Thierry Pujol est expert international, président de TP International Consulting. Il répond à nos questions à l’occasion de sa participation à la conférence « Lutte contre la manipulation des compétitions en France : quelles initiatives pour quel bilan? » organisée par l’IRIS, le 11 décembre 2017, autour de la présentation de l’outil Fix the fixing, un outil pédagogique destiné aux parties prenantes souhaitant sensibiliser les personnes investies dans le sport sur le risque de corruption, de fraude et de trucage de match dans le sport :
– Quelles sont les dernières évolutions notables en ce qui concerne les techniques de manipulation des rencontres sportives ?
– D’après votre expérience, comment les athlètes interprètent-ils la menace de la manipulation des matchs ? Quelle est leur vision du problème ?
– Quelles sont vos principales recommandations pour améliorer l’intégrité des compétitions en France ? Que manque-t-il au dispositif actuel ?
Après des mois de tension et de tergiversation entre Londres et Bruxelles sur la première phase des négociations sur le Brexit, un consensus s’est dessiné que les chefs d’Etat européens ont entériné aujourd’hui au Conseil européen. Au-delà de ce satisfecit provisoire se jouent des enjeux proprement politiques de part et d’autre de la Manche : la légitimité domestique de Theresa May, et la cohésion des autres 27 Etats membres de l’Union européenne. L’analyse de Olivier de France, directeur de recherche à l’IRIS.
Un accord sur la première phase des négociations du Brexit a été trouvé ce vendredi 8 décembre, après des mois d’âpres discussions. Ce compromis est-il satisfaisant pour les négociateurs ?
Ceux qui suivent le football britannique sauront qu’il y est de coutume de dire qu’une équipe d’Outre-Manche ne peut pas gagner le championnat au mois de décembre, mais qu’elle peut en revanche très bien le perdre avant le Boxing Day. Il en est de même pour l’accord entériné par le Royaume-Uni et l’Union européenne (UE) aujourd’hui. Ce compromis a trois mérites.
Il a d’abord celui d’exister, ce qui n’est pas négligeable. Il va ensuite permettre aux discussions en vue du divorce de se poursuivre. Il va enfin rendre possible le début des pourparlers sur la relation entre les deux parties à la suite de leur divorce.
N’oublions pas que les trois dossiers choisis par l’UE comme autant de préalables à la négociation étaient parmi les plus sensibles politiquement et médiatiquement : l’argent, l’Irlande du Nord et le statut des citoyens britanniques dans l’UE et européens au Royaume-Uni. Ils ont provoqué des tensions au cours de ces derniers mois qui ont pu laisser craindre que les négociations ne s’enveniment et ne laissent des traces durables, au-delà cette fois de l’emphase rituelle des tabloïds britanniques.
Plus que l’accord technique en lui-même, elles auraient pu saper la confiance entre les deux partenaires et miner la relation entre le continent, le Royaume-Uni et les deux îles britanniques, avec des conséquences autrement plus graves à long terme. Malgré quelques frayeurs de dernière minute et une ou deux déclarations malhabiles de David Davies ou de Jean-Claude Juncker, ce scénario a pour l’instant été évité.
Reste que le compromis sur les trois dossiers susmentionnés n’est pas suffisant pour garantir qu’un accord soit signé in fine (comme le disent les documents officiels : « nothing is agreed until everything is agreed »), ni a fortiori pour qu’il se révèle satisfaisant pour tous. Mais ce compromis était nécessaire aujourd’hui pour préserver la possibilité d’une solution commune. Au-delà des versants techniques, il s’agissait surtout à mon sens d’un exercice politique destiné à démontrer la bonne volonté des deux parties, et leur souhait commun de trouver une solution mutuellement bénéfique.
A quels enjeux politiques était donc rattaché le succès ou l’échec de cet accord ?
Pour qu’une négociation existe, il faut que les deux parties aient défini des positions à peu près cohérentes d’une part. Il faut ensuite qu’elles négocient ces positions de manière à peu près rationnelle. Ces conditions n’étaient pas vraiment réunies au départ.
D’une part parce que le Royaume-Uni n’a pas réussi pour l’heure à arrêter une position claire sur le type de Brexit souhaité et sur le type de relation que le pays souhaite entretenir avec l’UE après sa sortie. Cela s’explique par les divisions internes au gouvernement de Theresa May, mais il est handicapant de négocier sans discerner clairement les objectifs en vue desquels on négocie. Il fallait également que l’UE arrête une position commune et s’y tienne. Pour l’instant, la cohésion de l’UE, de ses différents acteurs et de ses capitales n’a pas été prise en défaut, mais elle ne me paraît pas non plus avoir été testée sur les points commerciaux les plus délicats. Enfin, il fallait que les discussions puissent se tenir de manière apaisée, et ne soient pas remises en cause par une acrimonie qui peut facilement faire tâche d’huile.
Pour l’instant, le texte de l’accord est suffisamment ambigu pour jeter un voile pudique sur les désaccords les plus profonds, pour permettre à Theresa May de préserver l’unité de son gouvernement, et même pour que toutes les parties à Londres et à Bruxelles puissent se targuer d’un succès. C’était donc une gageure et de ce point de vue d’une réussite : l’exercice consistait à démontrer la volonté commune des deux parties de trouver une solution. Par cette seule vertu que l’on pourrait qualifier de performative, cela renforce en bout de ligne la probabilité d’une solution négociée satisfaisante.
Quels sont les obstacles majeurs à ce que l’on trouve une solution mutuellement bénéfique ?
Dès lors que l’on regarde au-delà de l’exercice politique et que l’on s’intéresse aux détails de la négociation, les choses deviennent subitement beaucoup moins limpides. La difficulté majeure consiste en ce que négocier les aspects techniques du Brexit sans avoir arrêté une position politique globale est un travail périlleux. Du coup, c’est l’inverse qui est train de se produire : ce sont les arbitrages techniques et les impératifs politiciens qui dessinent progressivement les contours de cette position globale, avec des conséquences parfois non maîtrisées et pour le moins contradictoires.
Ainsi, l’enjeu nord-irlandais et les dynamiques politique internes (le gouvernement minoritaire de May dépend du Parti unioniste démocrate nord-irlandais) ont poussé la Première ministre à promettre à la fois qu’il n’y aurait pas de frontière physique entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande, et qu’il n’y aurait pas de séparation entre l’Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni sur les questions commerciales. Pour ce faire, le Royaume-Uni devrait rester quasi entièrement dans l’union douanière et le marché intérieur. Pourquoi pas, mais cela se heurte à l’ambition initiale du gouvernement britannique qui souhaitait pouvoir contrôler l’immigration. Il s’agit donc là de positions antinomiques.
Pour l’heure, l’« ambiguïté constructive » de l’accord permet d’éviter de se confronter à ces difficultés, et la perspective d’une période de transition après 2019 permet de ne pas insulter l’avenir (celle-ci risque en réalité de poser de nombreux problèmes politiques car il s’agira d’une période où le Royaume-Uni sera soumis aux décision du continent sans pouvoir y être partie prenante, et sans pourvoir signer d’accord de libre-échange par ailleurs). Il faudra donc bien lever les incertitudes à un moment donné. Mais lever l’incertitude revient à s’ouvrir à la possibilité d’une crise politique à Londres, et à la possibilité – que certains écartent un peu vite – d’une alternance politique qui rebattrait foncièrement les cartes. C’est pour l’heure la crainte de ce scénario qui sécurise paradoxalement le leadership de Theresa May à Westminster.
Le One Planet Summit qui s’est déroulé à Paris ce 12 décembre est un sommet visant à réunir les parties prenantes de l’Accord de Paris sur le Climat : chefs d’Etat et délégations gouvernementales, bailleurs publics et privés internationaux. A l’initiative d’Emmanuel Macron, de l’ONU et de la Banque mondiale, l’enjeu était de remobiliser les acteurs après une COP 23 mitigée. Le point avec Bastien Alex, chercheur à l’IRIS.
Avec le One Planet Summit, Emmanuel Macron ne vient-il pas davantage conforter sa stature de garant du multilatéralisme plutôt que celle de leader de la cause climatique ? Cela ne vient-il pas contraster avec la politique environnementale qu’il mène à l’échelle nationale ?
Ce sommet, co-organisé avec l’ONU et la Banque mondiale, lui a effectivement permis de continuer de se positionner en élément dynamique de la scène internationale. Le président entend prendre la place laissée vacante par Obama et, sur le plan climatique, redorer le blason de l’UE qui été un peu en retrait ces dernières années, notamment après la COP21. Il conforte certes sa posture de pilier du multilatéralisme mais pour celle de leader climatique, c’est plus complexe. Emmanuel Macron, en annonçant vouloir faire de cet évènement qui n’était au départ qu’un sommet visant à célébrer les deux ans de la signature de l’Accord de Paris, un rendez-vous pérenne, prend le risque de donner l’impression de marginaliser la COP qui poursuit tout de même des objectifs similaires. S’il voulait empêcher ce sentiment, la présence de chefs d’Etat qui ne s’étaient pas déplacés à la COP23 du 6 au 17 novembre lui donne tort, comme sa volonté de parler le premier avant Antonio Gutierres. Il serait sans doute plus judicieux de proposer son inclusion à terme dans la COP, en tant qu’évènement important et marquant d’une journée. Cela éviterait aussi les débats sur la multiplication des sommets, sur leur coût et leur empreinte carbone. A ce titre, le dispositif mobilisé par le roi du Maroc pour sa venue a été épinglé (plusieurs avions de transport Hercule apportant les effets du Roi). Quant à la comparaison avec sa politique nationale, il est toujours plus facile de tenir des propos vertueux en conférence internationale qu’en faire des lignes directrices au niveau national, où le président reste plus prudent et qualifie sa position de réaliste, terme que Nicolas Hulot a aussi employé pour justifier l’annonce du report de la sortie du nucléaire.
