre 2017, il propose une réforme de l’ONU, officiellement afin de la rendre « plus performante et efficace », mais en réalité dans le seul but de diminuer la contribution financière des États-Unis. En septembre 2018, devant l’Assemblée générale des Nations unies, il dénonce « l’idéologie du mondialisme » et déclare sans détour que : « l’Amérique choisira toujours l’indépendance et la coopération sur la gouvernance mondiale » ; les États-Unis, se retirent du conseil des droits de l’homme et « n’y reviendront pas faute de réforme », ne « paieront que les programmes d’aide destinés aux pays qui nous respectent », et il rappelle qu’à ses yeux la Cour pénale internationale n’a aucune légitimité. Trump n’hésitera pas du reste à prendre des sanctions contre les juges de La Haye, lorsque ceux-ci mettront en cause les responsabilités de citoyens américains.
La liste est longue des traités et organisations dont Trump a retiré unilatéralement les États-Unis : l’UNESCO et l’accord de Paris sur le climat en 2017 ; l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2018 ; le traité sur les forces nucléaires intermédiaires en 2019 et le traité dit Open skies en 2020. Il s’en est fallu du peu qu’il retire également les États-Unis de l’OTAN en 2018. Il a réussi à bloquer le fonctionnement de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en empêchant, depuis mars 2017, le renouvellement des juges au sein de l’Organe de Règlement des Différends qui joue un rôle central dans l’action de l’institution. Le FMI et la Banque Mondiale ne sont pas épargnés par l’obsession de Trump contre le multilatéralisme. Il se déclare opposé à la régulation financière, mise en œuvre par le FMI, et le pousse à abandonner les programmes d’aide pour les pays connaissant des crises monétaires. Enfin, last but not least, il vient de retirer son pays de l’Organisation mondiale de la Santé.
L’émergence de la Chine comme « rival stratégique »
Le leadership est une question relative : on peut le perdre de son fait propre, mais aussi du fait de l’émergence d’un rival plus puissant. Or, du point de vue qui nous occupe, les deux tendances se conjuguent. Non seulement les États-Unis ont délibérément sapé les fondements de leur leadership, mais la Chine s’est elle-même considérablement développée sous l’effet de son propre dynamisme. De fait, toute une série d’indicateurs montrent que la Chine est passée devant les États-Unis en 2014. Selon le FMI, le PIB de la Chine, mesuré en parités de pouvoir d’achat, était cette année-là de 18 205 milliards de dollars, contre 17 527 pour les États-Unis. Depuis cet écart n’a cessé de grandir. Toujours selon le FMI, le PIB chinois, mesuré en parités de pouvoir d’achat, devrait être de 30 956 milliards en 2021 contre 21 665 pour les États-Unis. Certes, la puissance économique n’est pas toute la puissance, mais elle en constitue une grosse part. Dans le domaine de l’éducation, si les universités américaines font toujours la course en tête, les universités chinoises, telles l’Université de Pékin (Beida), de Tsinghua, de Fudan ou de Hong Kong progressent chaque année dans le classement mondial. Dans les domaines des sciences, technologies, ingénieries et mathématiques, la Chine produit chaque année 1,3 million de diplômés contre seulement 300 000 aux États-Unis.
Dans le domaine du multilatéralisme, la Chine a également joué de façon habile. Déjà, au lendemain de la crise de 2008, elle avait mis sur pied le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), sorte de forum économique, concurrent du G7. Même si cette organisation n’a guère eu plus de succès que son homologue occidental, elle a mis en évidence la capacité des puissances émergentes à s’organiser. De même en 2013, alors que les États-Unis refusaient depuis des années une nouvelle répartition des droits de vote à la Banque mondiale, Pékin a créé une institution rivale : la Banque asiatique d’Investissement dans les Infrastructures (AIIB) qui a réussi à rassembler cinquante-sept participants, dont le Royaume-Uni, en dépit d’un intense lobbying de Washington pour dissuader les États de rejoindre cette organisation. Mais l’initiative la plus remarquée est évidemment celle lancée par Xi Jinping en septembre 2013 de nouvelles routes de la soie ou OBOR (‘one belt, one road’) désormais rebaptisée BRI (Belt and Road Initiative). Elle a aussi été la plus spectaculaire puisqu’elle a débuté avec soixante-cinq pays et en réunit aujourd’hui cent quarante, dont la quasi-totalité des pays africains et du Moyen-Orient, ainsi que quelques pays d’Amérique du Sud et, en Europe, notamment l’Italie, la Grèce, le Portugal, Malte, Chypre, la Croatie. Elle compte aujourd’hui neuf cents projets pour 1 400 milliards de dollars, soit l’équivalent actualisé de douze plans Marshall.
La nature ayant horreur du vide, le retrait des États-Unis laisse le champ libre à la Chine. À tel point que lors du sommet de Davos de 2017, Xi Jinping n’a pas hésité à se présenter en défenseur du libre-échange ! La Chine s’efforce, non sans mal, et non sans échec, de construire un réseau de clients redevables qu’elle peut influencer. Et l’existence même de ce réseau a modifié l’équilibre des pouvoirs entre puissances en affaiblissant le leadership américain.
Le monde est désormais multipolaire, sans véritable leader
À la question initiale – va-t-on vers la fin du leadership américain – la réponse est donc sans hésitation oui. Est-ce réversible ? Peut-être. On peut en effet imaginer qu’un nouveau président des États-Unis puisse réparer les dégâts. Cela serait long et difficile, mais néanmoins toujours possible. Après tout, seul le soft power américain a été affecté par la présidence Trump[5]. Son hard power reste intact et les alliés occidentaux ne demandent qu’à renouer avec l’Amérique qu’ils ont toujours connue.
Mais il est une chose qui ne changera pas : la place formidable prise par la Chine dans les relations internationales. Or, la Chine ne s’arrêtera pas de croître pour faire plaisir aux Occidentaux. Ni elle, ni l’Inde, ni la Russie, ni même le Brésil s’il se sort de ses difficultés.
Le monde unipolaire dans lequel l’Occident, au travers de l’Amérique, tenait la première place disparaît sous nos yeux, et la crise du Covid-19, tel un éclair dans un ciel d’été, n’a fait que mettre en lumière les coins les plus sombres de cette transformation. La question n’est donc pas tant celle de la fin du leadership occidental, que celle de savoir si la puissance déclinante des Occidentaux peut croiser la puissance montante de la Chine de façon pacifique.
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[1] Gérard Araud, Pourquoi il faut arrêter de mépriser Donald Trump – Interview donné au journal Le Point, 31 mai 2020.
[2] Voir sondage réalisé pour la Körber Stiftung – The Berlin pulse – German foreign policy in times of Covid-19, mai 2020.
[3] Joseph S. Nye, Do morals matter – Presidents and Foreign Policy from Ford to Trump – Oxford University Press, 2020
[4] Régine Perron, La fin du multilatéralisme : une victoire de Donald Trump ?, Diploweb.com 4 novembre 2018
[5] Gilles Paris et Marie Bourreau, États-Unis : « soft power », fin de partie ?, Le Monde, 23 mai 2020
La monarchie parlementaire, clef de voûte de la transition démocratique espagnole, est sur la sellette. Déjà en retrait et contesté pour une affaire financière, sur laquelle enquêtent les justices espagnole et suisse, le Roi émérite, Juan Carlos Ier, va-t-il être assigné à résidence ? Le gouvernement a déclaré, le 17 juillet 2020, s’en remettre au souverain en exercice, depuis le 18 juin 2014, Philippe VI. Pedro Sanchez, président de l’exécutif, avait suggéré, le 9 juillet, une modification de la Constitution permettant, après suppression de l’inviolabilité du monarque, d’ouvrir d’éventuelles procédures judiciaires concernant des actes liés à sa vie privée.
Philippe VI avait pourtant, le 15 mars dernier, suspendu le versement de l’indemnité annuelle versée à son prédécesseur. Il avait par ailleurs renoncé à ses droits d’héritier des biens de son père. Manifestement, les circonstances poussent à aller au-delà. Juan Carlos Ier serait disposé, selon des informations recueillies par la presse, à renoncer au titre de Roi émérite qui lui a été reconnu par décret le 13 juillet 2014. Cette crise dynastique et institutionnelle vient à point mal nommé. Le 11 juin 2015, Christine sœur du Roi, et son époux, actuellement emprisonné pour fraude fiscale, avaient été écartés de leur titre et de leur appartenance à la famille royale. La crise catalane est toujours béante. Et en ce premier mois d’été, propice aux souvenirs du soulèvement militaire du 18 juillet 1936, ces évènements mettent du sel sur les sept plaies héritées d’un passé dictatorial lointain, mais mal digéré.
