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Institut de Relations Internationales et Stratégiques
Updated: 3 weeks 5 days ago

Ultimatum sur le nucléaire iranien : Donald Trump, artisan de la prolifération ?

Tue, 16/01/2018 - 18:13

En menaçant les autres parties prenantes de l’Accord sur le nucléaire iranien d’un retrait unilatéral des Etats-Unis en l’absence de renégociation, Donald Trump s’inscrit dans une certaine continuité. Mettre en œuvre la politique étrangère qu’il avait promise à son électorat et à ses soutiens internationaux 1 an plus tôt, et cela au mépris des engagements internationaux de son propre pays, de la normalisation des relations diplomatiques et in fine, de la stabilité et de la sécurité internationale. Pour nous éclairer, le point de vue de Thierry Coville, chercheur à l’IRIS

Quelle est la stratégie des États-Unis en voulant intégrant des enjeux – programme balistique, droits de l’homme, géopolitique régionale – ne faisant pas initialement partie des pourparlers de l’Accord, après l’annonce de Donald Trump sur une ultime reconduction de la suppression des sanctions à l’égard de l’Iran ?

L’interrogation porte avant tout sur la stratégie de Donald Trump. Ses prises de décision concernant la certification de l’Accord sur le nucléaire iranien sont très liées à son avis personnel sur l’Accord voir ce qu’il pense de l’Iran tout simplement. Il est peu probable que le ministre des Affaires étrangères ou encore le responsable de la sécurité nationale auraient affiché ce type de position.

Les États-Unis ont un certain nombre de griefs à l’égard de l’Iran qui sont liés à son programme balistique, à la question des droits de l’homme ainsi qu’à la politique régionale de l’Iran. En affirmant continuellement son hostilité à l’égard du pays et le fait qu’il soit une menace pour la paix et la sécurité, Donald Trump entretient un discours radical, il ne supporte pas le caractère gagnant de l’accord qui a contribué à sa signature, il est dans une perspective de gain absolu face ce qu’il désigne comme un ennemi prioritaire.

Or il s’agissait d’un bon accord avec l’Iran et les « 5+1 » à savoir le Conseil de sécurité des Nations Unies et l’Allemagne. D’un côté, il a permis à l’Iran d’enrichir de l’uranium, ce que le pays demandait, mais ce qui n’était pas la ligne initiale des Occidentaux. De l’autre côté, il permet un certain nombre de garanties afin qu’il n’y ait pas de militarisation du programme.

Pour bien des observateurs, cette volonté de remettre en cause l’Accord s’inscrit dans une démarche plus large de détricotage systématique de l’action de Barack Obama notamment à l’international comme on a pu le constater sur d’autres dossiers. Il souhaite intégrer dans cet Accord tous les griefs qu’ont les États-Unis contre l’Iran, mais ça ne tient pas la route du point de vue du droit international. Il a été signé en juillet 2015 puis confirmé par une résolution des Nations unies du Conseil de sécurité et donc par un président américain.

Il ne faut également pas oublier qu’il y a eu tout un processus : si l’Iran ne respecte pas ses obligations, de nombreuses procédures automatiques de sanctions sont prévues. Cependant, force est de constater que l’Agence internationale pour l’énergie atomique (AIEA) confirme que l’Iran respecte bien l’Accord. C’est là que se dévoile le caractère quasiment illégal de ce que demande Trump. Il y aurait alors le sentiment que n’importe quel accord ou traité multilatéral peut être balayé du jour au lendemain.

Les États-Unis porteraient de lourdes séquelles en termes de crédibilité. Sans compter qu’ils font face à une crise sur le nucléaire nord-coréen. S’il abandonne l’Accord, leur crédibilité sur le dossier nord-coréen serait nulle.

En faisant beaucoup de gesticulations diplomatiques et en rajoutant en parallèle des sanctions contre l’Iran, Donald Trump accroît l’incertitude avec les entreprises étrangères qui veulent travailler avec l’Iran. Cela consisterait à ce que l’Iran ne tire pas de bénéfices économiques et éventuellement cela pourrait déboucher sur une réaction iranienne du type « si les bénéfices de cet accord ne sont pas perceptibles et bien autant en sortir ».

L’objectif des États-Unis serait d’amener l’Iran à hausser le ton, puis à la faute. Ils sont contre l’Accord mais ils savent très bien que la crédibilité de leur pays peut être engagée s’ils s’en retiraient les premiers. En limitant les bénéfices économiques de l’accord, ils poussent l’Iran à s’en retirer sans prendre le risque de le faire unilatéralement.

Quelles sont les positions des autres acteurs de l’Accord (Plan d’action global commun), notamment l’Union européenne, et les enjeux d’une rencontre des ministres des Affaires étrangères prévue à Bruxelles le 22 janvier prochain ?

Ils tiennent tous à cet Accord, et il n’est certainement pas prévu de le renégocier. Du côté européen, les positions françaises, anglaises et allemandes sont très claires. Après l’interrogation porte sur la capacité des Européens à maintenir ce discours de fermeté sur la durée. L’Europe pourrait éventuellement ouvrir d’autres canaux de discussions annexes à l’Accord pour éventuellement « calmer » Donald Trump, notamment sur le programme balistique ou le rôle de l’Iran dans la région.

Cependant un tel scénario paraît très peu probable, car l’Europe n’a aucun intérêt à jouer les intermédiaires entre l’Iran et les États-Unis. Elle doit penser ses intérêts propres en continuant d’approfondir sa normalisation des relations avec l’Iran. Cette position d’intermédiaire entre Téhéran et Washington n’est pas souhaitable et est même risquée, car cela pourrait conduire à un affaiblissement diplomatique de l’Union européenne vis-à-vis de l’Iran.

Les franges les plus conservatrices du régime accusent déjà les Européens d’être le cheval de Troie des États-Unis. Or, si l’on est majoritairement apprécié dans le pays, c’est avant tout parce que la politique étrangère française est jugée indépendante par rapport aux Américains.

Si l’Iran ne compte pas remettre en cause son programme de missiles pour des questions de souveraineté nationale, les gardiens de la Révolution seraient par exemple ouverts à une discussion sur la portée. Certes, cela ne mènerait pas à un nouvel accord, mais à une potentielle entente dans ce domaine entre les Iraniens et les Européens.

Cette menace de renégociation ou de sortie unilatérale par les États-Unis n’affaiblit-elle pas davantage les réformateurs iraniens vis-à-vis des clans les plus hostiles à l’Accord ? Un cadre propice à d’éventuelles discussions sur ce dossier peut-il se dessiner en Iran ?

Il est encore trop tôt pour anticiper ce que sera la position américaine dans 3 mois. S’il y a un retrait unilatéral des États-Unis comme sur d’autres dossiers multilatéraux, cela affaiblira considérablement la crédibilité de leur diplomatie. Cela serait d’abord un coup de boutoir porté à leur encontre.

Concernant l’Iran, qu’il s’agisse des modérés ou des conservateurs, il ne faut pas grossir les traits des positions de chacun sur ce dossier. Tous les clans tiennent en réalité à cet Accord pour la simple et bonne raison qu’il a été ratifié et qu’il est à l’heure actuelle toujours respecté.

Concernant les réactions iraniennes, elles ne sont pas encore connues. Ceci étant, le 1er conseiller de Rohani a annoncé qu’il existait « un plan B ». Sur le plan international, il est clair que cela mettrait l’Iran en position de force, car les USA sortiraient de l’accord sans raison objective.

Dans un tel scénario, la position de l’Europe serait déterminante, l’enjeu serait sa capacité à maintenir l’Accord, ce qui serait une bonne politique.

Si la situation actuelle devait déboucher sur une crise, Rohani devrait faire face au clan des « durs » qui auront beau jeu de dénoncer le fait que l’accord n’aura rien apporté aux pays sur le plan économique et que les États-Unis n’ont jamais été dignes de confiance.

Il pourrait néanmoins résister à ces attaques, car la position américaine apparaitrait comme totalement caduque sur le plan du droit international tout en montrant les bénéfices économiques de l’Accord et l’intérêt de le maintenir. Il faut également prendre en compte le large soutien de la population envers sa politique de normalisation. Les Iraniens sont également conscients du poids des sanctions américaines dans la morosité de la conjoncture économique et sociale.

Néanmoins, une orientation privilégiée pour le maintien de l’Accord passerait par un approfondissement des relations économiques avec l’Iran avec l’assurance que les sociétés européennes peuvent y faire des affaires sans courir le risque de sanction ce qui est actuellement très compliqué.

Tokyo renforce sa défense antimissile face à Pyongyang

Fri, 12/01/2018 - 11:23

Le projet de budget japonais pour l’année fiscale 2018-2019 approuvé fin décembre en conseil des ministres est marqué par un niveau de dépenses militaires record sur fond de tensions liées à la Corée du Nord.

Le poste de la défense, en hausse pour la sixième année consécutive, augmente de 1,3 % et se monte à 5 190 milliards de yens (38,6 milliards d’euros). Au sein de ce budget militaire, le poste le plus important, d’un montant de 137 milliards de yens (1 025 milliards d’euros), vise à renforcer la défense de l’archipel contre une éventuelle attaque de missile balistique de la Corée du Nord. En effet, même si en ce début d’année on observe un rapprochement entre les deux Corées – rapprochement très modeste puisqu’il porte sur la réunion des familles séparées par la division Nord-Sud et sur la participation d’athlètes nord-coréens aux Jeux olympiques d’hiver qui se tiendront en février en Corée du Sud -, le Japon est sur ses gardes après deux années qui ont vu Pyongyang procéder à trois essais nucléaires et de nombreux lancements de missiles balistiques, dont certains sont passés au-dessus du Japon. Fin novembre, le régime communiste a ainsi testé un nouveau missile balistique intercontinental (ICBM) qui s’est abîmé en mer du Japon.