Le partenariat public/privé comme mode de gouvernance dans la lutte pour la préservation du climat a été mis à l’honneur avec la présence de représentants de groupes financiers et bailleurs internationaux ainsi que des promesses chiffrées de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Ces engagements vont-ils dans le bon sens ? Ne s’agit-il pas avant tout de dynamiser la reprise économique mondiale par un label « green growth » ?
Ce genre de sommet ne vise pas à réviser les fondements du modèle de développement et de croissance capitaliste. Il faut le prendre pour ce qu’il est : un regroupement d’acteurs économiques désireux de faire un pas dans la transition, aussi bien écologique qu’énergétique mais avec le souci de soutenir des activités porteuses de rentabilité. Le secteur privé est prêt à s’engager sur cette voie car elle est la seule lui garantissant sa survie à terme. C’est comme cela qu’il faut interpréter l’initiative French Business Climate Pledge qui regroupe près d’une centaine d’entreprises françaises affichant leur volonté d’investir pour la transformation des sociétés et un modèle moins carboné. Si cela peut permettre une réduction des émissions de gaz à effet de serre, c’est donc une première satisfaction mais il ne faut pas s’attendre à ce que soient abordés en profondeur, lors de ce type de sommet, des sujets aussi profonds que le mode de vie et de consommation occidental ou la confusion entre croissance et développement. A partir de là, on peut dire que cela va dans un sens moins mauvais, quant à savoir s’il s’agit du bon, c’est là une question d’une toute autre ampleur.
Les montants annoncés par le secteur privé sont toutefois importants. Il est tout de même étonnant de constater que Bill Gates via sa fondation prévoit d’investir plus de 300 millions de dollars ente 2018 et 2020 dans la recherche agronomique et l’agriculture quand la France ne met que 8 millions d’euros et l’Europe 50 millions dans le financement de la Force conjointe du G5 Sahel, sujet qui faisait l’objet d’un sommet au lendemain du One Planet Summit.
La Banque mondiale a annoncé vouloir cesser le financement de l’exploration et l’exploitation de pétrole et de gaz après 2019. Première banque multilatérale à prendre un tel engagement, est-ce à dire qu’elle vient d’impulser concrètement la fin de l’exploitation des énergies fossiles ?
Non, elle a pris position contre le soutien aux entreprises et/ou projets des secteurs amont, soit l’exploration-production des hydrocarbures. Les secteurs du transport et de la transformation et de la commercialisation ne sont pas concernés. La Banque mondiale se justifie en évoquant la dépendance de certains pays, parmi les plus pauvres, au fuel pour la production d’électricité, comme le Sud-Soudan. L’exploitation des ressources fossiles a encore de belles années devant elle selon les scénarios de l’Agence internationale de l’énergie.
Rappelons qu’elle prévoit l’installation de 63 GW de puissance électrique d’origine fossile (charbon et gaz) d’ici 2040 (contre, certes, 160 pour les énergies renouvelables), selon le New Policies Scenario. La demande en pétrole et en gaz continuera à croître quand celle en charbon aura tendance à se maintenir. Les énergies fossiles sont si structurantes dans nos économies qu’aucun acteur ne peut seul décider d’arrêter d’y recourir.
Cette semaine s’est déroulée à Buenos-Aires la 11e Conférence ministérielle de l’OMC. Depuis quelques années, ces conférences passent presque inaperçues tant l’OMC a du mal à faire avancer les négociations multilatérales, en tête desquelles le cycle de négociation de Doha ouvert en 2001 et qui, pour la première fois, proposait de négocier sur des sujets liant le commerce et le développement. La dernière conférence avait eu lieu à Nairobi en décembre 2015, il y a donc deux ans maintenant. Qui s’en souvient ?
Pourtant, cette conférence à Buenos Aires était importante. Elle était la première après la dénonciation de plusieurs accords de commerce par les Etats-Unis. C’était la première fois aussi que le représentant au commerce américain de l’équipe du nouveau président Trump y participait. Le président Trump avait à plusieurs reprises évoqué la possibilité que son pays quitte l’OMC. C’est aussi la première fois que cette conférence s’achève sur des désaccords majeurs et l’impossibilité d’une déclaration finale.
Robert Lighthizer donc, du United States Trade Representative (USTR), le représentant au commerce, était présent puisque chargé de mener la politique commerciale américaine pour les 4 années à venir. Dans une récente intervention auprès du CSIS, un think tank de Washington, il expliquait combien il se sentait proche des positions et de l’analyse de l’administration Trump en matière de commerce. Il admettait que le libre-échange avait été un atout pour l’économie américaine, que les critiques croissantes qu’il engendrait venaient probablement d’une incompréhension des enjeux et des problèmes… mais il soulignait aussi que le commerce mondial tel qu’il était organisé était source de distorsions et, sur certains aspects, peu équitable et qu’il fallait donc lutter contre cela. Il citait par exemple le cas des déficits commerciaux que les Etats-Unis entretiennent depuis des années avec certains pays (sans les citer, il pensait à la Chine, voire à l’Allemagne).
Rappelons aussi que Lighthizer était déjà dans l’équipe du USTR au moment de la présidence de Ronald Reagan comme adjoint du représentant au commerce de ce Président et, qu’à l’époque, le « problème » était alors japonais. Il avait réussi à convaincre le Japon, la Corée du Sud et l’Allemagne de restreindre volontairement leurs importations d’acier aux Etats-Unis ; c’était une première dans les années 1980. Il est incontestablement un conservateur défenseur de l’industrie traditionnelle américaine, à savoir la « Rust Belt » ou ceinture de la rouille, toute cette industrie sinistrée par 40 ans de désindustrialisation et de mondialisation. En 2008, il écrivait : « Le pragmatisme du président Reagan contraste fortement avec les rêves utopiques des libre-échangistes », estimant que Reagan « avait toujours compris que la politique commerciale était simplement un outil pour construire un pays fort et indépendant avec une classe moyenne prospère ».
A Buenos Aires, il n’a pas déçu, quittant les négociations un jour avant la fin de la conférence et surtout consacrant l’essentiel de son énergie à empêcher toute nouvelle nomination à l’Organe de règlements des différends (ORD), l’administration américaine supportant de moins en moins qu’elle puisse être jugée fautive dans les litiges qui l’opposent à certains de ses partenaires. Ce fut le cas du Brésil qui dénonça à l’ORD les subventions américaines sur le coton et obtint gain de cause…
Il est clair que l’ORD sera le premier obstacle à la politique commerciale annoncée par le Président Trump puisqu’elle va à l’encontre de tous les engagements américains au sein de cette institution et bloquer l’ORD avait aussi une dimension stratégique pour le représentant américain.
L’autre dossier à l’agenda du négociateur était la Chine qui revendique depuis des années et aurait pu prétendre après 15 ans de participation à l’OMC, le statut d’économie de marché qui l’aurait protégé de toutes mesures anti-dumping. Les Etats-Unis, alliés aux Européens et aux Japonais, s’y sont là-aussi opposés. La Chine est critiquée par ces pays pour les subventions qu’elle accorde à certains secteurs d’activités dont l’acier.
A Buenos Aires, il a expliqué combien cette organisation mondiale du commerce était inutile et inadaptée. Les faits lui donnent plutôt raison. Après sa création, l’organisation a mis plus de six ans à s’accorder sur un agenda de négociations. Ce sera le cycle de Doha pour le commerce et le développement. Depuis, les contretemps et les échecs se sont succédés et un accord est encore loin d’être en vue pour conclure ce cycle. Cela montre d’ailleurs une limite importante de l’OMC : l’unanimité, puisqu’en 2015 un accord avait été trouvé entre les pays qui a été dénoncé quelques mois plus tard par l’Inde dont le gouvernement avait entre temps changé. Face aux difficultés des négociations multilatérales, les pays ont négocié des accords plus restreints comme le TTIP, le TPP ou le CETA, et au vu des difficultés de l’OMC, il y a fort à parier que cela continue.
La question que tout le monde se pose est alors : l’OMC peut-elle disparaître ? Probablement pas, mais l’esprit même des négociations multilatérales certainement oui et cela est apparu clairement à Buenos Aires où le seul résultat tangible a été la signature d’un accord sur l’élaboration de règles sur le commerce électronique… entre seulement 70 pays dont les Etats-Unis, le Japon et l’Union européenne mais sans la Chine ou l’Inde. La commissaire au Commerce européenne, Cecilia Malmström, expliquait à l’issue de la conférence que ces « accords plurilatéraux de court terme dans le cadre de l’OMC » étaient la meilleure façon d’avancer. Dans le contexte, elle a certainement raison et il serait illusoire de penser que l’unanimité nécessaire à tout accord à l’OMC peut être obtenue entre 164 membres aux intérêts aussi divergents.
Pour autant, cette paralysie de l’Organisation n’est pas une bonne nouvelle car elle conduit à une ouverture à géométrie variable au service des intérêts des pays les plus puissants et au détriment des autres. Qui viendra dénoncer à présent les mesures protectionnistes des Etats-Unis, les subventions agricoles des pays riches qui ruinent les agricultures vivrières au sud, si utiles pourtant pour lutter contre les famines ? Peut-être faut-il un peu de chaos pour se rendre compte qu’au fond quelques concessions peuvent être consenties pour avancer ensemble et que le respect des règles est important. C’est peu probable, les pays qui souffriront le plus de cette situation sont pour le moment inaudibles.
Une autre chance pour l’OMC est peut-être comme dans le cas du dossier sur le changement climatique, que l’extrémisme américain en la matière focalise les critiques et qu’in fine, les partisans de cette organisation dont l’Union européenne et la Chine fassent les efforts nécessaires pour relancer les négociations au sein de cette organisation. Au-delà, c’est aussi à l’OMC que pourrait être dénoncée une augmentation des tarifs douaniers américains ou la mise en œuvre d’une taxe d’ajustement frontalier favorisant les exportations des entreprises américaines et pénalisant les importations.
