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Diplomacy & Crisis News

Le Corbusier

Le Monde Diplomatique - Wed, 01/02/2017 - 14:12

En touchant à une icône de sa profession, l'architecte Olivier Barancy a suscité des réactions parmi ses pairs. Olivier Gahinet conteste le propos de l'article « Quand Le Corbusier redessinait Paris » (janvier), extrait du livre « Misère de l'espace moderne » (Agone).

Le plan Voisin, que l'article attaque avec fureur, a été fait à l'époque où quelques visionnaires avaient compris que la ville traditionnelle ne pourrait plus croître comme auparavant. Ces architectes ont anticipé les questions posées par la voiture ; leur travail est respectable, et progressiste. Nous savons aujourd'hui que les solutions qu'ils ont proposées ne sont pas adaptées : non parce que la lumière, l'espace et la verdure que prône la charte d'Athènes seraient de mauvaises choses, au contraire, mais parce que la ville et l'automobile sont difficilement compatibles, et parce que la nature de l'espace public s'est révélée plus complexe qu'on ne le pensait à l'époque.

Néanmoins, les projets de Le Corbusier restent des jalons très importants dans l'histoire de la pensée urbaine et, contrairement à ce qu'affirme avec assurance Barancy, ses autres projets de villes sont très différents de celui-ci et de la « ville radieuse » : le plan Obus pour Alger, par exemple, particulièrement contextuel, déroule une longue ligne où la ville devient un seul bâtiment, où tous les logements profitent des vues et où, contrairement au caractère « totalitaire » qu'imagine l'auteur, chaque logement est construit comme il l'entend par l'habitant et vient occuper une « case vide » du projet.

Le Corbusier voudrait réduire la taille des appartements ? C'est une plaisanterie, je suppose : un bâtiment, aboutissement des réflexions sur la « ville radieuse » qui déclenche la fureur de Barancy, fut construit à Marseille après la guerre : la « cité radieuse » du boulevard Michelet. Qui a visité cette « unité d'habitation » ou y a vécu sait que les logements y sont extraordinaires, comme l'est le projet tout entier, qui est un des plus beaux, un des plus saisissants, un des plus rationnels et un des plus poétiques bâtiments de logements du XXe siècle. (...)

Il est curieux que Le Corbusier soit le seul des grands maîtres du mouvement moderne à être ainsi régulièrement attaqué. C'est qu'il fut le seul parmi ses pairs à s'intéresser à tout : à des immeubles bourgeois comme au logement social, à l'architecture comme à la ville, à la villa de luxe et à des maisons très modestes. Ainsi, la petite maison qu'il construisit pour sa mère au bord du lac Léman, et que Barancy évoque pour nous dire que le toit-terrasse fuyait autrefois : cette rengaine était déjà rabâchée dans les années 1920 quand on voulait critiquer l'architecture moderne, et mériterait de figurer au Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, à la place du fameux « Architectes : oublient toujours l'escalier des maisons ». Quiconque est un peu curieux du monde verra dans ces soixante mètres carrés un merveilleux cadeau, la lumière et la vue captées irradiant cet espace qui donne tant avec si peu de moyens, cet espace moderne que Barancy semble détester. (...)

Barancy reproche à Le Corbusier d'être fasciné par l'ordre. Cette discussion nous mènerait trop loin, mais, comme la poésie, l'architecture a évidemment à voir avec une « mise en ordre », comme le disait Jean Cocteau à propos de Pablo Picasso : « Les muses ont tenu ce peintre dans leur ronde / Et dirigé sa main / Pour qu'il puisse au désordre adorable du monde / Imposer l'ordre humain. »

On ne peut reprocher ce goût de l'ordre à Le Corbusier et, en en même temps, sembler lui imputer l'horreur de la ville capitaliste néolibérale d'aujourd'hui en laissant entendre qu'il l'aurait anticipée dans le plan Voisin. C'est ce qui préside au fait de juxtaposer le texte et les images de Bublex, lesquelles évoquent Pékin ou Shanghaï et pas du tout le plan Voisin. C'est une imposture : que Bublex se réfère, dans le titre de ses œuvres, au plan Voisin, c'est absurde, et plus encore pour les « plans » que vous montrez, qui n'ont rien à voir avec le plan de Le Corbusier... Que l'artiste voie là une démarche artistique et « conceptuelle », c'est possible ; prétendre que ces œuvres sont à leur place dans un article « informatif » sur le plan Voisin, c'est tromper le lecteur.

« L'Amérique d'abord ! »

Le Monde Diplomatique - Wed, 01/02/2017 - 14:12

Dès son premier discours de président, M. Donald Trump rompt avec ses prédécesseurs. Promettant, le ton rogue et le poing serré, que le slogan « America First » (« L'Amérique d'abord ») résume la « nouvelle vision qui gouvernera le pays », il annonce que le système international créé depuis plus de soixante-dix ans par les États-Unis n'aura plus pour fonction que de les servir. Ou pour destin de dépérir. Une telle franchise perturbe la tranquillité des autres nations, notamment européennes, qui feignaient de croire à l'existence d'une « communauté atlantique » démocratique, réglée par des arrangements mutuellement avantageux. Avec M. Trump, les masques tombent. Dans un jeu qu'il a toujours jugé être à somme nulle, son pays entend « gagner comme jamais », qu'il s'agisse de parts de marché, de diplomatie, d'environnement. Malheur aux perdants du reste de la planète.

Et adieu aux grands accords multilatéraux, en particulier commerciaux. Façonné par ses souvenirs d'écolier des années 1950, le nouvel occupant de la Maison Blanche remâche depuis des décennies la fable selon laquelle l'Amérique se serait toujours comportée en bon Samaritain. Et aurait, depuis 1945, « enrichi d'autres pays », lesquels, sous le parapluie protecteur de l'Amérique, ont « fabriqué nos produits, volé nos entreprises et détruit nos emplois » (1). De grandes fortunes autochtones ont assurément survécu au « carnage » qu'il décrit, dont son empire de résidences de luxe qui a essaimé sur quatre continents. Mais de telles arguties pèsent peu au regard du renversement idéologique qui se dessine : le président des États-Unis parie que son protectionnisme « apportera une grande prospérité et une grande force », au moment où, au Forum économique de Davos, le dirigeant du Parti communiste chinois propose de se substituer à l'Amérique comme moteur de la mondialisation capitaliste (2)…

Que dit l'Europe ? Déjà en voie de dislocation avant le coup de barre de Washington, elle regarde passer les trains et essuie, désemparée, les rebuffades de son parrain. M. Trump, qui la soupçonne (assez justement) d'être dominée par les choix économiques de l'Allemagne, s'est réjoui que le Royaume-Uni ait décidé de la quitter et méprise les obsessions antirusses des Polonais et des Baltes. Autant dire que les dirigeants du Vieux Continent, qui ont renoncé depuis des années à toute ambition contraire aux vœux de leur suzerain américain, risquent dorénavant de trouver porte close à l'ambassade des États-Unis où ils venaient rappeler leur loyauté (3). Rien ne garantit que l'unilatéralisme de M. Trump les contraindra enfin à renoncer au biberon de l'atlantisme et au dogme du libre-échange pour marcher sur leurs propres jambes. Mais l'année électorale en France et en Allemagne mériterait d'avoir cette exigence pour enjeu.

(1) Il y a trente ans déjà, le 2 septembre 1987, M. Trump avait acheté une page de publicité dans trois grands quotidiens américains de la côte Est pour y publier une lettre ouverte intitulée : « Pourquoi l'Amérique devrait cesser de payer pour défendre des pays qui ont les moyens de se défendre eux-mêmes ».

(2) « China says it is willing to take the lead », The Wall Street Journal Europe, 24 janvier 2017.

(3) Ainsi que l'ont établi les milliers de télégrammes diplomatiques publiés par WikiLeaks en décembre 2010. MM. François Hollande et Pierre Moscovici faisaient partie des visiteurs.

La Sago

Le Monde Diplomatique - Wed, 01/02/2017 - 09:37

La revue de l'association des espérantistes de langue française Sat-Amikaro déconstruit les stéréotypes qui traversent les manuels scolaires au sujet des langues. Un article revient sur le succès du dernier congrès mondial d'esperanto. (N° 113, janvier-février, bimestriel, 3,50 euros. — Paris.)

http://www.sat-amikaro.org/rubrique...

Atomes crochus

Le Monde Diplomatique - Wed, 01/02/2017 - 09:31

Enquête à l'appui, la nouvelle publication du collectif Arrêt du nucléaire présente la question des cuves du réacteur pressurisé européen (EPR) et des falsifications de pièces de fonderie essentielles à la sécurité comme le signe de l'effondrement « irréversible » de l'atome en France. (N° 5, janvier, prix libre. — c/o Lablanquie, 285, avenue de Verdun, 46400 Saint-Céré.)

http://journeesdetudes.org/atomescr...