Face à ces menaces, le Japon va acheter un système d’interception de portée plus longue, le SM-3 Block IIA, procéder à une modernisation des batteries de missiles Patriot qui sont la dernière ligne de défense contre des ogives arrivant sur le pays, et lancer les préparatifs pour la construction de stations de radars Aegis. La proposition de construire deux batteries Aegis Ashore (donc terrestres, à la différence des systèmes Aegis déployés sur des destroyers que le Japon possède déjà) développées par Lockheed Martin, approuvée en décembre dernier par le Cabinet japonais, coûtera au minimum 2 milliards de dollars (1,67 milliard d’euros) et ce système ne sera pas opérationnel avant 2023 au plus tôt, ont cependant indiqué des sources proches de ce projet en décembre dernier.

Le gouvernement américain encourage néanmoins ces acquisitions, étant le principal allié du Japon par le Traité de sécurité de 1951, modifié en 1960. Lors de sa visite officielle au Japon début novembre, le président américain Donald Trump avait exhorté le Japon à se réarmer pour se protéger en achetant de préférence du matériel militaire américain. « C’est beaucoup d’emplois pour nous (les États-Unis) et beaucoup de sécurité pour le Japon », avait-il déclaré. Le gouvernement japonais envisage aussi de se doter de missiles américains de croisière d’une portée d’environ 900 kilomètres, capables d’atteindre la Corée du Nord. Une enveloppe de 2 200 milliards de yens (1 839 milliards d’euros) est prévue à cette fin pour lancer l’acquisition de ces missiles capables de frapper des sites militaires du « royaume ermite » (surnom parfois donné à la Corée du Nord tant ses dirigeants se comportent en empereurs tout puissants et en dynastie). Il s’agirait de dissuader Pyongyang qui continue ses tests de missiles balistiques malgré les tensions internationales. Cependant, acheter de telles armes offensives risque de faire débat au Japon, car la Constitution pacifiste du pays – par son article 9 -, depuis 1947, lui interdit de recourir à la guerre pour régler les différends internationaux.

Néanmoins côté américain, la vente de missiles défensifs avance. Le département d’État a demandé mercredi 10 janvier 2018 d’approuver la vente pour 133 millions de dollars (111 millions d’euros) des quatre missiles et du matériel connexe, qui peuvent être lancés par des destroyers en mer ou à partir d’un système terrestre. La vente des missiles antibalistiques, produits par Raytheon Co. et BAE Systems, poursuit « l’engagement du président Donald Trump à fournir des capacités défensives supplémentaires aux pays alliés menacés par le comportement provocateur de la République populaire de Corée du Nord », a déclaré mardi 9 janvier un responsable du département d’État, indique le Japan Times.

Néanmoins, cette ambition de renforcer la capacité défensive et notamment antimissile du Japon risque rapidement de se heurter aux limites budgétaires. L’ambition du Premier ministre japonais Shinzo Abe de renforcer la défense du pays et de renforcer son assise internationale se heurte aux problèmes budgétaires croissants en raison du vieillissement accéléré de la population qui se réduit chaque année. Quelque 27 % de la population nippone a plus de 65 ans, proportion qui va s’accroître à l’avenir. Cela va peser sur les jeunes générations de plus en plus réduites qui auront de plus en plus de mal à financer les dépenses sociales et de retraite. Pour 2018, le gouvernement prévoit que le déficit budgétaire primaire s’élèvera à 10,4 milliards de yens (870 millions d’euros) et le pays est le plus endetté parmi les pays riches de la planète. Takuya Hoshino, économiste chez Dai-ichi Life Research estime qu’ « il est vraiment temps de  travailler sur les questions de santé dans le budget ». La nation doit aborder fondamentalement le problème démographique, estime-t-il. Il est donc fort probable à l’avenir qu’il sera de plus en plus difficile de financer les dépenses de défense même si la défense antimissile restera une priorité. Le Japon continuera de compter très largement sur son allié américain avec lequel il coopère pour développer de nouveaux missiles antimissiles.

 

Tunisie : « La contestation actuelle est un rappel à l’ordre des engagements pris durant la révolution »

Fri, 12/01/2018 - 10:26

Ce n’est pas la première fois qu’une vague de contestation secoue la Tunisie depuis la révolution de 2011. Ces regains de tensions réguliers sont-ils le symptôme d’une crise profonde ?

Depuis le soulèvement populaire, né en décembre 2010, la chute de Ben Ali et la transition démocratique qui s’en est suivie, la Tunisie n’a jamais véritablement connu d’état de grâce. Si la situation sécuritaire s’est globalement améliorée (l’état d’urgence est en vigueur depuis novembre 2015 et la dernière attaque de grande ampleur remonte à mars 2016), la Tunisie vit sous une tension politique et sociale continue, bien que latente et diffuse.

Jusqu’à présent, on assistait à des crises liées à des réalités locales, qui donnaient lieu à des manifestations ou à des mobilisations et des grèves sporadiques. On peut citer la crise sociale de fin 2016, qui avait déjà donné lieu à des manifestations contre le fléau du chômage frappant une jeunesse — y compris diplômée — désœuvrée, et qui avait conduit les autorités à décréter un couvre-feu nocturne dans tout le pays.

Derrière la succession et la démultiplication de ces manifestations, se traduit un mal plus profond, plus global, qui fait écho au sentiment qui s’était déjà exprimé au moment de la révolution. L’appel à « la dignité » est toujours à l’ordre du jour…

Le mouvement actuel se différencie-t-il des précédents ?

Nous assistons à un mouvement d’une ampleur et d’une intensité plus importantes. La tension et la contestation sociales semblent avoir atteint un niveau paroxystique, un point de rupture. Ce mouvement s’est cristallisé autour de l’adoption de la loi de finances 2018. Celle-ci prévoit l’augmentation de la TVA et donc du coût de la vie, mais aussi la création de nouvelles taxes. Le gouvernement amplifie sa politique d’austérité, alors que le pays est déjà marqué par une inflation galopante, qui a dépassé 6 % fin 2017.

Or, le gouvernement est comme pris en étau. D’un côté, la situation des finances publiques a placé le pays dans une position de dépendance à l’égard du Fonds monétaire international, qui a conditionné sa dernière ligne de crédit de 2,4 milliards d’euros sur quatre ans à la lutte contre le déficit public. De l’autre, les appels officiels à la patience et aux restrictions ne sont plus audibles.

Non seulement les couches populaires comme la classe moyenne sont confrontées à un coût de la vie qui dégrade leur condition — alors que la révolution devait l’améliorer —, mais elles ont l’impression de subir la pression fiscale accrue d’un Etat inefficace.

A la différence des précédentes crises, ancrées localement, le mouvement est cette fois d’une ampleur nationale et touche l’ensemble du territoire, des villes défavorisées de l’intérieur du pays à certaines villes du littoral, y compris les banlieues populaires de la capitale, Tunis.

Le mouvement revêt-il un caractère politique ?

Si le mouvement s’est cristallisé sur la loi de finances défendue par le gouvernement en place, c’est l’ensemble de la classe politique qui est mise en accusation. Pour au moins deux raisons : l’impuissance des politiques en général, et celle des gouvernements successifs en particulier, qui n’ont pas relevé le défi de la lutte contre la corruption et de la justice sociale et territoriale.

De plus, la classe politique donne l’impression d’ignorer la gravité de la situation, le degré de dégradation de la condition de la population. Une ignorance ou une indifférence qui contraste avec l’attention portée par ces mêmes acteurs aux jeux d’appareils et autres calculs électoraux. Ce décalage nourrit le profond sentiment de désenchantement démocratique et de défiance politique, que ressentent l’écrasante majorité des Tunisiens.

Y a-t-il une désillusion par rapport aux revendications portées durant la révolution ?

Les événements actuels prouvent que les revendications de progrès social exprimées avec force en 2010-2011 ne se sont toujours pas concrétisées. Elles restent d’actualité, sept ans plus tard. La jeunesse demeure désœuvrée, y compris parmi les diplômés de l’enseignement supérieur (avec un taux de chômage autour de 30 %).

Pire, le sentiment général consiste à voir la révolution comme le point de départ, si ce n’est l’origine, d’une dégradation de l’économie du pays, comme de la condition individuelle. Toutefois, la crise actuelle n’est pas animée par un mouvement réactionnaire, appelant à un retour de l’ancien régime et de sa figure tutélaire, Ben Ali. La désillusion porte plutôt sur l’absence de toute équation entre avancées démocratiques et progrès social.

Il s’agit donc d’un rappel à l’ordre des politiques quant aux engagements pris durant la révolution. Et ce n’est pas pour rien que le mois de janvier, autour de l’anniversaire de la chute de Ben Ali, est traditionnellement une période de mobilisation sociale : cela traduit bien une déception par rapport aux attentes qu’a soulevée la révolution.

Ce mouvement peut-il remettre en cause le processus de transition démocratique ?

Le processus de démocratisation reste long et difficile et la question sociale pèse comme une épée de Damoclès sur la transition. Jusqu’à récemment, la priorité de l’agenda politique était de nature sécuritaire, ce qui a conduit le pouvoir à minorer l’enjeu social. Il en paye le prix. L’état d’urgence n’est plus tant sécuritaire que social. Le pouvoir doit redéfinir son propre agenda et ses priorités stratégiques.

Pour autant, personne n’a intérêt à voir la situation se dégrader. Le mouvement de contestation actuel n’a de toute façon pas de leader charismatique, pas de structure partisane qui puisse l’orienter ou le contrôler… La principale centrale syndicale du pays, l’UGTT, reste prudente, précisément parce qu’elle a peur de voir basculer ce mouvement dans une forme de dérive anarchique incontrôlable.