L’OMC peut donc encore avoir une utilité même s’il est incontestable qu’elle doit s’adapter au contexte actuel et que les pays acceptent ces adaptations. Prenons l’exemple du « traitement spécial et différencié » (S & D) qui est accordé aux pays en développement au sein de l’organisation. Aujourd’hui encore, les deux tiers des membres en bénéficient, ce qui est loin d’être la réalité du commerce. Les pays dits émergents, par exemple, ne souffrent pas des mêmes difficultés à accéder aux marchés mondiaux que les pays en développement et ce statut est devenu une distorsion au commerce… C’est un sujet qui doit faire l’objet de discussions et de concessions comme bien d’autres d’ailleurs.
Rappelons enfin que le protectionnisme entraînera une augmentation des prix qui sera préjudiciable à l’économie mondiale, mais aussi et surtout, aux plus défavorisés. Dans un monde d’inégalités croissantes dont les conséquences politiques et sociales sont nettement perceptibles, pas sûr que cela soit une bonne nouvelle.
La défaite militaire de l’organisation de l’Etat islamique sur l’ensemble du territoire irakien a été proclamée par le premier ministre irakien Haider al-Abadi. Les élections législatives de mai 2018 sont également le signal d’une volonté d’un retour à la normalité démocratique du pays, même si l’influence de l’allié iranien dans la future reconstruction politique est à prendre en compte. Pour nous éclairer, le point de vue de Karim Pakzad, chercheur à l’IRIS.
Le Premier ministre irakien, Haider al-Abadi, a annoncé ce samedi « la fin de la guerre » contre l’organisation de l’Etat islamique. Quelle est la réalité sur le terrain ?
Depuis 3 semaines, l’armée irakienne et les combattants de la « mobilisation populaire » (Hachd al-Chaabi), majoritairement des groupes armés appartenant à différentes organisations politiques et religieuses chiites, mais officiellement sous le commandement du Premier ministre, ont repris les dernières positions contrôlées par l’organisation terroriste et l’ensemble des positions frontalières de la Syrie autour des provinces de Ninive et d’Al-Anbar et notamment Al-Jazeera, une des dernières poches de résistance de Daech dans le désert. L’organisation terroriste n’était déjà plus constituée en tant qu’armée mais le Premier ministre irakien al-Abadi attendait que l’armée syrienne achève la reprise de la ville frontalière d’Abou Kamal, juste de l’autre côté de la frontière mais voisine de la ville irakienne d’Al Qaïm.
Haider al-Abadi a cependant signifié que la lutte contre le terrorisme n’était pas terminée. Si Daech est défait militairement, sa doctrine perdure et le groupe dispose toujours et depuis la guerre d’Irak de 2003, de combattants de l’ombre au sein de localités sunnites comme Falloujah, Ramadi et Tikrit. Les attentats de ces derniers jours sont d’ailleurs la preuve de la permanence d’une ossature basée sur la clandestinité. Désormais il faut que les forces irakiennes s’adonnent à un travail de renseignement et d’infiltration. Un point qui ne concerne pas l’Irak ou la Syrie : Daech progresse dans d’autres parties du monde musulman, notamment en Afghanistan où la semaine dernière l’autorité locale d’un district du Nord a signalé la présence de quatre combattants français (deux hommes et deux femmes) dans les rangs de Daech.
Dans ce contexte, le gouvernement actuel a confirmé par la voix de son Premier ministre la date du 15 mai pour les prochaines élections législatives. Quels en sont les enjeux et les principaux acteurs ?
L’annonce d’un calendrier électoral signifie que le Premier ministre veut traduire cette première victoire militaire sur le plan politique. L’Irak est un régime dont le gouvernement tire son élection et sa légitimité du parlement. De plus, cette échéance est éminemment symbolique car il s’agit de la première depuis que Haider Al-Abadi a remplacé Nouri Al-Maliki au lendemain de la débâcle militaire de 2014 qui a conduit à la chute de Mossoul. Il s’agit donc pour l’actuel premier ministre de récolter les fruits d’une ascension compliquée car la remobilisation de l’Irak après cette défaite cinglante n’était pas acquise, notamment de par son appartenance au parti d’Al-Maliki, al-Daawa.
Actuellement, tout laisse à penser qu’il remportera le scrutin lui permettant de se renforcer davantage. Les Irakiens, y compris les Arabes sunnites qui ont participé à la reconquête du territoire, sont reconnaissants de la façon dont Al-Abadi a mené cette guerre. Il est à ce titre surprenant que les médias occidentaux ne mentionnent que les milices chiites dans cette entreprise militaire en ne mettant pas en avant les autres composantes des Hachd al-Chabi qui sont turkmènes et arabes sunnites, même si minoritaires. Les prochaines élections seront également l’occasion de mettre au jour les nouveaux rapports de force à l’intérieur des différentes composantes notamment au sein du parti chiite de l’actuel et de l’ancien Premier ministre. Le fait que la ligne d’Al-Abadi s’impose en son sein est un élément déterminant.
Nombre de gouvernements étrangers ont appelé au départ d’Irak des milices chiites accusées de collusion avec l’Iran, notamment celles de Hachd al-Chaabi. Cette requête n’est-elle pas vaine au regard de la forte influence de Téhéran sur le jeu politique irakien ? L’Irak saura-t-il s’émanciper de son allié pour réussir à préserver son unité nationale ?
Tout d’abord, il est important de dissocier les milices de Hachd al-Chaabi qui en arabe signifie « la mobilisation populaire » des milices comme nous les connaissons dans d’autres pays et qui luttent pour l’intérêt de l’un ou de l’autre chef de guerre et de parti. La grande partie de Hachd al-Chabi est composée de combattants chiites et, sur le plan politique et militaire, chaque groupe émane d’un parti ou de chefs religieux. Par exemple, Kata’ib al-Imam Ali, milice chiite la plus puissante émane de la Marja-e taqlid, c’est-à-dire l’autorité suprême chiite qui se trouve dans le Sud à Nadjaf. Si cette dernière manifeste son opposition, n’importe quel gouvernement irakien n’aura que peu de légitimité. Or, l’actuel ministre irakien a le soutien de cette autorité chiite, elle-même soutenue par l’Iran. Ces milices, contrairement à celles du parti du jeune imam Moktada al-Sadr et de l’Assemblée suprême irakienne de al-Hakim qui existaient depuis l’époque de Saddam Hussein, sont apparues à la demande de l’autorité chiite au lendemain de la débandade de l’armée irakienne à Mossoul. Elles sont intervenues au moment où Daech s’approchait de Bagdad, mais ont officiellement combattu l’organisation de l’Etat islamique sous l’égide du premier ministre irakien. L’on sait cependant que dans la réalité leurs chefs obéissaient davantage à leur parti et même certains au-delà, à savoir à Qasem Soleimani, général iranien et commandant d’Al-Qods, les forces spéciales des Gardiens de la Révolution pour les interventions à l’étranger.
Lorsque l’armée syrienne, avec le Hezbollah et d’autres volontaires soutenus par l’Iran, ont libéré il y a deux semaines Abou Kamal, localité frontalière tenue par Daech côté syrien, c’est bien Qasem Soleimani qui a annoncé la fin de Daech en Syrie.
En Irak, il est évident que la présence d’une force aussi puissante ne plaît ni aux pays arabes, ni aux pays occidentaux, ni aux Arabes sunnites irakiens. A maintes reprises, lorsque l’Arabie saoudite qui a soutenu indirectement Al-Qaïda en Irak, exigeait que le pays rompe avec les milices chiites d’obédience iranienne pour normaliser ses relations avec l’Irak, elle recevait une réponse négative du fait de leur rôle joué depuis 2014.
L’influence de l’Iran en Irak ne se limite pas à ces milices. Beaucoup de cadres d’organisations politiques et d’institutions comme le Conseil supérieur islamique irakien ou al-Daawa, le parti de l’actuel Premier ministre, ont été soutenus par l’Iran. Il s’agit d’un sujet délicat pour l’Irak qui se demande comment aborder désormais cette question. Il serait nécessaire et judicieux d’inclure l’ensemble des milices chiites au sein des forces armées irakiennes. Une proposition de loi a été débattue en ce sens au début de l’année au Parlement. Or, la position des Etats-Unis et de l’Arabie saoudite à ce sujet n’est pas de bon augure. Certains Iraniens, parmi les plus radicaux, refusent catégoriquement une dissolution des Hachd al-Chaabi, d’autres ayant même le souhait de créer une émanation du Hezbollah en Irak.
Or, malgré leurs liens incontestables avec Téhéran, les Irakiens cherchent à normaliser leurs relations avec d’autres pays. Symbole fort, l’ambassade saoudienne en Irak a rouvert ses portes après 25 ans d’inimitié et la frontière entre les deux pays a été rouverte il y a quelques semaines.
L’Irak toute seule ne sera pas capable de reconstruire le pays, avec ou non l’aide de l’Iran. Le pays a besoin de maintenir un lien avec les pays arabes et l’Occident et, en parallèle, de prôner la détente dans la région. L’enjeu actuel est que l’Irak ne devienne pas davantage, à l’instar du Liban ou du Yémen, un enjeu de rivalité entre Ryad et Téhéran.
Construire une société plus égalitaire suppose de promouvoir des mécanismes et des espaces de rencontre entre la recherche, les actrices et les acteurs de terrain, et les instances de décision, publique et privée. Le sport a tout intérêt à miser sur de telles évolutions. Un colloque est organisé sur ce sujet, le lundi 18 décembre, à l’Université Paris-Diderot.
De nombreuses lois garantissent en principe l’égalité entre les femmes et les hommes. Cependant, elles et ils ne participent pas de la même manière à la société, que l’on parle des sphères politiques, professionnelles, associatives ou intimes : elles et ils ne sont pas à parité dans les organes de représentation, ne travaillent pas dans les mêmes secteurs, accèdent très inégalement aux postes à responsabilité.
