Le président du Bénin, Patrice Talon, a annoncé le 9 novembre sur le plateau de France 24 : « le retrait des réserves de changes [CFA] détenus par la Banque de France ». Si cette déclaration semble montrer que la question du franc CFA et son remplacement par une nouvelle monnaie s’impose progressivement dans l’agenda des chefs d’État africains, elle demeure, à maints égards, problématique. Ni les modalités pratiques ni un calendrier n’ont été arrêtés sur un sujet extrêmement délicat qu’est celui d’un transfert de compte d’opérations qui ne saurait, pourtant, souffrir l’impréparation. Abdoul Mbaye, ancien haut fonctionnaire de la BCEAO, ancien Premier ministre du Sénégal, s’est montré réservé dans une interview accordée à RFI, le 14 novembre dernier, estimant que « le président Talon [était] peut-être allé un peu trop loin ». S’il a souligné, mesurant ses propos, que cette voie pouvait être « une piste de réforme », il a, en revanche, plaidé pour que « des solutions alternatives » soient examinées suggérant ainsi l’évaluation de différents scénarii par des experts.
Le CFA : une question davantage psychique que technique ?
Lors de son interview radiotélévisée, le président Talon a affirmé que le blocage sur le CFA était davantage de l’ordre psychique que technique. Pourtant les deux propositions ne sauraient être exclusives. La réforme du franc CFA suppose un très haut degré de technicité : examen du transfert des réserves de change, perpétuation ou non de l’indexation de ladite monnaie sur l’euro ou élargissement à un panier de devises, etc. Ce sont là des questions qui se posent, même si avant tout débat, le président ivoirien, Alassane Ouattara, président en exercice de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine), lors du sommet des chefs d’État de la zone, réuni le 12 juillet à Abidjan, a pris position pour un maintien d’un taux de change fixe avec l’euro, ayant seulement concédé à un changement de nom. Exit donc le franc CFA au profit de l’ECO[1], réduction de l’acronyme ECOWAS (version anglaise de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). L’adoption de ce nom, enfin, suggère la mise en circulation à venir d’une monnaie commune à l’ensemble des pays membres de la CEDEAO, bien que l’espace pertinent retenu dans un premier temps semble être celui de la zone CFA (UEMOA), espace géographique inclus dans la CEDEAO. Si une partie des enjeux sont éminemment techniques, au risque d’être dépolitisés, il convient de ramener le sujet sur un plan plus politique. Les détracteurs du franc CFA appellent clairement à une souveraineté pleine et entière de leurs États sur une question régalienne fondamentale qu’est celle de la politique monétaire. Il s’agit pour eux de rompre les liens de dépendance, campés par l’expression « servitude volontaire », entre les pays africains concernés et la France. Il s’agit enfin pour eux de parachever le processus de décolonisation et de promouvoir de nouveaux rapports géopolitiques.
L’impossible maintien du franc CFA
Force est de constater que si un besoin de changements de paradigmes s’impose, il interroge tout à la fois les classes dirigeantes africaines et françaises. À ce stade, aucune issue crédible n’apparaît et le calendrier 2020, retenu, un horizon improbable sinon à se satisfaire d’un changement de nom cosmétique en inadéquation avec les attentes de nombreux jeunes, de militants et d’universitaires qui, depuis plusieurs années, se battent pour un changement radical. Face à ces enjeux, on observe le silence de la plupart des chefs d’États africains concernés par ce sujet. L’annonce de Patrice Talon semble ne pas avoir rencontré d’écho parmi ses homologues et n’avoir guère dépassé le plateau de France 24…. Si quelques rares activistes y ont vu le signe d’un processus désormais inéluctable de sortie du franc CFA, en revanche, la plupart d’entre eux, tout comme les intellectuels engagés sur cette question n’ont pas réagi dans l’attente d’une réponse concertée des chefs d’État, l’un des objectifs demeurant de réunir les conditions de création d’une monnaie commune au service de l’intégration régionale, même si des questions se posent encore quant à son périmètre. Côté français, hormis l’« ouverture » du président Emmanuel Macron, on observe également l’absence de prise de position de la classe politique française, laissant l’initiative de la critique à l’Italie de Di Maio, aux États-Unis de Trump ou encore au Brésil de Bolsonaro… Par contrepoint, les silences cumulés, dont les motivations sont évidemment différentes, interrogent sur les blocages « psychiques », à un niveau a priori moins attendu, concernant l’évolution effective du franc CFA et la possible renégociation ou non des liens entre la France et les pays africains. La situation, pour être charnière, n’est pourtant satisfaisante pour aucun des acteurs en présence. Les chefs d’État africains sont caricaturés, raillés, enfermés dans une posture de servilité à l’égard de la France ; un écueil pour le moins gênant dans l’exercice de leurs fonctions… Quant à la France, si le président Macron par la voix de son ministre de l’Économie et des finances, Bruno Le Maire, s’est déclaré favorable à une « réforme ambitieuse » — dont il faudrait force imagination pour en discerner les contours —, elle ne cesse d’être conspuée par les activistes anti-CFA ayant une forte audience auprès d’une jeunesse désireuse de changement. On observe, en effet, une montée du ressentiment anti-français qui s’exprime sur les réseaux sociaux, mais pas que, et dont la question du franc CFA n’est qu’un argument parmi d’autres. Les tags « France dégage » commencent à orner les murs de certaines capitales africaines… Décomplexées, les langues se délient, quitte à embrasser des arguments simplistes et démagogiques… Bref, la situation de statu quo actuel semble intenable sur la longue durée.
En attendant la fin du franc CFA
À ce stade, en dépit de timides inflexions et une modeste concession sur un changement de nom, on observe l’absence de décision concertée. De nombreuses questions restent en suspens : quelle feuille de route ? Pour quels objectifs ? Quelle méthodologie ? Quel calendrier ? Quel rôle les chefs d’États africains doivent-ils prendre dans ce processus ? Si l’option est pour l’instant écartée, la France pourrait-elle prendre l’initiative ? La proposition du Premier ministre, Abdoul Mbaye, suggérant la réunion d’experts ayant mandat de soumettre des propositions aux chefs d’État africains et français n’est-elle pas pertinente ?
Reste désormais à savoir s’il y a une volonté politique ou si les déclarations n’ont qu’un objectif de diversion à des fins dilatoires.
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[1] Ce nom ECO n’est pas tout à fait nouveau dans le paysage ouest-africain, dans la mesure où a existé un projet de monnaie ECO pour les pays de la zone CEDEAO non membres de la zone CFA (UEMOA).
Samedi, les 207 000 électeurs de Bougainville, un petit archipel de Papouasie–Nouvelle-Guinée, commenceront à voter lors d’un référendum d’indépendance. Ce vote — qui se déroule du 23 novembre au 7 décembre — pourrait créer la plus jeune nation du monde et susciter une poussée d’influence parmi les puissances régionales.
C’est un évènement qui se prépare depuis plus de 20 ans. En 2001, dans le cadre d’un accord de paix mettant fin à une guerre civile dévastatrice, le gouvernement central à Port Moresby, la capitale, avait promis à la population de Bougainville de pouvoir voter un jour pour décider de son futur.
Les résultats seront annoncés le 20 décembre et ils devraient être largement favorables à l’indépendance. Mais le chemin menant à ce point a été long et violent et celui qu’il reste à parcourir pourrait être tout aussi problématique.
Au cœur de l’histoire de l’indépendance de la Bougainville, il y a un trésor, empoisonné : une mine d’or et de cuivre.
La mine Panguna, une immense mine à ciel ouvert, a fourni 45 % des revenus d’exportation de la Papouasie–Nouvelle-Guinée au cours des années qui ont suivi son ouverture en 1972. Lorsque le pays est devenu indépendant de l’Australie en 1975, les Bougainvilliens ont commencé à se demander si leur archipel pourrait mieux s’en sortir en étant, lui aussi, indépendant, plutôt que d’avoir leurs ressources coupées et utilisées pour soutenir une plus grande nation.
Au fil des années, la tension s’est accumulée. Puis, en 1988, les propriétaires terriens et les employés locaux de Panguna, irrités par la destruction de leur terre, les bas salaires et la répartition inéquitable des revenus (moins de 1 % des profits réinvestis à Bougainville) ont finalement pris les armes.
En réponse, le gouvernement a envoyé l’armée. Les soldats ont incendié des villages et exécuté des collaborateurs en toute impunité. Cela n’a fait qu’enflammer la résistance et les révoltes sur l’archipel. Port Moresby, avec l’appui de l’Australie, imposa un blocus naval coupant l’île du reste du monde, sans succès.
Le gouvernement central décida alors d’engager secrètement une société militaire privée basée au Royaume-Uni pour mener des opérations d’intimidations à Bougainville. Cependant, l’affaire a été divulguée auprès des médias australiens, ce qui créa un tollé et poussa le Premier ministre de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, Julius Chan, à démissionner.
En 2001, après un conflit qui aura tué environ 20 000 personnes, un accord de paix entre les forces séparatistes et le gouvernement central fut trouvé. L’Accord de Paix de Bougainville (APB) ferma la mine, accorda l’autonomie de Bougainville au sein de la Papouasie–Nouvelle-Guinée (PNG) et posa les bases pour un référendum sur l’indépendance.
Le seul bémol, c’est que d’après l’APB, le résultat de ce référendum n’est pas « contraignant ». C’est-à-dire que le dernier mot concernant l’indépendance de l’archipel appartient au gouvernement central et non pas aux habitants de Bougainville.
Malgré son soutien au processus, c’est ce qu’a clairement rappelé l’actuel Premier ministre du pays, James Marape, en octobre dernier, qui cherche tant bien que mal à calmer les rumeurs d’effet domino. En effet, au sein de son gouvernement, beaucoup craignent que l’indépendance de Bougainville encourage les autres provinces de la PNG (il y en aurait plus de 20) à revendiquer elles aussi une plus grande autonomie, voire une sécession.
À l’issue de ce vote, où les électeurs pourront choisir entre plus d’autonomie et l’indépendance, trois options s’offrent à la Papouasie–Nouvelle-Guinée :
1- Les électeurs votent pour plus d’autonomie, refusant l’option de l’indépendance. Bougainville resterait alors une province de la Papouasie–Nouvelle-Guinée et le pays tournerait la page.
2- Les électeurs votent pour l’indépendance et le gouvernement central accepte le vote. Bougainville deviendrait alors un pays souverain.
3- Les électeurs votent pour l’indépendance, mais le gouvernement central n’accepte pas le résultat ou retarde son application. Cela conduirait sûrement à une nouvelle crise.
On suppose que la majorité de la province votera pour l’indépendance. Mais il ne faut pas non plus sous-estimer la partie de l’électorat qui votera contre. En réalité, certains craignent pour l’avenir économique de l’archipel et y préfèrent l’assurance du soutien financier de Port Moresby.