La situation pourrait s’envenimer si le pouvoir politique et les forces de sécurité cédaient au vieux réflexe de la répression massive et aveugle, ou bien si le gouvernement persistait dans son absence de dialogue : les Tunisiens sont exaspérés par le discours d’austérité. Un geste politique pourrait consister à proposer une loi de finances complémentaire qui corrige le niveau d’augmentation de la TVA, voire supprime certaines taxes créées. En cela, cette crise sociale représente aussi un test majeur sur le savoir-faire politique du pouvoir en place.

Propos recueillis par Camille Bordenet pour Le Monde

Tunisie : 7 ans après la « Révolution de jasmin », d’une contestation à une autre ?

Fri, 12/01/2018 - 10:19

Les soulèvements populaires qui touchent la Tunisie en ce début d’année sont les plus importants depuis la chute de Ben Ali et révèlent les inachevés de la transition démocratique. Si la Révolution de 2011 avait permis aux citoyens tunisiens d’accéder à l’exercice de leurs droits civiques, la situation sur le plan économique et social met à mal les exigences de la population en termes d’amélioration des conditions de vie. Parallèlement, la coalition gouvernementale, en raison d’une situation budgétaire défavorable, n’a pas les marges de manœuvre nécessaires lui permettant de répondre à ces revendications. Pour nous éclairer, le point de vue de Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS.

Quelles sont les causes de la contestation qui frappe actuellement la Tunisie ?

La tension sociale perdure en Tunisie depuis la chute de Ben Ali et le début de la transition, le pays a été traversé par des vagues continues de manifestations, de grèves. Le mouvement actuel est néanmoins d’une autre ampleur et intensité.  Il exprime à l’échelle nationale le sentiment de « ras-le-bol » généralisé qui traverse l’ensemble de la société et du territoire national.

Les raisons profondes qui ont poussé et suscité le soulèvement populaire de 2011 perdurent et demeurent intactes parmi la population tunisienne, particulièrement l’amélioration du niveau de vie. Le mécontentement vient du fait que l’exercice des nouveaux droits politiques par les citoyens ne s’est pas accompagné d’une amélioration des conditions économiques et sociales.

Le fait que ces déceptions et frustrations s’expriment actuellement et qui plus est, à quelques jours du 7e anniversaire de la chute de Ben Ali, n’est pas fortuit. C’est l’adoption de la loi de finances de 2018 qui a agi comme un catalyseur.  Celle-ci prévoit notamment une augmentation de la TVA qui se répercutera sur le coût de la vie.

Quel est l’état socio-économique du pays ? Les revendications illustrent-elles les difficultés de la transition démocratique depuis ce que l’on a appelé « La Révolution de Jasmin » ?

Sur le plan macroéconomique, la conjoncture est très délicate. La Tunisie souffre d’un déficit public important, la dette publique atteint les 70% du produit intérieur brut et le chômage officiel qui est à 15% au niveau national grimpe à 30% chez les jeunes diplômés. A cela s’ajoute une inflation très forte à 6,5% à la fin de l’année 2016. Enfin, la monnaie nationale – le dinar tunisien – a connu une dévaluation de près de 30% de sa valeur par rapport à l’Euro en 2 ans. Cela a pour conséquence une hausse du coût des importations et une balance commerciale agricole déficitaire. Dans la vie quotidienne des Tunisiens, il s’agit d’un renchérissement direct des produits de première nécessité.

Or, le gouvernement n’a absolument pas les moyens financiers de mener une politique contracyclique ou plus communément appelée keynésienne. Il ne peut donc pas répondre aux demandes sociales de ses citoyens. Cette absence de latitude budgétaire est assumée par une politique d’austérité en contrepartie d’une aide conditionnée de près de 2,4 milliards d’euros du Fonds monétaire international. Cet argent sert à la résorption de la dette publique et des déficits.

On a donc une coalition gouvernementale qui est prise en étau entre d’un côté une société civile de plus en plus exigeante et dont l’insatisfaction à l’égard de la politique économique et sociale croît avec les gouvernements successifs et, de l’autre, un état des finances publiques qui ne permet pas de satisfaire de telles revendications.

Cette conjoncture peut-elle mener à une instabilité politique et sécuritaire ?

Sur le front sécuritaire, la situation s’est améliorée ces dernières années, le pays n’ayant pas connu d’attentats terroristes majeurs contrairement aux années précédentes, notamment en 2015. Il est vrai que l’état d’urgence a été prorogé, mais, parallèlement, l’appareil sécuritaire se révèle plus efficace qu’à une certaine époque. Cela s’est notamment traduit par un rebond du secteur touristique en 2017, rare indicateur au vert du pays. Mais, à l’inverse, il ne faut pas interpréter cette donnée positive comme la résultante d’une stabilisation politico-sécuritaire généralisée à l’ensemble du pays.

Actuellement, c’est plutôt l’instabilité économique et sociale qui pourrait engendrer finalement les ferments d’une déstabilisation politique. Ces ferments pourraient être alimentés par l’absence d’une véritable alternative politique présentée aux Tunisiens lors des prochaines échéances électorales, avec les élections municipales au premier semestre 2018 et les présidentielles en 2019.

Le mouvement Ennahdha participe à la coalition gouvernementale actuelle et est en partie lié à la politique menée. Quant à Nidaa Tounes, le parti majoritaire, il est divisé sur la politique menée et ne fait pas œuvre d’un fervent soutien à l’action du gouvernement. Elément encore plus illustratif de la situation confuse, le syndicat majoritaire, l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) ne soutient pas vraiment cette mobilisation sociale et ce basculement vers la contestation. Pour les acteurs institutionnels, la Tunisie s’est engagée dans un processus qui doit l’amener à stabiliser et équilibrer ses finances publiques. Cet objectif fixé comme prioritaire ne laisse pas vraiment de marge au pouvoir politique.

 

 

 

 

 

Climate change is a matter of survival

Thu, 11/01/2018 - 22:30

Dr Alice Baillat first came to Bangladesh in 2011 to learn how the country raises its voice at the international climate talks. In this interview, she talks to the Dhaka Tribune on the positions of climate vulnerable countries in climate negotiations

As a country relatively weak on the global stage, but also one of the forefront victims of climate change, she asked in her research: How has Bangladesh managed to make its voice heard at all?

Recently having defended her thesis titled “Weak Power in Action: Bangladesh Climate Diplomacy,”Dr Alice Baillat now returns to Bangladesh to present the keynote speech at the fourth annual Gobeshona conference on climate change.

Below is condensed version of an interview highlighting some of the findings of her work.

So what do you mean when you say Bangladesh is a “weak power climate leader”?

Well, we know that during the international climate negotiations, there is an imbalance in terms of power relations. Stronger parties [like the United States or the EU] are usually more able to defend their interests above weaker parties like Bangladesh.

At the same time, this is not a way to say that the weak parties don’t have any tools on hand to defend their interests. I have analysed in my PhD thesis the kind of strategies and tools Bangladesh uses to defend its interests in climate negotiations. I have developed the concept of weak power to qualify Bangladesh’s climate policy and diplomacy.

I define “weak power”as the capacity of a weak actor to transform its vulnerability into a comparative advantage and a diplomatic tool to increase its influence on negotiation processes. Because Bangladesh is one of the most vulnerable countries in the world, it has developed forward-looking policy initiatives in the field of adaptation, and is now recognised as a champion in the adaptation field.

While vulnerability is often seen as an handicap, it is also a fertile ground for innovation and experimentation.

What are some of the strategies a weak power like Bangladesh has used at the climate negotiations?

Given the country is recognised as both one of the most vulnerable to climate change, but has also contributed very little to global greenhouse gas emissions, it gives Bangladesh moral leadership in climate negotiations.

This moral leadership is an asset for putting pressure on industrialised countries to consider special needs and vulnerabilities of LDCs. But the effect of this moral leadership is more symbolic than real: It has given stronger visibility to vulnerable countries like Bangladesh, but it remains insufficient to convince developed countries to fulfill their financial promises.

Another important strategy for LDCs is to build coalitions in order to bypass certain barriers to their effective participation in negotiations and to increase their collective influence. Some of them come, for instance, with very tiny delegations, sometimes with only one or two delegates and so, they cannot attend all negotiation sessions.

Most of them lack expertise on very technical issues at stake in negotiations. So building coalitions is a way to overcome these obstacles by sharing human and scientific resources. And their voice becomes also stronger if they defend a common position.

We can observe this with the Climate Vulnerable Forum that has played a key role in providing a fresh momentum during the COP21 and beyond.

Weak parties can also borrow the resources they lack to exercise influence. For instance, they seek support from NGOs and experts to increase their expertise on adaptation and mitigation issues, but also to better understand the negotiation process that is also very complex and sometimes hard to follow for LDC negotiators.

Bangladesh has developed an extraordinary high level of expertise on adaptation thanks to some of its experts who are internationally recognised as scientific leaders in the field of adaptation. And also thanks to its vibrant NGO sector and community resilience.

This expertise is also part of the weak power, as it gives authority and legitimacy to the country on adaptation. But one limitation I see to this expertise in Bangladesh is that it is too concentrated in the hands of a dozen of experts. Who will replace Dr Saleemul Huq or Dr Atiq Rahman, for instance? Bangladesh has to invest in the education of next generations to ensure the continuity of this expertise on adaptation.

Can the introduction of the “Loss and Damage” article in the Paris Agreement be a successful example of weak power?

The inclusion of the “Loss and Damage” article in the Paris Agreement is a major collective achievement of the LDCs. And Bangladesh has been a key designer and promoter of this issue in climate negotiations since the beginning.