Les écarts dans les parcours ne peuvent être la simple résultante de préférences individuelles déterminant les choix de carrière, de métiers et de conciliation entre vie privée et vie professionnelle. Ils témoignent aussi d’un clivage historiquement construit entre sphère privée (du côté des femmes) et sphère publique (du côté des hommes), et d’une prise en compte implicitement hiérarchique des femmes et des hommes, fondée sur la différence sexuelle.
ARTICULER LES ENJEUX DE REDISTRIBUTION ET DE RECONNAISSANCE
Ces différences se mettent en place dès la jeunesse et posent plusieurs problèmes de justice sociale, mais qui ne se limitent pas à la justice redistributive. Les rapports sociaux entre les femmes et les hommes n’épuisent pas les inégalités socio-économiques et inversement, les discriminations qui découlent des stéréotypes de genre ne s’y résument pas. C’est, en effet, un enjeu de redistribution mais aussi de reconnaissance, pour paraphraser la philosophe américaine Nancy Fraser, qui doit être formulé. La reconnaissance doit se comprendre comme un statut, les injustices symboliques et culturelles se juxtaposant aux inégalités socio-économiques.
Si, à moyen terme, femmes et hommes gagnent à vivre dans une société plus égalitaire, ces progrès-là sont lents, parfois à l’échelle d’une génération. Dès lors, se pose le problème de leur évaluation, en termes de pilotage de politiques publiques.
Or, comme l’a montré Éric Fassin, les inégalités entre les femmes et hommes, en France, ne sont acceptées que depuis peu comme catégorie politique. C’est en grande partie parce que certains questionnements, bien connus dans les études de genre, ont fait irruption dans l’arène médiatique et dans le champ politique. Grâce à la recherche, on sait que les politiques publiques (ou privées) qui se veulent universelles, neutres au genre, sont en réalité genrée puisqu’elles ont comme point aveugle certaines inégalités et discriminations.
Comment le politique peut-il traiter cet écart entre aspiration à l’universalisme et politique de reconnaissance ? Les acteurs privés ont-il, et si oui, lequel, un rôle à jouer ? Comment passer des normes implicites aux normes explicites pour faire évoluer la société vers davantage d’égalité ? Sur quels outils s’appuyer, de quels exemples s’inspirer pour renforcer la prise de conscience et ouvrir le champ des possibles, pour tou.te.s, dès la jeunesse ? Car il importe de défendre des actions permettant d’atteindre une mixité plus réelle et d’assurer une approche systémique jouant sur plusieurs leviers complémentaires.
FAIRE DU SPORT UN SECTEUR EN POINTE SUR LA RENCONTRE ENTRE CHERCHEUR.SE.S ET DÉCIDEUR.E.S
Le champ sportif, que l’on parle des pratiques – compétitives ou non -, de la gouvernance, de la médiatisation, des différents métiers liés au sport (actuels ou de demain), a tout à gagner à miser sur la recherche pour faire progresser l’égalité entre les femmes et les hommes. La science demeure trop peu valorisée comme outil d’aide à la décision publique et privée. Or la société aspire à l’élévation du niveau des connaissances. Pourquoi le sport se tiendrait-il à l’écart ?
Le monde du travail ne pourra bientôt plus se passer de la Recherche et Développement, quels que soient les niveaux de qualification. En effet, l’évolution très rapide des métiers nécessite de mettre en place des processus de formation tout au long de la vie qui auront besoin de l’expertise interdisciplinaire, prospective et laissant une grande place à l’évaluation.
Cette hybridité entre la recherche et la décision reste largement à construire dans notre pays mais pourquoi ne pas faire du sport, omniprésent dans la vie quotidienne des citoyens comme des plus jeunes, un secteur à la pointe sur ces enjeux ? Les questionnements sur le genre, qui traversent les sciences humaines et sociales, la médecine, les sciences de l’information, y ont toute leur place pour, dans un premier temps, visibiliser, nommer et déconstruire les problèmes en évitant le piège des stigmatisations, puis dans un second temps, tenter d’y remédier.
Il s’agit en particulier de lutter contre la sédentarité et l’inactivité physique, plus fortes chez les femmes que chez les hommes, d’aménager un espace public dé-genré et accueillant pour tou.te.s, d’asseoir définitivement la légitimité des sportives dans les médias, de combattre le plafond de verre dans les organisations sportives et les entreprises. La France et l’Europe sont riches de dispositifs vertueux mais qui sont rarement évalués et souvent mal connus, peu diffusés.
Faire se rencontrer et dialoguer chercheur.se.s, enseignant.e.s, éducateurs et éducatrices, dirigeant.e.s, managers et institutions n’est pas une gageure. Cela s’avère au contraire plus que jamais indispensable pour que cohésion sociale, émancipation et développement professionnel puissent aller de pair. Cela participe tout simplement de la promesse démocratique.
Sylvie Matelly est économiste, directrice adjointe de l’IRIS. Elle répond à nos questions à propos du dossier de la Revue internationale et stratégique n°108 qu’elle a dirigé « A qui profite le commerce ? L’impact du libre-échange sur les relations internationales » :
– Comment expliquer que le libre-échange, qui fut le paradigme de la prospérité occidentale à la sortie de la Seconde guerre mondiale, soit aujourd’hui perçu de manière si négative ?
– En quoi le retour du protectionnisme prôné notamment par les Etats-Unis peut-il modifier les rapports de force actuels ? Avec quelles conséquences ?
– Pascal Lamy, ancien directeur de l’OMC, suggère que l’organisation participe à la définition du cadre des normes non tarifaires. Cela peut-il accroître un sentiment de dépossession du politique par les instances économiques et financières multilatérales auprès des citoyens ?
Le ministère de la Défense japonais demandera des fonds supplémentaires dans le prochain budget militaire pour l’achat de missiles de croisière à longue portée emportés sur des avions de chasse, a déclaré vendredi 8 décembre le ministre de la Défense, Itsunori Onodera. M. Onodera a démenti que ces nouvelles acquisitions constitueront un changement dans la politique strictement défensive du Japon, selon laquelle les Forces d’autodéfense n’ont pas la capacité de frapper le territoire d’autres pays.
Le ministère de la défense avait déjà demandé en août un budget record pour l’exercice 2018, afin de contrer la menace que représentent les programmes de missiles balistiques et d’armes nucléaires de la Corée du Nord. Le gouvernement affirme que la Constitution autorise la possibilité de mener des frappes dès lors qu’elles peuvent être considérées comme une mesure de légitime défense.
Les missiles de croisière dont souhaitent se doter le Japon sont le JSM de la société norvégienne Kongsberg Defence & Aerospace, d’une portée d’environ 500 km, et les missiles JASSM-ER et LRASM de Lockheed Martin Corp., qui ont chacun une portée d’environ 900 km. Cette portée est très supérieure aux limites qu’impose la Constitution pacifiste japonaise qui limite à 300 kilomètres la portée des missiles actuellement utilisés par l’armée japonaise. Le JSM sera installé sur des chasseurs furtifs de la Force d’autodéfense aérienne, les fameux F-35 dont Tokyo souhaite acheter 42 exemplaires, et le JASSM-ER et le LRASM vont être étudiés pour un montage possible sur des chasseurs F-15. M. Onodera a déclaré que ces missiles seraient utilisés pour défendre les destroyers de la Force d’autodéfense maritime équipés du système de défense antimissile Aegis. Il a également suggéré qu’ils pourraient être utilisés dans la défense d’îles, « traitant des forces de surface ennemies ou des forces de débarquement avant qu’elles ne se rapprochent ».
Une majorité de Japonais se dit favorable à l’achat de ces missiles capables de frapper la Corée du Nord, car Pyongyang a procédé à plusieurs dizaines de tirs expérimentaux de missiles dont deux ont survolé le Japon. Cela va dans le sens de Tokyo qui met en avant la menace nord-coréenne, notamment dans ses Livres Blancs de la défense qui paraissent à l’été. De telles mesures correspondent aussi à la volonté du Premier ministre japonais Shinzo Abe de doter le pays d’une armée performante face aux nombreuses menaces régionales et de se libérer du « carcan » pacifiste de la Constitution.
Il est à craindre que cette dotation en missiles de croisière renforce certes la capacité dissuasive du Japon vis-à-vis de la Corée du Nord même si celle-ci est imprévisible mais que, néanmoins, elle conduise à une accélération de la course aux armements régionale. Tous les pays de cette région d’Asie du Nord-Est ont des programmes de missiles de croisière. La Corée du Nord développe des missiles de croisière antinavires d’une portée d’environ 200 km. Et chaque tir de missile nord-coréen entraîne des répliques. Moins de 24 heures après l’essai nord-coréen qui a été largement condamné par la communauté internationale, mercredi 5 juillet, les forces sud-coréennes et américaines avaient ainsi tiré de la péninsule plusieurs missiles de courte portée qui se sont abattus en mer du Japon. Côté chinois, alors que Pékin est engagée dans un ambitieux programme de modernisation militaire, un concepteur chinois a annoncé à l’été 2016 développer une nouvelle génération de missiles de croisière dotée d’un taux élevé d’intelligence artificielle et d’automatisation. Enfin et surtout, la Corée du Sud a testé à la mi-septembre un nouveau missile de croisière sophistiqué qui renforcerait sa capacité à lancer des attaques anticipées contre la Corée du Nord en cas de conflit. L’armée sud-coréenne a révélé que le missile Taurus a été lancé par un chasseur F-15. Il a ensuite évité une série d’obstacles à faible altitude avant de frapper sa cible, mardi. Le missile est fabriqué par la firme allemande Taurus Systems. Il a une portée maximale de 500 kilomètres et est doté de caractéristiques furtives qui lui permettent d’échapper aux radars.
