Les sourires crispés et convenus ne trompent que les naïfs. Derrière une unité de façade face à la menace nord-coréenne – le contraire eut été surprenant ! – Donald Trump et son homologue sud-coréen, Moon Jae-in, ont bien peu de terrains sur lesquels ils vont pouvoir s’entendre.
Récemment élu, le 9 mai dernier, et bénéficiant d’un soutien populaire important, le démocrate Moon Jae-in est le nouveau visage de la République de Corée. Un visage qui rompt avec ses deux prédécesseurs conservateurs, Lee Myung-bak et plus encore la présidente déchue Park Geun-hye. Un visage qui semble également déplaire à Donald Trump, le nouvel homme fort de Séoul étant très critique de l’accord sur le déploiement du bouclier antimissile THAAD – qu’il a stoppé à peine entré en fonction dans la Maison-Bleue – et se montrant disposé à renouer le contact avec Pyongyang et à réparer les dégâts avec Pékin. En clair, la visite du président sud-coréen à Washington avait tout d’une rencontre entre alliés certes cordiale – mais pas vraiment amicale. En témoigne le fait que Trump n’a pas invité son homologue dans sa résidence en Floride à Mar-a-Lago, comme il l’avait fait avec le Premier ministre japonais Abe Shinzo ou le président chinois Xi Jinping. Ambiance…
PYONGYANG MON AMOUR
Au-delà des symboles, qui ont leur importance quand on sait que le président américain y est particulièrement attaché, c’est cependant sur le fond que les divergences semblent particulièrement fortes. Dans leur communiqué officiel conjoint, les deux hommes annoncent être en accord sur la nécessité de réengager le dialogue avec Pyongyang, à condition que le régime nord-coréen lâche du lest sur la question nucléaire. Mais s’il s’agit clairement de la ligne affichée par Moon depuis son entrée en fonction, peut-on en dire autant de Trump ? En fait, bien malin celui qui peut deviner quelle est exactement la politique coréenne du président américain, tant cette dernière semble osciller au gré de l’actualité et des humeurs de l’occupant de la Maison-Blanche. Moon est venu chercher à Washington un soutien à sa politique de réengagement avec la Corée du Nord, et c’est ce qu’il a obtenu. Mais peut-il faire confiance à un partenaire qui a alterné le chaud et le froid avec tant d’insistance ces derniers mois qu’on ne sait plus vraiment quelle est la température à laquelle la situation sécuritaire dans la péninsule coréenne est jugée menaçante pour Washington ? D’ailleurs, Trump a martelé en compagnie de son invité que « la patience stratégique avec le régime nord-coréen a échoué. Honnêtement, la patience est terminée. » Réengager avec Pyongyang sur cette base relève de l’équilibrisme. Le président coréen a suffisamment d’expérience pour savoir que si le degré de confiance accordé à Pyongyang doit être proche de zéro, il est désormais à peine plus élevé dans le cas de Washington.
La question de savoir quelle attitude adopter si Pyongyang oppose une fin de non-recevoir à cette doléance – et ce sera sans doute le cas – n’est pas non plus soulevée, parce que c’est justement sur ce point que Washington et Séoul sont en total désaccord. Moon souhaite renouer le dialogue, coûte que coûte, parce que c’est l’absence de dialogue qui a pourri tout effort de négociation depuis une décennie, et c’est sur cette base que la question nucléaire pourra être abordée. Mais côté américain, on semble faire de la dénucléarisation de la Corée du Nord un préalable à toute négociation. Bref, les deux alliés vont avoir du mal à s’entendre, et on attend presque avec impatience les réactions américaines si Moon réussit son pari, à savoir renouer le dialogue avec Kim Jong-un. Le président sud-coréen est resté en retrait sur ce point à Washington, sans doute conscient que ce n’était ni le moment, ni le lieu, pour détailler sa stratégie nord-coréenne. Affaire à suivre donc.
« STILL MADE IN KOREA »
Si le dossier nord-coréen est plus épineux que jamais, c’est cependant sur la relation avec la Corée du Sud que Donald Trump a jeté des braises, en critiquant vivement l’accord de libre-échange entre les deux pays, qui selon lui profite plus à Séoul qu’à Washington. Le diagnostic n’est pas mauvais, les chiffres l’attestent, et sur ce point le constat de Trump ressemble à celui qu’il avait fait avant d’annoncer le retrait des États-Unis du TPP. La méthode laisse cependant sérieusement à désirer, et aura des conséquences fâcheuses sur la relation entre les deux Etats. « Nous sommes en train de renégocier un accord commercial qui sera, je l’espère, équitable pour les deux parties », a précisé le président américain. Allusion faite à l’accord actuel, signé sous l’administration Bush et entré en vigueur en 2012, pendant la présidence Obama, et que Trump a qualifié d’ « horrible ». Côté coréen, cet accord n’est pas perçu de la même manière, l’excédent commercial n’en étant que renforcé.
