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Mensuel critique d'informations et d'analyses
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Un monde de camps

jeu, 27/04/2017 - 15:04

La planète compte aujourd'hui soixante-cinq millions de réfugiés et de déplacés. Faute de politiques d'accueil, un grand nombre d'entre eux sont contraints de vivre dans des camps, sortes de prisons à ciel ouvert dont les résidents sont privés de droits fondamentaux (lire « La fabrique des indésirables »). Longtemps confinées aux pays du Sud, ces structures prolifèrent et se banalisent en Europe depuis quelques années, s'ajoutant aux centaines de centres de rétention administrative qui servaient déjà à enfermer les migrants clandestins (lire « Internement à la française »). Par leur nombre et leur pérennité — le temps de séjour moyen dans un centre du Haut-Commissariat pour les réfugiés est de dix-sept ans —, les camps ont fini par représenter un marché que se disputent âprement organisations non gouvernementales et multinationales (lire « Les réfugiés, une bonne affaire »).

En Syrie, l'ONU enquête toujours

jeu, 27/04/2017 - 15:04

Le gouvernement français accuse formellement le régime de M. Bachar Al-Assad dans l'attaque chimique contre une ville de la province d'Idlib. Selon le chef de la diplomatie, Jean-Marc Ayrault cette responsabilité est prouvée par un rapport des services de renseignements qui affirme que Damas détient toujours des agents chimiques de guerre. De son côté, l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) estime « irréfutables » les preuves d'emploi de gaz de type sarin dans ce bombardement. En collaboration avec les Nations Unies, cette instance continue d'enquêter en Syrie sans pour autant désigner de coupable.

Rabee Kiwan. – Sans titre, 2014 Galerie Europia, Paris - europia.org

Le 4 avril 2017, au petit matin, une attaque à l'arme chimique contre la ville de Khan Cheikhoun provoquait le décès de quatre-vingt-sept personnes, en majorité des civils, et en blessait près de six cents. Tout en reconnaissant avoir mené un raid aérien, mais en milieu de journée, contre cette localité de la province d'Idlib, située à vingt kilomètres de la ligne de front qui sépare l'armée régulière des forces rebelles, les autorités syriennes nient l'usage de gaz de combat. Elles rappellent s'être engagées à ne plus utiliser d'armement chimique depuis septembre 2013 et clament que tous les stocks et sites de production du régime ont été détruits par l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC) entre l'automne 2013 et la mi-2014. Damas incrimine le Front Fatah Al-Cham — la nouvelle appellation de l'ex-Front Al-Nosra —, lié à l'organisation Al-Qaida, qui manipulerait l'opinion. Dans un entretien accordé à l'Agence France-Presse (13 avril 2017), M. Bachar Al-Assad qualifiait même cette attaque de « fabrication à 100 % », parlant d'une « histoire montée (…) par les États-Unis ». Tout en accusant l'Occident de complicité avec « les terroristes » — formule habituelle pour désigner l'opposition armée —, M. Al-Assad dénonçait également les bombardements décidés en représailles par le président américain Donald Trump sur l'aéroport militaire de Chayrat, d'où, selon Washington, l'avion responsable du bombardement chimique aurait décollé.

Cet épisode rappelle l'attaque au gaz sarin contre la Ghouta, une proche banlieue de Damas, le 21 août 2013 (entre trois cents et deux mille morts selon les sources, dont l'organisation Médecins du monde). Contrairement à une idée reçue, l'enquête diligentée à la fin août 2013 par l'Organisation des Nations unies (ONU) n'a désigné aucun coupable : les inspecteurs dépêchés sur place — avec l'accord du gouvernement syrien — ont certes établi l'usage « à relativement grande échelle » de gaz sarin ; mais leur mandat ne visait pas à établir une quelconque responsabilité. En janvier 2014, MM. Richard Lloyd, ancien inspecteur de l'ONU, et Theodore Postol, enseignant au Massachusetts Institute of Technology (MIT), ont publié un rapport mettant en cause les rebelles syriens et disculpant le régime. Quoique très critiqué par de nombreux spécialistes (1), ce document sert, à tort, d'argument paré du label onusien aux partisans de M. Al-Assad. Car, comme l'explique un diplomate arabe en poste à Washington ayant requis l'anonymat, « dans l'affaire de l'attaque chimique de la Ghouta, l'ONU n'a accusé aucune des parties. Par contre, cela pourrait être différent en ce qui concerne le bombardement de Khan Cheikhoun car, désormais, l'ONU peut, en théorie, désigner les coupables ».

De fait, depuis l'engagement pris par Damas de détruire ses stocks et ses capacités de production d'armes chimiques, l'OIAC intervient en Syrie pour veiller au respect des promesses. Lauréate en 2013 du prix Nobel de la paix pour « ses efforts intenses pour éliminer les armes chimiques », cette organisation doit aussi identifier « les personnes, entités, groupes ou gouvernements qui ont perpétré, organisé ou commandité l'utilisation comme arme, en République arabe syrienne, de produits chimiques, y compris le chlore ou tout autre produit toxique (2) », via un « mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU » instauré par la résolution 2235 du Conseil de sécurité (7 août 2015). Certes, ce mécanisme d'enquête conjoint n'a pas mandat pour « agir et fonctionner comme un organe judiciaire ou quasi judiciaire » ; et il n'est pas « investi de l'autorité ou de la compétence, que ce soit directement ou indirectement, de rendre une décision judiciaire officielle ou contraignante établissant la responsabilité pénale de quiconque » (3). Mais, comme l'explique encore notre diplomate en poste à Washington, « il s'agit d'une instance qui instruit des dossiers. Ce qu'elle glane sur le terrain comme informations peut être versé demain à un dossier de mise en accusation qu'utilisera un éventuel tribunal ad hoc. Et ce sera bien plus concret que les allégations américaines contre le régime de Saddam Hussein à la veille de l'invasion de l'Irak en 2003. D'ailleurs, l'ironie de l'histoire, dans cette affaire, c'est que les armes qui étaient introuvables à l'époque en Irak existaient bel et bien chez le voisin syrien... ».

Le mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU a beau ne pas posséder de compétences judiciaires, ses intentions n'en sont pas moins claires. Dans son premier rapport, publié en février 2016, l'instance avertit ainsi que « tous les individus, groupes, entités ou gouvernements qui jouent le moindre rôle pour rendre possible l'utilisation de produits chimiques comme arme (…) doivent comprendre qu'ils seront identifiés et auront à rendre compte de ces actes odieux ». Après l'attaque de Khan Cheikhoun, l'OIAC a donc ouvert une enquête et confirmé les accusations d'usage de gaz de combat de type sarin. Le gouvernement syrien ainsi que son allié russe ont souhaité que les enquêteurs de l'institution puissent se déplacer sur place, tout en les appelant à l'« impartialité ».

Officiellement, entre les deux parties, la coopération a été « permanente et intense » jusqu'en 2016, et de nouvelles réunions à haut niveau sont prévues durant le mois de mai à la demande de l'OIAC. Soumis à une stricte exigence de confidentialité, les membres des équipes du mécanisme d'enquête conjoint, répartis entre New York et La Haye, fuient les médias ; on en sait peu sur leurs investigations. Néanmoins, la lecture des rapports réguliers qu'adresse le conseil exécutif de l'OIAC au secrétaire général de l'ONU apporte des éléments d'information. D'abord, la « structure légère » prévue dès 2014 et qui devrait accueillir des enquêteurs du mécanisme d'enquête conjoint de façon plus ou moins permanente à Damas n'existe pas encore, malgré les souhaits de l'ONU (un seul enquêteur est basé actuellement en Syrie). Ensuite, il semble bien que les autorités syriennes aient respecté les engagements pris après l'adoption, par la Russie et les États-Unis, le 14 septembre 2013 à Genève, du « cadre de référence pour l'élimination des armes chimiques syriennes » (lire la chronologie ci-dessous). Ainsi, selon l'OIAC, « tous les produits chimiques déclarés par la République arabe syrienne qui avaient été retirés de son territoire en 2014 ont maintenant été détruits ». De même, à la fin 2016, l'organisation confirmait que « vingt-quatre des vingt-sept installations de fabrication d'armes chimiques » déclarées en 2013 par Damas avaient été détruites (4). Ne subsistent donc à ce jour que trois installations, dont un hangar d'aviation interdit d'accès au personnel de l'OIAC car les autorités syriennes affirment ne pas pouvoir assurer sa sécurité.

Où se trouvent ces installations qui n'ont pas été détruites ? Mystère. Sont-elles trop proches des zones de combat, ou bien tombées entre les mains d'un quelconque groupe rebelle ? On ne le sait pas non plus, mais cette hypothèse alimente la propagande du camp pro-Assad : elle lui permet d'affirmer que les forces antigouvernementales disposent de ces armes chimiques et peuvent donc les utiliser. Pour autant, l'argument risque de se retourner contre le régime s'il vient à être prouvé qu'il n'a pas pris toutes les mesures pour détruire à temps ces sites et leurs stocks. En effet, dans ses prérogatives, le mécanisme d'enquête conjoint OIAC-ONU doit s'employer à déterminer « si les personnes occupant des postes dirigeants étaient tenues de prendre les mesures nécessaires et raisonnables pour empêcher l'utilisation comme arme de produits chimiques ». Une formulation vague, qui permet des mises en cause pour, au minimum, des négligences à haut niveau en matière de sécurisation des sites d'armements chimiques face à la menace rebelle.

Plus important encore, un discret bras de fer oppose l'ONU au régime syrien. Selon plusieurs documents de l'OIAC, la fondation sur laquelle repose le processus entier du désarmement chimique est sujette à caution. « Il n'a pas été possible pour le moment de vérifier pleinement que la déclaration et les autres informations présentées par la République arabe syrienne sont exactes et complètes », relevait un rapport adressé le 28 mars 2016 au secrétaire général de l'ONU d'alors, M. Ban Ki-moon. Autrement dit, la liste des stocks et des sites de production d'armes chimiques transmise en urgence par Damas à l'OIAC en septembre 2013 pourrait être incomplète. Depuis le printemps 2016, les documents et rapports de l'organisation insistent sur « des lacunes, des incohérences et des contradictions » contenues dans la déclaration syrienne. On en sait peu sur ces critiques, si ce n'est que l'une d'elles concerne le rôle exact du Centre syrien d'études et de recherches scientifiques (CERS). Pour l'OIAC, la déclaration le concernant est incomplète ; elle ne traduit pas l'ampleur et la nature des activités de cette structure dans le développement du programme d'armement chimique. Le 24 avril, le Département du Trésor américain a d'ailleurs annoncé avoir pris des sanctions fermes contre 271 employés du CERS. Washington les accuse d'avoir fabriqué les armes utilisées lors de l'attaque de Khan Cheikhoun. Les mis en cause ne peuvent plus voyager et les transactions financières avec des banques étrangères leur sont interdites. Dans les semaines qui viennent il est probable que les activités de ce centre soit de nouveau mises en avant pour justifier d'autres sanctions.

Les critiques de l'OIAC laissent la porte ouverte à toutes les conjectures et, in fine, permettent tous les types d'instrumentalisation. Un mensonge avéré serait d'abord une violation de la résolution 2118 du Conseil de sécurité (27 septembre 2013), qui interdit à toutes les « parties syriennes », qu'il s'agisse de l'État ou des acteurs non étatiques, de détenir, d'acquérir, de fabriquer, de transférer ou d'employer des armes chimiques. Cela mettrait aussi la Russie dans une position inconfortable, car Moscou avait réussi le tour de force d'éviter en août 2013 une escalade militaire entre les États-Unis, la France et la Syrie en prenant l'initiative de proposer le plan de démantèlement immédiat de l'arsenal chimique syrien et de ses capacités de production.

Quoi qu'il en soit, le mécanisme d'enquête conjoint continue ses travaux sans que pointe pour l'heure la moindre information permettant de mettre en cause telle ou telle partie. Avant même que ne survienne le bombardement de Khan Cheikhoun, la presse arabe attendait déjà d'éventuelles révélations, voire des accusations précises, concernant une autre attaque chimique, celle subie par la ville de Daraya, dans la banlieue de Damas, le 15 février 2015. Las, la mission de l'OIAC a relevé un « haut degré de probabilité que certaines personnes aient, à un moment donné, été exposées à du [gaz] sarin ou à une substance analogue », mais n'a pu « déterminer comment, quand et dans quelles circonstances l'exposition s'est produite. » À ce jour, l'organisation a recensé plus d'une centaine de cas allégués d'utilisation d'armes chimiques en violation de la résolution 2118 et a enclenché plus d'une trentaine d'enquêtes. Le 17 novembre 2016, le Conseil de sécurité a décidé de prolonger d'un an le mandat octroyé au mécanisme d'enquête conjoint. On ne sait toujours pas si cette instance se trouve dans l'impossibilité d'identifier les responsables des attaques chimiques ou si elle rechigne à rendre public le résultat de ses investigations.

Chronologie

17 juin 1925. Adoption du protocole concernant la « prohibition d'emploi à la guerre de gaz asphyxiants, toxiques ou similaires et de moyens bactériologiques ». Ce texte, ou protocole de Genève, n'interdisait pas la fabrication de ces armes.

22 novembre 1968. Adhésion de la République arabe syrienne au protocole de Genève.

13 janvier 1993. Signature à Paris de la convention sur l'interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l'emploi des armes chimiques et sur leur destruction (le texte avait été adopté par l'Assemblée générale des Nations unies à Genève le 3 septembre 1992).

29 avril 1997. Entrée en vigueur de la convention sur l'interdiction des armes chimiques qui donne naissance à l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), dont le siège est à La Haye et le laboratoire à Rijswijk (Pays-Bas).

Second semestre 2012. Le régime syrien et l'opposition armée s'accusent mutuellement de recourir à l'arme chimique.

27 mars 2013. L'OIAC s'inquiète officiellement de l'usage d'armes chimiques dans le conflit en Syrie.

21 août 2013. Attaque à l'arme chimique dans la Ghouta, une banlieue de Damas. Le régime de M. Bachar Al-Assad et l'opposition armée s'accusent mutuellement.

14 septembre 2013. À l'initiative de M. Vladimir Poutine, la Russie et les États-Unis adoptent à Genève le cadre de référence pour l'élimination des armes chimiques syriennes. Le gouvernement syrien s'engage à respecter la convention du 13 janvier 1993. L'adhésion de la Syrie à celle-ci sera effective le 14 octobre 2013.

16 septembre 2013. L'ONU et l'OIAC confirment l'usage de gaz sarin dans l'attaque de la Ghouta, mais ne désignent aucun responsable.

19 septembre 2013. Le gouvernement syrien transmet à l'OIAC les informations détaillées concernant son armement chimique (stocks, nomenclatures, moyens de production, moyens de recherche et de développement, etc.).

1er semestre 2014. Fin de la destruction des stocks d'armes chimiques et des sites de production déclarés par la Syrie.

29 décembre 2016. L'OIAC annonce que tous les produits chimiques et les installations de production déclarés par la Syrie ont été détruits, mais juge « incomplètes » les déclarations qui lui ont été transmises.

4 avril 2017. Attaque chimique contre la ville de Khan Cheikhoun.

(1) Eliot Higgins, « Attempts to blame the Syrian opposition for the August 21st sarin attacks continue one year on », Bellingcat, 20 août 2014, www.bellingcat.com

(2) Rapport de l'OIAC au secrétaire général des Nations unies, 12 février 2016.

(3) Ibid.

(4) Rapport du directeur général de l'OIAC au secrétaire général des Nations unies, 29 décembre 2016.

L'État profond

jeu, 27/04/2017 - 15:04

Quand un président erratique et peu soucieux d'apprendre tout ce qu'il ignore commande la plus puissante armée du monde, mieux vaut que les garde-fous soient nombreux. Or, lorsque M. Donald Trump a ordonné à ses généraux de bombarder la Syrie et d'engager des manœuvres navales en Asie, il a été ovationné par les parlementaires américains, républicains et démocrates, ainsi que par la quasi-totalité des médias, y compris en Europe. Un quotidien national français a même jugé que « les frappes sur la Syrie » avaient eu « quelque chose de libérateur » (1). Cinquante-neuf missiles tirés contre une base aérienne au Proche-Orient auraient donc presque métamorphosé un président empêtré dans l'impopularité, l'amateurisme et le népotisme en homme déterminé, sensible, incapable de contenir son humanité devant des photographies de « beaux bébés cruellement assassinés lors d'une attaque très barbare ». Un tel concert de louanges inquiète d'autant plus dans le climat international actuel, lourd de tensions, que M. Trump adore être adulé.

