(B2 — exclusif) Cela fait longtemps que l’Union européenne n’avait pas déployé une équipe de policiers et d’experts dans un pays en guerre. Et pourtant c’est ce qui devrait être décidé rapidement. Une manière pour les Européens de démontrer très concrètement leur soutien aux Ukrainiens.
Les policiers ukrainiens quand c’était encore le temps de paix (Photo EUAM Ukraine – Archives B2)Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Union européenne avait décidé de rapatrier ses équipes de la mission de conseil de l’UE (EUAM) déployées à Marioupol, Kharkiv ou Kiev (au titre de la politique de sécurité et de défense commune) vers la Moldavie ou la Pologne. Une mesure de sécurité prise devant l’accélération de l’offensive militaire russe (mais préparée par avance, depuis janvier selon nos informations).
Une décision prise en urgence
Décision a été prise, sur proposition du chef de la diplomatie européenne Josep Borrell (sur proposition de son état-major des missions civiles), d’utiliser ces experts qui connaissent bien l’Ukraine, ont noué depuis des années (la mission a été déployée en 2014) d’excellents liens avec les autorités ukrainiennes — des autorités policières locales (dans les oblasts) chargées de la police de la route ou de la police judiciaire aux forces spéciales ou du renseignement (le fameux SBU) (1).
Une cinquantaine d’experts dans 11 points frontières côté ukrainien
Une cinquantaine d’experts européens pourrait être ainsi déployés, côté ukrainien (2), pour conseiller et aider les forces de sécurité ukrainienne. Cela répond à une demande du gouvernement de Kiev d’avoir une aide européenne à leurs frontières pour 1. assurer la gestion la plus efficace possible des flux de réfugiés qui vont vers l’Ouest. 2. permettre le transport de l’aide humanitaire depuis l’Union jusqu’en Ukraine.
Basés la nuit dans l’Union européenne, le jour en Ukraine
Concrètement, d’après les informations exclusives recueillies par B2, les experts européens d’EUAM Ukraine seront basés la nuit du côté européen (pour des raisons de sécurité) et viendront la journée prêter main forte à leurs collègues ukrainiens, en Ukraine, aux frontières de la Pologne et de la Roumanie, les deux principaux points de passage des réfugiés vers l’Ouest (3). Onze points frontières sont concernés.
Des collègues de Frontex ou nationaux de l’autre côté
Précision importante : ce sont des civils (des spécialistes de la police judiciaire, de la protection des témoins ministères de l’intérieur européens, des policiers). Ils ne sont normalement pas armés.
Ils feront ainsi la liaison avec leurs collègues européens de l’autre côté de la frontière (garde-frontières nationaux ou renforts venus de Frontex qui vont également être mobilisés).
Détails ici
Tous les détails de la décision prise par les Européens sont ici : EUAM Ukraine se redéploie aux frontières avec l’Union européenne. Objectif : faciliter le transit des réfugiés (pour les abonnés de B2)
(Nicolas Gros-Verheyde à Versailles & Aurélie Pugnet à la frontière moldave-ukrainienne)
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Il suffit de relire les posts qui précèdent, sur ce blog (mais aussi mes tweets de janvier et février) pour
Plus d'infos »(B2) Le ton de Vladimir Poutine était assurément grave jeudi (3 mars) devant le conseil national de sécurité. Le simple hommage rendu comme le long énumératif des compensations versées aux familles des militaires morts et blessés vaut tout autant qu’un sondage sur l’état d’esprit en Russie.
Un momentum peu anodin
Il est rare qu’en temps de guerre, les Russes reconnaissent les pertes de gradés et surtout annoncent aussi rapidement le versement d’indemnités exceptionnelles aux victimes. Il est tout aussi rare que le président se lève, demande solennellement à tous les membres de son Conseil de sécurité, d’observer une minute de silence en mémoire des soldats tombés au front, et que soient soigneusement listées les indemnités versées aux familles des morts et blessés. C’est pourtant ce qu’il s’est passé lors d’une séance du Conseil de sécurité nationale, retransmise sur le canal officiel du Kremlin.
Soutenir les familles des morts
Bien sûr, le message du président reste patriotique : « Nous avons perdu des hommes. […] Ils combattaient pour la Russie, pour la dénazifacation pour qu’aucune anti-Russie puisse nous menacer ». Mais il ajoute aussi une phrase, moins martiale, plus sociale : « Nous ferons tout pour les familles, les enfants de nos militaires qui ont combattu pour notre peuple ». Un geste qui n’est pas anodin.