Mais Trump a demandé une plus grande ouverture du marché sud-coréen dans des secteurs comme l’automobile et l’acier, espérant que les consommateurs coréens roulent dans des voitures américaines. Dans ces deux secteurs, la balance commerciale est très fortement à l’avantage de la Corée du Sud, qui exporte en très grande quantité vers les États-Unis. En clair, l’accord « équitable » espéré par Trump se résume à un rétablissement de cette balance, et donc soit à la mise en place de mesures protectionnistes côté américain, soit à la hausse des importations de produits américains en Corée du Sud. Dans les deux cas, ces déclarations auront très peu de portée, sinon à faire du tort à la relation entre les deux pays.
Les habitudes de consommation des Coréens, qu’on peut qualifier de patriotisme économique, ne vont pas être modifiées simplement parce que le président des États-Unis en a émis le souhait. Ou alors c’est très mal connaître la société sud-coréenne – et ne nous voilons pas la face, c’est de cela dont il s’agit. De l’autre côté, renforcer le protectionnisme américain vis-à-vis des importations de produits coréens serait non seulement une violation de l’accord de libre-échange entre les deux pays, mais aurait en plus pour conséquence de pousser Séoul vers d’autres partenaires économiques et commerciaux, la Chine en tête. On comprend dès lors pourquoi Moon a préféré rester silencieux sur ce sujet sensible, pour ne pas contredire son hôte, et en pensant sans doute que l’idée lui passera.
MOON N’EST PAS LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE POPULAIRE DE CHINE
Et il ne le sera jamais. Pas plus qu’il ne représente les intérêts de la Chine quand il se déplace à Washington. C’est pourtant à Pékin que Donald Trump semble s’être adressé lors de la déclaration conjointe, plus qu’à son allié sud-coréen, qui ne s’y attendait sans doute pas. A moins justement que Trump n’ait cherché, en pointant du doigt les responsabilités de Pékin sur les sanctions à l’égard de Pyongyang, à faire pression sur son invité. Car Moon est désireux d’apaiser les tensions de son pays avec la Chine, très fortes depuis que le THAAD est venu s’inviter dans les débats sécuritaires dans la région. Trump a un agenda, Moon a le sien, et ils ne convergent que sur quelques éléments de langage.
En touchant à la question commerciale avec Séoul, c’est également Pékin que l’administration Trump a en tête. D’ailleurs, l’un des conseillers économiques du président américain, Gary Cohn, a évoqué cette question avec ses interlocuteurs coréens lors de leurs rencontres à la Maison-Blanche, faisant mention des « pratiques prédatrices de la Chine », et se montrant curieux de savoir comment la Corée du Sud s’y prend avec son puissant voisin. Cette discussion est éclairante à deux égards. D’une part, elle est révélatrice des difficultés qu’éprouve la Maison-Blanche à définir sa relation économique et commerciale avec Pékin, au point d’aller demander conseil à un allié, qui est par ailleurs un pays engagé dans une relation commerciale très étroite avec la Chine. D’autre part, elle ne fait que confirmer l’idée selon laquelle l’obsession de l’administration Trump dans la région est la Chine, et que la politique asiatique de Washington est en fait une politique chinoise, tout le reste n’étant qu’accessoire. Pas nécessairement le genre de message que Moon souhaitait entendre.
UNE POLITIQUE ASIATIQUE À PLUSIEURS VITESSES ?
Donald Trump a décidé de donner un grand coup de pied dans la politique asiatique de Washington, on le sait. Et il n’a pas véritablement de ligne directrice, on ne peut que le déplorer. Mais il y a en parallèle aux gesticulations du président américain des constances, et l’alliance des Etats-Unis avec le Japon et la Corée du Sud en font partie. Lors de leur entrevue, les deux chefs d’Etat ont sans doute évoqué leurs divergences, mais ils ont choisi de les laisser de côté pendant leur déclaration commune. C’était cependant sans compter sur Donald Trump, qui a profité de cet épisode pour se mettre en position de force et mettre en avant ses exigences, sans entendre celles de son invité, comme si celles-ci n’avaient pas la moindre importance. Si la Corée du Sud n’était pas un des alliés les plus proches et les plus solides de Washington – il conviendra cependant de s’interroger sur la fiabilité et la solidité de ce partenariat à l’avenir – et si Monsieur Moon n’était pas poli et expérimenté en politique, l’incident diplomatique était proche.
