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L’Europe menace la Hongrie avec une lame émoussée

HU-LALA (Hongrie) - Sat, 20/05/2017 - 15:02

L'Europe menace désormais la Hongrie avec l'article 7 du traité de Lisbonne : une "bombe atomique" dont les dégâts seraient considérables. Mais les armes de dissuasion massive sont-elles faites pour être utilisées ?

Tribune de Beáta Bakó, publiée 19 mai 2017 dans Magyar Nemzet sous le titre "A sohasem élesített fegyver". Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi.

La Hongrie a encore fait parler d'elle à Strasbourg. Cette nouvelle ne suffit plus

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Qu’en est-il du syndicalisme dans l’Europe « postsocialiste » ?

HU-LALA (Hongrie) - Sat, 20/05/2017 - 14:55
Révolution Permanente a interviewé Mihai Varga, spécialiste roumain du syndicalisme en Europe Centrale et de l’Est et auteur du livre Worker Protests in post-communist Romania and Ukraine (« Luttes ouvrières dans la Roumanie et l’Ukraine postcommuniste ») paru en août 2015. Article publié originellement le 20 mai 2017 dans Révolution permanente.

Mihai Varga nous livre sa vision de la scène syndicale dans la région, après la dissolution du « bloc soviétique », au début des années 1990. Une réflexion intéressante qui peut nous aider à comprendre la situation actuelle de la classe ouvrière dans ces pays mais aussi à tirer des leçons pour l’action syndicale dans les pays occidentaux où le patronat et les gouvernements sont à l’offensive contre les droits et acquis de la classe ouvrière.

Pendant la période dite de « transition » les travailleurs et les masses dans les ex pays « socialistes » d’Europe Centrale et de l’Est (ECE) ont connu une profonde chute de leurs conditions de vie, une explosion du chômage, des privatisations et des fermetures d’entreprises. Dans ce contexte, la capacité et/ou la volonté des syndicats de résister, d’organiser des manifestations, des grèves et des luttes ouvrières semblait très faible. Comment pouvez-vous expliquer cela ? Quelle a été l’attitude des gouvernements et des patrons envers le mouvement ouvrier pour empêcher les travailleurs et les masses de manifester et résister ?

Les changements des années 1990 ont été si dramatiques que les gens avaient très peu de temps pour penser à protester. La plupart était tout simplement plus inquiète pour les questions de survie. Dans beaucoup de pays les gouvernements ont fait beaucoup pour s’assurer que la chute du PIB ne débouche pas sur du chômage de masse (Russie et Ukraine) et, si cela arrivait, alors ils s’assuraient que le chômage ne conduise pas à des mobilisations de masse (Pologne, Hongrie). Les Etats sont activement intervenus dans l’économie pour que le chômage et l’appauvrissement ne deviennent pas des problèmes politiques.

Les syndicats y ont largement pris part. En Hongrie et en Pologne ils ont soutenu les politiques du gouvernement, très probablement pour des raisons idéologiques. En Russie et en Ukraine, les syndicats ont menacé d’organiser le mécontentement et de représenter les travailleurs mobilisés en 1993. Cependant, l’Etat a financièrement et juridiquement permis aux syndicats de jouer le même rôle que sous le communisme [gestion des bénéfices sociaux, etc.].

Dans d’autres pays on a vu des gouvernements prêts à négocier avec les syndicats sur les réformes et même à accepter certaines revendications telles que la limitation de l’expansion des CDD et les licenciements massifs (République Tchèque). Parallèlement, d’autres pays ont connu des formes extrêmes de conflit entre les syndicats et les travailleurs d’une part et les gouvernements de l’autre (Roumanie, Bulgarie, Croatie). Enfin, dans les Etats baltes, les gouvernements ont présenté les syndicats et les travailleurs remettant en cause les réformes comme des instruments de la domination soviétique (et puis de la domination russe).

Il y a un paradoxe dans plusieurs pays d’Europe Centrale et de l’Est : le taux de syndicalisation, par rapport aux pays occidentaux, y est souvent très élevé, mais cela ne veut pas dire que les syndicats sont forts ou qu’ils ont une grande influence sur la vie politique et sociale. En même temps, beaucoup de travailleurs sont syndiqués mais ils ne connaissent même pas qui sont leurs représentants syndicaux, même au niveau des usines. Il semble y avoir un décalage entre le taux de syndicalisation et le militantisme syndical. Quelles sont les raisons de ces caractéristiques du mouvement syndical dans beaucoup de pays de l’ECE ?

Beaucoup de syndicats ont été fondés dans la période communiste et ont été à peine ou pas du tout réformés pour se rapprocher des travailleurs et de leurs intérêts. Cela est vrai pour la plupart des syndicats des pays postsoviétiques et moins pour les syndicats en République Tchèque et en Slovénie.

Certains syndicats cependant (les deux les plus importants en Pologne par exemple) ont subi récemment des réformes ou ont appris qu’avoir une base de syndiqués qu’ils sont capables de mobiliser lors de manifestations c’est la meilleure garantie pour être pris au sérieux par les gouvernements.

Dans votre livre Worker Protests in post-communist Romania and Ukraine (2015), où vous analysez plusieurs épisodes de luttes ouvrières dans ces pays, vous développez le concept de « représentation des intérêts des travailleurs » pour analyser les syndicats. Pouvez-vous nous expliquer ce concept et comment il peut nous aider à comprendre le mouvement syndical ?

M.V. : C’est en fait un concept emprunté à Richard Hyman (auteur d’Industrial Relations : A Marxist Introduction). Ce concept attire notre attention sur les questions de l’autonomie organisationnelle (Comment les syndicats ont été fondés ? A partir de l’initiative des travailleurs ou à partir de directives d’en haut ? Et qui fixe leurs objectifs de nos jours ?) ; de la légitimité (résultat pour les travailleurs de ce que les syndicats obtiennent) ; et de l’efficacité (quelle proportion de leurs objectifs les syndicats atteignent-ils ? Qu’est-ce qu’ils perdent afin d’atteindre leurs buts ?).

Auparavant, dans la plupart des cas, on ne faisait attention qu’à ce que les syndicats obtenaient, sans se demander si ce qu’ils avaient obtenu était quelque chose de positif pour les travailleurs ou si les syndicats n’avaient pas fait quelques compromis problématiques en échange de ce qu’ils avaient obtenu (compromis problématiques dans le sens où les travailleurs ne les auraient pas approuvés).

Depuis le début de la crise économique internationale nous avons assisté à des grèves, des grèves générales, des mobilisations de masse et même à la chute de quelques gouvernements (Slovénie, Bulgarie, Ukraine, Moldavie, etc.). Les syndicats ont ils joué un rôle dans ce changement ? Quelle a été leur attitude à l’égard des mesures d’austérité adoptées par les différents gouvernements ?

La grande surprise a été l’évolution en Pologne. En réponse à l’austérité, les deux grands syndicats ont travaillé (et frappé) ensemble pour la première fois contre le gouvernement de la Plateforme Civique [libéraux conservateurs]. Il sera intéressant d’observer quelle sera leur approche vis-à-vis du gouvernement dirigé par le parti Droit et Justice (Prawo i Sprawiedliwość – PiS ).

Bien que je n’aie pas observé certains des pays que vous mentionnez (Slovénie, Bulgarie, Moldavie) dans le cadre de cette crise, j’ai suivi les évènements en Hongrie, Roumanie et Ukraine. En Hongrie et en Roumanie les gouvernements sont allés très loin dans leur confrontation avec les syndicats à travers une attaque tous azimuts contre leurs droits, mais aussi contre leurs dirigeants (voir mon texte avec Annette Freyberg-Inan sur la Roumanie). En Ukraine, les syndicats sont restés particulièrement silencieux. En réaction, l’extrême-droite essaye de fonder son propre syndicat et gagner du soutien parmi les travailleurs.

Lors de ces mobilisations contre les gouvernements, la corruption et l’austérité, les gens ont développé quelques nouvelles formes de lutte comme l’occupation de places en Ukraine mais aussi dans des pays comme la Roumanie, la Bulgarie, etc. Les syndicats ont-ils pris parti dans ces mouvements ?

En Roumanie et en Bulgarie les syndicats ont soutenu ces actions. En Ukraine, à cause des clivages de Maïdan vis-à-vis de la question qui divise le pays entre Est et Ouest, on comprend que les syndicats se soient maintenus en dehors du conflit.

Vous pensez qu’étudier et comprendre le mouvement syndical dans les pays d’Europe Centrale et de l’Est est utile pour comprendre les tactiques et stratégies des syndicats dans les pays occidentaux ?

Tout à fait. Nous avons deux extrêmes dans l’Europe postcommuniste : les Etats baltes, avec leur offensive pour faire baisser les salaires et faire plaisir à la Commission Européenne et la Hongrie qui, avec son « Workfare », rend la protection sociale et les allocations conditionnées au fait que le bénéficiaire fournisse en échange un travail payé à 70% du salaire minimum. Comment en sommes-nous arrivés là ? La façon dont les Etats ont traité les syndicats ces 25 dernières années peut expliquer beaucoup de choses. Pour les syndicats occidentaux cela devrait être un avertissement sur ce qui arrive s’ils abandonnent la menace de la grève.

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En Hongrie, le projet très politique de régulation de l’emplacement publicitaire

HU-LALA (Hongrie) - Fri, 19/05/2017 - 18:07

Les grandes affiches seront bientôt bannies de Budapest. Un projet de décret gouvernemental prévoit un bouleversement de la réglementation en matière d'emplacement publicitaire dans la capitale hongroise. La société d'affichage Publimont, aux mains de l'ennemi juré de Viktor Orbán, en ferait principalement les frais.
Un projet de décret gouvernemental prévoit de réduire drastiquement le nombre de grands emplacements publicitaires à Budapest. Sur les 16000 emplacements répertoriés, le gouvernement entend en conserver seulement un millier à l'horizon 2020. Cette baisse de l'affichage grande dimension serait compens

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Le vrai Polonais est catholique. Le vrai Russe est orthodoxe.

HU-LALA (Hongrie) - Fri, 19/05/2017 - 10:56

25 ans après la chute du communisme en Europe centrale et orientale, le rôle de la religion comme facteur d’identité individuelle et nationale a augment

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Striptease et Pálinka avec les mecs qui enterrent leur vie de garçon à Budapest

HU-LALA (Hongrie) - Fri, 19/05/2017 - 09:57
Les Budapestois ne peuvent plus mettre les pieds dehors sans croiser des dizaines d’étrangers se soûlant à la santé du marié. En quelques années, le business de la fête express a explosé dans la capitale de la Hongrie. Pour le meilleur…mais surtout pour le pire. Enquête. Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017.