En janvier 1961, trois jours avant de quitter le pouvoir, le président républicain Dwight Eisenhower mettait en garde ses compatriotes contre un « complexe militaro-industriel » dont « l'influence — économique, politique et même spirituelle — s'éprouve dans chaque ville, chaque État, chaque administration ». À en juger par la succession de revirements de l'actuel président des États-Unis, ce « complexe » n'a pas chômé ces dernières semaines. Le 15 janvier, M. Trump estimait que « l'OTAN est obsolète » ; le 13 avril, que « l'OTAN n'est plus obsolète ». Il escomptait il y a quelques mois que la Russie deviendrait « une alliée » ; le 12 avril, il conclut que les relations entre Washington et Moscou ont chuté au « point le plus bas jamais atteint ».

Le premier ministre russe Dmitri Medvedev en a déduit que, sitôt « les derniers brouillards électoraux dissipés », M. Trump a été « brisé par le système de pouvoir » de Washington. Repris en main par un « État profond », en somme, qui ne se laisse jamais distraire de ses priorités stratégiques par les changements de locataire à la Maison Blanche. Les républicains et les démocrates les plus attachés à l'empire américain peuvent pavoiser : si M. Trump ressemble à un pantin, ce n'est plus à une « marionnette du Kremlin (2»… Sur ce point, l'État profond a gagné.

Si Eisenhower ressuscitait, il adjoindrait sans doute à son « complexe militaro-industriel » un associé médiatique. Car l'information continue raffole de la tension permanente, elle aime la guerre ; et les commentateurs attitrés alignent d'autant plus volontiers les proclamations ronflantes que ce ne sont plus des conscrits comme leurs fils qui périssent dans les conflits armés, mais des « volontaires » souvent prolétaires. Les principaux journaux américains ont publié quarante-sept éditoriaux relatifs aux « frappes » américaines en Syrie. Un seul se prononçait contre (3)…

(1) Libération, Paris, 9 avril 2017.

(2) Lire « Marionnettes russes », Le Monde diplomatique, janvier 2017.

(3) Adam Johnson, « Out of 47 major editorials on Trump's Syria strikes, only one opposed », Fairness & Accuracy in Reporting (FAIR), 11 avril 2017.

Moins !

mer, 26/04/2017 - 18:53

Le journal romand d'écologie politique ouvre quelques fenêtres sur cet « art primordial » qu'est celui d'habiter (en convivialité), exemples à l'appui : autoconstruction, maison de paille, coopérative, voisinage, mais aussi squat, habitat léger ou construit de ses propres mains. (N° 28, avril-mai, bimestriel, abonnement à prix libre. — Vevey, Suisse.)

http://www.achetezmoins.ch

Chronologie

ven, 14/04/2017 - 09:39
Début du IIIe siècle av. J.-C.

Ouverture de la Route de la soie. Ce réseau de pistes, reliant la Chine à Antioche via l'Asie centrale, sera parcouru par les marchands pendant près d'un millénaire.

IVe siècle

La Chine méridionale instaure des voies commerciales vers l'Asie du Sud-Est, la Corée, le Japon, l'Inde, l'Asie centrale et l'Iran.

XIe-XIIIe siècle

Essor de l'industrie et des échanges extérieurs chinois, généralisation de l'usage du papier-monnaie ; la classe des négociants gagne en importance.

1143-1158

Fondation de la ville de Lübeck (Allemagne), sur la côte baltique. Les peuples du Nord sont invités à s'y installer pour y jouir de la liberté de commerce.

1156

Premiers contrats d'échanges de devises à Gênes. La cité-Etat domine les routes vers le Proche-Orient, où elle exporte ses biens et en importe les épices.

1157

Les marchands allemands obtiennent des privilèges en Angleterre, où ils achètent des produits agricoles et miniers. En 1252, ils recevront les mêmes droits à Bruges (Belgique), dont ils importeront les draps.

1167

Seize comune commerçantes de l'Italie du Nord, dont Milan et Venise, constituent la Ligue lombarde.

1180

Ouverture du comptoir allemand de Novgorod (Russie), une des plaques tournantes des produits orientaux.

1200

La ville de Bruges acquiert le droit d'organiser un marché annuel et obtient des avantages fiscaux. Elle devient bientôt le centre névralgique de la route commerciale reliant Cologne à Londres.

1241

Naissance outre-Rhin de la Ligue de la Hanse, une alliance de plus de quatre-vingts villes commerçantes avec Lübeck pour capitale. Elle régnera sur le trafic maritime du nord de l'Europe pendant près de deux siècles.

1277

L'arrivée des bateaux génois à Bruges marque le début du commerce des épices avec le Levant. Ils seront suivis par des navires vénétiens et espagnols.

1356

Première réunion de l'assemblée de la Hanse à Lübeck. Cent trente villes y sont représentées, parmi lesquelles des cités flamandes, suédoises et norvégiennes.

1403

La république de Florence autorise officiellement le prêt à intérêt, interdit par l'Eglise.

1441

Vaincue par les Hollandais après trois ans de guerre, la Ligue hanséatique leur reconnaît un traitement égal sur le marché baltique.

Des navigateurs portugais ramènent d'Afrique des esclaves. Début de la traite négrière et du commerce triangulaire.

1455

La Chine abandonne l'usage du billet.

1474

Le traité d'Utrecht entre la Hanse germanique et l'Angleterre octroie à la Couronne la liberté du commerce en Baltique, en Prusse et dans les villes hanséatiques.

Première législation sur les brevets à Venise. L'objectif est de favoriser la production locale et les exportations, et de limiter les importations.

1492

Croyant atteindre l'Asie des épices, Christophe Colomb débarque en Amérique. Lisbonne et Madrid se partagent le Nouveau Monde deux ans plus tard (traité de Tordesillas).

1516

Les Portugais prennent pied en Chine, suivis par les Espagnols (1543) et les Hollandais (1600).

1521-1533

Aux Amériques, les Espagnols détruisent les empires aztèque et inca. Ils créent des plantations de canne à sucre et exploitent des mines d'or et d'argent. Et importent bientôt des esclaves africains pour y servir de main-d'œuvre.

1543

Les marchands portugais sont les premiers Européens à aborder le Japon, où ils établissent des comptoirs. Ils seront suivis par les Espagnols, les Anglais et les Hollandais.

1550-1580

Anvers puis Amsterdam deviennent la plaque tournante des échanges mondiaux de marchandises.

1600

La reine d'Angleterre accorde à la Compagnie britannique des Indes orientales le monopole du commerce dans l'océan Indien. En 1602, les Provinces-Unies fondent la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

1612

Ouverture du premier comptoir commercial anglais en Inde.

1637

La « tulipomania », folie spéculative aux Pays-Bas, débouche sur une crise financière internationale.

1641

Le Japon décrète la fermeture complète du pays. La présence des Occidentaux est interdite.

1651

Londres prohibe l'importation de produits de pêches étrangers et réserve au pavillon anglais la liaison commerciale avec les colonies.

1664

Création de la Compagnie française des Indes orientales (CFIO).

1729

La Chine interdit — en vain — l'importation d'opium, introduit au siècle précédent, via l'Inde, par les Portugais.

1763

Le traité de Paris, mettant fin à la guerre franco-britannique en Europe, ne laisse à la France que cinq comptoirs en Inde. La CFIO sera dissoute en 1769.

Fin du XVIIIe siècle

Début de la révolution industrielle en Angleterre. Le secteur textile se mécanise et devient très compétitif.

1806

Napoléon Bonaparte décrète le blocus maritime des produits anglais en Europe. Ce qui permet à l'industrie textile du nord de la France de rattraper son retard sur les entreprises britanniques.

1834

Pour faire face à la concurrence britannique, et pour renforcer son industrie, la Prusse, la Saxe et la Bavière instituent une union douanière (Zollverein), dotée d'une monnaie commune.

1839-1842

Première guerre de l'opium entre l'Angleterre et la Chine. Victorieuse, la Couronne obtient Hongkong, l'ouverture aux échanges internationaux de cinq ports, une baisse des droits de douane, etc. Dans la foulée, l'Allemagne, la France, la Russie, les Etats-Unis s'octroient les mêmes droits.

1846

Les libéraux britanniques obtiennent l'abolition des Corn Laws, une série de mesures protectionnistes adoptées en 1815 pour encadrer l'importation des céréales.

1853

L'amiral américain Matthew Perry, à la tête d'une flottille de guerre, débarque dans la baie d'Edo (Tokyo, aujourd'hui) pour imposer l'ouverture du Japon au commerce international.

1856-1858

Seconde guerre de l'opium. Signature de « traités inégaux » entre la Chine et les principales puissances occidentales, qui obtiennent notamment des concessions et le droit d'imposer leurs tarifs douaniers.

1860

Traité de commerce franco-britannique, Napoléon III engage la France dans le libre-échange.

1867

Une grave crise économique s'installe au Japon, liée à l'afflux de produits occidentaux, qui désorganise les circuits commerciaux.

1873

Krach de la Bourse de Vienne, prélude à vingt-cinq ans de stagnation de l'économie mondiale : première grande crise de la mondialisation.

1892

Rétablissement de tarifs douaniers protectionnistes en France (loi Méline).

1929

24 octobre. Le krach de Wall Street provoque la plus grave crise économique mondiale du XXe siècle.

1937

Nouvelle récession aux Etats-Unis. L'économie mondiale est en stagnation depuis huit ans. Pour sortir de la crise, plusieurs pays ont instauré des mesures protectionnistes.

1944

Juillet. Création, lors de la conférence de Bretton Woods (Etats-Unis), du Fonds monétaire international (FMI) ; la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), future Banque mondiale, sera fondée l'année suivante.

1947

Signature le 30 octobre, à Genève, de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Il entre en vigueur le 1er janvier 1948.

1948

Adoption le 24 mars de la charte de La Havane, prévoyant la création d'une Organisation internationale du commerce (OIC) intégrée à l'Organisation des nations unies (ONU). L'accord n'ayant pas été ratifié par le Congrès américain, l'organisme ne verra pas le jour.

1951

Création le 18 avril de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) par la Belgique, la France, l'Allemagne de l'Ouest, le Luxembourg, l'Italie et les Pays-Bas.

1957

Signature le 25 mars du traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (CEE). Il crée une union douanière impliquant la libre circulation des marchandises, des personnes et des capitaux.

1960

Naissance de l'Association européenne de libre-échange (AELE). Le traité de Montevideo (Uruguay) instaure l'Association latino-américaine de libre-échange (ALALC, en espagnol) ; création du Marché commun centre-américain (MCCA).

1963

20 juillet. Convention de Yaoundé (Cameroun) associant la CEE à dix-huit Etats africains, prévoyant notamment un système de zones de libre-échange entre la CEE et les anciennes colonies françaises et belges.

1964

Décembre. Création de la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced), à l'initiative des pays en développement qui reprochent au GATT de ne pas prendre suffisamment en compte leurs intérêts.

1967

L'Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande créent le 8 août l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Anase, Asean en anglais).

1969

Création le 26 mai du Pacte andin, regroupant la Bolivie, la Colombie, l'Equateur, le Pérou et le Venezuela en vue de créer un marché commun. Il deviendra la Communauté andine des nations (CAN) en 1996.

1971

15 août. Les Etats-Unis suspendent la convertibilité en or du dollar et laissent flotter leur monnaie.

1973

Septembre. Réunis à Alger, les pays non alignés prônent un nouvel ordre économique international (NOEI) fondé sur l'égalité et la coopération Nord-Sud. Décembre. Premier choc pétrolier.

1975

Signature, le 28 février, de la convention de Lomé (Togo) entre la CEE et trente-cinq pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (pays ACP), accord fondé sur le partenariat et la solidarité. Il sera vidé de son contenu et finalement remplacé en 2000 par l'accord de Cotonou (Bénin).

1982

Septembre. Lancement du huitième cycle de négociations du GATT (cycle de l'Uruguay), avec pour objectif de libéraliser les échanges dans tous les secteurs.

1984

Janvier. Mise en place de l'Initiative pour le bassin des Caraïbes (IBC), qui instaure une franchise d'accès aux Etats-Unis pour les exportations.

1989

Novembre. Naissance de la Coopération économique Asie-Pacifique (APEC, en anglais), regroupant les douze Etats du Pacifique et l'Anase, en vue de créer entre eux une zone de libre-échange.

1990

Décembre. Echec de la conférence de clôture du cycle de l'Uruguay du GATT en raison du désaccord entre les Etats-Unis et l'Europe sur le dossier agricole.

1992

Signature à Maastricht, le 7 février, du traité sur l'Union européenne (UE).

Avril. Après la dissolution de l'Union sovétique, en décembre 1991, la Russie devient membre du FMI et de la Banque mondiale.

1994

Janvier. Entrée en vigueur de l'Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entre le Canada, les Etats-Unis et le Mexique.

Avril. Signature à Marrakech de l'acte final du cycle de l'Uruguay instituant l'Organisation mondiale du commerce (OMC), qui succède au GATT.

Décembre. Les Etats-Unis présentent le projet de création d'une Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) regroupant tous les Etats américains, excepté Cuba — qui ne verra pas le jour.

1995

Janvier. Lancement du Marché commun du Sud (Mercosur), comprenant l'Argentine, le Brésil, le Paraguay et l'Uruguay.

Mai. A l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), début des négociations confidentielles sur l'Accord multilatéral sur l'investissement (AMI), conférant de nombreux pouvoirs aux investisseurs face aux gouvernements. Abandonné en 1998 après avoir été révélé.

1996

Décembre. Première conférence ministérielle de l'OMC, à Singapour. Les pourparlers entre pays industrialisés et pays en développement échouent sur le lien entre commerce international et normes sociales.

Décembre. Elaboration du projet de grand marché transatlantique (GMT) au sommet de Madrid (lire « Plus de vingt ans de préparatifs »).

1998

Mai. Désaccord entre les Etats-Unis et l'UE lors de la deuxième conférence ministérielle de l'OMC, à Genève, sur les modalités des négociations concernant l'accélération du processus de libéralisation des échanges.

1999

Novembre-décembre. La troisième conférence ministérielle de l'OMC, à Seattle (Etats-Unis), se solde par un échec, les participants ne parvenant pas à engager un nouveau cycle de négociations commerciales. Manifestations contre la mondialisation.

2000

Février. Reprise des discussions au sein de l'OMC sur la libéralisation des services et de l'agriculture. Juillet. Traité de libre commerce (TLC) entre le Mexique et l'Union européenne.

2001

Janvier. Premier Forum social mondial (FSM) à Porto Alegre (Brésil), en même temps que le Forum de Davos.

Septembre. La Chine est admise à l'OMC. Octobre. Lancement du Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (Nepad), un plan forgé dans une perspective néolibérale sous l'égide de la Banque mondiale, du FMI et de l'OMC.

Novembre. Lancement à Doha (Qatar) d'un nouveau cycle de négociations commerciales prétendant mettre la libéralisation des échanges au service du développement.

2002

Janvier. Mise en place d'une zone de libre-échange entre les Etats membres de l'Anase (cf. supra).

2003

Août. Un compromis est trouvé à l'OMC pour l'accès des pays du Sud aux médicaments génériques.

Septembre. Echec de la cinquième conférence de l'OMC à Cancún (Mexique) : le Sud refuse l'accord sur l'agriculture.

Décembre. Accord de libre-échange (Cafta) entre les Etats-Unis, cinq pays d'Amérique centrale et la République dominicaine.

2004

Janvier. Accord de libre-échange de l'Asie du Sud (Safta) entre le Bangladesh, le Bhoutan, l'Inde, les Maldives, le Népal, le Pakistan et le Sri Lanka.

Juin. Le G8 adopte le projet américain de « Grand Moyen-Orient », qui vise notamment à créer une zone de libre-échange dans la région au cours des dix ans à venir.

Décembre. Lancement de la Communauté sud-américaine des nations (CSN). Elle vise à réunir le Mercosur, la CAN ainsi que le Chili, le Guyana et le Surinam en une seule entité politico-économique, sur le modèle de l'Union européenne.

2005

Janvier. L'expiration de l'accord multifibres sur le textile et l'habillement, décidée à l'OMC en 1995, entraîne la fin des quotas et la libéralisation de tout le secteur à l'échelle internationale.