Logement social à la parisienne

Le Monde Diplomatique - Wed, 01/02/2017 - 00:54

L'équipe du maire socialiste Bertrand Delanoë, élue en 2001, a relancé le financement d'un grand nombre de logements sociaux dans la capitale. Mais sa politique de mixité sociale « par le haut », loin de contrer le phénomène de gentrification, aboutit plutôt à le renforcer, confirmant ainsi un embourgeoisement entamé il y a un demi-siècle.

Paris n'a jamais cessé d'être le lieu de résidence privilégié de la bourgeoisie. Pourtant, jusqu'au début des années 1980, la ville est restée essentiellement populaire. Depuis, les anciennes usines ont été remplacées par des tours de bureaux ou transformées en ateliers d'artistes ; l'habitat ouvrier a été réhabilité et sert désormais de résidence aux cadres, aux ingénieurs et aux professions culturelles. Cette dynamique internationale de colonisation des centres-villes par les classes moyennes et supérieures est désignée par la géographie radicale anglo-saxonne sous le terme de « gentrification ». Les politiques publiques y jouent un rôle variable selon les contextes nationaux et locaux, l'« embellissement stratégique » mené par Napoléon III et le baron Haussmann à Paris sous le Second Empire formant le point de départ des politiques contemporaines de revalorisation du centre comme lieu de pouvoir.

Si l'« haussmannisation » n'est pas parvenue à faire de Paris une ville bourgeoise, elle a contribué à éviter le départ des classes dominantes en banlieue au XIXe siècle. Et aujourd'hui, l'habitat haussmannien sert de point d'appui à la gentrification dans les quartiers populaires du Nord et de l'Est parisien, soit un effet de cette politique à plus d'un siècle de décalage.

Les prémices de la gentrification parisienne sont donc anciennes, mais celle-ci ne progresse réellement qu'à partir des années 1960-1970. C'est en effet à cette époque que la base industrielle du Paris populaire commence à être remise en cause par une redistribution spatiale de la division du travail : avec l'aide de l'Etat, les usines sont progressivement délocalisées, d'abord en grande périphérie parisienne, puis dans la France rurale, et enfin à l'étranger. La désindustrialisation de Paris s'accélère dans les années 1980-1990 : la déréglementation et l'intégration internationale de l'économie favorisent la mise en concurrence de la main-d'œuvre ouvrière à l'échelle mondiale et facilitent la globalisation de la production industrielle, tandis que les emplois qualifiés se concentrent dans les métropoles comme Paris. Les emplois d'ouvriers déclinent alors que ceux des cadres et professions intellectuelles supérieures augmentent considérablement. La plus forte hausse s'observe parmi les professions de l'information, des arts et des spectacles, faisant émerger un nouveau groupe social autour des professions culturelles. Comme les cadres d'entreprise et les ingénieurs, la moitié de ces emplois en France est concentrée en Ile-de-France. C'est principalement au sein de cette nouvelle petite bourgeoisie que se recrutent les nouveaux propriétaires de logements qui investissent les quartiers populaires parisiens.

Néanmoins, l'évolution de la structure des emplois et l'émergence d'un nouveau groupe social ne suffisent pas à expliquer la gentrification de Paris. Les politiques de logement et d'urbanisme ont joué un rôle décisif dans la sélection sociale croissante. Dès les années 1960, bien plus que le déclin des emplois ouvriers, c'est la construction massive de logements sociaux en banlieue qui a entraîné le départ d'une partie des classes populaires du centre. A la fin des années 1970, plusieurs opérations publiques lancent la revalorisation des arrondissements centraux de la rive droite, comme l'achèvement de la rénovation des Halles avec la création d'une gare de RER reliée au nouveau pôle d'emploi de la Défense, ou la réhabilitation du Marais, ancien quartier aristocratique de la Renaissance devenu populaire au XIXe siècle. Dans le même temps, les opérations de démolition-reconstruction menées par l'Etat jusqu'en 1977, en partenariat avec des entreprises privées, remplacent l'habitat populaire ancien par des tours et des barres de logements privés et sociaux. Les luttes urbaines qui se développent à l'époque s'opposent à ce qu'on appelle alors la « rénovation-déportation ».

En 1977, Paris retrouve un maire et des compétences en urbanisme : la politique de rénovation est réorientée vers un urbanisme respectueux de la trame urbaine et des gabarits initiaux. On continue de démolir et de reconstruire, mais cette fois pour créer principalement des équipements et des logements publics, sociaux ou intermédiaires, dans le cadre du plan-programme de l'Est parisien de 1983. Cette politique a des effets sociaux paradoxaux : d'un côté, elle poursuit l'éviction des anciens habitants, et les logements publics intermédiaires contribuent à attirer des ménages des classes moyennes et supérieures ; de l'autre, les rénovations ont favorisé l'extension du parc social et plusieurs quartiers concernés sont restés populaires, relevant même aujourd'hui de la politique de la ville (1). Les opérations de rénovation n'ont donc pas accompagné clairement la gentrification. En entraînant la destruction du bâti ancien, elles ont même rencontré l'opposition des premiers « gentrifieur s » (2), notamment à Belleville (3), préoccupés par la sauvegarde du patrimoine architectural et de leur bien immobilier.

Dans les années 1980, c'est en effet l'initiative privée — des ménages acquérant un logement, rejoints ensuite par des promoteurs immobiliers pratiquant la vente à la découpe après travaux — qui est le moteur de ce mouvement. Appartenant au quart des ménages les plus riches d'Ile-de-France, les gentrifieurs parisiens sont proches de la quarantaine quand ils achètent un logement pour le réhabiliter avant d'y habiter. Il n'est pas rare qu'ils renouvellent cette opération plusieurs fois, suivant l'évolution de leur vie familiale et au gré des opportunités immobilières. « Nous avons choisi d'être propriétaires, même si c'était au départ habiter dans des choses très petites et des quartiers très populaires, ça a été notre stratégie », raconte l'un d'eux. Au lieu de quitter Paris pour la banlieue comme la plupart des jeunes actifs quand ils fondent une famille, les gentrifieurs expriment un refus viscéral de passer le périphérique : « Si on n'avait pas eu les moyens de vivre dans Paris même, on n'aurait pas… On serait partis dans une autre ville, quoi. Non non, certainement pas la banlieue ! », résume un autre. Héritiers de la culture étudiante du Quartier latin dans les années 1970, ils s'expatrient pourtant rive droite et, progressivement, de plus en plus loin à mesure que les prix de l'immobilier augmentent. Ainsi, dans les années 1980, une jeune diplômée habitait le 5e arrondissement : «  [C'était le] quartier des étudiants, très sympa. Et le jour où j'ai voulu acheter, vu les prix du 5e… Les quartiers les moins chers à l'époque, donc c'était… Je ne parle pas de la Goutte-d'Or [18e], mais… il y avait Bastille [11e], ça c'était super pas cher. » S'ils choisissent de rester à Paris, les plus chanceux s'offrent un cadre de calme et de verdure en investissant les anciennes cours industrielles de l'Est parisien : « C'est un élément décisif qui nous permet de rester à Paris, parce que c'est évident que si on habitait sur un boulevard, bruyant et sur lequel on ne pourrait pas ouvrir les fenêtres, on n'aurait peut-être pas la même approche de la situation. Là, on est un peu dans une bulle aussi, donc (...) on n'a pas les inconvénients de la vie urbaine. » Pionniers des repas entre voisins, les nouveaux habitants développent une sociabilité de l'« entre-soi » à la faveur de la fermeture de ces cours réhabilitées (4).

C'est seulement au milieu des années 1990, après l'élection de Jean Tibéri à la mairie de Paris, que celle-ci abandonne définitivement la rénovation pour se rallier à la réhabilitation en aidant les propriétaires privés, presque sans contrepartie. Ce soutien s'accompagne d'une panoplie de politiques publiques allant dans le sens des gentrifieurs — politique culturelle, promotion des espaces verts et des circulations douces, amélioration des espaces publics —, tandis que la production de logements sociaux est au plus bas. Après la crise immobilière de 1990-1991, les prix retrouvent une courbe ascendante entre 1998 et 2008. En dix ans, la frénésie d'achat a été soutenue par la baisse des taux de prêts bancaires et le prix moyen au mètre carré des appartements anciens a été multiplié par 2,8 à Paris, et par 3,5 dans un arrondissement proche du centre comme le 10e (5).

A Londres, le soutien à la réhabilitation privée de l'habitat a été beaucoup plus précoce, dès les années 1960, tandis que le désengagement de la production de logements sociaux et les nouvelles politiques de rénovation des quartiers populaires au profit des classes supérieures (notamment les anciens docks) ont commencé dès les années 1980. Paris se distingue donc de Londres par un soutien plus tardif et moins univoque des pouvoirs publics à la gentrification. Cela se traduit par la moindre rapidité du processus, qui s'étend sur plusieurs décennies. Comme le montre la carte ci-dessous, la gentrification s'opère par des fronts pionniers à partir des beaux quartiers de l'Ouest parisien (6).