Une heure du mat’ dans un strip club du centre-ville. La pole danseuse, vêtue d’un body en cuir et d’un masque de chat, verse de la cire de bougie sur le torse nu du futur marié, allongé au sol. Depuis 5 minutes, celui-ci essaye de rester digne malgré les coups de fouet et les talons de 20 cm plantés dans les jambes. «Je suis pas venu ici pour souffrir okay ?», lance-t-il en référence au mème. Ses amis, qui le regardent depuis les canapés, sont morts de rire. «Non mais il y a un malentendu, il n’avait pas demandé un show sado-maso!», s’esclaffe l’un d’eux. Oups. Pour se rattraper, la direction du strip club offre au groupe d’amis un effeuillage privé, bien plus calme.

Axel se marie en juillet prochain. Ses amis l’ont kidnappé le midi même au travail, et il n’a découvert qu’une fois à Budapest où il était. Après la limousine Hummer et la tournée des bars, ils ont atterri dans le club de strip tease. Pour ces jeunes cadres-sup parisiens, c’est surtout l’occasion de vivre l’expérience jusqu’au bout. Paul*, expatrié Français au look de hipster, est l’organisateur de cet enterrement de vie de garçon. Depuis quelques années il a un poste important dans une entreprise spécialisée. Cette semaine, il a 6 ou 7 groupes à Budapest. «Les Français sont généralement plutôt calmes. Eux sont vraiment super sympas mais assez exigeants. » Et Paul de continuer : «Ce sont les Anglais qui sont tarés. C’est leur culture de l’alcool. Ils sont gentils mais pour les guider, c’est du babysitting. Y en a qui pisse sur un autre pendant que leur pote se met en danger au milieu de la route.» Justement, c’est un accident de la route qui a tué un Britannique de 24 ans en mai 2017.

Les amis d’Axel ont choisi de se déguiser en Koh Lanta, la bière à la place du riz. © Juliane Rolland Du low cost grâce au low cost

Le concept des enterrements de vie de célibataire est très populaire depuis longtemps dans le monde anglo-saxon. Les Français, eux, n’en étaient pas familiers jusqu’à ce qu’une entreprise lance le marché francophone il y a une dizaine d’années. Fraîchement sortis d’HEC, deux Français montent Crazy-EVG en 2009, première boîte française spécialisée dans l’organisation d’enterrements de vie de garçon et de jeune fille. Elle fait de la capitale hongroise son point de départ. Un film écrit par Manu Payet retracera leur histoire : Budapest, dont le tournage commence en juin 2017.

Depuis, Budapest est devenue l’une des principales destinations pour les bachelor parties. Par exemple, la boîte anglaise d’événementiel The Eventa Group existe depuis 14 ans mais propose la Hongrie depuis 7 ans. Les vols low cost qui se sont développés récemment en ont fait un endroit facilement accessible pour le week-end : c’est surtout depuis 4/5 ans que les enterrements de vie de célibataire sont en plein boom ici. L’Europe de l’Est, quasi inconnue, fascine l’Ouest.

L’arrondissement de la soif

Ce nouveau tourisme de la fête en 72 heures est aujourd’hui un business à part entière de la ville. Les sociétés spécialisées et les clients sont attirés par Budapest autant pour son alcool pas cher, idéal pour la tournée des bars, que pour son image sexy, idéal pour la tournée des clubs de strip tease. Qui dit érotique cheap dit 80% d’enterrements de vie de garçon pour 20% de vie de jeune fille. Les filles, elles, préfèrent généralement Barcelone, Amsterdam ou Rome. Ici, la pinte est à 600 forints, soit 2€. «Si vous sortez à Londres et que vous buvez beaucoup, cela peut vous coûter plus cher que de venir ici», remarque Gergely Olt, doctorant en sociologie à l’université Loránd Eötvös et spécialiste du 7e arrondissement et des ruin bars.

Dans le centre-ville, les sex-shops et les clubs de strip-tease cohabitent l’air de rien avec les commerçants. © Juliane Rolland

«Budapest est plus sûr que Belgrade ou Bucarest, et son centre-ville est plus dense que celui de Prague», ajoute-t-il. Ici, il n’y a pas de quartier rouge comme à Amsterdam. Mais le grand nombre de bars dans le 7e arrondissement en font un endroit propice. Il y en a à peu près 400, où se côtoient stag parties, étudiants Erasmus, Hongrois et touristes. La transformation urbaine continue aujourd’hui avec la création de bars de mauvaise qualité dont le chiffre d’affaires repose sur les enterrements de vie de célibataire. «Ces nouveaux bars ne cherchent pas à fidéliser la clientèle, ils veulent juste vendre de l’alcool», note le sociologue. Paul confirme que «certains Hongrois ont la nostalgie de la nuit d’il y a dix ans. Il y avait moins de fêtes mais elles étaient meilleures.»

«Budapest est plus sûr que Belgrade ou Bucarest, et son centre-ville est plus dense que celui de Prague»

En dehors des bars aussi

Dans les rues de Budapest, les groupes qui participent aux activités proposées par leur agence de stag parties sont monnaie courante. Il suffit de sortir déjeuner pour les croiser. Après s’être rués dans les toilettes du Burger King, les joyeux Britanniques remontent à bord de leur Beer Bike garé devant le Hello Baby, l’une des plus grosses boîtes de nuit de la ville. Cet engin, un grand vélo où l’on boit de la bière tout en pédalant mollement, est l’une des activités de jour. Déguisés, ils ont environ 25 ans et couvrent de leurs cris de joie la pop américaine en fond sonore. Deux heures plus tard, même endroit, même scène, ce sont cette fois des filles déguisées en fées qui enchaînent les bouteilles de vin. Les automobilistes qui croisent leur chemin ont intérêt à être patients. Les piétons, eux, sont plutôt indifférents.

Le Beer Bike est l’occasion de se muscler aussi les jambes. © Juliane Rolland

Si le gouvernement est permissif par rapport à ce phénomène, c’est parce qu’il rapporte beaucoup d’argent. Les groupes d’étrangers sont bien sûr les bienvenus pour tout dépenser en vodka. Mais ne connaissant ni la langue ni la monnaie, il leur arrive de payer plus cher que prévu. «Les Hongrois voient des gens se miner la tête pour une soirée, chose qu’ils n’ont pas les moyens de faire. Les étrangers ne comprennent pas qu’une serveuse puisse faire la gueule quand ils crient ‘putain mais c’est pas cher !’ alors qu’elle, elle est payée 3€ de l’heure. J’ai même envie de dire : c’est normal de se faire rouler quand t’es étranger», lâche Paul.

«Je slalome entre les vomis»

Barbara Litzlfellner, une Allemande qui habite le centre de Budapest depuis 5 ans, ne les supporte plus. «Une fois, ils m’ont encerclée et ne voulaient plus me laisser sortir. Une autre fois, alors que j’attendais tranquillement une amie dans la rue, un homme m’a demandé combien je prenais», se sentant obligée de préciser qu’elle portait seulement un pantalon. Désormais, elle privilégie les bars qui interdisent l’entrée aux enterrements de vie de célibataire, même «s’ils ne sont pas tous comme ça».

De temps en temps, elle écrit pour Matador Network, un site qui parle de voyages et qui lui paye ses fins de mois de traductrice anglais-allemand. En janvier dernier, elle a posté un article donnant six conseils de bienséance aux hommes qui viennent faire la fête ici. Notamment : «Non, nous ne voulons certainement pas vous aider à enlever le ruban adhésif avec lequel deux énormes pénis en caoutchouc sont fixés à vos mains, peu importe combien de fois vous interrompez notre conversation pour nous demander de le faire.»

Stop aux clichés, tous les mecs bourrés ne sont pas Anglais. Eux sont Ecossais, rien à voir. © Juliane Rolland Retour à l’ordre

Justement, le plus connu des ruin bars, le Szimpla Kert, envisage de prendre des mesures pour réguler les enterrements de vie de célibataire. La direction réfléchit actuellement à une charte de standards pour son établissement : un autocollant ou un tampon qui montrera qu’il n’y a pas d’arnaques ici et que l’on peut passer une soirée tranquillement. Déjà bondé le week-end, le bar «n’a pas besoin de cette clientèle pour survivre», se réjouit Bence Molnar, manager de la programmation. Pour l’instant, le bar ne souhaite exclure personne, ne pouvant pas savoir à l’avance si ceux-ci seront calmes ou non.

«Le problème ce n’est pas que les gens d’Europe de l’Ouest viennent ici pour s’amuser parce que c’est pas cher, c’est quand ils utilisent l’Europe de l’Est comme des toilettes. Il y a des gens derrière le comptoir, qui nettoient après leur passage. Dans les endroits dédiés, oui tu peux agir comme un animal, mais pas ici», explique-t-il, faisant allusion à l’été dernier, quand un footballeur et ses amis ont crié, jeté des objets et embêté les serveuses. Bence Molnar résume, en montrant des Espagnols assis quelques tables plus loin : «Eux, ils sont tous déguisés pareil, et alors ? Tant qu’ils ne se mettent pas à poil !»

Retour à la sortie du strip club. Paul décide d’emmener ses clients au Hello Baby. Le groupe de dix se scinde en deux : ceux qui rentrent directement en boîte et ceux qui achètent à manger. Le frère du marié, Pierre, fait partie de la deuxième équipe. Faisant le point sur cette première soirée un cheeseburger à la main, il parle avec des étoiles dans les yeux de sa copine. «Les strip teaseuses, elles sont jolies, mais sans plus. Ma copine, ça fait onze ans qu’on est ensemble, alors que j’en ai 29. Onze ans… c’est passé tellement vite, et c’est tellement bien». Leur enterrement de vie de garçon aussi passera tellement vite.

* Le prénom a été modifié. 