Effectivement, la fermeture de la mine de Panguna et l’absence d’autres mines en exploitation ou d’industries développées sur l’archipel posent la question de savoir comment un Bougainville indépendant pourrait subvenir à ses besoins.
D’après les dernières estimations, le Gouvernement autonome de Bougainville ne reçoit qu’un dixième de ses ressources financières par le biais d’impôts sur les sociétés, de droits de douane et autres taxes. Le reste provient directement de gouvernement central, qui subventionne la province depuis la signature de l’Accord. Une équation qui fait peur, aussi bien nationalement qu’à l’étranger.
Pour l’Australie, la situation est en effet compliquée. Canberra soutient le processus du référendum, mais cherche aussi de tout prix à éviter de nouvelles instabilités dans sa région, comme par exemple un État pauvre économiquement et administrativement. L’Australie reste le plus important donateur de soutien financier à la province, et a participé à la médiation qui a mis fin aux combats. Malgré cela, la plupart des Bougainvilliens estiment que l’Australie s’oppose à l’indépendance, car Canberra n’a pas indiqué ouvertement ses positions.
En plus de l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les Nations unies sont intervenues pour fournir une assistance financière et organisationnelle au référendum.
De plus loin et sur fond de combat idéologique dans la région, les États-Unis et la Chine suivent attentivement l’évolution de la situation. Pékin a d’ailleurs déjà envoyé une délégation se pencher sur les investissements possibles à Bougainville, notamment concernant un nouveau port.
En somme, ces deux prochaines semaines vont être importantes, non seulement pour la Papouasie–Nouvelle-Guinée, mais aussi pour la région. Affaire à suivre.
La crise économique et sociale dans laquelle l’Iran se trouve semble s’intensifier aussi bien en interne qu’en externe. Le gouvernement a coupé internet alors qu’une centaine de personnes aurait été tuée dans les manifestations suite à l’annonce de la baisse des subventions de l’essence. Dans le même temps, les forces de Téhéran en Syrie ont été frappées par Israël. Le point sur la situation avec Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.
Pourquoi cette crise économique et sociale ?
Le gouvernement iranien a annoncé brutalement une mesure de hausse du prix de l’essence jeudi 14 novembre, une décision, en Iran comme dans d’autres pays, habituellement durement ressentie par la population. L’essence est très subventionnée dans ce pays et cette décision intervient dans un contexte économique et social extrêmement dégradé : profonde crise économique depuis le retour des sanctions américaines, récession de -9,5 % dans le pays en 2019 d’après le FMI, inflation à 40 % d’après les chiffres iraniens, un chômage probablement au-dessus de 20 %, une pénurie de médicaments, etc. Le pays traverse une crise très grave. Prendre ce type de décision dans un tel contexte revient à s’exposer à des réactions de forte intensité, notamment chez les plus précaires, qui sont les plus impactés par cette décision.
Il y a tout de même une rationalité économique derrière la décision de Téhéran, la question de la baisse des subventions n’étant pas récente en Iran. Le paradoxe est qu’elle a été recommandée par les grands organismes internationaux et économistes libéraux, jugeant l’essence trop subventionnée dans le pays. Ahmadinejad, l’ancien président iranien, avait déjà commencé à baisser les subventions sur l’essence en 2010, mais à l’époque il avait compensé cette décision par des versements d’argent en liquide à la population iranienne. Le fait que l’essence soit tant subventionnée conduit à une surconsommation, ce qui pose aussi des problèmes pour l’environnement, sachant que Téhéran, par exemple, est très pollué notamment à cause de l’utilisation de vieilles voitures. D’autre part, la hausse du prix de l’essence devrait permettre de limiter la contrebande d’essence avec les pays limitrophes, qui était encouragée par la différence entre les prix de l’essence dans ces pays et en Iran. Par ailleurs, le gouvernement souhaiterait commencer à exporter de l’essence, ce qui signifie qu’il faut limiter la consommation en interne. La nécessité de diversifier les exportations est une priorité en Iran, car les exportations de pétrole ont chuté du fait des sanctions, passant de 2,2 millions de barils par jour début 2018, à 600 000 aujourd’hui.
Enfin, le gouvernement iranien doit faire face à un effondrement des recettes de l’État du fait de l’embargo pétrolier. Cette hausse du prix de l’essence permet au gouvernement d’accroître ses recettes qui, a-t-il annoncé, serviront à financer des aides financières aux 18 millions de ménages les plus pauvres, soit 60 millions de personnes en Iran. Mais dans un contexte de crise aussi grave, les plus pauvres ne font pas confiance au gouvernement. Cette promesse de redistribution de l’argent récupéré n’a donc pas suffi à calmer la colère de la rue.
Comment interpréter les répressions massives des autorités iraniennes ?
Avec les sanctions américaines et la dégradation du contexte économique et social en Iran, la popularité de Hassan Rohani est en chute libre. Dans le rapport de force en interne, les « ultras » ont beaucoup plus de poids dans les décisions prises. Cette décision d’une diminution des subventions sur l’essence vient d’ailleurs d’un conseil qui réunit l’exécutif, le judiciaire et le législatif, qui a pris cette décision brutalement sans qu’il y ait eu d’annonces préalables du gouvernement. Les forces de sécurité sont plutôt contrôlées par les ultras, et Rohani n’a plus vraiment la main sur la gestion du pays en interne. Les ultras au pouvoir en Iran considèrent tous les troubles comme des enjeux sécuritaires et entretiennent le discours classique que les manifestants seraient téléguidés de l’étranger, ce qui est faux. Le degré de violence et la répression atteints aujourd’hui sont inédits dans le pays, et sont beaucoup plus élevés que lors des émeutes de 2017 ou des manifestations de 2009.
Rohani dans ses récentes déclarations a repris le discours des ultras en disant que les émeutiers étaient téléguidés de l’étranger, ce qui est assez surprenant dans la mesure où il avait dit en 2017 qu’il fallait écouter les manifestants. Mais il y a une logique claire dans sa démarche : suite à sa perte de popularité, il durcit son discours et se rapproche du guide pour chercher des appuis. Il souhaite maintenir une unité dans un régime qui se pense en situation de quasi-guerre avec les États-Unis. Tout ceci illustre bien que ce sont les ultras qui sont à la manœuvre.
Israël a frappé des dizaines de cibles appartenant notamment à la force iranienne des gardiens de la révolution en Syrie. La réaction israélienne est-elle justifiée au vu la présence iranienne en Syrie ?
Israël ne permettra jamais l’installation des pasdarans à ses portes et a mené plus de 200 frappes contre les forces iraniennes en Syrie depuis plusieurs mois. Celles observées cette semaine sont dans cette continuité.
Téhéran proteste, mais est plutôt dans une stratégie attentiste par rapport aux attaques, poursuivant un but de long terme qui vise à renforcer sa présence en Syrie. La stratégie iranienne ne change donc pas en dépit des attaques israéliennes.
Kim Joon-Hyung is the Chancellor of National Diplomatic Academy of the Ministry of Foreign Affairs of South Korea. He answers our questions after the seminar “Korean Peninsula in its strategic environment”, organised by IRIS on November 13th:
– How do you see the prospects for dialogue with North Korea and the denuclearization of the Korean peninsula as North Korea resumed its missile tests?
– How is the dialogue between the two Koreas impacted by the United States’ negotiations on the Korean nuclear power? Is there room to manoeuvre for Seoul in this dialogue?
– How does South Korea fit within the US/China rivalry?
Truth is sometimes unbearable to see. This is why Renaissance painters represented it under the allegory of a naked woman, decency requiring that one look the other way. Remember the famous Botticelli painting, the Calumny of Apelles, in which King Midas avoid looking at the naked beauty of Truth and lend his donkey’s ears to Ignorance, Suspicion, Flattery and Fraud. Similarly, it is because it contains a major share of truth that Emmanuel Macron’s declaration of the brain death of NATO is unbearable to our ears. However, this statement raises two key questions which it would be wrong not to pose.
Is NATO definitely dead?
As presented, eminent experts said the same before the President, Jacques Attali and Pascal Boniface to just mention a few. But a Head of State is not an analyst, spectator of the world around him. Should he have said it? That could be debated endlessly.
In substance, what should one think? NATO is a military alliance and as any military alliance since the Delian League, it draws its purpose from the unity of its members – doing together what one cannot do alone – and its dissuasive force in its credibility: attack against one member is an attack on all. What is the credibility of NATO? It is that of the word of the United States to defend its European members. Including Montenegro. If the moment of truth arrives the ultimate credibility of the Alliance will depend on what happens under one skull: that of the President of the United States. What is this credibility since Donald Trump is in power? Objectively, it has suffered a lot. It is he, not Macron who said that NATO was obsolete. It is he, not Macron who raised doubts about article 5. And it is still he who said that the European Union was a commercial foe of the United States. Is it possible to remain military allies while being commercial foes? European leaders buried their heads in the sand and told themselves that it was just a bad time that would pass.
But last October, in Syria, one NATO member, Turkey, threatened European security, just threatened Europe because of a situation created by another NATO member: the United States. This has shaken the Alliance to its core and its credibility. Especially as Donald Trump rejoiced at the fact that Syria was 11,000 km away Tallinn is not much closer. Needless to add to record that he declared to be a big fan or Mr Erdoğan and rolled out the red carpet for him in Washington. What more do we need to pronounce the clinical death of the Alliance today?
Sure, American forces are still in Europe. Their numbers have even increased. But their dissuasive power resembles the Berlin wall before its fall. Strong and powerful from the outside, it can collapse from one day to the other. If Donald Trump can betray the Kurds after a phone call to Erdoğan, why would he not betray the Lithuanians after a phone call to Putin? Who would believe that he would sacrifice Mar-A-Lago to save Vilnius?
One can always say that Macron’s choice of words was inappropriate. That it would have been better to talk about a cardiac arrest, which assumes the patient can be resuscitated. Or that the Alliance is sick while NATO is doing fine. But this is playing with words. The fact is that the Alliance is in agony and those who pretend the opposite are just looking the other way. They are sleepwalkers.
Is it final? This is the real question, as the Alliance has already been in many crises and seen them through.
Is Europe capable of defending itself alone?
Yet does one need to know against what? The only imminent threat against Europe is that of Turkey in the Cyprus territorial waters and thus European. What will Europe do? Put its head in the sand again? Though it has the means to defend itself. What is lacking is the will.
For all Europeans of the North and of the East, the only real threat is a conventional Russian attack in the Suwalki Gap. And technically, it must be recognised, European forces would have difficulties without American armed support. But one should not replay the cold war battles, which in addition never happened! And let’s stop lying to ourselves. If we are afraid of a country whose GDP is equivalent to Spain and who spends five time less than the twenty-eight EU member States for its defence, it is clear that the problem is not the amount of spending but in its structure. As long as Europeans will not integrate their military and their decision processes, they will remain powerless against States which are unified, determined and well organised.