Les différentes vitesses dans le traitement de la question coréenne à Washington sont également le fait de l’ancien président américain, Barack Obama, qui s’est rendu à Séoul juste après la visite de Moon aux États-Unis, pour y rencontrer des dirigeants coréens, actuels et passés. On imagine que les propos tenus par Obama n’ont pas grand-chose à voir avec ceux de Trump, et que l’ancien président se voit « en mission » pour tenter de sauver la relation avec Séoul. Un vœu pieux, peut-être, mais pas nécessairement une bonne idée, qui en plus ne fait pas les affaires de Washington. Car un pays qui montre le visage d’une politique étrangère ambivalente et dissonante est un pays qui voit son influence et sa crédibilité menacées. Or, vu la situation actuelle dans la péninsule coréenne et de manière élargie en Asie, c’est justement sur ce terrain précis que les États-Unis ont de sérieux efforts à produire.
En quoi le tir de mardi diffère-t-il des précédents essais nord-coréens ?
Vu le temps de tir et sa distance, il semble en effet qu’on soit en face d’un essai de tir d’un genre nouveau, d’un missile balistique intercontinental. Si c’est bien le cas, la Corée du Sud serait en mesure d’attaquer, depuis son territoire, le sol américain, bien que l’Alaska ne soit pas des plus peuplés…
Mais il faut relativiser ce risque: d’une part parce que, même si le missile était effectivement capable d’atteindre l’Alaska, rien ne dit que la Corée du Nord soit capable de monter dessus une tête nucléaire, très lourde. D’autre part, parce que les deux pays ont intérêt à maintenir l’apparence d’une montée des menaces. La Corée du Nord pour se maintenir politiquement et les Etats-Unis pour justifier l’augmentation du budget de l’armée et dire aux Américains qu’ils doivent toujours mieux se protéger.
Donc le tir ne change pas fondamentalement la menace ?
Pas fondamentalement. C’est spectaculaire aujourd’hui parce que Trump est à la Maison Blanche et que Pyongyang a choisi de tirer le jour de la Fête nationale américaine, mais il n’y a pas de nouvelle menace.
Face aux provocations de Kim Jong-Un, que peuvent faire les Américains et les Sud-coréens ?
Le nouveau président sud-coréen n’a pas intérêt à hausser le ton face à Pyongyang, car il ne veut pas risquer de compromettre ses relations avec la Chine. Donald Trump, de son côté, a choisi d’augmenter la pression sur Pékin. Personne ne veut faire un pas vers une réelle agression, car tous savent qu’ils ont beaucoup à y perdre. Ce qui est sûr, c’est que le régime Nord-coréen ne renoncera jamais à son programme d’armement nucléaire, car le régime ne veut pas subir le sort de Mouammar Kadhafi et de Saddam Hussein.
Pim Verschuuren is a research fellow at IRIS, coordinator of the EU Programme PreCrimBet. He answers our questions about the release of the final PreCrimBet report dealing with the prevention of criminal risks linked to sports betting market:
– What are the 6 key findings of the PreCrimBet programme ?
– What are the key recommandations to protect the betting market from criminal risks ?
Le 1er octobre 2017, les autorités de Barcelone – le gouvernement dit de la « Généralité catalane » et sa majorité parlementaire (composée du Parti démocratique de Catalogne ; de la Gauche républicaine de Catalogne et du parti d’extrême gauche, CUP-Candidature d’unité populaire) – ont décidé d’organiser un référendum sur l’indépendance. À Madrid, le gouvernement a d’ores et déjà fait savoir qu’il mettrait tout en œuvre pour empêcher cette consultation. Selon la formule consacrée pour décrire les évènements politiques répondant à une dynamique similaire, « un choc de train » est d’ores et déjà programmé.
Les deux acteurs du drame sont enfermés dans un autisme à hauts risques. Bien que répondant au bluff pratiqué par les joueurs de poker, il est porteur d’accident aux conséquences imprévisibles mais en tous les cas dommageables à l’Espagne comme à la Catalogne. Le président de la Généralité, Carles Puigdemont, a officialisé le 9 juin 2017 ses intentions séparatistes. Sa coalition « Junts por el si » en a rappelé la date et les objectifs mardi 4 juillet, dans les locaux du « Teatre nacional de Catalunya ». Les électeurs inscrits sur les listes électorales de la Généralité catalane auront à répondre à une question relative à l’autodétermination de la Généralité catalane. Le gouvernement central a de son côté rappelé qu’il empêcherait avec tous les moyens dont il dispose la tenue d’un vote inconstitutionnel. Des avertissements ont d’ores et déjà été envoyés aux entreprises qui accepteraient de répondre aux appels d’offre pour fournir urnes, bulletins, enveloppes et isoloirs.
Côté nationaliste catalan, on avance le droit imprescriptible à décider démocratiquement qui serait reconnu par la Charte des Nations unies et les résolutions relatives au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Sont cités à l’appui de cette thèse les référendums organisés à ce sujet au Québec, province canadienne, et en Ecosse, partie du Royaume-Uni. Les responsables de la coalition indépendantiste signalent par ailleurs qu’il n’est pas question pour Barcelone d’abandonner l’Union européenne, l’euro et le dispositif Schengen. Ces messages ont été colportés aux quatre coins du monde occidental par les membres actuels du gouvernement catalan, comme par Artur Mas, initiateur de la proposition de rupture avec Madrid et l’Espagne.