La machine à cash russe
Vladimir Poutine ne s’arrête pas là. Il égrène, une à une, les mesures prises. Tous les membres des familles des militaires décédés en Ukraine vont bénéficier de la couverture d’assurance légale, à savoir une allocation unique de 7,4 millions de roubles et une compensation monétaire mensuelle. Mais « chacun des membres des familles » des soldats tombés recevra en plus « une compensation financière supplémentaire de 5 millions de roubles ». NB : soit environ 100 fois le salaire mensuel moyen d’un soldat. Ce n’est pas négligeable.
Un indemnité pour les militaires blessés
Pour les militaires blessés au combat (commotion cérébrale, traumatisme, mutilation), outre l’allocation unique légale de 2,9 millions de roubles et (en cas d’invalidité), ils auront droit à une indemnité mensuelle et en plus « une somme de 3 millions de roubles ». Le décret sur « les garanties sociales supplémentaires » n’a pas vraiment attendu. Signé par Vladimir Poutine dès samedi (5 mars), cette mesure est entrée en vigueur le jour même. NB : un signe de l’urgence de la décision.
… Et pour les autres forces de l’ordre (intérieur)
Cette mesure concerne également le personnel « des autres forces de l’ordre » participant aux opérations. C’est-à-dire notamment celles du ministère de l’intérieur, comme la garde nationale de la fédération de Russie — une unité spéciale dépendant directement du président russe — et d’autres forces. NB : une précision intéressante.
La marmite russe bout
La situation est si impérieuse qu’elle requiert ce momentum télévisé du président, avec une gravité et une longueur qui en disent beaucoup sur l’intensité des combats. Sans être un spécialiste des choses russes, on peut dire que la marmite bout au sein de l’appareil de sécurité russe.
Officiellement 2000 soldats hors de combat
Au 2 mars, au bout de six jours de combat, le ministère russe de la Défense reconnaissait déjà près de 500 morts et 1600 blessés (498 morts et 1597 blessés très exactement). Soit un ratio de 1 à 3 pour les blessés. Et tout de même plus de 2100 soldats neutralisés en à peine six jours de combat. Soit un rythme d’environ 90 morts et 270 blessés / jour. Ce qui témoigne de l’intensité des combats. Précisons que ce décompte ne semble prendre en compte que les militaires. Quid des autres forces, celles du ministère de l’Intérieur notamment, voire de forces privées (type Wagner) ?
Une estimation à 15.000 soldats
Sans aller jusqu’au chiffre annoncé par les Ukrainiens de 12.000 soldats russes tués (1), sans doute exagéré, on peut raisonnablement considérer que le chiffre russe est sous-estimé (comme tout chiffre de propagande en temps de guerre). On peut donc au minimum, de façon raisonnable, le multiplier par 2. En tenant compte des “autres forces” en action (coefficient de 1,5) et du prorata de nombre de jours (coefficient de 2,33), on arriverait (au bas mot) à un bilan de 3 à 4000 morts pour 14 jours de combat et plus de 10.000 blessés pour les différentes forces russes engagées. Soit un ratio de 250 morts / jour (2). Sans compter les militaires faits prisonniers par les Ukrainiens (3). C’est énorme ! Cela signifie qu’en à peine deux semaines de combat, les forces russes auraient perdu 10% de leur effectif préparé !
Plusieurs généraux tués
Dans ces pertes de nombreux officiers supérieurs. Le major-général Vitaly Gerasimov, diplômé de l’école de tank de Kazan, et chef d’état-major de la 41e armée, est ainsi décédé à Karkhiv le 7 mars, selon le SBU ukrainien. Le major-général Vitaly Gerasimov avait participé à l’opération militaire en Syrie comme à l’annexion de la Crimée. Le numéro 2 de la 41e armée, le major-général Andrei Skhovetsky, un ancien de l’intervention en Syrie, est également décédé, lui près de Mariupol, selon la presse russe. Et il faut ajouter la mort de Vladimir Zhoga, commandant du bataillon Sparta de la république séparatiste de Donetsk (alias Vokha, selon l’agence Tass), le 5 mars à Volnovakha. Un décès officiellement reconnu par le Kremlin qui lui a même attribué le titre d’Héros de la Fédération de Russie.
Une éviction de Poutine : pas impossible
Cette situation sera-t-elle tenable en interne ? Au niveau de la population, cela provoque un émoi, une colère, des manifestations peut-être. Mais en nombre finalement limité. Le pouvoir russe en a vu d’autres. Sera-ce suffisant pour changer le comportement du pouvoir ? Pas sûr. En revanche, du côté de l’appareil de sécurité, cela pourrait ne pas être la même musique.