The lack of integration and the lack of will are the two diseases of European defence policy. Especially if Russia attacks Europe, it will be on other battle fields than the German-Polish plain: cyber, political and electoral space, space and with other means for example by controlling perceptions or giving money to political leaders as in Italy. Let’s wake up! The war with Russia has already started and it is not the one we think of. Its objective is to break the Europeans’ unity, not to invade Lithuania. Unfortunately, the Russians are not alone. There are also the Chinese and more importantly… Donald Trump. This President is the one who is the most active in attacking the Unity of Europe. He embodies the opposite image of the thinking of Eisenhower, Kennedy and Reagan who saw in Europe not a competitor but a partner. This is extremely disturbing as European’s unity was made possible thanks to the Americans and we have an immense debt of gratitude towards them.
Today, this gratitude should not blind us. The wind vane has turned. It is time the Europeans take their destiny into their own hands. Not only with words, but with acts. And above all that they do not allow anybody to take over their most precious treasure: their Union. United we stand, divided we fall.
Il serait intéressant de voir quelle équipe les spectateurs égyptiens vont supporter vendredi pour la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN).
Vont-ils être du côté du Sénégal en vertu d’une mémoire sportive collective qui les oppose frontalement à l’Algérie ? Ou vont-ils soutenir cette dernière par procuration, car elle représente une équipe en phase avec le vaste mouvement de contestation du pouvoir, contestation interdite aux Égyptiens ? Qui de l’antagonisme sportif ou de la solidarité politique va l’emporter ?
On sait que les supporters de foot algériens ont été à l’avant-garde de la contestation contre Bouteflika, mettant à mal le poncif éculé de « football, opium du peuple ». De nombreux joueurs et l’entraîneur de l’équipe nationale ont pris publiquement parti en faveur du mouvement de contestation. Ils ont même entonné un chant anti-régime dans les vestiaires après leur qualification pour la finale. « C’est grâce au peuple que nous sommes en finale. Sans leur appui, on ne serait sans doute pas là, on tient à leur dire merci », déclarait le capitaine algérien Riyad Mahrez au journal l’Équipe après la victoire contre le Nigéria.
Al-Sissi, de son côté, espérait redorer son blason avec l’organisation de la CAN. Le joueur vedette Mohamed Salah est la fierté d’un peuple qui n’a guère de raisons de s’enthousiasmer. Hélas, il est plus brillant à Liverpool qu’avec l’équipe nationale et la déception de la CAN est venue s’ajouter au fiasco de la Coupe du monde. Les « ultras » égyptiens ont eux aussi été à la pointe de la contestation du régime Moubarak en 2011, notamment les supporters de l’Al Ahly SC. 74 d’entre eux avaient été tués lors d’un match dans un guet-apens en 2012 à Port-Saïd, où les forces de sécurité semblaient avoir voulu se venger d’eux.
Le football a opposé l’Égypte et l’Algérie pour la qualification de la Coupe du monde 2010. Le 14 novembre 2009 se jouait la dernière journée du groupe qui devait déterminer la place qualificative. L’Algérie, avant le match, avait 3 points d’avance et devait gagner sauf si elle perdait par 2 buts d’écart. En allant au stade, le bus de l’équipe algérienne avait été caillassé par les supporters égyptiens avec la passivité évidente de la police égyptienne, d’ordinaire plus réactive. Trois joueurs avaient alors été blessés. À la 96e minute, l’Égypte marquait un 2e but, signe d’une égalité parfaite entre les deux équipes, il fallait dès lors organiser un match de barrage que l’Algérie allait gagner 4 jours plus tard à Khartoum. Entre temps, les dirigeants des deux pays avaient monté le ton. Les Algériens s’étaient pris à des intérêts économiques égyptiens en Algérie et certains d’entre eux avaient été pris à partie en Égypte. Loin de calmer le jeu, Bouteflika et Moubarak, tous les deux en difficulté politique et confrontés au problème de leur succession, montaient le ton pour essayer de rassembler le peuple derrière eux et de créer un ennemi extérieur. La rivalité était d’autant plus grande qu’il s’agissait de déterminer quel serait le seul pays représentant le monde arabe à la Coupe du monde. L’Égypte et son équipe des Pharaons se voyaient comme le phare du monde arabe pour des raisons historiques ou stratégiques : la révolte de Nasser contre la Grande-Bretagne et la France après la nationalisation du Canal de Suez déclenchant le réveil du monde arabe. Les Algériens estimaient qu’ils ne devaient leur indépendance qu’à eux-mêmes. Pour eux, après le virage pro-occidental pris par l’Égypte avec les accords de Camp David, ils représentaient le véritable nationalisme arabe – et ce malgré des liens très forts avec les États-Unis. Cette rivalité du leadership arabe se greffait sur une rivalité sportive. L’Algérie ayant privé l’Égypte d’une qualification pour la Coupe du monde 1982 et les deux équipes avaient été éliminées conjointement au profit du Sénégal pour l’édition 2002. Les Algériens rappellent également que lorsque l’équipe du FLN existait, de 1958 à 1961, préfigurant l’indépendance et permettant de montrer le drapeau algérien avant l’existence de l’État, l’Égypte avait refusé de jouer contre elle pour ne pas braquer la FIFA. Et par peur de perdre, ajoutaient les Algériens.
La sécurité des supporters algériens sera-t-elle assurée ? On peut l’espérer. Tout incident grave viendrait démentir la thèse des autorités égyptiennes selon laquelle elles tiennent fermement le contrôle du pays.
Souhaitons, en tous les cas, une belle finale entre deux magnifiques équipes, représentantes de deux peuples avec lesquels les liens affectifs, humains et historiques sont nombreux.
L’élection présidentielle de Taïwan qui aura lieu en janvier 2020 opposera la présidente sortante Tsai Ing-wen à un candidat de l’opposition nouveau venu, replaçant de nouveau la relation Taipei-Pékin dans la campagne. En ces temps de tension avec Pékin suite à des commandes d’armes américaines, quels sont les enjeux de ce scrutin ? Éclairage par Barthélémy Courmont, directeur de recherche à l’IRIS.
Le candidat de l’opposition (KMT, nationaliste) à la présidentielle de Taïwan de 2020 vient d’être désigné, il s’agit de Han Kuo-yu, maire relativement peu connu jusqu’ici. Qualifié de populiste pro-Pékin, que révèle sa percée sur la scène politique taïwanaise ? Les relations entre Taipei et Pékin vont-elles être remises au cœur du débat ?
Assez peu connu du grand public en effet il y a encore peu de temps, Han Kuo-yu a remporté en 2018 l’élection municipale de Kaohsiung, deuxième ville du pays, et bastion du DPP (le parti démocrate progressiste) depuis 1998. Cette victoire l’a propulsé parmi les présidentiables au KMT, mais il n’a décidé de se lancer dans les primaires que très tardivement, début juin. Une campagne expresse donc, et couronnée de succès face à Terry Gou, le fondateur de Foxconn, et Eric Chu, le maire de New Taipei City. Sa percée politique traduit un manque de leadership au KMT et de grandes difficultés à définir une nouvelle ligne politique depuis la fin de la présidence de Ma Ying-jiou, en 2016. D’ailleurs, Han s’est montré à plusieurs reprises très critique de Ma, qui soutenait de son côté Gou. Le parti historique de Chiang Kai-chek n’avance pas en ordre de bataille vers l’élection présidentielle de janvier 2020, et pourtant ses chances de succès sont réelles.
Il faut cependant se montrer prudent quant aux qualificatifs de « populiste » et « pro-Pékin » dont les médias américains, le New York Times en tête, se sont immédiatement emparés pour décrire la personnalité de Han. Gou semble en effet davantage correspondre à cette description, avec notamment la révélation de la déesse Mazu ayant justifié son entrée en politique, ou encore son engagement auprès d’un rapprochement inter-détroit. Sans doute d’ailleurs ces excès n’ont pas plu à une grande partie de ses supporters. De son côté, Han n’est pas un nouveau venu en politique, puisqu’il fut parlementaire de 1992 à 2002, avant une carrière dans le monde agricole et ce retour remarqué. Il fut également candidat à la présidence du KMT en 2017. Concernant sa proximité avec Pékin, il convient d’abord de signaler que « pro-Pékin » ne signifie pas grand-chose à Taïwan, ou en tout cas ne doit pas être entendu de la même manière qu’à Hong Kong. Si Han met en avant un discours « pro-Pékin » (à savoir une volonté d’unification politique), ses chances de victoire seront quasiment nulles. En revanche, si son propos consiste à rechercher un partenariat accru avec la Chine, économique et commercial en particulier, comme sa visite à Hong Kong, Macao, Shenzhen et Xiamen en mars dernier en fut l’objet (sur les questions agricoles), son discours se rapproche de celui de Ma Ying-jiou, président de 2008 à 2016. Il est donc encore trop tôt pour juger des intentions de ce candidat. Mais il est certain que, comme les scrutins précédents, celui de janvier 2020 se fera dans l’ombre de la relation avec la Chine continentale.
Taïwan a récemment conclu une nouvelle commande d’armes avec les États-Unis. La Chine a annoncé le 12 juillet des sanctions envers les entreprises américaines impliquées dans cette transaction. Que signifient ces menaces pour Washington et Taipei ?
Les États-Unis sont, avec la Chine, l’autre grand acteur qui va jouer un rôle dans cette élection taïwanaise, et une fois encore, l’article du New York Times ne fait que le démontrer. S’il est inutile de revenir ici sur la longue relation entre Washington et Taipei, il est en revanche important de signaler quelques faits récents. D’abord l’échange téléphonique entre Tsai Ing-wen et Donald Trump au lendemain de l’élection de ce dernier, en novembre 2016, et conséquence d’un balai d’élus républicains à Taïwan entre l’élection de Tsai en janvier et celle de Trump en novembre. Cet échange téléphonique très médiatisé était une première, et un geste symbolique fort, puisque le président américain, peu au fait des réalités géopolitiques asiatiques, avait ensuite critiqué le statu quo inter-détroit. Ensuite, les (énièmes) ventes d’armes américaines à Taïwan, justifiées par la défense face aux velléités chinoises. Enfin, et de manière plus événementielle, la visite de Tsai Ing-wen aux États-Unis (non officielle, statut de Taïwan oblige) et ses appels répétés, et sans doute justifiés, à un plus grand soutien des États-Unis. Le contexte politique dans la région et sur le sujet de la relation avec la Chine est celui que l’on connaît, avec des pressions diplomatiques et économiques que Pékin fait peser sur Taipei, et la question de Hong Kong, dont l’incidence sur le scrutin taïwanais sera évidente. Les États-Unis, par ailleurs engagés dans un bras de fer sur tous les sujets avec la Chine (et qui a débuté bien avant l’arrivée au pouvoir de Donald Trump), vont chercher à favoriser l’élection du candidat qu’ils estiment le plus hostile à Pékin, et c’est Tsai Ing-wen.
