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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 1 month 1 week ago

Qui veut la mort de l’ONU ?

Tue, 20/11/2018 - 09:59

Je reproduis ci-dessous la préface que j’ai eu le plaisir de rédiger pour l’ouvrage « Qui veut la mort de l’ONU : du Rwanda à la Syrie, histoire d’un sabotage », coécrit par Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert et paru aux éditions Eyrolles.

L’ONU est-elle à ce point en danger ? On peut le penser à la lecture du titre que Romuald Sciora et Anne-Cécile Robert ont choisi à l’ouvrage qu’ils consacrent à l’Organisation internationale : Qui veut la mort de l’ONU ?

En effet, quels sont ceux qui pourraient souhaiter la disparition de l’Organisation à vocation universelle créée en 1945 pour ce que la Société des Nations n’avait pas su faire : éviter une guerre mondiale ? Certes, on peut se demander si c’est l’Organisation des Nations unies qui y est parvenue, alors que le monde n’avait jamais été autant idéologiquement divisé et surarmé, ou si ce fut l’effet du système d’alliances et de la dissuasion nucléaire. Toujours est-il que le pire a été évité. C’est la thèse du verre à moitié vide ou à moitié plein. Les pessimistes diront que l’ONU n’a pas réussi à établir un véritable système de sécurité collective, quand les optimistes expliqueront qu’elle a permis de limiter les affrontements et a offert un cadre de contact permanent.

Si l’ONU est contestée, elle a tout de même connu d’indéniables succès : la décolonisation et le démantèlement de l’apartheid n’en sont pas des moindres. Mais, surtout, elle fluidifie la vie internationale par les multiples contacts qu’elle permet. La prévention est souvent invisible alors qu’un échec est toujours spectaculaire.

R. Sciora et A-C Robert écrivent qu’Antonio Guterres est le Secrétaire général de la dernière chance. Risque-t-il de mettre la clé sous la porte ? Non. Mais, il faut reconnaître que l’ONU, qui a traversé de nombreuses crises, est aujourd’hui confrontée à un défi de grande ampleur. On peut tout simplement se demander si le pays fondateur – et largement inspirateur –, pays le plus puissant du monde, où l’organisation a son siège, ne remet pas en cause la pertinence et l’utilité mêmes de l’organisation. Il y a un réel danger. Les États-Unis se sont retirés de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO), font peu de cas de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), attaquent et menacent la Cour pénale internationale (CPI) et ne tiennent pas compte de l’expertise et des contrôles de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en Iran. De plus, ils tournent délibérément en dérision les résolutions prises par l’ONU, notamment lorsqu’elles concernent le conflit israélo-palestinien. On peut même se demander si l’actuel président américain aurait accepté, avec ou sans droit de véto, de rentrer dans une organisation qui, sans être (au moins pour les membres permanents) supranationale, est quand même le temple du droit international et du multilatéralisme.

Le multilatéralisme est en crise et l’organisation universelle en est obligatoirement impactée. Ainsi, le travail sérieux et argumenté de réhabilitation de l’Organisation mondiale auquel se livrent les auteurs est bienvenu. R. Sciora et A-C. Robert ne sont pas pour autant onu-béats. Ils sont tout à fait conscients des limites de l’organisation, ainsi que de ses occasions manquées. Qu’elle n’ait pas été capable de mettre en œuvre un véritable système de sécurité internationale du fait de la division de la guerre froide est déjà bien documenté. Les auteurs insistent sur l’espace inédit et prometteur de réforme qui s’est ouvert en 1991 sans avoir abouti. Ils soulignent également, à juste titre, que l’ONU et son système ont raté le coche de la crise de 2008, qu’ils ont été incapables de prévoir et juguler. Ils ne font pas l’impasse sur l’autoconcurrence dont le système onusien est capable (FAO et PAM, OMS et ONUSida), pas plus que sur les catastrophiques échecs au Rwanda et à Srebrenica, l’épisode peu glorieux de « Pétrole contre nourriture » en Irak ou les crimes dont les Casques bleus sont régulièrement accusés. C’est logiquement qu’ils soulignent enfin avec force que l’avenir de l’ONU est un enjeu civilisationnel. Un cadre juridique imparfait est toujours préférable à son absence totale. Le fait que le droit soit parfois violé est quand même mieux que l’anarchie internationale, sauf la loi inique du plus fort.

Il est deux façons de critiquer l’ONU : pour l’affaiblir, en niant le principe d’une vie internationale régulée par le droit et le multilatéralisme ; pour combattre ses lacunes et en améliorer le système. On lira avec intérêt les propositions réfléchies de réforme de l’ONU que suggèrent R. Sciora et A-C. Robert, pour justement les rendre plus efficientes, qu’il s’agisse de renforcer la représentativité du Conseil de sécurité de l’ONU, les moyens militaires propres à l’organisation ou l’autonomie de son financement.

La vraie question est de savoir si le monde se porterait mieux sans l’ONU. À l’évidence, non. Ainsi, à l’instar de ce que Winston Churchill disait de la démocratie, on pourra dire que l’ONU – et le système multilatéral qu’elle incarne – est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres.

 

Mexique : quel programme pour AMLO ?

Mon, 19/11/2018 - 18:35

Début juillet, Andres Manuel Lopez Obrador (AMLO) a provoqué un tsunami électoral au Mexique en remportant les élections présidentielles avec 53 % des suffrages. Son Mouvement de régénération nationale (Morena) a aussi décroché une majorité absolue au Congrès. Cette victoire écrasante marque un virage à gauche inédit depuis trois décennies. Ce sexagénaire à la fibre sociale représente une « gauche nationaliste » qui prône un État interventionniste et redistributeur des richesses. Son projet prévoit de combattre les inégalités criantes provoquées par les politiques néolibérales instaurées depuis trente ans par ses prédécesseurs. Sa prise de fonction ayant lieu le 1er décembre, AMLO pourra-t-il déployer son programme politique ? Comment entend-il se positionner sur les scènes régionale et internationale ? Le point de vue de Christophe Ventura, directeur de recherche à l’IRIS.

Qu’est-ce que la « 4e transformation » du Mexique proposée par AMLO et son mouvement politico-social Morena (Mouvement de régénération nationale) ?