Avril. Naissance de l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), réunissant Cuba, le Venezuela et — un an plus tard — la Bolivie. Fondée sur des principes de solidarité, de coopération et de réciprocité, cette organisation entend constituer une alternative d'intégration régionale au projet de ZLEA promu par Washington.

Juin. Brunei, le Chili, la Nouvelle-Zélande et Singapour concluent un accord de partenariat transpacifique (PTP ; en anglais, Trans-Pacific Partnership, TPP).

2006

Juillet. Le cycle de négociations de Doha, qui achoppe toujours sur la question agricole, est suspendu sine die.

2007

Août. Effondrement du marché américain des crédits immobiliers à risque (subprime). Début de la crise financière mondiale.

2009

Décembre. Les Etats-Unis s'associent aux pourparlers sur le partenariat transpacifique, dans l'optique, notamment, de contenir la puissance commerciale de la Chine.

2011

Avril. Chili, Colombie, Mexique et Pérou forment l'Alliance du Pacifique visant la libre circulation des bien, des services, des capitaux et des personnes.

Octobre. Signature par Washington et sept autres pays — rejoints en 2012 par vingt-deux Etats européens et le Mexique — de l'accord commercial anticontrefaçon (en anglais, ACTA). Sa ratification sera suspendue à l'issue d'une protestation internationale.

Novembre. Le Japon intègre le PTP.

2012

Février. Début des négociations discrètes, entre une cinquantaine de pays, au sujet de l'accord sur le commerce des services (ACS, TISA en anglais).

Août. La Russie intègre l'OMC après dix-huit ans de négociations.

2013

Octobre. Après plus de quatre ans de discussions, l'UE et le Canada concluent une entente de principe sur un accord économique et commercial global (AECG, CETA en anglais), signé l'année suivante.

Décembre. L'OMC, réunie à Bali (Indonésie), adopte un ensemble de mesures sur la libéralisation des échanges commerciaux (« paquet de Bali »).

2014

Mai. Naissance de l'Union économique eurasiatique entre la Biélorussie, le Kazakhstan et la Russie.

Juillet. Le nouveau premier ministre indien, Narendra Modi, rejette le « paquet de Bali ».

Empires en accordéon

jeu, 13/04/2017 - 15:54

Contraint par les canonnières américaines d'ouvrir son territoire au milieu du XIXe siècle, le Japon se lance dans ses premières conquêtes dès la fin de l'ère Meiji. Plus tard, l'empereur Hirohito envahit la Mandchourie, la Chine, Taïwan, et règne sur une grande partie de l'Asie, jusqu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Okinawa sera restitué au Japon en 1952 ; les îles Senkaku/Diaoyu passent sous administration japonaise sans que leur statut soit défini.

La Chine, elle, connaît son apogée au XIXe siècle. Sous la contrainte de la Russie à partir de 1858, puis des pays occidentaux (les deux guerres de l'opium) et du Japon, elle doit céder des pans entiers de son territoire.

Une lente escalade

jeu, 13/04/2017 - 15:40

17 août 1999. Un tremblement de terre de magnitude 7,21 sur l'échelle de Richter détruit une bonne partie des villes d'Izmit et de Gölcük. Le bilan est très lourd : 17 480 morts, 23 781 blessés, plus de 10 000 disparus et plusieurs centaines de milliers de sans-abri. Il met en évidence l'importance de la corruption dans le secteur de la construction, de nombreux entrepreneurs n'ayant pas respecté les normes sismiques.

2000-2001. Déjà éprouvé par le séisme d'Izmit, le gouvernement du premier ministre kémaliste Bülent Ecevit (Parti démocratique de la gauche, DSP) doit faire face à une impopularité croissante en raison d'une grave crise économique, financière et monétaire.

3 août 2002. Adoption d'une série de réformes lancées par le gouvernement de M. Bülent Ecevit pour répondre aux critères d'adhésion à l'Union européenne : abolition de la peine capitale, liberté de culte, autorisation de l'enseignement du kurde, etc.

3 novembre 2002. Fondé en août 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) de M. Recep Tayyip Erdoğan, islamo-conservateur, constitué par l'aile modérée du Parti de la Vertu (interdit la même année) remporte les élections législatives avec 34,28 % des voix, devant le Parti social-démocrate et kémaliste (CHP), qui en récolte 19,38 %.

1er mars 2003. La Grande Assemblée nationale de Turquie (Parlement) refuse le déploiement sur le sol turc de troupes américaines en route vers l'Irak.

11 mars 2003. M. Erdoğan est nommé premier ministre et prend la place de M. Abdullah Gül à la suite d'une réforme électorale votée au Parlement. Celle-ci permet au président de l'AKP de contourner son inéligibilité, due à une condamnation pour « incitation à la haine » (1998).

Printemps 2003. Les effets de la crise économique s'estompent et le pays sort peu à peu de la récession. La croissance du produit intérieur brut (PIB) s'élève à 9,4 % l'année suivante. La nouvelle livre turque est introduite en janvier 2005.

Novembre 2003. Des attentats-suicides contre des synagogues et des intérêts britanniques, menés à quelques jours d'intervalle et revendiqués par Al-Qaida, font 50 morts à Istanbul.

7 mai 2004. Le Parlement adopte une série d'amendements constitutionnels. Toute référence à la peine de mort disparaît de la loi, un amendement limite le rôle de l'armée dans la vie publique et l'égalité des droits entre hommes et femmes est proclamée.

26 septembre 2004. Adoption de la réforme du code pénal, qui réprime notamment la torture ainsi que les crimes d'honneur et renforce les libertés individuelles.

17 décembre 2004. Le Conseil européen donne son feu vert à l'ouverture de négociations d'adhésion à l'Union à partir d'octobre 2005.

1er juin 2005. Adoption d'un nouveau code pénal octroyant davantage de libertés individuelles dans le but d'aborder les négociations d'adhésion à l'Union européenne.

3 octobre 2005. Officiellement reconnue candidate en 1999, la Turquie débute les négociations d'adhésion à l'Union européenne.

Mars-avril 2005. Des affrontements entre Kurdes et forces de l'ordre à Istanbul et au Kurdistan font une vingtaine de morts. En septembre, un attentat dans la ville à majorité kurde de Diyarbakir tue 11 personnes.

Décembre 2005. La Turquie refusant de reconnaître Chypre comme une entité unique et d'appliquer l'union douanière avec l'île, les négociations avec l'Union européenne sont partiellement gelées.

22 juillet 2007. L'AKP remporte les élections législatives anticipées avec 46,7% des voix suite à une crise politique en avril-mai, due à l'échec de la nomination du président Gül par le Parlement. M. Erdoğan est reconduit comme premier ministre. Le CHP arrive en deuxième position, devant le Parti d'action nationaliste (MHP, extrême droite), avec respectivement 20,85 % et 14,27 % des voix.

28 août 2007. M. Gül recueille 339 voix sur 550 et est élu président de la République de Turquie par le Parlement. Il est le dernier président élu au suffrage indirect.

21 octobre 2007. La réforme constitutionnelle lancée en mai de la même année est adoptée par référendum à 69,1 %. Elle concerne le mode de scrutin présidentiel et acte le passage du suffrage indirect au suffrage direct.

12 septembre 2010. Une nouvelle réforme constitutionnelle est approuvée par référendum (57,9 %). Cette modification permet notamment au Parlement (dominé par l'AKP) de dissoudre les partis politiques. Elle facilite également la traduction des membres de l'armée devant des tribunaux civils.

12 juin 2011. L'AKP remporte les élections législatives (49,83 %), devant le CHP (25,98 %) et le MHP (13,01 %). Cette élection fait suite à l'une des campagnes les plus violentes de la période récente — incidents, affrontements entre militants, assassinats politiques — et caractérisée en outre par de nombreuses atteintes à la liberté de la presse.

27 mai 2013. Première manifestation au parc Gezi, à Istanbul, en opposition à un projet immobilier. Le mouvement prend rapidement de l'ampleur et se construit en opposition au gouvernement de l'AKP. Les manifestations seront sévèrement réprimées (8 morts et 8 blessés).

25 décembre 2013. Les accusations de corruption se multiplient à l'encontre des membres du gouvernement de l'AKP et plusieurs ministres présentent leur démission. M. Erdoğan dénonce un complot de l'étranger et remplace la moitié des vingt ministres de son gouvernement.

14 mai 2014. Accident minier dans la ville de Soma. Il s'agit de l'un des plus grave accidents de l'histoire de l'extraction minière en Turquie (301 morts). Il donne lieu à des manifestations dénonçant les conditions de travail des mineurs.

12 juin 2014. Ouverture du procès des militants du groupe Solidarité Taksim. Ils avaient organisé les actions de contestation du parc Gezi et autour de la place Taksim.

10 août 2014. Première élection présidentielle au suffrage universel direct. M. Erdoğan est élu au premier tour avec 51,8 % des voix. Le 28 août, M. Ahmet Davutoğlu lui succède à la présidence de l'AKP et devient premier ministre.

29 mai 2015. Les militants du groupe Solidarité Taksim sont acquittés. Ils risquaient treize ans d'emprisonnement.

7 juin 2015. L'AKP remporte les élections législatives avec 40,66 % des voix, devant le CHP (25,13 %) et le MHP (16,45 %). Le Parti démocratique des peuples (HDP), issu du mouvement politique kurde et coalisé avec des formations progressistes, dépasse le seuil électoral des 10 %, avec près de 13 % des suffrages, et obtient 80 sièges au Parlement. Pour la première fois depuis 2002, l'AKP perd la majorité absolue et se trouve dans l'incapacité de former un gouvernement.

20 juillet 2015. Une bombe explose dans un centre culturel de Suruç, ville située à la frontière avec la Syrie. Il s'agit du premier attentat de l'Organisation de l'État islamique (OEI) en Turquie. De nombreuses manifestations sont organisées pour accuser le gouvernement turc de complicité avec les auteurs du carnage (33 morts).

Août 2015. La Turquie autorise pour la première fois les États-Unis à utiliser leur base aérienne d'İncirlik pour bombarder les positions de l'OEI.

17 septembre 2015. Un procureur requiert une peine de trente-quatre ans d'emprisonnement à l'encontre de M. Fethullah Gülen. Installé aux États-Unis depuis 1999, ce prédicateur à la tête d'un vaste mouvement d'inspiration religieuse et sociale est accusé par M. Erdoğan de vouloir déstabiliser le pays et de comploter contre le gouvernement.

10 octobre 2015. Attentat lors d'une manifestation pour la paix organisée par le HDP à Ankara. Il s'agit de l'attentat le plus meurtrier de l'histoire de la Turquie, avec au moins 102 morts.

1 novembre 2015. L'AKP remporte les élections législatives anticipées (49,50 %), devant le CHP (25,32 %) et le MHP (11,90 %). Le HDP retombe à 10,76 % mais conserve 59 sièges au Parlement.

24 novembre 2015. Destruction d'un avion russe par des F-16 turcs. La Russie accuse la Turquie d'avoir volontairement abattu son avion alors qu'il survolait le territoire syrien. Ankara conteste en affirmant que l'avion russe aurait violé son espace aérien.

28 novembre 2015. Le président russe Vladimir Poutine signe un décret interdisant l'emploi de travailleurs turcs par des patrons russes, mais aussi l'importation de certains produits turcs.

15 juillet 2016. Une tentative de coup d'État militaire fait au moins 290 morts et 1 440 blessés. L'état d'urgence est décrété cinq jours plus tard et sera prolongé de trois mois le 19 octobre. De nombreuses arrestations et des limogeages ont lieu dans la fonction publique.

4 août 2016. La justice turque délivre un mandat d'arrêt contre M. Gülen, accusé d'avoir organisé le putsch du mois de juillet. Le 13 septembre 2016, le gouvernement turc demandera formellement son arrestation et son extradition par les États-Unis.

24 août 2016. La Turquie lance l'opération « Bouclier de l'Euphrate ». Cette offensive militaire dans le nord de la Syrie est dirigée contre l'OEI et les Forces démocratiques syriennes (FDS), une coalition composée de troupes kurdes des Unités de protection du peuple (YPG) et de rebelles arabes proches de l'Armée syrienne libre (ASL).

29 octobre 2016. Publication au journal officiel de deux décrets présidentiels annonçant la fermeture de quinze médias considérés comme prokurdes, le limogeage de plus de 10 000 fonctionnaires et la nomination des recteurs des universités par M. Erdoğan.

30 octobre 2016. La police arrête Murat Sabuncu, rédacteur en chef du journal Çumhuriyet, ainsi que seize journalistes et caricaturiste de cette publication considérée comme le dernier grand quotidien d'opposition du pays. Çumhuriyet avait notamment révélé en 2015 que les services secrets turcs avaient fourni des armes aux rebelles islamistes syriens.

22 novembre 2016. Deux nouveaux décrets présidentiels publiés au journal officiel annoncent le limogeage de plus de 15 000 personnes ainsi que la fermeture de 375 associations, 9 médias et 19 structures médicales.

19 décembre 2016. L'ambassadeur russe en Turquie, Andreï Karlov, est abattu par un jeune policier dans une galerie d'art à Ankara.

20 décembre 2016. La Turquie, la Russie et l'Iran proclament un « cessez-le-feu élargi » en Syrie. Le but est de garantir un accès à l'aide humanitaire et la libre circulation des populations sur le territoire syrien.

21 janvier 2017. Le Parlement approuve le projet de nouvelle Constitution après une seconde lecture. Cette réforme constitutionnelle, qui compte 18 nouveaux articles, renforce les pouvoirs présidentiels. Elle prévoit notamment la suppression du poste de premier ministre et la possibilité pour le président de limoger des ministres. Elle devra être validée par référendum le 16 avril 2017.

20 février 2017. Ouverture à Mugla du procès des 47 personnes ayant voulu assassiner le président Erdoğan lors de la tentative de coup d'État du 15 juillet. D'autres procès débutent dans 12 autres villes le 28 février.

Une version raccourcie de cette chronologie est parue dans l'édition imprimée.

Avril 2017 en perspective

mer, 12/04/2017 - 10:56

Non seulement la citoyenneté en démocratie représentative se réduit à une délégation en forme de dépossession, mais il faudrait en plus, à chaque scrutin, voter « utile » au nom d'un front républicain plus mythologique qu'il n'y paraît. C'est hors de toute stratégie électoraliste qu'Armand Gatti, qui s'est éteint le 6 avril dernier, cherchait à « insuffler l'énergie de trouver l'ouverture vers de nouveaux horizons » à tous ses « loulous ». Une sélection d'archives en rapport avec le numéro du mois.