Taïwan est considérée comme une province sécessionniste par Pékin et reste peu reconnue au niveau international. La Chine n’excluant pas une réunification par la force, quelles sont ses velléités pour les années à venir ? Taïwan aurait-elle les moyens de résister ?
S’il est nécessaire de faire mention des manœuvres américaines à Taïwan, justifiées par les ventes d’armes et la lutte d’influence avec Pékin, c’est évidemment surtout du côté de la Chine que les regards inquiets se tournent. Depuis l’élection de Tsai Ing-wen, la Chine s’est engagée dans une vaste campagne de dénigrement de l’exécutif taïwanais, et c’est la Chine qui a rompu les contacts. Isolement diplomatique accru, humiliations récurrentes dans les instances internationales, limitation du nombre de touristes chinois à Taïwan, ou encore l’annonce de mesures de rétorsion contre des entreprises travaillant avec Taïwan dans des secteurs jugés hostiles à Pékin sont la concrétisation d’une politique de sabotage. Les discours va-t-en-guerre, notamment celui de Xi Jinping début janvier, s’ajoutent à ces manœuvres délétères et attisent un nationalisme chinois qui reste obsédé par la question taïwanaise. Les élections municipales en 2018 avaient déjà été marquées par une ingérence de Pékin, et cette tendance ne va que s’amplifier avec le scrutin présidentiel. Pour la Chine, l’équation est simple, le KMT (jugé plus conciliant) doit revenir au pouvoir. L’élection de janvier 2020 sera ainsi, en plus d’une traditionnelle confrontation démocratique entre deux visions de Taïwan et sa société, une lutte à distance entre Pékin et Washington.
The introduction of a revenue-based tax on digital giants by the French government has sparked condemnation on the part of the U.S. administration, and threats of trade retaliation, starting with an official investigation. European divisions had already led to the abandonment of an EU-wide digital tax. While EU-US tensions had so far centred on German exports, how will this new episode affect the political dynamic in Europe on trade issues? An interview with Rémi Bourgeot, economist and associate fellow at IRIS.
While the US administration threatens to retaliate against countries that would put in place a digital tax harmful to its tech giants, Donald Trump seems to also have in mind trade negotiations with the EU in general and a reform of international taxation. Is the procedure against France’s digital tax part of that broader strategy?
So far, US trade tensions with the EU had centred on Germany’s car exports and its trade surplus in general. Against this background, Donald Trump has also accused the ECB of excessively weakening the euro’s exchange rate, through its unconventional policies. Although the digital tax appeared to be a minor topic in EU-US relations compared with the dispute over the euro’s exchange rate and the trade surplus, the US administration has nevertheless been critical of European plans to implement a digital tax on revenue since the debate was initiated among EU member states.
While those vocally opposing the digital tax in Europe were mostly smaller northern member states, the US stance seemed to find a particular echo in Berlin, where the government, despite adhering to a plan devised with France, showed caution in order to avoid escalating trade tensions with the Trump administration over car exports. Since EU-wide plans for a digital tax have been ditched, it is not surprising to see Donald Trump oppose similar plans at the national level, notably in France.
Until last year, whenever the US president criticized Germany for its trade surplus, French ministers were among the first to reply and rebuke the accusations. Meanwhile, Franco-German relations entered a delicate phase when it became clearer that French-led plans for a deeper integration of the Eurozone were being rejected by Berlin. A show of European cohesion against Donald Trump’s attacks on France’s digital tax is therefore unlikely. Similarly, Emmanuel Macron’s government will probably be less inclined in the coming months to defend Germany’s trade surplus. Europe’s increased divisions could give the US administration more room to try and accelerate trade talks with the EU, the idea of which Emmanuel Macron however rejected three months ago, arguing that the US would first have to re-join the Paris climate accord.
The digital tax, whether at the EU or national level, has been criticized as it targets revenues rather than profits and raises issues of double taxation. Although it has turned into a political symbol, it was designed as a mere intermediate step until a broader and more sustainable deal is reached in order to reform international taxation. While the introduction of a digital tax by various governments is intended as a levy in these talks, Donald Trump’s attacks are similarly meant to neutralize this possible advantage, having in mind negotiations both on trade and taxation.
His administration has shown some willingness to open a negotiation on international taxation which promises to focus, at least initially, on US companies like Amazon. While tackling the French and European projects to tax digital revenues, Donald Trump however often appears critical of digital giants in the US. The strategy seems to consist in accepting the principle of these negotiations in order to quickly extend their scope beyond the issue of the digital economy, arguing that the borders between economic sectors are now very porous, and thus to engage in a much broader bargaining, on the taxation of international economic exchanges in general.
Talks on taxation and trade are therefore closely related. The US administration has raised the idea, in order to indirectly take into account the commercial activities of international companies in a given country, of developing a tax dependent on marketing expenditure for that country. This idea evokes more a transitional mechanism, like digital taxes introduced elsewhere, than a long-term model at the global level. From a European perspective, while this approach naturally frustrates major exporting countries such as Germany, targeting marketing spending could also be problematic for other countries and sectors, particularly for French and Italian luxury goods.
The OECD, which has a clear authority in the study of tax evasion, has succeeded in involving a very large number of countries in the process of initiating negotiations on international taxation. However, it is necessary to appreciate the complexity of the negotiations on this issue, especially since it is coupled with trade. While governments finally share a common will to preserve their tax base, with sometimes similar concerns, the very definition of the scope of the negotiation is still far from being resolved.
The EU had previously suspended the project for a European digital tax, leading instead to a series of national initiatives. How much divided are EU member States on this issue?
Four northern European countries (Denmark, Sweden, Finland, Ireland) expressed their strong opposition to the proposed European tax on the turnover of large companies in the digital sector. On the other hand, a majority of member states, the largest ones in particular, supported this tax. However, they were less united than at first sight, which made it all the more difficult to achieve the unanimity required in fiscal matters. The tax plan that was rejected in March was already a reduced version of the scheme that had already been discussed at the end of last year. Despite retaining the 3% rate, this version excluded from the tax base revenues from data sale and platform fees and focused on advertising revenues alone.
The four countries opposed to the digital tax have a small domestic market and are highly dependent on exports or international revenues more generally, which, under the current system, overshadow the very limited revenues that the European digital tax would have offered them. Sweden also sought to defend the success of its national digital companies, based on the model of music streaming companies like Spotify, while pointing to the general risk of double taxation. As for Ireland, it was a matter of preserving its model consisting in hosting the European headquarters of large international groups by means of a low corporate tax rate, which encourages companies to declare a significant portion of their profits in Ireland rather than in the European countries where the gain is generated.
Several countries such as France, the United Kingdom, but also Italy and Spain have worked on the introduction of a digital tax at the national level. What are the different approaches to this issue?
The European countries which have at some point made preparations for a national digital tax (France, Italy, Spain, United Kingdom, Austria) have considered variants relatively close to what had been discussed at the EU level in the months before the development of what appeared, before its rejection, to be a short-term consensus solution. These governments have considered thresholds similar to those of the European initiative and a broader set of services than advertising revenues alone, including data sales and platform fees in particular. The French government, which intends to make the tax retroactive to the start of the year, expects tax revenues of around 400 million euros this year and just over 600 million by 2021. These estimates, however modest the figures might already be, are often considered overoptimistic.
Governments embarking on this type of taxation naturally seek to engage in a negotiation both with the global companies concerned, and with other governments, against the backdrop of the negotiations that will take place within the OECD framework. A diverse group of countries in the world are following this path, whether the EU member states mentioned above, Australia, New Zealand, India, or Singapore – which indicates the general nature of the concerns behind digital taxation.
The difficulties and then the confirmation of the failure of the intermediate stage in Europe led to a preference for a global negotiation at the OECD rather than a new European initiative. In any case, the ultimate aim is to redefine the distribution of digital-related tax revenues among governments, but according to a model that should probably continue to be based on profits, or at least to take them into account. Despite the idea of trigger thresholds in current digital tax projects, the concept of revenue-based taxation raises fundamental problems that led most governments to set it aside at some point in their economic history. The current tax should therefore be considered as no more than a temporary tool.
On the one hand, digital tax projects have an important political dimension, in that, despite the relatively small amounts at stake at this stage, governments can find an opportunity to send an equalitarian message to the public. On the other hand, policy makers must address a longer-term economic question about fiscal models in a context of upheaval in commercial activities and their geographical anchoring. In this perspective, the digital tax represents the beginning of a more general debate. The current superposition of digital tax plans and the more general ambition to review international tax models in the longer term does, however, create a great deal of confusion.
Matthieu Alfré est diplômé d’HEC, de Sciences Po et de la Sorbonne, il enseigne actuellement en classes préparatoires et conseille des entreprises privées avec Alma Conseils. Christophe Chabert, diplômé d’HEC, est le fondateur du site www.mindthemap.fr. Ils répondent aux questions de Pascal Boniface à l’occasion de la parution de leur ouvrage « Le monde en cartes – Méthodologie de la cartographie » aux éditions Autrement.
La cartographie est-elle indispensable pour les enseignants ?
La cartographie est un outil indispensable pour tous les enseignants en histoire, en géopolitique et, à plus forte raison, en géographie. En disant cela, nous faisons notamment référence à la pensée de Philippe Pinchemel qui rappelle à juste titre que « pendant des siècles les géographes étaient des cartographes » (Géographie et cartographie, réflexions historiques et épistémologiques). La cartographie apparaît aussi indispensable pour les enseignants à deux niveaux, d’abord, dans le rapport conceptuel à leur propre discipline, ensuite, dans le rapport personnel à leur style d’enseignement.
D’une part, la cartographie conserve toute sa pertinence pour parfaire et actualiser l’appréhension des matières que nous enseignons avec passion. Croiser les cartes des journaux, des revues spécialisées et des meilleurs cercles de réflexion, comme l’IRIS, nous permet de bien documenter les évolutions récentes du monde. En outre, et nous l’avons remarqué en concevant et réalisant Le monde en cartes, produire nos propres cartes nous fait gagner autant en clarté qu’en pertinence pour appréhender encore mieux nos propres disciplines.