Cette diffusion n'est toutefois pas linéaire. Elle a ses avant-postes que sont les lieux remarquables comme la Butte-Montmartre, les espaces verts ou les canaux. C'est le cas par exemple du canal Saint-Martin, ancienne concentration d'entrepôts industriels autour de laquelle les cafés ont joué un rôle important en revalorisant son image depuis la fin des années 1990. Parallèlement aux transformations dans l'habitat, ceux-ci ont attiré de nouvelles boutiques à la mode et la fréquentation de jeunes gens des classes moyennes et supérieures, qui s'approprient la quasi-totalité des berges en été pour pique-niquer. Cette dynamique se poursuit aujourd'hui le long du bassin de la Villette et du canal de l'Ourcq, jusqu'au parc de la Villette.

La gentrification a également ses stratégies de contournement pour éviter les quartiers les plus densément peuplés par les migrants. Perpétuant les dynamiques anciennes de renouvellement des quartiers populaires, ces derniers sont en effet venus remplacer dans l'habitat vétuste les ménages populaires français de naissance, ou ceux des premières vagues de migrations européennes, partis habiter en banlieue. Venus d'Algérie et des pays riverains de la Méditerranée, des anciennes colonies françaises d'Afrique subsaharienne, puis de pays comme le Sri Lanka et la Chine, les migrants forment aujourd'hui une part essentielle des classes populaires parisiennes. Dans certains quartiers d'habitat dégradé, ils ont également repris les commerces, ce qui leur confère une visibilité certaine dans l'espace public. Celle-ci constitue un frein à la gentrification en marquant la distance sociale et culturelle avec les gentrifieurs potentiels, ou en alimentant les fantasmes sécuritaires contemporains. Ainsi, dans le quartier central du Sentier (2e) et du faubourg Saint-Denis (10e), la gentrification a mis dix ans de plus qu'alentour à se produire, avec le soutien d'une opération publique de réhabilitation de l'habitat au début des années 2000. La pression immobilière finit par amener les gentrifieurs dans ces quartiers comme le bas Belleville (10e-11e) ou Château-Rouge (18e), dans le nord de la Goutte-d'Or.

Dans ces quartiers populaires et immigrés, les nouveaux arrivants évitent généralement de scolariser leurs enfants à l'école publique du quartier, et ont souvent recours à l'école privée. Leur vie de quartier se résume bien souvent à la convivialité entre voisins également gentrifieurs. D'abord dubitatifs face à ces quartiers dans lesquels la pression immobilière les contraint à investir, ils finissent par tenir des discours dithyrambiques sur la mixité sociale et culturelle : «  [Ce quartier] nous ouvre l'esprit, (...) il y a plein de choses, (...) il y a plein de gens différents... » Cet éloge de la mixité est une façon de justifier leur présence dans ces quartiers qu'ils contribuent à transformer. C'est aussi un moyen de se reconnaître entre eux. Tels les colons ou les expatriés en terre étrangère, ils savent tisser des liens avec leurs homologues du voisinage, organisant par exemple des vide-greniers entre différentes cours réhabilitées, mais portes closes pour le reste du quartier.

C'est dans ce contexte que la gauche dite « plurielle » (Parti socialiste, Verts, Parti communiste français) est élue à la mairie de Paris en 2001, puis réélue en 2008. Etant donné cet avancement du processus et l'impossibilité d'agir sur les prix immobiliers ou les loyers (ce qui est du ressort de l'Etat), sa marge de manœuvre pour enrayer les transformations à l'œuvre est limitée. D'ailleurs, M. Bertrand Delanoë et son équipe se gardent bien de critiquer frontalement la gentrification, privilégiant une approche par la mixité sociale, qu'il s'agirait de maintenir à Paris. La nuance est importante : il ne s'agit pas tant de limiter l'éviction des classes populaires que d'assurer un peuplement socialement mixte dans tous les quartiers de Paris. Cela passe par une politique de relance de la production de logements sociaux et de rééquilibrage géographique et social de ce parc de logements.

Pas toujours insalubres, les immeubles vétustes que l'on a détruits ou réhabilités pour créer du logement social formaient ce que l'on appelle le parc social de fait.

Cette relance est bien réelle : lors du premier mandat de M. Delanoë, trente mille logements sociaux SRU (7) ont été financés, contre environ neuf mille sous le mandat de M. Jean Tibéri, et le budget de la ville consacré à ce poste atteint en 2008 437 millions d'euros, soit un budget presque équivalent à ce que l'Etat consacre au logement locatif social dans toute la France. Elle n'en est pas moins structurellement limitée. Les terrains à bâtir étant devenus rares dans Paris, la création d'habitat social se fait en achetant les immeubles dont les investisseurs institutionnels (compagnies d'assurances, caisses de retraite, banques) se dessaisissent, et surtout en démolissant ou en réhabilitant des immeubles vétustes. Or ces dernières opérations réduisent le nombre de logements disponibles. Souvent petits, inconfortables (8) et surpeuplés, ces appartements n'étaient pas toujours insalubres et formaient ce que l'on appelle le parc social de fait. Leur disparition n'est pas compensée, loin s'en faut par la création de logements sociaux. Une minorité des classes populaires (qui accède aux nouvelles constructions) voit ainsi ses conditions de vie s'améliorer alors que la majorité de ces dernières est exclue de la capitale (et notamment les migrants primo-arrivants).

Par ailleurs, la volonté de rééquilibrage géographique de l'habitat social de M. Delanoë conduit à privilégier les arrondissements les moins pourvus — et notamment les beaux quartiers —, mais aussi à promouvoir les types de logement qui s'adressent aux classes moyennes (les PLS) (9) dans les arrondissements où le parc social est déjà important. La municipalité agit comme si la composition sociale de Paris était figée et que seule son action permettait de la « rééquilibrer », quartier par quartier. La gentrification en cours n'est donc pas prise en compte et l'action municipale dans les quartiers populaires contribue à l'accompagner en voulant y favoriser la mixité sociale par le haut. A Château-Rouge par exemple, marqué par la présence africaine (10) et où la gentrification commence difficilement, le maire du 18e, M. Daniel Vaillant, se fait fort de transformer le quartier par la modernisation de l'habitat, l'embellissement de l'espace public, l'implantation de résidences étudiantes ou encore la limitation des commerces africains (11), sans oublier l'omniprésence policière voulue par la préfecture. Cette politique est dans l'intérêt des gentrifieurs, qui l'ont bien compris. Comme l'indique l'un d'eux : « Moi j'aime bien ce côté Afrique et tout ça, en même temps, je sais que moi, si je veux revendre mon appart, c'est sûr que… je pense que ça va monter si cette population n'est plus là. »

En ce sens, ils sont pleinement en phase avec les politiques municipales, et presque tous se disent « de gauche », même s'il ne s'agit plus que d'une définition morale : « Pour moi, être à gauche, c'est être heureux qu'il y ait des différences, et trouver que les différences, c'est ce qui enrichit. C'est essayer d'être le plus possible vigilant… au partage… d'une qualité de vie quoi. » De fait, ils adhèrent pleinement à la politique de valorisation du cadre de vie, qui paraît faite pour eux. Il s'agit de « rendre Paris aux Parisiens », sans qu'il soit jamais dit que ces Parisiens ne sont plus les mêmes qu'avant. Etant nombreux à travailler dans le monde de l'information, de l'art et du spectacle, les gentrifieurs sont aussi les premiers destinataires de la politique culturelle de la municipalité, des résidences pour artistes aux spectacles de masse comme la « Nuit blanche », en passant par les nouveaux équipements culturels. Leur position politique reflète une position sociale particulière dans les quartiers populaires, qu'ils s'approprient et transforment progressivement. Tissée de contradictions, elle converge objectivement avec les ambitions de M. Delanoë et de son équipe, dont les politiques d'amélioration de l'habitat, d'équipements culturels et de revalorisation urbaine tendent à se concentrer précisément là où la gentrification semble encore balbutiante. C'est notamment le cas dans le nord de Paris, où a été lancé l'ambitieux projet Paris Nord-Est, qui entend faire émerger entre les portes de la Villette et de la Chapelle (18e-19e) un nouveau pôle tertiaire (bureaux, université), en s'appuyant notamment sur le canal Saint-Denis.

(1) Lire Sylvie Tissot, « L'invention des “quartiers sensibles” », page 56.

(2) On utilise le terme de « gentrifieurs » pour désigner ces ménages des classes moyennes et supérieures qui acquièrent un logement dans un quartier populaire et le réhabilitent. On distingue également des gentrifieurs dits « marginaux », qui sont plus jeunes et moins aisés que les précédents, mais travaillent aussi dans le domaine culturel (intermittents du spectacle, par exemple), achètent un logement grâce à un héritage et le réhabilitent par eux-mêmes. La gentrification passe aussi par la sélection croissante des locataires à travers la hausse des loyers.

(3) Patrick Simon, « La société partagée. Relations interethniques et interclasses dans un quartier en rénovation, Belleville, Paris 20e », Cahiers internationaux de sociologie, no 68, Paris, 1995, p. 161-190.