  • Et cette fois encore, le piège du vote utile ? Serge Halimi • pages 1, 16 et 17 La perception de la nature profondément antidémocratique des institutions françaises et européennes gagne les esprits. Mais la traduction en termes électoraux de cette conscience nouvelle risque d'être dévoyée par le piège d'un « vote utile »…
  • → Mythologie du front républicain Joël Gombin • mars 2015
  • → Citoyenneté, un mot galvaudé, des espoirs intacts Allan Popelard • septembre 2012
  • → Armand Gatti, éloge de la révolution Philippe Lafosse • février 2001
  • La voix de Moscou trouble le concert de l'information internationale Maxime Audinet • pages 6 et 7 Aperçu Accusée d'être un instrument dans les mains du Kremlin, RT a repris les codes, et les défauts, des chaînes d'information en continu. La forte progression de son audience aux États-Unis ou en Europe tient à une ligne éditoriale ouvertement critique à l'égard des politiques occidentales, qu'elle décline en fonction des régions.
  • → Un CNN à la chinoise Pierre Luther • mars 2011 Aperçu
  • → CNN, rythme infernal et suspense à l'état brut Yves Eudes • mai 1991 Aperçu
  • → Communications sans frontières et impérialisme Armand Mattelart • mars 1978 Aperçu
  • Le président Erdoğan signe la fin du « modèle turc » Jean Marcou • pages 1, 8 et 9 Aperçu Le président turc Recep Tayyip Erdoğan, qui cherche à renforcer son pouvoir sur le plan intérieur, se rapproche de l'Arabie saoudite et de la Russie. Ce recentrage témoigne de la situation délicate de la Turquie dans son environnement régional.
  • → La sale guerre du président Erdoğan Laura-Maï Gaveriaux • juillet 2016
  • → L'emballement guerrier du président turc Akram Belkaïd • septembre 2015
  • → Turquie : cinquante années de république • octobre 1973
  • La quête obsessionnelle d'un pouvoir fort J. M. • pages 8 et 9 Aperçu Élaborée à la suite du coup d'État militaire de 1980, la Constitution de 1982 a toujours été contestée en Turquie, l'armée s'y étant octroyé le rôle de véritable régulateur du système. Mais cette remise en question a changé de nature depuis la montée en puissance du parti islamoconservateur de M. Recep Tayyip Erdoğan.
  • → Comment M. Erdoğan a maté l'armée turque Sümbül Kaya • octobre 2016
  • → Erdoğan, « l'homme qui se prend pour un sultan » Selahattin Demirtaş • juillet 2016
  • → Le long chemin vers la démocratie Ata Gil • novembre 1987 Aperçu
  • « Ce monstre anonyme, l'homme de la rue » Angela Nagle • page 3 Aperçu Alors que le populisme de droite a pris le pouvoir aux États-Unis, une vague de mépris des classes populaires, qui auraient mal voté, monte chez les démocrates. Des militants démoralisés pansent leurs plaies en se berçant de l'illusion de leur supériorité. Sans toujours le savoir, ils ravivent ainsi une vieille idée.
  • → Élections américaines : la déroute de l'intelligentsia S. H. • décembre 2016
  • → Faut-il avoir peur du populisme ? Alexandre Dorna • novembre 2003 Aperçu
  • → Le festival du mépris Claude Julien • octobre 1990 Aperçu
  • Français d'origine chinoise, l'affirmation d'une communauté Zhang Zhulin • pages 4 et 5 Aperçu Longtemps restés discrets, les Chinois de France ont fait irruption dans le paysage en organisant une puissante manifestation en septembre 2016. Une unité qui n'allait pas de soi. À la différence de ses aînés, la deuxième génération veut combattre les préjugés dont elle est victime.
  • → Au Royaume-Uni, des immigrés prisonniers des castes Alexia Eychenne • mars 2016 Aperçu
  • → La France s'interroge sur la meilleure manière d'intégrer les étrangers Norbert Rouland • octobre 1993 Aperçu
  • → Persistance au terme d'une longue assimilation Claude Lombard-Salmon • février 1979 Aperçu
  • Les oubliés de la Grande Guerre Jordan Pouille • pages 4 et 5 Aperçu Le 17 février 1917, près de Malte, un sous-marin allemand torpillait le paquebot français « Athos », faisant 754 morts, majoritairement des Chinois. Ces hommes devaient rejoindre un contingent de 140 000 travailleurs de leur pays. Une main-d'œuvre à l'histoire largement méconnue.
  • → Soldats oubliés du Courneau Stephan Ferry & Philippe Lespinasse • novembre 2011 Aperçu
  • → Héros méconnus de la seconde guerre mondiale Anicet Mobé Fansiama • juin 2007
  • → Pages d'histoire occultées Jean-Marie Chauvier • août 2005
  • Le piège de la dépendance se referme sur le Mexique James M. Cypher • pages 10 et 11 Aperçu Les États-Unis souhaitent simplement renégocier l'accord commercial qui les lie à leur voisin. Le projet a néanmoins plongé Mexico dans l'effroi. Depuis le début des années 1980, le pays a fait le choix d'arrimer son économie à celle des États-Unis. Un virage à 180 degrés au nord du Rio Bravo pouvait-il manquer de créer des remous au sud ?
  • → L'Alena ou les mirages du libre-échange Lori M. Wallach • juin 2015
  • → Et le Mexique cessa d'être indépendant Jean-François Boyer • mars 2011 Aperçu
  • → Le Mexique tente de s'amarrer au Nord Jorge Castañeda Gutmán • septembre 1992 Aperçu
  • « Nous ne sommes pas un protectorat américain » Andrés Manuel López Obrador • pages 1, 10 et 11 Aperçu Les propos injurieux de M. Donald Trump à l'égard du Mexique ont accéléré la campagne présidentielle dans ce pays. Le scrutin n'aura lieu qu'en juillet 2018, mais un candidat se détache déjà : M. Andrés Manuel López Obrador, qui incarne les espoirs de la gauche.
  • → Ce qui attend l'Amérique latine sous la présidence Trump Alexander Main • janvier 2017
  • → Passés de mode, les zapatistes... Bernard Duterme • octobre 2009 Aperçu
  • → Une gauche mexicaine en désordre de bataille J.-F. B. • avril 2007 Aperçu
  • La Constitution contre Donald Trump Anne Deysine • page 12 Aperçu Depuis sa prise de fonctions, M. Donald Trump affronte une résistance tous azimuts. Certains contestataires ont choisi d'utiliser les possibilités offertes par la Constitution américaine, conçue par les Pères fondateurs dans l'objectif d'empêcher que le président puisse bouleverser l'ordre social existant.
  • → Black Lives Matter, le renouveau militant Sylvie Laurent « Affrontements américains », Manière de voir nº 149, octobre - novembre 2016
  • → Combativité retrouvée aux Etats-Unis Rick Fantasia • décembre 2005 Aperçu
  • → La diversité des nouveaux contestataires aux États-Unis Schofield Coryell • juin 1982 Aperçu
  • La fin des partis politiques ? A. P. • pages 13, 18 et 19 Aperçu Loin de résulter du jeu des appareils, la décomposition du champ politique semble aujourd'hui plutôt due à un affaiblissement des partis sous l'effet du présidentialisme. Désormais, tous les moyens de les contourner sont bons : mouvements citoyens, rassemblements, primaires ouvertes.
  • → « Agir en primitif, prévoir en stratège » Serge Quadruppani • février 2017 Aperçu
  • → L'autodestruction du Parti socialiste Rémi Lefebvre • juillet 2016
  • → Front de gauche, ou la fin d'une malédiction Patrice Dalmas • mai 2012 Aperçu
  • Embarras de la gauche sur l'immigration Benoît Bréville • pages 14 et 15 Aperçu La stratégie conservatrice visant à opposer les plus démunis entre eux est parvenue à faire de l'immigration une question décisive pour nombre de Français. Aubaine pour la droite, cette situation impose à la gauche d'évoluer sur un terrain miné… et la divise.
  • → L'immigration, un « problème » si commode Eric Fassin • novembre 2009
  • → En Europe, à chacun son « modèle » Claudio Bolzman & Manuel Boucher • juin 2006 Aperçu
  • → Le double langage Andre Legouy • septembre 1977 Aperçu
  • Sortilèges de la culture Evelyne Pieiller • page 20 Aperçu Figure obligée des programmes électoraux, les projets relatifs à la culture reflètent les dispositions idéologiques des partis. Certains y voient un terreau identitaire, d'autres un bagage éducatif qu'il s'agirait de distribuer à chacun. Son rôle moteur dans la transformation sociale semble toutefois oublié.
  • → La gauche et la culture Manuel Vazquez Montalban • janvier 2004 Aperçu
  • → Elargir le cercle des connaisseurs ? Jean-Michel Leterrier • mai 2001 Aperçu
  • → Politiques culturelles et démocratie José Vidal-Beneyto • avril 1981 Aperçu
  • Renaissance des déserts danois Nicolas Escach • page 21 Aperçu La spécialisation des économies nationales entraîne un déclin de nombreux territoires périphériques. Au Danemark comme chez ses voisins. Mais les menaces pesant sur la cohésion sociale ont conduit à une riposte contre la concentration du pouvoir et à une relance de la démocratie locale.
  • → Les parts d'ombre du paradis danois Jean-Pierre Séréni • octobre 2009 Aperçu
  • → Le drame intérieur du Danois moyen Dorthe Wendt • août 2006 Aperçu
  • → Soenderborg, vitrine ordonnée d'une société modèle Ingrid Carlander • mai 1993 Aperçu
  • Les entreprises françaises défiées dans leur pré carré Olivier Piot • pages 22 et 23 Aperçu Après des décennies d'expansionnisme tranquille, les entreprises hexagonales doivent affronter la concurrence chinoise, indienne ou turque sur le continent noir. Si elles se risquent désormais hors de l'ancien pré carré colonial, en ont-elles pour autant terminé avec la connivence qui les liait aux régimes autoritaires « amis de la France » ?
  • → Trafics d'influence en Afrique Anne-Cécile Robert • janvier 2017 Aperçu
  • → L'Afrique n'est plus l'eldorado des entreprises françaises Anne-Valérie Hoh & Barbara Vignaux • février 2006 Aperçu
  • → Afrique et communauté franco-africaine Félix Houphouët-Boigny • novembre 1958 Aperçu
  • Aux origines du présidentialisme Sylvie Aprile • page 27 Aperçu Fondé sur l'élection directe du chef de l'État, le régime présidentiel français découle d'une révision constitutionnelle adoptée par référendum en 1962. De tradition bonapartiste, le général de Gaulle choisit de revenir à un mode de désignation qui, dès sa naissance en 1848, avait posé le problème du respect de la souveraineté populaire par le pouvoir exécutif.
  • → Bonapartisme ou Constituante André Bellon • avril 2014 Aperçu
  • → Le suffrage universel, « invention » française Alain Garrigou • avril 1998
  • → Le présidentialisme en accusation Henri Caillavet • février 1980 Aperçu
  • La mystérieuse affaire du style Sophie Divry • page 28 Aperçu Un écrivain qui veut jouer dans la cour des grands cherche à mettre au point un style bien à lui, pour être à la fois identifié et distingué. Le summum du chic est d'être reconnaissable en quelques lignes. L'écrivain qui n'y parvient pas contracte un complexe : serait-il médiocre, dilettante ou schizophrène ?
  • → Littérature engagée, littérature au rabais ? Jean-Paul Sartre « Artistes, domestiqués ou révoltés ? », Manière de voir nº 148, août - septembre 2016
  • → Le geste essentiel Nadine Gordimer • janvier 1985 Aperçu
  • → Comment se déroula le voyage que Flaubert entreprit en Tunisie au printemps 1858 Aimé Dupuy • décembre 1962 Aperçu
  • Le mythe des Hutus et des Tutsis

    mar, 11/04/2017 - 19:41

    Historiens et sociologues ont abondamment démontré que les Tutsis et les Hutus ne constituent pas des tribus ou des ethnies : ils ne sont pas issus de terroirs distincts ; ils partagent une même langue, une même culture, les mêmes références religieuses. Il ne s'agit pas non plus de castes, car les mariages mixtes ont de tout temps été fréquents.

    Le vocable le plus adapté est donc celui d'« ordres », au sens où ils existaient dans la France d'avant 1789. Or, si l'on pense à l'Europe prérévolutionnaire, on voit bien que les ordres y organisaient une très grande variété de rapports, à la fois entre leurs membres et les uns avec les autres. Au Rwanda, le contrat informel patron-client, l'ubuhake, était extrêmement dur, puisqu'il assignait la masse des paysans hutus à un statut proche du servage. Au Burundi, le contrat d'ubugabire instaurait des rapports plus tolérables : le travail était ponctuel et rémunéré en nature (par l'usage du bétail, par exemple).

    Autre différence de taille : le royaume rwandais recourait largement à la guerre. Il se trouvait ainsi constamment en conflit avec ses voisins des royaumes du Nkore (dans l'Ouganda d'aujourd'hui), du Karagwe (dans le nord-ouest de l'actuelle Tanzanie) et des Kivus (au Congo). Le Rwanda était la Prusse de la région, pas sa Bavière. Le Burundi se montrait beaucoup plus paisible et devait parfois se défendre face au Rwanda. En outre, alors qu'au Rwanda la dynastie royale était clairement identifiée aux Tutsis, au Burundi la lignée monarchique Ganwa n'était considérée ni comme tutsie ni comme hutue, mais comme un groupe séparé qui incarnait l'identité nationale.

    Gestes et signaux

    mar, 11/04/2017 - 12:25

    L'artiste communique mais n'a pas forcément de message à délivrer. Car l'œuvre est un tâtonnement et le temps, celui de l'inattendu qu'on n'attend pas, lui donne petit à petit son sens pour le plus grand nombre.

    « L'Usinage des roses », de la série « Hommes rouges », par Henri Cueco, de la coopérative des Malassis, 1969. © Henri Cueco.

    L'Artiste travaille-t-il pour lui, pour les autres ? L'artiste, l'écrivain, le compositeur travaille non pas pour lui mais avant tout avec lui-même. Il met en forme, en langage spécifique, ce qu'il éprouve. Son plaisir, qui passe par la maîtrise de ses sensations, s'investit dans ce langage. Et c'est cette mise en forme qui permet à l'autre — aux autres — de reconstituer le trajet de ses émotions et des métamorphoses qu'il leur a fait subir. On ne peut « s'exprimer » sans qu'il y ait mise en forme. L'œuvre d'art n'existe que par la mise en forme.

    Le langage de l'art n'est pas un vrai langage. Il ne passe pas par le code du langage parlé ou écrit. Il crée son propre code qui ne se traduit pas aisément en langue verbale ou écrite. L'artiste, le peintre (1), ne se parle pas forcément avec des mots lorsqu'il réalise son ouvrage, si complexe soit-il. La réalisation des œuvres est autant physique que mentale. Elle passe par le corps autant que par l'esprit. Elle est une pensée souvent informulée, informulable, qui utilise d'autres matériaux que ceux de la langue.

    Une approche experte et avant tout passionnée

    Par analogie avec le langage, elle utilise des systèmes de signes communs à toute situation de communication. Economie des signes, analogies entre eux, interversion des signes. Pour constituer du vivant, elle exploite en même temps, dans un même geste, une quantité considérable de signaux. Pour le peintre, couleur, lignes, lumière, volume, espace (creux et plat). La peinture est infirme de la troisième dimension et invente pour compenser une série de codes qui dépassent cette contrainte et l'acceptent tout à la fois.

    L'art communique mais n'est pas réductible à un message. Lorsque « l'autre » connaît le code, il peut reconstituer certains aspects des sensations qui ont animé la création de l'objet, il peut même, si l'objet est « vivant », aller au-delà de la conscience du peintre. Mais il n'y a pas message au sens où nous l'entendons dans la communication aujourd'hui. Il y a dans les œuvres une potentialité de messages mais que le verbe, par paraphrases, reconstitue imparfaitement.

    L'approche de l'art est une approche experte, et avant tout passionnée. Elle suppose un travail où effort et délectation se conjuguent. Le contact passager ou touristique ne révèle pas grand-chose. Cette rencontre suppose une initiation pour laquelle le désapprentissage est aussi important parfois que l'apprentissage. Il existe aussi — mais rarement — des croisements qui permettent des contacts immédiats qui demanderont plus tard des approfondissements.

    Dans une démocratie approfondie, les connaisseurs d'art se recruteront dans toutes les classes de la société. La méconnaissance de l'art peut être un choix, mais elle ne doit pas être le fait d'une exclusion sociale. L'approche de l'art est un enjeu social. Elle ouvre à la reconnaissance des cultures du monde. Elle participe aussi à un imaginaire collectif qui s'investit en partie dans la production.

    Tant qu'il n'y a pas coïncidence entre la culture (on devrait dire l'inculture) des élites économiques ou sociales et celle des élites du savoir, de l'art en particulier, il existera un espace ouvert pour des utopies sociales. Les artistes rêvent souvent d'une aristocratie culturelle recrutée dans toutes les classes et qui imaginerait une société fraternelle. La violence pourrait alors devenir le ferment d'un imaginaire social au lieu d'en être une dynamique mortifère. L'art, la culture, sont devenues des valeurs partageables dès lors qu'elles sont reconnues comme richesses patrimoniales. La difficulté avec l'art — surtout l'art contemporain — est qu'il n'existe qu'après coup, à l'état de valeur ; lorsque, son évaluation faite, il devient un bien public.

    Dans un premier temps le processus créatif s'exclut de la collectivité publique. Le futur artiste refuse les formes et les valeurs instituées par ses prédécesseurs qui accaparent l'espace. Il paraît dans un temps de flottement comme simple contestataire — les désordres qu'il crée demandent réparation — jusqu'à ce qu'il compense cette perte de sens par celle qu'il s'emploie à établir. Sous la forme d'objet nouveau, l'art, un temps plus ou moins long, n'appartient pas à la culture. Il est le terreau, le fumier, dans lequel va germer la graine. La plante qui va naître sera hybride, exotique, mutante et il faudra un temps avant de tester sa toxicité ou ses bienfaits.