La monarchie, chère aux forces du passé franquiste, avait été acceptée en 1976 par les partis de l’opposition démocratiques, démocrates-chrétiens, gauches, formations nationalistes catalanes, en échange d’un régime de libertés – citoyennes, individuelles et territoriales – fondé sur le suffrage universel. Ce compromis validait, par ailleurs, une loi du silence, non écrite. La transition démocratique allait être – devait être – une transition indifférente au passé, aux injustices et aux crimes commis pendant les années de dictature.
Les générations actuelles, nées bien après la mort du général Franco, peu ou mal informées du passé de leurs pays, remettent en question ces équilibres. Beaucoup sont républicains en Catalogne et indépendantistes. Les alliés du PSOE, Podemos, ont depuis la fondation de leur parti mouvement, considéré que la monarchie était une institution d’un autre âge. La droite, le Parti populaire, et désormais l’extrême droite, Vox, défendent la perpétuation de la royauté, et avec elle l’oubli d’un passé que quelques-uns d’entre eux revendiquent.
Il y a déjà quelques années, les descendants des vaincus, des républicains, exigeaient une reconnaissance minimale de leurs souffrances. Ils souhaitaient que les dizaines de milliers de leurs grands-parents, exécutés et jetés dans des fosses communes puissent bénéficier d’une sépulture. Et aussi que l’héritage physique du franquisme, noms de rues, statues, mausolée du dictateur, dans le « Valle de los caidos », soient sinon effacés du moins réévalués avec les critères démocratiques correspondant à l’Espagne d’aujourd’hui.
Un juge, Baltazar Garzon avait essayé en 2008 de forcer l’État à reconnaître les crimes commis et à identifier les disparus. Après une phase de dénombrement ayant permis de comptabiliser plus de 120 000 victimes, Baltazar Garzon a été écarté en 2012 de la fonction judiciaire. Il était en effet passé outre à la loi d’amnistie, ligotant le passé. La victoire du socialiste Zapatero en 2004 avait pourtant fait bouger les lignes. Une loi de mémoire avait été adoptée le 31 octobre 2007. L’État encourageait, sans les prendre à sa charge, la recherche des disparus de la guerre civile. Il obligeait les institutions publiques à ôter toute référence au passé franquiste.
La crise de la monarchie, ouverte depuis 2011, paralyse une institution qui aurait pu avoir un rôle actif de médiateur, au moment où les polarisations politiques s’accentuent : entre Catalans indépendantistes, Catalans autonomistes et centralistes, forces de droite et d’extrême droite « jacobines », entre autorités de Madrid et de Barcelone, entre gauche et droite espagnoles.
La monarchie non seulement s’est mise hors de tout jeu politique, en raison de sa perte de légitimité morale, mais elle est devenue un élément de crise additionnel, renvoyant à ses origines. Celle d’une monarchie, remise en selle par le général Franco, en 1969, validée le 22 novembre 1975, et acceptée contre mauvaise fortune bon cœur par le camp démocratique en 1976. Pedro Sanchez a réussi à délocaliser en 2019 le corps du dictateur. Le Valle de los Caidos devrait devenir un centre de mémoire démocratique. La vice-présidente, Carmen Calvo, a annoncé le 20 juillet 2020 que l’État allait participer financièrement et matériellement aux opérations de reconnaissance des victimes de la dictature. La répression franquiste devrait être désormais enseignée dans les écoles. Avec quelle garantie de pouvoir sauver la monarchie, calmer Podemos, et reprendre un dialogue « républicain » avec les nationalistes catalans… ?
Pascal Boniface, co-auteur du manuel d’histoire/géographie/géopolitique de Hachette pour les élèves de Première, décrypte en vidéo la rivalité entre l’Inde et le Pakistan.
La situation économique et sociale libanaise est alarmante. Les contestations populaires ne faiblissent pas, mais elles font face à une répression de plus en plus importante. L’hyperinflation à laquelle le pays fait face se conjugue à la corruption, mais aussi aux tensions géopolitiques régionales. Entretien avec Karim Émile Bitar, chercheur associé à l’IRIS.
En proie à une crise socio-économique sans précédent, le Liban connaît une contestation populaire inédite. Or de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer un climat d’intimidation et de répression. Qu’en est-il ? La situation sécuritaire est-elle en train de largement se dégrader ?
À ce jour, la situation sécuritaire reste globalement sous contrôle, même si on aperçoit de nombreux nuages à l’horizon. La période qui s’ouvre et qui nous sépare des prochaines élections américaines, est une période qui s’annonce particulièrement dangereuse. Au niveau local, le climat d’intimidation est bien réel. Incapables de résoudre les problèmes économiques et sociaux colossaux, les autorités s’efforcent de faire taire les nombreuses voix qui protestent contre les conditions de vie. Depuis près de deux ans, les libertés publiques se sont réduites comme peau de chagrin. Une dizaine d’ONG ont fait front commun cette semaine pour protester contre les atteintes aux libertés.
Le Liban est un pays qui, historiquement, se distinguait des autres pays de la région par de larges marges de liberté laissées aux citoyens, aux activistes, aux artistes et aux journalistes. Or, aujourd’hui, il suffit d’ironiser quelque peu sur les réseaux sociaux, d’exprimer des critiques un peu vives à l’encontre d’un dirigeant, pour se faire convoquer par un supposé bureau de répression de la cybercriminalité – dont la définition du « cyber-crime » est particulièrement cocasse et étendue. Un certain nombre de journalistes et de militants ont ainsi été convoqués et parfois même violentés. On assiste à un climat de répression, cependant sans commune mesure avec celle extrêmement brutale à laquelle on assiste dans un pays comme l’Égypte, qui compte près de 60 000 prisonniers politiques. Le Liban demeure un pays où l’on peut s’exprimer assez librement. Mais, s’installe l’impression que les autorités souhaitent envoyer un signal à la population pour éviter des débordements, en réprimant quelques blogueurs, journalistes ou des personnes qui se seraient un peu trop lâchées sur les réseaux sociaux, et ainsi se protéger d’un effet boule de neige, en évitant que beaucoup d’autres ne laissent libre cours à leur grande colère.
Avec une dette de plus de 170 % de son PIB et une inflation record, le Liban fait face à une situation économique qualifiée de « hors de contrôle » par Michelle Bachelet. Les solutions pour sortir de cette crise peuvent-elles être trouvées en interne, ou la situation économique du Liban devra-t-elle nécessairement être mise sous tutelle du Fonds monétaire international (FMI) ?
Le grand paradoxe est que dans la plupart des pays du monde, l’arrivée du FMI est perçue très négativement. Cela signifie une mise sous tutelle, accompagnée de politiques d’austérité impliquant que la population devra se serrer la ceinture pendant de nombreuses années.
Or, le Liban – comme souvent – fait exception. Sa population n’est pas aussi hostile qu’ailleurs à l’arrivée du FMI. Le pays a atteint un tel degré de corruption et d’incompétence des équipes au pouvoir que le FMI apparaît, paradoxalement, comme beaucoup plus progressiste que la plupart des forces politiques présentes sur l’échiquier libanais, et cela est souligné même par les partis les plus radicaux.
La situation est inédite, car c’est le FMI et les organismes internationaux qui proposent aujourd’hui des mesures de justice sociale un tant soit peu protectrices des Libanais les plus vulnérables face à la crise sociale et économique. A contrario, ceux qui s’efforcent de maintenir le statu quo sont ceux qui ont le plus profité ces vingt dernières années, notamment l’oligarchie politico-financière.
La situation économique du Liban est dramatique. Le pays fait face à une hyperinflation, les principales banques sont en grande difficulté – voire même pour certaines en situation de faillite non déclarée. La Banque Centrale du Liban a, selon le Financial Times, usé de méthodes comptables très douteuses pour maquiller ses pertes. Le pays a une dette record allant de 85 à près de 100 milliards de dollars. Le FMI a confirmé ces chiffres, avancés dans le cadre du plan de sauvetage économique du gouvernement libanais. Ce plan proposait que les actionnaires des banques, les détenteurs de comptes supérieurs à 10 millions de dollars (environ 900 comptes en banque au Liban disposent de près de 10 millions de dollars), et ceux qui ont beaucoup profité des « ingénieries financières » mises en place pendant ces cinq dernières années, soient raisonnablement mis à contribution pour que les populations les plus vulnérables ne soient pas les plus touchées. Le FMI cautionne cette approche, dite de « bail-in ». Or, ce sont souvent des hommes politiques proches des milieux d’affaires, des banques et de cette oligarchie politico-financière qui s’efforcent de mettre en avant des arguments fallacieux afin de ne pas reconnaître l’ampleur des pertes économiques. Ils la sous-évaluent pour tenter de mettre en échec les négociations avec le FMI, qui patinent aujourd’hui.