Mariano Rajoy, du Palais de la Moncloa, a multiplié les mises en garde. La Constitution espagnole autorise l’organisation de référendums « régionaux » sous réserve d’un feu vert donné par le Parlement national espagnol. Le Parti populaire (PP), formation du président du gouvernement espagnol, est totalement opposé à l’organisation de cette consultation. Comme d’ailleurs à toute réforme de la Constitution accordant des droits élargis à la Catalogne. En saisissant le Tribunal constitutionnel, le PP avait fait capoter en 2010 toute perspective de statut d’autonomie rénové reconnaissant le caractère national de la Catalogne. Les rumeurs d’un recours par Madrid à l’article 155 de la Loi fondamentale, la suspension de l’autonomie existante par l’autorité centrale, se font de plus en plus entendre.
Le pire est-il l’hypothèse la plus pertinente ? Rien n’est moins sûr. Il ne faut pas désespérer de la culture transitionnelle héritée des années fondatrices de la démocratie. Certes les nouvelles générations, à Barcelone comme à Madrid, abusant des libertés si chèrement acquises, contestent les compromis des années 1976-1978. Au Parti populaire, on a oublié Adolfo Suarez et Manuel Fraga. Au sein de la Gauche républicaine catalane on ne parle plus de Josep Tarradellas. Au Parti démocratique de Catalogne, on préfère passer sous silence Jordi Pujol. Au Parti communiste et à Podemos, on a oublié Santiago Carrillo, Rafael Alberti et la Pasionaria. Les socialistes andalous ont tourné les pages de Ramon Rubial le basque et de Joan Reventos le catalan.
George Orwell, peu de temps après la fin de la guerre civile espagnole, avait rendu un hommage posthume à la Catalogne républicaine[1]. « L’ennemi », avait-t-il écrit, venait en dernier. La priorité c’était « le bois à bruler, les vivres, le tabac ». Les politiques d’aujourd’hui auraient-ils relégué au second plan ressources et compétences pour donner le premier rôle à l’ennemi ? Les Catalans, si l’on en croit les sondages, sont en attente d’une troisième voie[2]. Rien à voir avec Tony Blair mais beaucoup avec l’exigence adressée aux responsables politiques, ou prétendus tels, d’imagination constitutionnelle pour mettre « le bois à brûler, les vivres et le tabac » avant l’ennemi. La maire de Barcelone, Ada Colau, « leader » d’un parti regroupant la gauche contestataire, refuse de participer à une consultation non négociée avec Madrid. Podemos rejette la sécession, tout en approuvant le principe d’une consultation populaire. Au-delà de ces positions exprimant un malaise plus qu’une troisième voie, il y a depuis le 18 juin 2017 une proposition très concrète. Celle faite par le nouveau Secrétaire général du PSOE, Pedro Sanchez, de changer la Loi fondamentale afin de la fédéraliser et de permettre la reconnaissance dans son article 2 de la Catalogne comme nation[3]. À suivre donc… Même si les uns et les autres ont exclu au grand soir du 1er octobre, tout recours aux armes.
[1] George Orwell, « Hommage à la Catalogne », Paris, 10/18 n°3147
[2] Voir El Pais, 16 avril 2017, sondage Demoscopia
[3] Proposition figurant dans le livre publié par Josep Borrell, Los idus de octubre, Madrid, Catarata, 2017
Dimanche 2 juillet, les chefs d’État du Mali, du Tchad, de la Mauritanie, du Niger et du Burkina Faso étaient à Bamako, en présence également d’Emmanuel Macron, pour lancer une force anti-djihadiste dans le Sahel. Le point de vue de Philippe Hugon, directeur de recherche à l’IRIS.
Cette alliance pour le Sahel est-elle une initiative inédite sur le continent africain ? A-t-elle vraiment les moyens d’être efficace ?
Ce n’est pas complètement inédit puisque quatre pays – le Nigéria, le Cameroun, le Tchad et le Niger – avaient déjà entrepris une action conjointe pour lutter contre Boko Haram. Ceci étant, ce G5 Sahel regroupant le Mali, la Mauritanie, le Niger, le Tchad et le Burkina Faso, affiche davantage d’ambition en prévoyant une force de 5 000 hommes, pour un montant d’un peu plus de 400 millions d’euros. Cette initiative est importante car elle témoigne de l’existence de forces africaines régionales. Cela montre aussi qu’il y a des problèmes d’insécurité croissante dans ces cinq pays. Cette force va s’ajouter à Barkhane, la Minusma, ainsi qu’aux forces anti Boko Haram.