Une situation rapidement intenable
Si la police et les forces de l’intérieur semblent bien tenues par le président Poutine, un ancien des ‘Services’, en revanche, il pourrait ne pas en être de même au sein de l’armée. Les forces de sécurité russes sont fidèles tant qu’on les mène à la victoire ou que le sacrifice est nécessaire pour sauver la patrie. Elles encaissent tous les coups et se tiennent alors solidement aux côtés du pouvoir. Mais ce n’est plus le cas quand ces deux conditions ne sont plus réunies.
L’armée ne veut pas d’une défaite
Si la guerre se termine par une défaite, ou même une semi-victoire en Ukraine, ce serait un signe profond de l’affaiblissement de la puissance militaire russe au plan externe comme interne. Tout ce qui a été gagné sur les terrains politico-militaires depuis quelques années, en Syrie notamment, pourrait ainsi être effacé. En quelques jours. Leur rôle à l’intérieur de la sphère du pouvoir russe pourrait aussi être affaibli. Au final, ce ne sera pas la défaite de Poutine, mais la faute des généraux qui n’auront pas su planifier et exécuter « l’opération spéciale ». C’est dès lors leur pouvoir même qui serait menacé. Dangereux.
Une Ukraine impossible à maitriser
Ensuite, même si les batailles de Kiev, d’Odessa et de Mariupol pourraient être gagnées, tenir l’Ukraine (le pays qui a vu naitre les Cosaques) durant des mois sera une gageure. Même avec le remplacement par un pouvoir fantoche, les quelques jours passés au combat ont soudé la nation ukrainienne comme jamais aucun évènement auparavant (4). Chacun le sait en Russie, du moins dans les “services” et dans l’armée. Tout le monde a en mémoire l’interminable enlisement en Afghanistan, une intervention commencée en 1979 et terminée par une retraite (en bon ordre) en 1989, un des éléments qui a précipité l’effondrement de l’URSS. L’intervention russe en Ukraine pourrait ainsi se révéler le tombeau du régime, plus sûrement et plus rapidement que ne l’a été l’Afghanistan pour l’URSS. Très dangereux.
Le trône de Poutine dans la balance ?
À la différence des oligarques, proches du pouvoir mais à sa merci, les militaires ou les policiers ont des moyens de défendre leur système. L’éviction de Poutine du pouvoir, selon une méthode dont la Russie (et avant elle l’URSS) a le secret, pourrait être une issue de la guerre… Si la guerre traînait trop. Le circuit interne le tolèrera-t-il ? Pas sûr ! Le trône du si solide Vladimir Poutine pourrait finir par vaciller. Après tout il est proche de 70 ans (soit 7 ans de plus que la durée de vie moyenne pour un homme russe).
Les jours de l’opération spéciale comptés
Poutine doit savoir que les jours de son “opération spéciale” sont comptés. D’où la multiplication des discussions avec les Ukrainiens et la multiplication des coups de fils pour trouver le bon interlocuteur avec qui ‘toper’ un arrêt des combats. Cela peut le rendre encore plus dangereux ou imprévisible. Ou au contraire plus souple. On n’est pas à l’abri d’un revirement dont le Kremlin a le secret.
L’intérêt de conclure l’intervention est réciproque
Conclusion : les Russes tout autant que les Ukrainiens vont avoir intérêt à avoir un accord de paix et de cessez-le-feu. Reste à savoir qui pourra tenir le plus longtemps. C’est tout l’enjeu de la bataille dans les jours qui viennent. C’est tout l’enjeu également des négociations en cours — que ce soit à Homiel en Biélorussie entre Ukrainiens et Russes ou à Antalya prochainement avec l’intercession turque dans quelques jours.
Le moment crunch se rapproche
Il faudra que les Européens soient prêts à ce moment, qu’ils trouvent rapidement une équipe de négociation solide et crédible, et ne fassent pas confiance aux Chinois (5). S’ils sont aux abonnés absents de la diplomatie comme ils l’ont été déjà en Syrie, au Haut Karabagh ou au Mali, ce sera un formidable aveu d’impuissance. On aurait alors un recul très net de l’Europe dans le monde et, à rebours de ce qui sera proclamé au sommet de Versailles les 10 et 11 mars, un abandon de son « indépendance » géopolitique.
(Nicolas Gros-Verheyde)
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C'est ce soir (et non samedi comme je le pensais initialement) que se déroule premier Poker de l'année.
Plus d'infos »(B2) Aux yeux des journalistes européens, la France, c’est la France, ce mélange de grandeur, de grandiloquence, un zeste d’arrogance aussi, mais d’élégance et d’efficacité. Une République dans toute sa majesté. Bref un pays à part dans le schéma européen. Mais attention à ne pas décevoir.