Ce sont les plus vulnérables qui en payent le prix, le Liban étant soumis à une hyperinflation et à une pauvreté galopante. La Banque mondiale estime que plus de 50 % de la population libanaise se trouve sous le seuil de pauvreté, et plus de 30 %, va tomber sous le seuil d’extrême pauvreté.
Le pays est par ailleurs dans une région où les tensions géopolitiques sont nombreuses (loi César, conflit syrien, embargo sur l’Iran, etc.). Dans quelle mesure impactent-elles le Liban ? Quid également de l’impact de la crise sanitaire liée au Covid-19 ?
L’ampleur des crises internes au Liban se trouve, comme toujours, accentuée par les crises géopolitiques régionales. Le Covid-19 a considérablement fait ralentir l’économie libanaise de la même manière qu’il a ralenti l’ensemble des économies moyen-orientales et mondiales. Il a également accentué le taux de chômage, déjà très élevé.
Par ailleurs, les politiques de pression maximale, mises en place par Donald Trump contre Téhéran, sont venues accentuer le goulot d’étranglement. Quant à la loi César à l’encontre de la Syrie, elle est venue renforcer un peu plus l’isolement du Liban. Les pays du Golfe, à l’image de l’Arabie saoudite, ne souhaitent plus offrir au pays d’assistance financière, estimant que le Hezbollah joue un rôle trop important dans la vie politique libanaise. De concert avec les États-Unis, ils ont décidé que cette aide ne serait plus possible tant que ce parti jouera un rôle aussi déterminant. Coupé de ses relais traditionnels, le pays se retrouve donc soumis à un blocus qui ne dit pas son nom.
Le Liban doit ainsi traverser cette passe extrêmement difficile sans avoir le moindre allié régional ou international. Certains ont laissé entrevoir une ouverture vers l’Est, c’est-à-dire vers Pékin, en espérant que des investissements chinois permettent au Liban de rééquilibrer son économie. Mais cette promesse semble illusoire. Le Liban a besoin d’une injection massive et immédiate de devises étrangères, de dollars américains. Une ouverture économique sur la Chine pourrait éventuellement permettre de diversifier l’économie libanaise, mais cela ne porterait ses fruits que dans cinq à dix ans. Cela ne résout absolument pas le problème immédiat du manque de devises, produisant cette inflation, accompagnée de la mise sous pression de la livre libanaise, conjuguée à cette explosion de la pauvreté. Cet appauvrissement généralisé risque de conduire à des vagues d’émigration, et le Liban risque de perdre ce qu’il a de plus précieux : ses ressources humaines. C’est ce qu’il y a de plus triste dans la situation actuelle.
Propos recueillis par Agathe Lacour-Veyranne
Le Département d’État américain a donné son accord à la mi-juillet pour l’achat, par le Japon, de 105 F-35 Lighting II Joint Strike Fighters, l’avion de combat américain furtif de cinquième génération, et de l’équipement associé, selon une notification au Congrès.
Le Japon avait déjà commandé 42 F-35A et, le gouvernement nippon avait approuvé en décembre 2018 une augmentation de la commande à 147 avions, qui comprendrait également 42 F-35B à décollage court et atterrissage vertical (STOVL). L’ensemble approuvé comprend 63 F-35A, 42 F-35B et 110 moteurs Pratt et Whitney F135, ainsi que divers équipements.
Le coût total estimé de cette opération est de 23,11 milliards de dollars, bien que cela dépende encore des négociations contractuelles entre le Japon et Lockheed Martin, le constructeur de l’avion. Si le programme se poursuit, le Japon rejoindra le Royaume-Uni, l’Italie et Singapour en tant que clients internationaux pour la variante B, en attendant l’approbation du Congrès américain. Cet accord ferait du Japon le plus gros client international du F-35.
C’est aussi la plus grande vente militaire jamais approuvée par les États-Unis après les 29 milliards de ventes d’armes débloqués en 2010 pour l’Arabie saoudite.
Bien que les F-35B japonais doivent opérer à partir des deux destroyers porte-hélicoptères DDH de classe Izumo, le Japon n’a pas encore officiellement déclaré si la Force d’autodéfense aérienne japonaise ou la Force d’autodéfense maritime japonaise exploiteront ces avions. Ces navires-porte-hélicoptères sont considérés comme de petits porte-avions. Ils mesurent tout de même 248 mètres de long et déplacent plus de 20 000 tonnes.
Le ministère japonais de la Défense a cependant minimisé les futures opérations des F-35 des JS Izumo (DDH-183) et JS Kaga (DDH-184) en disant que les F-35 seraient déployés sur les navires si nécessaire, en raison des implications politiques de telles manœuvres qui constituent un sujet sensible, tant sur le plan intérieur – si une telle capacité acquise avec l’installation de F-35 les poussait au-delà des limites constitutionnelles du Japon, qui interdisent la possession de capacités offensives – qu’au plan extérieur : les voisins, Chine et Corée, y voient un retour du militarisme agressif nippon. L’effet peut être très déstabilisateur.
Le fonctionnement des F-35B serait également une première depuis la Seconde Guerre mondiale où le Japon exploiterait des avions de chasse sur sa marine de guerre. De tristes et tragiques souvenirs pour beaucoup. Kaga est d’ailleurs l’homonyme d’un important porte-avions de la Seconde Guerre mondiale.
Cependant, des officiers supérieurs de la marine à la retraite ont été cités dans la presse japonaise comme ayant déclaré que la menace posée par les capacités militaires croissantes de la Chine, ayant conduit à une augmentation des incursions dans les eaux japonaises, notamment les très disputées îles Senkaku/Diaoyu à 300 kilomètres au sud-ouest d’Okinama environ, nécessite la mise en place d’avions de défense aérienne.
Compte tenu des limites de la classe Izumo, il y a eu des appels en faveur du développement d’une nouvelle classe de navires intérieurs, bien que le Japon doive clarifier au plan national et international que ces navires resteront purement défensifs.
L’Izumo subit actuellement la phase initiale des travaux de conversion pour lui permettre d’exploiter des F-35 et reviendra en service prochainement. Les travaux de conversion finaux seront effectués au cours de l’exercice fiscal 2025, tandis que le Kaga sera entièrement modifié au cours de l’exercice 2022, bien que les plans actuels prévoient que le Japon ne reçoit ses F-35B qu’à partir de 2024. Les responsables américains ont confirmé à USNI News que les F-35 de l’US Marine pourraient être les premiers à opérer à partir des plates-formes japonaises.
Parallèlement à l’achat de F-35, le Japon encourage également le développement d’un avion de combat indigène pour remplacer sa flotte d’avion de combat F-2.
L’achat japonais marque donc une nouvelle étape dans la course aux armements régionale, puisque la Chine poursuit son programme de porte-avions et l’acquisition d’avions furtifs. Les F-35 américains ne vont certainement pas calmer les ardeurs chinoises. Pour la diplomatie américaine, cette vente « renforcera la sécurité d’un allié majeur » dans la région Asie-Pacifique. On peut s’interroger.
Il serait temps que les deux pays se mettent à la table des négociations et que l’allié américain joue un rôle modérateur et n’attise pas, une fois de plus, les tensions par des ventes d’armes massives. La paix dans le monde dépend beaucoup de l’équilibre en Asie de l’Est.
En 1964, le gaz naturel liquéfié (GNL) apparaît pour la première fois sur le marché mondial de l’énergie lorsqu’est inauguré le terminal d’Arzew, en Algérie. Les exportations se font alors par voie maritime vers la France. Pour ce faire, le gaz naturel est liquéfié en procédant à son refroidissement à -162°C, afin de réduire son volume par 600 avant le chargement à bord des méthaniers. La France s’affiche alors comme pionnière dans les techniques de transport du GNL[1].