Le coût supérieur à 400 millions d’euros par an sera pour l’instant financé à hauteur de 50 millions par l’Union européenne (UE) ; chacun des cinq États membres apportera 10 millions d’euros ; tandis que la France apportera, en complément de Barkhane, un peu moins de 10 millions d’euros. Il reste toutefois un manque à gagner financier majeur, notamment du fait de la position américaine. En effet, bien que Donald Trump ait accepté au Conseil de sécurité un vote favorable à cette force, il n’a pas donné le mandat des États-Unis donc cette force ne bénéficie d’aucun financement de la part des Nations unies. Reste donc à combler ce manque à gagner financier, qui pourrait être trouvé auprès des membres de l’UE, en particulier de l’Allemagne.
Les États-Unis refusent d’aider financièrement cette initiative pour deux raisons. D’une part, Donald Trump veut globalement réduire tous les appuis aux organisations internationales et aux actions militaires des Nations unies. D’autre part, il considère que l’intervention de cette force du G5 renvoie davantage aux intérêts stratégiques français qu’américains. Peut-être est-ce une raison pour laquelle Emmanuel Macron a invité le président états-unien pour le 14 juillet, afin de faire avancer ce dossier.
Quel est l’état de la menace terroriste sur les territoires des pays de ce G5 ?
Il ne s’agit pas uniquement de menace terroriste mais plus généralement d’une monté croissante de l’insécurité. En particulier, la région du centre du Mali est totalement insécurisée du fait de conflits locaux qui réapparaissent entre les éleveurs et les agriculteurs, entre les autochtones et les allogènes, entre les migrants et les sédentaires, etc. Se rajoutent les différentes factions djihadistes qui font front commun sous la responsabilité principale d’Ansar Dine dirigé par Iyad Ag Ghali. Des alliances apparaissent entre Al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar, Aqmi, la katiba Macina peul… Aujourd’hui, ces groupes rattachés à Al-Qaïda s’allient et rendent les actions terroristes davantage possibles.
Le Mali a failli à assurer ses fonctions régaliennes. La police, la gendarmerie et les militaires ne parviennent plus à assurer la sécurité. Les problèmes de fonds demeurent à cause de l’absence de lien entre sécurité et développement et le terreau du terrorisme se trouve notamment dans le chômage des jeunes, le trafic de drogues…
Ce qui est nouveau, c’est que l’insécurité et le terrorisme ne concernent plus simplement le centre du Mali mais également les pays limitrophes, à savoir le Burkina Faso et le Niger.
Quel rôle joue la France dans la lutte et la coopération anti-terroriste en Afrique ?
La France joue un rôle majeur dans ces pays étant pour la plupart francophones et qui ont toujours fait partie des zones privilégiées d’intervention française. La France a été la première présente au Mali avec l’opération Serval lorsque les djihadistes ont menacé Bamako à l’époque du président Hollande. Cette opération Serval est devenue l’opération Barkhane d’envergure régionale, regroupant environ 4 000 hommes et avec un coût de 600 millions d’euros par an. L’effort français est donc très important.
La France joue également un rôle central puisqu’en tant que membre permanent du Conseil de sécurité, elle a fait passer plusieurs dossiers, dont le G5 Sahel. Paris cherche aussi à intégrer les pays membres de l’UE ; la forte alliance entre Emmanuel Macron et Angela Merkel rend l’Allemagne plus ouverte à l’idée que les questions sécuritaires sont aussi du ressort de l’Europe et pas simplement de la France.
Reste à gagner la guerre contre le terrorisme. Endiguer des actions terroristes ne signifie pas éradiquer le terrorisme. La France est certes présente pour longtemps avec Barkhane mais les défis majeurs concernent la mise en place de projets de développement qui créent un tissu économique permettant aux jeunes de s’insérer sans entrer dans des réseaux mafieux et terroristes ; la mise en place de systèmes décentralisés de sécurité, etc.
Actuellement, seules des batailles ont été gagnées mais pas la guerre contre le terrorisme et il reste beaucoup de points d’interrogation sur l’appui de la France à cette initiative du G5. L’Africanisation des forces armées est une priorité si l’on ne veut pas que les troupes d’intervention ne soient perçues avec le temps comme des troupes d’occupation. Sur le terrain, on sait aussi que les forces africaines sont souvent – à l’exception du Tchad et du Niger – peu efficaces, notamment les troupes du Mali.
Le 5 juin dernier, l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn, l’Egypte et le Yémen ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de soutenir le terrorisme djihadiste.Depuis, un embargo s’est abattu sur la micro-monarchie gazière.
Si Al Jazeera s’est imposée en un laps de temps relativement bref comme l’un des principaux médias au monde, son existence a toujours été contestée et critiquée, même si l’identité de ses détracteurs elle a pu évoluer.