Developed countries were initially reluctant to put this issue on the UNFCCC agenda, because they feared to open the doors to new financial claims from vulnerable countries. But those countries succeeded to get a standalone article on “Loss and Damage” in the Paris Agreement.

It is not a complete victory, because the article now needs to be implemented and we have seen little progress on this in COP22 and COP23, but LDCs have managed to put this very important issue for them on the agenda, despite reluctances from stronger parties.

What I have observed is that LDCs can possess a weak power that helps to put issues important for them on the UNFCCC agenda. But this weak power remains, per definition, weak, and does not reverse asymmetrical nature of multilateral negotiations.

They can put new issues on the agenda, but they often fail to influence negotiation outcomes that remain a result of bargaining between stronger parties.

Does the fact that Bangladesh is planning to expand its fossil fuel infrastructure weaken its moral legitimacy at the international level?

Bangladesh has to give priority to its development, and of course its development has to be as clean as possible. Bangladesh is already investing a lot in renewable energies and has committed with other CVF countries to shift to 100% renewable energy by 2050. But this energy transition will take time and will require important investments.

So it is tempting for a country like Bangladesh, who legitimately wants to give priority to its economic growth, to look at cheaper sources of energy such as coal. And it is encouraged by countries such as China that sells its coal technology and expertise to developing countries and support power plant projects in countries like Bangladesh.

This expansion of fossil fuel infrastructure does not weaken moral legitimacy of Bangladesh in my mind. The country is not responsible for global warming, and has the right to develop.

The problem, I think, is more that it is a wrong perception to think that Bangladesh will improve its future through a rapid economic growth based on fossil fuel energies. Because of Bangladesh’s vulnerability to climate change, adding more greenhouse gases to the atmosphere will lead to other hidden costs, such as health and environmental problems due to pollution.

In that sense, do you think there is an over-emphasis on climate change in Bangladesh, at least nationally? Given there are significant problems with governance and population growth.

Well, today in Bangladesh, climate change has become the cause of almost every environmental problem in the country, and there are also some environmental degradations in the country which are not the consequence of climate change but of, for example, wrong development decisions. So climate change can also be a very convenient scapegoat to ignore these wrong political decisions.

But weak power means also using all resources you have to defend your country’sinterests. And for a country like Bangladesh, it is essential to ask for international funding in order to develop adaptation and mitigation measures.

Highlighting the vulnerability of the country to climate change impacts, and its marginal responsibility in creating the climate problem, is a legitimate argument to ask for international support.

But it should not be a way to neglect the responsibility of the government.

In your view, how will the United States leaving the Paris Agreement impact the influence of “weak power”states?

Of course, the US withdrawing will have negative impacts for LDCs but also for the rest of the world. It undermines the universality of the Paris Agreement and impairs state’s confidence in climate cooperation.

It also reduces other countries’ emission space and raises their emission costs, making the achievement of the Paris Agreement’s objectives more difficult. And, of course, the US refusal to contribute to climate aid makes it more difficult for developing countries to mitigate and adapt to climate change.

But the withdrawal will not be effective before 2020, so we can still hope that the current US President will not be re-elected, and that his successor will reconsider Trump’s decision.

This withdrawal can also be a tremendous opportunity for vulnerable countries like Bangladesh to increase their leadership in the fight against climate change. The US has left a leadership vacuum. I am not sure that China really wants to fill this gap, and I don’t think that the European countries can play this role, especially in Brexit’s context.

So, vulnerable countries have a bigger role to play to pave the way for more ambitious climate action in future. Because climate change is a matter of survival for them, and because they are already at the forefront of implementing innovative solutions, they are probably the best guardians of the climate change regime.

La Chine est à la recherche de partenaires et prend l’Europe très au sérieux

Wed, 10/01/2018 - 16:10

Vous avez récemment organisé un colloque sur le projet des Routes de la soie, estimant que c’était une opportunité pour l’Europe. Que pensez-vous des propos d’E. Macron sur le sujet ?

Depuis deux ou trois ans, il y a en France un débat sur la position que doit avoir la France vis-à-vis de la nouvelle manière dont la Chine pense son rapport au monde. Certains sont inquiets notamment face au risque d’hégémonie d’autres, dont je suis, pensent qu’il y a une opportunité à saisir, d’autant que le projet se fera avec ou sans notre accord. Certes, il faut rester prudent, exiger un partenariat et ne pas se contenter d’applaudir. J’ai donc été ravi d’entendre le mot de réciprocité dans la bouche d’E. Macron.

L’hégémonie est-elle une vraie tentation chinoise car ce n’est pas dans son histoire ?

On a effectivement souvent tendance à calquer le mode de pensée occidental. Il n’y a pas de revendications territoriales de la Chine à l’exception notable de Taïwan et d’îles en mer de Chine. Ce qui est cherché est davantage une capacité d’influence. On peut aussi partir du postulat que cette hégémonie est une réalité sur son territoire proche, qui peut être inquiétante pour ses voisins. Mais il serait erroné de l’appliquer au niveau international d’autant que la Chine n’en aurait absolument pas les moyens militaires. Son intention est d’intervenir dans une gestion multilatérale, bien loin de celle unipolaire qui a longtemps caractérisé les Etats-Unis. Dans ce sens, la Chine cherche des partenaires, elle vise un concert des Nations où elle pourrait retrouver toute sa place, d’égal à égal, avec les autres : Etats-Unis, Russie mais aussi Europe qui est prise très au sérieux. Et là, E. Macron est aux yeux des Chinois, celui qui incarne le mieux la diplomatie européenne.

Le climat a été abordé. N’est-ce cependant pas un peu contradictoire avec le projet de la route de la soie qui vise à développer le commerce, des infrastructures potentiellement nocives pour le climat et qui est même pointé par certains comme une externalisation de la pollution liée au développement économique chinois ?

C’est un point important et cela va même être un test à l’échelle internationale pour la Chine. Il y a en la matière des intentions louables de Pékin, surtout depuis le désengagement de D. Trump mais aussi des mesures spectaculaires pour réduire la pollution dans ce qui reste l’usine du monde. Mais les infrastructures programmées, les délocalisations qui se multiplient vers des pays à la main d’oeuvre encore moins chère posent la question de savoir si la Chine ne serait pas en train de soigner son image de pollueur mais augmente la détérioration du climat à l’échelle globale. Or, la Chine n’est pas seulement le premier pollueur, elle est aussi un acteur de premier plan qui doit montrer l’exemple et permettre aux autres pays de ne pas polluer.

Recueilli par Angélique Schaller

« Une trêve bienvenue grâce aux Jeux »

Wed, 10/01/2018 - 15:07

Hier presque au bord de la guerre nucléaire avec les Etats-Unis, aujourd’hui spectaculaires retrouvailles entre les deux Corées. Où est le sérieux, où est le théâtre ?

La position théâtrale, c’est plutôt quand les deux camps présentent comme possible un affrontement militaire. La Corée du Nord n’a aucune envie d’attaquer ses voisins car l’objectif du régime est de rester au pouvoir et une guerre qu’elle perdrait signifierait la fin du régime. Les Etats-Unis, n’ont pas davantage envie d’attaquer la Corée du Nord car s’ils sont sûrs de gagner, le conflit leur causerait des dommages irréversibles ainsi qu’à la Corée du Sud et au Japon avec des missiles qui peuvent atteindre Séoul et Tokyo. Les menaces verbales de Trump ne sont pas sérieuses… Les rencontres, c’est donc du sérieux. mais il ne faut pas penser pour autant que si la Corée du Nord participe aux JO, cela conduira à une paix durable et éternelle. Il s’agit d’une trêve, une trêve bienvenue mais qui ne résout pas les problèmes de fond. En revanche, la Corée du Sud obtient la garantie que ses Jeux pourront se dérouler en toute sécurité. Et la Corée du Nord espère ainsi apparaître comme un pays comme un autre… Justement, les Jeux Olympiques se retrouvent au cœur des négociations, cela n’étonnera pas l’auteur du livre «JO politiques»…

 

Effectivement ! Cela a toujours été le cas : les Jeux Olympiques sont de véritables instruments géopolitiques. Soit négatif quand un pays décide de les boycotter et la Corée du Nord justement s’est tenue à l’écart des JO de Séoul en 1988. Soit un instrument positif, c’est le cas cette fois, avec une Corée du Nord qui prend prétexte des JO pour procéder à un rapprochement diplomatique compliqué. Tous les yeux du monde seront fixés sur leur délégation. Leurs athlètes défileront-ils avec ceux du Sud comme cela a été le cas par le passé ?

Au-delà du moment des rencontres sportives, a-t-on des exemples de réussite durable provoquée par la «diplomatie du sport» ?

L’organisation des Jeux Olympiques par la Corée du Sud en 1988 a été un ferment de démocratisation de ce pays, on peut même dire que leur organisation a empêché un coup d’Etat militaire. Parmi les réussites durables, on cite souvent la «diplomatie du ping-pong» entre les Etats-Unis et la Chine. L’envoi en 1971 d’une délégation pongiste américaine à Pékin rompt avec le climat de défiance réciproque entre les deux pays. La délégation revient aux Etats-Unis avec un message d’amitié, les deux géants cherchent à se rapprocher et le secrétaire d’Etat Kissinger se rend en Chine juste après…

Peut-on espérer une évolution semblable post-JO entre les deux Corées ?