Depuis, la consommation mondiale en gaz naturel n’a cessé d’augmenter pour répondre à la croissance de la demande en énergie primaire, mais aussi sous l’effet des politiques publiques, visant à réduire les pollutions atmosphériques et améliorer la santé publique. Chine, Inde et États-Unis, pour les plus importants d’entre eux, suivent cette voie. En outre, l’offre demeure abondante notamment grâce à la découverte de nouveaux gisements en offshore profond et ultra-profond et à l’exploitation des gaz non conventionnels[2]. Dans le même temps, la part de la liquéfaction progresse, faisant du marché du gaz un enjeu de plus en plus maritime.
Le GNL, gage de flexibilité
La liquéfaction du gaz naturel s’impose d’abord comme une nécessité pour son transport sur de longues distances ou par-delà les océans. Cela explique notamment pourquoi les plus grands importateurs de GNL sont éloignés des zones de production et uniquement reliés à ces dernières par la mer (Japon, Corée du Sud, Chine). A contrario, l’Europe occidentale, proche de ses gisements (mer du Nord, Norvège, Russie), importe environ 80 % de son gaz naturel par gazoducs.
Cependant, le GNL apporte aussi de la flexibilité qui peut procurer un avantage sur le plan stratégique : les États peuvent faire usage de cet atout, qu’ils soient exportateurs ou importateurs. Les pays exportateurs peuvent ainsi diversifier leurs débouchés pour ne pas dépendre d’un client unique. C’est, par exemple, le cas de la Russie qui a choisi le GNL pour exploiter ses champs gaziers de l’Arctique, près de la péninsule de Yamal, afin d’en exporter la production à la fois vers l’Europe, par gazoducs, mais également vers la Chine, alimentée par la route Nord au moyen de 15 méthaniers brise-glace. Mais le GNL est aussi un atout pour les pays importateurs, soucieux de sécuriser leurs approvisionnements énergétiques en diversifiant leurs fournisseurs ou en contournant des territoires peu sûrs ou hostiles par la voie maritime.
L’Inde, par exemple, développe ses installations de regazéification par lesquelles passe la totalité de ses importations de gaz naturel. Malgré sa proximité avec l’Iran et le Turkménistan qui possèdent d’importantes réserves en gaz, l’Inde, qui a un besoin croissant en gaz naturel, préfère l’importation par la mer, en provenance du Qatar, d’Oman, du golfe de Guinée, d’Australie et même des États-Unis, tant les tensions géopolitiques dans la région freinent les projets de gazoduc terrestre. Rappelons qu’initié dans les années 1990, le projet de gazoduc « TAPI », reliant Turkménistan-Afghanistan-Pakistan-Inde, n’a toujours pas vu le jour malgré les lourds investissements déjà réalisés par le Turkménistan sur son territoire depuis 2015[3]. Quant au projet de gazoduc Iran-Pakistan-Inde, la pression américaine exercée dans la région contre l’Iran semble avoir contribué à mettre le projet en sommeil. Enfin, même si elle ne les a pas clairement affichées dans le cadre du développement de ces projets, l’Inde semble avoir quelques réticences à mettre entre les mains du Pakistan une artère vitale pour son approvisionnement énergétique.
De même, l’Union européenne (UE) cherche à promouvoir le GNL pour sécuriser ses approvisionnements qui dépendent pour une grande part des importations par gazoduc, notamment de gaz russe[4]. Depuis plusieurs années, elle finance les terminaux de Kavala, près de Thessalonique en Grèce, et les interconnecteurs entre la Grèce et l’Italie mais aussi entre la Grèce et la Bulgarie. La Grèce pourrait ainsi devenir une nouvelle porte d’entrée du GNL à destination du marché européen grâce à sa position idéale proche des gisements récemment découverts en Méditerranée orientale et du débouché du canal de Suez, par lequel transitent les méthaniers Suezmax en provenance du Qatar. En outre, les anciens pays du bloc de l’Est, qui disposent d’un accès à la mer, investissent avec l’aide de l’UE dans des terminaux de regazéification, et ce, parfois, au détriment de toute logique économique. Chacun des pays baltes s’est ainsi doté d’un terminal de regazéification alors qu’un seul aurait suffi pour alimenter les trois pays. Les États-Unis profitent de la volonté de l’UE de sécuriser ses approvisionnements et de diminuer sa dépendance au gaz russe pour écouler leur production excédentaire sous forme de GNL.
Bien que séduisante, cette flexibilité reste toutefois relative. En effet, les efforts financiers à consentir pour le développement d’une chaîne de valeur GNL sont tels qu’un opérateur gazier investit rarement dans des infrastructures sans avoir signé au préalable des contrats de long terme avec les clients intéressés. Le GNL n’efface donc pas totalement les dépendances entre pays, même si ces dépendances présentent l’avantage de n’être que contractuelles, donc virtuelles et non pas physiques, comme peut l’être la dépendance à l’approvisionnement par gazoduc.
Par ailleurs, la géographie conditionne le potentiel de flexibilité et donc de sécurité apportée par le GNL. Ainsi, quand un pays dispose de plusieurs façades maritimes ou d’une ouverture complète sur un océan, ce qui est le cas de la France, les approvisionnements par GNL renforcent sa sécurité énergétique. En revanche, lorsque ses accès à la mer sont limités, ce qui impose le transit des méthaniers par un chenal peu sûr comme le détroit d’Ormuz dans lequel circulent 24 % du volume des échanges de GNL dans le monde, la flexibilité est beaucoup moins évidente.
Un marché en forte croissance
La croissance des échanges de gaz naturel sur les marchés interrégionaux s’élève à 39 Gm3 en 2018, soit plus du double de la croissance annuelle moyennée sur les dix dernières années. Une situation qui s’explique principalement par les exportations de l’Australie (15 Gm3), des États-Unis (11 Gm3) et de la Russie (9 Gm3). Quant à elle, la Chine participe à plus de la moitié de la croissance aux importations (21 Gm3). Et en 2018, cette croissance passe essentiellement par la mer, puisque sur les 39 Gm3 d’augmentation, 37 sont attribuables au GNL à la suite de la mise en service et à la montée en puissance de nouvelles usines de liquéfaction en Australie (FLNG Prelude), en Russie (Yamal LNG) et aux États-Unis. En dix ans, la part du GNL dans les échanges internationaux de gaz naturel est passée de 30 à 45 % (cf. la figure ci-dessous).
Cette maritimisation du marché du gaz se traduit par des transformations visibles sur les mers. D’abord, l’activité de la flotte mondiale des méthaniers est celle qui a connu la plus forte croissance depuis dix ans (croissance annuelle de 6,1 % entre 2010 et 2018, contre 3,7 % pour l’ensemble des autres flottes)[5]. Ensuite, la multiplication des gisements offshores profonds et ultra-profonds s’est accompagnée de l’apparition de nouveaux objets flottants et géants que sont les FLNG[6] et les FSRU[7]. Enfin, les ports se transforment en accueillant de nouveaux terminaux de liquéfaction dans les pays exportateurs et de nouveaux terminaux de regazéification dans les pays importateurs.
Pour protéger ces nouvelles activités importantes, voire vitales, les marines militaires se renforcent en conséquence. Face à la montée de la puissance chinoise en Asie, l’Australie a fait le choix d’acquérir 12 sous-marins océaniques, destinés notamment à protéger ses gisements offshores répartis tout au long de la côte Nord. Après la découverte de gisements de gaz naturel dans sa ZEE, le Sénégal a commandé au consortium français Kership, en 2019, trois patrouilleurs hauturiers qui viendront considérablement renforcer la flotte sénégalaise en 2022. Pour la première fois de son histoire, le Sénégal sera alors doté de missiles mer-mer et mer-air fournis par MBDA. Dernier exemple, la République de Chypre a signé un contrat pour l’achat de missiles sol-air et sol-mer en 2019, et négocie actuellement l’achat de deux patrouilleurs de haute mer, pour contrer la menace turque dans sa ZEE.
Le GNL et la France
En 2018, 30 % du gaz naturel consommé en France a été importé par la mer sous forme de GNL, transitant par les terminaux méthaniers de Fos-Tonkin, Fos-Cavaou, Montoir et Dunkerque. La capacité de ces derniers permet d’absorber deux fois le volume actuellement traité, ce qui offre à la France la possibilité d’augmenter sereinement ses importations par la mer, afin de moins dépendre des importations continentales par gazoduc. Cela lui permet aussi de devenir un point d’entrée pour desservir le marché européen et faire profiter les ports de Fos, Dunkerque et Montoir d’une activité économique bienvenue.