D’autre part, en nous appuyant sur cette approche cartographique, nous sommes plus à même de gagner en impact auprès des étudiants. D’abord, parce que les cartes restent l’un des meilleurs vecteurs de compréhension pour eux. Dans notre civilisation de l’instantané, nos étudiants sont sensibles à la « rhétorique de l’image » décrite par Roland Barthes. Ensuite, parce qu’elles leur permettent de s’entraîner à bien des épreuves écrites et orales qu’ils auront à connaître. Qu’il s’agisse de réaliser un croquis au baccalauréat, autant qu’à HEC Paris, ou de commenter des documents géographiques à l’oral de l’agrégation, les occasions de préparer les étudiants avec des cartes sont nombreuses.
Indispensable, édifiante et percutante, la cartographie demeure le support privilégié pour réaliser notre mission dans l’enseignement et la formation.
Comment définir une bonne carte ?
Les cartes font partie de notre quotidien. Il en existe une grande variété dont les objectifs peuvent être très divers. La réalisation de cartes ou croquis est une épreuve souvent redoutée dans la mesure où il est attendu des candidats de démontrer de multiples compétences. Nous allons ici passer en revue certains éléments permettant d’évaluer la qualité d’une carte dans le cadre des concours.
Avant toute chose, quatre éléments sont indispensables : un titre, une orientation (indiquer le nord), une légende organisée et une échelle (le fameux « TOLE »). Il est important de rappeler qu’il s’agit d’un travail de représentation de phénomènes. Les éléments choisis devront rendre compte de la structure et de l’organisation de l’espace ainsi que des dynamiques des territoires.
La légende se doit d’être rigoureuse, synthétique et de répondre au sujet posé. On jugera la carte sur sa lisibilité, sa clarté et la précision des localisations (nom de pays, de villes, mers et océans, massifs montagneux etc.). Le choix des figurés et des couleurs avant la réalisation de la carte est une étape essentielle qui demande un peu d’entraînement, et de bon sens. Il faut éviter les superpositions hasardeuses d’éléments rendant la carte illisible, respecter certaines conventions (s’en tenir aux formes géométriques de base pour les figurés ponctuels par exemple) et veiller à la symbolique des couleurs (libéralisme en bleu, communisme en rouge etc.).
Une carte est un élément visuel qui répond à des logiques différentes d’un texte. Elle doit attirer l’œil par son esthétisme, d’où la nécessité de s’appliquer. Une excellente carte permet au lecteur de saisir les messages principaux et les grandes dynamiques représentées avant même la lecture du contenu de la légende. Surtout, elle donne envie de se plonger dans le sujet, d’en savoir davantage et de se questionner.
Une carte est un instantané à un moment t, rapidement caduque. Son message est toujours biaisé par les choix faits par le cartographe. En définitive, la bonne carte est celle qui suscite le débat et appelle à en réaliser d’autres !
Quelle est la bonne articulation entre le commentaire et la carte ?
L’articulation entre le commentaire et la carte s’apparente à un dialogue fécond qu’il appartient au commentateur de construire avec intelligence. Pour réaliser au mieux le commentaire d’une carte, il ne faut ni produire une paraphrase servile de la carte, ni s’enfuir dans un découplage stérile entre les mots et les images. Le commentateur peut se donner pour fil directeur de toujours conjuguer le poids des mots avec le choc des cartes.
Conscient de cet impératif d’équilibre, nous proposons une approche intégrée du commentaire de cartes dans Le monde en cartes – Méthodologie de la cartographie. Ainsi, l’introduction de la section (« Les enjeux ») explique la raison d’être de nos choix de cartes. Chaque chapitre est subdivisé en cinq cartes essentielles et complémentaires. Chaque carte est introduite par une justification du sujet, préparée par une explicitation de la problématique, analysée par un commentaire soulignant les faits marquants et, enfin, prolongée par des perspectives plus larges. Alors que le commentaire est centré sur des enjeux et des défis, la carte les met en image avec des illustrations choisies.
Alors que le porte-avions Charles de Gaulle avait été immobilisé pendant près de 19 longs mois entre février 2017 et septembre 2018, son premier déploiement opérationnel de longue durée, la mission Clemenceau aura suscité un intérêt certain. Escorté par un groupe aéronaval conséquent (GAN), la Task Force 473, composée des frégates Forbin, Latouche-Tréville et Provence, du bâtiment de commandement et de ravitaillement (BCR) Marne et d’un sous-marin nucléaire d’attaque, le porte-avions Charles de Gaulle a ainsi parcouru la Méditerranée et l’océan Indien pour contribuer au rayonnement des armées françaises.
Si la mission Clemenceau ne constituait évidemment pas le premier déploiement long de ce type du Charles de Gaulle – on se souviendra de l’opération Bois-Belleau et des missions Arromanches –, elle représentait pour la Marine nationale et l’ensemble des armées françaises un enjeu conséquent, le porte-avions devant faire la démonstration de ses capacités renouvelées après un arrêt technique majeur (ATM2) ayant mobilisé, à travers l’entreprise Naval Group, la Direction générale de l’armement (DGA) et le Service de soutien de la flotte (SSF), jusqu’à 2 100 personnes, pour un budget avoisinant les 1,3 milliard d’euros. Adapté au « tout Rafale » après le retrait des derniers Super Etendard Modernisés (SEM) en 2016 et désormais doté de capacités mises à jour, le porte-avions Charles de Gaulle a retrouvé son rôle de navire amiral de la Marine nationale.
La mission Clemenceau contribuait à trois objectifs concomitants. Il s’agissait d’une part et comme évoqué plus tôt, d’acter la remontée en puissance du Charles de Gaulle, ce bâtiment constituant toujours l’unique porte-avions n’employant pas d’avions à atterrissage vertical d’Europe, mais aussi, d’autre part, de multiplier les exercices aux côtés de marines militaires alliées et partenaires. Enfin, la Task Force 473 aura directement contribué à l’action de la France au Levant en participant à l’opération Chammal, son groupe aérien embarqué (GAE) représentant 25 aéronefs, dont 20 Rafale Marine prenant part aux opérations aéronavales françaises dans la région, encore une fois aux côtés de marines alliées et avec le soutien de la frégate antiaérienne danoise Niels Juel.
Dans l’ensemble, la mission Clemenceau aura été placée sous le signe de la diplomatie navale en assurant, à travers diverses missions, la promotion et la sauvegarde des intérêts français via le déploiement des bâtiments de la Task Force 473. La participation de bâtiments militaires européens à cette mission, en ce sens, peut être interprétée comme une démonstration de l’attachement de la France au multilatéralisme. De la même façon, les exercices Varuna et La Pérouse de mai 2019 aux côtés des marines indienne, australienne, japonaise et états-unienne ont permis, tout en contribuant à l’amélioration des capacités opérationnelles françaises, de mettre en scène les bonnes relations qu’entretient Paris avec une série de puissances de l’Indopacifique.
La diplomatie navale française est une déclaration : elle repose sur une démonstration de force censée illustrer l’attachement de l’État français à certains principes internationaux incontournables et en l’occurrence au droit de la mer, tel qu’encadré par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (CNUDM ou UNCLOS) à laquelle adhèrent 150 pays à ce jour. De nombreux États considèrent aujourd’hui les actions entreprises par Pékin en mer de Chine comme une violation directe du droit de la mer, la construction d’îlots artificiels devant conduire la Chine à revendiquer in fine une souveraineté exclusive sur de larges espaces maritimes dans l’Indopacifique. En ce sens, la mission Clemenceau, dans sa dimension pacifique, s’inscrit dans une opposition directe à la politique du fait accompli, le déploiement du porte-avions Charles de Gaulle, navire amiral de la Marine nationale, attestant du sérieux de la position française sur le sujet. Par ailleurs, la présence française dans l’Indopacifique n’est pas seulement liée à des considérations internationales : dans le sillage de l’essor dans la région de nouvelles puissances navales, la France doit assurer la sécurité de ses territoires ultramarins et des zones économiques exclusives (ZEE) qui en dépendent.
Entre autres illustrations de cet état de fait, la participation de la ministre des Armées, Florence Parly, au Shangri-La Dialogue (SLD) en parallèle d’une escale du Charles de Gaulle à Singapour, témoigne bien de la façon dont un outil militaire peut appuyer, par sa seule présence, une action diplomatique plus conventionnelle. La mission Clemenceau, en ce sens, illustre l’intérêt croissant de la France pour l’Indopacifique, un espace maritime représentant une part conséquente des échanges commerciaux mondiaux où se jouerait, à travers la réémergence de la Chine et la multiplication des tensions internationales, le destin du monde. La France s’oriente ainsi vers un approfondissement de ses relations avec l’Inde, l’Australie et les États-Unis, mais aussi avec le renforcement de sa coopération avec le Vietnam et le Japon, dans l’objectif de contenir l’émergence d’une Chine bleue convaincue de la nécessité de s’imposer sur les mers. La France entretient d’ores et déjà avec deux de ces acteurs une relation privilégiée : avec l’Inde à laquelle elle fournit des Rafale et surtout avec l’Australie, qui s’équipera à l’avenir de Barracuda, un modèle de sous-marins d’attaque comparables aux futurs Suffren français, mais disposant d’une propulsion conventionnelle.
Important succès pour la diplomatie navale française, la mission Clemenceau aura vu le déploiement d’une demi-douzaine de bâtiments et de plus d’un millier de personnels militaires français pour quatre mois. Pour autant, ce succès ne peut totalement occulter les limites de la stratégie de défense française dans l’Indopacifique où les effectifs et les moyens français d’être réduits malgré de récents efforts. Pour être viabilisée, la présence française dans l’Indopacifique devra nécessairement s’appuyer sur le déploiement renouvelé de forces permanentes, un effort que la France ne pourra consentir sans revoir au préalable à la hausse ses dépenses militaires pour pouvoir se doter, in fine, de nouveaux bâtiments, de nouveaux systèmes, mais aussi de nouveaux équipages.
Pascal Boniface, directeur de l’IRIS, évoque le débat autour de la parade militaire du 14 juillet.
Pourquoi l’Iran a-t-il décidé de violer l’accord sur le nucléaire iranien ?
La stratégie iranienne vis-à-vis de l’accord sur le nucléaire iranien a changé depuis que les États-Unis se sont retirés de l’accord, en mai 2018. Malgré les sanctions économiques réimposées par Washington, Téhéran a continué à respecter l’accord durant un an, tout en continuant à demander de l’aide aux Européens pour contourner les sanctions. Sans réponse de leur part, l’Iran, dans une crise économique profonde, a donc mis en place un nouveau rapport de force même si la situation ne lui est pas très favorable. L’objectif de cette posture plus agressive est double : montrer aux États-Unis que leur politique a un coût et que la passivité de l’UE ne peut plus durer.
Les Européens peuvent-ils encore réagir ?
L’Iran est l’un des seuls pays à avoir respecté l’accord depuis le début et les Européens en sont conscients. Ils doivent donc prendre les mesures nécessaires vis-à-vis des Américains car l’Iran n’attend pas que des paroles, mais aussi des actes. Les Européens, en particulier l’Allemagne et la France, sont au pied du mur et ont un rôle-clé à jouer.