Aujourd’hui, la chaîne est au cœur de la crise diplomatique entre les alliés de l’Arabie Saoudite d’un côté et le Qatar, de l’autre. Plusieurs bureaux de la chaîne d’information qatarie ont déjà été fermés dans la région, y compris en Egypte.
Pis, la fermeture de la chaîne Al Jazeera ferait partie de la liste d’injonctions exprimées par les voisins du Qatar pour mettre fin à la crise. Il est piquant de voir le micro-Etat en appeler à la liberté d’expression dans la région pour rejeter cette demande, alors même que ce droit fondamental est loin d’être respecté au sein de la micro-monarchie…
La requête de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabes Unis, de Bahreïn et de l’Egypte n’en reste pas moins fondamentalement anachronique et liberticide (pour l’Etat qatari comme les individus). Elle se fonde sur les liens supposés d’Al Jazeera avec Daech, Al-Qaïda et le Hezbollah chiite libanais, ainsi que le soutien à peine voilé aux Frères musulmans, ennemis politiques des différents pouvoirs en place dans ces régimes.
Cet épisode, au-delà des explications liées au contexte actuel, s’inscrit aussi dans l’histoire récente de la région. Dès son origine, Al Jazeera, s’attire l’ire des gouvernements voisins qui mettent en place une stratégie contre la chaîne.
En 2001, Moubarak, en visite dans les locaux d’Al Jazeera, dit cette phrase qui traduit bien le mépris et la méfiance des dirigeants de la région pour la chaîne : « C’est donc de cette boîte d’allumettes que sort tout ce vacarme ».
A la suite de sa prise de pouvoir au Qatar par un coup d’Etat contre son père en juin 1995, le cheikh Hamad Bin Khalifa Al Thani cherche à mener une politique de modernisation de son pays mais aussi d’influence et de puissance. Cette politique de puissance et de modernisation passe par des réformes comme l’édiction d’une nouvelle constitution mais aussi par la création de la chaîne satellitaire Al Jazeera (la Péninsule) le 1er novembre 1996.
Créée par l’émir du Qatar en 1996, Al Jazeera représente ainsi la première chaîne arabe d’information en continue. Si elle est d’abord critiquée et caricaturée comme « la chaîne de Ben Laden », ce qui lui vaut l’hostilité du monde occidental, Etats-Unis en tête, Al Jazeera s’impose progressivement.
Véritable instrument du soft power du pays, la chaîne détrône rapidement les médias – principalement saoudiens – de la région. Un succès qui est lié à une ligne éditoriale hybride, mêlant arabisme, islamisme et libéralisme (Mohammed El Oifi).
Mais ce n’est cependant qu’après les évènements du 11 septembre 2001 que la chaîne Qatari va passer de la visibilité régionale à la consécration mondiale. S’agissant de la guerre en Afghanistan, Al Jazeera bénéficie d’un monopole sur la couverture des évènements.
Les médias occidentaux n’ont d’autres choix que de retransmettre les images de la chaîne Qatari qui se fait alors connaître de l’opinion publique de l’Ouest.
Al Jazeera développe un discours critique et autonome lors de la deuxième Guerre d’Irak, ce qui lui permet de s’ériger en forum d’expression de l’opinion arabe dominante.
La création de sa version globale en langue anglaise puis la couverture de l’intervention israélienne à Gaza en 2008 augmentent encore l’influence régionale et mondiale de la chaîne.
Toutefois, avec le soulèvement des peuples arabes en 2011, on assiste à une rupture de l’équilibre entre liberté éditoriale de la chaîne et autoritarisme de son financeur étatique.
Face aux enjeux de la reconstruction politique en Tunisie, en Egypte, en Libye, en Syrie et ailleurs, le pouvoir qatari rompt de fait l’indépendance relative de la chaîne.
L’alignement de la ligne éditorial d’Al Jazeera avec les intérêts de l’émirat, en particulier à travers le soutien manifeste apporté aux Frères musulmans arrivés au pouvoir en Egypte, a souligné le problème d’indépendance de la chaîne.
Aujourd’hui le lien organique entre l’Etat du Qatar et Al-Jazeera se retourne contre la chaîne. Plus que jamais, leurs destins sont liés…
Élu dans des conditions particulières il y a quelques semaines, le nouveau président serbe Aleksandar Vučić a décidé de nommer au poste de Première ministre Ana Brnabić, déjà ministre sous le précédent gouvernement. Celle-ci présente la quadruple particularité d’être une femme, jeune (42 ans), d’origine croate et ouvertement homosexuelle. C’est évidemment une grande première dans la région et même au-delà, le contre-pied est tellement parfait que l’on se pince pour y croire. Or, c’est précisément là qu’il faut s’arrêter. Symboliquement, cette nomination ne représente certes pas une mauvaise nouvelle en soi, sauf pour ceux qui pensaient que leur tour était venu. Seulement, la politique n’est pas qu’une affaire de symbole, ce sont à la fois des actes et un rapport de force dans l’exercice du pouvoir.