La majorité des importations provient du continent africain, principalement d’Algérie (31 %), du Nigéria (27 %) et d’Égypte (3 %). Vient ensuite la contribution des champs gaziers de la mer du Nord et l’Arctique, avec la Norvège (11 %) et la Russie (11 %), puis celle du Qatar (8 %) et enfin celle des Amériques (USA : 4 %, Pérou : 2 % et Trinidad-et-Tobago : 1 %). Dans un avenir proche, la croissance importante de l’offre américaine évoquée précédemment contribuera sans doute à augmenter significativement la part offerte aux importations vers la France.
Le GNL emprunte des routes maritimes qui ne sont pas toutes sûres. D’abord, le golfe de Guinée, où transite le quart du GNL importé en France, connaît une forte activité de piraterie (80 % des actes dans le monde en augmentation en 2019 de 50 % par rapport à 2018, selon le Bureau Maritime International). L’opération Corymbe participe à la sécurisation de cette voie maritime, également empruntée par les pétroliers, et de l’ensemble de la zone où opèrent d’autres navires de services battant pavillon français ou appartenant à des sociétés parapétrolières françaises (Total, Bourbon, etc). Au Nord du golfe de Guinée, la route maritime du GNL passe devant le Sénégal et la Mauritanie, au large desquels de nouveaux gisements viennent d’être découverts (Grand-Tortue, Yangaar et Teranga)[8]. Plus proches de la métropole que le Nigeria, ces gisements pourraient rapidement devenir une nouvelle source d’approvisionnement pour la France. La présence de la Marine nationale à Dakar et les liens de coopération entre la France et le Sénégal trouveraient là un regain d’intérêt.
Autre zone de tensions, étatiques cette fois, la Méditerranée orientale est convoitée depuis peu pour ses gisements gaziers du bassin levantin : Leviathan, Zohr, Aphrodite. En particulier, la République chypriote et la Turquie revendiquent les mêmes zones d’exploration conduisant la marine turque à entraver les travaux d’exploration de compagnies européennes telles ENI et Total, qui opèrent avec un permis chypriote. La présence de la Marine nationale dans la zone vise à assurer l’autonomie d’appréciation de la situation, notamment sur le théâtre syrien. Mais les intérêts de la France vont peut-être au-delà, dans la mesure où, d’une part, des entreprises françaises et européennes vont participer à l’exploration et sans doute à l’exploitation de ces champs, et, d’autre part, le GNL qui y sera produit pourrait approvisionner le marché européen. Une protection accrue des intérêts communautaires contre l’appétit turc est à rechercher auprès des membres de l’UE et dans ce cadre, la France, à travers la Marine nationale, pourrait jouer un rôle en cohérence avec sa vision de la politique européenne de défense. Tout en préservant ses intérêts, elle devra continuer à renforcer sa solidarité avec des États membres comme Chypre, qui paraissent bien démunis face à l’appétit turc.
La Méditerranée voit également passer la route maritime en provenance d’Égypte et du Qatar. Si ce dernier n’est pas le fournisseur principal de la France en gaz naturel liquéfié (8 %), il contribue cependant à hauteur de 31 % des importations de GNL pour l’ensemble des États membres de l’Union européenne. L’Italie et l’Espagne sont ainsi les États les plus fortement dépendants[9]. On trouve là une justification supplémentaire pour l’UE et pour la France de protéger le trafic franchissant les détroits d’Ormuz et de Bab el-Mandeb, soumis aux frictions permanentes entre les puissances régionales. La mission d’initiative européenne Agenor, qui regroupe l’Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, la Grèce, l’Italie, les Pays-Bas et le Portugal, paraît parfaitement répondre à ce besoin.
Conclusion
Comme dans de nombreux autres domaines (échanges de marchandises, échanges numériques, etc), la France ne peut éviter et doit prendre en compte cette nouvelle donne de la maritimisation du gaz naturel. D’abord, parce que ce n’est plus à terre mais bien en mer que sont découverts les nouveaux gisements, parfois à proximité de la ZEE française et presque toujours dans les zones d’intérêt de la France. Ensuite, parce que la nécessité de sécuriser les approvisionnements passant par la diversification des fournisseurs, l’importation de gaz naturel se fera de plus en plus sous forme de GNL, par la mer, en provenance d’horizons transocéaniques. À cet égard, le chiffre de la croissance des importations de GNL par les terminaux français est éloquent : +87 %[10] entre 2018 et 2019. Dans ce contexte de maritimisation du gaz, la Marine nationale voit ainsi ses missions potentielles s’élargir pour sécuriser les nouvelles voies d’approvisionnement et les intérêts de l’industrie française sur les nouveaux gisements offshore.
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[1] Notamment avec les compagnies Gazocéan, Technigaz et Gaz Transport, fondées dans les années 1960 et dont l’une des descendantes, GTT, demeure leader dans la fabrication et la commercialisation des cuves à membranes pour les méthaniers.
[2] Notamment aux États-Unis qui est devenu pour la première fois en 2018 exportateur net de gaz naturel
[3] Maxime Jebali, « AMBASSADE DE FRANCE EN AZERBAÏDJAN SERVICE ÉCONOMIQUE AZERBAÏDJAN ET TURKMÉNISTAN », s. d., 5.
[4] Les 164 Gm3 de gaz russe importé par gazoduc représentent 38 % des importations dans l’Union européenne en 2018.
[5 ]DNV GL, « Maritime Forecast to 2050 – Energy Transition Outlook 2019 », 2019.
[6] FLNG : floating liquefied natural gas – unité flottante de liquéfaction et de stockage située sur un gisement, reliée à plusieurs puits d’extraction de gaz naturel et servant de point de chargement des méthaniers
[7] FSRU : floating storage and regazeification unit – unité flottante de stockage et de revaporisation permettant de délivrer du gaz naturel vers la terre à partir du GNL déchargé des méthaniers
[8] « Gisement de gaz au large du Sénégal et de la Mauritanie : « BP sera prêt à démarrer l’exploitation en 2022 » – Jeune Afrique », JeuneAfrique.com, 21 octobre 2019, https://www.jeuneafrique.com/mag/844496/economie/gisement-de-gaz-au-large-du-senegal-et-de-la-mauritanie-bp-sera-pret-a-demarrer-lexploitation-en-2022/.
[9] Le Qatar fournit 79 % du GNL importé par l’Italie soit 9 % de la consommation en gaz naturel de ce pays et 23 % du GNL importé par l’Espagne soit 11 % de la consommation de ce pays.
[10] « France : le « retour massif » du GNL, fait marquant de 2019 pour GRTgaz | Connaissances des énergies », 24 janvier 2020, https://www.connaissancedesenergies.org/
Article publié en partenariat avec le Centre d’études stratégiques de la Marine (CESM)
L’Amérique latine, l’Amérique latine intergouvernementale, serait-elle victime collatérale, du Covid-19 ? Chaque pays, en effet, réagit sans se préoccuper du voisin. L’Amérique latine fait de moins en moins sens.
Les projets intégrationnistes ont disparu des agendas gouvernementaux. Les discours rhétoriques d’union et d’amitié collective, exercice oratoire pourtant prisé depuis les indépendances ont disparu. Pire, on assiste à un mouvement accéléré de détricotage de l’existant.
Ernesto Araujo, ministre brésilien des Affaires étrangères, a défendu ce choix diplomatique avec assurance nationaliste et idéologique, le 22 avril 2020, en ces termes : « Transférer des compétences nationales à l’Organisation mondiale de la santé » (OMS) « sous le prétexte (jamais prouvé) qu’un organisme international centralisé est plus efficace qu’une action nationale dans chaque pays n’est qu’un premier pas vers la construction de la solidarité communiste planétaire ».
Le coronavirus lit-on, dans les gazettes urbi et orbi, bouleverse l’ordre du monde. La formule est sans doute excessive, mais il est vrai que la brutalité du choc accentue les lignes de faille et de rupture préexistantes. C’est en tout cas le constat que l’on peut faire le 15 mai 2020, en Amérique latine, 75 jours après l’identification du premier malade affecté par le coronavirus, à Saint-Paul, au Brésil.