Il ne faut pas rêver. JO ou non, ce n’est pas pour cette participation que la Corée du Nord renoncera à son programme nucléaire, garantie de survie du régime. Mais on peut espérer que l’agressivité verbale retombera et que de nouveaux liens se noueront…

Propos recueillis par Daniel Hourquebie

« L’insuffisance de la coopération énergétique en Afrique est d’ordre politique »

Fri, 22/12/2017 - 11:37

Pourquoi le défi énergétique est-il au coeur du développement du continent africain? Comment le relever? Francis Perrin, expert des questions énergétiques à l’OCP Policy Center, insiste sur la nécessité d’une réelle coordination politique au niveau continental.

Si l’Afrique dispose d’énormes ressources provenant de ses sous-sols qui regorgent d’énergies fossiles, et d’un excellent potentiel dans le domaine des énergies solaires et hydrauliques, le continent reste pourtant profondément empêtré dans son déficit énergétique, avec 600 millions de personnes qui n’ont toujours pas d’accès à l’électricité.

Plus que jamais donc, l’approvisionnement en énergie devient un chantier prioritaire pour l’Afrique, à l’heure où la demande pour le continent progresse de 9% tous les ans. En marge des Atlantic Dialogues organisés par l’OCP Policy Center à Marrakech du 13 au 15 décembre,Telquel.ma a rencontré Francis Perrin, spécialiste des problématiques énergétiques à l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), et chercheur-associé à l’OCP Policy Center. Pour lui, si la diversité des situations énergétiques en Afrique n’est pas forcément un obstacle, la coopération énergétique entre pays africains a encore des progrès à faire.

Comment la diversité des situations énergétiques des pays impacte-t-elle les relations entre les pays et les régions d’Afrique?

Le continent africain compte 54 pays et ceux-ci sont évidemment très différents à de multiples égards, y compris du point de vue énergétique. Ces différences portent sur leurs dotations en ressources, leur mix énergétique, leur caractère d’exportateur ou d’importateur, l’importance de leur consommation, la croissance de la demande, le développement des infrastructures énergétiques, leurs relations avec les compagnies étrangères, leur classement respectif en matière de risques économiques et politiques, etc.

Cette diversité n’est pas en soi un obstacle à une coopération énergétique renforcée entre pays africains, car elle apporte de la complémentarité. Mais la coopération suppose la confiance. Le secteur énergétique étant hautement stratégique, les États ne seront pas disposés à dépendre d’autres États avec lesquels ils entretiennent des relations difficiles. Cela explique en grande partie l’insuffisance de la coopération énergétique en Afrique, même dans des régions pourtant relativement homogènes comme l’Afrique du Nord par exemple.

Certes, il y a le gazoduc Transmed, qui relie l’Algérie à l’Italie via la Tunisie, et le gazoduc Maghreb-Europe, qui relie l’Algérie à l’Espagne en transitant par le Maroc, mais le potentiel de coopération énergétique dans cette région est très largement sous-exploité pour des raisons essentiellement politiques.

Dans le domaine énergétique, comme dans beaucoup d’autres, la coopération Sud-Sud n’est pas le réflexe le plus naturel. Les pays exportateurs d’hydrocarbures (pétrole et gaz naturel) sont tournés d’abord vers le marché mondial en vue de valoriser leur production, en particulier l’Asie et l’Europe, plutôt que vers les marchés à l’intérieur du continent.

Si l’essor du continent africain dépend en grande partie de sa problématique énergétique, comment l’Afrique peut-elle relever ce défi?

Le défi du changement climatique est essentiel, mais il y a également d’autres défis environnementaux très liés aux questions énergétiques en Afrique. On peut citer par exemple la désertification du fait de l’utilisation du bois de feu et l’impact négatif sur la santé des populations de la consommation de certaines formes de biomasse traditionnelle.

Les défis de l’insuffisance de l’offre sont majeurs. Selon la BP Statistical Review of World Energy, la consommation d’énergie primaire du continent était de 440 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2016 sur un total mondial de plus de 13 milliards de tep, soit à peine plus de 3%. Le développement du continent impliquera une très forte augmentation de sa consommation énergétique en valeur absolue et par habitant.

Autre point crucial, plus de 600 millions d’Africains n’ont pas accès à l’électricité. Les défis énergétiques du continent incluent également la transition énergétique et le financement des projets et des infrastructures.

Répondre à des défis d’une telle ampleur implique une très forte volonté politique, des stratégies énergétiques nationales bien conçues, mises en œuvre avec constance sur le long terme, une coopération internationale et régionale beaucoup plus significative qu’aujourd’hui, la constitution des capacités stratégiques, institutionnelles et de gestion appropriées, la formation d’hommes et de femmes dans le secteur énergétique, et la capacité des pays à attirer les investissements requis.

Le Maroc met en oeuvre une stratégie énergétique ambitieuse de 52% d’énergie renouvelable à horizon 2030, dont la réalisation avance bien. Malgré cela, le taux de dépendance énergétique stagne autour de 95%. Comment expliquer ce taux si élevé? Le poids et l’influence du Maroc en Afrique dépendent-ils de son indépendance énergétique?

Le Maroc a effectivement une stratégie très ambitieuse en matière d’énergies renouvelables – en particulier le solaire et l’éolien -, et d’efficacité énergétique. Ces programmes donnent de fort bons résultats. Cela dit, avec ces énergies renouvelables, on produit surtout de l’électricité. Le marché des transports reste dominé de façon écrasante par les carburants pétroliers et ce sera encore le cas pendant longtemps.

Sur les neuf premiers mois de 2017, la facture des importations énergétiques du Maroc était de 50,5 milliards de dirhams, selon les statistiques de la Bank al-Maghrib, contre 39,3 milliards pour 2016.

Cette hausse de plus de 28% en un an est surtout la conséquence de la forte augmentation des prix du pétrole. Rappelons que le déficit commercial du Maroc était de 140 milliards de dirhams entre janvier et septembre 2017. Cette situation ne peut pas changer rapidement.

En termes de sécurité, d’équité et de durabilité énergétiques, l’Afrique est à la traîne. Le Maroc par exemple est classé 80e sur 125 pays selon l’indice World Energy Trilemma 2016. Pourquoi est-il nécessaire de prendre en compte ces indicateurs dans la transition énergétique africaine?

Le World Energy Trilemma a été mis au point par le Conseil mondial de l’énergie (CME), qui est basé à Londres et qui regroupe des représentations professionnelles dans plus de 90 pays. Reconnu par les Nations unies, le CME a créé cet indice qui permet de tenir compte de trois dimensions clés liées au secteur énergétique: la sécurité, l’équité et la durabilité (soutenabilité environnementale).

La première renvoie à la capacité des fournisseurs d’énergie à satisfaire la demande existante et future, la seconde à l’accessibilité à l’énergie (accessibilité physique et financière) et la troisième au développement de l’efficacité énergétique et des énergies renouvelables et non carbonées.

Pour 2017, parmi les dix pays les mieux classés figurent neuf pays européens et la Nouvelle-Zélande. Sur 125 pays, 15 sur les 20 derniers sont en Afrique subsaharienne. Le CME souligne que la question clé pour cette région est l’accès à l’énergie puisqu’en 2014 près de 65% de la population de l’Afrique subsaharienne n’avaient pas accès à l’électricité.

Du fait de l’absence de réseau électrique national desservant la quasi-totalité de la population, comme c’est le cas dans les pays développés, le CME met l’accent à juste titre sur l’indispensable développement des solutions hors réseau et la place que les énergies renouvelables peuvent occuper dans cette évolution.

Tout indice, et tout classement sont évidemment discutables et critiquables, car il est redoutablement difficile de tenter de synthétiser et de quantifier des réalités aussi complexes. Mais l’intérêt de cet indice est de souligner que les pays doivent s’efforcer de trouver un équilibre entre ces trois dimensions capitales. L’Afrique, notamment la partie subsaharienne, en est encore très loin.

L’élargissement de l’OTAN et la Russie : promesse tenue ?

Thu, 21/12/2017 - 11:37

Les Américains et leurs alliés ont-ils promis aux Soviétiques qu’ils n’étendraient pas les frontières de l’OTAN, lors du processus de réunification de l’Allemagne ? Depuis près de vingt-cinq ans, les Russes affirment qu’ils ont été « trahis« . De leur côté, les Occidentaux ont toujours nié avoir jamais fait une telle promesse. Ce dialogue de sourds aurait pu se poursuivre indéfiniment si le National Security Archive, basé à la George Washington University, n’avait pas publié des documents diplomatiques déclassifiés américains, soviétiques, allemands, britanniques et français, livrant une version des faits plus nuancée.

Le 18 mars 2014, dans un discours prononcé devant la Douma, pour mieux justifier l’annexion de la Crimée, Vladimir Poutine soulignait les humiliations qu’avaient fait subir les Occidentaux à la Russie, en pointant notamment les promesses non tenues par l’Ouest dans les années 1989-1991. Une promesse en particulier : celle de ne pas élargir l’OTAN au-delà des frontières de l’Allemagne réunifiée. Depuis l’effondrement du bloc soviétique, l’Ouest a toujours nié avoir fait de telles promesses. D’ailleurs, en toute logique, jamais les Occidentaux n’auraient pu accepter la continuation de facto de la division de l’Europe. D’autant que, depuis 1975, la Charte d’Helsinki garantissait à tout pays le droit de choisir sa propre alliance.

Or, les documents révélés par le National Security Archive semblent démontrer qu’à de multiples reprises, les principaux représentants des Etats membres de l’OTAN ont garanti à Gorbatchev que la zone atlantique ne s’étendrait pas plus avant en direction du territoire russe. Dès le mois de décembre 1989, lors du sommet de Malte, le président George H.W. Bush assurait son homologue soviétique qu’il ne tirerait pas avantage des révolutions en Europe de l’Est pour nuire aux intérêts de l’URSS – même si, à cette époque, ni Bush ni Gorbatchev ne pouvaient raisonnablement s’attendre à ce que la RDA s’effondrât et que la réunification allemande fût aussi rapide.