Dans le cas présent, cette nomination pose deux problèmes. Le premier est que sa force symbolique est telle que personne, malheureusement pour elle d’ailleurs, ne va s’intéresser à ses compétences en tant que professionnelle, ni à son bilan de ministre dans le précédent gouvernement. On ne la jugera pas sur pièce, ni en positif, ni en négatif. Le second problème, qui renforce le premier, est que Brnabić est une technicienne sans autre soutien que celui de Vučić. Autrement dit, aucun rapport de force possible ne pourra exister entre les deux et chacun sait que tous les arbitrages sérieux se feront à la présidence, bien que la Constitution serbe confère l’essentiel du pouvoir au Premier ministre.
Malgré cela, comme au moment de sa visite à Srebrenica et au moment de l’envoi du train estampillé « Le Kosovo est la Serbie » au Kosovo, Aleksandar Vučić manœuvre une nouvelle fois très bien pour endosser le beau rôle, celui du conciliateur et modéré qui recherche courageusement le compromis, malgré sa propre base électorale et les démons de son peuple. Et on le félicite chaudement à Bruxelles pour cela. Il y a clairement un côté Frank Underwood (le personnage principal de la série télévisée House of Cards, ndlr) chez Vučić. Le commissaire Hahn, interrogé sur les pratiques autoritaires dans la région et sur la liberté de la presse qui recule, préfère parler de « realpolitik positive », sans que l’on sache très bien ce que cela signifie. Ce qui compte, c’est la stabilité, ce douteux mantra derrière lequel se cache une formule qui, en langue locale, se décline ainsi : « samo nek’ se ne puca », pouvant se traduire par « du moment que personne ne se tire dessus ». Ainsi, dans la crainte d’un introuvable conflit violent de même ampleur que dans les années 1990, on a pris le parti de se contenter d’adouber des hommes forts qui ont pour mission de veiller à ce que la région ne pose plus de graves problèmes. Aleksandar Vučić a très bien compris cette priorité européenne, c’est pourquoi il se présente depuis des années comme le garant de la stabilité de la région. Et c’est ainsi qu’il est effectivement perçu.
Or, dire que la Serbie de Vučić est un pôle de stabilité dans la région signifie deux choses. D’une part, on réhabilite l’idée qu’il n’y a rien de tel qu’un régime porté vers l’autoritarisme ou un homme à poigne pour assurer la stabilité d’un État. Cet argument, dévoyé de la théorie réaliste des relations internationales, est déjà discutable vis-à-vis du reste du monde (l’Égypte est-elle stable ?) ; mais il est surtout inconcevable à brandir à propos de pays candidats à l’intégration européenne légalement tenus d’en appliquer les principes démocratiques inscrits dans les traités européens. Au reste, on entendait déjà ce refrain de la garantie de stabilité du temps de Slobodan Milošević, avec le succès que l’on sait.
D’autre part, on se rend tout simplement aveugle sur l’action réelle de la Serbie envers ses voisins. Guerre des mots, révisionnisme et course aux armements avec la Croatie, provocation ferroviaire envers le Kosovo, participation active à la déstabilisation de la Macédoine depuis la défaite du VMRO – y compris en soutenant la prise d’assaut du parlement à Skopje le 27 avril dernier -, soutien feutré aux Serbes de Bosnie et du Monténégro que l’on peut difficilement qualifier d’éléments constructifs… Bref, de près ou de loin, il est tout simplement faux de prétendre que la Serbie de Vučić joue un rôle stabilisateur dans la région, c’est même tout le contraire. Ou alors, il faut comprendre cette assertion en la prenant dans l’autre sens : la Serbie de Vučić fait tellement la preuve de sa capacité à déstabiliser ses voisins que cela lui confère par contraste un rôle clé de pôle de stabilité, si toutefois elle se décidait à se comporter différemment.
Comment mener une politique intelligente et rationnelle lorsqu’elle repose sur un postulat erroné ? À moins que l’on en soit parfaitement conscient et que tout cela ne soit qu’un théâtre d’ombre, c’est très possible. Dans les deux cas, les jeunes – diplômés ou non – de toute la région s’en vont car ils n’y croient plus. L’échec européen dans les Balkans se trouve dans les bus et les trains qui vont vers l’Allemagne, l’Autriche ou ailleurs et qui emportent les forces vives de la région.
Pourtant, les faits sont là et ils sont têtus pour peu qu’on daigne y prêter de l’attention. Avant de nommer Ana Brnabić au poste de Première ministre, la cérémonie d’investiture de Vučić a été marquée par l’agression de plusieurs journalistes par des hommes de l’entourage direct du nouveau président, un sort également subi par les manifestants. Charge à chacun dans cette affaire de nomination de distinguer l’arbre de la forêt et d’en tirer les conclusions qui s’imposent, pour la Serbie et pour les Balkans.