La rhétorique intégrationniste est un exercice politique comme intellectuel rituel et quasi incontournable du Rio Grande/Bravo à la Terre de Feu. Depuis les indépendances, cent fois sur le métier, les responsables et lettrés les plus divers ont signalé les bienfaits de la coopération. Avec, il est vrai, dès 1830, le sentiment exprimé alors par Simon Bolivar que ces efforts revenaient à labourer la mer.
Un impressionnant feuilleté d’organisations intergouvernementales s’est pourtant constitué au fil du temps. Reflet d’ambitions et de contraintes contradictoires, mais il signale un attachement partagé à la coexistence constructive. Sans exclusion, les différentes structures avaient tant bien que mal survécu aux aléas des influences extérieures et à ceux d’histoires nationales parfois tragiques. Il y avait en effet, de droite à gauche, un attachement commun au multilatéralisme, perçu comme une assurance vie régionale et internationale…
Certaines de ces organisations, placées sous le chapeau des Nations unies, rassemblent toute la famille, la Commission des Nations unies pour l’Amérique latine et la Caraïbe (CEPAL) par exemple. D’autres sont panaméricaines, d’adhésion incontournable forcée par le voisinage des États-Unis. Tous les Latino-Américains sont donc membres de l’Organisation des États américains (OEA) et de ses institutions associées. Et au fil des ans, en poupées russes, un ensemble d’organisations purement locales avait émergé. Jusqu’à la constitution en 2010 de la Communauté d’États latino-américains et caraïbes (CELAC), rassemblant pour la première fois les Latino-américains dans l’ensemble de leurs sous-ensembles.
2020, année du coronavirus, aura été aussi celle d’une remise en question de deux organisations communes symboliques, la CELAC et le Marché commun du Sud (MERCOSUR). Le 15 janvier, le gouvernement brésilien annonçait son retrait de la CELAC. Le Brésil, huitième ou neuvième économie mondiale, première d’Amérique latine, a porté là un coup que la CELAC aura du mal à compenser. Le 24 avril 2020, les autorités argentines ont annoncé leur retrait d’un certain nombre d’accords de libre-échange en cours de négociation entre le MERCOSUR, le Canada, la Corée, l’Inde et le Liban.
Le Mexique, président pro-tempore de la CELAC, a organisé un sommet virtuel consacré à la lutte concertée contre la pandémie du Covid-19, sans le Brésil, pourtant le pays le plus peuplé et le plus touché. Et quel sens peut-on désormais accorder à un marché commun, le MERCOSUR, amputé de l’un de ses membres fondateurs dans le domaine de sa compétence, les négociations commerciales ?
Ces deux évènements majeurs en temps de coronavirus, répondent pourtant à des mouvements sismiques géopolitiques bien antérieurs. On a assisté depuis quelques années à une idéologisation des relations internationales, génératrice d’exclusion. De façon annonciatrice, mais restée marginale, le Venezuela avait privilégié une diplomatie d’amis, fondée sur l’affrontement assumé avec les États-Unis. Le Venezuela s’était retiré du groupe dit « G3 » et de la CAN. Il avait créé l’ALBA. Le Brésil bien que progressiste n’avait pas adhéré à l’Alliance bolivarienne pour les Amériques (ALBA). Il avait au contraire plaidé par l’exemple en pratiquant et perpétuant une diplomatie interrégionale œcuménique.
Les alternances vers la droite, démocratiques ou forcées, ont conforté la diplomatie idéologique à la vénézuélienne. Confortés par la victoire de Donald Trump aux États-Unis, les dirigeants de droite ont rompu avec les traditions multilatérales, et construit une diplomatie reposant sur des affinités aujourd’hui libérales et conservatrices.
Ils ont démonté l’architecture intergouvernementale, inventée par leurs prédécesseurs immédiats. L’Union des Nations sud-américaines (UNASUR) a été la première ciblée. Abandonnée au fur et à mesure des changements au sommet des États, de 2018 à 2020, par la Colombie, l’Argentine, le Paraguay, le Brésil, le Chili, l’Équateur, la Bolivie et l’Uruguay. L’Équateur s’est retiré de l’ALBA. La CELAC a été délaissée par le Brésil le 15 janvier 2020.
Le MERCOSUR, structure coopérative relativement ancienne, a survécu. Discuté par le Paraguay et le Brésil, en raison de la présence du Venezuela, il a finalement été accepté après suspension du régime de Caracas. Il a ensuite été orienté vers une entente avec l’Alliance du Pacifique, mise en place en 2011 pour faire contrepoids à l’ALBA et au MERCOSUR.
Des alliances à caractère idéologique ont été substituées aux organisations contestées. Le Groupe de Lima et Prosur, les conférences hémisphériques contre le terrorisme, dont le dénominateur commun est de mettre à l’index les pays encore dirigés par des régimes du cycle antérieur, et si possible, de provoquer une relève politique de droite dans ces pays. Le Venezuela est le premier État visé, mais aussi, selon les moments, Cuba et le Venezuela. Ces groupes soudés par une idéologie combattante sont peu articulés.
Ils fonctionnent en complément d’un espace plus global ouvert sur l’occident libéral. Le Canada, membre du Groupe de Lima facilite cette intégration. Plusieurs États ont rejoint l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous soutiennent la gestion d’une OEA, idéologisée. Ils ont favorisé la réélection, le 20 mars 2020, du candidat de Donald Trump au Secrétariat général, l’Uruguayen Luis Almagro. L’Uruguay a réintégré le Traité interaméricain d’assistance réciproque (TIAR) en 2020. Tous ont accepté la stratégie de rapports bilatéralités avec Washington.
Cette évolution ne va pas sans risque. La relation avec les États-Unis, bilatéralisée est inégale par définition. Les amis déclarés, Brésil, Colombie, se heurtent à l’égoïsme national du plus fort. Seuls et sans recours, ils affrontent l’arbitraire de droit de douane sur leurs produits exportés, à l’annulation de prises d’entreprises locales par celles des États-Unis, mésaventure ayant affecté la brésilienne Embraer, cédée à Boeing avec l’accord des autorités de Brasilia, à l’expulsion de leurs nationaux.
D’autre part, la dénonciation des structures onusiennes et des ententes régionales a généré une marche vers le désordre sanitaire, faute de coordination, et la montée d’un esprit de croisade pour résoudre les différends entre États, en particulier avec le Venezuela. Cette diplomatie des valeurs menace la paix[1]. « Il n’y a pas de guerre juste » a rappelé Rony Brauman, il n’a que de faux prophètes »[2]. Cette dérive inquiète les nouveaux dirigeants de l’Argentine et du Mexique, qui multiplient les appels à la raison multilatérale. Felipe Sola, ministre argentin des Affaires étrangères l’a exprimé de la façon suivante, le 29 avril 2020, pour faire comprendre la distance de son pays à l’égard des négociations tous azimuts ouvertes par le Mercosur à la demande du Brésil et de l’Uruguay : « L’Argentine n’exclut personne. Elle a un grand intérêt à rester connectée au monde. […] Mais elle ne peut accepter qu’un monde très idéologisé la conduise là où elle ne veut pas aller […] La prétendue modernité avancée parce que nous n’aurions pas d’industries (à défendre) n’est pas l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes ».
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[1] Voir Jean de Gliniasty, « La diplomatie au péril des valeurs », Paris, L’inventaire, 2017
[2] Rony Brauman, « Guerres humanitaires ? mensonges et intox », Paris, textuel, 2018
Au moment même où les restrictions liées au coronavirus se sont adoucies, les mouvements populaires hongkongais ont repris de plus belle. Les affrontements avec la police chinoise ont été houleux puisque 18 personnes ont été blessées et 230 arrêtées. Face à la force des contestations, Pékin ne semble pourtant pas changer d’attitude. Le point de vue de Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
Le 10 mai, 230 personnes en marge des manifestations prodémocratie ont été arrêtées à Hong Kong. Comment expliquer la résurgence des contestations ? Les revendications des manifestants ont-elles évolué ces derniers mois ?