La centralité du pouvoir
La verticalité du pouvoir en France surprend toujours le journaliste européen. Il n’y a pas un seul pays qui puisse prétendre à une telle organisation en Europe (à l’exception… de la Russie) où un ordre donné du haut est rapidement exécuté dans tous les pans du territoire, de façon assez similaire, et efficace. Là où, dans la plupart des autres pays, il faut souvent passer par des négociations dans de multiples cénacles (gouvernement, parlement, régions…), où le compromis est si inné qu’il en est parfois inexplicable, où il y a une certaine autonomie des pouvoirs. En France il n’y a pas de discussion trop ésotérique. La centralité est de rigueur.
Pour le meilleur… et le pire
Tout détail nécessite un aval du pouvoir. Le parti majoritaire, le gouvernement, le parlement sont aux ordres. L’armée et la diplomatie sont directement impliquées au plus haut du pouvoir. Avec une chaîne de commandement directe et infaillible, elles peuvent très rapidement mettre en œuvre toute décision. Les contre-pouvoirs souffrent d’une faiblesse congénitale et sont incapables d’exercer leur rôle. Résultat : une efficacité à toute épreuve quand le pouvoir sait ce qu’il veut,… mais passablement erratique dès que le pouvoir hésite ou est tellement engorgé par toutes les demandes que la machine s’enraye. Le meilleur… ou le pire.
Le contrôle de la presse, une tentation forte du pouvoir
Et en matière de relation avec la presse, l’Élysée est en train de se tailler la réputation du pire dans les cénacles européens.
Des mœurs d’un autre âge
Les coutumes habituelles — qui se fondent sur un principe fondamental, celui de la liberté de la presse — sont mises au rebut. Ce qu’on appelle le follow-up (ou question de suivi) c’est-à-dire la possibilité pour un journaliste de reprendre sa question ou de la reposer d’une autre manière, après avoir obtenu une première réponse — un droit quasi-absolu au niveau européen comme anglo-saxon —, est considéré par le service de presse de l’Élysée comme un geste « peu aimable ». Là où un porte-parole européen ira s’excuser auprès du journaliste s’il a oublié (par inadvertance ou manque de temps) de lui redonner la parole pour son follow-up, le porte-parole français l’assume sans vergogne. Pas de question de suivi.
La préférence aux questionneurs nationaux
Idem pour les questions. Dans une conférence de presse, c’est souvent (il faut le reconnaître) un joyeux désordre. Chacun lève la main. Et le porte-parole choisit qui il veut. Mais, en général, il essaiera de varier les différentes nationalités. C’est tout l’art du porte-parole alors de panacher entre les grands et petits pays, ceux du sud et de l’est ou du nord et de l’ouest, en n’oubliant pas les non européens (Arabes, Russes ou Ukrainiens, Chinois ou Japonais, Africains, etc.). Chacun a sa chance. À l’Élysée, cet impératif de la variété existe peu. On prendra d’abord les “connus” : BFM, TF1-LCI, AFP, etc. Et après, un ou deux pour voir.
Choisir le journaliste c’est choisir la question
Exemple. Lors de la conférence de presse du président Macron face à la presse européenne, au début de la présidence, en janvier, les questions avaient été soigneusement distribuées à l’avance, à un public très choisi de journalistes sensés représenter un panel de questions intéressantes pour le président. Si soigneusement distribuées que le porte-parole chargé de désigner le journaliste qui allait poser la question savait son nom, son prénom, son média (voire la question qu’il allait poser) (1). Si soigneusement limitées en nombre — deux Français, deux Européens (Italien et Allemand) — que c’était ridicule au sens de la diversité européenne et de la liberté de la presse. L’Europe ne peut se résumer aujourd’hui à l’Italie et à l’Allemagne. On n’est plus dans les années 1950, au temps de l’Europe des Six et de la CECA, la communauté européenne du charbon et de l’acier.
Des pratiques courantes dans des pays plus autoritaires
On aurait pu croire qu’il s’agissait d’un errement passager. Que nenni. Lors du voyage de presse de la présidence, organisé début janvier, quel n’a pas été l’étonnement des journalistes de voir s’approcher quand ils voulaient poser une question, un responsable du service communication pour savoir quelle question ils allaient poser ! Idem lors du gymnich, un porte-parole du Quai s’approchait pour demander quel était le sujet de la question. Une pratique qui choque la plupart des journalistes européens, français, belges, mais aussi (et surtout) les plus habitués à ce type d’entrisme du pouvoir (ceux des pays de l’Est notamment). Une pratique très soviétique en fait.