Qui soutient l’Iran aujourd’hui ?
Contrairement au discours narratif des États-Unis, l’Iran est beaucoup moins isolé qu’il y a quarante ans même si ses alliances ont changé. Aujourd’hui, Téhéran peut compter sur l’Irak, le régime de Damas, le Qatar, le Pakistan, l’Inde, ou encore son allié traditionnel chinois, seul pays à lui acheter du pétrole. L’Iran a gagné en crédibilité car il a montré qu’il respectait le droit international, contrairement aux États-Unis.
Combien de temps l’Iran peut-il tenir si les sanctions économiques restent les mêmes ?
L’Iran, qui possède près de 100 milliards de dollars de réserves, va essayer de « tenir » jusqu’aux prochaines élections présidentielles américaines. Aujourd’hui, la seule chose qui pourrait faire bouger les choses, c’est que les États-Unis annoncent officiellement une levée des sanctions tout en revenant dans l’accord. A part cela, les Iraniens ne vont pas céder. Il faudrait notamment que les Iraniens voient leurs exportations pétrolières, qui ont reculé de 2,3 millions barils par jour en 2017 à 400000 en juin 2019, se redresser.
Il semble peu probable que les États-Unis reviennent dans l’accord…
Oui. Donald Trump reste effectivement sur la même ligne et c’est très dangereux.
La posture de Donald Trump rappelle d’autres guerres comme celle d’Irak en 2003. Ces deux situations sont-elles comparables ?
Pas vraiment. Les Américains voulaient faire la guerre contre l’Irak après les attentats du 11 septembre, ce qui n’est pas le cas avec l’Iran aujourd’hui. En revanche, certains éléments dans l’entourage de Donald Trump sont particulièrement inquiétants. Le Conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton, qui a encouragé la guerre contre l’Irak en 2003, ne rêve par exemple que d’une attaque contre l’Iran. Le Secrétaire d’Etat Mike Pompeo, dont la logique anti-iranienne est absolue, adopte pour sa part une position très « va-en-guerre ». Lors d’une allocution au Congrès, il a d’ailleurs récemment affirmé que l’Iran était allié au groupe Al-Qaïda. Or, selon la loi américaine, il n’y a pas besoin d’autorisation du Congrès pour attaquer un groupe lié à cette organisation terroriste. La stratégie américaine est dangereuse. On commence à préparer la guerre et n’importe quel incident pourrait dégénérer.
Cette période dangereuse profite-t-elle aux radicaux en Iran ?
Oui. Les radicaux ont en plus en plus de pouvoir, en partie grâce à la stratégie américaine. Le président modéré Hassan Rohani a été élu sur la promesse de sortir son pays de la crise économique et nucléaire, notamment grâce à la négociation. Or, l’économie s’est effondrée et le taux d’inflation dépasse désormais les 40%. Les Etats-Unis ont « piétiné »a stratégie des modérés iraniens qui n’existent plus politiquement. En revanche, les radicaux, qui ont toujours mis en garde contre un piège américaine et qui se sont toujours opposés à la signature de l’accord, gagnent en popularité. Les faits leur ont malheureusement donné raison.
En quoi la Zlec est-elle innovante pour le continent africain ?
Il existe déjà huit zones de libre-échange interrégionales, dont certaines très avancées, comme en Afrique de l’Est ou en Afrique australe. Les gouvernements des pays africains ont travaillé jusqu’ici à une échelle territoriale limitée. L’innovation majeure réside dans la levée des droits de douane, qui va concerner une zone continentale immense s’étendant d’Alger au Cap [Afrique du Sud] et de Dakar [Sénégal] à Djibouti. La Zlec regroupe 54 des 55 pays de l’Union africaine – l’Érythrée étant le seul pays à ne pas y avoir adhéré.
Le projet n’est pas nouveau, il renvoie au panafricanisme des années 1960. Mais aujourd’hui, il est signé et cela marque déjà un grand pas. Il faut dire que la donne est nouvelle, car les économies africaines vont beaucoup mieux depuis l’année 2000, grâce à l’annulation de dettes massives de la part des bailleurs de fonds internationaux. De nombreux pays connaissent une croissance significative. Et il est plus facile d’engager des réformes lorsque l’on ne se trouve pas en situation de crise et d’endettement très élevé – même si la situation économique n’est pas satisfaisante sur tous les plans, notamment en matière de satisfaction des besoins essentiels des populations.
Qu’est-ce qui pourrait freiner ce grand projet d’intégration ?
Au-delà des problèmes techniques d’harmonisation des règles commerciales, il existe des tensions politiques. Par exemple, celles entre le Maroc et l’Algérie ont pour conséquence la fermeture de la frontière entre les deux pays, ce qui oblige à passer par l’Espagne pour les échanges commerciaux.
Les échanges pâtissent aussi de l’insécurité dans certaines régions comme le Sahel, en particulier entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, dans la région des Grands Lacs, ou encore dans un pays comme la Centrafrique, loin d’être sécurisé.
Le troisième grand défi est d’ordre logistique. Aujourd’hui, il coûte entre trois et six fois moins cher de faire venir un conteneur par la mer de Shanghai à Douala [Cameroun], que de transporter ce même conteneur sur la route entre Douala et N’Djamena [Tchad]. La plupart des infrastructures sont tournées vers l’exportation des marchandises en dehors du continent africain, c’est un héritage colonial. Il va donc falloir recentrer complétement les flux de marchandises à l’intérieur de l’Afrique.
Le défi est de taille car les infrastructures routières et ferroviaires sont défectueuses. À cela s’ajoute la persistance de pratiques anormales qui font encore augmenter les coûts de transport, comme des prélèvements d’argent inadéquats par des policiers ou des douaniers. L’intensification des échanges entre pays africains va devoir passer par ce qu’on appelle des corridors de développement.
La Zlec ne risque-t-elle pas de favoriser les économies les plus avancées au détriment des pays plus pauvres ?
En théorie, le libre-échange favorise tout le monde, mais quand les conditions de mobilité et de production ne sont pas égales, il y a des perdants. Les pays désavantagés sont les seize pays africains les plus enclavés car ils n’ont pas accès à la mer.
Nous avons eu le même problème en Europe, avec l’Irlande, le Portugal ou les pays de l’Est qui n’avaient pas le même niveau de développement que les Pays-Bas, l’Allemagne ou la France. C’est pourquoi nous avons mis en place le principe de solidarité qui permet de financer des infrastructures. Or cette question de la solidarité au sein de la Zlec n’est pas encore véritablement traitée.
Le 7 juillet, certains pays comme le Nigeria ont montré des réticences avant de finalement signer à la dernière minute ? Que craignent-ils ?
Le principe de la Zlec est de favoriser le « made in Africa ». Encore faut-il qu’on soit sûr que les produits échangés soient bien d’origine africaine… et c’est ce qui pose problème au Nigeria. Il faudra définir une « clause d’origine ». La règle tournera probablement autour d’un minimum de 50 % du produit issu de fabrication africaine.
Le Nigeria et l’Afrique du Sud, soit les deux plus grandes économies africaines parvenues à se construire une base industrielle, ne voudraient pas être menacés par des importations venant de pays voisins, mais dont le contenu est d’origine asiatique, brésilienne, turque ou européenne.
Lors du sommet de l’UA à Niamey, les chefs d’État africains se sont lancé le défi de réussir à créer cette Zlec, mais tout reste à faire. Au-delà de la belle photo prise dans l’enthousiasme d’un sommet, au-delà de ce volontarisme sympathique, il faudra ensuite passer à l’acte et manifester une volonté politique permettant de relever tous ces défis dans la durée. Il faudra 10 ans minimum. On le voit aujourd’hui avec la construction européenne, cela prend du temps. Plus de 60 ans après le traité de Rome, nous sommes loin d’avoir achevé complètement l’Union européenne.
Dimanche 7 juillet a marqué le début des mesures iraniennes allant à l’encontre de l’accord de Vienne, plus d’un an après la sortie des États-Unis de l’accord. Quelles conséquences sur les perspectives de négociations ? Éclairage par Thierry Coville, chercheur à l’IRIS.
L’Iran applique ses menaces de ne plus respecter certains termes de l’accord de Vienne depuis ce dimanche 7 juillet en enrichissant de l’uranium à plus de 3,67%. Que cherche à faire le régime d’Hassan Rohani en contrevenant à l’accord, alors que les tensions avec les États-Unis sont au plus haut ?
Téhéran a une stratégie mûrement réfléchie et préparée depuis un moment. Il faut rappeler que pendant un an, après la sortie des États-Unis de l’accord en mai 2018, l’Iran a continué à respecter l’accord sans réagir et en voyant les sanctions américaines détruire petit à petit son économie, ce que les Iraniens ont appelé eux-mêmes la politique de patience stratégique. Pendant cette période, ils ont demandé aux Européens d’intervenir pour contrer les sanctions américaines et faire en sorte que l’accord soit respecté de leur côté. Rappelons que l’accord visait côté iranien à une diminution du développement de leur programme nucléaire, en échange d’une levée des sanctions. Avec le rétablissement des sanctions américaines sur l’économie iranienne, l’accord n’était plus respecté et les Européens n’ont rien fait. Les Iraniens ont donc décidé de changer de stratégie.
Désormais, il s’agit effectivement de montrer que la politique américaine a un coût : les Américains ne respectant plus leur partie de l’accord, les Iraniens commencent à prendre des mesures graduelles pour laisser la chance à la négociation. Le message est clair : si les Iraniens obtiennent ce qu’ils cherchent, c’est-à-dire une levée des sanctions américaines et les vrais bénéfices économiques de l’accord, les mesures que prend le pays sont réversibles. Cette stratégie a également pour objectif de mettre la pression sur les Européens et leur signifier que leur passivité n’est pas tenable. Il faut qu’ils prennent parti pour sauver l’accord et le faire respecter, qu’ils remplissent leurs obligations liées à la signature de l’accord, et qu’ils prennent les dispositions pour développer leurs relations économiques avec l’Iran et contrer les sanctions américaines.
Un commentateur iranien a très bien résumé la stratégie iranienne en disant que le régime dans son ensemble a considéré qu’en respectant l’accord et en voyant les sanctions américaines détruire complètement l’économie iranienne, il a eu le sentiment que c’était un jeu perdant-gagnant, perdant du côté iranien, gagnant du côté américain. L’idée est maintenant de transformer les rapports de force pour que ce soit ou gagnant-gagnant (les Européens et pourquoi pas les Américains réalisent que cette stratégie ne mène à rien et qu’il faut lever les sanctions américaines) ou une stratégie perdant-perdant (si l’Iran sort complètement de l’accord, tout le monde sera perdant).