La « quatrième transformation » proposée par AMLO est un projet global pour la société mexicaine, que l’on peut qualifier de refondateur et d’émancipateur de la nation et de l’État mexicains. Sous ce terme qui peut apparaître quelque peu impressionniste vu de France se cache en réalité une théorie élaborée qui inscrit l’action et le projet du sextennat qui s’ouvre dans l’histoire longue de la vie politique mexicaine

Les « quatre transformations » renvoient ainsi à plusieurs moments historiques qu’a choisis AMLO pour identifier, définir, conduire et légitimer son action. Il s’agit tout d’abord de l’indépendance du Mexique envers la couronne espagnole au 19e siècle (1810-1821). Ensuite, nous parlons du mandat du président Francisco Ignacio Madero, qui a été fondamental dans l’histoire mexicaine. Une expérience à la fois inachevée et controversée. En effet, Madero, suite à la dictature de Porfirio Diaz, a initié la révolution mexicaine en 1910 en mettant en place les premiers fondements de la démocratie républicaine, qui n’a, cependant, pas été au bout de son histoire. Certes Madero a amorcé la modernisation du pays, mais il est également associé à la discorde des révolutionnaires mexicains et à l’assassinat d’Emiliano Zapata. Lui aussi terminera assassiné. Le « troisième moment » est incarné par Lazaro Cardenas (au pouvoir de 1934 à 1940), autre président progressiste de l’histoire du Mexique au 20e siècle. Il a mis en place et représenté un gouvernement de gauche, modernisateur et keynésien. Cardenas a consolidé et affirmé l’État mexicain en développant les infrastructures, l’éducation publique, etc. Il a également contribué au rayonnement international de son pays (Guerre d’Espagne, etc.). AMLO s’inspire également de Lazaro Cardenas pour développer ce « quatrième moment », cette « quatrième transformation ». Le président mexicain récemment élu veut donc réaliser les promesses de la république originelle du Mexique, celle qui est arrivée grâce à la révolution mexicaine.

C’est donc, dans la théorie, un projet de modernisation du pays, de refondation de l’État, d’assainissement et de reconstruction d’un tissu institutionnel qui puisse permettre la mise place de politiques visant à rééquilibrer la société en faveur des plus modestes. Dans le contexte mexicain, pays aux multiples fractures et en état de décomposition institutionnelle avancée, c’est un projet de grande ampleur.

Pauvreté, inégalités, corruption systémique organisée largement depuis l’État lui-même, relations compliquées avec les États-Unis… quelles seront les priorités du nouveau président mexicain ? Pourra-t-il notamment mettre en place le contrat social sur lequel il s’est engagé ?

La victoire d’AMLO est une victoire historique. En effet, ce succès électoral correspond à une vague démocratique d’ampleur au Mexique, puisqu’il a été porté au pouvoir dans des dimensions inédites. Il dispose de tous les pouvoirs politiques, dont les pouvoirs exécutifs et législatifs. Toutefois, AMLO gouvernera un pays où les contraintes, limites et autres freins seront nombreux et résistants. Le Mexique est actuellement doté d’un État vulnérable, en voie de décomposition, et confronté au crime organisé, au narcotrafic, etc. Les porosités entre l’État et ces univers sont nombreuses et à tous les étages.

Néanmoins, les premiers signaux sont importants pour décrypter son positionnement et sa vision. Il est important de rappeler qu’AMLO n’est pas encore au pouvoir, mais président élu. Il prendra ses fonctions le 1er décembre 2018. AMLO a envoyé deux signaux importants. Le premier au secteur privé, qui jouit actuellement de tous les privilèges sans contraintes. AMLO a ainsi confirmé l’arrêt du méga-chantier de l’aéroport de Mexico, sur la base d’une consultation populaire qui n’a pas souhaité mener ce chantier à terme. Il a voulu indiquer que désormais au Mexique, la souveraineté populaire et l’État décident. Ceci est inhabituel dans le pays. De plus, ce chantier promettait, comme souvent, une forte corruption. Le président nouvellement élu souhaite donc remettre de l’ordre au sein même de l’appareil étatique, mais aussi au niveau des relations publiques-privées, en révisant les contrats et leurs conditions.

Le second signal, envoyé cette fois-ci quelques jours plus tard par le groupe Morena (formation politique du président) au Sénat, est l’étude d’une réduction des commissions bancaires pratiquées par les banques pour les services financiers qu’elles proposent à leurs clients. Cela vise à dire que « l’État sera désormais attentif à vos activités ».

L’affaire est très symbolique. Il s’agit de montrer que la finance et les acteurs économiques ne sont plus au-dessus de l’État. C’est tout à fait inédit au Mexique, et assez rare dans le monde pour y être attentif. Ce positionnement a provoqué la panique et les craintes du secteur bancaire – relayées par les agences de notation américaines Moody’s ou Fitch – qui n’a pas accepté le principe même du retour de l’État dans le rapport avec les banques. AMLO a dû intervenir pour dire que le cadre des régulations commerciales et financières au Mexique ne serait pas modifié durant les trois prochaines années. Mais c’est aussi implicitement une manière de faire savoir que cela pourrait être le cas dans la seconde moitié de son mandat.

AMLO veut ainsi remettre les institutions étatiques en place et en état, afin d’être en mesure de rejouer un rôle dans la régulation et le contrôle de l’économie, notamment des excès du secteur bancaire. Il veut également accompagner ces mesures d’un important développement de politiques publiques et d’incitations du secteur privé à développer des activités qui soient favorables à la population, et en particulier aux couches les plus modestes qu’il souhaite élever dans la société avec plusieurs projets visant à créer des emplois, à renforcer le marché du travail, à promouvoir les droits sociaux et économiques, etc.

AMLO a annoncé avoir invité tous les chefs d’État américains (de Donald Trump à Nicolas Maduro, en passant par Jair Bolsanoro) pour son investiture le 1er décembre prochain. Qu’est-ce que cela traduit de la volonté du nouveau président mexicain ? Quel positionnement souhaite-t-il donner à son pays sur la scène régionale, voire internationale ?

De fait, on assiste à un repositionnement fort du Mexique dans la géopolitique régionale, par le biais d’initiatives relativement douces. AMLO a juste invité tous les présidents américains à sa prise de fonction, ce qui est, somme toute, une action assez banale pour un chef d’État. Cependant, dans le contexte actuel, ce geste a une symbolique spécifique. AMLO souhaite donc entretenir des relations avec tout le monde. Il veut respecter chaque pays environnant, tout en étant respecté de son côté. Il refuse de s’ingérer dans les affaires intérieures des pays de la région. Et la réciproque est qu’il considère qu’aucun pays ne devra s’ingérer dans les affaires du Mexique. C’est également un message indirect envoyé au voisin du nord.

Quant à M. Maduro et au défi vénézuélien, AMLO ne fait pas de surenchère. En l’invitant, il reconnait la légitimité de Nicolas Maduro en tant que chef d’État élu par les Vénézuéliens, contrairement aux pays latino-américains du groupe de Lima, dont le Mexique fait pourtant encore partie du fait des choix d’Enrique Peña Nieto. Même si le Mexique ne sortait pas avec fracas du groupe de Lima, il pèsera par son inertie. Le fait même qu’il reconnaisse M. Maduro invalide dorénavant les perspectives de cette coalition et de ses actions dans la région ou au sein de l’Organisation des États américains (OEA). C’est une inflexion très importante de la politique étrangère du Mexique qui est inaugurée avec la présidence d’AMLO.