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Mobilisation en baisse en Tchéquie sur fond de sortie de crise

HU-LALA (Hongrie) - Thu, 18/05/2017 - 13:43

Quelques milliers de personnes se sont à nouveau rassemblées à Prague et dans les principales villes de République tchèque contre l’oligarque Andrej Babi

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Vladimir Perišić : « On ne se reconnaît pas dans le monde dans lequel on se réveille »

HU-LALA (Hongrie) - Thu, 18/05/2017 - 09:20
Si les programmations officielles et compétitives du Festival de Cannes peuvent se vanter d’être les plus prestigieuses (et par conséquent les plus attendues), il faut peut-être chercher dans les sélections plus alternatives pour trouver des films à la forme résolument novatrice, parfois fragile et souvent forte. Entretien avec le réalisateur serbe Vladimir Perišić, concepteur du programme « Acid Trip #1 ». Cet article fait l’objet d’une publication commune avec l’association Kino Visegrad, site d’information et de diffusion du cinéma centre-européen dans l’espace francophone.

Depuis 1993, le programme de l’Association du Cinéma Indépendant pour sa Diffusion (ACID) repose sur un principe pour le moins étonnant : des cinéastes soutiennent les films d’autres cinéastes. Outre l’originalité de leur choix, l’innovation concerne donc le geste de programmation lui-même, puisque chaque film sélectionné à l’ACID bénéficie par la suite d’une promotion in situ dans l’ensemble du territoire français au moment de sa sortie en salles. Et ce n’est pas tout puisque cette année l’association a décidé pour la première fois d’établir un programme supplémentaire intitulé « Acid Trip #1 », consacré à un pays étranger. Conçu par le cinéaste Vladimir Perišić, il met à l’honneur la Serbie autour de deux longs et de six courts métrages récents. Le réalisateur a accepté de répondre à nos questions lors d’une rencontre sobrement radicale.

L’ACID programme chaque année des films français, qu’on qualifie d’ailleurs souvent d’exigeants. Avec le programme Acid Trip #1, il s’est agi de porter l’attention sur une cinématographie étrangère, en l’occurrence la Serbie. Êtes-vous à l’initiative de ce programme ? Dans tous les cas, qu’est-ce qui vous a donné envie de participer à ce coup de poker curatorial ?

Je ne fais pas moi-même partie de l’ACID et, par conséquent, je n’ai pas été à l’initiative du projet. Je suis cinéaste et, en compagnie d’autres cinéastes serbes, nous organisons le Festival du Film d’Auteur (Festival autorskog filma) à Belgrade. Ce sont les cinéastes qui en sont à l’initiative; il vise à défendre le cinéma d’auteur. Il y a deux ans, nous avons invité des membres de l’ACID à ce festival. Au-delà des différences culturelles évidentes, nos deux projets reposent sur la même idée : des cinéastes s’engagent pour les films d’autres cinéastes. Nous nous étions promis de faire quelque chose ensemble. On nous a donc proposé d’établir la programmation Acid Trip #1. D’après ce que je sais, l’idée est de donner une carte blanche chaque année, dans le cadre du Festival de Cannes, à une association similaire à celle de l’Acid pour défendre des films issus d’une cinématographie nationale.

Quelles ont été les motivations pour créer une association de cinéastes en Serbie ? Ressentiez-vous le besoin d’une solidarité entre auteurs ?

Le Festival du Film d’Auteur a commencé en 1994, nous étions encore sous le coup de l’embargo imposé à l’ex-Yougoslavie. Au milieu des années 2000, l’événement a fait face à de grandes difficultés financières, lesquelles touchaient l’ensemble des domaines culturelles soumis aux vagues de privatisation que nous avons connues. Pour dynamiser les activités liées à l’événement, le directeur du festival de l’époque a proposé à la nouvelle génération de cinéastes de le rejoindre. Je suis devenu membre du comité d’organisation. Le festival a connu de plus en plus de succès, pour atteindre 100 000 spectateurs l’an passé. Nous avons créé, entre autres, une sélection consacrée au cinéma radical sous la bannière « Bande à part ». En 2016, on a ouvert un autre programme qui s’appelle « Brave Balkans », qui regroupe des courts et des longs métrages de toute la région balkanique.

Cette région est particulièrement dynamique ces dernières années et reçoit des prix dans les grands festivals internationaux.

Les pays de l’Est ont une très longue tradition cinématographique. On parle souvent de l’époque communiste, cette vitalité venant de Lénine. Ce dernier a dit : « Parmi tous les arts, le cinéma est pour nous le plus important. » Les Partis communistes n’ont pas seulement investis, ils ont créé l’industrie cinématographique. C’est avec Tito que commence l’aventure cinématographique yougoslave. La « deuxième » Yougoslavie, celle de Tito donc, a été proclamée en 1943, pendant la guerre. Le lendemain de la proclamation de la Yougoslavie, ils ont envoyé des opérateurs amateurs pour filmer la guerre. Tito avait l’idée que la naissance d’un pays et d’une nation devait être accompagnée de l’image de cette nation et de ce pays.

Pour établir cette sélection, vous avez troqué votre casquette de cinéaste pour celle de programmateur. Pour vous, qu’est-ce que signifie « programmer » ?

Je n’ai pas théorisé ce geste. Selon moi, ce n’est pas si différent que de faire un film. Il s’agit de montage. Ici, on le fait à partir des images des autres. Il s’agit de mettre ensemble des fragments pour qu’ensemble ils racontent quelque chose. Mon désir de programmer, que ce soit à Belgrade ou à Cannes, vient de l’envie de mettre l’accent sur un cinéma plus radical et plus politique, qui ne sort pas dans les salles. J’ai choisi les films avec pour objectif qu’ils aident le spectateur à négocier son rapport au réel et au monde dans lequel il vit. Programmer, c’est proposer une lecture, une autre façon de négocier notre rapport à ce qui se passe en Serbie, puisqu’en l’occurrence seuls des films serbes pouvaient être choisis. Mais l’ex-Yougoslavie reste pour moi un espace commun, parce que nous vivons encore aujourd’hui la même histoire. C’était une façon de rendre compte d’une image de la Serbie, et non pas des images faites par des instruments du pouvoir sur la Serbie (CNN, TF1, etc.). Il s’agit de donner une image des gens qui n’ont pas de voix. C’est comme ça que je conçois également mon geste de cinéaste.

Comment avez-vous procédé pour choisir les films ? Avez-vous travaillé seul ?

Nous avons travaillé à trois : Srdan Golubović, Stefan Ivančić et moi-même. L’idée était de trouver des échos entre les films. Chaque film raconte un bout de réalité qu’on vit, suivant les transformations d’une société, du socialisme au capitalisme. Nous voulions mettre un coup de projecteur sur des films récents, produits ces trois dernières années. Comme dans un montage, on propose un parcours, un voyage, à travers les films choisis. Comme une croisière prépayée. Évidemment, c’est une plaisanterie. Mais c’était ça l’idée. L’ensemble des films permet de donner une image complexe de la Serbie actuelle. Choisir d’un côté Requiem for Mrs J. et de l’autre Humidité sont comme les deux faces d’une même société : les gagnants contre les perdants, bourgeoisie naissante contre monde ouvrier empêtré dans un nouveau monde.

Pour ce qui est des courts métrages, je me suis rendu compte au fur et à mesure que le thème de l’exil revenait. Il s’agit d’un dénominateur commun. Les films témoignent de ce sentiment d’exil intérieur, de plus en plus répandu dans les Balkans. On ne se reconnaît pas dans le monde dans lequel on se réveille, d’où la récurrence de ce sentiment d’exil extérieur ou intérieur. Ceci répond non seulement à l’arrivé du capitalisme, mais aussi à la situation politique où des agents collaborationnistes se voient aujourd’hui réhabilités dans le discours officiel.

Avant de revenir sur cette notion d’exil, il me semble important de rebondir sur l’environnement politique que vous mentionnez. Or, justement, dans la plupart des films choisis, la situation politique serbe en tant que telle est relativement absente. C’est le cas plutôt pour les courts métrages, mis à part peut-être Dos Patrias de Kosta Ristić qui évoque directement l’endoctrinement communiste des enfants à Cuba.

Je ne suis pas totalement d’accord. Plusieurs choses doivent être mentionnées. Les films doivent être humbles par rapport au réel. La tâche d’un cinéaste est de nous donner à voir et à entendre. Ces films ont une conscience un peu plus élaborée sur la façon d’être politique, sur comment le cinéma fait la politique. Ce n’est pas seulement en traitant de sujet politique que le cinéma est politique. Donner une image à ceux qui n’ont pas d’image, est un geste éminemment politique. Dans tous ces films, la situation politique est hors-champ ou bord-cadre. Si l’on prend l’exemple du film de Marko Gbra Singh If I had it my way I would never leave, les deux immigrés se retrouvent dans un château où s’étaient réfugiés les Partisans pendant la Seconde Guerre mondiale. C’est une façon que je trouve très belle de suggérer qu’il y a une continuité d’oppression et de résistance. Dans le film Transition de Milica Tomović, il y a ce jeu entre la transformation politique et l’opération de changement de sexe. Elle suggère là aussi la situation politique.

Faut-il en déduire que, pour comprendre vraiment ces films, il faut connaître cette situation qui est bord-cadre, ou carrément hors-champ ? Ou bien ce sont les films eux-mêmes qui suscitent des interrogations et qui exigent du spectateur de s’intéresser par la suite à ce qui se passe dans la réalité balkanique ?

C’est tout l’enjeu d’établir une programmation où les films s’éclairent les uns les autres, et que ces échos complètent d’éventuelles lacunes. On ne peut pas demander à un court métrage de raconter toute la situation des Balkans à un spectateur ignorant de tous les enjeux. Si tu te donnes cette tâche-là en tant que cinéaste, tu es tellement paralysé. C’est comme si on demandait à quelqu’un de comprendre la situation de l’Ukraine contemporaine en trois minutes. Cette logique n’est pas tenable. Cela demande du temps.

« Cette façon d’être du côté des victimes de ce nouveau monde qui se met en place, c’est déjà un acte politique. »

Dans les courts métrages qu’on a choisis, les questions que les cinéastes se sont posés sont d’ordre cinématographique : comment filmer ces corps, à quelle distance, etc. Ils les filment d’ailleurs tous avec amour. Cette façon d’être du côté des victimes de ce nouveau monde qui se met en place, c’est déjà un acte politique. C’est aussi proposer une place aux spectateurs, une place d’empathie.

Si on revient un peu en arrière dans l’histoire du cinéma yougoslave, les questions intimes — le divorce, les relations amoureuses, le déchirement lié au départ d’un proche — étaient déjà traités du point de vue des sujets eux-mêmes. Mais ils montraient simultanément un environnement politique complexe. Pourquoi n’est-ce pas le cas ici ? Je devrais d’emblée nuancer, car l’un des films dévoile parfaitement les rapports de force sociaux qui sous-tendent les relations interpersonnelles, en passant par la comédie et en caricaturant le fatalisme lié à cette violence. Il s’agit de Sortie de secours de Vladimir Tagić. Seule la comédie peut révéler les rapports de force politiques ?