Le mouvement prodémocratie a, comme tout le reste, subi la crise du coronavirus, et les manifestations avaient totalement cessé en janvier. Parallèlement, la victoire écrasante du mouvement à des élections locales fin 2019 avait également contraint les autorités à se montrer plus discrètes autant qu’elle s’était traduite par une baisse d’influence dans les manifestations. Mais les revendications n’ont pas changé, et les manifestants ont simplement attendu la levée des restrictions pour raisons sanitaires pour se réunir à nouveau, avec à la clef des affrontements avec les forces de police – on parle de 18 blessés et 230 arrestations. On semble repartis pour un nouveau cycle de manifestations, Carrie Lam, chef de l’Exécutif de Hong Kong et pro-Pékin, ayant annoncé que les enseignements d’études critiques à l’université, qu’elle estime être responsables de la contestation, allaient être revus. Cette annonce a remis le feu aux poudres, et traduit l’impasse du dialogue entre les autorités et les démocrates. On évoque aussi un projet de loi qui sanctionnerait les offenses à l’hymne national chinois, voire même d’un texte anti-sédition. Si un tel texte est adopté (il avait été évoqué, puis oublié, en 2003, face à de vives protestations), les tensions seront encore plus vives.
Les restrictions liées au coronavirus servent-elles la police hongkongaise face aux manifestants ?
Elles ont permis de rendre impossibles les rassemblements. Mais ce n’est qu’illusoire et temporaire puisqu’on voit bien que les manifestants reprennent le mouvement dès qu’une occasion leur en est offerte. Et l’exécutif est passé maître dans l’art de provoquer, comme évoqué précédemment. La grande inconnue concerne la réaction de l’opinion publique. Soit il y a une forme de lassitude, comme on l’avait observé à la fin du mouvement des parapluies de 2014, et les étudiants se retrouveront isolés. Soit les provocations sont trop fortes et mobilisent encore plus, et dans la durée, et c’est cette fois l’opinion publique dans son écrasante majorité qui se retourne contre le pouvoir. Si un tel scénario se profile, il sera difficile pour Pékin de maintenir l’ordre sans montrer un visage qui lui fera forcément défaut.
Quelle est l’attitude de l’exécutif chinois face à ces mouvements populaires ? A-t-il évolué au cours des mois ?
Au-delà des provocations grossières et d’une vassalité tout aussi grossière à l’égard de Pékin, Carrie Lam se distingue par son incompétence. Son rôle doit consister à servir d’intermédiaire entre la Chine et les démocrates hongkongais, et donc à avancer en douceur, et sans créer de frustrations. Or, c’est exactement l’inverse. Les tensions étaient déjà grandes, mais elles se sont considérablement accentuées depuis son arrivée au pouvoir. C’est donc clairement une attitude délibérée et qui n’évolue pas, mais qui est un fiasco. Carrie Lam devrait donc, tôt ou tard, être remplacée, et on peut même s’étonner de l’entêtement de Pékin à miser sur elle. Elle est d’une certaine manière la meilleure alliée objective des manifestants.
New York, lundi 11 mai. Alors que le confinement se poursuit, un vent de panique circule dans les familles avec enfants.
Trente-huit gamins sont tombés malades d’un nouveau syndrome lié au virus du Covid-19. Trois sont morts.
Le maire, Bill de Blasio, a déclaré dimanche que ces enfants avaient été atteints d’un nouveau syndrome inflammatoire grave qui, selon les responsables de la santé de la ville, semble être lié à une réponse immunitaire au coronavirus.
C’est plus du double des cas recensés par le service de santé de la ville la semaine précédente.
La maladie, connue sous le nom de syndrome inflammatoire multisystémique pédiatrique, introduit un nouvel aspect troublant dans la pandémie de Covid-19, qui jusqu’alors avait largement épargné les enfants
Près de quatre-vingt-dix autres cas potentiels ont été recensés dans l’État a déclaré le gouverneur Andrew Cuomo.
Sur les trois enfants décédés, deux étaient en âge d’aller à l’école primaire et un était adolescent, a expliqué le Dr Howard Zucker, responsable de la santé pour l’État de New York. Ils vivaient dans trois comtés différents et n’étaient pas connus pour avoir des conditions préexistantes.
« Les parents doivent faire preuve de la plus grande prudence et ne laisser sortir leurs enfants sous aucune condition », a ajouté le Dr Zucker.
Le syndrome a été porté à l’attention des New-Yorkais pour la première fois la semaine dernière, mais le Dr Oxiris Barbot, commissaire à la santé de la ville, a déclaré que le département de la Santé avait été alerté dès le 1er mai, après que plusieurs cas ait été rapportés au Royaume-Uni.
Le syndrome inflammatoire, disent les responsables de la santé, ressemble à un choc toxique ou à la maladie de Kawasaki. Les enfants atteints de la maladie liée au virus peuvent présenter des fièvres élevées, des éruptions cutanées, des douleurs abdominales sévères, des battements de cœur et un changement de couleur de la peau, comme une rougeur de la langue.
« Cela continue d’évoluer et devrait malheureusement empirer », a déclaré le Dr Barbot lors du briefing du maire dimanche. Elle a appelé le gouvernement fédéral à contribuer à l’augmentation des tests de détection du virus dans toute la ville pour aider à identifier les enfants à risque.
Donald Trump n’a pas réagi.
Plusieurs cas viennent d’être signalés dans d’autres États, notamment en Louisiane, au Mississippi et en Californie. Outre en Grande-Bretagne, au moins cinquante cas ont été récemment recensés dans des pays européens, dont la Suisse, l’Espagne, l’Italie et la France.
Et pourtant, comme si les derniers mois ne nous avaient rien appris, Emmanuel Macron a laissé la réouverture des écoles se poursuivre.
Cette fois, il n’y aura pas d’excuses. On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas.
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Essayiste et chercheur associé à l’IRIS, Romuald Sciora vit aux États-Unis. Auteur de plusieurs ouvrages sur les Nations unies, il a récemment publié avec Anne-Cécile Robert du Monde diplomatique « Qui veut la mort de l’ONU ? » (Eyrolles, nov. 2018). Son ouvrage, « Pauvre John ! L’Amérique du Covid-19 vue par un insider » vient de paraître en Ebook chez Max Milo.
Comprendre le jeu des relations internationales ne peut se faire sans la compréhension du fait religieux ainsi que des acteurs qui le constitue. La mondialisation a bouleversé nos sociétés, impactant la culture et la religion, marquant un changement important des liens entre cette dernière et la politique, notamment à l’heure où celle-ci se retrouve instrumentalisée, en proie aux populismes. Entretien avec François Mabille, politologue, spécialiste de géopolitique des religions (CIRAD-FIUC), responsable de l’Observatoire géopolitique du religieux de l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de la parution de la RIS N°117 sur « Religions : l’ère des nouvelles influences » qu’il a co-dirigée.
En quoi la prise en compte du fait religieux est-elle importante pour la compréhension des relations internationales ?
Le fait religieux intervient sous de multiples formes dans les relations internationales. En fait, il est presque omniprésent ! Regardez ce qui se passe avec la crise du Covid-19 : le secrétaire général des Nations unies adresse un message aux autorités religieuses pour qu’elles se mobilisent ; les gouvernements sont obligés de traiter avec les responsables religieux dans le cadre des limitations des libertés publiques, ce qui est plus ou moins admis et accepté selon les pays ; les groupes terroristes radicaux qui se réclament de l’islam en profitent pour tenter de nouvelles subversions ; et en même temps, les ONG confessionnelles, musulmanes, chrétiennes notamment, sont sur le terrain et aident SDF, personnes isolées, demandeurs d’asile ou réfugiés. En Colombie, ces dernières années, difficile de comprendre le processus de paix sans y intégrer l’ensemble des acteurs catholiques qui, du local à l’international, se sont impliqués dans un cadre de multitrack diplomacy. Nous avons encore en tête la médiation du pape entre les États-Unis, dirigés alors par Obama, et le régime castriste. Mais prendre en compte le fait religieux, c’est aussi analyser des régimes spécifiques comme celui de l’Iran, l’intégration du religieux comme vecteur d’influence (soft power) comme en Russie notamment, l’usage du patrimoine et de la symbolique des cultures religieuses dans la montée des populismes ou des nationalismes, comme on le voit sur tous les continents. En France, le religieux est souvent appréhendé comme l’une des catégories du risque politique au sens large. Dans la tradition scandinave ou d’influence américaine, l’approche est plus ouverte, intégrant les acteurs religieux dans toute leur diversité, de leur contribution positive au sein des sociétés aux aspects plus négatifs.
Peut-on parler d’une résurgence du facteur et des mouvements religieux dans le monde ?