Le nouveau président mexicain souhaite également entretenir les meilleurs rapports possibles – autant que faire se peut – avec les États-Unis. En effet, AMLO ne veut pas entrer dans un rapport de force avec Donald Trump. Pour lui, les avancées régionales seront conditionnées par les avancées nationales et intérieures. C’est la stratégie d’AMLO : d’abord remettre en ordre le Mexique, faire la preuve que son gouvernement fonctionne et qu’il est capable de remettre le pays debout. Ce faisant, AMLO aura accumulé la légitimité et l’autorité nécessaires pour pouvoir déployer la politique étrangère du Mexique dans la région.

[Les entretiens géopolitiques d’IRIS Sup’ #1] Yémen, Midterms, Europe & Forum de la paix

Mon, 19/11/2018 - 17:23

Nouveau rendez-vous géopolitique !

Une fois par mois, Pascal Boniface rencontre des étudiants d’IRIS Sup’ pour aborder les grands thèmes de l’actualité internationale. Cette semaine, Mario, Julie et Raphaëlle l’interrogent sur la crise au Yémen, Trump et les Midterms, l’avenir de l’Europe et sur le Forum de Paris sur la Paix.

L’émission est disponible sur Soundcloud, l’application Podcast, I-Tunes, Youtube, le site internet de l’IRIS, Mediapart et le blog de Pascal Boniface.

Paris 2024 : un an après, où en est-on ?

Fri, 02/11/2018 - 15:11

Paris a été élue ville hôte des Jeux olympiques (JO) 2024 le 13 septembre 2017 par le Comité international olympique (CIO), lors de sa 131e session à Lima. L’événement se situe à la croisée de différents objectifs qui lient le sport aux problématiques sociales, économiques, environnementales et culturelles. La décision du CIO est venue confirmer un engagement national de long terme. Un an après, où en est-on ?

La fluidité de la circulation en question

Nous constatons quotidiennement des problèmes dans le fonctionnement des transports en commun à Paris et dans la région parisienne. Le comité Paris 2024 s’est donc fixé pour objectif l’amélioration de la qualité et de l’efficacité des trajets. En 2024, des millions de spectateurs, 15 000 athlètes et 25 000 journalistes, sont attendus dans les enceintes sportives franciliennes. Les infrastructures du Grand Paris[1] qui devaient être prêtes avant 2024 pourraient ne pas être achevées à temps. Certains parlementaires dénoncent le manque de réalisme des délais annoncés : la mise en place des lignes 14 à 17, censés desservir à terme les deux aéroports internationaux et le nord-est de Paris, a notamment pris du retard. Lors des JO, le monde entier aura les yeux rivés sur Paris ; il est primordial que les transports en commun, symbole d’une bonne organisation de la ville, fonctionnent parfaitement. De plus, ceux-ci doivent être écoresponsables : Paris a pour objectif le doublement des pistes cyclables d’ici 2020, afin que 70% des spectateurs utilisent prioritairement le vélo.

Des Jeux durables ?

Une autre ambition des JO est en effet l’écologie, le but étant de construire une société plus durable, plus unie, plus ouverte. La protection environnementale en tant qu’objectif de Paris 2024 est soutenue par de nombreuses organisations partenaires, dont WWF[2]. Le village olympique et paralympique envisage d’être exemplaire en matière de développement durable, notamment à travers une utilisation inégalée de matériaux biosourcés, d’énergie verte, d’alimentation durable et de transports propres. Le comité espère ainsi devenir une référence environnementale, les Jeux de Paris 2024 étant les premiers à s’engager dans le cadre de l’accord de Paris[3], en réduisant de 55 % l’empreinte carbone par rapport aux éditions précédentes. Un an après, il est difficile d’en tirer un bilan significatif.

Des Jeux au service d’un meilleur quotidien

Le comité a également pour objectif d’améliorer la qualité de vie en région parisienne. La construction de 50 nouveaux centres sportifs et d’un campus solidaire en partenariat avec l’association Sport dans la ville pour 25 000 jeunes du territoire a déjà eu lieu. Il espère de plus la création de zones de baignade dans la Seine. Mais, ces objectifs sont parfois entravés, comme l’illustrent deux exemples :

  • La participation de nombreux acteurs au projet du centre aquatique risque de doubler la facture initiale (atteignant la somme de 150 millions d’€).
  • La proximité du village olympique avec une « zone archéologique » peut également s’avérer problématique.

Le comité y voit aussi l’occasion de se saisir des enjeux liés au handicap : d’abord, en conférant aux Jeux paralympiques la même visibilité qu’aux JO, par la mise en lumière d’athlètes handicapés et la multiplication de manifestations sportives et culturelles mixant les publics valides et non valides ; ensuite, en offrant les mêmes opportunités professionnelles aux habitants de région parisienne, qu’ils soient en situation de handicap ou non ; enfin, le premier village paralympique 100 % accessible sera créé à l’occasion des Jeux.

Les JO ont également pour vocation de valoriser le sport en tant qu’outil pédagogique à dimension culturelle et de renforcer les liens entre établissements scolaires et mouvement sportif. Des dispositifs sont mis en place par l’État, comme le Réseau Canopé[4] qui, placé sous la tutelle du ministère de l’Éducation nationale, se fixe comme objectif de « présenter le sport sous un nouvel angle », ou la Semaine olympique et paralympique, qui, chaque début d’année, a pour but de sensibiliser 1 million d’enfants aux valeurs olympiques et paralympiques.

Mobilisation politique et sportive : vers le succès ?

L’ensemble du gouvernement et les 36 000 communes françaises soutiennent le projet. Le budget total est de 6,8 milliards d’€.[5] À l’heure actuelle, le comité a déjà embauché une vingtaine de directeurs et 64 salariés. Il est prévu de créer environ 250 000 emplois dans le cadre des Jeux et de mobiliser au moins 50 000 services civiques durant les sept années pré-JO, afin de développer les actions citoyennes et sociales dans le sport. Le comité Paris 2024 espère que l’engagement des régions et des territoires se prolongera au-delà des Jeux. La baisse actuelle des crédits du CNDS[6] de 50 % et les annonces des coupes dans le budget du ministère des Sports ne sont pas tellement de bon augure…

Pour que la réussite de ce projet soit totale, les athlètes se sont également placés au cœur de l’événement : à Paris 2024, le président, Tony Estanguet (triple champion olympique), et le directeur général, Étienne Thobois (Olympien en badminton), en sont notamment les preuves. Le comité d’athlètes est également un atout mis en avant : coprésidé par Teddy Riner et Marie-Amélie Le Fur (respectivement double-champion olympique et triple-championne paralympique), il est constitué de 24 Olympiens et Paralympiens.