Les garanties ne se sont pas limitées à ce seul échange. Le 31 janvier 1990, dans un discours prononcé à Tutzing, en Bavière, le ministre des Affaires étrangères de RFA, Hans-Dietrich Genscher, déclarait que « les changements en Europe de l’Est et le processus de réunification ne [devaient] pas aller à l’encontre des intérêts sécuritaires de l’Union soviétique », exhortant même l’OTAN à exclure toute progression de l’Alliance atlantique vers l’est. Selon Genscher, même en cas de réunification, le territoire de l’ex-RDA serait doté d’un statut spécial qui exclurait toute intégration dans l’OTAN.

Cette idée fut codifiée dans le traité final, signé le 12 septembre 1990 (Traité de Moscou). Quant à celle de ne pas étendre les limites de l’OTAN en direction de l’URSS, elles ne figuraient pas dans le traité lui-même, mais de manière implicite (et c’est tout le problème) dans plusieurs « mémorandums », c’est-à-dire des comptes rendus de discussions entre les Soviétiques et leurs principaux interlocuteurs occidentaux, dans les années 1990-1991 : Genscher, mais aussi Helmut Kohl, le secrétaire d’Etat James Baker, Robert Gates (conseiller adjoint à la Sécurité nationale puis directeur de la CIA), George H.W. Bush, François Mitterrand, Margaret Thatcher, John Major, Manfred Woener, etc. Ces discussions avaient spécifiquement trait à la protection des intérêts sécuritaires soviétiques et abordaient sérieusement l’idée d’intégrer l’URSS dans les nouvelles structures européennes de sécurité.

Eu égard à ces engagements verbaux, Gorbatchev avait alors toutes les raisons d’être rassuré sur les intentions des Occidentaux. Le 9 février 1990, et à trois reprises, le Secrétaire d’Etat américain, James Baker, a affirmé devant Gorbatchev que l’OTAN ne chercherait pas à s’étendre vers l’est. Le 18 mai, il transmettait directement au président de l’URSS ses « neuf points », qui comprenaient : la transformation de l’OTAN, le renforcement des structures européennes, la non-nucléarisation de l’Allemagne et la prise en compte des intérêts sécuritaires soviétiques. Et Baker d’ajouter : « Avant de dire quelques mots sur la question allemande, je voulais souligner que nos politiques ne visent pas à séparer l’Europe de l’Est de l’Union soviétique. Nous avions cette politique auparavant. Mais, aujourd’hui, nous sommes résolus à bâtir une Europe stable, et à le faire avec vous. »

Au total, les documents dévoilés par le National Security Archive montrent que Gorbatchev a accepté la réunification de l’Allemagne et son intégration dans l’OTAN – alors qu’il pouvait opposer son veto –, en étant légitiment convaincu des bonnes intentions des Américains et de leurs alliés à l’égard de l’URSS. Certes, aucun document officiel n’assurait formellement le leader soviétique que l’Alliance atlantique n’étendrait pas son influence au-delà du territoire allemand, mais de nombreux comptes rendus de conversations allaient dans ce sens. A cet égard, le mémorandum russe de la visite des députés du Soviet suprême à Bruxelles, en juillet 1991, est éloquent : selon ce document, Manfred Woerner, le secrétaire général de l’OTAN, aurait lui-même affirmé aux députés « que le Conseil de l’OTAN et lui-même étaient contre l’extension de l’OTAN (13 membres de l’OTAN sur 16 soutiennent ce point de vue). » L’erreur de Gorbatchev a sans doute été de ne pas exiger la confirmation par écrit de ces engagements.

Bien entendu, l’élargissement de l’OTAN n’a été sérieusement envisagé qu’à partir de 1993 : ses partisans pourront bien dire que l’Union soviétique avait alors cessé d’exister, et que l’éclatement de la Yougoslavie laissait émerger des enjeux sécuritaires et stratégiques inédits, qui rebattaient les cartes de la géopolitique régionale. Néanmoins, la disparition de l’Union soviétique ne signifiait pas la rupture des engagements moraux pris par les membres de l’OTAN : la Russie ayant immédiatement été considérée comme l’héritière de l’Union soviétique, les promesses de l’OTAN vis-à-vis de l’URSS auraient dû naturellement bénéficier à la jeune Fédération de Russie.

 

Présidentielle russe : l’économie éclipsée par la politique étrangère ?

Thu, 21/12/2017 - 10:39

Alors que les élections présidentielles russes auront lieu le 16 mars 2018, Vladimir Poutine a récemment confirmé son intention de se porter candidat à sa propre succession. En cas de victoire, l’homme fort du Kremlin pourrait se maintenir au pouvoir jusqu’en 2024. Si la stagnation économique touche le pays depuis peu et la faible croissance est structurelle à la Russie, les questions internationales tendent à minorer l’impact électoral de la question économique. L’analyse de Jean de Gliniasty, directeur de recherche à l’IRIS, ancien ambassadeur de France en Russie.

Vladimir Poutine bénéficie d’une popularité et d’un taux d’intention de vote exceptionnels. Est-ce à dire qu’il s’agit d’une élection sans enjeux ?

Effectivement, le taux de popularité de Vladimir Poutine est resté très élevé. On impute cela à « l’effet Crimée » ou au « consensus de Crimée ». De fait, l’écrasante majorité de la population considère que le président a géré habilement le dossier. D’une manière générale, les dossiers de politique étrangère sont au bénéfice du régime. Il y a une conjonction particulière à laquelle s’ajoute le contexte économique qui, jusqu’à ces deux derniers mois, laissait prévoir une croissance de 2% avec nombre d’indicateurs positifs en matière de salaires, d’investissements et d’exportations.

Le président a bénéficié jusqu’à ces dernières semaines d’un ensemble de facteurs qui fait qu’effectivement il sera réélu sans problème. La seule véritable interrogation est le taux de participation et, sur ce point, on voit émerger au sein de l’Etat-major politique une préoccupation. A partir du moment où les jeux sont faits, même les personnes décidées à voter pour Vladimir Poutine ne seront finalement pas très incitées à se déplacer. Or, si le taux de participation passe sous la barre des 50%, cela serait considéré comme un élément négatif voir une critique de l’actuelle présidence et donc Vladimir Poutine verrait sa légitimité érodée pour son prochain mandat.

Comment se porte le pays sur le plan socio-économique ? La période de stagnation économique qui touche actuellement le pays peut-elle avoir un impact dans les urnes ?

2017 a été l’année de la reprise pour l’économie russe. Cela s’est traduit par un retour à la hausse des investissements, des salaires réels, une diminution de l’inflation jusqu’aux alentours de 3% permettant une progression du pouvoir d’achat. C’est un ensemble d’éléments qui, appuyé sur la remonté du prix du baril de Brent, a conduit à penser que l’économie nationale aller croître de plus de 2% en 2017.

En fait cette embellie s’est arrêtée assez vite et ces deux derniers mois ont été plutôt négatifs. Les revenus réels ont continué à décroître, l’investissement a stagné ainsi que la consommation et les ventes de détail ont même eu tendance à diminuer. Actuellement nous sommes dans une phase qui infirme les espérances que les économistes plaçaient dans le développement du pays.

Mais cela ne jouera pas lors des élections car, comme l’a rappelé Vladimir Poutine lors de sa conférence de presse, les performances économiques depuis son accession au pouvoir en 2000 sont telles que cela lui donne matière à faire face à ses contradicteurs. Le PIB a augmenté de 75%, la production industrielle de 70%, les salaires ont été multipliés par 3,5, les retraites par 3,6, la mortalité infantile a été divisée par 3,6, l’espérance de vie est passée de 65 à 73 ans.

Tous ces indicateurs lui donnent un crédit suffisant pour passer cette période décevante. Le problème c’est qu’elle s’annonce ainsi mais personne ne sait exactement pourquoi. Les prix du pétrole ont augmenté, le budget russe a été calculé avec un baril de Brent à 40$ alors qu’il est actuellement proche des 65$ ce qui devait constituer une marge de manœuvre appréciable.
Mais le rouble reste très bas, l’économie ne redémarre pas et pour des économistes comme Alexeï Koudrine, ministre des Finances, la cause de cette atonie est l’absence de réformes structurelles. Il s’agira donc d’en mettre en place pour sortir de cette période de croissance faible qui, comme le ministre se plaît à le faire remarquer, avait une existence antérieure à la baisse du prix du baril et la crise ukrainienne.

Toute la question sera donc de savoir si pour son dernier mandat, Vladimir Poutine lancera des réformes structurelles ou non. S’il ne le fait pas, beaucoup de spécialistes considèrent que la Russie restera sur des taux de croissance très modestes.

Quel peut être l’impact des questions internationales sur la campagne électorale ?

Vladimir Poutine a déclaré, peu avant l’annonce de sa candidature, que les troupes russes se retireraient de Syrie hormis une couverture non chiffrée qui restera sur place. Cela correspond à une demande de l’opinion publique car les opérations en Syrie sont perçues différemment de celles en Ukraine.

Pour les Russes, l’Ukraine c’est affectif et émotionnel, la Crimée ayant toujours été russe depuis le début du 18ème siècle. Pour la plupart de l’opinion russe, c’était une erreur commise par Khrouchtchev que de céder la Crimée à l’Ukraine en 1954, puis par ses successeurs de ne pas être revenus sur ce décret ; le président ne sera donc pas critiqué. En revanche, que des citoyens russes aillent mourir en Syrie, c’est moins évident pour l’opinion russe. En annonçant le rappel des troupes, Vladimir Poutine donne un signal très clair : la guerre a été gagnée et le processus diplomatique de sortie de crise est en marche.