Ces différents programmes ne sont pas de nature à stabiliser une situation déjà très tendue, même si l’affichage politique constitue un facteur dissuasif. Ils risquent de rendre encore plus imprévisible la Corée du Nord qui pourrait dans sa paranoïa sécuritaire s’estimer encore plus menacée.
Alors que l’Union européenne et certains Etats du Sud comme l’Italie se protègent contre les migrants en ayant des relations avec les réseaux mafieux des passeurs ou des vendeurs d’esclaves, l’Afrique doit gérer le retour de 20.000 migrants et 6000 combattants de l’Etat islamique venant d’Irak et de Syrie. Tel Sisyphe, elle doit sans fin gérer de nouveaux défis alors que ses moyens sont limités.
Des pays comme la France dont on estime le nombre de djihadistes potentiellement de retour à un peu plus de 600 semblent désarmés pour gérer ces djihadistes de retour de Syrie et d’Irak alors qu’ils disposent de cellules de déradicalisation, d’un Etat de droit, d’infrastructures, etc. Les combattants africains de l’EI sont quant à eux estimés à 6000 sur 30000 étrangers alors que les frontières sont poreuses, les infrastructures d’accueil limitées et les forces de police et militaires faibles en nombre et en efficacité.
Le repli des djihadistes en Afrique concerne prioritairement la Libye en proie au chaos, la Somalie et la zone saharo-sahélienne (d’une superficie voisine de celle de l’Europe occidentale). Il peut passer par des réseaux ayant officiellement fait allégeance à l’Etat islamique comme Boko Haram mais également des mouvances terroristes liées à Al-Qaïda. L’Organisation de l’Etat islamique a défini trois califats en Afrique : la zone Egypte, Tchad, Soudan (califat Alkinaana), la zone Erythrée, Ethiopie, Somalie, Kenya, Ouganda (califat Habasha) (et la zone nord-africaine (Maghreb plus Niger, Nigeria, Mauritanie). Au-delà de ces référents, la stratégie de dissémination prédomine. Malgré l’importance de la force Barkhane, les casques bleus, des coopérations régionales entre pays africains, les actions terroristes se sont accrues au Mali (surtout au centre), au Burkina Faso et au Niger. Les dépenses nationales de sécurité augmentent mais aux dépens des actions de développement économique et social. Le G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) a du mal à être financé et à devenir opérationnel. Les réponses ne sont pas à la hauteur des enjeux.
A ces actions s’ajoute la gestion de 20.000 migrants dont l’Union africaine dit qu’elle doit favoriser le retour dans les pays d’origine. Les drames des « damnés de la mer » (cf. Benjamin Stora) se sont réduits mais au profit d’une réactualisation de l’esclavage en Libye et des connivences entre les réseaux mafieux, terroristes et esclavagistes. Là encore, les politiques d’urgence de la part de décideurs débordés l’emportent sur une vision stratégique capable d’anticiper. La montée des populismes en Europe et une certaine « lepénisation des esprits » conduisent à des représentations de l’autre en termes d’assignations identitaires raciales ou religieuses, de fermeture des frontières ou du chacun chez soi alors que les sociétés du Nord et du Sud ont à gérer des interdépendances et que les frontières sont débordées.
Plus que jamais la gestion des flux de mobilité des hommes doit être assurée par des politiques régionales favorisant les mouvements des zones africaines pauvres et surpeuplées vers les zones sous-peuplées et à fort potentiel. L’appui à des politiques régionales est la seule alternative pour les pays européens à une pression migratoire qui ne peut que croître avec le temps. Ceci implique des partenariats multi acteurs qui dégagent des financements à la hauteur des enjeux avec en parallèle des projets de développement à diverses échelles territoriales. Plus que jamais, le devenir de l’Europe dépend largement de la manière dont les défis seront relevés en Afrique, comment ses potentialités se transformeront en opportunités et comment les fermetures et les murs feront place aux ouvertures et projets communs euro-africains.
Les Occidentaux répètent régulièrement qu’ils sont unis par des valeurs communes : démocratie, respect des droits de l’homme, égalité hommes/femmes, respect des minorités, indépendance de la justice et liberté d’opinion, de la presse et de la religion.
Ils aiment s’en prévaloir tout en faisant la leçon aux nations qui ne les respecteraient pas, oubliant parfois que leurs indignations sont sélectives ou leurs principes à géométrie variable. Leur sévérité dépend de la nature des relations qu’ils entretiennent avec les prétendus coupables, plus que de la gravité des faits reprochés. Les États rivaux ont davantage de chance de se faire sermonner que les États alliés ou clients. Il leur arrive par ailleurs de déroger au respect de ces valeurs autoproclamées occidentales, affaiblissant la crédibilité de leurs discours.
Mais, au-delà de ces éventuelles contradictions, il existe bien un corpus de valeurs occidentales, identifiées et revendiquées, qui unit les pays des deux rives de l’Atlantique. Leur différence fondamentale réside en l’adhésion pour l’un, et le rejet pour l’autre, d’une vision, qui devrait, face aux grands défis internationaux, occuper une place de plus en plus centrale dans la vie internationale : le multilatéralisme.
Le multilatéralisme n’est pas rendu nécessaire par l’émergence d’un monde multipolaire, mais par celui d’un monde de plus en plus interdépendant. Aucun grand défi auquel est confrontée l’humanité ne peut être résolu par des moyens uniquement nationaux. Seule une coopération à grande échelle, donc une politique multilatérale, permet de faire face au réchauffement climatique, aux risques terroristes, aux défis démographiques, à un accès facilité aux biens publics mondiaux, ou à la mise en place d’un véritable système de sécurité internationale.
Mais, si l’Union européenne a inscrit le multilatéralisme dans son ADN, les États-Unis y sont réfractaires. Ce rejet a des racines anciennes et profondes. Se croyant – et étant à bien des égards – exceptionnels, les États-Unis ont du mal à concevoir une action basée sur la volonté collective, où ils ne seraient qu’un parmi d’autres. Persuadés, depuis longtemps, de leur « destinée manifeste », ils sont tout à fait à l’aise avec l’idée de guider un monde régi par l’unilatéralisme, qui ne saurait que conduire à des résultats positifs. Avant la Seconde Guerre mondiale, ils étaient isolationnistes. Ils en sont sortis plus puissants que tous les autres acteurs du conflit et ont pris « la tête du monde libre ». N’ayant jamais eu l’habitude de traiter avec des égaux, sauf peut-être durant la brève période Nixon-Kissinger, ils ne furent jamais confrontés à la nécessité d’une diplomatie entre puissances équivalentes. À la fin du monde bipolaire, ils préférèrent ainsi se considérer comme les vainqueurs de la guerre froide plutôt que comme les bâtisseurs d’un nouvel ordre mondial.
C’est un président considéré comme multilatéraliste, Bill Clinton, qui a pu déclarer que les États-Unis étaient la « seule nation indispensable ». L’unilatéralisme américain n’a pas démarré avec Georges W. Bush et l’après 11 septembre, pas plus qu’avec D. Trump. Il est le fondement de leur politique extérieure. Barack Obama l’avait réduit, mais ne l’a pas éliminé. Donald Trump le pousse à son paroxysme. Mais son successeur, quel qu’il soit, n’abandonnera pas cette posture ; il la modulera.
Ce comportement, enraciné dans les perceptions, les modes de pensées et les traditions de l’action, est l’un des défis majeurs posés aux Européens. Au moment où le multilatéralisme est plus nécessaire que jamais, comment traiter avec une nation qui s’en méfie, et le considère comme une contrainte inutile plutôt qu’un moyen d’action indispensable ? L’Europe doit s’affirmer comme une puissance, mais une puissance multilatéraliste.
Emmanuel Hache est économiste-prospectiviste à l’IFP énergies nouvelles et directeur de recherche à l’IRIS. Il répond à nos questions à l’occasion de son intervention dans le cadre de la première édition du Forum de Paris portant sur « Les nouvelles routes de la soie » organisée par l’IRIS et l’Ambassade de Chine en France, le 29 novembre 2017 :
– Du Forum de Davos aux nouvelles routes de la soie, comment interpréter cette promotion inédite de l’interdépendance économique par la Chine ?
– N’y a-t-il pas de risques à ce que des pays partenaires aient à gérer eux-mêmes les externalités négatives produites ?
– La Chine pourra-t-elle continuer à dissocier la géoéconomie de la géopolitique au vu des nombreux projets situés dans des zones à risques sécuritaires élevés ?
Le 26 septembre 2017 restera une date historique en Arabie saoudite avec un décret royal autorisant les femmes à conduire à partir de juin 2018. Dans ce royaume ultra-conservateur, cette mesure prise par le roi Salmane représente une révolution. Mais, derrière le roi, c’est le prince hériter Mohammed ben Salmane, surnommé ‘’MBS », qui est en train de mener tambour battant des réformes qui transforment le royaume saoudien.
Si cette mesure sur le plan sociétal est la plus forte symboliquement, elle s’accompagne en parallèle d’une volonté de mise au pas des autorités religieuses du pays, qui a été historiquement fondé sur un pacte entre le sabre et le goupillon. Le prince héritier affirme vouloir désormais une ‘’Nouvelle Arabie » débarrassée de la gangrène de l’Islam radical. Afin que la communauté internationale n’associe plus Arabie saoudite et terrorisme islamiste, Riyad vient de relancer une grande coalition antiterroriste de 40 pays majoritairement sunnites, visant à éradiquer les groupes extrémistes jusqu’à leur ‘’disparition de la terre ».