Entre enthousiasme et défiance

L’institut de sondage IFOP a réalisé un sondage auprès des jeunes de 15 à 25 ans (1002 personnes interrogées) : 92% estiment que Paris 2024 est un projet aux retombées positives pour la France, mais seulement 26% s’imaginent aujourd’hui dans un stade. Ainsi, si les jeunes sont enthousiasmés, ils ne se sentent pas encore mis au cœur du projet. Le comité Non aux JO 2024 à Paris s’oppose quant à lui à un projet qu’il déclare inutilement coûteux.

 

________________________________

[1] Grand projet urbain d’intégration en Île-de-France.

[2] Fonds mondial pour la nature.

[3] Accord signé en décembre 2015, dont le but est de limiter le réchauffement climatique d’ici 2100.

[4] Qui édite des ressources pédagogiques transmédias à destination de la communauté éducative.

[5] 3,8 milliards financés par le CIO pour l’organisation, les sponsors et la billetterie et 3 milliards financés en parts égales par l’État et les collectivités, d’un côté, et les investisseurs privés, de l’autre, pour la construction des équipements

[6] Comité national pour le développement du sport.

Vers un monde de plus en plus inégal ?

Fri, 02/11/2018 - 10:14

Manon Aubry est responsable de plaidoyer sur les questions de justice fiscale et d’inégalités pour l’ONG Oxfam France, enseignante à Science Po Paris. Elle répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 28 et 29 septembre 2018 :

– Quelles sont pour vous les principales causes de la montée des inégalités ?

– Quels pourraient-être les leviers à actionner dans la lutte contre les inégalités ?

– Dans un monde capable de produire toujours plus de richesses, pourra-t-il être plus égal demain ?

Comment comprendre la crise des Rohingyas ?

Wed, 31/10/2018 - 12:19


Frédéric Debomy est ancien directeur de l’association Info-Birmanie, auteur de “Aung San Suu Kyi, l’armée et les Rohingyas” (éd. de l’Atelier). Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 28 et 29 septembre 2018 :

– Comment expliquer l’exclusion des Rohingyas dans la société birmane ?
– Aung San Suu Kyi souhaite-t-elle apaiser la crise des Rohingyas ? Quelles sont ses marges de manœuvre ?
– Quels sont les intérêts de la Chine par rapport à la crise des Rohingyas ?

Les Nouvelles routes de la soie

Tue, 30/10/2018 - 16:52


Emmanuel Hache est professeur et directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 28 et 29 septembre 2018 :

– Pour la Chine, à quelles logiques internes et externes répondent les projets de routes de la soie ?

– Ces investissements suscitent-ils des craintes ? Si oui, lesquelles et sont-elles justifiées?

« Une saison à l’ONU » – 3 questions à Karim Lebhour

Tue, 30/10/2018 - 14:08

Karim Lebhour est journaliste et écrivain, ancien reporter auprès des Nations-Unies pour RFI. Depuis 2018, il est responsable de la communication Amérique du Nord de l’International Crisis Group. Entre anecdotes personnelles et explications pédagogiques, il nous emmène en balade illustrée au sein de la « Maison de verre ».

Voulez-vous, par cet ouvrage, réhabiliter l’Organisation des Nations unies (ONU) aux yeux du public ?

L’ONU est une organisation mal comprise, souvent confondue avec une sorte de gouvernement mondial chargé des affaires internationales. Ce n’est pas du tout la réalité. L’ONU en tant qu’institution, navigue une voie étroite entre les intérêts stratégiques de ses États membres, à commencer par les plus puissants d’entre eux. La première chose qui frappe comme correspondant de presse à l’ONU c’est la prépondérance du Conseil de sécurité et la domination exercée par les cinq membres permanents (États-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) qui dictent une grande partie de l’agenda et des résolutions.

Dire que l’ONU est impuissante ou inutile, comme on l’entend souvent, c’est d’abord dire que certains États membres bloquent toute action. La Syrie est un très bon exemple. Dire que l’ONU n’a rien fait est faux. Elle a tenté par tous les moyens d’agir sur la crise syrienne, mais a été, à chaque fois, déboutée par les vetos russe et chinois au Conseil de sécurité. Dix vetos depuis le début de la crise ! C’est énorme. L’ONU ne parvient pas à agir parce que certains États membres ne le veulent pas. C’est le cas de la Russie sur la Syrie ou l’Ukraine, des États-Unis sur Israël ou de la Chine sur le Tibet.

Bien sûr, l’ONU est handicapée par une bureaucratie ubuesque, une gestion des ressources humaines très critiquable et une aversion au risque, ce qui ne l’empêche pas d’être un espace de dialogue essentiel. Le Conseil de sécurité lui-même est un théâtre dans lequel des affrontements verbaux peuvent parfois devenir assez violents, mais cette mise en scène permet aussi d’évacuer des tensions, de faire resurgir certains problèmes qui, sans l’ONU, ne trouveraient aucun espace d’expression et pourrait mener à de dangereuses escalades.

Le format bande dessinée permet d’aborder toutes ces questions avec un peu de légèreté et d’humour et de faire revivre certaines scènes vécues pendant mes quatre ans de correspondance au siège de New York.

Pourquoi en arrivez-vous même à défendre le droit de veto ?

Le droit est veto est injuste, mais c’est aussi la clé de voûte du système onusien. Personne ne conteste qu’il date d’une époque dépassée, ce qui n’empêche pas de lui reconnaître qu’il est l’élément de contrôle qui a permis l’acceptation par les grandes puissances de la création de l’ONU. Il assure, en quelque sorte, la stabilité du système. Sans lui, les États-Unis ou la Russie préféreraient sans doute user de la contrainte plutôt que de la négociation. Par son existence, l’ONU oblige les puissants à composer avec le reste de la planète dans une enceinte internationale. En contrepartie, ces pays demandent la garantie que leurs intérêts stratégiques ne seront pas menacés. Cela veut dire que l’ONU doit se tenir à l’écart de certaines crises comme la Syrie ou le conflit israélo-palestinien, mais il existe des domaines de coopération possible sur bien d’autres dossiers : en Afrique, le climat, les armes légères, etc.

Plus largement se pose la question de la réforme du Conseil de sécurité. L’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud peuvent légitimement prétendre à devenir membre permanent du Conseil de sécurité, avec ou sans veto. On peut aussi imaginer limiter l’usage du droit de veto, comme le propose la France. Pour l’heure, la Russie et les États-Unis n’ont aucune envie de réformer quoi que ce soit ; le statu quo leur convient parfaitement.

Vous décrivez une variété de situations, entre le ministre indien qui lit par erreur le discours de son collègue portugais et l’ambassadeur de la République centrafricaine qui tente désespérément d’attirer l’attention du monde sur le drame que vit son pays. N’est-ce pas aussi ce qui caractérise l’ONU ?