Le film décrit une série de personnages. Parmi eux, il y en a qui est malentendant et qui se met à entendre, se rendant compte que l’audition lui est plus néfaste que la surdité. Il s’agit d’un film choral, d’où ce sentiment de donner plus clairement l’image d’une situation politique. Je pense que la place de l’humour, du comique et de l’ironie, aussi bien dans la littérature, dans le théâtre et dans le cinéma yougoslaves, a toujours été très forte. Elle a des bases populaires. L’humour, c’est l’arme des faibles contre les puissants, des esclaves contre les maîtres. C’est une subversion des codes. Il suffit de penser à Rabelais.

Sauf que cette subversion montre, particulièrement dans le film de Vladimir Tagić, que tous les rapports n’ont qu’un dominateur commun : la violence.

Je pense surtout que le film parle de l’atomisation de la société. La communauté est devenue du « chacun pour soi ».

Ce qui est symptomatique dans l’individualisme, c’est le moment où des rapports se tissent quand même, que quelque chose de la relation devient problématique. Même dans une situation de séparation vue du point de vue d’un enfant, comme le raconte le film A Handful Of Stones de Stefan Ivančić, l’enjeu est davantage le lien, le souvenir du lien, que la déchirure elle-même. C’est la volonté d’un lien maintenu qui est en jeu.

Je connais très bien Stefan Ivančić et je sais qu’il a vécu en Espagne. Ses parents se sont séparés au moment où la Yougoslavie s’est effondrée. Quand je vois son film, je perçois que cette séparation familiale a aussi un arrière-plan directement en lien avec la Yougoslavie. Il y a ce terme de « balkanisation », utilisé à tort et à travers par les hommes politiques, notamment en France. Je crois que c’est cette atomisation qui est problématique. C’est aussi l’absence d’un devenir commun, d’un vivre ensemble.

Ce que j’aime dans A Handful of Stones, c’est la présence du paysage d’une ville minière qui était prospère, entrant en écho avec cet éclatement de la cellule familiale. Il y a une dissémination sociale et économique, parallèlement à une déchirure familiale. C’est suggéré à travers l’errance de l’enfant dans ce paysage minéral, qui est à la fois un paysage intérieur mais aussi une trace documentaire de ce délabrement du monde socialiste. Jean-Luc Godard disait que le paysage représente l’état d’âme du personnage.

D’ailleurs, le film fait penser au néo-réalisme italien et au cinéma de Roberto Rossellini. C’est peut-être justement causé par la co-présence d’un enfant et des ruines. À ceci près que chez Rossellini, l’enfant se suicide à la fin. Mais peut-être que je projette un peu.

Non, non. Moi, j’adore Allemagne, année zéro. Il a beaucoup marqué toute ma génération. Reconnaître l’importance de ce film, cela est juste. Cependant, je ne considère pas que le monde socialiste est montré ici comme s’il était coupable. Gilles Deleuze disait du film de Rossellini qu’il s’agissait d’un enfant innocent dans un monde coupable. Ici, ce serait plutôt l’errance d’un enfant innocent dans un monde innocent.

Tout à l’heure, vous avez évoqué la notion d’exil, intérieur et extérieur. Mais l’impression rendue par les films est moins celle de quelqu’un qui est parti que celle de quelqu’un qui s’en va ou qui reste. Que signifie rester quand on pourrait partir ? Que signifie faire face au départ de quelqu’un quand on doit rester ? Comment dire « au revoir » ? Aucun film ne traite d’un trajectoire qui arrive quelque part; les films se situent tous avant le départ, ou bien au creux de la transition. Le film Transition est d’ailleurs bouleversant : les vies qu’il montre font de la Serbie un espace par lequel on passe, qu’on doit quitter. Le sentiment qui est en jeu, c’est celui d’un ailleurs qu’on ne peut que fantasmer. Le point commun des films est-il le fait qu’ils travaillent la question de l’ailleurs à partir de l’ici ?

C’est tout le sens de l’idée d’exil intérieur. Dans le cas du film de Marko Grba Singh, même si les deux migrants ne sont pas arrivés à destination, ils ne sont déjà plus chez eux. Les autres films montrent aussi un exil intérieur. C’est la trace d’un sentiment commun qu’on ressent en Serbie : Not anymore, but not yet. Nous ne sommes plus dans le monde socialiste, mais le monde capitaliste n’est pas encore arrivé. Le film chinois Platform de Jia Zhang-ke parle parfaitement de cette attente d’un monde qui va venir.

D’où le sentiment de suspension qui émerge des personnages ?

Oui, les personnages sont en suspension de savoir qui ils sont, d’où ils viennent et où ils vont. La disparition du socialisme a créé une grande crise d’identité. Ce sentiment d’être sans monde, d’être avant tout étranger au monde. C’est le sentiment qui pour moi traverse ces films.

Il est flagrant de constater que dans les autres sélections de courts métrages montrées à Cannes, d’autres films montrent cette situation de départ. Cela concerne des personnages assez jeunes. Volontairement ou non, ils sentent le besoin de partir. Et souvent les films montrent les prémisses à cette fuite, l’avant. On pourrait les qualifier de « films de départ ». Ces films sont de différentes nationalités : polonaise, allemande, française, etc.

Quand on parle d’exil, il y a trois moments : le départ, pendant lequel se brise le lien qui nous liait au monde, l’arrivée, où l’étranger se confronte au monde nouveau, et le nostos, c’est-à-dire le retour, qui montre que celui qui revient est devenu un étranger. Le monde aujourd’hui est traversé par des grandes crises migratoires, conséquentes aux guerres néo-impériales et néo-coloniales que l’Occident mène de part le monde.

« Je suis un exilé de l’histoire. Les rencontres que je fais sont le fruit de cet exil intérieur. »

Est-ce cela fait écho également à votre situation personnelle de cinéaste, puisque vous habitez à la fois en Serbie et en France ?

Ma situation n’est pas particulière, j’appartiens à toute une génération qui est partie de la Yougoslavie, au moment où elle s’effondrait. La guerre des Balkans a produit une génération qui est restée apatride. C’est un destin historique partagé par beaucoup. Je me sens moins étranger en France qu’aujourd’hui en ex-Yougoslavie. En France, je trouve un lien avec l’histoire qui fut à l’origine de la Yougoslavie de Tito. En Serbie, toute l’histoire de la gauche est niée, criminalisée. Je suis un exilé de l’histoire. Les rencontres que je fais sont le fruit de cet exil intérieur.

Beaucoup de cinéastes serbes sont dans la même situation ?

Beaucoup de jeunes de cette génération sont allés vivre à Berlin, par exemple. Mais j’ignore si c’est le cas des cinéastes que nous avons invité. Le film de Kosta Ristić a été fait à Cuba, au sein du workshop de Werner Herzog. Kosta, par exemple, n’a jamais vécu à l’étranger.

C’est ce qui explique le sentiment d’impuissance qui émane des films ? Tout autant que la distance qui semble s’immiscer entre les films et les spectateurs ?

Malgré l’impuissance qui émane des personnages, l’acte de faire ces films c’est une façon de retourner l’impuissance en la nommant. C’est la façon dont je vois les choses. Le geste créateur est une façon de contourner le piège. Il y a une révolte dans le fait de dénoncer cette situation, ou en tous cas de tenter de la dépasser. Quant à la distance, ça me fait penser à deux choses. Dans Les rêveries d’un promeneur solitaire, le protagoniste à un certain moment se promène dans les vignes de Montmartre. Il se fait attaquer par un chien, qui lui mord la main. S’en suit une description de sa main qui saigne; il la décrit avec une froideur et une objectivité, comme si ce n’était pas sa main.

C’est un procédé qu’on retrouve fréquemment chez Kafka, au début de la Métamorphose par exemple. Il y a une forme de détachement, comme si cela n’arrivait pas au personnage. Cette distance, ou ce détachement, que les cinéastes emploie, c’est le geste par lequel ils deviennent cinéastes. Par lequel ils se distancient de leurs histoires, de ce qu’ils vivent — car tous les films sont autobiographiques. Ça rejoint le renversement de l’impuissance que vous pointez, permettant de ne pas être victime ou piégé par un monde qui n’est pas le sien. Je crois même que la possibilité d’un regard, pour eux, c’est ce détachement. On parle là d’une génération qui ne se reconnaît pas dans le monde dans laquelle elle vit. Ce monde est impartageable, invivable, inhabitable.

J’en arrive à ma dernière question : où en est aujourd’hui le cinéma serbe ? D’ailleurs, dans quelle mesure peut-on parler de « cinéma serbe » ?

Le cinéma bosniaque a émergé. Un cinéma croate aussi, même si les partis de droite au pouvoir sont actuellement en train de démanteler leur centre de la cinématographie. Une rupture doit être pensée entre le cinéma yougoslave et le cinéma serbe, c’est vrai. Depuis quelques années, on a assisté à la refondation d’un centre du cinéma à Belgrade. La programmation Acid Trip #1 participe elle-même à l’idée qu’une image particulière est faite par ceux qui vivent en Serbie aujourd’hui, à partir de films tournés sur place. Comment doit-on l’identifier ? C’est une autre question. Il faut refonder la possibilité économique de produire une image sur place, c’est ce sur quoi il faut travailler.

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Matthieu Taponier : « Avec László Nemes, on a construit un système de travail »

HU-LALA (Hongrie) - Wed, 17/05/2017 - 19:29
Assistant à la réalisation, monteur, coscénariste… À seulement 35 ans, Matthieu Taponier pratique le cinéma dans les grandes largeurs. Fidèle associé de László Nemes depuis ses débuts, il raconte son parcours, et le tournage imminent du prochain film du réalisateur hongrois, Sunset. Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017. Comment László Nemes vous a-t-il amené sur le tournage de The Counterpart, en 2008, son second court métrage ?