La rhétorique est aussi enflammée que les chiffres de la ‘’Vision 2030 » sont cosmiques. La stratégie économique de l’Arabie saoudite est ambitieuse et le défi est immense. Si les chiffres annoncés sont parfois irréalistes, l’orientation est néanmoins la bonne. L’Arabie saoudite ne peut plus se contenter d’être un état rentier dépendant d’un cours du pétrole de plus en plus incertain et instable. L’Etat ne peut plus fournir des revenus à toute la population en ayant un secteur privé quasi inexistant. En dévoilant son projet NEOM, cette mégalopole du futur sur les bords de la mer Rouge, MBS s’est empressé de proclamer que ‘’seuls les rêveurs sont les bienvenus » dans cette ‘’Nouvelle Arabie ». Vision et communication font souvent bon ménage.
Le miroir aux alouettes saoudien
D’emblée, certains commentateurs ont été séduits par les annonces du prince héritier. Thomas Friedman, le célèbre éditorialiste du New York Times, s’est empressé de parler du ‘’printemps arabe » de l’Arabie saoudite, une appréciation très excessive car des évolutions sociétales ne constituent pas une libéralisation politique et celle-ci ne pointe pas du tout à l’horizon. Ces évolutions et les projets économiques majeurs du royaume, notamment la diversification de l’économie nationale et une petite ouverture du capital de la compagnie pétrolière et gazière nationale, Saudi Aramco, viennent du sommet et sont conduits d’une main de fer. Amnesty International soulignait à la fin octobre que le pays demeurait l’un des pires violateurs des droits de l’homme et qu’aucun progrès significatif n’avait été enregistré depuis l’ascension, apparemment irrésistible, de MBS.
L’opération anti-corruption lancée le 4 novembre 2017 illustre de façon éclatante la verticale du pouvoir en Arabie saoudite, à l’encontre des traditions d’un royaume où il était de bon ton de chercher le consensus entre les différents cercles de pouvoir. Enfermés dans le Ritz Carlton de Riyad, les princes, ministres, anciens ministres et hommes d’affaires mis en cause de façon très peu transparente ne peuvent sortir de cette prison dorée qu’à condition de signer un très gros chèque. Un montant global de l’ordre de 100 milliards de dollars a même été évoqué par le prince héritier lui-même… L’opération sera assurément très rentable mais elle illustre aussi les importantes tensions internes au royaume saoudien, qui pourraient être une source d’inquiétude pour les investisseurs.
Mais, au-delà des tensions internes, c’est surtout à l’extérieur que l’Arabie saoudite, avec une politique étrangère beaucoup plus offensive que par le passé, contribue à accroître les tensions dans la région. Enlisement au Yémen, blocus inefficace contre le Qatar, ingérence dans la politique libanaise, forte augmentation des tensions avec l’Iran… Cette radicalisation de l’Arabie saoudite sur la scène régionale inquiète une bonne partie de la communauté internationale et les investisseurs étrangers. Cette montée des tensions, dont l’Arabie saoudite n’est évidemment pas la seule responsable, peut également rendre plus difficile la réalisation des ambitions internes de MBS. La diversification de l’économie, un défi considérable, serait favorisée par un contexte régional plus apaisé.
La France doit continuer d’être une puissance d’équilibre
Alors que le président Macron se rend au Qatar, toujours sous embargo du ‘’Quartet » (Arabie saoudite, Emirats Arabes Unis, Bahrein et Egypte), la France doit continuer à ‘’parler avec tout le monde » dans une région où le dialogue est trop souvent absent. Alors que l’administration américaine est empêtrée dans ses contradictions internes, avec un président qui a tendance à jeter de l’huile sur le feu à coups de tweets intempestifs et un département d’Etat et un département de la Défense qui tentent tant bien que mal de limiter les dégâts, le président français doit encourager le multilatéralisme et une désescalade des tensions dans la région. Cette absence actuelle de leadership occidental au Moyen-Orient crée des opportunités pour la France et pour l’Union européenne si celles-ci ont la vision stratégique requise et la volonté politique de jouer un rôle significatif dans cette région clé, qui contrôle près de la moitié des réserves prouvées mondiales de pétrole et un peu plus de 40% des réserves gazières.
Il reste à voir si ces deux conditions seront réunies. Au regard de l’état de la région et de son importance internationale, on ne peut que vivement souhaiter que l’UE et la France soient à la hauteur des enjeux.
Que revêt la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et de transférer l’ambassade états-unienne dans cette ville ? Au-delà de cette interrogation, la décision vient en tous les cas confirmer à nouveau l’aversion assumée du président américain envers toute forme de multilatéralisme. Pour nous éclairer, le point de vue de Didier Billion, directeur adjoint de l’IRIS.
Au vu de l’absence d’avancées dans les négociations entre Israéliens et Palestiniens, comment expliquer un tel timing dans la décision de Donald Trump de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël ?
Il s’agit tout d’abord d’une décision de Donald Trump qui s’inscrit dans la logique de sa campagne électorale présidentielle puisqu’il avait alors clairement expliqué son objectif de reconnaître Jérusalem comme capitale de l’Etat d’Israël et d’y transférer l’ambassade états-unienne, actuellement située à Tel-Aviv. Ainsi, même si cette décision a mis un an pour être prise, le président américain applique ce qu’il avait promis à son électorat.
Cette décision confirme la totale mécompréhension par le président des Etats-Unis des complexes enjeux en question ainsi que de la double dimension symbolique et politique de Jérusalem. Elle vient, à n’en pas douter, servir des enjeux de politique intérieure comme le démontrent les nombreux commentaires de satisfaction de sa base électorale, en partie composée de courants évangéliques traditionnalistes attachant une grande importance à cette reconnaissance, d’une part, et d’une majorité des Républicains, d’autre part.
Cette décision inconséquente vient mettre en lumière la vision simpliste de Donald Trump qui considère que tout ce qui peut aller dans le sens des revendications israéliennes doit être encouragé, en faisant abstraction des réactions et des modifications de rapports de forces que cela peut générer à l’international. Ce manque de rationalité, cette incapacité à se projeter dans l’avenir constitue une nouvelle illustration de l’action du président américain depuis son accession au pouvoir, incontrôlable et menée sans véritable concertation avec son Administration, ou du moins ce qu’il en reste.
Visiblement, la seule méthode qui compte aux yeux de Donald Trump, en l’occurrence à l’instar de ses comparses israéliens, c’est celle du fait accompli. C’est jouer aussi sur le sentiment d’impunité de facto encouragé par les capitulations à répétition de ladite communauté internationale. Ces faits indiquent le plus profond mépris de ce qui est encore la première puissance mondiale à l’égard du droit international.
Cette décision condamnée par de multiples chancelleries étrangères n’est-elle finalement pas un cadeau empoisonné pour Israël, notamment dans son souhait de rapprochement avec certains pays de la région ?
En effet, cela renseigne en tous cas un autre aspect susmentionné, à savoir qu’avec cette décision, Donald Trump, pensant servir les intérêts d’Israël, croit pouvoir s’affranchir radicalement des réactions des Etats de la région.
A titre d’exemple, il n’est plus ignoré qu’un processus de rapprochement discret se tisse depuis quelques mois entre Israël et l’Arabie Saoudite. La raison fondamentale de ce récent rapprochement est l’ennemi commun que représente l’Iran à leurs yeux. Le président des Etats-Unis est donc un allié à la fois des Saoudiens et des Israéliens sur ce dossier, comme il l’a parfaitement démontré lors de sa visite officielle à Ryad au mois de mai dernier. Mais il a complètement sous-estimé l’importance politique et religieuse que revêt Jérusalem pour la monarchie saoudienne, qui ne peut accepter cette décision unilatérale faisant passer un lieu saint de l’Islam sous contrôle israélien.
Il est beaucoup trop tôt pour spéculer sur un hypothétique arrêt de ce rapprochement initié entre Tel-Aviv et Ryad, mais il est certain qu’il sera plus compliqué à assumer à l’avenir pour les Saoudiens. Or un refroidissement diplomatique entre les deux Etats mettrait en porte-à-faux l’approche de Donald Trump sur les intérêts américains dans la région, à savoir un axe Washington / Tel-Aviv / Ryad.
Les positions d’autres pays entretenant des liens avec Israël seront également à observer car, pour nombre d’entre eux, la remise en cause du droit international, à l’instar de la Turquie par exemple, constitue une ligne rouge. A part quelques Etats comme la République tchèque et les Philippines, peu d’Etats vont reconnaître Jérusalem comme capitale, ce qui éclaire sur l’affaiblissement de la politique américaine. Une chose apparaît certaine, c’est que Washington ne pourra plus se targuer désormais d’être un honnête médiateur, tout du moins aux yeux de celles et ceux qui entretenaient encore cette illusion !
Alors que le Hamas et le Fatah se sont engagés dans un processus de réconciliation après des années d’hostilité, cette décision américaine peut-elle venir tout bousculer ?
Si le rapprochement entre l’Autorité palestinienne et le Hamas constituait une bonne nouvelle, le processus s’avérait infiniment compliqué et les pressions considérables.
La décision américaine vient renforcer les factions palestiniennes les plus réticentes à la perspective – certes fort éloignée – d’un compromis avec les Israéliens dans le cadre de l’application du droit international. Israël voulait par exemple que le Hamas désarme totalement comme gage de sa bonne volonté ; or il est évident que cette requête est inacceptable pour les dirigeants de ce mouvement car ils ne peuvent envisager désarmer leurs milices tant que les perspectives de réelles négociations sont nulles. En outre, Mahmoud Abbas, lui-même, était dans une posture dure à l’égard du Hamas et donc très peu disposé à faire des compromis avec l’organisation.
Avec la décision du président américain, il est évident que les cartes sont redistribuées et dans le mauvais sens. Cela aura sans doute pour conséquence un arrêt du processus de réconciliation, au moins de manière temporaire. Le Hamas a en effet par exemple appelé à une nouvelle Intifada. Nous ne savons pas pour l’heure si cela aura un écho, mais il est clair que les plus radicaux ont beau jeu d’avancer qu’avec Donald Trump et Benjamin Netanyahou la voie politique s’avère impossible.