Ces deux anecdotes sont très révélatrices des différents visages de l’ONU. D’un côté, il y a une formalité très pesante : le quotidien est fait de discours souvent plus assommants les uns que les autres, à tel point que lors d’une séance à laquelle j’assistais, le ministre indien ne s’aperçut même pas qu’il était en train de lire un autre discours que le sien ! Il a fallu plusieurs minutes pour que ses conseillers se rendent compte de la bévue. C’était incroyable.

Mais l’ONU est aussi un forum d’expression irremplaçable. La rencontre avec l’ambassadeur de Centrafrique a été pour moi très éclairante. Voilà un homme coupé de sa capitale par un coup d’État et qui, sans ressource, prend sur lui de faire le tour des autres ambassadeurs pour les convaincre de soutenir l’envoi de Casques bleus en Centrafrique et qui, finalement, obtint gain de cause.

Pendant l’Assemblée générale de septembre, l’attention se limite généralement aux discours des présidents américains et français. Je m’étais efforcé d’écouter les discours de chefs d’État de petits pays, qui parlent en dernier, en fin de semaine, devant des travées désertées. J’ai été frappé par le cri d’alarme des îles Marshall sur le changement climatique, directement menacées par la montée des eaux ; Haïti parlait du poids de la dette ; Madagascar, des vols de bétails, etc. Dans quelle autre instance internationale, ces pays peuvent-ils exposer au monde les problèmes qui les préoccupent réellement si ce n’est l’ONU ?

« Une saison à l’ONU : au cœur de la diplomatie mondiale », illustré par Aude Massot et préfacé par Gérard Araud, éditions Steinkis.

Nouvelle ère dans les relations Chine-Japon ou politique d’équilibre ?

Tue, 30/10/2018 - 11:55

Les relations sino-japonaises ont été tendues ces dernières années avec notamment des contentieux territoriaux non résolus et un développement marqués des budgets militaires, surtout côté chinois.

Aussi, la visite de trois jours en Chine du Premier ministre japonais Shinzo Abe, achevée vendredi 26 octobre, était attendue et suivie avec intérêt.

« Je veux propulser les relations Chine-Japon dans une nouvelle ère, (passer) de la compétition à la collaboration » a déclaré le Premier ministre japonais à l’ouverture de ses discussions avec le Premier ministre chinois Li Keqiang.

Shinzo Abe a ensuite rencontré le président chinois Xi Jinping. La Chine et le Japon se sont engagés vendredi 26 octobre, à nouer des relations plus étroites alors que les deux pays ont évoqué un « tournant historique » en signant un large éventail d’accords, notamment un pacte d’échange (swap) de devises d’un montant de 30 milliards de dollars, face à la montée des tensions commerciales avec Washington.

Des accords s’élevant à 18 milliards de dollars ont également été conclus entre des entreprises chinoises et japonaises lors de la visite de M. Abe, indique le journal Asahi. Plus de 50 transactions et accords ont été signés.

Shinzo Abe et Li Keqiang ont également convenu que les deux pays travailleraient ensemble pour parvenir à la dénucléarisation de la péninsule coréenne, Tokyo étant particulièrement inquiet du programme nucléaire et balistique de Pyongyang.

Les deux pays voisins et partenaires ne deviendront pas une menace l’un pour l’autre, a déclaré Abe après sa rencontre avec le président Xi Jinping vendredi. A noter, ce sommet sino-japonais est le premier d’une telle importance depuis 2011.

La politique visant à renforcer les liens économiques entre les deuxième et troisième économies de la planète intervient alors que la Chine et les États-Unis se sont mutuellement opposés sur les tarifs douaniers au cours des derniers mois.

Les dirigeants chinois et japonais ont souligné l’importance du libre-échange. Abe et Li ont soutenu l’accélération des négociations sur un accord de libre-échange à trois avec la Corée du Sud, ainsi que sur le partenariat économique global régional (RCEP), observe The Diplomat.

Limites de l’exercice

Alors que le Japon, toujours très soucieux de la montée en puissance de la force navale chinoise, souhaite des liens économiques plus étroits avec la Chine qui est son principal partenaire commercial, il doit gérer ce rapprochement sans inquiéter son principal allié pour la sécurité, les États-Unis, avec lesquels il a ses propres problèmes commerciaux.

Par ailleurs, le porte-parole du gouvernement japonais a indiqué que M. Abe avait déclaré au Premier ministre Li lors de leur entretien, que les relations bilatérales ne seront « réellement améliorées » que si règne la « stabilité de la mer de Chine orientale ». Le différend principal porte sur les îles Senkaku (Diaoyus pour les Chinois). Comme le souligne le journal conservateur Yomiuri Shimbun, les intrusions régulières des navires chinois dans les eaux territoriales japonaises autour des îles Senkaku risquent de se transformer en une crise beaucoup plus grave si ces intrusions dégénéraient. Même lors de ce sommet, Abe et Xi n’ont pas réussi à ouvrir la voie à une résolution des affrontements à propos des Senkaku. S’agissant d’un mécanisme de liaisons aérienne et maritime visant à éviter les collisions accidentelles entre l’armée chinoise et les forces d’autodéfense japonaises, les dirigeants des deux pays se sont contentés de confirmer leur volonté d’établir rapidement un téléphone rouge.

De façon significative, la visite de M. Abe en Chine a été suivie samedi de la visite au Japon de son homologue indien Narendra Modi, montrant qu’Abe veut contrebalancer la puissance chinoise avec le troisième grand asiatique. « Lors des discussions entre Abe et Modi, des responsables indiens ont déclaré que les deux pays envisageaient de renforcer « l’alliance stratégique » entre la marine indienne et la force d’autodéfense maritime. » indique le Japan Times.

Le Japon et l’Inde, ainsi que les États-Unis, ont renforcé leur coopération en matière de défense afin de contrer l’influence croissante de la Chine dans la région, les trois pays organisant régulièrement des exercices navals dans l’océan Indien.

Il n’en reste pas moins que Shinzo Abe a invité le président Xi à se rendre au Japon en cette année qui marque le quarantième anniversaire du traité de paix et d’amitié entre le Japon et la Chine. Shinzo Abe veut donc profiter de l’éclaircie dans les relations sino-japonaises pour avancer vers une relation moins conflictuelle tout en protégeant ses arrières avec ses alliés traditionnels ou plus récents.

Bolsonaro : quelle politique étrangère ?

Mon, 29/10/2018 - 17:34

L’éclairage de Pascal Boniface, directeur de l’RIS

Pourquoi les emplois les plus menacés par la robotisation et l’automatisation ne sont pas ceux qu’on croit

Mon, 29/10/2018 - 15:12

Alors que les défis que représentent la robotisation et l’automatisation des tâches sont généralement perçus comme confinés aux emplois les moins qualifiés, plusieurs études (Brookings Institution Novembre 2017) ont pu mettre en évidence la vulnérabilité des emplois qualifiés. Notre perception de cette situation n’est-elle pas viciée en ce sens ?