    Dans cette phase de reconstitution, la création n'est pas toujours recevable. Elle produit des formes et du sens qui ne sont pas aisément perceptibles. Dans le temps de création où l'art se fait marge et rupture, où l'agressivité permet de se différencier, où l'artiste s'isole et peut devenir misanthrope, la démocratie n'a pas sa place. Elle l'aura par la suite, lorsque la part d'agression sera compensée par des propositions nouvelles. La création alors deviendra culture pour les gens, le public… L'exclusion trop longue du champ culturel est souvent fatale au créateur, son introduction trop immédiate dans le circuit, le repérage jeuniste à des fins de mode (d'auto-légitimation pour le légitimateur) ne sont pas forcément féconds.

    Le refus des formes et des valeurs instituées

    La première difficulté rencontrée aujourd'hui concernant le rapport art et démocratie est paradoxale. Tout d'abord le terrain de l'art et de l'esthétique s'est mis en question lui-même au point de mettre en doute l'existence ou les limites de son champ. Quel est en effet le champ propre à l'art dès lors qu'on l'étend à tout et qu'on prophétise sa disparition ? Le paradoxe encore est que son isolement perdure au temps où pénètrent dans la zone réputée art toutes les activités de la marge (dites mineures autrefois) et qui touchent à l'art de masse, soit à ce que le public le moins cultivé consomme.

    Les écoles d'art aujourd'hui en sont réduites à multiplier les exemples de créations issues du monde entier, sans concept fédérateur, brouillant souvent pistes du savoir et de la pensée naissante — ou de la sensibilité — des jeunes artistes. « Comment préserver son ignorance ? » devient parfois face à ce gavage culturel le moyen de conserver un peu de son intégrité, de sa personnalité initiale. En même temps, face à la montée des informations, à la circulation des modèles, le jeune artiste ne peut se montrer démuni. Il doit connaître.

    Un territoire de chasse fréquenté

    La naïveté naissante, la fraîcheur d'âme, le don angélique ne résisteront pas à la submersion par les images venues du monde entier. Si l'enseignement diffusé par les Beaux-Arts n'a pas trouvé la formule pour faire surgir la créativité, il n'a pas forcément non plus trouvé celle qui ne la détruit pas. Il sait former des gens aptes à recevoir l'inattendu, adaptables aux situations de mobilité créées par des concepts nouveaux, face à la mondialisation des savoirs. Il y a peu de chômeurs parmi les gens issus des écoles de beaux-arts, mais pas forcément beaucoup d'artistes.

    Au temps de mes, premiers pas en matière de pratique professionnelle (années 1950, 1960), il semblait normal de soumettre nos œuvres à l'épreuve du temps, sans doute parce que même sans le savoir nous nous soumettions à des rituels, des barrages convenus qui marquaient la réussite professionnelle. Des œuvres soumises à des jurys (salons, propositions d'achat), qui selon Pierre Gaudibert, conservateur alors au Musée d'art moderne de la Ville de Paris, obéissaient à trois critères : l'engagement de l'artiste dans sa pratique, la nouveauté des significations, la capacité à articuler des formes elles-mêmes nouvelles.

    Aujourd'hui, et sans doute ce phénomène est-il accentué depuis les années 1960, les œuvres sont jugées selon un critère dominant : la capacité à faire nouveau, inattendu. Cet inattendu est la qualité majeure reconnue à l'intérieur de conventions qui sont la marque de l'art contemporain. C'est un inattendu attendu par un petit groupe d'experts. Comme cet inattendu ne fait référence à aucune convention historique, il apparaît souvent sur les limites de la provocation. L'artiste joue de la provocation qui excite les médias. tomme les organisateurs institutionnels ne peuvent s'attacher à aucun critère solide (une des caractéristiques de la génération étant la rupture avec les critères antérieurs), le « n'importe quoi » est possible mais dans ce n'importe quoi se trouveront sans doute des œuvres majeures qu'il faudra apprendre à décoder. Ces organisateurs — experts, conseillers, inspecteurs, chargés de mission, journalistes — n'ont pas à craindre dans le travail de non-choix d'être déconsidérés, ils jouent tous les artistes au même niveau, et la presse consacre les consacrés, enrichit les riches, etc. Le critère le plus solide aux yeux des médias étant la légitimation établie par les médias, c'est-à-dire par eux-mêmes. C'est la légitimation en rond.

    Aujourd'hui, de nombreuses œuvres n'existent qu'accompagnées de textes explicatifs ou philosophiques ; l'œuvre y devient un produit dit de communication. Sans le texte édifiant qui devient partie intégrante de l'œuvre, celle-ci demeurerait souvent insignifiante.

    Ce texte est son mode d'emploi, sa posologie. Le moins de temps possible doit séparer un produit frais de sa consommation. Si on attend, il s'étiole ou disparaît avant de devenir obsolète. Le territoire des inattendus est un territoire de chasse très fréquenté. Il faut alors montrer vite et tambour battant, se propulser dans la tourmente pouf être célèbre, ce quart d'heure que prévoyait Andy Warhol.

    (1) Je dirai le « peintre » pour le « plasticien », me référant avant tout à ma pratique.

    Qu'est-ce que l'acte de création ?

    ven, 07/04/2017 - 16:07

    Pour le philosophe Gilles Deleuze (1925-1995), l'œuvre d'art est irréductible au champ de la communication et constitue un moyen de s'opposer aux injonctions du pouvoir. Créer, c'est résister à ce qui entend contrôler nos vies.

    La communication, c'est la transmission et la propagation d'une information. Or, une information, c'est quoi ? Ce n'est pas très compliqué, tout le monde le sait : une information, c'est un ensemble de mots d'ordre. Quand on vous informe, on vous dit ce que vous êtes censés devoir croire. En d'autres termes : informer c'est faire circuler un mot d'ordre. Les déclarations de police sont dites, à juste titre, des communiqués ; on nous communique de l'information, c'est-à-dire, on nous dit ce que nous sommes censés être en état ou devoir croire, ce que nous sommes tenus de croire. Ou même pas de croire, mais de faire comme si l'on croyait, on ne nous demande pas de croire, on nous demande de nous comporter comme si nous le croyions. (…) Ce qui revient à dire : que l'information, c'est exactement le système du contrôle. (…)

    Quel est le rapport de l'œuvre d'art avec la communication ? Aucun. L'œuvre d'art n'est pas un instrument de communication. L'œuvre d'art n'a rien à faire avec la communication. L'œuvre d'art ne contient strictement pas la moindre information. En revanche, il y a une affinité fondamentale entre l'œuvre d'art et l'acte de résistance. Alors là, oui. Elle a quelque chose à faire avec l'information et la communication, oui, à titre d'acte de résistance. Quel est ce rapport mystérieux entre une œuvre d'art et un acte de résistance, alors même que les hommes qui résistent n'ont ni le temps ni parfois la culture nécessaire pour avoir le moindre rapport avec l'art ? Je ne sais pas. Malraux développe un bon concept philosophique. Il dit une chose très simple sur l'art : « C'est la seule chose qui résiste à la mort. » (…) Oui, sans doute, il suffit de voir une statuette de trois mille ans avant notre ère pour trouver que la réponse de Malraux est une plutôt bonne réponse. Alors on pourrait dire, oui, l'art c'est ce qui résiste. Tout acte de résistance n'est pas une œuvre d'art, bien que, d'une certaine manière il le soit. Toute œuvre d'art n'est pas un acte de résistance et pourtant, d'une certaine manière, elle l'est… (…) L'acte de résistance, il me semble, a ces deux faces : seul il résiste à la mort, soit sous la forme d'une œuvre d'art, soit sous la forme d'une lutte des hommes.

    Et quel rapport y a-t-il entre la lutte des hommes et l'œuvre d'art ?

    Le rapport le plus étroit et pour moi le plus mystérieux. Exactement ce que Paul Klee voulait dire quand il disait : « Vous savez, le peuple manque. » (…) Il n'y a pas d'œuvre d'art qui ne fasse appel à un peuple qui n'existe pas encore.

    Extrait de la conférence « Qu'est-ce que l'acte de création ? » donnée dans le cadre des Mardis de la fondation Femis, 17 mai 1987.

    Aucune écriture n'est innocente

    ven, 07/04/2017 - 16:07

    Le 4 octobre 1984, le leader socialiste et panafricaniste Thomas Sankara, élu président du Burkina Faso en 1983, prononça à l'ONU un discours qui marqua les esprits. Il fut assassiné trois ans plus tard.

    (…) Il est nécessaire, il est urgent que nos cadres et nos travailleurs de la plume apprennent qu'il n'y a pas d'écriture innocente. En ces temps de tempêtes, nous ne pouvons laisser à nos seuls ennemis d'hier et d'aujourd'hui le monopole de la pensée, de l'imagination et de la créativité. (…)

    Nous voudrions que notre parole s'élargisse à tous ceux qui souffrent dans leur chair. Tous ceux qui sont bafoués dans leur dignité par une minorité d'hommes ou par un système qui les écrase. (…) Je ne parle pas seulement au nom de mon Burkina Faso tant aimé, mais également au nom de tous ceux qui ont mal quelque part. (…)

    Je parle au nom des artistes — poètes, peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs —, hommes de bien qui voient leur art se prostituer pour l'alchimie des prestidigitations du show-business. Je crie au nom des journalistes qui sont réduits soit au silence, soit au mensonge, pour ne pas subir les dures lois du chômage. Je proteste au nom des sportifs du monde entier dont les muscles sont exploités par les systèmes politiques ou les négociants de l'esclavage moderne. (…)

    Notre révolution, au Burkina Faso, est ouverte aux malheurs de tous les peuples. Elle s'inspire aussi de toutes les expériences des hommes depuis le premier souffle de l'humanité. Nous voulons être les héritiers de toutes les révolutions du monde, de toutes les luttes de libération des peuples du tiers-monde. (…)

    Extrait de Thomas Sankara parle. La révolution au Burkina Faso, 1983-1987, Pathfinder, Atlanta (États-Unis), 2007.

    Génial, malgré tout

    ven, 07/04/2017 - 16:05

    Le compositeur polonais Krzysztof Meyer place en exergue de son étude (1) ce mot de Heinrich Heine : « La plume du génie est toujours plus grande que lui-même. » Le ton est donné : un génie, Chostakovitch le fut. L'homme ? Il signa des textes honteux, produisit des morceaux officiels nuls, mais prit aussi des risques considérables pendant une trentaine d'années. L'auteur fait se dérouler d'œuvre en œuvre l'épopée où se mêlent la vie privée, la vie publique et la création d'un homme « si intimement attaché à la Russie que l'on a peine à imaginer que son talent ait pu s'épanouir hors des frontières de sa patrie ». Meyer met en valeur avec talent témoignages et citations dans ces belles pages consacrées au bouleversant Huitième Quatuor, composé en trois jours par Chostakovitch à sa propre mémoire. Le communisme interdisait que sa vie fût un chef-d'œuvre ; il n'a pu étouffer la naissance d'une des plus grandes musiques de tous les temps.

    (1) Dimitri Chostakovitch, Fayard, Paris, 1994.

    Des Algériens contre le « don de Dieu »

    ven, 07/04/2017 - 13:10

    Le gouvernement algérien ne voulait pas d'un débat, les citoyens l'ont imposé. Venu de la région du Sud boudée par le pouvoir, le mouvement contre l'exploration du gaz de schiste, qui a éclaté en décembre 2014, a rapidement gagné le reste du pays. La contestation démocratique, inédite en Algérie, est partie d'In Salah, petite ville du Sahara. « Composé de médecins, d'enseignants, de pétroliers, d'étudiants, d'ingénieurs et de chômeurs, le mouvement soulève la quasi-totalité de la population, femmes en tête », rapportait le journaliste algérien Hacen Ouali (1).

    En Algérie, l'exploitation du gaz de schiste via la fracturation hydraulique a été autorisée en 2013 par une loi adoptée sans opposition. Le gouvernement s'inquiétait du possible tarissement des hydrocarbures et de la baisse des cours du pétrole, dont l'économie algérienne est presque totalement dépendante. Mais l'eau est une ressource vitale pour les Sahariens, qui n'ont pas été consultés — pas plus que le reste de la population. Or ce procédé a besoin d'importants volumes d'eau et sa pollution aurait des conséquences sur leur vie.

    Le 27 décembre 2014, le ministre de l'énergie et des mines Youcef Yousfi, accompagné des ministres de l'eau et de l'environnement, commente l'allumage de la première torche de gaz de schiste : « Nous assistons au succès de la première opération réelle de l'exploration de gaz de schiste dans le bassin d'Ahnet », dit-il (2). Des forages sont lancés. En réponse, la place centrale d'In Salah est occupée dès janvier 2015. Malgré la répression, des sit-in et manifestations sont régulièrement organisés. Puis, le 24 février, des marches de protestation lancées à In Salah sont imitées dans d'autres villes comme Ouargla et Ghardaïa.

    Dans une déclaration lue par l'un de ses conseillers, le président Abdelaziz Bouteflika qualifie le même jour le gaz de schiste de « don de Dieu ». L'armée s'en mêle alors très officiellement : le 3 mars à In Salah , le commandant de la 6e région militaire rappelle la position du pouvoir à vingt-neuf représentants de la société civile. Les messages du premier ministre, du ministre de l'énergie et du président apparaissent pourtant contradictoires. Ils se félicitent de ce projet et en même temps affirment qu'il n'y a pas d'exploration. Le tout donne l'impression que le gouvernement, qui n'a pas l'habitude d'être défié, cafouille. A In Salah, un Collectif national pour un moratoire sur le gaz de schiste (CNMGS) est fondé le 30 mars. Il réclame davantage de transparence, des réponses claires des dirigeants et l'arrêt définitif du projet d'exploitation du gaz de schiste en Algérie.

    C'est surtout la Société nationale pour la recherche, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures (Sonatrach) qui est impliquée dans le dossier. Son PDG, Abdelhamid Zerguine, a été limogé en juillet 2014. L'une des raisons de ce changement à la tête de la puissante entreprise serait sa lenteur à s'engager dans la recherche du gaz de schiste. Nazim Zouioueche, qui, lui, fut à la tête de la Sonatrach de 1995 à 1997, regrette le manque d'intérêt des compagnies étrangères : « Il faudrait que nous fassions des études afin de connaître notre véritable potentiel, le valoriser, puis estimer ce qu'on pourrait produire et les moyens à mobiliser », déclarait-il fin septembre 2014 (3).

    Car d'autres sont aussi potentiellement intéressés. La France, par exemple. L'exploration y est interdite, mais c'est une piste qu'elle veut envisager. En 2012, le ministre français des affaires étrangères, Laurent Fabius, avait même révélé la signature imminente d'un partenariat avec l'Algérie. Total, citée en mars 2015 dans une enquête du site en ligne Basta ! et de l'Observatoire des multinationales (4), en était partie prenante. Mais le géant pétrolier dit ne plus être impliqué dans l'exploration de gaz de schiste, même si, relèvent les observateurs, il ne répond pas sur le tight gas (« gaz de réservoir étanche »), un autre gaz dont l'exploitation passe par la fracturation hydraulique. Les Algériens, eux, dénoncent l'ingérence de l'ancien pays colonisateur, qui a déjà réalisé les essais nucléaires dans cette même région du Sud dans les années 1960.

    D'où cette interrogation : les forages serviraient-ils de tests lancés et financés par la Sonatrach pour garantir l'existence du gaz convoité et ainsi attirer les entreprises étrangères ? Interrogé à la suite de la visite de Ségolène Royal en Algérie les 2 et 3 octobre, le ministère français de l'écologie, de l'environnement et du développement durable n'a pas répondu à nos questions.

    (1) Hacen Ouali, « Le gaz de schiste enflamme le sud de l'Algérie », Orient XXI, 16 mars 2015, orientxxi.info

    (2) « Gaz de schiste : Exploitation du premier puits à In Salah, le ministre de l'Energie optimiste », Algerie-focus.com, 28 décembre 2014.

    (3) « Nazim Zouioueche explique les raisons de l'échec du 4e appel d'offre d'Alnaft », 3 octobre 2014, www.maghrebemergent.info.

    (4) Sophie Chapelle et Olivier Petitjean, « Total et le gaz de schiste algérien » (PDF), 6 mars 2015, https://france.attac.org

    Les vieux habits de l'homme neuf

    ven, 07/04/2017 - 10:45

    Étroitement associé à la politique économique du président François Hollande, le candidat du mouvement En marche ! se présente pourtant comme un homme « hors système », loin des partis et des coteries. Cautionnée par la presse, la métamorphose de M. Emmanuel Macron en évangéliste politique masque mal la trajectoire banale d'un technocrate dont l'entregent lui a permis de brûler les étapes.