Par ailleurs, au sein même de l’Autorité palestinienne, on va assister à une modification radicale des rapports de force. Mahmoud Abbas, qui depuis des années assumait le rôle du bon élève du droit international pour désespérément tenter de gagner les bonnes grâces de Washington et Tel-Aviv, vient d’encaisser une gifle monumentale par la décision de Donald Trump. Celles et ceux des Palestiniens qui étaient favorables à des négociations sont aujourd’hui marginalisés et ce sont les plus radicaux qui reprendront le flambeau, sans issue possible, la violence n’en constituant pas une en tant que telle.
L’impasse électorale qui paralyse le Honduras suite à la contestation par l’opposition des résultats du scrutin présidentiel, ramène ce petit pays gangréné par la criminalité organisée à son passé politique récent continuellement traversé de coup de forces. Pour nous éclairer, le point de vue de Christophe Ventura, chercheur à l’IRIS.
Quels étaient les enjeux de l’élection présidentielle hondurienne qui a tourné à la crise politique ?
L’enjeu principal de cette élection était de savoir si ce pays allait revenir à une normalité démocratique dont il était sorti depuis 2009 avec le coup d’Etat légal soutenu par le Congrès et la Cour suprême qui avait conduit à l’éviction du président élu Manuel Zelaya. En 2013, l’élection présidentielle qui a vu l’accession au pouvoir de Juan Orlando Hernández, toujours candidat de la droite (Parti national) en 2017, souffrait déjà d’un défaut de légitimité. D’une part, ce sont en effet les mêmes autorités instigatrices du coup d’Etat de 2009 qui ont porté ce candidat à la présidence de la république. D’autre part, ces élections de 2013 ont été entachées de lourdes suspicions de fraude dont la gauche, le camp de l’ancien président Zelaya à l’époque mené par sa femme Xiomara Castro (Parti Liberté et refondation -Libre), a été victime. Le Honduras vit ainsi une crise démocratique de haute intensité depuis 2009.
Les élections présidentielles de 2017 devaient donc répondre à une question : était-il possible au Honduras d’organiser des élections « propres » afin qu’émerge la possibilité d’une véritable alternance au pouvoir dans le respect de la souveraineté populaire ? Ce scénario est actuellement entravé par la situation que nous connaissons.
A l’instar d’autres pays de la région, le contexte sociopolitique et économique du Honduras a-t-il constitué un terreau favorable à cette crise ?
Oui, bien sûr. Le contexte économique du Honduras (moins de 9 millions d’habitants) est celui d’un pays qui est touché de plein fouet par les maux qui secouent la région, à savoir la pauvreté avec un taux avoisinant les 65% de la population, des inégalités très marquées et une forte immigration vers les Etats-Unis. Un facteur majeur des difficultés du pays est la question du narcotrafic et de la violence qu’il engendre. Le Honduras est le pays des « Maras », ces gangs qui règnent sur le narco. Il détient une triste palme : celle du taux d’homicide le plus élevé au monde.
Avec le Guatemala et le Salvador, le Honduras fait partie de ce que l’on appelle le « Triangle du Nord » d’Amérique centrale, point de fixation du narcotrafic continental où la drogue transite de la Colombie vers les Etats-Unis. Suite à l’échec de la militarisation de la lutte contre le narcotrafic au Mexique, qui a abouti à une extension des territoires touchés par les activités des cartels et des gangs, ce Triangle est devenu un centre de la criminalité organisée centre-américaine. Ce contexte produit un système politique défectueux, corrompu et poreux à la criminalité organisée qui, malheureusement, constitue son écosystème.
Cela conduit à des pratiques électorales délictueuses dont le pays est historiquement coutumier.
Comment se positionne le Honduras dans le paysage géopolitique latino-américain ? Cette élection est-elle un enjeu pour la stabilité de la région ?
C’est en effet un enjeu en termes de stabilité régionale parce qu’il s’agit tout d’abord d’un petit pays qui est une place forte de l’arrière-cour des Etats-Unis. Ces derniers le considèrent comme une extension de leur politique étrangère. Ils y sont également présents militairement pour lutter contre le narcotrafic.
Dans ce contexte, le Honduras est le pays par lequel sont arrivées les premières secousses d’instabilité régionale en 2009 parce que c’est de là qu’ont été initiées les premières formes de coups d’Etat institutionnels contre des gouvernements progressistes qui entendaient mettre en place des programmes de rupture avec les désidératas de Washington en matière économique et d’alliances régionales. En 2009, Manuel Zelaya souhaitait mettre en place des politiques de lutte contre la pauvreté moins favorables aux intérêts des entreprises nationales et internationales et avait décidé d’intégrer le Honduras à l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) fondée par Cuba et le Venezuela. Le modèle du « coup d’Etat légal » de 2009 a servi d’inspiration à d’autres renversements par la suite, notamment au Paraguay en 2012 (Fernando Lugo) et même au Brésil en 2016 (Dilma Rousseff).
La situation actuelle confirme les lignes de fracture régionales et rappelle les choix radicaux que peuvent parfois faire les droites latino-américaines pour empêcher la prise de fonction de gouvernements de gauche ou de centre-gauche.
Aujourd’hui, la situation est incertaine au Honduras. L’Organisation des Etats américains (OEA) et l’Union européenne peuvent difficilement défendre un pouvoir à la légitimité fragile et si étroitement associé à la corruption. Ce pouvoir vaut-il une crise régionale, d’autant que l’opposition et son candidat en particulier, Salvador Nasralla, ne proposent plus un programme radical et de rupture avec les intérêts de Washington ?
Ainsi, l’OEA et l’UE souhaitent un recomptage des voix et confirment l’existence de nombreuses irrégularités dans le vote du 26 novembre, ce qui va dans le sens des demandes de l’opposition regroupée au sein de l’Alliance d’opposition contre la dictature. Mais cette dernière exige désormais un second tour ou l’organisation d’une nouvelle élection. Contraint, Juan Orlando Hernández accepte un recomptage, mais refuse une nouvelle élection. Il demande le respect des résultats que donnera le Tribunal électoral sous observation de l’OEA et de l’UE. Or, cette institution n’a pas la confiance de l’opposition.
La crise hondurienne va continuer ces prochains jours.
En dépit des multiples mises en garde à l’égard de l’embrasement régional que risquait de susciter une telle décision, le président Donald Trump vient de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël.
Alors en pleine campagne présidentielle, Donald Trump avait déclaré que s’il était élu président des États-Unis, il reconnaîtrait Jérusalem comme la capitale d’Israël et transférerait l’ambassade américaine dans la Ville sainte : « je le ferai (…) plutôt rapidement », avait-il même précisé dans une interview à CNN donnée en mars 2016.
Désormais élu, et dans un nouveau geste de transgression, il l’a fait. Une décision unilatérale qui a provoqué une réprobation générale de la communauté internationale. Une réaction qui ne saurait faire illusion tant le dossier israélo-palestinien est désormais perçu comme stratégiquement secondaire aux yeux de nombreuses puissances régionales et internationales. Une erreur d’analyse au regard notamment du statut d’exception dont jouit Jérusalem.
Le 6 décembre 2017 est donc une nouvelle date historique pour les Israéliens … et les Palestiniens. La déclaration de Trump a été prononcée lors d’une brève allocution au cours de laquelle il a justifié sa position par la volonté de suivre « une nouvelle approche » sur ce dossier et la nécessité de « reconnaître une réalité ». La réalité du rapport de force plutôt que la réalité du droit international, en somme.
En tenant l’une de ses promesses de campagne, il rompt avec la ligne suivie jusqu’ici par ses prédécesseurs et renforce l’impression d’un isolement international des États-Unis. Un paradoxe pour la première puissance mondiale, qui voit son soft power s’étioler à mesure que son chef agit sur la scène internationale. Ainsi, si le président américain se dit encore déterminé à faciliter la recherche d’un accord de paix « acceptable pour les deux parties », sa prise de position sur Jérusalem le décrédibilise définitivement aux yeux des Palestiniens. Est-ce la fin du rôle d’« honest broker », d’intermédiaire impartial, que Washington a longtemps revendiqué – avec une part de fiction non négligeable – sur ce dossier ?
Certes, pour Donald Trump, l’essentiel est ailleurs : sa décision a d’abord vocation à remobiliser un électorat composé notamment de sionistes chrétiens, des fondamentalistes évangélistes pour lesquels la Palestine est le berceau du peuple juif, une « Terre promise » sur laquelle il convient de regrouper le « peuple élu » pour mieux amorcer sa conversion au christianisme…
Il n’empêche, cette décision a une résonnance particulièrement forte, compte tenu de la force symbolique de la ville de Jérusalem et du quitus qu’elle semble définitivement donner à la politique de colonisation israélienne à Jérusalem-Est et ailleurs en Cisjordanie. La stratégie diplomatique suivie depuis plus de deux décennies par l’Autorité palestinienne se trouve condamnée, alors que la posture agressive du Premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, à la tête d’un gouvernement formé de partis nationalistes et religieux, se trouve couronné de succès. Le tout sous le regard passif des pays arabes et européens… en attendant le grand embrasement ?
JÉRUSALEM, UN STATUT D’EXCEPTION
La ville symbolise à elle-seule le caractère complexe et multidimensionnel du conflit israélo-palestinien : religieux, certes, mais surtout idéologique/nationaliste et territorial. Ces trois aspects sont intimement liés.
Jérusalem abrite les Lieux saints des trois religions monothéistes. Une ville « trois fois sainte », en somme, et source de tensions interreligieuses continues et plus ou moins intenses. Le « noble sanctuaire » (selon les musulmans) est le troisième lieu saint de l’islam : il recouvre le dôme du Rocher et la mosquée Al-Aqsa. Selon la tradition juive, le mont du Temple (détruit en 70 par l’Empire romain) était en lieu et place d’Al-Aqsa.