L’effondrement des emplois industriels au cours des quatre dernières décennies dans les pays développés a eu tendance à être attribué au progrès technique plus qu’à la mondialisation des chaînes de production.

Sur la base de cette interprétation, qui est désormais remise en question par l’analyse sectorielle de la productivité, on a souvent pensé que l’automation menaçait essentiellement les emplois ouvriers et les emplois peu qualifiés plus généralement.

En réalité, il apparaît que, l’évolution, assez modeste, de la productivité industrielle dans le monde développé, hors secteur informatique, ne permet pas d’expliquer l’ampleur des pertes d’emplois manufacturiers, et indique donc un rôle limité du progrès technique dans ce phénomène.

Les métiers de service qualifiés ont pour leur part résisté à la mondialisation ; ce qui a conduit à une vision sociologiquecentrée sur l’opposition entre une élite urbaine et mobilequi serait durablement gagnante et les milieux populaires des zones périphériques.Cette vision est aujourd’hui dépassée.

En attribuant l’effondrement des emplois industriels au progrès technique, on en a déduit à tort que les emplois qualifiés dans les services n’étaient pas véritablement menacés par les bouleversements technologiques en cours. Les développements techniques et économiquesliés à l’intelligence artificielle vont remettre en cause la stabilité associée à ces emplois ainsi que les constructions sociales et politiques qui reposaient sur cette dichotomie.

Il n’existe certes pas de lien direct ni immédiat entre les développements technologiques et l’évolution du marché du travail, qui est le fruit d’une construction sociale complexe,dépassant souvent les règles simples de la théorie économique. Il faut parfoisune vingtaine d’années pour qu’une technologie, à partir de sacommercialisation, ne se traduise par un bouleversement dans l’organisation du travail, qui plus est dans les services, où la contribution individuelle à la création de valeur est moins directe et moins transparente que dans le secteur manufacturier. De nombreux emplois de service, qualifiés, sont néanmoins en première ligne en ce qui concerne les effets de la digitalisation et de l’intelligence artificielle.

L’intelligence artificielle, sous la forme du deeplearning centré sur une tâche, relève moins aujourd’hui de grandes avancées conceptuelles que de l’application de principes développés au cours des quatre dernières décennies, en profitant désormais d’une puissance de calcul adaptée, de données massives et d’un terreau scientifique/entrepreneurial qui appliquent méthodiquement ces techniques à un nombre croissant de tâches et de secteurs. L’heure est donc à une application assez méthodique de l’intelligence artificielle ; ce qui nécessite certes une expertise informatique poussée, mais moins que ce que suggère la vision abstraiteofferte parune partie des médias mondiaux. C’est cet aspect en réalité très incrémental qui fait que la Chine parvient à se positionner efficacement dans l’intelligence artificielle depuis deux ans, comme l’explique judicieusement Kai-Fu Lee dans son dernier ouvrage. Y contribue également une tendance à la collecte systématique des données personnelles qui, en comparaison, pourrait faire passer les GAFA pour des sociétés savantes désintéressées.

Cette application méthodique de l’intelligence artificielle dans le monde va, au cours des prochaines années, remettre en cause l’organisation sociale du travail, qui a eu tendance ces dernières décennies à mettre en avant des fonctions relevant de la comptabilité au sens le plus large et de la gestion administrative. Les tâches qui reposent sur des schémas répétitifs et prévisibles sont appelés à être remplacées en bonne partie, en ce qui concerne un segment important du travail comptable, juridique, notarial, des ressources humaines, etc, pour ne prendre que quelques exemples.

Et là où le remplacement du travail ouvrier nécessite des investissements robotiques certes de moins en moins chers mais tout de même lourds, on risque de s’apercevoir que le remplacement d’emplois administratifs qualifiés consacrés à des tâches répétitives n’aura qu’un coûtrelativement limité en termes d’implémentation de processus algorithmiques.

L’outil informatique a affecté la réalité des organisations au cours des trois dernières décennies. La simplification apportée par l’informatique est cependant encore loin d’avoir produit ses véritables effets de long terme sur le monde du travail. Internet et la révolution informatique des années 1990 plus généralement ne se sont traduits que par des gains de productivité limités dans les services, car dans le fond l’organisation du travail est restée ancrée dans sa forme héritée de la bureaucratisation des années 1950-60.

Dans le secteur financier par exemple, lorsque le volume de crédit s’est effondré pendant la crise mondiale de 2008, la productivité du secteur a chuté de façon durable car il semblait difficile, à l’époque, de réduire autant les postes, pour des raisons techniques et réglementaires notamment. Même dans ce secteur, on a tout de même observé un bouleversement de nombreuses activités, avec la chute, par exemple, du nombre de traders dans les grandes banques, où ceux-ci ont eu tendance à être remplacés par un nombre plus limité d’ingénieurs informatiques. La tendance ne connait aucune limite qualitative, des marchés les plus structurés et codifiés comme celui des actions jusqu’au marché des devises.L’intelligence artificielle apparaît désormais adaptée à de nombreux emplois du secteur financier qui avait été pourtant préservés en 2008, et notamment aux tâches qui relèvent de l’allocation de crédit.

Les barrières réglementaires restentun facteur de poids dans la préservation d’emplois administratifs et comptables qualifiés. Cependant, on peut penser que celles-ci seront progressivement levées au fur et à mesure que sera développée une offre commerciale concrète et éprouvée d’automation au moyen de l’intelligence artificielle, pour un nombre croissant de tâches et de secteurs économiques. Par-delà les constructions sociales complexes qui sous-tendent ces cadres réglementaires, l’évolution technologique fera inéluctablement sentir ces effets sur les emplois de service qualifiés, en dehors des tâches qui nécessitent une interaction humaine particulière.

Quelles sont les implications d’un tel défi concernant les emplois de demain ? Quels seront les moyens dont disposera la population active pour s’extraire d’une situation de vulnérabilité face à la robotisation et à l’automatisation ?

La technologie n’est que ce qu’on en fait, pour le meilleur comme pour le pire. On a vu, au cours des deux dernières décennies, l’organisation du travail évoluer de façon paradoxale avec le développement informatique. Le travail humain, au lieu d’évoluer dans un sens qualitatif et créatif, a plutôt eu tendance à s’orienter vers des tâches répétitives et prévisibles, notamment dans les métiers considérés comme intellectuels. En parallèle, une forme d’hyper-sociabilité, parfois acrimonieuse, s’est développée avec la multiplication de réunions ne remplissant pas nécessairement des objectifs productifs.

L’accompagnement du développement de l’outil numérique s’est traduit par une couche administrative supplémentaire qui aurait pourtant dû être rendue caduque par les moyens offerts par la technologie elle-même. Ces travers du travail humain, qui s’est bureaucratisé et a perdu en substance tout en devant très politique, rendent la structure actuelle du travail particulièrement vulnérable à l’automation.