Ainsi, les dossiers internationaux jouent incontestablement un rôle important dans la popularité de Poutine. Pour les Russes le président a rendu à la Russie son statut de grande puissance. Pour l’heure, il s’agit d’un élément important et positif de la popularité de Vladimir Poutine.

Fin des énergies fossiles et environnement énergétique international : contradiction ou réalisme ?

Thu, 21/12/2017 - 10:26

L’adoption par l’Assemblée nationale ce 19 décembre d’un texte portant sur la fin de l’exploration et de l’exploitation d’hydrocarbures sur le territoire français pour 2040 revêt une dimension à la fois politique et symbolique, la France souhaitant endosser le rôle de leadership mondial de la croissance verte. Ce volontarisme se heurte pourtant aux réalités d’un environnement international où les énergies fossiles sont et seront encore en amont de la stratégie des acteurs étatiques et des grandes firmes du secteur de l’énergie. L’analyse de Francis Perrin, directeur de recherche à l’IRIS.

Quels étaient les enjeux de l’adoption de ce texte entérinant la fin de la recherche et l’exploitation des hydrocarbures produits en France à horizon 2040 ?

Il faut replacer ce texte dans un ensemble, le plan d’action sur le changement climatique, qui a été présenté par les autorités françaises et notamment le ministère de la Transition écologique et solidaire en juillet 2017. Ce plan vise à mettre la France en situation de contribuer à la mise en œuvre de l’Accord de Paris issu de la COP 21 qui s’est tenue en France il y a deux ans.

Très clairement, le président Emmanuel Macron, son gouvernement et Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, veulent placer la France en pôle-position parmi les pays qui mettent en œuvre l’Accord de Paris. On parle actuellement du pays comme l’un des leaders de l’économie verte et c’est dans ce cadre qu’est intervenu ce projet de loi, qui vient d’être adopté par le parlement français, visant à interdire l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures, pétrole et gaz naturel.

Il y a des enjeux environnementaux et climatiques auxquels s’adossent des enjeux symboliques et politiques. Ils sont également industriels. Il faut montrer que la France possède les capacités lui permettant d’être l’un des leaders de la croissance verte. La France doit jouer un rôle d’exemple et entraîner dans son sillage d’autres pays.

Cependant il faut relativiser le caractère « exemplaire » qui est recherché par deux considérations. Tout d’abord, la France a une production d’hydrocarbures très marginale puisqu’elle ne représente que 1% de sa consommation nationale. Enfin, la production pétrolière française ne représente que 0,02% de la production pétrolière mondiale.

De ce point de vue, il est douteux qu’un pays avec une si faible production de pétrole et de gaz puisse être un exemple par rapport à des dizaines d’autres Etats dans le monde qui sont de grands ou moyens producteurs de pétrole et de gaz naturel. Il est évident que, pour ces pays, les hydrocarbures représentent un enjeu autrement plus important que ce qu’ils représentent pour la France si l’on met de côté notre potentiel en gaz de schiste, qui est sans doute significatif, et le pétrole conventionnel d’Outre-mer avec notamment la découverte en 2011 d’un gisement pétrolier au large de la Guyane française.

N’y a-t-il pas un contraste entre la volonté des décideurs politiques de faire de la fin des hydrocarbures un objectif prioritaire, et une conjoncture économique marquée par une hausse du prix du baril et de la demande et notamment une production mondiale qui devrait augmenter ces prochaines années ?

Il est clair que les énergies fossiles sont encore bien vivantes. Il est donc prématuré de rédiger leur acte de décès. On a souvent tendance à dire que ce sont des énergies du passé mais la réalité est qu’il s’agit d’énergies du passé, du présent et, dans une certaine mesure, de l’avenir également.

Il faut toujours partir de la réalité actuelle : le pétrole, le gaz et le charbon représentent de l’ordre de 85% de la consommation mondiale d’énergie aujourd’hui. Par conséquent, ces sources seront encore là et à un niveau important pour des dizaines d’années. C’est donc une chose d’affirmer des ambitions très élevées dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique, c’en est une autre de penser que l’on peut, dans un horizon de court/moyen terme, passer d’un monde dominé par les énergies fossiles à un monde où ce seraient les énergies renouvelables qui domineraient.

Nous sommes bien dans une période de transition énergétique mais celle-ci a commencé récemment. Elle va prendre du temps et, évidemment, les énergies fossiles joueront un rôle important dans cette transition, en particulier le gaz naturel.

A cet égard, il y a eu la mise en production toute récente de Yamal LNG, un gigantesque projet d’exportation de gaz naturel liquéfié piloté par un consortium composé de la société russe Novatek, du groupe français Total et d’intérêts chinois. Il s’agit d’un projet dont le coût d’investissement est évalué à 27 milliards de dollars et qui va produire du gaz pendant des décennies. Ces derniers jours, un consortium a lancé au Brésil le développement à grande échelle de Libra, un très gros champ pétrolier en mer profonde qui pourra produire plus de 600 000 barils par jour d’ici plusieurs années. Et ce ne sont que deux exemples parmi d’autres.

De nombreux exemples montrent bien qu’au niveau des Etats exportateurs d’hydrocarbures, il s’agit d’impératifs énergétiques, économiques et géopolitiques. Et les compagnies pétrolières et gazières continuent à développer de gros projets parce qu’il y a des marchés. La consommation pétrolière mondiale, qui a diminué en 2008-2009 du fait de la crise économique, a augmenté de manière continue depuis 2010 et ce sera encore le cas en 2017 et en 2018 et au-delà. La consommation mondiale de gaz naturel est elle aussi orientée à la hausse.

Nous sommes toujours dans un monde assoiffé d’énergies fossiles et qui en a encore besoin, même si l’on observe que la consommation de charbon semble marquer le pas. Ces besoins énergétiques croissants, notamment des pays émergents et en développement, feront que la part des combustibles fossiles dans le mix énergétique restera fort importante pendant longtemps même si elle va diminuer. Il n’y donc pas de contradiction entre la volonté politique de lutter contre le changement climatique et la place encore majeure réservée aux énergies fossiles. Il faut prendre en compte les contraintes de calendrier.

Par contre, il faut évidemment, tout en développant les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique, accélérer la recherche-développement sur le captage et le stockage du carbone car, dans la mesure où nous savons que nous consommerons des énergies carbonées pour encore pas mal de temps, il faut prioriser ces technologies pour limiter les dégâts.

Le multilatéralisme climatique en matière d’hydrocarbures n’est-il pas voué à l’échec quand des Etats intègrent encore ouvertement les énergies fossiles au sein de leur politique énergétique tout en ouvrant la porte à de nouveau projets d’exploration et d’exploitation ?

Outre le cas de la France qui s’est dotée d’une loi pour interdire l’exploitation d’hydrocarbures à l’horizon 2040, un autre pays a pris des mesures similaires : le Costa Rica. Mais aucun pays qui est un producteur important d’hydrocarbures n’a pris de telles mesures ou n’a annoncé de futures décisions en ce sens.

Par conséquent, il est clair qu’il est parfaitement logique pour ces pays et la communauté internationale de continuer à intégrer les énergies fossiles dans leurs différentes stratégies, parce qu’elles font partie de la réalité du monde de l’énergie et vont encore en faire partie pour pas mal de temps.

N’oublions pas, par ailleurs, que plusieurs pays à travers le monde vont devenir dans les années qui viennent des producteurs et exportateurs d’hydrocarbures. Si l’on prend le continent africain, le Sénégal, la Mauritanie, le Mozambique et la Tanzanie vont devenir de futurs exportateurs de gaz naturel liquéfié. L’Ouganda et le Kenya seront probablement des pays producteurs et exportateurs de pétrole. Aucun de ces Etats n’est prêt à se priver de cette manne au nom de la protection de la planète.

La géopolitique des hydrocarbures continuera donc à jouer un grand rôle. Ce qui importe, c’est de prendre en compte cette réalité tout en luttant contre le changement climatique avec la promotion vigoureuse de l’efficacité énergétique, un développement accéléré de la production d’énergies renouvelables et le développement des technologies de captage et de stockage du carbone.

L’Europe à l’épreuve d’un nationalisme identitaire

Thu, 21/12/2017 - 10:03

Du Royaume-Uni à la Pologne, en passant par l’Allemagne, l’Autriche, la France ou l’Italie, l’Europe est traversée par une vague populiste portée par un discours conjuguant identitarisme et souverainisme, le poids de ces deux variables différant selon les pays. Face à cette vague, que peut faire l’UE ?