Le président Macron s’est entretenu avec M. Rohani, tous deux souhaitant une désescalade des tensions. Les membres européens de l’accord ont-ils une marge de manœuvre diplomatique pour modérer la réaction iranienne ? La reprise des négociations est-elle envisageable ?
Du côté iranien, le message est clair, ils en ont eu assez des discussions, ils attendent des actes. Les exportations pétrolières de l’Iran se sont effondrées du fait des sanctions américaines et notamment de l’arrêt des achats de la part des entreprises européennes : elles sont passées d’à peu près 2,4 millions de barils par jour début 2018 à 400 000 barils par jour en juin 2019. Les Iraniens demandent que leurs exportations de pétrole reviennent au niveau d’avant les sanctions américaines, soit près de 2,4 millions barils par jour. Ils veulent avoir des relations économiques normales avec le reste du monde et avoir les bénéfices économiques de l’accord comme prévu.
L’Europe ne peut pas rester dans cette situation de passivité et de faiblesse quasiment affichée par rapport aux États-Unis, il en va de sa crédibilité. Il faut une véritable volonté politique, il faut accepter de s’engager, il faut que l’Europe respecte ses engagements vis-à-vis de cet accord. Il faut une volonté politique forte de le faire respecter, ce qui implique de montrer ouvertement son désaccord au lieu de simplement regretter les décisions américaines. Plusieurs stratégies sont possibles : ouvrir de véritables discussions avec les Russes et les Chinois pour voir ce qui est envisageable, voir si le mécanisme de troc INSTEX qui a été mis en place peut être développé, et demander aux États-Unis de diminuer leurs sanctions s’ils veulent des négociations avec l’Iran.
Quels sont les intérêts de la Chine et de la Russie dans ce dossier ? Quels sont leurs rapports à Téhéran ?
La Chine, la Russie, l’Europe et le gouvernement américain à l’époque d’Obama voyaient l’intérêt de signer cet accord, l’idée étant de limiter la prolifération nucléaire et d’avoir la garantie que le programme nucléaire iranien reste civil pour au moins 10-15 ans. Donc les gouvernements chinois et russe voyaient cet accord comme une très bonne base sur laquelle on pouvait envisager de discuter avec l’Iran tant sur la poursuite de cet accord, que sur d’autres sujets.
Les Russes ont relativement développé leur commerce avec l’Iran, mais c’est surtout la Chine qui est quasiment le seul pays qui continue à acheter du pétrole iranien. Des signataires de l’accord de 2015, ce sont les Chinois qui ont le plus respecté leurs engagements. De ce point de vue, on peut considérer la Chine et la Russie comme des alliés de l’Iran.
La Chine a des liens assez forts avec le régime depuis la révolution iranienne, qui s’expliquent par des liens historiques. Il y a en effet un intérêt stratégique pour le gouvernement chinois d’avoir un partenaire comme l’Iran qui peut fournir du gaz et du pétrole dont la Chine a fortement besoin ; c’est également un marché relativement important pour les entreprises chinoises. Dans ses rapports avec les États-Unis, Pékin marque son territoire en ayant un partenariat stratégique avec Téhéran.
Pour ce qui est des rapports entre Moscou et Téhéran, ils ont su nouer des partenariats stratégiques ponctuels comme sur la Syrie, pour des raisons qui leur sont propres. De plus, la Russie joue la carte de l’Iran dans ses rapports avec les États-Unis, un peu comme la Chine, c’est-à-dire que l’alliance avec l’Iran permet d’avoir une carte à jouer dans ses rapports de force avec Washington. L’Iran est également un pays important pour la Russie, car elle peut s’appuyer sur ce pays pour lutter contre l’extrémisme sunnite qui est un vrai danger pour la Russie.
Les partenariats stratégiques avec la Chine et de la Russie permettent à l’Iran d’avoir leur soutien dans la crise actuelle. La Chine et la Russie ont ainsi clairement énoncé qu’elles considéraient les mesures prises par l’Iran pour sortir de l’accord comme la résultante de celles des États-Unis en mai 2018 et de la réimposition des sanctions américaines.
Alors que Donald Trump s’apprête à gracier impunément des militaires américains condamnés pour crimes de guerre, les démocrates s’enlisent quant à eux dans une opposition stérile et old school.
Ne voulant pas admettre que la bataille autour du dossier russe est en grande partie perdue auprès de l’opinion, Nancy Pelosi, présidente de la Chambre des représentants, continue à s’y accrocher. Ce qui n’a pour résultat que de victimiser chaque jour un peu plus Trump aux yeux de ses sympathisants pour qui l’affaire a été classée avec le rapport Mueller.
Pelosi et consorts n’ont toujours pas compris que nous n’étions plus dans les années 80 et qu’avec la révolution Trump nous en étions malheureusement aujourd’hui arrivés à l’âge de la politique des excès, âge où tous les coups sont permis.
Âgée de 79 ans, Nancy Pelosi n’a pas non plus perçu les changements psychologiques majeurs qui se sont opérés dans la mentalité américaine depuis la crise financière de 2008 et la montée des populismes dont Trump est le plus évident des symptômes. Elle se refuse donc à lâcher un peu de lest sur le dossier russe et à frapper en dessous de la ceinture, là où ça fait vraiment mal. C’est à dire en ce qui concerne Trump, les femmes et la santé mentale.
C’est bien connu, Donald Trump n’appréciait guère feu John McCain, ancien sénateur républicain et héros américain de la guerre du Vietnam. « Je n’ai jamais été un grand fan de John McCain et je ne le serai jamais », avait notamment déclaré le président américain. Et le mépris était réciproque. Avant de mourir d’un cancer au cerveau en août 2018, McCain avait demandé à ce que Trump n’assiste pas à ses obsèques.
Dix mois après son décès, la haine du président américain envers l’ancien sénateur ne s’est visiblement pas atténuée. Quelques jours avant la visite de Donald Trump au Japon, qui s’est tenue du 25 au 28 mai, la Maison Blanche a demandé à ce qu’un navire américain baptisé John-McCain ne puisse pas être vu par Donald Trump.
« L’USS John-McCain ne doit pas être à portée de vue », a ordonné avant la visite présidentielle un haut responsable militaire américain dans un email officiel.
De leur côté, et afin d’éviter le moindre risque, les membres de l’équipage, qui portent généralement des casquettes où est inscrit le nom de McCain, ont eu droit à un jour de congé lors de la visite de Donald Trump.
On est ici en plein délire ! Après que la chose a été rendue publique, Donald Trump a dit ne pas être au courant. Possible, mais cela ne change rien au fait qu’il est évident que de telles précautions n’auraient jamais été prises pour un homme totalement sain d’esprit ! Rien que cela justifierait de la part des démocrates une demande d’investigation sur la santé mentale du président.
Et que dire du fait que Trump ait récemment soutenu à plusieurs reprises et sans raison que son père était né en Allemagne, alors qu’il sait très bien ainsi que tout le monde que Fred Trump est né à New York en 1905 ! C’est son grand-père Frederick Trump qui est né en Bavière en 1869 et qui a émigré aux États-Unis en 1885…
Même s’il ne s’agissait pas ici d’un symptôme de sénilité précoce mais, ainsi que le prétendent les défenseurs du président américain, uniquement d’une bravade supplémentaire, cette « anecdote », parmi des dizaines d’autres similaires, ne serait-elle pas en elle-même une preuve de troubles de plus en plus manifestes ? Ne justifierait-elle pas elle aussi une investigation ? Le premier PDG venu sujet à un tel comportement aurait déjà été remplacé et envoyé en maison de repos avec la bénédiction de son conseil d’administration !
Mais non, pour Madame Pelosi, il ne serait pas élégant d’aller sur ce terrain. Encore moins de murmurer le mot impeachment. Le dossier russe, vous dis-je ! Le dossier russe ! …
Résultat et suprême ironie, le Donald qui lui ne s’embarrasse pas de ce genre de principes et a bien compris les goûts de l’époque, vient de twitter une vidéo dénonçant la sénilité de Pelosi !
Vidéo qui s’est avérée être truquée, mais peu importe, le mal a été fait et il sera maintenant difficile aux démocrates d’attaquer sur le même terrain…
Quant à l’élection présidentielle de 2020, elle est loin de s’annoncer sous les meilleurs auspices pour le parti de l’âne qui malgré un sursaut prévisible et au final assez modeste aux élections de midterm de l’automne dernier peine à reconnecter avec l’opinion et à motiver les milieux populaires.
Comme la plupart des partis qui se disent de gauche ou se veulent progressistes, le parti démocrate américain est incapable depuis plus d’une génération de mettre en place, ou même de proposer, les vraies réformes économiques et sociales nécessaires. Cela essentiellement par peur de déplaire à ses donateurs milliardaires ainsi qu’à l’électorat centriste, mais aussi tout simplement par manque de vision et de conviction. Résultat, la gauche américaine, comme la plupart des gauches occidentales, a abandonné la lutte pour les plus démunis au profit d’une démagogie souvent écœurante et de réformes sociétales qui ne répondent pas toujours aux attentes de la population. Loin s’en faut.
« Ce n’est pas en débaptisant Columbus Circle ou en finançant la construction d’un monument hommage aux transgenres que de Blasio aidera à la lutte contre l’inégalité dans une ville où l’espérance de vie n’est pas la même d’un quartier à l’autre ! », s’insurgeait il y a quelques jours mon voisin de palier à Brooklyn, un ancien prof de lycée à la retraite, après la nouvelle annonce gadget du maire de New York.
Bref, la stratégie de l’establishment démocrate pour 2020 se résume pour l’instant en deux mots : Joe Biden.
La machine à perdre est lancée.
En effet, Joe Biden, aimable vice-président de Barack Obama, aurait sans doute eu ses chances en 2016 s’il avait alors décidé de se présenter et non de laisser le champ libre à Hillary Clinton. Au contraire de cette dernière, il aurait pu mobiliser plus d’électeurs démocrates dans les États clés et donc battre Donald Trump. Mais le paysage politique d’aujourd’hui n’est absolument plus le même.
Alors que la vague de dégagisme en Occident bat toujours son plein, personne ne semble plus anachronique et éloigné des réalités du moment que Biden dont le programme paraît avoir été concocté dans les années qui ont suivi la mort d’Elvis. Sans parler de son côté indubitablement establishment.
Si ce dernier remporte la nomination démocrate et affronte Donald Trump en novembre de l’année prochaine, il est fort probable que le milliardaire new-yorkais rempile pour quatre ans.
Au contraire de ce qu’ont pu dire plusieurs commentateurs, seul un candidat très engagé dans le social et « hors système » comme Bernie Sanders pourrait prendre des voix sur l’électorat populaire de Trump, rallier une importante partie de la jeunesse et des communautés afro-américaine et hispanique et créer une dynamique au-delà des démocrates en faisant se déplacer pour voter un grand nombre de ceux qui ont l’habitude de rester chez eux.