Les emplois centrés sur l’implémentation de l’intelligence artificielle sont naturellement mis en valeur et nécessitent des compétences particulières, mais on constate également une certaine simplification de l’accès à la compréhension informatique. La prépondérance d’un langage comme Python, qui est d’une simplicité syntaxique sans précédent, en est un exemple. L’accès à l’informatique, en se simplifiant et en se prêtant à diverses strates de compréhension technique, pourrait permettre une réappropriation de l’automation par des milieux beaucoup plus larges.L’hyperactivité entrepreneuriale autour de ces outils, suivant des compétences très variées et qui échappent aux catégories bureaucratiques habituelles, en est une étape intéressante.

La maîtrise de l’intelligence artificielle relèvera notamment d’une capacité de conceptualisation algorithmique, qui peut à terme être accessible à une large partie de la population et prendre des formes variées. A l’opposé du schéma apocalyptique que semblent indiquer certains développements actuels, en particulier sur le marché des données, il serait possible d’adapter notre modèle économique et éducatif dans un sens qui permette de partager l’accès aux possibilités qu’ouvrent ces évolutions technologiques en termes de participation aux processus productifs et créatifs. La perspective d’une intelligence artificielle qui aurait un caractère général reste pour le moins lointaine, et l’intelligence humaine n’est pas la simple somme de compétences particulières. Combinée à l’évolution de la compréhension scientifique, qu’elle soit physique, médicale, ou autre,et aux autres innovations de la révolution industrielle en cours (dont la robotique et l’impression 3D notamment) la place de l’intelligence humaine reste à peu près illimitée pour orienter ce qui reste un outil informatique.

Quelles sont les implications et les conséquences politiques d’une telle situation de vulnérabilité des emplois qualifiés ?

On a vu monter, ces dernières années, en particulier depuis la crise mondiale, une prise de conscience de la fragilité des normes relatives au monde du travail, dans le contexte des évolutions technologiques, de l’instabilité du système financier et de la mondialisation. Une crise de croyance dans le monde du travail et le marché de l’emploi se développe et donne lieu à un certain nombre de prises de position et d’ouvrages intéressants sur ces sujets.

En parallèle, l’organisation politique des pays développés repose plus que jamais sur l’hypothèse d’une distinction durable entre des élites bénéficiant à la fois de la mondialisation et des évolutions technologiques d’un côté et les classes populaires reléguées de l’autre. Cette opposition, qui nourrit la rengaine du dépassement de la démocratie par une avant-garde administrative habitée par l’esprit de la gouvernance mondiale, est en réalité déjà caduque au vu de la relégation des jeunes générations éduquées dans un certain nombre de pays développés.L’idée selon laquelle les emplois administratifs qualifiés seraient pérennes sous-tend ce schéma binaire. Mais, plus en profondeur, le début de compréhension, semi-consciente, de la vulnérabilité de cette dichotomie existentielle par les couches concernées nourrit une angoisse qui accentue pour l’heure la crispationdu débat et les aspirations démiurgiques.

Budget italien : l’escalade que personne ne peut se permettre

Tue, 23/10/2018 - 16:34

La coalition populiste au pouvoir en Italie est actuellement mise à mal par des rivalités de pouvoir et une lutte interne notamment à propos du budget italien prévisionnel de 2019. Pour ne rien arranger, l’agence de notation Moody’s vient d’abaisser d’un cran la note de la dette italienne. Qu’est-ce que cela augure pour le gouvernement italien et le budget prévisionnel du pays ? Qu’entrainerait le rejet du budget italien par la Commission européenne ? L’UE s’est également adressée à cinq autres pays concernant leur projection budgétaire. Quels sont les autres pays européens qui inquiètent les instances européennes ? L’analyse de Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS.

Une lutte interne à la coalition au pouvoir, entre La Ligue de Matteo Salvini et le Mouvement 5 étoiles de Luigi Di Maio, semble avoir lieu, notamment sur le programme budgétaire d’amnistie fiscale. De quoi s’agit-il ? Quelles sont les grandes lignes de ce programme budgétaire ? Présente-t-il des enjeux et risques particuliers ? 

Derrière cette coalition de partis populistes et leur volonté commune de mettre en œuvre une sorte de plan de relance persistent naturellement des visions et des intérêts différents. Sur la question budgétaire, le Mouvement 5 Étoiles, qui séduit plutôt au sud du pays les populations paupérisées, défend une augmentation de la dépense publique au moyen notamment d’une garantie de revenu générale. La Ligue, pour sa part, défend davantage les baisses d’impôts, et son approche parle notamment aux patrons des petites entreprises du Nord. Si les deux partis s’unissent dans une volonté de relance budgétaire, avec un budget prévu à 2,4% du PIB (au lieu des 0,8% prévus par le gouvernement précédent), c’est donc en réalité de façon assez différente au départ. Et chacun entend sans grande surprise faire aboutir ses propres promesses électorales, qui se sont concentrées sur des sujets différents, si ce n’est leur insistance commune à revenir sur la réforme des retraites de 2011.

Pour la Ligue, en plus des baisses d’impôts, cela passe notamment par un programme d’amnistie fiscale, qui n’est guère populaire auprès des électeurs du M5S. Luigi Di Maio a ainsi accusé Matteo Salvini d’avoir modifié le texte sur l’amnistie fiscale, qui doit normalement s’appliquer aux dossiers allant jusqu’à 100 000 euros en tout, pour inclure, de façon bien plus généreuse, les dossiers qui comprennent un ensemble de sommes allant chacune jusqu’à ce montant. Di Maio a dénoncé cette tension de façon spectaculaire dans les médias, laissant penser au passage qu’il voit la Ligue et Salvini davantage comme des compagnons de circonstance que comme des alliés historiques. Bien que les deux soient unis dans la défense de leur programme budgétaire commun, Di Maio perçoit avec anxiété la prédominance de Salvini dans les débats nationaux et ses avancées sur la scène européenne, alors que le M5S peine à combler son déficit de compétence politique.

En plus du bras de fer sur le budget italien prévisionnel de 2019, entre d’un côté Luigi Di Maio et Matteo Salvini, et de l’autre les instances européennes, l’agence de notation Moody’s a abaissé d’un cran, à « Baa3 », la note de la dette italienne ce 19 octobre. Qu’est-ce que cela augure pour le gouvernement italien et leur budget prévisionnel ? Qu’entrainerait le rejet du budget italien par la Commission européenne ? 

Les attaques de Jean-Claude Juncker et de Pierre Moscovici à l’encontre du budget italien devraient se traduire par des demandes de modification et par le lancement d’une procédure pour déficit excessif, mais sans que la lointaine menace de sanctions financières ne se concrétise. Une dégradation encore plus marquée des relations entre le gouvernement italien et les institutions européennes risquerait de se traduire par une envolée supplémentaire des taux d’intérêt, accroissant dès lors le risque d’une nouvelle crise de l’Euro, alors que la BCE retire irrémédiablement son soutien monétaire aux gouvernements et aux marchés de dette.