On était tous les deux étudiants dans la même promotion à la TISCH Academy, à New York. Il y a été un an et ensuite il a décidé d’arrêter l’école. Il est retourné en Hongrie et il a fait son deuxième court. Il m’a demandé de venir sur le tournage en Transylvanie pour lui prêter main forte. À ce moment-là, j’étais troisième assistant réalisateur. J’étais chargé du combo[1]Le moniteur qui permet de visionner les plans shootés, ndlr jQuery("#footnote_plugin_tooltip_9059_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_9059_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] }); Je pouvais lui donner des retours directement, ce que je ne me suis pas privé de faire. Deux ans plus tard, il m’a demandé de venir travailler sur son troisième court métrage, The Gentleman Takes His Leave, une adaptation d’un chapitre des Démons de Dostoïevski. Sur ce projet-là, j’étais monteur de plateau, c’est-à-dire que je montais directement sur les vidéos du combo. Je pouvais lui montrer tout de suite un montage de ce qu’on était en train de filmer. Ainsi, on a commencé à mettre en place ensemble un système de travail. Il faut dire que je l’avais aidé à monter ses courts à l’école, donc on avait déjà cette relation-là.

Cinq ans plus tard, vous avez donc été désigné monteur sur son premier long métrage, Le Fils de Saul. Qu’est-ce que cela impliquait ?

László travaille beaucoup avec des plans-séquences, donc la part de montage n’est pas très grande. Ce n’est pas un cinéma de montage. J’étais là pour voir si les plans faisaient sens, si les intentions étaient réalisées à l’écran, si le rendu était beau. On a donc mis en place cette forme un peu atypique de travail sur ses deuxième et troisième courts métrages, si bien que quand il était sur le point de réaliser son premier long métrage, Le Fils de Saul, il m’a demandé de venir le monter. Et on a reconduit un peu ce qu’on avait déjà fait sur ses courts métrages. Quand on travaille avec des plans très longs et des plans-séquences, on peut faire seulement trois choses : on peut couper le début du plan, la fin du plan ou le plan tout court. On n’a pas de marge de manœuvre. Le montage doit être intégré au tournage lui-même. C’est sur le fil du rasoir, il n’y a pas de filet de sécurité.

Pour Sunset, vous avez à nouveau changé de poste. Vous êtes coscénariste avec Clara Royer et László Nemes.

Sur Le Fils de Saul, j’étais également consultant scénario, script editor, on va dire. Je donnais beaucoup de retours sur le scénario et sur Sunset, comme on avait développé le film avant le tournage du Fils de Saul, on a coécrit le film avec László et Clara Royer, qui était déjà la coscénariste du Fils de Saul. On a développé l’histoire ensemble. Moi j’étais plutôt responsable de la structure, de la conception des situations, des séquences, des personnages. Comme Clara et László avaient écrit le premier ensemble, ils étaient plutôt chargés de la rédaction des scènes.

Comment vous est venue l’idée de Sunset ?

László avait eu cette idée d’une jeune femme dans une grande ville européenne, avant la Première Guerre mondiale et cette idée le hantait. Alors on a commencé à développer le scénario avec Clara et moi ; on a beaucoup cherché. Finalement, le film s’est situé à Budapest, en 1910, c’est-à-dire au sein de l’empire austro-hongrois. Je pense qu’il y a chez László le désir de continuellement enquêter sur la question du mal dans l’Histoire. C’est quelque chose qui revient de film en film. L’héroïne est une modiste qui travaille dans un magasin de chapeaux pour dames. Après avoir grandi dans les marges de l’empire, à Trieste, elle arrive à Budapest, au début du film, pour travailler dans ce magasin qui a appartenu à ses parents, décédés quand elle était jeune. Elle finit par découvrir l’existence d’un frère qu’elle ne connaissait pas et qui se révèle être un assassin. C’est l’histoire d’une jeune femme qui est prise entre deux mondes : le monde sophistiqué, raffiné d’un magasin de chapeaux pour dames et un monde nocturne, plus violent, qui est celui de son frère.

Comment se déroule le tournage ?

On tourne en juin, juillet et août, tout l’été. Il y a quelque chose de très différent en Hongrie, par rapport à la France, par exemple : on travaille vraiment en famille. L’équipe, le chef opérateur, Clara, l’ingénieur du son, Tamás Zányi – qui est un maître en la matière – et même le chef décorateur… László travaille avec ces collaborateurs-là depuis son premier court métrage. Ça fait une dizaine d’années qu’on travaille ensemble. C’est très agréable. C’est pas non plus étonnant que les rôles ne soient pas exactement identiques à ceux d’un tournage plus installé, plus ordinaire. C’est une sorte de famille. Pour le décor, on ne tourne pas du tout dans les studios budapestois. Tout est quasiment filmé en décor réel. Le décor principal, le magasin, a été construit – et c’est très impressionnant, d’ailleurs – directement dans les rues de Budapest.

Notes   [ + ]

1. ↑ Le moniteur qui permet de visionner les plans shootés, ndlr function footnote_expand_reference_container() { jQuery("#footnote_references_container").show(); jQuery("#footnote_reference_container_collapse_button").text("-"); } function footnote_collapse_reference_container() { jQuery("#footnote_references_container").hide(); jQuery("#footnote_reference_container_collapse_button").text("+"); } function footnote_expand_collapse_reference_container() { if (jQuery("#footnote_references_container").is(":hidden")) { footnote_expand_reference_container(); } else { footnote_collapse_reference_container(); } } function footnote_moveToAnchor(p_str_TargetID) { footnote_expand_reference_container(); var l_obj_Target = jQuery("#" + p_str_TargetID); if(l_obj_Target.length) { jQuery('html, body').animate({ scrollTop: l_obj_Target.offset().top - window.innerHeight/2 }, 1000); } }
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Lois CEU et ONG : le gouvernement hongrois contraint de négocier

HU-LALA (Hongrie) - Wed, 17/05/2017 - 17:33

Le gouvernement de Viktor Orbán se dit prêt à assouplir la loi sur les Universités adoptée début avril et à modifier son projet de loi sur les ONG

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Les députés européens veulent sanctionner durement la Hongrie

HU-LALA (Hongrie) - Wed, 17/05/2017 - 17:23

Le Parlement européen a voté ce mercredi une résolution appelant les États membres de l'Union européenne à activer l'article 7 du traité de Lisbonne contre la Hongrie. A Budapest, le Fidesz de Viktor Orbán juge cette décision "scandaleuse".
Réunis ce mercredi en séance plénière, une majorité de députés européens ont voté une résolution invitant les États membres de l'Union européenne à activer l'article 7 du traité de Lisbonne contre la Hongrie. En cause : des manquements répétés et persistants aux valeurs europ

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Journal d’une expédition à la frontière entre la Serbie et la Hongrie

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 16:33
Des grillages. Des barbelés affûtés brillent, sinistres, sous un soleil couvert de nuages. Une esplanade, propre, spacieuse, vide. Des poteaux, tous les 5 mètres, trois caméras sur chaque poteau. Pour que personne ne s’échappe. Un bois à proximité mais sur l’esplanade – à perte de vue – pas un coin d’ombre, ni maintenant ni plus tard. Article publié le 5 avril 2017 sur Q Code Mag. Traduit de l’italien par Sylvain Bianchi.

Une froide matinée de mars. Seuls quelques containers sont déjà assemblés, le drapeau de la Croix rouge hongroise flotte en surplomb. Une haute tour blanche et rouge se détache au centre du camp.

Un centre « d’Accueil », comme ils disent. Des centaines, des milliers d’hommes et de femmes qui ont dit adieu à leur passé, à qui ils étaient, à leur histoire.

Ils ont pris le peu qu’ils pouvaient transporter, un téléphone portable, unique forme de salut dans un voyage où s’éteindront des vies, des histoires, des rêves, un voyage à travers un désert, à travers des camps de détention, des violences et des viols, des embarcations et la mer.

Un corps brûlé par l’essence d’un moteur à explosion, un feu puis le choix : une mer sombre ou la lutte. Des yeux perdus sous les coups de crosse d’un fusil. La mort à nouveau.

Et parmi ces centaines, les chanceux qui arriveront feront un pas sur une terre que beaucoup d’entre eux n’ont jamais rencontré, ni dans les livres, ni dans les histoires. Une terre extra-terrestre, mais une terre avant tout, et surtout une terre lointaine. Derrière, une mort certaine. Devant, l’inconnu.

« Chaque jour pareil au précédent. Le temps immobile et l’atmosphère de frustration entraînent des violences et représailles. »

Et dans le débarquement ils perdront leur nom. Ils se mettront à marcher. Vers le nord. Vers l’Allemagne. Vers l’Angleterre. Ils marcheront sur des sols dont ils ignoraient l’existence, accompagnés d’une langue douce-amère mais inconnue. Ils n’ont pas de papiers. Et s’ils en ont, mieux vaut ne pas les montrer.

« Et puis un jour, je me suis retrouvé en Hongrie. Moi qui viens du Sierra Leone, j’arrivais en Europe. Je pensais que tout le monde parlait anglais. Je pensais que l’Europe n’était qu’une seule et même nation. Au fond, cela n’était pas vraiment important. C’était un endroit lointain. Un endroit éloigné de la guerre et d’une mort certaine. Un endroit pour tout recommencer. »

« Je me suis retrouvé ici, dans le camp de Bicske, les jours passaient, sans interruption, sans que rien ne se passe. Chaque jour pareil au précédent. Le temps immobile et l’atmosphère de frustration entraînent des violences et représailles. »

Alors, James Peter lance un projet de formation pour les migrants, un cours d’informatique pour les nombreux qui n’avaient jamais allumé un ordinateur, avant une formation de base, puis un atelier de web-design, puis un atelier linguistique et enfin des cours certifiés.

Il fonde l’organisation MigHelp et commence à créer un pont vers la société. Une forme d’insertion. Il implique les entreprises, le privé, les écoles, les académies ; et voit les sourires des premières recrues qui décident de dédier tous leurs efforts et leur temps libre aux nouveaux arrivants. Un phare lumineux.

Puis Andrea et le Baobab, et l’accueil à notre façon. Des hommes et des femmes, qui servent de bouclier quand les institutions ferment les yeux et déblaient en hurlant. Les batailles, la résistance. L’appel à la désobéissance civile.

Parce que nous sommes Hommes parmi les Hommes. Et il ne peut exister de barrières, il ne peut exister de frontières. Et s’il existe des viols, des déserts et des mers, nous serons un soutien, nous serons médecins, nous serons psychologues, nous serons avocats.

Nous serons une patinoire pour celui qui n’a jamais vu la neige, nous serons un match de foot, un cours de langue, une accolade, un sourire. Nous serons Humains.