(4) Cf. « Les anciennes cours réhabilitées des faubourgs : une forme de gentrification à Paris », Espaces et Sociétés, nos 132-133, Paris, 2008, p. 91-106.

(5) Source : base BIEN de la Chambre des notaires de Paris - Ile-de-France.

(6) Cf. « Les dynamiques spatiales de la gentrification à Paris », site Internet Cybergeo (http://cybergeo.revues.org) pour comprendre le mode de construction de cette carte.

(7) La loi solidarité et renouvellement urbain (SRU, 2000) prévoit un objectif de 20 % de logements sociaux dans les grandes agglomérations, excluant le logement intermédiaire de la définition des logements sociaux.

(8) Selon la définition de l'Insee, il s'agit des logements non équipés de douche (ou de salle de bains) ni de WC.

(9) Depuis la réforme Barre de 1977, les plafonds de ressources ouvrant droit au logement social ont régulièrement augmenté. Aujourd'hui, près de 70 % des ménages vivant en France peuvent y accéder en théorie. Le PLS (« prêt locatif social ») correspond à un type de logement social pour lequel les plafonds de ressource sont supérieurs de 30 % à ceux du logement social classique. Il entre dans la définition des logements sociaux SRU et est financé intégralement par les collectivités locales (avec un simple agrément de l'Etat).

(10) Sophie Bouly de Lesdain, « Château-Rouge, une centralité africaine à Paris », Ethnologie française, vol. XXIX, no 1, Paris, 1999, p. 86-99.

(11) Il s'agit des commerces vendant des produits importés d'Afrique subsaharienne, dont les tenanciers ont des origines variées (chinoise, notamment). La mairie du 18e a tendance à classer dans les commerces dits « exotiques » ou « ethniques » tous ceux qui sont tenus en apparence par des immigrés, même s'il s'agit d'une boulangerie de quartier on ne peut plus classique..

The ‘Shia Crescent’ and Middle East Geopolitics

Foreign Policy Blogs - Tue, 31/01/2017 - 23:19

(alkhaleejonline.net)

In 2004, Jordan’s King Abdullah II used the term “crescent” to warn against the expansion of Iranian influence in the Middle East. This was later picked up by then Egyptian President Hosni Mubarak who said, in an interview with Al-Arabiya, that Shias in Iraq and across the Middle East “are more loyal to Iran… not to the countries they are living in.”

However, what King Abdullah II had meant was the possible disruption of the balance of power in the region. He never used the word “Shia” in a sectarian sense; he was rather referring to the political alignments and violent bloodshed that might result from such divides.

Lately, the same kind of “alarm” has being sounded by the Chief of Staff of the Jordanian Army, General Mamoud Freihat, who highlighted the dangers of an “Iranian Belt” which could create a territorial link between Iran and Lebanon via Iraq and Syria. In a recent interview with BBC Arabic, Freihat expressed Jordan’s concerns about the possible establishment of a “land belt,” or contiguous territory, between Iran and Lebanon.

Martin van Creveld, a distinguished military historian, once noted: “In the future, war will not be waged by armies but by groups whom today we call terrorists, guerrillas, bandits and robbers, but who will undoubtedly hit upon more formal titles to describe themselves.” Since that statement was written, the Middle East has indeed seen a huge proliferation of proxy wars, stemming from various non-state actors.

Sunnis in the Middle East look at what is happening (especially in Mosul in Iraq, and Aleppo and Raqqa in Syria) as a strategic war designed by Iran to secure a “Shia corridor” or an “imperial bridge” in the region. They also point to the “demographic change” being “engineered” to transfer the Sunnis out of their areas, whether in Syria or Iraq. To Shias, it is nothing but a battle against terrorism.

The “Shia crescent” brings the violence of the Sunni-Shia battles into our daily lives in new, unsettling ways, as if such terms (the crescent, corridors, the bridge, and so forth) are becoming a self-fulfilling prophecy. But measuring the phenomenon hardly tells us whether there is truth about its reality.

Those of us who take regional peace seriously face some important questions, among which is whether the policy findings emerging from statistical research still apply: that as national incomes increase, the risk of war declines. However, the Sunni-Shia divide predates the rise of nation-states or when conflict between Saudi Arabia and Iran started to surface. Thus, if fundamental policy differences among capable nations arise, then warfare over ideology or religion can also be resurrected.

Maybe this is what King Abdullah II meant around a decade ago: that even if traditional geopolitical competition still plays a role, one has to take into account a significant and fluctuating number of non-state actors, motivated by various ideological or religious causes, mutating into new hybrid threats, and frequently shifting alliances among them.

But is war not a quintessential undertaking of the nation-state? Indeed, the relationship between the two was expressed in Professor Charles Tilly’s famous line, “War made the state, and the state made war.”

The two primary regional powers (Saudi Arabia and Iran) continue to project their geopolitical influence using their interpretations of Islam as instruments of foreign policy. The danger thus lies in the politicization of sectarian identities: such as picturing groups, like the Alawites in Syria and Zaydis in Yemen, to be orienting into the Iranian orbit and/or the Shia establishment, although these “new” Shia were previously considered heretics by Sunnis and most Shias themselves.

The Arab world has already decided to characterize Iraq, for instance, as an Iranian client-state; the Shia constituents as Iranian proxies; and the Alawites and Houthis as subsets of Shia. Whether Iran has influence over the region, such classifications and simplistic narration are ironically becoming instruments serving the continuation of wars. In fact, the “crescent” is helped by the way the Arab world has historically treated the Shia communities as threats to the regimes, not as citizens with national identity, natural rights and responsibilities.

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Perspectives

Le Monde Diplomatique - Tue, 31/01/2017 - 18:54

Un dossier spécial sur la situation en Turquie après la tentative de coup d'État contre M. Recep Tayyip Erdoğan en juillet 2016. Avec cette interrogation essentielle : comment sauver la démocratie turque ? (N° 15, automne-hiver, semestriel. — Fondation RFIEA, Paris.)

http://rfiea.fr/publications/perspe...

China Brief

Le Monde Diplomatique - Tue, 31/01/2017 - 18:41

Pour sortir des idées reçues sur les relations Inde-Chine sont ici analysées les nouvelles doctrines militaires de Pékin, les réponses chinoises « modérées » face à la modernisation de l'armée indienne, la compétition des deux pays sur mer… (Vol. 17, n° 1, 13 janvier, gratuit sur le site de la Jamestown Foundation. — Washington, États-Unis.)

https://jamestown.org/programs/cb/

Le président américain peut-il être l’ennemi ?



Article paru dans The Conversation FR


Il est encore trop tôt pour savoir ce que sera la politique étrangère de la prochaine administration Trump. Trop tôt, également, pour juger de sa capacité à réagir avec compétence à une crise internationale majeure. Il est, en revanche, possible d’estimer que les bases d’une tension durable avec nombre de partenaires sont d’ores et déjà jetées.
Plusieurs facteurs hypothèquent désormais les relations de plusieurs capitales avec Washington : les provocations de Donald Trump sur plusieurs dossiers avant même son entrée en fonction, son incapacité à contrôler et à professionnaliser sa communication, le climat d’instabilité qu’il semble prompt à encourager, là où les relations internationales ont besoin d’apaisement.
Au final, le nouveau président pourrait prolonger, en l’aggravant, la perte de confiance déjà amorcée sous Barack Obama (mais pour des raisons opposées, puisqu’il s’agissait des hésitations du président sortant) entre les États-Unis et plusieurs de leurs alliés majeurs, avec en supplément une forte impopularité personnelle. Il importera, dans cette période difficile, de maintenir un contact étroit avec l’autre Amérique, responsable et compétente.
Des provocations aux effets durablesLes propos sur la construction d’un mur à la frontière mexicaine, sur les « violeurs » mexicains ou sur l’interdiction d’entrée des musulmans aux États-Unis, les jugements à l’emporte-pièce sur ses homologues ou collègues internationaux ont aliéné pour longtemps les opinions publiques des pays ou régions concernés, quand bien même leurs gouvernements respectifs s’efforceraient de garder leur calme. Ainsi, récemment, sur l’« erreur grave » d’Angela Merkel, dans son entretien avec Michael Gove et Kai Diekmann, dans le Times et Bild.
On a parfois voulu croire à des dérapages calculés, susceptibles de provoquer un choc salutaire dans des dossiers bloqués : c’est sans doute d’une grande naïveté. La promesse du candidat Trump de déménager à Jérusalem l’ambassade américaine auprès de l’État hébreu, si elle était mise à exécution, provoquerait une déflagration importante, une perte de confiance profonde, et donc une déstabilisation internationale majeure. En aucun cas une nouvelle chance pour la paix.
La remise en cause maladroite de la politique d’une Chine unique, qui a déjà porté un coup inutile à la relation avec Pékin, et inquiété les autres pays asiatiques par les remous qu’elle pourrait générer, conduirait à une escalade dangereuse si elle était poursuivie. Autrement dit, avant même l’installation physique de Donald Trump à la Maison-Blanche, le mal est fait : des coups ont été portés à la sérénité de plusieurs relations bilatérales, qui seront longues à réparer.
Le risque de décrédibilisation
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La gauche à l'épreuve de la politique étrangère