    Michel Herreria. — « L'Os de la parole », 2009 www.michelherreria.com

    Ce 17 mars 2015, l'agenda de M. Emmanuel Macron s'annonce chargé. À 7 h 45, la revue Politique internationale attend le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique pour un petit déjeuner-débat. Au menu : exposé face à un aréopage de patrons, de diplomates et de responsables politiques. Une heure plus tard, direction Bercy. Le ministre participe à l'ouverture d'une conférence sur les dispositifs publics de soutien à l'exportation, où se mêlent hauts fonctionnaires et dirigeants du privé, avant de s'entretenir avec les sénateurs socialistes au sujet de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

    Vers 13 h 15, il retrouve les convives du Cercle Turgot pour un déjeuner-débat. Le président en exercice de ce think tank, M. François Pérol, patron du groupe Banque populaire - Caisse d'épargne (BPCE), l'accueille : « Bienvenue, Emmanuel. Tu arrives juste du Sénat. Y a-t-il trop d'articles à ton projet de loi ? Comme on disait en d'autres temps, trop de notes s'agissant de la musique de Mozart ? » Pareil hommage tient en partie de l'autocélébration, tant la carrière de M. Macron ressemble à celle de M. Pérol : fils de médecin, énarque, passé par l'inspection des finances, par la banque Rothschild et par les services de l'Élysée. Le ministre a vite fait d'emballer financiers, journalistes et autres cadres, qui l'intronisent membre d'honneur de leur cercle. Après les questions au gouvernement à l'Assemblée nationale, M. Macron s'attarde pour un long entretien avec M. Pierre Gattaz, président du Mouvement des entreprises de France (Medef). Puis, Saint-Patrick oblige, il reçoit M. Richard Bruton, son homologue irlandais.

    Une succession d'apparitions brèves dans les sphères du pouvoir, avec la volonté de faire forte impression à défaut de laisser une empreinte profonde : ce 17 mars 2015 résume à bien des égards la trajectoire du candidat à l'élection présidentielle française.

    Il se rêvait normalien, il atterrit à Sciences Po. Là, l'historien François Dosse le présente en 1999 au philosophe Paul Ricœur, qui cherche une petite main pour achever le manuscrit de La Mémoire, l'Histoire, l'Oubli (1). Cette collaboration ouvre à l'étudiant les portes d'Esprit, revue intellectuelle française proche de la « deuxième gauche » qui soutint par exemple le plan de réforme de la Sécurité sociale du premier ministre Alain Juppé en 1995. Il y théorise sa conception de l'exercice du pouvoir : « Le discours comme l'action politique ne peuvent plus s'inscrire dans un programme qu'on proposerait au vote et qu'on appliquerait durant les cinq années du mandat (2).  » Au politique, il faudrait, selon lui, un horizon plutôt qu'un catalogue de mesures. C'est auprès de piliers de la « deuxième gauche » qu'il trouve l'idéologie donnant sens à son engagement.

    Sous le fouet de la sainte concurrence

    Énarque stagiaire dans l'Oise à l'automne 2002, M. Macron se lie d'amitié avec Henry Hermand. Enrichi dans l'immobilier commercial, l'homme d'affaires (décédé en 2016) a été l'une des figures tutélaires et nourricières d'une gauche chrétienne et « anti » : anticommuniste, anticolonialiste et antijacobine (3). Puis, en 2007, le chef de l'inspection des finances, M. Jean-Pierre Jouyet, débauché par M. Nicolas Sarkozy pour le secrétariat d'État chargé des affaires européennes, présente ce jeune homme prometteur à M. Jacques Attali.

    L'ancien conseiller de François Mitterrand, qui préside la commission pour la libération de la croissance, le nomme rapporteur général adjoint. On discerne en sourdine dans le document final cette volonté de dépasser des clivages ordinaires que le candidat vocifère désormais sur toutes les estrades. « Ceci n'est ni un rapport, ni une étude, mais un mode d'emploi pour des réformes urgentes et fondatrices. Il n'est ni partisan ni bipartisan : il est non partisan. » Les « non-partisans » de la commission pourfendent « la rente (...) triomphante : dans les fortunes foncières, dans la collusion des privilégiés, dans le recrutement des élites » (4) et défendent un projet de société fondé sur la concurrence et la déréglementation.

    Ces esprits inspirés ne se contentent pas de recommander la réorientation massive de l'épargne des Français vers les marchés d'actions six mois avant l'effondrement financier de 2008. La mise en concurrence généralisée revient à opposer entre elles des fractions des classes populaires : fonctionnaires et salariés du privé, artisans taxis contre chauffeurs Uber. Une telle vision du monde sied bien à un fringant inspecteur des finances qui, outre le comité de rédaction d'Esprit, qu'il intègre, fréquente des cénacles sociaux-libéraux et partisans de la construction européenne telle qu'elle se fait, comme En temps réel ou les Gracques. Le premier se présente comme un « lieu de rencontre entre acteurs publics et privés soucieux de confronter leurs expériences et analyses, (…) dédié à la construction de puissantes bases intellectuelles d'un agenda réformiste ». Le second proclame que le marché « est le moyen de remettre en cause les situations acquises, les privilèges et les rentes ».

    La rente sociale de M. Macron, elle, reste à l'abri des grands vents de la « modernité ». En 2008, M. Xavier Fontanet, alors président d'Essilor, M. Serge Weinberg, ancien conseiller de M. Laurent Fabius, président du fonds Weinberg Capital Partners, M. Jean-Michel Darrois, avocat d'affaires, et M. Alain Minc — le seul à ne pas avoir été membre de la commission Attali — le recommandent auprès de la banque Rothschild. Son ascension y sera fulgurante, grâce à un marché conclu en 2012 pour le compte de Nestlé, dont le président, M. Peter Brabeck-Letmathe, avait participé à ladite commission.

    M. Attali a présenté M. Macron à M. François Hollande en 2010, lorsque celui-ci ne dirigeait plus le Parti socialiste (PS) et que M. Dominique Strauss-Kahn ou Mme Martine Aubry semblaient assurés de jouer les premiers rôles aux primaires de 2011. Le jeune trentenaire coordonne pour le futur président le travail d'économistes comme Philippe Aghion (encore un membre de la commission Attali). Après la victoire de 2012, M. Attali et M. Jouyet — revenu de son aventure sarkozyste et à nouveau intime de M. Hollande — appuient sa candidature au poste de secrétaire général adjoint de l'Élysée, chargé des questions économiques.

    En 2014, c'est encore M. Jouyet qui, en sa qualité de secrétaire général de l'Élysée, annonce la nomination de son protégé au ministère de l'économie. « C'est quand même exaltant, à cet âge-là, d'avoir en charge l'économie, les entreprises, l'industrie, tout ça, lui explique-t-il au téléphone juste après l'annonce du remaniement. Tu te rends compte, le numérique, tout ce que j'aurais aimé faire ! Je pensais, quand même, à l'inspection des finances, être le maître, maintenant, c'est toi qui vas être le maître (5).  » Le nom du jeune prodige sera vite associé à une loi qui promeut le bus plutôt que le train, à l'ouverture dominicale des commerces et au travail de nuit. Il assouplit les règles des licenciements collectifs et hâte la privatisation de la gestion d'aéroports régionaux.

    À ce stade d'une trajectoire de météore, on distingue déjà l'épure d'un style : être introduit dans une institution de pouvoir par un influent pygmalion, n'y passer que le temps nécessaire à la constitution d'un dense réseau de relations, puis recommencer à un poste d'un prestige supérieur. M. Macron ne restera pas plus longtemps à Bercy qu'à l'inspection des finances, chez Rothschild ou au secrétariat de la présidence : moins de trois ans. Quand il lance à 38 ans, en avril 2016, son mouvement En marche !, il mobilise les contacts accumulés à chaque étape de sa carrière.

    À Sciences Po, où il enseigna à sa sortie de l'École nationale d'administration (ENA), M. Macron se lie d'amitié avec M. Laurent Bigorgne. C'est à l'adresse privée de ce dernier qu'il domiciliera En marche ! Fin 2010, M. Bigorgne devient directeur général de l'Institut Montaigne. Du très libéral institut, le candidat débauchera Mme Françoise Holder, codirectrice du groupe du même nom (boulangeries Paul et pâtisseries Ladurée), et recourra un temps aux services de l'agence de communication, Little Wing. Il ne boude pas pour autant les think tanks de l'autre bord politique : il est proche de M. Thierry Pech, ancien cadre de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) et directeur général de la fondation Terra Nova, proche du Parti socialiste.

    D'anciens membres de la commission Attali se mettent aussi « en marche ». L'essayiste Erik Orsenna était au premier rang pour le lancement du mouvement à la Mutualité (La Tribune, 31 août 2016). La rapporteuse de la commission, Mme Josseline de Clausade, passée du Conseil d'État à la direction du groupe Casino, M. Jean Kaspar, ancien secrétaire général de la CFDT désormais consultant en stratégies sociales, M. Darrois ainsi que M. Stéphane Boujnah, président d'Euronext, la société qui gère les Bourses d'Amsterdam, Bruxelles, Lisbonne et Paris, ont fait le déplacement pour le premier grand meeting de campagne, le 10 décembre 2016, à la porte de Versailles. C'est d'ailleurs M. Boujnah, ancien « DSK boy », vice-président d'En temps réel, qui aurait présenté à M. Macron l'homme qui désormais lève des fonds pour sa campagne présidentielle : M. Christian Dargnat. Cet ancien patron de la gestion d'actifs de BNP Paribas et du Crédit agricole a également présidé le comité « Monnaies et système monétaire international » du Medef de 2010 à 2013. Le patron du cabinet de conseil Accenture, M. Pierre Nanterme, autre ancien de la commission Attali et de la direction du Medef — sous la présidence de Mme Laurence Parisot —, a déclaré avoir versé 7 500 euros (le plafond autorisé) à En marche ! (Les Échos, 27 janvier 2017).

    Côté syndical, outre M. Kaspar, la connexion macronienne se nomme Pierre Ferracci. L'homme a transformé le cabinet d'expertise Secafi, proche de la Confédération générale du travail (CGT), en un groupe spécialisé dans le conseil aux syndicats, aux représentants du personnel et aux directions d'entreprise, le groupe Alpha. Son fils Marc et sa belle-fille Sophie occupent une place importante dans la garde rapprochée du candidat. Témoin de mariage du couple Macron, le premier est professeur d'économie, chercheur associé à la chaire « Sécurisation des parcours professionnels » que cofinancent à Sciences Po le groupe Alpha, la société de travail intérimaire Randstad, Pôle emploi et le ministère du travail. Avocate d'affaires, la seconde fut cheffe de cabinet du ministre à Bercy avant d'intégrer son équipe de campagne.

    D'autres anciens membres du cabinet ministériel ont rallié En marche ! Son directeur (6), M. Alexis Kohler, qui a rejoint la direction financière du deuxième armateur mondial, MSC, continue de conseiller M. Macron, quand son adjoint, M. Julien Denormandie, se consacre à temps plein à la campagne. Tous deux sont passés par le cabinet de M. Pierre Moscovici, aujourd'hui commissaire européen.

    Le conseiller chargé de la communication et des affaires stratégiques de M. Macron à Bercy, M. Ismaël Emelien, fait appel à des entreprises spécialisées dans la collecte et l'analyse de données de masse afin de caler l'« offre » politique sur les desiderata des électeurs (Le Monde, 19 décembre 2016). Le porte-parole d'En marche !, M. Benjamin Griveaux, ne faisait pas partie de son cabinet ministériel, mais il cumule les propriétés de ses jeunes membres : surdiplômé — École des hautes études commerciales (HEC) de Paris, Sciences Po —, formé au sein de la droite du PS (auprès de MM. Strauss-Kahn et Moscovici), passé par un cabinet ministériel (celui de Mme Marisol Touraine). En outre, il a exercé des mandats électoraux (à Chalon-sur-Saône et dans le département de Saône-et-Loire), tout comme le secrétaire général d'En marche !, le député et conseiller régional du Finistère Richard Ferrand, ancien directeur général des Mutuelles de Bretagne.

    Héritier de la noblesse d'État

    Ainsi l'homme qui se présente comme neuf, sans passé et sans attache incarne-t-il, tant personnellement que par son entourage, l'héritage cumulé de la noblesse d'État (Bercy), de l'expertise et de la haute finance : le noyau du « système », en somme, que sanctionne son appartenance au club Le Siècle.

    Trente ans après que M. Hollande, M. Jouyet et quelques autres caciques socialistes ont proclamé que « la gauche bouge (7)  », la vieille garde et les Jeunes-Turcs de M. Macron rejouent l'éternelle histoire du modernisme : un homme situé au-dessus des partis qui agrège les bonnes volontés, les compétences techniques et les méthodes dernier cri pour piloter le pays. Dès lors, l'essentiel n'est pas d'avoir un programme. C'est de rassembler, de la droite de la gauche (par exemple M. Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon, connu pour sa sollicitude envers la hiérarchie catholique) à la gauche de la droite (comme la députée européenne Sylvie Goulard, auteure de l'inénarrable L'Europe pour les nuls).

    C'est surtout de pouvoir compter sur l'appui d'individus influents, tel M. Jean Pisani-Ferry, ancien commissaire général à la stratégie et à la prospective, et sur les nombreux experts qu'il draine dans son sillage. Cet ancien conseiller de M. Strauss-Kahn et de M. Jouyet sait pourtant l'inconvénient d'un tel positionnement. Peu après le « Brexit », il constatait : « Nous sommes les experts, ceux que 52 % des Britanniques détestent » (Le Figaro, 4 juillet 2016). Il faudra à M. Macron beaucoup de charisme pour maintenir l'illusion qu'il appartient à l'autre camp. Lui suffira-t-il de croiser le mythe pompidolien du banquier lettré sachant conduire les affaires avec le fantasme giscardien du jeune homme progressiste ?

    (1) Marc Endeweld, L'Ambigu Monsieur Macron, Flammarion, Paris, 2015.

    (2) Emmanuel Macron, « Les labyrinthes du politique. Que peut-on attendre pour 2012 et après ? », Esprit, Paris, mars-avril 2011.

    (3) Vincent Duclert, « La deuxième gauche », dans Jean-Jacques Becker et Gilles Candar (sous la dir. de), Histoire des gauches en France, vol. 2, XXe siècle : à l'épreuve de l'histoire, La Découverte, Paris, 2004.

    (4) Commission pour la libération de la croissance française présidée par Jacques Attali, 300 décisions pour changer la France, XO Éditions - La Documentation française, Paris, 2008.

    (5) Yves Jeuland, À l'Élysée, un temps de président, documentaire diffusé sur France 3 le 28 septembre 2015.

    (6) Les rôles de directeur et de chef de cabinet ne se confondent pas, le second assumant plutôt des fonctions d'organisation.

    (7) Jean-François Trans (pseudonyme collectif), La gauche bouge, Jean-Claude Lattès, Paris, 1985.

    Racisme, antisémitisme, xénophobie : un net recul

    mer, 05/04/2017 - 14:23

    De Charlie et de l'Hyper Cacher, en janvier, au Bataclan, en novembre, les tueries des djihadistes à Paris ont marqué l'année 2015. Après ces drames, il fallait beaucoup de naïveté pour croire qu'une grande manifestation consensuelle, comme celle du 11 janvier 2015, vaccinerait les Français contre le rejet de l'autre. De fait, les statistiques officielles ont indiqué, pour cette année noire, une explosion des « menaces » et des « actes » antimusulmans : + 223 % (1). Les faits d'antisémitisme, eux, reculaient légèrement.

    Cette tendance allait-elle se confirmer en 2016, à nouveau frappée par de terribles attentats, notamment à Nice et Saint-Etienne du Rouvray ? Non, bien au contraire, permet de répondre le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) sur « La lutte contre le racisme, l'antisémitisme et la xénophobie (2) ». Les chiffres du Service central du renseignement territorial (SCRT) au ministère de l'intérieur sont clairs : les « menaces » et « actions » à caractère antisémite, antimusulman et autre ont connu une baisse significative de 44,69 % durant l'année 2016. Plus précisément, les actes antimusulmans reculent de 57,5 % (182 actes, contre 429 en 2015 et 133 en 2014), les actes antisémites de 58,5 %, et les « autres faits » de 23,7 %.

