La Russie devient un allié. Un rapprochement engagé lors des discussions entre Obama et Poutine à Antalya (Crédit : Maison Blanche)
(B2) Jusqu’ici face à la crise en Syrie et dans le reste du monde, les Français et les Européens n’avaient pas de réelle stratégie. Ou plutôt ils en avaient plusieurs, souvent contradictoires. Elles s’annihilaient l’une et l’autre et empêchaient ainsi toute action conséquente (lire : Réfugiés, Russie, Bachar ? L’Europe va, vraiment, devoir choisir !). Après les attentats de Paris, le discours de François Hollande devant le Congrès lundi (16 novembre) et la discussion entre les ministres de la Défense mardi (17 novembre), des clarifications se sont faites, de façon notable, sur quatre points fondamentaux.
Première clarification : en Syrie, l’ennemi est bien Daech (alias l’organisation de l’Etat islamique ISIL ou ISIS selon les dénominations). La question de Bachar devient donc secondaire. François Hollande l’a confirmé dans son discours du congrès (lire : Terrorisme. François Hollande sonne les cloches aux Européens et réclame plus de solidarité). Paris a clarifié ses objectifs qui, du coup, permettent de clarifier la stratégie européenne. La France étant un des derniers pays à proclamer, urbi et orbi, son ambition de voir Bachar quitter le gouvernement.
Seconde clarification : la Russie n’est plus un adversaire. Moscou n’est pas devenu un ami. Mais c’est un allié. La volonté d’une coalition « unique » allant de la Russie aux Etats-Unis, englobant la Turquie et l’Iran, pourrait être discutée par certains alliés. Elle est cependant ipso facto entrée en vigueur. Les Russes frappant symboliquement, à la suite des Français, Raqqa, le fief de Daech en Syrie. Avec l’assentiment de Washington. C’est bien pour cela également que la France a choisi d’invoquer l’article 42.7 du traité européen et non l’article 5 de l’Alliance atlantique, pour permettre d’incorporer un maximum d’alliés dans la bataille. Cette clarification ferme la porte de presque deux années de tension, presque jour pour jour après la signature des accords d’association avec l’Ukraine qui avaient provoqué l’ire de Moscou. Certes la situation reste identique en Crimée et la question ukrainienne n’est toujours pas réglée. L’épreuve de vérité de cette nouvelle doctrine se situera en décembre, au moment de réviser les sanctions économiques et politiques envers la Russie.
Troisième clarification : on devra dépenser davantage sur la sécurité et la défense. Jusqu’à présent, il y avait deux objectifs contradictoires définis au niveau européen et euroatlantique. Il faut dépenser davantage pour la défense disaient les 28 de l’OTAN rassemblés à Newport au Pays de Galles, il y a un an, pour atteindre les 2% du PiB (seuls quelques pays dont la Grèce sont à ce niveau). Il faut économiser à tous les niveaux de l’Etat pour entrer dans les critères du Pacte de stabilité disaient les 28 (de l’UE) et la Commission européenne. Aujourd’hui, ce dilemme est résolu. Et la phrase de François Hollande, le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité devient de fait la règle non écrite. Mais il faudra encore définir la nature de cette exception, sa durée, et son intensité. L’invocation de l’article 42.7 fournit là un motif « objectif », d’ordre juridique à la Commission européenne, lui permettant d’octroyer à la France ce qu’elle pourra refuser à d’autres pays demain. La question qui se pose désormais officiellement est de savoir s’il ne faut pas exonérer plus généralement certaines dépenses de défense du pacte de stabilité. Bien plus complexe.
Quatrième clarification : la solidarité militaire est à double détente. Jusqu’ici, personne ne remettrait en doute la primauté de l’OTAN pour assurer la défense face à un ennemi commun, étatique ou semi-étatique de préférence. L’OTAN avait un concept du « Tous ensemble », dans une version « guerre froide. Tous ensemble contre la Russie. Tous ensemble en Afghanistan… Le semi-échec de l’opération en Afghanistan (1), a remis les pendules à l’heure. Aujourd’hui, la doctrine devient plus réaliste c’est chacun « selon ses moyens » et sa posture de défense (neutre / pas neutre, …). Et l’effort de solidarité est assurée selon une coordination des moyens faite par l’Union européenne, et non dans une mission européenne. L’OTAN est laissée de côté (2), reléguée (pour l’instant) à la fonction de défense territoriale du territoire européen, au sens strict.
(Nicolas Gros-Verheyde)
(1) Déclenchée par les Etats-Unis sous l’article V, après les attentats de 2001
(2) On peut remarquer que les Américains qui dirigent la coalition internationale en Irak n’ont jamais demandé l’implication de l’OTAN (pour mieux impliquer les pays arabes). Ce qui devrait inquiéter au bd Leopold III, le siège de l’Otan.
(B2) Le Charles-de-Gaulle, le porte-avions français, a quitté Toulon ce matin et mis le cap à l’est de la Méditerranée. Objectif : prendre part rapidement aux opérations contre Daech.
Tripler la force de frappe sur la Syrie
Avec ses 18 Rafale Marine et 8 Super Etendard (modernisés), le navire dispose d’une force de frappe conséquente qui « va permettre de multiplier par trois le potentiel miliaire des moyens français engagés au Levant contre Daech » précise-t-on à l’état-major des armées. Le Charles-de-Gaulle s’en ira ensuite dans le Golfe arabo persique.
Un groupe de 5 navires au minimum
Le groupe aéronaval qui est constitué autour du Charles-De-Gaulle comprend 5 bâtiments dont un Belge et un Britannique :
La frégate FREMM Provence (+ 1 Caïman Marine) viendra prendre le relais dans le Golfe persique lors du déploiement de longue durée. Ponctuellement des moyens américains navals et aériens viendront le renforcer. Et la présence d’autres bâtiments d’autres nations alliées – sans préciser la nationalité – est annoncée.
Le groupe aérien embarqué à bord du « Charles » comprend outre les Rafale Marine et Super étendard déjà mentionnés : 2 Hawkeye, 2 Dauphin et 1 Alouette III.
Manoeuvres conjointes et diplomatie navale
Au cours de son déploiement, le groupe aéronaval participera également à des manœuvres conjointes dans un cadre multinational et interalliés, ainsi qu’à des manœuvres bilatérales avec les pays de la région. Dans le golfe Arabo-Persique, le GAN assurera durant plusieurs semaines le commandement de la Task Force 50.
Mission Arromanches 2 pour la TF 473
Petit nom de cette Task Force, commandée par le contre-amiral René-Jean Crignola = la TF 473 ou Mission « Arromanches 2 » pour les plus romantiques. Précision importante : le GAN sera placé d’abord sous le contrôle opérationnel (OpCon) du commandant de la zone maritime en Méditerranée puis, dès son entrée en Océan Indien et jusqu’à sa sortie du golfe Arabo-Persique, sous le commandement de la composante navale de la coalition et, enfin, sur le trajet du retour, jusqu’au franchissement du canal de Suez, sous l’autorité commandant de la zone maritime de l’Océan Indien (Alindien).
Une question
Reste à savoir quelle attitude adoptera le commandement si des bateaux de réfugiés s’approchent du bord. La loi de la mer impose de venir au secours s’ils sont en détresse. Mais se poseront immanquablement des questions de sécurité, plus importantes qu’auparavant, dans le contexte post-attentats de Paris. Question sans doute théorique vu la distance des côtes auxquelles évoluera le groupe aéronaval. Mais néanmoins pas tout à fait exclue…
(NGV)