La liberté de la presse remise en cause
De plus, les questions étaient soigneusement limitées à quelques unes. En janvier, lors de la présentation à la presse, les ministres français se sont laissés aller à un long soliloque, ne laissant ensuite qu’une portion congrue aux questions. Un procédé bien connu et répertorié dans les cours de communication : pour ne pas laisser trop de questions, il faut occuper le terrain. Ce qui, là aussi, est un problème, un vrai problème d’égalité. D’ordinaire, le but de ces exercices, où il y a une bonne trentaine de nationalités représentées (UE et non UE), est de donner la parole à un maximum de personnes. Ce, afin de donner à chaque sensibilité le soin de pointer une question. C’est d’ailleurs une règle non écrite quand un pays a la présidence de l’Union européenne de se plier à cet exercice (parfois fastidieux, il faut le reconnaître).
La diversité battue en brèche
C’est cette diversité de questions, venant de tous horizons, qui fait l’intérêt et le charme d’une conférence européenne. On découvre tout à coup un problème sous-estimé ou tout simplement inconnu. L’Élysée n’en a cure apparemment. L’objectif n’est pas de faciliter le travail de la presse, c’est de contrôler, tout organiser, tout régenter. Avec cinq ou six questions, il estime même être fort généreux par rapport à l’habitude (2). Plusieurs collègues européens me l’ont rappelé : même le Hongrois Viktor Orban (lors de la présidence de 2011) ou le Slovène Janez Jansa (lors de la présidence 2021) — qui prennent parfois leurs aises avec la presse nationale et l’état de droit — n’osent pas adopter ce type de comportement.
L’égalité bafouée
Autre exemple qui peut paraître un détail administratif mais n’en est pas un : les accréditations pour les réunions — tels le gymnich (informelle des ministres des Affaires étrangères) ou le sommet de Versailles (10 et 11 mars). Celles-ci sont ouvertes de façon très tardive et, surtout, le journaliste ne saura pas jusqu’au dernier moment (la veille) si son accréditation est acceptée. Pour le sommet de jeudi et vendredi prochain, il faudra attendre mercredi ! Ce qui laisse une bonne part à l’arbitraire et empêche le journaliste européen venu de Bruxelles ou du fin fond de l’Europe de s’organiser. Contrairement à celui qui habite Paris et peut venir. On est là au summum de l’inorganisation discriminatoire (2). Le but inavoué est en fait de favoriser au maximum les journalistes parisiens et “élyséens” aux dépens des journalistes européens, réputés plus frondeurs et, en fait, dont l’Élysée a peur, car il ne les contrôle pas.
Ne pas respecter les règles = crime de lèse-majesté
Pour l’Élysée, en fait, la presse se doit d’être disciplinée, organisée et structurée. Et surtout de ne pas avoir un seul poil qui dépasse du caillou. J’en étais le témoin, amusé. Au déplacement du président Macron à Budapest, alors que les questions avaient été soigneusement réparties : deux maximum, et les journalistes habilités à poser la question désignés (3). Fidèle à nos pratiques européennes et aux règles de la liberté de la presse qui veut que chaque journaliste a le droit de tenter sa chance et poser une question, J’ai osé lever le doigt pour poser une troisième question. Non prévue au programme : un sacrilège. La question était pourtant évidente et naturelle (sur l’autonomie stratégique européenne). Question à laquelle Emmanuel Macron s’est plié sans aucune difficulté, a répondu de façon courte et intéressante. Il était prêt d’ailleurs à poursuivre cette discussion. Mais les “sbires” de l’Élysée ont coupé court. Pas question de rompre le scénario écrit à l’avance. La réponse du président n’a d’ailleurs pas été reprise dans le compte-rendu officiel. Un crime de lèse-majesté.
(Nicolas Gros-Verheyde)
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(B2) Des avions Rafale français du groupe aéronaval du porte-avions Charles de Gaulle devraient effectuer des vols au-dessus des Balkans, notamment la Bosnie-Herzégovine à compter de ce lundi (7 mars) apprend-on de source européenne. Une mission préventive contre toute velléité de déstabilisation.
Catapultage d’un rafale marine depuis le pont d’envol du porte-avions Charles-de-Gaulle, depuis la mer Méditerranée le 10 février 2022. (Photo : SIRPA Marine)Un show of force pour rassurer et dissuader
Ces vols sont qualifiés « d’entraînement à réaction rapide » mais ils ont un objectif très politique. Montrer à la population, et en particulier aux Serbes de Bosnie tentés par la fièvre séparatiste, que les Français sont bel et bien décidés à intervenir en cas de problème. Ce qu’on appelle un show of force. NB : cet exercice n’était normalement pas prévu au programme (du moins dans le dossier distribué à la presse).