 Sommet de Minsk (Bélarus) en février 2015. Kremlin:Wikimedia, CC BY

Article paru dans The Conversation FR
En ces heures préélectorales où devrait s’imposer un débat sur la politique étrangère de la France, quels sont les référentiels, les visions éventuelles des principales forces politiques en la matière ? Après avoir examiné récemment le cas de la droite républicaine, et au moment où se déroule la primaire de ce côté-ci de l’échiquier politique, voyons celui de la gauche de gouvernement.
La Ve République a connu deux présidents issus du Parti socialiste (PS) : François Mitterrand (1981-95), puis François Hollande (depuis 2012). Elle a connu deux autres périodes pendant lesquelles la gestion des Affaires étrangères est revenue à la gauche : la cohabitation de 1997-2002 avec Hubert Védrine comme ministre de Lionel Jospin sous la présidence de Jacques Chirac, et la présence de Bernard Kouchner au Quai d’Orsay de 2007 à 2010 (ainsi que de Jean-Pierre Jouyet au Secrétariat d’État aux Affaires européennes de mai 2007 à décembre 2008), dans le gouvernement de François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy.
Au-delà du consensus gaullo-mitterrandienQuelques remarques préalables s’imposent. Il est difficile, en France, d’étiqueter une politique étrangère comme étant de gauche ou de droite. Si la volonté – réelle ou affichée – de maintenir un consensus sur les politiques régaliennes est forte, de nombreux clivages sont transpartisans : sur la relation franco-américaine ou franco-russe, sur le conflit israélo-palestinien… Enfin, gauche comme droite ont eu recours à la mobilisation du référentiel gaulliste en matière d’action extérieure, au point que l’ancien ministre des Affaires étrangères Hubert Védrine (par ailleurs auteur du principal ouvrage bilan sur la politique étrangère de François Mitterrand) avait proposé le vocable d’approche « gaullo-mitterrandienne ».
La relation de la gauche de gouvernement à la politique étrangère, sous la Ve République, peut naturellement faire l’objet de nombreux clichés, qui aboutiront généralement à la conclusion qu’une fois aux affaires, la gauche a trahi ses promesses. Elle peut s’aborder plutôt à la lumière de bilans historiques concrets, pour tenter de déceler, à partir des pratiques et non des idéaux, quelques grandes caractéristiques de ce que fut la politique étrangère telle que mise en œuvre par la gauche.
Il est possible, enfin d’essayer, d’imaginer ce que pourrait être, à l’avenir, une politique étrangère française qui s’assumerait comme de gauche, à la fois réaliste et portant la marque d’ambitions spécifiques.
Les clichésOn pourrait dresser une longue liste d’impératifs dits de gauche en matière de politique étrangère. On imagine ainsi une diplomatie nécessairement universaliste, prônant une solidarité étroite avec les pays les plus pauvres, critique à l’égard des plus riches, à commencer par les États-Unis, sceptique à l’égard de l’OTAN comme des grandes instances économiques internationales (comme Jeremy Corbyn au Royaume-Uni). On l’imagine encore nouant des contacts plus étroits avec des pays dont l’histoire fut révolutionnaire ou anticoloniale, avec des régimes laïcs ou républicains plutôt que monarchiques. « La gauche c’est l’Algérie, la droite c’est le Maroc », entend-on souvent en France.
On la suppose encore, cette politique étrangère de gauche, anti-interventionniste sur le plan militaire, sinon antimilitariste, en tout cas plus pacifiste que la droite, au nom – entre autres – d’un Jaurès dont on oublie trop souvent les écrits sur « l’armée nouvelle ». Anticapitaliste forcément, peut-être (même si ce n’est pas l’apanage de la gauche) écologiste – comme Joschka Fischer en Allemagne – et/ou féministe – comme Margot Wallström en Suède –, augmentant l’aide au développement tout en en critiquant les mécanismes aliénateurs, éprise de sécurité humaine plutôt que nationale. Les attentes ne manquent pas.

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North Korea’s ICBM Threat and the Trump Administration

Foreign Policy Blogs - Tue, 31/01/2017 - 14:18

North Korea claims to be close to test an intercontinental ballistic missile (ICBM) as recently reported by the official KCNA news agency. During his annual New Year’s address Kim Jong-un expressed the country’s renewed ambition to foster its nuclear defense capabilities through the forthcoming acquisition of ICBM capabilities.

A North Korean ICBM would represent an additional fracture in the delicate regional security balance, not to mention a direct threat to the continental U.S.—potentially exposed to a direct nuclear strike.

Washington remains extremely vigilant about the threat represented by Pyongyang’s nuclear and ballistic defense program. As stressed by former Defense Secretary Ash Carter, the U.S. is ready to intercept and neutralize any missile “if it were coming towards our territory or the territory of our friends and allies.” South Korea and Japan have expressed their concern over their neighbor’s continuously provocative behavior, calling for stronger sanctions in response to a plausible ICBM test.

Pyongyang could decide to conduct a new ballistic test in the early weeks of the new administration to gauge President Trump’s response. According to U.S. intelligence, the intensification of the activities near North Korea’s Chamjin missile factory could be linked to an incoming ballistic test. Furthermore, Pyongyang has previously conducted ballistic tests during the early months of President Obama’s first and second terms.

While Pyongyang’s harsh confrontation with Washington and its allies has often been characterized by inflamed tones and warmongering propaganda, a successful ICBM test could have dramatic consequences, triggering a major crisis in the peninsula.

Although Trump has expressed his suspicions about Pyongyang’s real ability to reach such a relevant milestone, last year North Korea conducted 25 ballistic missile tests and five nuclear tests, threatening the peace of the region. North Korea’s ballistic arsenal is fully equipped with several Musudan (Hwasong-10) intermediate-range ballistic missiles, increasing its ability to strike Japan and the U.S. territory of Guam.

North Korea’s nuclear and military provocations have been condemned by the international community unanimously. Nevertheless, the imposition of new UN sanctions have not produced the expected result to bring back Pyongyang to the negotiating table.

Although the regime may be close to test a new ballistic test, the acquisition of a fully operative ICBM able to strike the continental U.S. would require several years to be completed. Many experts believe that North Korea will be able to produce an ICBM by 2020 and also has acquired enough plutonium to build ten warheads.

In recent years, North Korea’s leadership has resorted to the celebration of the country’s nuclear power status to prevent any shift in the Korean peninsula while maintaining the centrality of the divine right of the Kim family unchallenged. As it appeared evident during Obama administration, North Korea leadership has shown no intention of giving up its nuclear program—its best bargaining chip—in exchange for energy, food aid and other economic benefits.

Pyongyang has relied on the nuclear program to engage Washington and even explore the possibilities of a full normalization of relations as in the 1994 U.S.-North Korea Agreed Framework. The sudden rise of Kim Jong-un to the highest ranks of the KWP and as “Great Successor of the revolutionary cause of the Juche” and his later ascension to power marked a critical acceleration of nuclear and ballistic activities.

Since then, Pyongyang has maintained a strong priority on the acquisition of nuclear and missile capabilities, as a fundamental consecration of North Korea’s nuclear power status, already enshrined in its 2012-revised Constitution. Moreover, the North Korea elites strongly emphasize its manifest destiny as a nuclear power nation and consider the expansion of its nuclear capabilities the most efficient way to demand the universal recognition of its new status.

During his campaign, President Trump has several times questioned Washington’s security commitment overseas, stressing his willingness to withdraw American troops from South Korea while encouraging Japan to acquire nuclear weapons to enhance its deterrence. Trump’s election has indeed raised questions about the future of American pivot to Asia inaugurated by his eminent predecessor.

Nevertheless, the Trump administration will be extensively engaged to address North Korea’s nuclear assertiveness, reassuring critical allies such as Japan and South Korea about Washington’s commitment to upholding regional security and the denuclearization of the Korean peninsula.

Like the previous administration, Trump will be facing a difficult decision in defining the contours not only of the Korean Peninsula’s strategic balance, but also in renovating Washington’s commitment in the Asia-Pacific region, constantly exposed to fundamental changes in the security dynamics.

The Trump administration has already expressed its willingness to support critical strategic initiatives such as the THAAD while upholding the existing security alliance between Washington and Seoul, as stressed by US national security advisor Michael Flynn during a recent meeting with his South Korean counterpart Kim Kwang-jin.

This approach follows the footsteps of the Obama administration, whose “strategic patience” strategy has been strongly contested by Republicans who see it as the wrong approach to induce Pyongyang to abandon its dreadful intents as a precondition to return to the negotiating table.

Under the previous administration, Washington has maintained a solid commitment in opposing North Korea’s nuclear ambitions, calling for a wider support from the international community, and particularly from China as a critical player, in demanding Pyongyang to comply with UN security resolutions.

A nuclear-armed North Korea remains a direct threat to Beijing’s core strategic interest and Chinese elites have already experienced frustration given their inability to persuade the former ally to restrain its nuclear ambitions.