Budapest, Hongrie. Le temps d’Orbán et de la chasse au migrant, des grillages et des frontières, des patrouilles et des barrières.

Nous sommes à un colloque de la Fondation Bill Gates, le thème : les migrations. Des académiciens, des sympathisants de la fondation, des représentants d’ONG, tous réunis pour discuter du sujet.

Quels sont les acteurs, quelles sont les violations perpétrées, comment évolue la société civile, que se passe-t-il en réalité. Nous sommes ici parmi ceux que le thème de la migration concerne directement, comme Andrea et James, et indirectement -comme nous- qui travaillons dans ces territoires situés à l’origine des flux migratoires.

« Hungary Approves Detention of Asylum Seekers in Guarded Camps ». Cela date de quelques jours. Nous demandons des informations mais aucun des participants n’a vu ou ne sait ce qu’il en est réellement.

A bord d’une voiture qui désormais a fait le tour du monde, nous décidons d’aller dans la zone en question, entre la Serbie et la Hongrie, en quête de renseignements supplémentaires. Andrea veut voir, il veut comprendre.

Nous partons. Nous essayons de récolter des informations mais rien. Nous ne parvenons pas à savoir. Certains nous disent que les camps à la frontière avec la Serbie ont été démantelés.

Les migrants déplacés on ne sait où, ni dans quel pays ni de quelle manière. D’autres rumeurs évoquent de nouveaux camps construits à la frontière.

Nous ne réussissons pas à en savoir plus. Nous décidons de partir en direction de la Serbie. Nous demanderons là-bas.

« Stop, stop, arrête-toi là, je crois avoir vu quelque chose ».

Un des camps potentiels devrait se trouver à Röszke, nous arrivons à la frontière où nous voyons une immense file de voitures. Nous décidons de ne pas traverser la frontière, nous rebroussons chemin avant d’être coincés dans une attente qui semble infinie.

« Stop, stop, arrête-toi là, je crois avoir vu quelque chose ». Andrea indique un point pas très lointain. Nous nous approchons et voyons du fil barbelé surmontant une clôture haute de 4 à 5 mètres.

Quelques containers montés, les drapeaux de la Croix rouge hongroise. Beaucoup, beaucoup de bennes à ordure, de poteaux, de projecteurs et de caméras, partout.

Une tour rouge et blanche surplombe le camp, les containers restant à assembler sont entassés dans un coin. Nous sommes devant une esplanade aride, sans un coin d’ombre. Les mots manquent devant ce spectacle. Ce sont les camps dont nous avions entendu parler, les camps d’Orbán. Seul Andrea parvient à dire quelque chose : « Eh… j’ai l’œil maintenant…plus aucun ne m’échappe ».

Andrea a fait la route des Balkans. Idoméni. Calais. Il gère et coordonne l’accueil à Rome et, quelques heures auparavant, il avait lancé cet appel à la désobéissance civile qui, dans un moment de brouillard institutionnel comme celui que nous traversons, nous rend notre humanité.

Nous prenons quelques photos, nous repartons en voiture et nous nous demandons où ont été amenés ceux qui peuplaient ces camps il y a encore quelques semaines.

C’est encore le matin, nous n’avons aucune sorte d’informations, mais nous décidons de continuer d’explorer la frontière entre la Serbie et la Hongrie.

Le long de la route, nous étions passés devant une station service : nous faisons marche arrière, nous descendons prendre un café et nous nous apprêtons à demander si localement ils savent quelque chose.

Sur le mur externe du bar, un panneau mis en évidence annonce un café équitable et solidaire. Nous sourions amèrement et nous entrons.

« – Je ne parle pas anglais ». « – Français ? ». « – Non. Hongrois »

« – Bonjour, un café. Et même trois merci. Savez vous par hasard où se trouvent les nouveaux camps d’accueil en construction ? Ils devraient être ici, vous savez s’ils sont dans le coin par hasard ? »

« – Je ne parle pas anglais ». « – Français ? ». « – Non. Hongrois ». Rien. « – Migrants ? Réfugiés ? ». Un signe de tête pour dire qu’il ne comprend pas ce que nous demandons. « Internet ? Wi-fi ? ». Nous captons un réseau en libre accès.

Nous nous connectons et commençons à chercher. Nous échangeons quelques messages à des milliers de kilomètres de distance, demandant une aide dans notre recherche. Les yeux fixés sur nous et la connexion disparaît. Ils ne parlent pas, ils ne savent pas. Rien n’existe.

Nous avons eu le temps de recueillir quelques informations. Nous repartons et prenons l’autoroute en décidant de ne pas entrer en Serbie par la frontière de Röszke, espérant une traversée plus simple.

Direction Kelebija, la frontière est à une cinquantaine de kilomètres et nous ne savons même pas ce que nous trouverons là bas, si nous trouvons quelque chose.

Une station de service maquillée en restaurant pour un déjeuner de mariage, encore un café, nous repartons et voilà finalement la frontière. Nous essayons de demander des informations mais toujours rien.

Cette fois, nous sommes assistés par le wi-fi et les quelques informations que nous trouvons semblent confirmer que la direction soit la bonne. Nous repartons et traversons la frontière, en direction des « camarades serbes », comme dit Andrea.

Du Francesco Guccini dans les oreilles, nous passons une frontière puis l’autre et nous voilà à Subotica, plongés dans un parc automobile d’un autre temps, dans un mélange d’anciennes maisons et de maisons neuves, dans le tableau d’un monde qui porte haut les couleurs de son histoire.

Nous traversons la ville, nous voyons de nombreux biens immobiliers en vente et sourions en nous imaginant les acheter et les convertir en réalités commerciales les plus absurdes qui nous passent par la tête.

Nous continuons à errer sans but, nous nous arrêtons à une pompe à essence, nous demandons et rien, toujours rien. Nous sommes à un pas de la frontière mais personne ne sait rien.

Nous avons trouvé le nom d’une localité associée à des affrontements dans un camp à la frontière dans un article daté de novembre 2016. Nous cherchons cet endroit sur le navigateur et nous nous lançons à sa recherche. Nous nous perdons sur des routes en terre, déconnectés au milieu de la campagne de plus en plus profonde.

Soudain, nous ralentissons, intrigués. Au loin, nous voyons un homme qui marche. Nous nous rapprochons de lui et nous l’interrogeons. Il ne parle pas un mot d’anglais, il parle serbe. Mais il sait.

Nous disons migrants, camps. Et lui, avec ses mains de paysan qui a vécu tant d’histoires, il nous dit oui. Camps. Et il montre du doigt.

Il nous dit de faire demi-tour, il nous explique la route, il nous parle en serbe. Mais nous comprenons. Il indique avec insistance, derrière puis à gauche.

Vous devez retourner en arrière, puis à gauche et tout droit jusqu’à la frontière. Toujours tout droit. La première personne qui sait. La première personne qui nous indique la route, un homme qui – vu son âge – a déjà vécu toute cette histoire.

D’autres hommes. D’autres passés, d’autres origines, d’autres causes. La même violence, la même marginalisation, le même silence.

Nous nous remettons en route et repassons devant la même station service où nous avions demandé des informations et rencontré des regards surpris, et, après quelques kilomètres, nous commençons à voir : une frontière, et à cheval entre les deux frontières, une nouvelle étendue, plus grande cette fois.

Le même grillage, les mêmes barbelés qu’à Röszke, mais beaucoup plus de containers montés. Sans fenêtres, empilés. Une grue bouge, en plein travail.

Nous garons la voiture et descendons, nous faisons deux pas vers le camp et nous sommes tout de suite interceptés par un garde frontière. Il nous dit que nous devons montrer nos papiers à son collègue, que nous ne pouvons pas stationner ici.

Nous disons que nous souhaitons seulement observer, que nous sommes des chercheurs et que nous voulons savoir ce qu’il se passe. Il demande si nous avons des documents qui attestent que nous travaillons pour des associations humanitaires, car seuls les coopérants autorisés par l’État serbe peuvent s’approcher des camps.

Nous avons une carte étudiante mais cela ne suffit pas. Il nous accompagne à son collègue qui prend et regarde nos documents, un par un, lentement. Nous, puis les passeports. Puis nous à nouveau. Il rit. Une collègue s’approche et dit que nous ne pouvons laisser la voiture à la frontière. Nous devons la bouger.

On ne s’arrête pas à la frontière. On traverse la frontière. Nous montons en voiture, et le même policier qui avait déjà lu chaque page de nos papiers les prend à nouveau. Il les réexamine avec précision. L’un après l’autre. Ils nous les rendent et disent que nous devons transiter rapidement.

Nous parvenons à prendre quelques photos au passage mais nous ne réussissons pas à nous arrêter. Nous voyons les travaux et une deuxième clôture qui renforcera les grillages, haute, en bois et en métal, et couverte elle aussi de fil barbelé.

« Qu’êtes-vous venus faire en Serbie ? »

Nous arrivons à la frontière hongroise et, à nouveau, chacun de nos documents est analysé. La voiture fouillée. Les papiers du véhicule scannés. « Qu’êtes-vous venus faire en Serbie ? ».

Andrea : « Acheter des cigarettes ! A seulement deux euros le paquet ! J’en ai acheté 5 cartouches, c’est fantastique ». Un silence… « Transportez-vous de l’alcool ? » Il scrute une bouteille d’eau dans notre voiture de combat. « Ouvrez le coffre ! »

Je souris en pensant que mon déménagement imminent fait que j’ai acheté six valises qui sont toutes vides dans le coffre de la voiture. Je me demande comment j’expliquerai la chose. « Ouvrez les sacs ».

Et dans le sac, un autre sac, je me mets à rire. Le garde-frontière s’en va. Avec nos papiers. Ils nous les redonneront une dizaine de minutes plus tard et nous demanderons de nous éloigner.

Nous nous exécutons, laissant derrière nous une grue en mouvement, des containers sans fenêtre et une sensation d’avilissement et de rage sans pareil.

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La Hongrie et ses « perspectives pékinoises »

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 14:03

La crise économique de 2008 a mis à mal le consensus de Washington et l'ordre néolibéral. Quel rôle compte jouer la Hongrie dans le futur monde dominé par la Chine ? Quelques éclairages bienvenus, tandis que s'est déroulé ce week-end le sommet de la Nouvelle route de la Soie à Pékin.

Tribune de Viktor Buzna, publiée 15 mai 2017 dans Magyar Nemzet sous le titre "Pekingi perspektívák". Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi . . .

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Les opposants hongrois, des « marionnettes des milliardaires » ?

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 11:28

Une nouvelle campagne d’affichage initiée par des jeunes partisans du Fidesz présente les responsables des principaux partis d’oppositions à Viktor Orbán comme les marionnettes de Georges Soros et Lajos Simicska, bêtes noires du Premier ministre hongrois.
Depuis peu, on peut voir aux quatre coins du pays de nouvelles affiches réalisées par Fidelitas, l’organisation politique de jeunesse liée au Fidesz [1]Le site internet de Fidelitas jQuery("#footnote_plugin_tooltip_6637_1").tooltip({ tip: "#footnote_plugin_tooltip_text_6637_1", tipClass: "footnote_tooltip", effect: "fade", fadeOutSpeed: 100, predelay: 400, position: "top right", relative: true, offset: [10, 10] });. Sur ces affiches figurent László Botka, maire de Szeged et chef de file du MSzP . . .

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Notes   [ + ]

1. ↑ Le site internet de Fidelitas function footnote_expand_reference_container() { jQuery("#footnote_references_container").show(); jQuery("#footnote_reference_container_collapse_button").text("-"); } function footnote_collapse_reference_container() { jQuery("#footnote_references_container").hide(); jQuery("#footnote_reference_container_collapse_button").text("+"); } function footnote_expand_collapse_reference_container() { if (jQuery("#footnote_references_container").is(":hidden")) { footnote_expand_reference_container(); } else { footnote_collapse_reference_container(); } } function footnote_moveToAnchor(p_str_TargetID) { footnote_expand_reference_container(); var l_obj_Target = jQuery("#" + p_str_TargetID); if(l_obj_Target.length) { jQuery('html, body').animate({ scrollTop: l_obj_Target.offset().top - window.innerHeight/2 }, 1000); } }
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Miloš Zeman à Vladimir Poutine : « Il y a trop de journalistes ici, il faudrait en liquider »

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 11:25

Miloš Zeman a déclaré ce dimanche en marge d'une conférence de presse à Pékin qu'il y avait "trop de journalistes" dans la salle, recommandant sur le ton de l'humour qu'il fallait les "liquider". Ce trait d'esprit du Président de la République tchèque a été abondamment commenté dans son pays.
Lors du Sommet de la Nouvelle Route de la soie qui s'est tenu ce week-end à Pékin, le président tchèque Miloš Zeman a déclaré en marge d'une conférence de presse . . .

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Miloš Zeman à Vladimir Poutine : « Il y a trop de journalistes ici, il faudrait en liquider »

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 10:44

Miloš Zeman a déclaré ce dimanche en marge d'une conférence de presse à Pékin qu'il y avait "trop de journalistes" dans la salle, recommandant sur le ton de l'humour qu'il fallait les "liquider". Ce trait d'esprit du Président de la République tchèque a été abondamment commenté dans son pays.
Lors du Sommet de la Nouvelle Route de la soie qui s'est tenu ce week-end à Pékin, le président tchèque Miloš Zeman a déclaré en marge d'une conférence de presse

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La Hongrie et ses « perspectives pékinoises »

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 09:38

La crise économique de 2008 a mis à mal le consensus de Washington et l'ordre néolibéral. Quel rôle compte jouer la Hongrie dans le futur monde dominé par la Chine ? Quelques éclairages bienvenus, tandis que s'est déroulé ce week-end le sommet de la Nouvelle route de la Soie à Pékin.

Tribune de Viktor Buzna, publiée 15 mai 2017 dans Magyar Nemzet sous le titre "Pekingi perspektívák". Traduite du hongrois par Ludovic Lepeltier-Kutasi

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Journal d’une expédition à la frontière entre la Serbie et la Hongrie

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 08:42
Des grillages. Des barbelés affûtés brillent, sinistres, sous un soleil couvert de nuages. Une esplanade, propre, spacieuse, vide. Des poteaux, tous les 5 mètres, trois caméras sur chaque poteau. Pour que personne ne s’échappe. Un bois à proximité mais sur l’esplanade – à perte de vue – pas un coin d’ombre, ni maintenant ni plus tard. Article publié le 5 avril 2017 sur Q Code Mag. Traduit de l’italien par Sylvain Bianchi.

Une froide matinée de mars. Seuls quelques containers sont déjà assemblés, le drapeau de la Croix rouge hongroise flotte en surplomb. Une haute tour blanche et rouge se détache au centre du camp.

Un centre « d’Accueil », comme ils disent. Des centaines, des milliers d’hommes et de femmes qui ont dit adieu à leur passé, à qui ils étaient, à leur histoire.

Ils ont pris le peu qu’ils pouvaient transporter, un téléphone portable, unique forme de salut dans un voyage où s’éteindront des vies, des histoires, des rêves, un voyage à travers un désert, à travers des camps de détention, des violences et des viols, des embarcations et la mer.

Un corps brûlé par l’essence d’un moteur à explosion, un feu puis le choix : une mer sombre ou la lutte. Des yeux perdus sous les coups de crosse d’un fusil. La mort à nouveau.

Et parmi ces centaines, les chanceux qui arriveront feront un pas sur une terre que beaucoup d’entre eux n’ont jamais rencontré, ni dans les livres, ni dans les histoires. Une terre extra-terrestre, mais une terre avant tout, et surtout une terre lointaine. Derrière, une mort certaine. Devant, l’inconnu.

« Chaque jour pareil au précédent. Le temps immobile et l’atmosphère de frustration entraînent des violences et représailles. »

Et dans le débarquement ils perdront leur nom. Ils se mettront à marcher. Vers le nord. Vers l’Allemagne. Vers l’Angleterre. Ils marcheront sur des sols dont ils ignoraient l’existence, accompagnés d’une langue douce-amère mais inconnue. Ils n’ont pas de papiers. Et s’ils en ont, mieux vaut ne pas les montrer.

« Et puis un jour, je me suis retrouvé en Hongrie. Moi qui viens du Sierra Leone, j’arrivais en Europe. Je pensais que tout le monde parlait anglais. Je pensais que l’Europe n’était qu’une seule et même nation. Au fond, cela n’était pas vraiment important. C’était un endroit lointain. Un endroit éloigné de la guerre et d’une mort certaine. Un endroit pour tout recommencer. »

« Je me suis retrouvé ici, dans le camp de Bicske, les jours passaient, sans interruption, sans que rien ne se passe. Chaque jour pareil au précédent. Le temps immobile et l’atmosphère de frustration entraînent des violences et représailles. »

Alors, James Peter lance un projet de formation pour les migrants, un cours d’informatique pour les nombreux qui n’avaient jamais allumé un ordinateur, avant une formation de base, puis un atelier de web-design, puis un atelier linguistique et enfin des cours certifiés.

Il fonde l’organisation MigHelp et commence à créer un pont vers la société. Une forme d’insertion. Il implique les entreprises, le privé, les écoles, les académies ; et voit les sourires des premières recrues qui décident de dédier tous leurs efforts et leur temps libre aux nouveaux arrivants. Un phare lumineux.

Puis Andrea et le Baobab, et l’accueil à notre façon. Des hommes et des femmes, qui servent de bouclier quand les institutions ferment les yeux et déblaient en hurlant. Les batailles, la résistance. L’appel à la désobéissance civile.

Parce que nous sommes Hommes parmi les Hommes. Et il ne peut exister de barrières, il ne peut exister de frontières. Et s’il existe des viols, des déserts et des mers, nous serons un soutien, nous serons médecins, nous serons psychologues, nous serons avocats.

Nous serons une patinoire pour celui qui n’a jamais vu la neige, nous serons un match de foot, un cours de langue, une accolade, un sourire. Nous serons Humains.

Budapest, Hongrie. Le temps d’Orbán et de la chasse au migrant, des grillages et des frontières, des patrouilles et des barrières.

Nous sommes à un colloque de la Fondation Bill Gates, le thème : les migrations. Des académiciens, des sympathisants de la fondation, des représentants d’ONG, tous réunis pour discuter du sujet.

Quels sont les acteurs, quelles sont les violations perpétrées, comment évolue la société civile, que se passe-t-il en réalité. Nous sommes ici parmi ceux que le thème de la migration concerne directement, comme Andrea et James, et indirectement -comme nous- qui travaillons dans ces territoires situés à l’origine des flux migratoires.

« Hungary Approves Detention of Asylum Seekers in Guarded Camps ». Cela date de quelques jours. Nous demandons des informations mais aucun des participants n’a vu ou ne sait ce qu’il en est réellement.

A bord d’une voiture qui désormais a fait le tour du monde, nous décidons d’aller dans la zone en question, entre la Serbie et la Hongrie, en quête de renseignements supplémentaires. Andrea veut voir, il veut comprendre.

Nous partons. Nous essayons de récolter des informations mais rien. Nous ne parvenons pas à savoir. Certains nous disent que les camps à la frontière avec la Serbie ont été démantelés.

Les migrants déplacés on ne sait où, ni dans quel pays ni de quelle manière. D’autres rumeurs évoquent de nouveaux camps construits à la frontière.

Nous ne réussissons pas à en savoir plus. Nous décidons de partir en direction de la Serbie. Nous demanderons là-bas.

« Stop, stop, arrête-toi là, je crois avoir vu quelque chose ».

Un des camps potentiels devrait se trouver à Röszke, nous arrivons à la frontière où nous voyons une immense file de voitures. Nous décidons de ne pas traverser la frontière, nous rebroussons chemin avant d’être coincés dans une attente qui semble infinie.

« Stop, stop, arrête-toi là, je crois avoir vu quelque chose ». Andrea indique un point pas très lointain. Nous nous approchons et voyons du fil barbelé surmontant une clôture haute de 4 à 5 mètres.

Quelques containers montés, les drapeaux de la Croix rouge hongroise. Beaucoup, beaucoup de bennes à ordure, de poteaux, de projecteurs et de caméras, partout.

Une tour rouge et blanche surplombe le camp, les containers restant à assembler sont entassés dans un coin. Nous sommes devant une esplanade aride, sans un coin d’ombre. Les mots manquent devant ce spectacle. Ce sont les camps dont nous avions entendu parler, les camps d’Orbán. Seul Andrea parvient à dire quelque chose : « Eh… j’ai l’œil maintenant…plus aucun ne m’échappe ».

Andrea a fait la route des Balkans. Idoméni. Calais. Il gère et coordonne l’accueil à Rome et, quelques heures auparavant, il avait lancé cet appel à la désobéissance civile qui, dans un moment de brouillard institutionnel comme celui que nous traversons, nous rend notre humanité.