Depuis l’annexion de Jérusalem-Est, Israël a pris le contrôle du mont du Temple, qui demeure administré par le Waqf, l’office des biens musulmans sous la souveraineté de la Jordanie. Un accord conclu en avril 2013 entre la Jordanie et l’Autorité palestinienne a officialisé le rôle du royaume comme gardien des lieux saints musulmans de Jérusalem. Toutefois, la police et l’armée israéliennes assurent l’ordre et contrôlent l’accès au site (autorisé en principe aux seuls musulmans qui viennent y prier, et interdits aux juifs à l’exception de certaines heures).
Si le président américain se dit déterminé à faciliter la recherche d’un accord de paix « acceptable pour les deux parties », sa prise de position sur Jérusalem le décrédibilise définitivement aux yeux des Palestiniens.
Au-delà de cette dimension complexe mêlant religion, pouvoir de police et autorité administrative, Jérusalem demeure au centre de la construction idéologique et territoriale du nationalisme israélien et palestinien. C’est la représentation (unitaire/partagée) qui est en jeu. Ainsi, après l’annexion de la partie arabe de la ville, la Knesset a déclaré – en décembre 1980 – Jérusalem « réunifiée » comme « capitale » (« éternelle et indivisible ») de l’État d’Israël.
Une revendication -rejetée par la majeure partie de la communauté internationale, à l’exception notable désormais des États-Unis, qui s’oppose frontalement à la volonté des Palestiniens de faire de Jérusalem-Est la capitale de leur hypothétique futur État. Ces prétentions antagonistes s’inscrivent dans l’histoire même du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien.
DE LA COLONISATION DE JÉRUSALEM-EST AU MUR DE SÉPARATION
Si la partie arabe de la ville fait partie intégrante de la Cisjordanie, la résolution onusienne n° 181 du 29 novembre 1947 sur le plan de partage de la Palestine reconnaît à la ville sainte un statut d’entité séparée qui la place sous le contrôle des Nations-Unies. Elle devait ainsi être dotée d’un statut international. À l’issue de la première guerre israélo-arabe, la partie orientale de Jérusalem a été conquise par l’armée jordanienne, la partie occidentale étant annexée par Israël qui en a fait sa capitale.
La « guerre des Six Jours » en 1967 marque un tournant symbolisé par l’annexion israélienne de Jérusalem-Est. Le gouvernement de Levy Eshkol entreprend une politique de « colonisation-judaïsation » de Jérusalem-Est, qui se traduit encore aujourd’hui par une succession d’expropriation et de construction de logements. Pourtant la résolution 242 du Conseil de sécurité (22 novembre 1967) évoque « le retrait des forces armées israéliennes de(s) Territoires occupés » dans le cadre de l’instauration d’une paix durable.
La politique de « colonisation-judaïsation » s’est prolongée par un autre phénomène également condamnable sur le plan du droit international. Le 14 avril 2002, le gouvernement israélien dirigé par Ariel Sharon a décidé la construction d’ouvrages formant, selon Israël, une « barrière de sécurité » dans certaines parties de la Cisjordanie et de Jérusalem. Le 1er octobre 2003, le conseil des ministres a adopté un tracé complet formant une ligne continue sur une distance de 720 km le long de la Cisjordanie, au nom de la sécurité d’Israël.
L’Assemblée générale a alors saisi la Cour internationale de Justice (CIJ) pour obtenir son avis sur les conséquences, au regard du droit international, de l’édification de ce mur. Ainsi, dans son avis consultatif du 9 juillet 2004, la CIJ a conclu à l’illégalité du mur de séparation, car il concrétise une annexion de territoires occupés et son emplacement ne peut être justifié par des raisons de sécurité nationale.
Dans son argumentaire, la Cour précise que « l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, et le régime qui lui est associé, sont contraires au droit international. » Et de conclure : « Israël est dans l’obligation de réparer tous les dommages causés par la construction du mur dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est. »
La logique séparationniste de ce mur correspond à la vision du monde de Donald Trump, qui n’a pas hésité à citer l’exemple du mur israélien pour justifier le mur qu’il souhaite ériger entre les États-Unis et le Mexique : « Le mur est nécessaire » ; « Ce n’est pas seulement de la politique et pourtant c’est une bonne chose pour la nation d’une certaine manière, parce que les gens veulent de la protection et un mur protège » ; « Il suffit de demander à Israël. Israël vivait une catastrophe qui touchait le pays et qui venait de l’extérieur et les Israéliens ont construit un mur. Les entrées non autorisées se sont arrêtées à 99,9 % », comme il l’a déclaré dans une interview à la chaîne ABC, le 26 janvier 2017….
Alors que s’est tenue la 5e édition du sommet Union africaine/Union européenne la semaine dernière, le véritable enjeu semble porter sur la situation sécuritaire au sein de la zone sahélo-saharienne et la création d’une force multinationale conjointe du G5 Sahel. Celle-ci sera d’ailleurs l’objet d’une rencontre internationale le 13 décembre prochain. Le point de vue de Serge Michailof, chercheur associé à l’IRIS, ancien directeur à la Banque mondiale et ancien directeur exécutif de l’Agence française de développement.
La 5e édition du sommet Union européenne / Union africaine d’Abidjan a placé la thématique sécuritaire au cœur des discussions, au premier rang desquelles, la lutte contre le terrorisme. Qu’en est-il de l’africanisation des politiques de sécurité et de défense par les organisations régionales ?
Dans l’immédiat, le véritable enjeu porte sur la zone sahélo-saharienne. La création d’une force multinationale conjointe des pays du G5 Sahel – comprenant la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad – a constitué à ce titre, une initiative africaine importante. Il s’agit d’une véritable force d’intervention avec ses moyens propres. Actuellement la décision de constitution de cette force est actée, une partie des financements permettant son fonctionnement a été sécurisée.
Le budget initial qui portait sur un montant de 423 millions d’euros a été réajusté entre 220 et 250 millions, ce qui apparaît suffisant pour faire fonctionner cette force. Aujourd’hui, il y a une participation de la France en équipement et de l’Union européenne à hauteur de 50 millions d’euros, ce qui laisse penser que l’opérationnalisation ne devrait être qu’une question de mois.
Il importe également de mentionner la récente inflexion américaine sur le plan budgétaire, ainsi que le concours de l’Arabie Saoudite. Cela étant, si les Etats-Unis ont l’équivalent d’un bataillon entre le Mali, le Niger et la Mauritanie, leur veto concernant le rattachement de cette force sous l’égide de l’ONU montre que certains aspects ne sont pas encore clarifiés.
Une rencontre internationale aura lieu ce 13 décembre dans le but d’accélérer l’opérationnalisation de cette force conjointe du G5 Sahel. Que doit-on en attendre ?
Cette réunion du 13 décembre est essentiellement consacrée à la mobilisation des ressources financières nécessaires à son opérationnalisation. Les montant mobilisés devront avoir un aspect récurrent sur un temps correspondant à la durée d’engagement de cette force.
Les missions qui lui sont assignées sont assez claires : il s’agira de sécuriser les frontières et d’éviter leur perméabilité afin d’entraver la circulation des groupes armés. Sur le plan logistique, cette force conjointe bénéficiera de l’appui de l’opération Barkhane ainsi que de la Mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali (MINUSMA).
Il faut néanmoins prendre conscience du fait que des opérations militaires ne règleront pas d’elles-mêmes le problème de la sécurité. Au-delà de l’élimination des groupes djihadistes, doit se mettre en place un appareil étatique et sécuritaire qui fait cruellement défaut au Mali, même s’il fait preuve d’une plus grande résilience dans les pays voisins.
En marge du sommet UE/UA, une réunion d’urgence a été organisée à l’initiative d’Emmanuel Macron pour apporter des solutions à court terme à la situation migratoire en Libye. Avec ou sans le soutien de la France, se dirige-t-on vers une intervention militaire interafricaine ?
Les déclarations du président Emmanuel Macron ont donné lieu à des interprétations diverses et variées. En réalité, on ne sait pas à l’heure actuelle ce qu’il a exactement en projet. Tout en sachant qu’il est plus judicieux qu’il ne précise pas plus ses intentions en la matière si intervention militaire il devait y avoir.
Il faut néanmoins se rendre compte de la difficulté d’une opération de ce genre. Le nombre de Subsahariens détenus et en attente d’une traversée de la Méditerranée est de l’ordre de 400 000 personnes. Or, au regard du contexte libyen, le défi logistique est gigantesque. Plusieurs options sont à mettre sur la table. Il pourrait s’agir d’une intervention à court terme, relativement symbolique de démantèlement de quelques camps de concentration privés pour montrer « qu’on fait quelque chose ». Mais il peut aussi s’agir d’une opération plus ambitieuse. Ceci dit le règlement de ce problème suppose la reconstitution d’un Etat libyen et la mise au pas des milices. Nous n’y sommes pas.
Tout cela est extrêmement compliqué et lorsque l’on interroge des militaires, ils sont très lucides sur l’ampleur des obstacles. Le Premier ministre libyen, Fayez el-Sarraj, ne contrôle véritablement que quelques quartiers de Tripoli et toute force qui se hasarderait au-delà de ce périmètre extrêmement restreint se heurterait à des milices lourdement armées. On se souvient de l’échec Américain en Somalie. Ce type d’expédition est difficile si l’on ne peut négocier avec les milices. Les profits des réseaux mafieux qui gèrent le trafic des migrants est estimé à environ 4 milliards de dollars. C’est donc un gros business qu’il s’agit de démanteler, sans doute le plus rentable avec le trafic de cocaïne qui vient d’Amérique latine et qui transite par la Libye. Il est à craindre que les protecteurs locaux de ces « business » ne se laissent pas faire sans résister. En revanche un travail de police dans les pays de départ devrait assez aisément permettre d’identifier les têtes de réseau et de les démanteler.