The Obama administration has sought a closer cooperation with Beijing in imposing additional costs on Pyongyang for its belligerent activities, encouraging China to play a more effective role in implementing UN Security Council decisions against the North Korea.

Contrastingly, the Trump administration has already caused created frictions with Beijing, questioning the longstanding “One China Policy”, while considering more confronting strategies to challenge China’s presence in the South China Sea as stressed by the incoming Secretary of State Rex Tillerson.

Mr.Trump’s harsh remarks over China’s economic policies have indeed raised questions about the future of Sino-U.S. relations and how this is going to affect the recalibration of Washington’s foreign policy in the Asia-Pacific region.

Despite the initial criticisms, China remains a critical partner in ensuring the fulfillment of the denuclearization of the Korean peninsula. Yet, Trump’s remarks over China and his threats to launch a trade war against Beijing could alienate Beijing’s desire to cooperate in dealing with the North Korea.

The Trump administration could have to confront as a serious crisis on the Korean Peninsula even before defying the new engagement strategy and the characteristic of its commitment in the region.

Strengthening the level of engagement with its close allies and defying a common and joint strategy to address the North Korean issue would be a valuable tool to mitigate the risk of a dangerous crisis in the Korean Peninsula.

Moreover, without a joint effort with Beijing in deterring Pyongyang through a marked increase of the economic and diplomatic pressure, little or virtually no results can be achieved on this issue.

The Trump administration might consider the implementation of partnerships and practices, inaugurated by the previous Administration rather than complying with his initial proclaims.

Despite the rising tensions, a renewed entente with Beijing is critical to deal with the North Korea’s nuclear program, whose spillover effects caused by Pyongyang’s nuclear and ballistic activities remains the most immediate threat to Washington’s security regional architecture and strategic interest.

Yet, it remains difficult to predict how the new administration will be able to define a new strategy without the contribution of Beijing in defusing such a dreadful scenario.

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Crépuscule de l'« extrême centre »

Le Monde Diplomatique - Tue, 31/01/2017 - 01:23

Le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) a décidé le 23 octobre de laisser le conservateur Mariano Rajoy former un gouvernement. La décision met fin à dix mois de blocage institutionnel. Elle donne également corps à la « caste » que dénonce la formation Podemos : un camp politique soucieux de préserver le statu quo, alors que la critique du système s'intensifie dans la population.

Alberto Magnelli. — « Opposition n° 1 », 1945 © ADAGP, Paris, 2016 - Cliché : Banque d'images de l'ADAGP

La politique européenne traverse une période de polarisations. Ce processus n'est pas né par hasard. Il répond à la radicalisation du projet néolibéral après la crise financière de 2008 : augmentation brutale des inégalités, accélération de la destruction de l'État-providence, expulsion de millions de travailleurs de ce qui leur donnait jusqu'ici accès à la pleine citoyenneté — l'emploi... Une série de bouleversements économiques et sociaux ont bousculé les fidélités partisanes, renversé les consensus d'antan et conduit à des glissements tectoniques dont nul ne saurait prédire l'aboutissement.

Pourquoi parler de polarisations, au pluriel ? Parce que, même si elles résultent le plus souvent de phénomènes liés aux politiques européennes (l'austérité, le problème des réfugiés, etc.), celles-ci se traduisent par des affrontements structurés sur le plan national et varient d'un pays à l'autre.

Ces polarisations ne délimitent pas des champs aussi opposés que les bornes d'une pile électrique. Certains voisinages peuvent même surprendre, comme sur la question de la sortie de l'Union européenne. Ici, l'opposition « gauche-droite » nous éclaire moins qu'une autre, structurée autour de la question de la souveraineté nationale. Parmi les partisans de la sortie, on trouve une partie de l'extrême droite aux côtés de certains secteurs de la gauche radicale. Côté « européiste », la chancelière allemande Angela Merkel et l'un de ses principaux adversaires de l'année 2015, le premier ministre grec Alexis Tsipras. Tous deux s'entendent pour subordonner l'indépendance nationale à la consolidation de l'Union — même si l'effort coûte moins à la première, dont le pays joue le rôle de boussole pour Bruxelles. En dépit de leur proximité stratégique, ces étonnants compagnons de route ne partagent toutefois aucune ambition politique…

L'enchâssement de polarisations multiformes caractérise la période de recomposition des camps que nous connaissons. Les antagonismes se déplacent : ils s'expriment souvent par le biais de séismes électoraux qui effraient les élites — le vote en faveur du « Brexit », la victoire de Syriza en Grèce, les scores obtenus par Podemos en Espagne, etc. — mais qui affectent finalement très peu la vie quotidienne des peuples. Nous n'en sommes toutefois qu'aux prémices d'une reconfiguration politique, économique et culturelle à l'échelle du continent…

D'importantes mutations s'observent déjà. L'intellectuel Stuart Hall a défini la politique menée par la première ministre britannique Margaret Thatcher dans les années 1980 comme un « populisme autoritaire », conçu pour répondre à l'affaiblissement de la social-démocratie keynésienne d'après-guerre. Opérant la fusion de l'argent et du pouvoir, cette révolution conservatrice a connu sa principale victoire avec l'apparition de la « troisième voie » travailliste, incarnée par M. Anthony Blair (1). Interrogée sur sa plus grande réussite, la Dame de fer n'avait-elle pas répondu : « Tony Blair et le New Labour (2)  » ? Cette mutation de la social-démocratie en social-libéralisme a produit ce que l'intellectuel britannique Tariq Ali appelle l'« extrême centre », qui réunit la gauche proentrepreneuriale et la droite pro-patronale au service des « 1 % », l'élite oligarchique des plus riches. Ce camp connaît aujourd'hui une crise qui renforce des organisations jusque-là cantonnées aux marges. Dans la plupart des cas, le phénomène a conduit à un déplacement du champ politique vers la droite. Mais pas toujours.

En Grèce, par exemple, la crise de la social-démocratie s'est traduite par de longs mois de lutte contre des gouvernements d'« extrême centre » soumis à la « troïka » (Banque centrale, Commission européenne et Fonds monétaire international). Cette lutte s'est soldée par la victoire de Syriza aux élections législatives de janvier 2015 et par la marginalisation du parti socialiste grec, le Pasok. Mais, dans sa confrontation avec les institutions européennes, Syriza a refusé d'envisager la moindre perspective de rupture. L'échec de cette stratégie réformiste l'a conduit à se transformer en équivalent fonctionnel de son adversaire social-libéral d'hier... En Autriche, au contraire, le vote protestataire a profité à la formation d'extrême droite Freiheitliche Partei Österreichs (Parti de la liberté, FPÖ).

La crise des réfugiés structure un autre axe de polarisation. Pour l'heure, la réponse de la plupart des dirigeants européens a été la fermeture des frontières — une autre conséquence de l'austérité. Car, bien au-delà des coupes budgétaires et des privatisations, celle-ci impose ce que l'économiste Isidro López a qualifié d'« imaginaire de la pénurie », l'idée qu'« il n'y en aura pas pour tout le monde » et que, par conséquent, certains sont « en trop » (3). Organisant l'opposition entre identité nationale et citoyenneté, cet axe de polarisation profite aux classes dominantes, dont la responsabilité s'efface derrière la mise en accusation des plus fragiles : les migrants, les étrangers ou, tout simplement, les « autres ».

Elle aussi contradictoire, la campagne autour du « Brexit » a montré que le manque de solution politique crédible à l'échelle européenne laissait le champ libre à la peur, à la xénophobie, au repli identitaire, à l'égoïsme et à la recherche de boucs émissaires. La campagne s'est organisée autour de diverses préoccupations populaires, dont celle liée à la dégradation de la démocratie. Certaines formations, pas toujours de gauche, comme le Parti pour l'indépendance du Royaume-Uni (UKIP), se sont emparées de cette inquiétude, prenant dans leurs discours la défense du peuple contre les élites, de « ceux d'en bas » contre « ceux d'en haut ». Et elles ont convaincu. La nouvelle première ministre britannique Theresa May a fait de même récemment.

Le Mouvement 5 étoiles, en Italie, offre l'une des expressions les plus éclatantes de ce vote de protestation. La formation de M. Giuseppe (« Beppe ») Grillo résulte d'une double dénonciation : celle de la montée en puissance d'un populisme autoritaire incarné par le berlusconisme et celle d'une gauche en décomposition à la suite de son soutien au gouvernement de M. Romano Prodi. Mais dénoncer revient à se définir en négatif : reste la question de l'identification du projet que l'on souhaite porter.

Certes, le flou peut s'avérer fertile. Quel était, en Espagne, le 15 mai 2011 et les jours qui suivirent, le cri du mouvement d'occupation des places (le 15-M) ? « Ils ne nous représentent pas ! », une dénonciation du choc austéritaire imposé par le gouvernement et de la corruption de la classe politique. Ce cocktail explosif a brisé les consensus sociaux sur lesquels reposait la légitimité du régime né de la Constitution de 1978 (4). Pas de projet : un rejet.