Un risque de déstabilisation
Le risque de déstabilisation n’est, en effet, pas négligeable sur la Bosnie-Herzégovine, selon une évaluation donnée récemment par le commandant d’opération d’EUFOR Althea, le général Brice Houdet. Au point que les Européens ont décidé fin février de déclencher en urgence la réserve. Ce qui permettra de doubler les effectifs sur place de l’opération militaire de stabilisation de l’UE en place depuis 2004 (Lire : La réserve d’EUFOR Althea appelée en renfort en Bosnie-Herzégovine. La crainte de la contagion russe (Josep Borrell)).
500 militaires de plus sur place
Quatre compagnies terrestres, venant d’Autriche, Bulgarie Roumanie, Slovaquie, soit environ 500 hommes ont commencé à se déployer venant compléter les effectifs déjà sur place formés essentiellement de Turcs et Hongrois. Selon nos informations, les Slovaques doivent envoyer une compagnie de 121 hommes du 52e bataillon aéroporté de Trebišov, qui fait partie des forces d’opérations spéciales, est en cours de déploiement. Au moment où l’équilibre sécuritaire en Europe est ébranlé, l’Union veut « démontrer ainsi son engagement et sa détermination continus à soutenir un environnement sûr et sécurisé en Bosnie-Herzégovine et dans les Balkans ».
Un déploiement préventif
Il s’agit au passage de montrer aussi aux Russes que les Européens ne sont pas dupes. Au moment où l’équilibre sécuritaire en Europe est ébranlé, l’Union européenne veut « démontrer ainsi son engagement et sa détermination continus à soutenir un environnement sûr et sécurisé en Bosnie-Herzégovine et dans les Balkans ».
(Nicolas Gros-Verheyde)
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(B2) Dans une opinion publiée sur son blog, le Haut représentant de l’Union européenne revient sur le conflit actuel en Ukraine. Avec un agresseur clairement désigné : la Russie. Qui ne respecte pas les règles internationales. Et ment aussi sur ses motifs de guerre. Nous jugeons intéressant de la porter à la connaissance de nos lecteurs. Carte blanche.
Une invasion justifiée par des mensonges
« En cette heure sombre, où nous assistons à l’invasion non provoquée et injustifiée de l’Ukraine par la Russie ainsi qu’à des campagnes massives de désinformation et de manipulation de l’information, il est essentiel de séparer les mensonges — inventés pour justifier ce qui ne peut l’être — des faits.
La réalité : une agression russe sur un voisin pacifique
« Ce qui est un fait c’est que la Russie, une grande puissance nucléaire, a attaqué et envahi un pays voisin pacifique et démocratique, qui ne l’a ni menacé, ni provoqué. En outre, le président Poutine menace de représailles tout autre État qui viendrait au secours du peuple ukrainien. Un tel usage de la force et de la coercition n’a pas sa place au 21e siècle.
Une grave violation de tous les principes
« Ce que fait Vladimir Poutine n’est pas seulement une grave violation du droit international, c’est une violation des principes fondamentaux de la coexistence humaine. Avec son choix de ramener la guerre en Europe, nous assistons au retour de la “loi de la jungle” où la force fait loi. Sa cible n’est pas seulement l’Ukraine, mais la sécurité de l’Europe et l’ensemble de l’ordre international fondé sur des règles, basé sur le système des Nations unies et le droit international.
La population civile prise pour cible
« Son agression prend des vies innocentes et foule aux pieds le désir des gens de vivre en paix. Des cibles civiles sont frappées, violant clairement le droit humanitaire international, forçant les gens à fuir. Nous voyons une catastrophe humanitaire se développer. Pendant des mois, nous avons déployé des efforts sans précédent pour parvenir à une solution diplomatique. Mais Poutine a menti à tous ceux qui l’ont rencontré, en prétendant être intéressé par une solution pacifique. Au lieu de cela, il a opté pour une invasion à grande échelle, une guerre totale.
Un arrêt des opérations est nécessaire
« La Russie doit cesser immédiatement ses opérations militaires et se retirer sans condition de tout le territoire de l’Ukraine. Il en va de même pour le Belarus, qui doit immédiatement cesser de participer à cette agression et respecter ses obligations internationales. L’Union européenne est unie pour offrir un soutien déterminé à l’Ukraine et à son peuple. C’est une question de vie ou de mort. Je prépare un paquet d’urgence pour soutenir les forces armées ukrainiennes dans leur combat.