Pour comprendre l’intérêt actuel, il faut associer deux approches distinctes. Beaucoup de sociologues et de politologues ont simplement délaissé l’analyse du religieux, ou l’ont minoré, convaincus que la modernité politique et culturelle était antinomique avec la subsistance du religieux, et donc que le fait religieux était destiné à s’effacer de l’horizon de nos sociétés. Ce sont les thèses de la sécularisation des sociétés et du « désenchantement du monde » (empruntée à Weber) qui furent par exemple, dans leurs domaines respectifs, celles de Peter Berger ou de Marcel Gauchet. Or, ce type d’approche a été battu en brèche par l’évolution de nombreuses sociétés. Du coup, en 2001, Peter Berger a publié Le Réenchantement du monde !
Le deuxième aspect est lié précisément aux changements survenus dans nos sociétés depuis la fin des années 1970. La révolution en Iran, la résistance afghane à l’immixtion soviétique, le catholicisme de résistance prôné par Jean-Paul II, la crise des idéologies politiques et celle des formes d’État-providence, la mobilité accrue des personnes et des circulations des « biens culturels » et donc « biens religieux », sont autant d’éléments qui ont provoqué des bouleversements, accrus par la mondialisation. Depuis la fin de la guerre froide, la scène internationale est beaucoup moins interétatique et intègre de nouveaux acteurs : les acteurs religieux en font partie.
Quelles sont les nouvelles formes du lien entre religieux et politique à l’ère de la mondialisation ?
Traditionnellement, les liens étaient de deux sortes : existaient des partis politiques, directement associés à une religion, à une culture religieuse. Historiquement, viennent immédiatement à l’esprit les partis démocrates-chrétiens et, à une époque plus rapprochée, les partis islamiques et islamistes. Ce premier lien était en quelque sorte l’aboutissement logique, dans l’ordre politique, de la dimension sociale, ou intégrale, des religions. La culture française, exprimée par la notion pourtant complexe de la laïcité, a souvent voulu réduire le religieux à une affaire privée. Or, comme aimait à la rappeler Michel Meslin, les religions se veulent Loi, Communauté et Voie. Les textes religieux, interprétés par des autorités religieuses, véhiculent des normes, des prescriptions destinées à être vécues en collectivité, donc socialement : elles instruisent et forgent des identités personnelles et sociales. À ce titre, était ou est encore diffusé un ethos qui peut avoir des conséquences politiques, voire se traduire par des consignes de vote, données par des autorités religieuses, lors de campagnes électorales.
À ces deux approches traditionnelles sont venus s’ajouter ces trois dernières décennies deux nouveaux types de lien. Au niveau international, on constate l’existence d’une multitude d’acteurs religieux, qui s’exprime notamment par la présence d’ONG confessionnelles extrêmement actives : l’ONG World Vision est présente dans presque tous les pays du monde, il en est de même pour le réseau Caritas internationalis, plus connu en France sous le nom de Secours catholique. Ces importantes ONG ont toutes intégré des pratiques de plaidoyer international, à la fois auprès des États, des entreprises et des institutions internationales au sein desquelles elles évoluent. C’est donc à ce niveau international, par le biais du plaidoyer, et associées à tort ou à raison, à la notion de « biens communs », que ces ONG confessionnelles interviennent, et établissent un nouveau lien au politique, à cette nouvelle échelle mondiale.
Enfin, la toute dernière évolution renvoie à la montée de populismes : exemples significatifs de Modi en Inde, de Bolsonaro au Brésil, d’Erdogan en Turquie, d’Orban en Hongrie, de Duda en Pologne… Cette fois c’est la culture religieuse, le patrimoine religieux, qui sont instrumentalisés par des hommes politiques, et apparaissent comme réservoir de symboles, fournissant à la fois un imaginaire de continuité et un ciment identitaire discriminant, entre un groupe majoritaire et des minorités stigmatisées. La véhémence politique populiste se nourrit ici de l’intolérance religieuse, dont on connaît les progrès depuis plusieurs décennies.
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Aller plus loin :
Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, revient sur la relation de plus en plus tendue entre les deux capitales Riyad et Washington.
Une fois par mois, Pascal Boniface rencontre des étudiants d’IRIS Sup’ pour aborder les grands thèmes de l’actualité internationale.
Cette semaine Joachim et Lambert l’interrogent sur les primaires démocrates et la situation Libye.
L’émission est disponible sur Soundcloud, l’application Podcast, I-Tunes, Youtube, le site internet de l’IRIS, Mediapart et le blog de Pascal Boniface.
Marie-Cécile Naves, chercheuse associée à l’IRIS et spécialiste des États-Unis, vous donne rendez-vous pour suivre la campagne présidentielle américaine :
– Quelles leçons tirer du Super Tuesday du 3 mars ?
– Quels sont les défis pour les démocrates, avec désormais le match Sanders-Biden ?
– Où en est Donald Trump, de son côté ?
Et voilà…[1] Après ses victoires du Super Tuesday en Alabama, Arkansas, Caroline du Nord, Main, Massachusetts, Minnesota, Oklahoma, Tennessee, Texas et Virginie, Joe Biden, candidat de l’establishment démocrate, est bien parti pour remporter l’investiture.
Et depuis que mercredi matin, le pathétique candidat Mike Bloomberg s’est retiré au profit de celui qui, il y a encore quelques jours, s’annonçait comme candidat au Sénat et non à la présidentielle – les confusions du grand âge… -, il n’y a presque plus aucun doute possible.
Ce n’est malheureusement pas la victoire de Bernie Sanders en Californie et dans quelques autres primaires à venir qui changera la donne.
Car, même si Sanders réussissait, d’ici la convention de juillet à remonter la pente et à légèrement dépasser Biden en nombre de délégués, et que donc nous allions vers une brokered convention, ses chances seraient quasi nulles.
En effet, Nancy Pelosi, et autres clintoniens, veilleraient à ce qu’aucun candidat n’obtienne le nombre de voix nécessaires lors du premier tour de scrutin. Tous les délégués promis à un candidat seraient alors « libérés », c’est-à-dire, libres de changer leur allégeance. Si ce scénario se produisait entre Bernie Sanders et Joe Biden, nul doute qu’un second tour donnerait une nette majorité de délégués à l’ancien vice-président.
En 2016, le parti de l’âne et de Nancy Pelosi – pardon pour le pléonasme- a fait le choix d’un candidat centriste. On connaît le résultat.
L’histoire se répète et ainsi que je l’avais écrit il y a près d’un an dans ses colonnes, Joe Biden sera le candidat démocrate et, à moins d’un miracle, Donald Trump sera réélu[2].
Les républicains en sont si convaincus que dans de très nombreux États ils ont tout bonnement annulé leurs primaires et caucus, et cela bien que Bill Weld, ancien gouverneur du Massachusetts, se présente contre le président sortant.
Il est vrai, ainsi que le journal Le Monde l’apprenait récemment au public français, qu’une partie des électeurs du Donald – les évangéliques – voient très sérieusement en lui un « envoyé de Dieu », « l’élu » venu « sauver » les États-Unis, et même le monde.
D’autres reconnaissent même en lui un nouveau roi David ou le roi perse Cyrus, qui, selon l’Ancien Testament, fit reconstruire le temple de Jérusalem. « Les croyants pensent que Dieu organise les affaires du monde et se sert de gens imparfaits pour accomplir son dessein parfait. Trump a donc été élu selon Sa volonté. D’ailleurs, s’il n’est pas réélu, le pays sera en proie aux socialistes et aux haineux », clame un commentateur évangélique.
Comme pour appuyer ces propos, Chris Matthews, d’évidence l’un des plus fins chroniqueurs américains, nous averti sur NSNBC que, si les rouges de Bernie Sanders arrivent au pouvoir, nous assisterons très rapidement à des exécutions publiques dans Central Park.
Promoteur immobilier, présentateur télé, auteur de best-sellers qu’il n’a jamais écrit, président, le Donald n’avait sans doute pas imaginé que des millions d’Américains verraient un jour en lui « le sauveur envoyé par Dieu ». Grâce aux évangéliques, c’est désormais chose faite.
Alors, n’allons pas contre la volonté divine ! Tant pis pour Bill Weld, l’ancien gouverneur du Massachusetts, annulons les primaires républicaines et faisons fi de la démocratie !
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[1] HE’S ALIVE ! Le titre de cet article renvoie à la Une très amusante du New York Post, daté du 4 mars. On y voit une main de mort-vivant s’arracher d’une tombe et en arrière-plan une photo de Biden.
[2] Pour une analyse « détaillée », lire ma correspondance de juin 2019.
Pascal Boniface revient sur le duel opposant les deux favoris à la primaire démocrate américaine, au lendemain du « Super Tuesday ».