Le cas espagnol éclaire fort bien le phénomène qui nous intéresse ici. Tout d'abord dans la mesure où le pays a servi de laboratoire à la mise en œuvre des mesures d'austérité exigées par l'Union européenne. En second lieu, parce que le pays avait connu l'émergence d'un imaginaire consacrant l'endettement comme mode de vie. L'éclatement de la bulle immobilière a révélé les illusions d'une telle vision et introduit une dissonance dans l'environnement culturel qui alimentait les rêves de prospérité des classes moyennes propriétaires. Conséquence ? Une désaffection à l'égard du monde politique semblable à celle qui s'exprime dans toute l'Europe et qui bascule de tel ou tel côté de l'échiquier en fonction de l'existence — ou non — de luttes sociales animées par des organisations populaires.

Dans un tel contexte, l'irruption de Podemos, en 2014, représente un pas de plus dans cette distanciation des populations vis-à-vis des élites. Elle s'inscrit dans la foulée du 15-M, des élans de solidarité avec la Plate-forme des victimes des hypothèques (PAH) ou des « marées », ces mouvements sociaux identifiés par la couleur vestimentaire adoptée lors des manifestations : blanc pour la santé, vert pour l'éducation, rouge pour la science, bleu pour la défense de l'eau, noir pour la défense des conditions de travail des fonctionnaires et contre les coupes budgétaires, violet pour les droits des femmes…

Il serait toutefois prématuré de proclamer le trépas des partis de l'« extrême centre », à tout le moins en Espagne. D'ailleurs, notre formation n'est pas parvenue (bien qu'il s'en soit fallu de peu) à dépasser le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) lors des dernières élections générales (5). Depuis décembre 2015, le pays n'a toujours pas réussi à se doter d'un gouvernement, et il a dû organiser de nouvelles élections en juin 2016 — une première dans son histoire récente. On ne saurait comprendre cette instabilité sans prendre en compte ce climat de polarisations, dans la rue comme au Parlement. La capacité des élites (et des appareils) à se réorganiser demeure colossale, tandis que les difficultés à constituer un bloc social affichant un projet de rupture demeurent. Reste que, peu à peu, de nouvelles façons de voir le monde et de nouvelles forces sociales se construisent.

Dans ce contexte de polarisations, la lutte pour la construction d'une majorité sociale ne se mène pas au centre de l'échiquier politique, mais sur ses côtés : là où s'organise la lutte entre peuple et élites comprise dans son sens le plus strict d'antagonisme de classe. Née pour freiner la saignée qui prive la population de droits conquis de haute lutte, cette confrontation offre une occasion stratégique : celle d'en conquérir de nouveaux et d'inventer des formes démocratiques inédites.

En deux ans, des milliers de personnes sont passées par les cercles de Podemos. Mais, si toutes ont voté pour ce parti lors des divers scrutins, la plupart n'ont pas participé de manière régulière à la vie de ses structures de base. Podemos a su donner corps à une politique « de l'exceptionnel », parvenant à mobiliser des millions de personnes lors d'événements ponctuels, mais s'est montré moins habile à proposer une politique « du quotidien », à créer une communauté, des solidarités, des réseaux de soutien mutuel susceptibles de renforcer la résistance et les luttes. Nul doute qu'il ne parviendra pas seul à « territorialiser la politique ». Il lui faudra travailler avec d'autres acteurs pour tisser des liens dans tous les espaces de la vie sociale et générer des institutions de classe autonomes, capables de résister aux assauts des néo-libéraux. Il s'agit là de l'un des principaux défis pour la prochaine période, si nous souhaitons éviter deux écueils : rester dans les mémoires comme un parti-éclair, mort aussi vite qu'il était né ; ou nous transformer en une formation de plus, à l'image des autres. Le mouvement du 15 M a ouvert le cycle politique qui a rendu possible l'émergence de Podemos, mais le passage à la nouvelle étape de la vie du parti requiert un retour de la mobilisation sociale et une intensification du phénomène de polarisations. Alors s'ouvrira la voie du changement, interdisant la restauration du régime actuel.

« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair-obscur surgissent les monstres », écrivait l'intellectuel sarde Antonio Gramsci en une formule souvent citée en ce moment. Dans le camp antisystème, deux pôles se forment : l'un promeut la xénophobie, l'autre, la lutte des classes. Les monstres surgissent quand le champ de bataille politique se structure autour des questions d'identité ou d'appartenance nationale plutôt que de démocratie et de justice sociale.

(1) Lire Keith Dixon, « Dans les soutes du “blairisme” », Le Monde diplomatique, janvier 2000.

(2) Conor Burns, « Margaret Thatcher's greatest achievement : New Labour », CentreRight, 11 avril 2008.

(3) Isidro López, « Seis tesis sobre la Unión Europea », La Circular, 2 juin 2016.

(4) Lire Renaud Lambert, « Podemos, le parti qui bouscule l'Espagne », Le Monde diplomatique, janvier 2015.

(5) 20,68 % des voix pour Podemos contre 22 % pour le PSOE lors du scrutin du 20 décembre 2015 ; puis respectivement 21,10 % et 22,66 % lors du scrutin du 26 juin 2016.

Syrie. Anatomie d’une guerre civile

Politique étrangère (IFRI) - Mon, 30/01/2017 - 12:32

Cette recension a été publiée dans le numéro d’hiver de Politique étrangère (n°4/2016). Rémy Hémez, chercheur au Laboratoire de recherche sur la défense (LRD) à l’Ifri, propose une analyse de l’ouvrage d’Adam Baczko, Gilles Dorronsoro et Arthur Quesnay, Syrie. Anatomie d’une guerre civile (CNRS Éditions, 2016, 416 pages).

Ce livre, co-écrit par Gilles Dorronsoro, professeur à l’université Paris 1, et deux doctorants, Arthur Quesnay et Adam Baczko, étudie en profondeur de la guerre civile syrienne. Les auteurs ont réalisé 250 entretiens, pour une bonne partie en Syrie, entre décembre 2012 et janvier 2013, et en août 2013, à une époque où il était encore possible d’accéder à la zone de guerre. Ils distinguent trois étapes dans la révolution syrienne.

La première, en 2011, est une phase de contestation politique essentiellement pacifique. Une telle contestation paraissait improbable pour la plupart des spécialistes, mais le fait même qu’elle ait existé permet de comprendre a posteriori les faiblesses du régime, à savoir son absence de base sociale et son manque de maîtrise des effets politiques du néolibéralisme. Les auteurs mettent également en avant l’influence des printemps arabes, mais aussi les « processus de délibération dans les sphères semi-privées » pour expliquer l’émergence des manifestations. Pour autant, le régime de Bachar Al-Assad ne tombe pas. Les protestataires n’ont pas bénéficié de relais institutionnels, et l’armée syrienne n’a pas joué le rôle de ses homologues tunisienne ou égyptienne. La violence croissante de la répression a, par contre, poussé à la militarisation de la lutte.

Débute alors une phase « d’insurrection unanimiste » (2012-2013), avec un phénomène remarquable par rapport à d’autres guerres civiles : l’absence de territorialisation des groupes armés. L’extension rapide des zones contrôlées par l’insurrection se clôt à l’été 2012, au moment où, pourtant, la guerre semblait perdue pour le régime. Ce dernier a pourtant pu regrouper assez ses forces pour résister et empêcher l’insurrection de prendre les bastions de l’armée.

La prolongation des combats produit notamment l’éclatement et la radicalisation de l’insurrection après 2013. Les auteurs soulignent bien que cette phase est d’abord le reflet de « logiques exogènes », incarnées à la fois par l’intervention de puissances étrangères et par l’implication de deux mouvements transnationaux : Daech et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ces groupes – qui font l’objet de deux chapitres passionnants – combattent pour la conquête de territoires et l’imposition de modèles politiques radicalement différents.

Les auteurs ne bornent pas leur étude aux combats, à la lutte contre le terrorisme ou aux problématiques humanitaires qui mobilisent la plupart des analystes. Ils s’intéressent à des questions aussi variées que l’administration de la révolution, la mobilisation hors de Syrie, les différents usages de l’islam ou les problématiques économiques.

Clair et bien écrit, cet ouvrage est une référence essentielle pour tous ceux qui s’intéressent au conflit syrien. On regrettera seulement que les informations sur la période post-2013 soient plus parcellaires que celles qui concernent la période 2011-2013. On attend avec impatience les autres travaux de cette équipe, puisque ce livre constitue la première pierre d’un projet d’étude plus large sur les guerres civiles contemporaines.