La réponse européenne
Sanctionner et isoler la Russie
« En réponse, la communauté internationale va maintenant opter pour un isolement complet de la Russie, afin de tenir Poutine pour responsable de cette agression. Nous sanctionnons ceux qui financent la guerre, en paralysant le système bancaire russe et son accès aux marchés internationaux.
Affaiblir les capacités militaires russes
« L’UE et ses partenaires ont déjà imposé des sanctions massives à la Russie, qui visent ses dirigeants et ses élites ainsi que des secteurs stratégiques de l’économie dirigée par le Kremlin. L’objectif n’est pas de nuire au peuple russe, mais d’affaiblir la capacité du Kremlin à financer cette guerre injuste.
En partenariat avec d’autres pays du bloc
« Pour ce faire, nous agissons en étroite collaboration avec nos partenaires et alliés – les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, le Japon, la Corée du Sud et l’Australie. De nombreux pays font bloc dans le monde entier pour protéger l’intégrité territoriale et la souveraineté de l’Ukraine. Nous sommes ensemble du bon côté de l’histoire face à l’épouvantable agression de la Russie contre un pays libre et souverain.
Une campagne de désinformation massive
« Pour justifier ses crimes, le Kremlin et ses partisans se sont engagés dans une campagne de désinformation massive, qui a commencé déjà il y a plusieurs semaines. Les médias d’État russes et leur écosystème ont colporté massivement des contre-vérités sur les réseaux sociaux dans le but de tromper et de manipuler les opinions publiques.
« Les propagandistes du Kremlin qualifient leur agression d’opération spéciale, mais cet euphémisme cynique ne peut cacher le fait que nous assistons à une véritable invasion de l’Ukraine, dans le but d’écraser sa liberté, son gouvernement légitime et ses structures démocratiques.
Des mensonges proférés par Moscou
« Qualifier le gouvernement de Kiev de “néo-nazi” et de “russophobe” n’a aucun sens : toutes les manifestations de nazisme sont interdites en Ukraine. Dans l’Ukraine moderne, les candidats d’extrême droite sont un phénomène marginal bénéficiant d’un soutien minimal, qui ne leur permet même pas de passer la barre permettant d’entrer au parlement. Le gouvernement ukrainien n’a pas isolé le Donbas et il n’a pas interdit l’utilisation de la langue et de la culture russes.
« Donetsk et Louhansk ne sont pas des républiques, ce sont des régions ukrainiennes contrôlées par des groupements séparatistes armés et soutenus par la Russie.
Une opposition russe courageuse
« Nous le savons — et de nombreux Russes le savent. Des manifestations courageuses ont eu lieu dans les villes de Russie depuis le début de l’invasion, exigeant la fin de l’agression contre une nation voisine pacifique. Nous entendons leurs voix et saluons le courage dont ils font preuve en s’exprimant. Nous voyons également de nombreuses personnalités publiques russes protester contre cette invasion insensée.
Une réaction de la communauté internationale est nécessaire
« Je continue à travailler avec nos partenaires du monde entier pour assurer une réaction conjointe de toute la communauté internationale contre le comportement du Kremlin. Le 25 février, seule la Russie a opposé son veto à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies sur l’agression contre l’Ukraine, la Chine, l’Inde et les Émirats arabes unis s’étant abstenus. Partout dans le monde, les pays condamnent l’action de la Russie, et à l’Assemblée générale, l’ensemble de la communauté internationale doit unir ses forces et contribuer à mettre fin à l’agression militaire de la Russie en adoptant la résolution correspondante des Nations unies.
Il faut lutter pour la paix
« Nous ne connaissons que trop bien les conséquences de la guerre. Nous avons connu les souffrances de civils innocents lors des deux guerres mondiales et des guerres ultérieures, en Europe et au-delà. Nous savons pourquoi il est si important de lutter pour la paix. En fait, le principe fondateur du projet de l’Union européenne est de renforcer la coopération en vue de la paix, de la coexistence et de la prospérité, et nous l’avons fait au cours des dernières décennies en agissant comme une force de consolidation de la paix et non comme un acteur agressif. Nous sommes les principaux soutiens des personnes souffrant de conflits dans le monde entier, nous travaillons pour construire et aider, et non pour détruire.
Un monde qui ne sera plus le même demain
« Avec cette guerre contre l’Ukraine, le monde ne sera plus jamais le même. C’est maintenant, plus que jamais, le moment pour les sociétés et les alliances de se rassembler pour bâtir notre avenir sur la confiance, la justice et la liberté. C’est le moment de se lever et de s’exprimer.