En Autriche, l’extrême-droite vient d’accéder au pouvoir et obtient des ministères régaliens (l’Intérieur, la Défense et les Affaires étrangères), tandis que la Pologne est l’objet d’un fait sans précédent : le déclenchement de la procédure de sanction prévue par l’article 7 du traité UE. Selon la chercheure Anaïs Voy-Gillis, membre de Chronik.fr, « trois facteurs permettent d’expliquer cette montée de l’extrême droite. Elle repose d’abord sur une crise de la représentativité (…). Ensuite, l’Europe a été touchée très massivement par une crise des migrants, et l’on constate un rejet de l’islam et de l’immigration. Enfin, les citoyens ont le sentiment que leur pays est dépossédé de son attribut de souveraineté, au profit d’entités comme la finance. »

DES RÉPONSES SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES EUROPÉENS

Dans une perspective plus large, les réactions suscitées par la globalisation trahissent un profond désenchantement. Ce sentiment n’est pas nouveau. La « globalisation heureuse » et la consécration universelle de la « démocratie de marché », pour reprendre l’expression de Francis Fukuyama, s’avèrent illusoires. La vague néolibérale a neutralisé le projet européen et, partant, l’ambition de réactiver un idéal supranational commun. Le sentiment de vide s’explique par l’absence de perspective politique alternative et par un doute grandissant sur l’universalité des valeurs humaines, celles qui sont censées nous unir dans un même destin…

Convaincu de sa propre existence, l’Occident craint aussi sa propre fin, du moins son déclin. Le sentiment d’être « en danger » ou d’être menacé par la civilisation islamique alimente la montée en puissance d’une idéologie « occidentaliste »…

Est-ce que l’Union européenne est armée pour faire face à ce phénomène ? Juridiquement, les traités institutifs de l’UE fondent ses institutions à s’immiscer dans les affaires internes de ses États membres, dès lors que l’action de ces derniers (risque de) porte(r) atteinte aux valeurs fondamentales de l’organisation politique, à l’identité commune de ses membres. Ainsi, selon l’article 2 du traité UE, « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’État de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes. »

Or non seulement tout État tiers désireux d’adhérer à l’Union doit veiller à respecter ces valeurs (art. 49 du traité de l’UE), mais une obligation analogue – de nature politique – pèse sur les États membres. Un dispositif de contrôle et de sanction visant à préserver l’intégrité des valeurs de l’Union est prévu par l’article 7 du traité. Deux procédures – à la fois distinctes et cumulatives – de sanction sont ainsi instituées. L’une est préventive et peut être enclenchée par la Commission en cas de « risque clair de violation grave », tandis que l’autre ne peut être actionnée que lorsque la violation de ces valeurs communes est « grave et persistante. »

UNE SOLUTION PLUS POLITIQUE QUE JURIDIQUE

Le champ d’application du mécanisme visé à l’article 7 a un caractère général et ne s’applique pas seulement aux actions menées dans la mise en œuvre du droit de l’Union. L’article 7, §3, précise que lorsque la violation « grave et persistante » est constatée, le Conseil de l’UE, statuant à la majorité qualifiée, peut décider de suspendre certains droits découlant de l’application des traités à l’État membre en cause, y compris les droits de vote du représentant du gouvernement de cet État membre au sein du Conseil de l’UE. Reste que la complexité de cette procédure de sanction la rend de facto inapplicable et donc inefficace. Le pouvoir polonais ne le sait que trop…

Transpartisane, la vague mêlée d’europhobie et d’euroscepticisme ne concerne pas les seuls « partis extrémistes ».

De toute manière, la solution n’est pas d’ordre juridique, mais politique. La vague d’euroscepticisme se nourrit du sentiment d’impuissance de l’Union européenne et des doutes sur la « volonté de construire ensemble » pour mieux se replier sur soi-même. Entre le Brexit, la montée des forces centrifuges et la tentation de la démondialisation, l’Histoire contredit le sens de la construction européenne. Pis, l’intégration, la fédéralisation et la supranationalité semblent appartenir à un passé révolu. La frontière, la nation et la souveraineté, tels sont les éléments constitutifs du triptyque du nouvel ordre européen. Retour au vieux paradigme de l’État-nation souverain .. plongé désormais dans un monde globalisé, structuré autour de pôles de puissances et dans lequel les Européens se cherchent encore et toujours…

En France, ce mouvement «réactionnaire» – au sens littéral du terme – est entretenu par des responsables politiques en général, et des candidats à la présidentielle en particulier, incapables de conjuguer l’Europe au futur. Trop souvent enfermés dans un discours franco-français, ils semblent vivre en autarcie, dans un huis clos stato-national, hors du monde, loin de l’Europe. Pis, lorsque le sujet est abordé, le simplisme et la binarité tendent à l’emporter : pour ou contre l’Union européenne, l’euro, une défense et une diplomatie européennes, etc. Au-delà du clivage transpartisan entre souverainistes et pro-européens, nulle vision constructive, ni stratégie d’ensemble ne se dégage clairement en faveur d’une croyance dans un projet européen à redéfinir.

L’incapacité politique à produire du sens et à définir les ressorts d’un destin commun nourrit les mouvements de contestation vis-à-vis d’une chose européenne perçue comme une matière aussi floue qu’inconsistante, incapable de protéger et de décider, illisible et inaudible. Transpartisane, la vague mêlée d’europhobie et d’euroscepticisme ne concerne pas les seuls «partis extrémistes». En témoigne le retour en force de l’idée de frontière ou d’identité nationale au sein des droites conservatrices nationales. Une tendance propice aux alliances avec l’extrême droite, comme l’atteste le nouveau gouvernement autrichien. Un spectre auquel la France n’échappe pas non plus…

Accord de coalition en Autriche : un laboratoire pour l’extrême droite en Europe ?

Wed, 20/12/2017 - 14:44

L’accord de gouvernement entre le parti libéral autrichien et les conservateurs avec à sa tête Sebastian Kurz constitue une nette rupture après des décennies de grande coalition entre conservateurs et sociaux-démocrates. L’extrême droite obtient des postes régaliens et y renforce son ancrage. Si des spécificités nationales demeurent, on peut néanmoins observer à l’échelle de l’Europe l’émergence d’un consensus idéologique sur le rapport à la mondialisation, l’immigration, et une crispation identitaire. L’analyse de Magali Balent, chercheuse associée à l’IRIS.

Comment expliquer que le parti libéral autrichien (FPÖ) ait obtenu 3 ministères régaliens : l’intérieur, la défense et les affaires étrangères au sortir des négociations avec les conservateurs (ÖVP) alors qu’il est arrivé en 3ème position derrière les sociaux-démocrates (SPÖ) ?

A l’issue de négociations qui auront duré près de deux mois, l’ÖVP et le FPÖ sont parvenus le 15 décembre 2017 à un accord pour former une coalition de gouvernement. Le FPÖ de Hans-Christian Strache obtient ainsi six ministères dont trois régaliens. Cette situation est le fruit d’une proximité idéologique entre les deux formations politiques qui s’est renforcée avec l’arrivée de Sebastian Kurz à la tête du parti de l’ÖVP en mai 2017. Dès ce moment, celui qui allait devenir le Chancelier le plus jeune de l’histoire autrichienne quelques mois plus tard, a récupéré les thèmes porteurs du FPÖ sur l’immigration, l’islam, la défense des valeurs autrichiennes et la protection aux frontières. En outre, les sondages d’opinion ont révélé après les élections législatives d’octobre 2017 qu’une coalition Kurz/Strache avait la préférence des Autrichiens au détriment d’une nouvelle coalition ÖVP/SPÖ qui a gouverné le pays pendant des décennies et s’est discréditée en échouant à faire face aux enjeux migratoires et identitaires.

L’atonie de la position de l’Union européenne au lendemain de cet accord gouvernemental tranche avec la réaction qu’elle avait eu dans les années 2000 : est-ce le prix à payer pour maintenir la cohésion de l’organisation ?

L’Union européenne (UE) doit faire face à une crise de légitimité sans précédent depuis que le séisme économique qui l’a frappée en 2008 puis la crise des migrants en 2015 ont révélé qu’elle était mal préparée à affronter les défis du XXIe siècle. En outre, l’UE manque de moyens pour interférer dans les affaires intérieures d’un Etat dès lors que celui-ci respecte les traités européens et les valeurs fondatrices de l’UE. On a d’ailleurs déjà pu constater son mutisme dans l’affaire catalane qui relevait de la stricte souveraineté espagnole et dans laquelle elle a préféré rester en retrait. Si l’on ajoute à cela le fait que depuis les années 2000 plusieurs partis populistes en Europe ont noué des accords avec les partis traditionnels, ce qui a créé des précédents, on comprend que la marge de l’UE est très étroite. En effet, souvenons-nous de l’Italie en 2009 où le parti de Berlusconi a fusionné avec le parti d’extrême droite Alliance Nationale pour devenir le Parti du peuple de la liberté (PDL), ou encore de la Suisse et de la Norvège, certes non membres de l’UE, mais où les populistes ont négocié des postes de ministres et sont entrés au gouvernement de leur pays respectif, ce qui a créé un précédent sur le continent européen. L’Union européenne restera néanmoins vigilante à l’égard du nouveau gouvernement autrichien quant au respect des valeurs fondatrices de l’UE.

Les extrêmes-droites européennes semblent de plus en plus nombreuses à se retrouver aux responsabilités. Comment expliquer ce phénomène ? Assiste-on à l’émergence progressive d’un corpus idéologique transnational au sein des différentes formations d’extrême-droite européennes ou chacun des pays a ses spécificités ?

La poussée des partis national-populistes dans de nombreux pays d’Europe depuis une décennie est le fruit d’un faisceau de causes profondes qui ont été exposées à de nombreuses reprises par les spécialistes du sujet. Outre la crise économique de 2008 qui fragilise les situations individuelles et rend la tentation du repli national défendu par ces partis attrayante, la crispation identitaire d’une partie de la population européenne est aussi un phénomène déterminant. Cette crispation est une réaction à l’évolution structurelle des sociétés occidentales sous le coup des nouveaux enjeux que sont la crise migratoire, le rapport à l’islam et les attentats terroristes, et plus largement le phénomène de mondialisation qui fait craindre une dilution des identités nationales. Tout ceci a rendu le discours des partis national-populistes attractif. Ces partis partagent en effet une même hostilité à l’égard des flux migratoires et de l’UE, une même perception de l’islam identifié comme une menace pour les traditions européennes et une volonté commune de rendre le pouvoir au peuple contre les élites mondialisées. Mais tous ces partis ne sont pas pour autant des clones et chacun cultive ses propres spécificités nationales. Le national populisme est bien une nébuleuse et non pas un bloc !

 

 

Trump élargit l’Atlantique

Wed, 20/12/2017 - 10:36

Le point de vue de Pascal Boniface, directeur de l’IRIS

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