Rémy Hémez

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In the Name of Europe

German Foreign Policy (DE/FR/EN) - Mon, 30/01/2017 - 00:00
(Own report) - The first telephone call between the German chancellor and the US president was flanked by appeals for the EU to close ranks. Following Saturday's call, both parties declared that they would "deepen" their bilateral relations. However, Berlin is preparing to assert its own interests offensively vis-à-vis Russia - also with the EU's help. This is why the EU must finally "close ranks," as German politicians are demanding. On Saturday, on his first foreign visit as German Foreign Minister, Sigmar Gabriel met his Parisian counterpart Jean-Marc Ayrault. His vigorous insistence "that Germany and France demonstrate they have common positions on nearly all issues" was also aimed at closing the EU's ranks. While Gabriel was visiting France, the seven southern European countries' heads of states and governments - including the French president - were meeting in Lisbon to determine their own positions, also regarding their economic policy. In view of British Prime Minster Theresa May's recent visit to the USA, observers note that the Brexit is creating "a second geopolitical pole in Europe," and "for Germany, which has become accustomed to speak in the name of Europe, [...] this is not a favorable development."

Beijing’s Development Bank Gains Momentum

Foreign Policy Blogs - Sun, 29/01/2017 - 19:22

Founding members of the Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB). (China.org.cn)

The previous Obama Administration has long been opposed to joining the Beijing-led development bank initiative called the Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB). U.S. concerns over the bank include transparent procurement, environmental and social safeguards, good governance, and additionality—given the existing and wide-ranging operations of the World Bank, International Finance Corporation (IFC), Asian Development Bank (ADB) and the European Bank for Reconstruction and Development (EBRD).

Despite U.S. objections and concerns, China’s $100 billion initiative seems determined in its quest for respectability and prominence. Now it appears that the U.S. will be one of the few major countries (along with Japan) not to back Beijing’s initiative. The Financial Times recently reported around 25 African, European and South American countries are due to join the bank this year, which was founded in January 2016 by 57 shareholder countries. Among the founding members are Singapore, Britain, Australia, France, Germany and Spain.

Following Chinese President Xi Jinping’s comments at the World Economic Forum in Davos, it would seem to some that Beijing has superseded Washington in pushing forward a liberal, globalized order. Beijing is also using the AIIB to further its efforts at soft power. Jin Liqun, the Chinese president of the AIIB recently argued, “China needs to do something that can help it be recognized as a responsible leader.”

In light of the “America First” inauguration speech by U.S. President Donald Trump, and inflammatory rhetoric from his cabinet nominees toward China, it is highly unlikely the new Trump Administration will join any Beijing-led initiative.

Critics say in refusing to join, the U.S. will forfeit any say in how the AIIB is run, including any input on environmental safeguards, transparency on potential corruption. Hopefully, other responsible founding shareholder countries should be able to impose, monitor and enforce protective measures. In addition, some of the AIIB’s nine current projects involve co-financing arrangements with other multilateral banks such as the World Bank, which has its own set of rules to deter unfair play and abuses.

Yet other multilateral banks, such as the World Bank, have been faulted in the past for their association with environmentally questionable and potentially corrupt projects. Despite this potential, and with or without U.S. membership, the AIIB still deserves a chance to offer a new alternative and prove itself to be a viable development finance institution.

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5 Territorial Disputes to Watch Out for in 2017

Foreign Policy Blogs - Sun, 29/01/2017 - 17:48

For several places around the world, 2017 could be a watershed year, as various territorial disputes threaten to boil over amidst a climate of global uncertainty.

Much like fights over territory itself, the concept of territory has disputed roots. It is not uncommon to associate ‘territory’ with ‘terra’ as in terra firma (or terroir to wine connoisseurs). However, some scholars suggests an alternative root—‘terror’. Here, territory belongs to those who are able to instill fear such that those living within its boundaries are obliged to respect the laws and norms of their respective rulers. This is the very core of the Hobbesian concept of sovereignty and gets to the heart of territorial disputes. At the moment, fear may be the more useful concept when evaluating contested territories—fear present in governments, policy makers, and businesses.

More acutely, potentially significant shifts in policy from the incoming Trump administration have created significant ambiguity in the role the United States may play in these disputes. Other challenges have also served to fan the flames in several specific hot spots. Any such shift, from recent elections or other sources, will likely have follow-on effects as states, NGOs, and other actors alter their own positions in response. Below are five territorial disputes that may be exacerbated over the next year.

South China Sea

China claims large portions of the South China Sea. To bolster its position, the Chinese government has built artificial islands to turn a dispute about the ocean into one about land. This was investigated by an international tribunal in the Hague during the summer of 2016. Since then, Washington has taken a relatively cautious approach. However, during a Senate hearing on January 12th, U.S. Secretary of State nominee Rex Tillerson, made it clear that he believes the Chinese stance to be unacceptable. “You’re going to have to send China a clear signal that, first, the island-building stops, and second, your access to those islands is also not going to be allowed,” he told senators.

Although the official Chinese response was to downplay the significance of this statement, its state run media interpreted Tillerson’s comments more aggressively. An estimated $5 trillion in trade travels through the South China Sea, meaning even a slight disruption can have profound effects on economies and investors across the globe.

Israel and Palestine

The United States has long maintained that it acts as an honest broker in the Israeli-Palestinian conflict. While this was view has not always been shared by all parties, U.S. policy has remained predictable and stable for nearly 30 years. The incoming Trump administration appears to be signaling a clear and vocal shift.

Since the early 1990’s, the U.S. has generally viewed Israeli settlements as a barrier to furthering the peace process. Furthermore, U.S. policy on retaining its embassy in Tel Aviv, rather than Jerusalem is nearly as old as Israel itself. This may change abruptly with the appointment of David Friedman as U.S. ambassador to Israel. In the past he appears to have diverged from U.S. policy on both issues. It is unclear if this signals a shift in actual policy or if there is simply a stronger voice in the incoming administration to do so. Either way, it is likely to increase uncertainty for Israeli and Palestinian governments, NGOs, and investors approaching key questions in their respective portfolios.

Crimea

Since Russia’s 2014 intervention in Ukraine, global reaction has been near universal condemnation: the EU, US, and others began sanctions soon thereafter. These may have contributed to both the decline in the value of the ruble and Russia’s poor financial performance over the last two years.

On January 15th, 2017 Donald Trump signaled a willingness to lift sanctions in exchange for a nuclear arms deal between the U.S. and Russia. In recent years Russia has been among the three largest oil producing nations. However, sanctions have made it difficult for Moscow to benefit from oil exports; lifting sanctions would likely reverse this. Perhaps more importantly is the exchange of sanctions for a nuclear arms deal, which would further entrench Russia’s territorial claims in Crimea.

The Arctic seafloor

In August 2007, a Russian submarine descended nearly four kilometers (2.5 miles) under the Arctic to plant a flag on the seafloor. As many investors are no doubt aware, the claim is not only a way to gain access to the potentially vast natural resources under the ocean; rather it also has the potential to determine control of shipping lanes as Arctic ice melts.

Since 2015 Russia has attempted to legitimize this claim through UN recognition. However, it was not until August of 2016 that the UN Commission on the Limits of the Continental Shelf began its evaluation. It is important to note that U.S., Canada, Norway, and Denmark have also made claims in the region.

Russian claims, however, are larger and are more developed than those of other nations. While the UN Law of the Sea governs many of these disputes, the U.S. is the only claimant that is not party to the treaty. Interestingly, the U.S. Department of Defense has urged the Senate to adopt the treaty, so that the U.S. can gain at seat at the table on Arctic (and other) deliberations. With a nearly unprecedented number of former generals set to play civilian roles in the Trump administration, such a shift is perhaps more likely than in years past.

Kashmir

Contested since the inception of India and Pakistan, Kashmir has long been a disputed territory. This turbulent history saw the addition of another sorry chapter in 2016, as unrest increased during the past year. One reason was the death of Burhan Muzaffar Wani—the leader of the Hizbul Mujahideen militant group—during an encounter with Indian military forces: protests erupted in the aftermath of the incident in July. Successive skirmishes have since led to a cycle of protest and violence leaving the territory in an especially volatile position as 2017 begins.

This article was originally published by Global Risk Insights and written by Barton Edgerton.

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As new drought hits Ethiopia, UN urges support for Government's 'remarkable' efforts

UN News Centre - Sun, 29/01/2017 - 06:00
Commending the Ethiopian Government and humanitarian partners on the response to last year&#39s El Niño drought that left 10.2 million people needing food assistance, United Nations Secretary General António Guterres and UN aid chief Stephen O&#39Brien today said the international community must show &#8220total solidarity&#8221 with country as it faces a new drought.

South Sudan: UN and regional partners call for immediate cessation of hostilities

UN News Centre - Sun, 29/01/2017 - 06:00
The United Nations, the African Union (AU) and regional partners today reiterated their call for an immediate cessation of hostilities in South Sudan and urged the parties to ensure an inclusive political process, both in the proposed National Dialogue and in the implementation of the 2015 peace agreement.

UN agencies express hope US will continue long tradition of protecting those fleeing conflict, persecution

UN News Centre - Sat, 28/01/2017 - 06:00
The United Nations agencies dealing with global refugee and migration issues today expressed the hope that the United States will continue its strong leadership role and long tradition of protecting those who are fleeing conflict and persecution.

The Art of the Deal — With Putin

Foreign Policy - Fri, 27/01/2017 - 23:47
If there is anything we know for sure about Trump, it is that he likes making deals. But is he capable of cutting a good deal with Russia?

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