    Cette mesure reste incomplète, toutes les victimes de « menaces » et d'« actes » ne portent évidemment pas plainte : seul un tiers des « menaces » seraient signalées et 19 % enregistrées. Toutefois, le rapport de la CNCDH présente une autre donnée encourageante : l'indice de tolérance. Élaboré par des chercheurs notamment à partir d'un sondage réalisé au domicile des personnes interrogées (3), cet indice mesure l'évolution des préjugés depuis 1990. Or, après une dégradation importante entre 2010 et 2013, il ne cesse de remonter depuis. L'acceptation de l'autre atteint même en 2016 un de ses meilleurs niveaux depuis 1990 — malgré, précisent les chercheurs, « un contexte d'apparence peu propice à l'acceptation de l'autre : terrorisme, arrivées de migrants, poids des thèmes sécuritaires dans les médias, certaines prises de position politiques, etc. »

    Lire aussi Benoît Bréville, « Embarras de la gauche sur l'immigration », Le Monde diplomatique, avril 2017. Pour les chercheurs, les attaques djihadistes en France n'entraînent pas automatiquement une poussée d'intolérance, car « la prédominance des dispositions à la tolérance ou à l'intolérance, qui coexistent en chacun de nous, dépend du contexte et de la manière dont les élites politiques, médiatiques et sociales parlent de l'immigration et de la diversité ».

    Une dernière remarque : selon le rapport de la CNCDH, la remontée de la tolérance « profite à toutes les minorités ». Leur acceptation reste cependant très inégale : 81 % pour les Juifs et les Noirs, 72 % pour les Maghrébins, 63 % pour les musulmans. Quant aux Roms, 54,3 % des sondés estiment encore qu'ils ne veulent pas s'intégrer en France, mais ils étaient 77 % il y a deux ans…

    (1) Rapport de la commission nationale consultative des Droits de l'homme, 2015.

    (2) Les « essentiels » du rapport sont disponibles sur le site www.cncdh.fr

    (3) Ces chercheurs sont Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj et Tommaso Vitale.

    Racisme, antisémitisme, xénophobie : un net recul

    mer, 05/04/2017 - 14:14
    De Charlie et de l'Hyper Cacher, en janvier, au Bataclan, en novembre, les tueries des djihadistes à Paris ont marqué l'année 2015. Après ces drames, il fallait beaucoup de naïveté pour croire qu'une grande manifestation consensuelle, comme celle du 11 janvier 2015, vaccinerait les Français contre le (...) / , , , , , , , - La valise diplomatique

    Cisjordanie, de la colonisation à l'annexion

    mer, 05/04/2017 - 12:50

    En quelques jours, le premier ministre israélien a annoncé la mise en chantier de plus de trois mille nouveaux logements à Jérusalem-Est et en Cisjordanie — plus que durant toute l'année 2016. Cette surenchère n'empêche pas M. Benyamin Netanyahou d'être débordé sur sa droite par son concurrent Naftali Bennett, qui se prononce pour l'annexion des territoires palestiniens occupés.

    « La seule chose prévisible chez [Donald] Trump, c'est qu'il sera imprévisible (1).  » Globalement pertinente, cette réflexion de Noam Chomsky l'est moins s'agissant du Proche-Orient. Trois prises de position du candidat républicain balisent sa politique présidentielle face au conflit israélo-palestinien : l'engagement de transférer l'ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem (2) ; le refus de considérer la colonisation des territoires occupés depuis 1967 comme un obstacle au processus de paix ; la décision de ne plus faire pression sur le gouvernement israélien afin qu'il négocie. Deux nominations apparaissent au moins aussi significatives : celle du gendre du président, M. Jared Kushner, qui soutient financièrement les colons, à la fonction de « haut conseiller à la Maison Blanche » ; et celle, au poste d'ambassadeur en Israël, de M. David Friedman, qui préside les Amis de Bet El, une vieille implantation juive de Cisjordanie. Le diplomate improvisé a aussitôt exprimé sa « hâte » de travailler « depuis l'ambassade américaine dans la capitale éternelle d'Israël ».

    Les « avant-postes » légalisés ?

    Coïncidence ? L'arrivée de cette nouvelle administration se produit alors que l'extrême droite israélienne milite pour un tournant historique de la politique palestinienne de Tel-Aviv : l'annexion de la Cisjordanie. M. Naftali Bennett, dirigeant du parti religieux ultranationaliste Foyer juif, ministre de l'éducation et de la diaspora, prône depuis longtemps l'annexion de la zone C. Celle-ci, placée par les accords d'Oslo sous le contrôle exclusif d'Israël, représente plus de 60 % de la Cisjordanie, notamment la vallée du Jourdain, mais aussi l'ensemble des colonies et de leurs routes de contournement. Le 5 décembre 2016, M. Bennett est passé aux actes : il a fait voter en première lecture par la Knesset un texte légalisant quatre mille logements dans des « avant-postes », ces colonies que même le droit israélien considérait jusqu'ici comme illégales, car construites sur des terrains palestiniens privés expropriés. C'est une violation flagrante de la 4e convention de Genève et des résolutions des Nations unies. Pour que ce texte entre en vigueur, il lui faudra toutefois trois nouvelles lectures, puis la validation de la Cour suprême.

    « C'est la loi la plus dangereuse édictée par Israël depuis 1967 », affirmait peu après le vote M. Walid Assaf, ministre palestinien chargé des colonies. Le procureur général d'Israël, M. Avichaï Mandelblit, s'opposait à ce texte contraire à la jurisprudence de la Cour suprême, et le chef de l'opposition travailliste Isaac Herzog l'assimilait à un « suicide national ». De même, deux cents anciens responsables se présentant comme les « commandants pour la sécurité d'Israël » dénonçaient dans le projet d'annexion la fin du caractère « juif et démocratique » de l'État. Ces réactions n'ont pas empêché M. Bennett de promettre pour fin janvier une nouvelle loi consacrant l'annexion de Maale Adoumim, l'un des trois principaux blocs de colonies israéliennes, à l'est de Jérusalem. Pour l'Autorité palestinienne, ce tournant équivaut à un arrêt de mort : l'annexion de la Cisjordanie lui laisserait peu à gérer, et encore moins à négocier.

    Il y a cinquante ans, au lendemain de la guerre des six jours, le gouvernement de Levi Eshkol fit mine de ne pas vouloir modifier le statut des territoires occupés, à l'exception de Jérusalem-Est, annexée dès 1967 et proclamée, avec Jérusalem-Ouest, en 1980, capitale « entière et unifiée » du pays — ce que ne reconnaît pas la « communauté internationale ». Il s'agissait, prétendit alors son ministre des affaires étrangères, Abba Eban, d'une « carte » à jouer dans de futures négociations de paix. Tous les gouvernements successifs, y compris les plus à droite, comme ceux d'Ariel Sharon et de M. Benyamin Netanyahou, s'en tinrent officiellement à cette version. Sans que cela les empêche de coloniser de plus en plus massivement la Cisjordanie : de 5 000 colons en 1977, date de la première arrivée de la droite au pouvoir, on passera en 2017 à plus de 400 000, sans compter les 200 000 Israéliens vivant à Jérusalem-Est.

    Ce flou présente un avantage politique et diplomatique majeur : il permet à Tel-Aviv de ne pas se prononcer sur le sort des Palestiniens. À l'inverse, annexer la Cisjordanie impliquerait d'accorder à ces derniers les mêmes droits que les Israéliens, y compris celui de voter, ce qui ouvrirait une longue bataille pour une égalité réelle dans le futur État commun. En cas de refus, l'État unique s'afficherait clairement comme une variante de l'apartheid sud-africain, un seul peuple s'arrogeant tous les droits.

    Pour échapper à ce dilemme, un scénario plus noir encore reste présent : une nouvelle vague d'expulsions de Palestiniens de la Cisjordanie, voire de l'État d'Israël. Ce dernier ne serait pas devenu majoritairement juif sans la Nakba (« catastrophe » en arabe) de 1947-1949, qui chassa 850 000 Palestiniens, soit les quatre cinquièmes de ceux qui vivaient alors dans le pays. Il poursuivit ce nettoyage ethnique à la faveur de la guerre de 1967, avec la Naksa (« revers ») : 300 000 nouveaux réfugiés avaient alors fui les territoires occupés par l'armée israélienne. Et Sharon aimait à répéter que « la guerre d'indépendance d'Israël n'est pas terminée ». Depuis, le contexte a bien sûr changé. Difficile d'organiser une déportation massive devant les caméras du monde entier — du moins à froid. Mais à chaud ? La guerre en cours en Syrie crée un redoutable précédent : dans l'escalade des combats, en cinq ans, plus d'un habitant sur deux a dû quitter son foyer, dont près de la moitié pour l'exil.

    L'extrême droite n'hésite plus à s'inscrire ouvertement dans la perspective de l'annexion. « Le chemin des concessions, le chemin de la division a échoué. Nous devons donner nos vies pour étendre la souveraineté d'Israël en Cisjordanie », affirme sans ambages le dirigeant du Foyer juif (3). Si le chef du Likoud partage cette ligne, il rechigne à l'afficher. Sa dernière volte-face en témoigne : le 5 décembre dernier, il a voté en première lecture la loi d'annexion, qu'il s'emploie désormais à enterrer !

    Inquiétudes pour l'image du pays

    Ses zigzags ne datent pas d'aujourd'hui. En 2009, dans son discours à l'université Bar-Ilan, M. Netanyahou admet, du bout des lèvres, la possible création d'« un État palestinien démilitarisé ». Six ans plus tard, à la veille des élections législatives, il jure qu'il n'y aura pas d'État palestinien tant qu'il sera aux commandes. À peine redevenu premier ministre, il se renie… et le nie : « Je ne suis revenu sur rien de ce que j'avais dit il y a six ans, lorsque j'avais appelé à une solution avec un État palestinien démilitarisé, qui reconnaît l'État hébreu. J'ai simplement dit que, aujourd'hui, les conditions pour cela ne sont pas réunies (4).  »

    Raison de ces acrobaties, l'isolement croissant de Tel-Aviv inquiète l'Institut d'études de la sécurité nationale (INSS). Il écrit dans son rapport annuel, qui fait autorité : « L'image d'Israël dans les pays occidentaux continue à décliner ; une tendance qui accroît la capacité de groupes hostiles à mener des actions pour le priver de légitimité morale et politique et lancer des opérations de boycott (5).  » Si l'extrême droite n'en a cure, c'est qu'elle s'appuie, outre sur la nouvelle administration américaine, sur une opinion israélienne radicalisée. L'état de guerre permanent — renforcé ces derniers mois par l'« Intifada des couteaux » —, l'intensité de la manipulation médiatique, mais aussi, et sans doute surtout, l'absence de toute solution de rechange politique : autant de facteurs qui expliquent le ralliement de la majorité des Juifs israéliens aux thèses extrémistes.

    Les sondages confirment en effet les résultats du scrutin du 17 mars 2015, qui a débouché sur la constitution du gouvernement le plus à droite de l'histoire d'Israël. Dans toutes les enquêtes, une majorité refuse la création d'un État palestinien, soutient l'annexion de la Cisjordanie et souhaite le « transfert » des Palestiniens, y compris — du jamais-vu — ceux d'Israël (6). En outre, six Juifs israéliens sur dix pensent que Dieu a donné la terre d'Israël aux Juifs — selon une boutade bien connue là-bas, même les athées le croient… À ce consensus contribue aussi depuis peu un puissant arsenal répressif contre les récalcitrants (lire « Série de lois liberticides »).

    Un événement symbolise cette radicalisation à droite : les réactions au jugement du soldat franco-israélien Elor Azaria, accusé d'avoir, le 24 mars 2016, assassiné d'une balle dans la tête un assaillant palestinien déjà blessé, allongé à terre, inconscient, dans le centre d'Hébron. Soucieux de l'image de l'armée après la diffusion de la vidéo du meurtre dans le monde entier, l'état-major a voulu faire un exemple. Et le tribunal militaire, le 4 janvier, a jugé l'accusé coupable d'« homicide » — la sentence, encore attendue, pourrait aller jusqu'à vingt ans de réclusion. À condition que les trois magistrats ne reculent pas devant la levée de boucliers suscitée par leur verdict : le premier ministre et la quasi-totalité du gouvernement, presque toute la classe politique et le gros des médias exigent la grâce de l'assassin, comme 67 % des Juifs israéliens sondés. Devant la multiplication des menaces de mort, il a même fallu fournir aux juges une protection rapprochée, tandis que le chef d'état-major de l'armée était lui aussi inquiété par des extrémistes.

    Le tournant qui se profile éclaire évidemment le sens de la résolution 2334 contre la colonisation, adoptée le 23 décembre 2016 par le Conseil de sécurité des Nations unies grâce à l'abstention américaine — une première depuis 1980 —, et de la conférence tenue à Paris le 15 janvier en présence du secrétaire d'État américain John Kerry. Il faut tout l'aplomb du ministre israélien de la défense Avigdor Lieberman pour y voir une « affaire Dreyfus moderne » : la « communauté internationale », États-Unis compris, s'est contentée de réaffirmer l'objectif des deux États et de condamner tout ce qui le compromet, en premier lieu la colonisation (lire les extraits du discours de M. Kerry).

    La démarche américaine serait louable si elle n'intervenait pas aussi tard, et après que l'administration sortante a conclu un accord historique avec Tel-Aviv pour une aide militaire de 38 milliards de dollars sur dix ans. Mais le moment choisi n'est pas seul en cause. Plus grave encore : l'absence d'évocation d'une sanction potentielle dans ces manœuvres opérées à la dernière minute, juste avant l'arrivée de M. Trump à la Maison Blanche. Même si le leader centriste Yaïr Lapid nuance : « Cette résolution ne parle pas de sanctions, mais elle fournit l'infrastructure pour de futures sanctions ; c'est ce qui est alarmant. Cela peut donner corps à des plaintes devant des juridictions internationales contre Israël et ses responsables (7).  »

    L'évolution interne d'Israël démontre en effet, s'il en était encore besoin, que seule une forte pression internationale, assortie de mesures coercitives, économiques et juridiques, pourrait ramener ses dirigeants à la raison. Conscient de l'enjeu, le premier ministre israélien a d'ailleurs qualifié en 2015 la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) de « menace stratégique ». Selon la Rand Corporation, un think tank américain, celle-ci pourrait coûter à l'économie israélienne jusqu'à 47 milliards de dollars en dix ans (8). Car elle fait tache d'huile jusqu'au niveau institutionnel : dans nombre de pays, des fonds de pension, de grandes entreprises — en France, Orange et Veolia —, des banques retirent leurs investissements des colonies, voire d'Israël. L'Union européenne demande, elle, que les produits des colonies soient étiquetés en tant que tels, afin qu'ils ne bénéficient plus des avantages que l'accord d'association accorde à ceux d'Israël ; mais cette exigence a une portée plus limitée…

    Une fois n'est pas coutume, un autre signal, politique celui-là, est venu de la Commission européenne, d'ordinaire si complaisante vis-à-vis de Tel-Aviv. Tout en se déclarant opposée au boycott d'Israël, la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Federica Mogherini, affirme : « L'Union défend la liberté d'expression et d'association, conformément à sa charte des droits fondamentaux, qui s'applique aux États membres, y compris en ce qui concerne les actions BDS. » Et de commenter : « La liberté d'expression, comme l'a souligné la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, est également applicable aux informations et aux idées qui offensent, choquent ou perturbent un État ou une partie de la population (9).  »

    Sous la conduite de MM. François Hollande et Manuel Valls, les autorités françaises ont, à l'inverse, obtenu des poursuites judiciaires et de lourdes amendes contre les activistes de la campagne BDS. Les actions de ces derniers ont été absurdement présentées comme une « incitation à la haine raciale », alors qu'ils militent pour la fin de la colonisation et l'égalité des droits. Un objectif qu'ils partagent avec… les Nations unies.

    (1) L'Humanité, Saint-Denis, 30 novembre 2016.

    (2) Voté par le Congrès en 1995, ce transfert n'a par la suite été mis en œuvre par aucun président.

    (3) Jacques Benillouche, « En Israël, la tentation d'un État binational qui annexerait la Cisjordanie », Slate.fr, 29 octobre 2016.

    (4) Le Monde, 19 mars 2015.

    (5) Anat Kurz et Shlomo Brom (sous la dir. de), « Strategic survey for Israel 2016-2017 », Institute for National Security Studies, Tel-Aviv, 2016.

    (6) Haaretz, 8 mars 2016.