Quant aux républicains modérés qui auraient pu voter Biden, soit dans ce cas ils s’abstiendraient, soit ils reporteraient leur voix sur Sanders, leur allergie à Trump étant viscérale.
Il serait ironique que ce soit la présidence Trump qui ouvre pour la première fois les portes de la Maison Blanche à un « socialiste ». Malheureusement cela n’arrivera sans doute pas. Bernie Sanders à deux handicaps : son âge, 79 ans au moment de l’élection – mais bon, après tout Joe Biden aura 77 ans et Donald Trump 74 -, et surtout la détestation que lui porte la direction démocrate, Nancy Pelosi en tête. Celle- ci fera tout pour qu’il n’obtienne jamais la nomination.
Conclusion : le plus probable à l’heure actuelle est donc que Joe Biden – ou un de ses nombreux clones parmi la vingtaine de candidats démocrates – soit nominé par le parti puis battu par Trump. Les rares choses qui pourraient empêcher cette défaite, seraient que le président milliardaire soit sérieusement empêtré dans quelque affaire judiciaire et surtout que les démocrates se décident enfin à « la guerre à outrance » afin de le démolir auprès de son électorat. C’est peut-être sale mais n’en déplaise à Nancy Pelosi, le jeu en vaut la chandelle. Car ne nous voilons pas la face, si le Donald est réélu l’Amérique ne s’en relèvera jamais complètement.
En attendant, le parti de l’âne n’a jamais aussi bien porté son nickname.
Le conflit syrien s’éternise, la province d’Idlib conserve une poche de rebelles ciblée par le régime de Bachar al-Assad et ses alliés, de nouvelles frappes israéliennes ont touché la Syrie ces derniers jours. Guerre internationalisée depuis des années, peut-on entrapercevoir la fin du conflit malgré les luttes d’influence entre puissances qui persistent ? Éclairage par Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.
La province d’Idlib, dernier bastion de rebelles, est bombardée depuis un mois par le régime syrien appuyé par la Russie. La guerre touche-t-elle à sa fin ?
Il faut rester prudent, mais c’est effectivement la dernière région dans laquelle se trouve une concentration de groupes rebelles, notamment djihadistes, puisqu’après leurs défaites successives à Alep fin 2016, puis à la Ghouta dans la banlieue de Damas, à Rostan, à Deraa dans le Sud et enfin à Deir ez-Zor dans l’Est de la Syrie, toutes les dernières zones d’implantation des rebelles djihadistes ont été reconquises graduellement. Le réel point de bascule se produit au cours de l’automne 2015 : à ce moment le régime syrien, assailli de toute part et sur la défensive, reçut une aide massive de la part de la Russie et de l’Iran, ce qui lui permit une reconquête méthodique des territoires perdus.
La dernière concentration de forces hostiles à Bachar al-Assad se trouve donc aujourd’hui dans la région d’Idlib. Néanmoins, la situation demeure complexe, à la fois pour des raisons militaires et pour des raisons politiques. Ainsi, la reprise d’Idlib ne sera pas une promenade de santé pour les forces restées loyales à Bachar al-Assad, aidées par leurs alliés russes et iraniens, car justement il y a une concentration de forces rebelles, composées d’une kyrielle de groupes plus ou moins importants et pour certains opposés. La principale composante est Hayat Tahrir al Cham, forte de 15 à 30 000 combattants organisés, disciplinés, hiérarchisés et qui veulent en découdre avec le régime. Les autres groupes présents sont notamment des membres du Parti islamique du Turkistan, composé de combattants ouïghours terriblement efficaces, qui ont une pratique assez systématique des attentats à la bombe humaine, et des membres du Front national de libération, fusion de groupes de rebelles parrainés par la Turquie. On estime qu’il y a environ 50 000 rebelles au total.
La Russie et la Turquie sont toujours mobilisées sur le terrain syrien. Quel est leur positionnement ? Leurs intérêts ont-ils évolué ?
Depuis déjà de nombreux mois, les Russes, les Iraniens et bien sûr le régime syrien veulent attaquer Idlib et en finir une fois pour toutes avec les rebelles. Or, la Turquie est beaucoup plus réticente. Sa première inquiétude réside dans le fait que l’amplification des combats dans cette région frontalière entraînerait une nouvelle vague de réfugiés. Nous savons qu’il y a déjà 3,5 millions réfugiés syriens en Turquie dont le nombre augmenterait probablement potentiellement de plusieurs centaines de milliers de réfugiés supplémentaires s’il y a une véritable offensive massive contre Idlib.
Ankara tente donc depuis plusieurs mois de trouver une forme de compromis qui s’était d’ailleurs illustré par l’accord de Sotchi au mois de septembre dernier avec la Russie. Il consistait à mandater la Turquie pour qu’elle tente de procéder au désarmement (pour ce qui concerne tout du moins l’armement lourd), qu’elle obtienne l’arrêt des combats, qu’elle implante des postes d’observation pour maintenir une forme de cessez-le-feu et qu’elle parvienne enfin à instaurer une bande de sécurité à la frontière turco-syrienne, dans la région d’Idlib, d’une quinzaine de kilomètres de profondeur. Or, la Turquie n’est pas parvenue à mettre en œuvre cet accord, puisque depuis la fin janvier 2019, ce sont les groupes de Hayat Tahrir al Cham qui ont repris l’initiative des combats et qui dans les faits contrôlent désormais la quasi-totalité toute la région. La Turquie se trouve ainsi aujourd’hui dans une position de relatif échec ce qui explique une marge de manœuvre réduite. À présent, elle semble rechercher une forme d’accord avec la Russie, voire avec l’Iran, qui consisterait à accepter l’offensive russo-iranienne sur Idlib, en échange d’une liberté de manœuvre pour mener son combat contre les Kurdes du Parti de l’union démocratique (PYD), liés au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
C’est, entre autres, au vu de ces divergences politiques que les opérations militaires sont en réalité malaisées à mettre en œuvre. Les forces politico-militaires influentes sur le terrain ont des divergences entre elles et essaient de négocier ce qui leur semble le plus intéressant pour leurs propres intérêts nationaux. C’est pourquoi la fin de la guerre ne se conclura pas en quelques jours ou semaines, et si on devait assister aux derniers combats de la guerre civile, pour autant l’hypothétique éradication des groupes djihadistes est loin d’être achevée.
Facteur aggravant, persiste un autre dossier qui rentre en ligne de compte et qui n’est pas réglé : l’achat par les Turcs du système antimissile russe S-400, induisant des tractations qui ont lieu depuis des années. Or, la Turquie faisant partie de l’OTAN est soumise à de fortes pressions de cette dernière, tout particulièrement des États-Unis, qui voudraient l’empêcher d’acheter ces systèmes d’armement défensif à la Russie. En effet, cela signifierait qu’une partie des systèmes militaires de l’OTAN seraient accessibles aux Russes, les rendant alors partiellement inefficaces. Il y a donc de fortes pressions qui s’exercent à l’encontre de la Turquie, à la fois de la part de l’OTAN et de la Russie qui pour sa part veut absolument concrétiser cette commande militaire considérant qu’elle pourrait contribuer à affaiblir l’OTAN. Ce dossier, évidemment étranger aux enjeux proprement syriens, n’en constitue pas moins un élément de tractations entre Moscou et Ankara, la Russie étant obligée de prendre en compte les exigences turques quant à la situation à Idlib si elle veut conclure la vente définitive de ses S-400.
La présence de l’Iran en Syrie inquiète Israël et les États-Unis. Peut-on craindre des répercussions de l’escalade des tensions sur le territoire syrien entre ces différents acteurs, notamment dans le Golan ?
Il faut rappeler qu’il y a une importante présence de milices chiites liées à l’Iran sur le sol syrien et, bien sûr, le Hezbollah organisation dont on sait la proximité avec l’Iran. Cela préoccupe les Israéliens et permet de comprendre que plusieurs centaines de frappes israéliennes contre des positions tenues par des milices chiites ont été opérées. Plusieurs convois qui provenaient d’Iran – selon les Israéliens – et passaient par la Syrie pour acheminer du matériel militaire vers le Hezbollah ont notamment été pris pour cible et ont été détruits au cours des dernières années. C’est donc un sujet de tensions récurrent qui perdure, et qui s’est à nouveau décliné dans la nuit du 3 juin avec des frappes contre des positions de milices chiites à plusieurs endroits du territoire syrien (région de Damas, sud de la Syrie, et région de Homs, dans le centre). Les Israéliens prétendent que ces dernières frappes ont été effectuées en riposte à des tirs opérés sur le Golan, qui est occupé par les Israéliens. C’est éventuellement probable, mais cela indique surtout qu’il y a un bras de fer permanent et récurrent entre Israël et l’Iran, Tel-Aviv s’opposant radicalement à toute tentative d’implantation durable des Iraniens ou milices chiites liées à Téhéran sur le territoire syrien.
Téhéran, soutien indéfectible du régime de Bachar al-Assad, cherche pour sa part à pérenniser sa présence militaire en Syrie. L’Iran a perdu beaucoup d’hommes dans les combats en défense du régime, a dépensé beaucoup d’argent pour le soutenir et voudrait être payé en retour de ses efforts. Le but de Téhéran est donc de maintenir une implantation permanente en Syrie, axe stratégique entre l’Iran et le Liban, notamment le Hezbollah. Ce bras de fer entre Israël et l’Iran rentre en écho avec l’opposition plus générale entre l’Iran d’une part et Israël, certaines monarchies arabes du Golfe et les États-Unis. Une fois de plus, le théâtre syrien se retrouve ainsi l’otage de conflits beaucoup plus larges, à Idlib où il y a un jeu des puissances régionales à l’œuvre comme nous l’avons vu, mais aussi dans ce combat entre Israéliens et forces liées à l’Iran. L’instrumentalisation de la Syrie est une réalité qui perdure depuis maintenant 2011.
D’autant qu’il faut prendre également en compte aujourd’hui les désaccords entre Moscou et Téhéran, pourtant tous deux membres du groupe d’Astana. Les Russes cherchent en effet désormais une véritable solution de compromis politique : considérant qu’ils ont gagné la guerre, il leur semble essentiel de passer à la séquence de reconstruction politique et économique du pays. Or les Iraniens pour leur part restent un soutien indéfectible à l’égard du régime, ce qui n’est pas le cas des Russes. Des divergences existent donc quant aux positions respectives à l’égard du régime de Bachar al-Assad.
Une fois de plus la bataille de la paix est plus difficile à gagner que la guerre. C’est bien maintenant l’enjeu qui doit se poser dans les semaines, les mois, voire les années à venir.