Le déficit budgétaire prévu par le gouvernement populiste reste en deçà de la limite symbolique de 3% du PIB prévu par le cadre européen, mais c’est surtout l’idée même d’une relance budgétaire reposant sur des mesures de dépense structurelle, qui suscite l’ire de la Commission. L’Italie est pénalisée par le poids de sa dette publique, à plus de 130% du PIB et la faiblesse structurelle de sa croissance, contrainte par de faibles gains de productivité. S’y ajoute la fragilité du système bancaire, dont la montagne de créances douteuses résulte en grande partie de l’atonie économique des vingt dernières années. Le PIB par habitant du pays dépasse à peine le niveau de 1999, année d’entrée en vigueur de l’euro. L’envolée de la dette a notamment été encouragée par le cadre monétaire. Au cours des années 1980, l’endettement public a crû de façon exponentielle du fait de la politique de taux d’intérêt particulièrement élevés pratiquée par la Banca d’Italia, qui visaient à stabiliser le taux de change de la Lire vis-à-vis du Deutschemark, ce qui a propulsé le taux d’endettement public vers le seuil des 100% du PIB. Les années 1990 ont été une décennie assez intéressante sur le plan de la dynamique industrielle, à la suite de la dépréciation de la Lire, consécutive à l’explosion du Système monétaire européen en 1993 ; ce qui a par ailleurs permis de mettre en œuvre des réformes substantielles sur fond de renforcement de la conjoncture. À partir de 1999, le pays a vu sa compétitivité s’éroder continuellement pour des raisons essentiellement liées aux différences d’inflation qui persistaient avec l’Allemagne, à taux de change nominal désormais fixe, et à la stagnation de la productivité. Puis la crise de l’Euro, en plus d’affaiblir considérablement la base économique du pays, a remis la dette sur une voie incontrôlable, sous le coup de taux d’intérêt exorbitants et de mesures d’austérité contreproductives.

Ce que l’on peut reprocher au programme budgétaire de la coalition, c’est de faire assez largement l’impasse sur la question du redéploiement industriel du pays. Plutôt que de mettre en œuvre des mesures qui doivent profiter directement à leurs électorats respectifs et se traduire notamment par une hausse des importations (qui s’élèvent déjà à 28% du PIB), des mesures bien plus ambitieuses sur l’investissement dans les infrastructures et les technologies productives auraient à la fois eu un effet de relance macroéconomique bénéfique à l’emploi et auraient contribué à améliorer la productivité du pays. Il aurait par ailleurs été bien plus aisé de contrer ainsi les critiques de Pierre Moscovici, en invoquant la modernisation économique du pays.

Le pays conserve une base industrielle intéressante, et affiche aujourd’hui un excédent commercial substantiel. Par ailleurs, sa position extérieure nette est à peu près équilibrée ; ce qui signifie que, malgré son haut niveau d’endettement public, l’Italie dans son ensemble n’est pas franchement débitrice vis-à-vis du reste du monde en termes de dette et d’investissement, que ce soit du point de vue des stocks (position extérieure nette) ou des flux (balance courante). C’est notamment cette autonomie financière qui vaut au pays de conserver une note correcte auprès des grandes agences de notation, malgré la récente dégradation par Moody’s, qui s’accompagne toutefois d’une perspective stable. Malgré la sensibilité mécanique de la dette publique au niveau des taux d’intérêt de marché (qui ont crû avec la polémique européenne en cours) et la vulnérabilité du système bancaire, on ne peut comparer la position de l’Italie sur les marchés à celle des autres pays du sud de la zone euro au début de la crise, qui était alors marquée par des déficits extérieurs considérables.

Après celle envoyée au gouvernement italien, Jean-Claude Juncker s’apprête à publier à nouveau plusieurs « lettres d’information » à cinq ou six autres pays européens. Quels sont ces pays ? Existe-t-il d’autres pays européens ayant des prévisions budgétaires inquiétant les instances européennes ?

Ces pays sont ceux auxquels la Commission reproche de ne pas réduire le déficit structurel au rythme prévu, à savoir environ 0.2 point de PIB au lieu de 0.6 point. Il s’agit de la France, de l’Espagne, du Portugal, de la Belgique et de la Slovénie. Dans l’ensemble, les pays touchés par la crise de l’Euro ont (hors Grèce) renoncé aux mesures d’austérité les plus strictes autour de 2012, lorsque les experts du FMI se sont désolidarisés de la Commission, en critiquant son interprétation du lien entre comptes publics, croissance économique et désendettement. On assiste depuis à la mise en place de politiques relativement ambiguës.

Le Portugal est un exemple intéressant, car il a été mis en avant comme bon élève des réformes structurelles dans le contexte de son programme d’aide, au contraire de la Grèce. Finalement, quand un gouvernement populiste de gauche a été élu en annonçant mettre fin à la politique d’austérité des gouvernements précédents, les autorités européennes ont préféré trouver une sorte de modus vivendi. Dans un contexte certes plus tendu, le gouvernement italien et les institutions européennes ont un intérêt commun à une désescalade. La coalition populiste cherche à tout prix à éviter une crise de la dette qui serait provoquée par une aggravation des tensions sur les marchés, tout comme la Commission et les gouvernements allemand et français qui tentent de ne pas pousser l’Italie vers la sortie de la zone euro ; qui signifierait le début de la fin de l’union monétaire. Bien que le sujet soit rejeté par les dirigeants populistes italiens qui redoutent d’avoir à gérer une nouvelle crise financière, ce spectre continue de hanter les débats européens et force pour l’heure les divers acteurs à s’entendre. Alors que l’essentiel des projets de renforcement institutionnel de la zone euro a été rejeté par le gouvernement allemand, confronté au virage identitaire en cours sur sa scène politique nationale, l’idée de solidarité financière et de cohésion au sein de cette zone ne cesse de reculer.

Derrière le mélange de défiance et de recherche de modus vivendi qui domine actuellement le paysage européen, on voit autant en Italie qu’en Allemagne monter très discrètement une réflexion monétaire alternative au consensus des deux dernières décennies.

Fake News, complotisme et désinformation

Tue, 23/10/2018 - 14:26

Olivier Ravanello est journaliste, présidente et directeur de la publication « Explicite.info ». Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation aux Géopolitiques de Nantes organisés par l’IRIS et le lieu unique avec le soutien de Nantes métropole, les 28 et 29 septembre 2018 :
– Comment le modèle des médias indépendants permet-il de lutter contre les fake news ?
– Quel est le rôle des pouvoirs publics dans la lutte contre les fake news ?
– Quels sont les travers du journalisme d’aujourd’hui selon vous ?

Trump enterre “l’Arms Control”

Mon, 22/10/2018 - 18:38

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS.

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