    (7) Le Monde, 23 décembre 2016.

    (8) Financial Times, Londres, 12 juin 2015.

    (9) The Times of Israel, 31 octobre 2016, http://fr.timesofisrael.com

    À Gibraltar, dernière colonie d'Europe

    mar, 04/04/2017 - 10:20

    En votant très massivement contre le « Brexit », les habitants de Gibraltar ont montré leur attachement à l'Union européenne, qui leur accorde de nombreuses dérogations et joue les médiateurs avec l'Espagne. D'une superficie à peine plus grande que celle du 20e arrondissement de Paris, ce territoire est à la fois l'un des plus riches du monde et le dernier à décoloniser en Europe, selon les Nations unies.

    Peu avant le coucher du soleil, des dizaines de voitures et de deux-roues s'agglutinent devant le poste de douane. À la sortie de Gibraltar règne une atmosphère d'angoisse et d'ennui. Les travailleurs frontaliers devront attendre jusqu'à deux heures pour gagner, à peine cent mètres plus loin, La Línea de la Concepción, la ville andalouse voisine. Vêtus de vert sombre, armés d'un pistolet et d'une matraque, les agents de la Guardia Civil — une force de police espagnole à statut militaire — contrôlent minutieusement les véhicules, vérifiant qu'ils ne transportent pas des produits de contrebande dissimulés dans un double fond. Sur le territoire espagnol, le trafic illicite de tabac est une affaire lucrative : la veille de notre passage, la police avait saisi 70 000 paquets, soit l'équivalent de 315 000 euros de marchandise. Officiellement, les habitants de la région ont droit à quatre paquets par passage, et les touristes à dix.

    Colonie de la couronne britannique, Gibraltar ne fait pas partie de l'espace Schengen. Les autorités espagnoles peuvent donc renforcer les contrôles aux abords de ce port franc où les biens et les services sont exemptés de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) (1). « Ces dernières années, la crise économique qui frappe l'Espagne a poussé certains chômeurs à la fraude. Une pratique qui a fait grimper les quantités de tabac confisquées », explique un membre de la Guardia Civil. Elles sont passées de 147 000 paquets en 2008 à près d'un million en 2013 avant de retomber à 330 000 en 2015, mais, précise-t-il, « l'assiduité des contrôles varie selon la couleur du gouvernement ».

    L'Espagne, qui réclame la souveraineté sur la colonie, utilise à des fins politiques les inspections douanières, qui s'ajoutent à celles de la police à cette frontière de l'espace Schengen et entravent la circulation dans la zone. Alors que le contentieux s'était apaisé sous le gouvernement du socialiste José Luis Rodríguez Zapatero (2004-2011), l'accession au pouvoir, en 2011, des conservateurs du Parti populaire (PP) a ravivé la revendication de ce territoire à vocation militaire cédé à perpétuité aux Britanniques par le traité d'Utrecht, en 1713. « Jamais abandonnée, l'ambition de récupérer le Rocher [le surnom de cette colonie couronnée par un monolithe calcaire culminant à 426 mètres] a resurgi sous la dictature de Francisco Franco [1939-1975], qui est allé jusqu'à fermer la frontière à partir de mai 1968, rappelle Jesús Verdú, professeur de droit international à l'université de Cadix. Alors vue comme un ennemi, la colonie fait encore de nos jours vibrer la corde patriotique des Espagnols. Pourtant, il existe une grande méconnaissance de ce qu'est réellement Gibraltar : le moteur économique de la zone. »

    La plupart des 120 000 habitants du Campo de Gibraltar, une « comarque » (division administrative espagnole) voisine de 1 500 kilomètres carrés formée par sept municipalités espagnoles, s'opposent à la restitution du Rocher. Dans cette région ravagée par un chômage de 35 %, la colonie a généré en 2013 près de 25 % du produit intérieur brut (PIB), soit deux fois plus que six ans plus tôt, d'après un rapport publié en 2015 par sa chambre de commerce. « Ceux qui, aux alentours, ont perdu leur emploi après la crise de 2008 en ont rapidement retrouvé un ici, où le chômage est pratiquement inexistant, indique M. Edward Macquisten, directeur de la chambre de commerce de Gibraltar. En 2015, on comptait environ 24 500 actifs, soit 7 500 de plus qu'il y a une décennie. Un tiers étaient des frontaliers. De surcroît, le PIB local dépasse 1,9 milliard d'euros, soit le double de ce qu'il était en 2008. » Ce « caillou » de 6,8 kilomètres carrés et 30 000 habitants est devenu l'un des territoires les plus riches du monde, en termes de revenu annuel par habitant.

    Après avoir pris en 2002 des engagements visant « à améliorer la transparence et à mettre en place des échanges de renseignements en matière fiscale (2)  », le territoire n'est plus considéré comme un paradis fiscal par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Pourtant, avec un impôt sur les bénéfices de 10 %, contre 30 % en Espagne, son régime fiscal très avantageux attire les entreprises, qui y élisent domicile uniquement pour réduire leurs coûts de fonctionnement, alors qu'elles exercent leurs activités dans d'autres pays. Ainsi, selon le gérant de la chambre de commerce, 20 % des véhicules du Royaume-Uni sont assurés par des compagnies domiciliées à Gibraltar, et une bonne part des Britanniques y effectuent leurs paris virtuels. Pionnière dans la légalisation du jeu en ligne, la colonie a attiré les vingt principaux casinos du Web.

    Madrid ne reconnaît pas d'espace maritime au Rocher

    Sous le soleil méditerranéen, la vie est bien plus agréable qu'à Londres, le stress moins palpable. Le taux de criminalité est quasiment nul. Pour un Britannique, l'électricité, le téléphone et les loyers coûtent moins cher dans cette ville fortement imprégnée de style british, équipée de boîtes aux lettres et de cabines téléphoniques du même rouge qu'outre-Manche. Mais les prix du logement restent prohibitifs pour les habitants du Campo de Gibraltar, dont un sur dix travaille sur le Rocher : un loyer peut y être jusqu'à trois fois plus élevé qu'à La Línea de la Concepción. Les frontaliers sont les premiers affectés par ce litige géopolitique. « Lorsque les autorités espagnoles font pression sur la douane pour perturber les Llanitos [surnom des habitants de Gibraltar] et limiter les flux touristiques, elles punissent surtout leurs propres citoyens », estime le gérant d'une auberge de la ville andalouse.

    Première commune voisine espagnole, La Línea de la Concepción se révèle bien morne. Plusieurs commerces ont dû fermer leurs portes. D'autres ont constaté une chute d'activité de près de 50 %, et même les bistrots se vident. « Le tourisme a diminué dans la zone et par ailleurs nous, Gibraltariens, évitons désormais de nous rendre en territoire espagnol comme nous le faisions auparavant, explique Mme Gemma Vásquez, présidente de la Fédération des petites entreprises de Gibraltar. Notre argent sort moins d'ici, puisque nous hésitons à aller siroter un verre à bas prix de l'autre côté de la frontière en raison des longs contrôles de douane ainsi que des attaques contre nos véhicules, qui se sont intensifiées ces dernières années. »

    Le regain de tension remonte à l'été 2013, lorsque Gibraltar a interdit physiquement la pêche au chalut en créant un récif artificiel de soixante-dix blocs de béton hérissés de piques. Cette initiative « verte » provoque l'ire de l'Espagne, qui ne reconnaît pas d'eaux territoriales à la colonie et prend des mesures de rétorsion en faisant du zèle à la frontière. « Cette dénégation de la souveraineté d'un territoire sur les eaux adjacentes est une interprétation contraire à la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, explique Jesús Verdú. Un non-sens, quand on sait qu'au XIXe siècle la discussion portait sur la délimitation des espaces maritimes entre la colonie et son voisin hispanique. »

    Au litige relatif aux eaux territoriales s'est ajouté celui sur l'espace aérien. L'emplacement de l'aéroport local est contesté, car il appartient à une zone que les Gibraltariens se sont octroyée au XIXe siècle. Durant celui-ci, la fièvre jaune frappa à plusieurs reprises la colonie, et les Espagnols accordèrent à leurs voisins le droit d'installer un camp temporaire pour les valides au-delà des limites terrestres fixées par le traité d'Utrecht. Mais le camp se pérennisa après la fin de l'épidémie. À travers l'accord de Cordoue, en 2006, l'ancien gouvernement socialiste tenta un rapprochement avec les Britanniques et mit en place pour la première fois des liaisons aériennes entre l'Espagne et Gibraltar. Mais, très vite, la nouvelle administration abrogea cette convention. Depuis, aucun avion décollant de cet aéroport n'a le droit de survoler l'espace aérien espagnol. Et Gibraltar a été écarté du projet de « ciel unique européen ».

    Si ses habitants ont voté massivement (à 96 %) pour le maintien du Royaume-Uni dans l'Union européenne, Gibraltar bénéficie d'un statut unique et déroge à de nombreuses dispositions communautaires : en plus d'être dispensée de prélever la TVA, elle n'est concernée ni par l'union douanière, ni par la politique commerciale, ni par la politique de pêche commune.

    « Depuis le “Brexit”, les voisins des deux côtés de la frontière s'inquiètent. L'économie ici est très dynamique, en grande partie grâce au statut particulier de Gibraltar dans l'Union européenne, poursuit Jesús Verdú. Les entreprises qui s'y sont délocalisées pourraient chercher un nouveau siège ailleurs en Europe. En outre, Bruxelles ne jouera plus les médiateurs dans un contexte de crise politique entre Gibraltar et l'Espagne. » Cependant, on ignore pour l'instant les conséquences réelles du « Brexit », et de nombreux habitants restent confiants. « Au fil des siècles, les Llanitos ont vécu dans l'adversité et ont toujours su s'adapter, déclare M. Macquisten. Ici, on vit en communauté, on est unis, et les gens, très entreprenants, savent saisir la moindre occasion qui se présente. »

    L'Espagne voit le « Brexit » comme une chance. Ainsi, son ministre des affaires étrangères, M. José Manuel García-Margallo, s'est empressé de proposer une cosouveraineté temporaire qui aurait pour finalité l'annexion espagnole du territoire. Bien qu'un tel dispositif leur permette de rester dans l'Union européenne, les résidents de Gibraltar s'y opposent fermement. En outre, le Parti populaire exclut de négocier directement avec leurs représentants et refuse de reconnaître à ce territoire un autre statut que celui de colonie, conformément à la décision de l'Organisation des Nations unies (ONU) de le classer parmi les espaces non autonomes à décoloniser. « Depuis les années 1960, l'Espagne invoque le principe d'intégrité territoriale, arguant que la tutelle britannique sur Gibraltar détruit son unité nationale. Néanmoins, l'Assemblée générale de l'ONU se contente d'inviter les gouvernements des deux pays à débattre sur Gibraltar pour mettre fin à son statut de colonie », résume Jesús Verdú. Ces discussions ne doivent toutefois pas oublier les intérêts des Llanitos. En 1967, 99,6 % d'entre eux avaient exprimé par référendum leur attachement au statut de territoire britannique d'outre-mer. L'autonomie de gestion mise en place prévoit que la Couronne n'intervienne que dans les relations étrangères et la défense.

    Le « Brexit » pourrait changer la donne de la médiation mise en place après les différends de 2013. La Commission européenne avait fortement recommandé de fluidifier la circulation à la frontière, où les contrôles méticuleux provoquaient d'interminables files d'attente pouvant durer jusqu'à neuf heures — tout en faisant chuter la contrebande par voie routière de près de 50 %, selon les autorités espagnoles. Engagée dès lors dans la modernisation des accès frontaliers, l'Espagne a fait passer de deux à quatre le nombre des voies d'entrée dans le pays, dont une réservée aux travailleurs frontaliers espagnols. Elle a en outre mis en place l'utilisation de scanners, de lecteurs d'empreintes digitales et de systèmes de reconnaissance faciale, et créé un espace pour la fouille des véhicules suspects. Quelques mois avant la fin de ces travaux, achevés à l'été 2015, M. García-Margallo a toutefois refusé d'alléger les contrôles douaniers en raison de la persistance de la contrebande, qui aurait coûté à l'Union européenne 700 millions d'euros entre 2010 et 2013 (3). La méfiance reste de rigueur, comme en témoigne l'enquête de l'Office européen de lutte antifraude (OLAF), qui révèle des indices de trafic illicite autour de la colonie et l'implantation de mafias liées à ce commerce. Depuis le 1er janvier 2015, Gibraltar a donc été contraint de réduire l'importation de paquets de cigarettes de 110 à 90 millions.

    « Notre souveraineté ne pourra jamais être négociée »

    Malgré l'impact économique du Rocher sur la zone, le gouvernement espagnol peine à prendre en compte l'avis des Gibraltariens. « Notre souveraineté ne pourra jamais être négociée. Nous sommes britanniques, et il faut respecter l'existence ici d'une population installée depuis trois siècles », martèle M. Fabian Picardo, ministre en chef de Gibraltar. D'après l'ONU, la population doit statuer sur son avenir, comme elle l'a fait pour la deuxième fois en 2002 : près de 99 % des habitants avaient alors refusé par référendum leur rattachement à l'Espagne. « Pas étonnant qu'ils souhaitent rester britanniques ! », lance M. Francisco Linares, un habitant de San Roque, petite ville fondée à une dizaine de kilomètres du Rocher par les exilés de Gibraltar. Après la prise de la ville en 1704, ses habitants furent en effet forcés de quitter les lieux au profit des Britanniques. Comme M. Linares, beaucoup ici rêvent du jour où le drapeau espagnol y flottera à nouveau. « Dès qu'un Llanito met les pieds au-delà de la frontière, il se rend vite compte de la différence de niveau de vie et se demande ce que l'Espagne peut lui offrir. Nos autorités doivent arrêter de considérer le Rocher comme un ennemi et s'impliquer dans l'amélioration de la zone afin de la rendre plus attractive aux yeux des Gibraltariens. »

    Pas facile, cependant, de séduire une population aisée qui croit peu en la possibilité d'un bel avenir avec ceux qui la harcèlent depuis des siècles. Dans les bistrots, les conversations en anglais intègrent de moins en moins d'emprunts hispaniques. « Alors que le bilinguisme s'impose ici, des jeunes, comme mes enfants, rencontrent de plus en plus de problèmes pour s'exprimer en espagnol, remarque M. Peter Montegriffo, avocat, ministre du commerce et de l'industrie entre 1996 et 2000. Certes en raison d'une éducation assurée en anglais, mais aussi parce qu'ils associent le castillan à un pays hostile et refusent donc de le parler. » Plutôt que de chercher à y remédier, Madrid a décidé en 2015 de fermer les portes de l'Instituto Cervantes, qui veille à l'enseignement et la diffusion de la langue et de la culture espagnoles. Effaçant ainsi un peu plus leur empreinte sur ce peuple qui revendiquait pourtant auparavant une culture métissée.

    (1) Mémo de la Commission européenne, Bruxelles, 24 septembre 2013.

    (2) Lettre du ministre en chef de Gibraltar Peter Caruana au secrétaire général de l'OCDE, 27 février 2002.

    (3) El País, Madrid, 13 août 2014.

    Puisque Lénine ne l'a pas dit…

    lun, 03/04/2017 - 22:07

    En avril 1971, le journal maoïste « Tout ! » ouvre ses colonnes à des militants du Front homosexuel d'action révolutionnaire (FHAR). L'un des auteurs, qui se présente comme « homosexuel, sale étranger, dangereux communiste », s'interroge sur son rapport à la politique.

    Comme les « normaux », on a le droit d'avoir des mythes, et moi, j'ai commencé par en avoir aussi : comme homosexuel, comme homme, comme révolutionnaire, je croyais que tous les homosexuels étaient des gars chouettes, des alliés parce que des opprimés ; que tous les révolutionnaires seraient des défenseurs, vu que, à mon avis, c'était pas ma condition et mes habitudes sexuelles qui comptaient, (…) mais mon activité possible à leurs côtés contre le capitalisme. Mes deux expériences, mes deux vies m'ont déçu. Les homosexuels ne sont pas tous des amis. Ils appartiennent et ils défendent des intérêts de classe bien définis. [Les marxistes], devant le doute et surtout l'ignorance, et parce que Lénine ne l'a pas dit (…), devant la peur de faire une bêtise, ils préfèrent expliquer cette déviation en se basant sur la morale domestiquée dont ils ont (comme tous et nous-mêmes) été abrutis.

    Tout !, n° 12, Paris, 23 avril 1971.

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