« La force ne fait pas le droit. Cela n’a jamais été le cas. Et cela ne le sera jamais. »
(Josep Borrell)
Haut représentant de l’Union pour la politique étrangère et de sécurité commune
Texte publié à l’origine dans l’Economiste (Maroc)
Ce texte n’appartient qu’à son auteur sous son entière responsabilité. Intertitres de la rédaction
Cet article La force ne doit pas faire le droit, les guerres injustes sont vouées à être perdues (Josep Borrell) est apparu en premier sur B2 Le blog de l'Europe géopolitique.
(B2) C’est une vidéo étonnante dont nous avons tiré des captures d’image. On y voit le président biélorusse Alexandre Lukachenko devant son conseil faire un cours sur l’intervention russe et biélorusse en Ukraine.
La carte d’intervention russo-biélorusse avec le président Lukashenko en maitre d’école (Photo : TV Biélorussie – capture d’écran B2)Le président biélorusse A. Lukachenko est soit un imbécile profond, soit un as du double jeu. Il vient de se livrer, dans un show dont il a le secret devant une séance de son conseil de sécurité nationale retransmise sur la télévision nationale, à une explication des cartes de l’offensive. Se donnant un rôle de planificateur en chef des opérations russes dont il n’est qu’un exécutant. Une démonstration forte intéressante en présence de son ministre de la Défense Andrei Ravkov, qui apparait blême au fil de la démonstration.
Une offensive à partir de cinq points
Sur cette carte, on voit clairement l’offensive russe se dérouler à partir de cinq points : la Russie, mais aussi la Biélorussie au Nord ; de la mer Noire et de la Crimée (annexée par la Russie depuis 2014) au Sud ; du Donbass à l’Est.
L’Ukraine divisée en quatre zones
Sur cette carte, on voit aussi l’Ukraine est divisée en quatre zones. L’Ouest, avec ses huit oblasts (provinces) de Lviv à Khmelnytsky, est préservé.
Couper l’Ukraine de son accès à la mer
Dans le Sud, on voit clairement les objectifs : maîtriser la mer Noire, à partir de troupes venues de la mer pour faire jonction avec les troupes présentes en Transnistrie, et couper la partie ukrainienne du delta du Danube. Objectif de cette offensive, avec d’autres troupes venues de Crimée : prendre Odessa en tenaille et conquérir la province de Kherson. Mais il ne semble pas question de monter vers l’Ouest (vers la province de Vinnytsya) ou le Nord (province de Kirovohrad).
Conquérir le Donbass
A l’Est, en revanche, c’est clair : on voit une double offensive à partir du Donbass et de la Crimée pour conquérir non seulement la totalité de la province de (la république séparatiste) de Donetsk (vers Mariupol) mais aussi la province de Zaporizhzhya, notamment les villes de Melitopol et surtout le port de Berdyansk, mais aussi la province de Kharkiv. On voit clairement la volonté russe de saisir l’Ukraine “utile” (l’Est de l’Ukraine est riche en ressources minérales : charbon, manganèse, etc.), et de couper l’Ukraine de son accès à la mer.
La capitale et le pouvoir visés
Mais c’est au Centre de l’Ukraine, autour de Kiev à Soumy que se déroule l’offensive la plus majeure se déroule. On n’est plus ici dans un objectif logique visant à préserver la population russophone (argument fallacieux utilisé parfois par les Russes) ou à conforter l’indépendance des deux républiques séparatistes de Louhansk et Donetsk (objectif de l’intervention annoncé clairement par Vladimir Poutine lors de la déclaration de reconnaissance de ces “républiques”). On est ici dans une tentative de déstabilisation du pouvoir ukrainien, de volonté de renverser le gouvernement démocratique élu de V. Zelensky.
La volonté de revanche sur 2014 et 2011
Une sorte de revanche de 2014 qui avait vu le leader pro-russe de l’Ukraine, Ianoukovitch, fuir la capitale aux premières échauffourées un peu sérieuses. Une sorte de réplique également de l’offensive de l’OTAN sur la Libye qui avait vu l’opération militaire quitter peu à peu son objectif de départ (l’interposition dans une volonté de répression de Kadhafi) validé par l’ONU, pour entreprendre (sous l’impulsion des Français et Britanniques) une opération de renversement du pouvoir à Tripoli, qui a finalement abouti à la “neutralisation” du leader Mouammar Kadhafi.
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : contrairement à ce qui a été dit, il n’y a sur cette carte d’offensive vers la Moldavie. Il y a une jonction entre les troupes de Transnistrie et celles qui débarquent en Ukraine.
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