Nous prenons quelques photos, nous repartons en voiture et nous nous demandons où ont été amenés ceux qui peuplaient ces camps il y a encore quelques semaines.

C’est encore le matin, nous n’avons aucune sorte d’informations, mais nous décidons de continuer d’explorer la frontière entre la Serbie et la Hongrie.

Le long de la route, nous étions passés devant une station service : nous faisons marche arrière, nous descendons prendre un café et nous nous apprêtons à demander si localement ils savent quelque chose.

Sur le mur externe du bar, un panneau mis en évidence annonce un café équitable et solidaire. Nous sourions amèrement et nous entrons.

« – Je ne parle pas anglais ». « – Français ? ». « – Non. Hongrois »

« – Bonjour, un café. Et même trois merci. Savez vous par hasard où se trouvent les nouveaux camps d’accueil en construction ? Ils devraient être ici, vous savez s’ils sont dans le coin par hasard ? »

« – Je ne parle pas anglais ». « – Français ? ». « – Non. Hongrois ». Rien. « – Migrants ? Réfugiés ? ». Un signe de tête pour dire qu’il ne comprend pas ce que nous demandons. « Internet ? Wi-fi ? ». Nous captons un réseau en libre accès.

Nous nous connectons et commençons à chercher. Nous échangeons quelques messages à des milliers de kilomètres de distance, demandant une aide dans notre recherche. Les yeux fixés sur nous et la connexion disparaît. Ils ne parlent pas, ils ne savent pas. Rien n’existe.

Nous avons eu le temps de recueillir quelques informations. Nous repartons et prenons l’autoroute en décidant de ne pas entrer en Serbie par la frontière de Röszke, espérant une traversée plus simple.

Direction Kelebija, la frontière est à une cinquantaine de kilomètres et nous ne savons même pas ce que nous trouverons là bas, si nous trouvons quelque chose.

Une station de service maquillée en restaurant pour un déjeuner de mariage, encore un café, nous repartons et voilà finalement la frontière. Nous essayons de demander des informations mais toujours rien.

Cette fois, nous sommes assistés par le wi-fi et les quelques informations que nous trouvons semblent confirmer que la direction soit la bonne. Nous repartons et traversons la frontière, en direction des « camarades serbes », comme dit Andrea.

Du Francesco Guccini dans les oreilles, nous passons une frontière puis l’autre et nous voilà à Subotica, plongés dans un parc automobile d’un autre temps, dans un mélange d’anciennes maisons et de maisons neuves, dans le tableau d’un monde qui porte haut les couleurs de son histoire.

Nous traversons la ville, nous voyons de nombreux biens immobiliers en vente et sourions en nous imaginant les acheter et les convertir en réalités commerciales les plus absurdes qui nous passent par la tête.

Nous continuons à errer sans but, nous nous arrêtons à une pompe à essence, nous demandons et rien, toujours rien. Nous sommes à un pas de la frontière mais personne ne sait rien.

Nous avons trouvé le nom d’une localité associée à des affrontements dans un camp à la frontière dans un article daté de novembre 2016. Nous cherchons cet endroit sur le navigateur et nous nous lançons à sa recherche. Nous nous perdons sur des routes en terre, déconnectés au milieu de la campagne de plus en plus profonde.

Soudain, nous ralentissons, intrigués. Au loin, nous voyons un homme qui marche. Nous nous rapprochons de lui et nous l’interrogeons. Il ne parle pas un mot d’anglais, il parle serbe. Mais il sait.

Nous disons migrants, camps. Et lui, avec ses mains de paysan qui a vécu tant d’histoires, il nous dit oui. Camps. Et il montre du doigt.

Il nous dit de faire demi-tour, il nous explique la route, il nous parle en serbe. Mais nous comprenons. Il indique avec insistance, derrière puis à gauche.

Vous devez retourner en arrière, puis à gauche et tout droit jusqu’à la frontière. Toujours tout droit. La première personne qui sait. La première personne qui nous indique la route, un homme qui – vu son âge – a déjà vécu toute cette histoire.

D’autres hommes. D’autres passés, d’autres origines, d’autres causes. La même violence, la même marginalisation, le même silence.

Nous nous remettons en route et repassons devant la même station service où nous avions demandé des informations et rencontré des regards surpris, et, après quelques kilomètres, nous commençons à voir : une frontière, et à cheval entre les deux frontières, une nouvelle étendue, plus grande cette fois.

Le même grillage, les mêmes barbelés qu’à Röszke, mais beaucoup plus de containers montés. Sans fenêtres, empilés. Une grue bouge, en plein travail.

Nous garons la voiture et descendons, nous faisons deux pas vers le camp et nous sommes tout de suite interceptés par un garde frontière. Il nous dit que nous devons montrer nos papiers à son collègue, que nous ne pouvons pas stationner ici.

Nous disons que nous souhaitons seulement observer, que nous sommes des chercheurs et que nous voulons savoir ce qu’il se passe. Il demande si nous avons des documents qui attestent que nous travaillons pour des associations humanitaires, car seuls les coopérants autorisés par l’État serbe peuvent s’approcher des camps.

Nous avons une carte étudiante mais cela ne suffit pas. Il nous accompagne à son collègue qui prend et regarde nos documents, un par un, lentement. Nous, puis les passeports. Puis nous à nouveau. Il rit. Une collègue s’approche et dit que nous ne pouvons laisser la voiture à la frontière. Nous devons la bouger.

On ne s’arrête pas à la frontière. On traverse la frontière. Nous montons en voiture, et le même policier qui avait déjà lu chaque page de nos papiers les prend à nouveau. Il les réexamine avec précision. L’un après l’autre. Ils nous les rendent et disent que nous devons transiter rapidement.

Nous parvenons à prendre quelques photos au passage mais nous ne réussissons pas à nous arrêter. Nous voyons les travaux et une deuxième clôture qui renforcera les grillages, haute, en bois et en métal, et couverte elle aussi de fil barbelé.

« Qu’êtes-vous venus faire en Serbie ? »

Nous arrivons à la frontière hongroise et, à nouveau, chacun de nos documents est analysé. La voiture fouillée. Les papiers du véhicule scannés. « Qu’êtes-vous venus faire en Serbie ? ».

Andrea : « Acheter des cigarettes ! A seulement deux euros le paquet ! J’en ai acheté 5 cartouches, c’est fantastique ». Un silence… « Transportez-vous de l’alcool ? » Il scrute une bouteille d’eau dans notre voiture de combat. « Ouvrez le coffre ! »

Je souris en pensant que mon déménagement imminent fait que j’ai acheté six valises qui sont toutes vides dans le coffre de la voiture. Je me demande comment j’expliquerai la chose. « Ouvrez les sacs ».

Et dans le sac, un autre sac, je me mets à rire. Le garde-frontière s’en va. Avec nos papiers. Ils nous les redonneront une dizaine de minutes plus tard et nous demanderons de nous éloigner.

Nous nous exécutons, laissant derrière nous une grue en mouvement, des containers sans fenêtre et une sensation d’avilissement et de rage sans pareil.

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Les opposants hongrois, des « marionnettes des milliardaires » ?

HU-LALA (Hongrie) - Mon, 15/05/2017 - 08:23

Une campagne d’affichage initiée par des jeunes partisans du Fidesz présente les opposant à Orbán comme les marionnettes de Georges Soros et Lajos Simicska

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Slovaquie : le patronat s’oppose au « paquet social » du gouvernement Fico

HU-LALA (Hongrie) - Sat, 13/05/2017 - 12:26

Promis par le Premier ministre Robert Fico dans son discours du 1er mai, le nouveau "paquet social" du gouvernement slovaque s'attire les foudres des principales organisations patronales.
Augmentation du salaire minimum, lutte contre le dumping social, congé de paternité : les mesures promises par le Premier ministre Robert Fico le 1er mai dernier ne sont pas au goût du patronat slovaque. La Fédération nationale des employeurs (AZZZ) et l'Union républicaine des employeurs (RÚZ) ont pris position ce jeudi contre le nouveau "paquet social" du gouvernement mené par les sociaux-démocrates (Smer-SD).

Au . . .

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Dans l’ombre des thermes de Gellért à Budapest

HU-LALA (Hongrie) - Sat, 13/05/2017 - 12:11
Des piscines bordées de colonnes et des caryatides, les thermes de Gellért offrent un voyage hors du temps aux visiteurs. Mais sous leurs pieds, c’est un tout autre univers qui se dévoile. Une vingtaine d’ouvriers s’affairent chaque jour, dans l’ombre. L’objectif ? Permettre aux sources médicinales d’arriver dans les bassins. Cet article a été publié sur la page Facebook du Budapest Kultur Lab, sur laquelle vous pouvez retrouver toutes les productions des étudiants du master 1 de l’Institut de journalisme de Bordeaux-Aquitaine (IJBA), en immersion à Budapest du 8 au 16 mai 2017.

Il faut descendre 15 mètres sous terre pour comprendre le cheminement de traitement des sources de Gellért. Maria Székely travaille ici depuis vingt ans. Elle connaît les lieux mieux que personne : « Les ouvriers viennent pour réparer des machines ou les mettre en fonctionnement toutes les heures, puis ils remontent. Ici, personne ne peut rester toute une journée à cause de l’air ambiant qui y est oppressant. »

En la suivant à travers les sous-sols de Gellért, c’est une atmosphère humide, presque étouffante qui prend à la gorge. Seul le bruit des machines se fait entendre à travers les tunnels. La lumière d’une lampe frontale et quelques outils permettent de repérer les ouvriers. Ils vérifient les arrivées d’électricité essentielles à l’alimentation des bassins.






Budapest compte plus de 200 grottes creusées par les sources qui servent aujourd’hui de parcours de spéléologie. Ici, où les visites aux touristes sont interdites, la température atteint les 40°C. Chaque jour, il faut descendre contrôler la filtration de l’eau thermale, riche en calcium, magnésium, hydrocarbonate, sulfure et chlorure et reconnue pour ses propriétés médicinales.

Travailler dans la pénombre, collecter l’eau, la filtrer, nettoyer le peu d’éclairages présents dans les galeries. C’est le quotidien des ouvriers de l’ombre de Gellért. Pour le plus grand bonheur des visiteurs qui se prélassent dans les bassins, loin de s’imaginer ce qu’il se passe sous leurs pieds.

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