Un rapport publié par l’International Crisis Group alerte sur les tensions croissantes entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, qui, selon les auteurs, seraient proches d’un conflit ouvert, alors que la situation autour du Haut-Karabakh n’est toujours pas réglée depuis près de 25 ans.Le point de vue de Samuel Carcanague, chercheur à l’IRIS.
Où en sont les tensions entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan depuis la résurgence du conflit en avril 2016 ?
Faisons tout d’abord un court rappel historique. Le Haut-Karabakh est une région qui fut rattachée à la République socialiste soviétique d’Azerbaïdjan sous Staline, majoritairement peuplée d’Arméniens. À la fin des années 1980, le Haut-Karabakh, soutenu par l’Arménie, réclame son indépendance, ce qui déclenche un conflit ouvert entre Erevan et Bakou. Celui-ci se termine en 1994 à la défaveur de l’Azerbaïdjan, avec un accord de cessez-le-feu signé le 16 mai 1994. L’Arménie occupe environ 15 à 20% du territoire azerbaïdjanais, dont le Haut-Karabakh mais également des territoires à l’Ouest, au Sud et à l’Est. Le conflit a provoqué plus d’un million de réfugiés, dont la grande majorité en Azerbaïdjan.
En avril 2016, une résurgence de ce conflit d’une ampleur inédite, appelé parfois « guerre des 4 jours » a provoqué environ 200 victimes. Le rapport de l’International Crisis Group fait le point sur les conséquences de ce « réchauffement » sur la dynamique du conflit.
Les affrontements d’avril 2016 ont effectivement représenté un point d’inflexion dans les rapports de force qui prévalaient depuis la signature du cessez-le-feu en 1994. L’Azerbaïdjan a récupéré environ 2000 hectares de territoires occupés par l’Arménie depuis 1994, cette dernière n’ayant pas su résister aux assauts de son voisin. Côté azerbaïdjanais, la sensation que le rapport de force a évolué en sa faveur risque d’encourager les partisans d’une solution militaire, qui se sont fait plus vocaux cette dernière année.
Côté arménien, les dysfonctionnements au sein de l’institution militaire lors de la « guerre de 4 jours », souvent liés à la corruption latente, ont alimenté la colère des citoyens, ce qui réduit la marge de manœuvre du gouvernement de Erevan pour négocier. Les partisans d’une reprise des négociations sont quasiment inaudibles (à l’instar de l’ancien président Levon Ter-Petrossian, qui a récolté moins de 2% des suffrages). Le lancement d’une initiative « Armée Nation » fait craindre la militarisation progressive de la société, et en particulier des jeunes générations, obérant encore davantage les espoirs d’apaisement dans le futur.
On est face à ce que les théoriciens ont appelé un « dilemme de sécurité », où les actions de l’un renforce la détermination de l’autre. Ce cercle vicieux d’une course à l’armement qui continue et la polarisation progressive des deux sociétés après le conflit d’avril 2016 qui a été observée par certains chercheurs, dont ceux de l’ICG, font craindre que les initiatives de paix potentielles ne récoltent que peu d’écho.
Quel rôle joue la Russie dans ce conflit ?
De par sa présence historique dans la zone, ses intérêts stratégiques toujours là et sa position de co-présidente du Groupe de Minsk (avec la France et les États-Unis), elle en est un acteur central. La Russie joue toutefois un rôle ambigu.
Elle est considérée comme l’alliée traditionnelle de l’Arménie, à qui elle fournit la majeure partie de son équipement militaire à prix réduit. Elle possède également deux bases militaires, l’une terrestre, l’autre aérienne, sur le sol arménien. L’Arménie s’inscrit également dans les projets d’intégration régionale chapeautée par Moscou, comme l’OTSC et l’Union économique eurasiatique. Deux organisations dont l’Azerbaïdjan ne fait pas partie. La Russie n’est en revanche pas présente au Haut-Karabakh en tant que tel, elle n’y possède aucun contingent et n’en contrôle pas directement les dirigeants de facto.
Malgré cette alliance stratégique avec l’Arménie, la Russie semble, depuis quelques années, s’être rapprochée de l’Azerbaïdjan, ce qui s’est notamment traduit par des ventes d’armements importantes. La Russie est ainsi vue comme jouant sur les deux tableaux, en maintenant un équilibre des forces entre Arménie et Azerbaïdjan, ce qui favorise davantage un statu quo qu’une résolution du conflit. Moscou agit de la sorte pour préserver son influence dans le Sud-Caucase où elle a des intérêts stratégiques. Erevan comme Bakou ne sont pas dupes et déplorent cet état de fait, mais n’ont pas vraiment d’alternative.
La Russie se pose malgré tout en médiateur et a notamment proposé un plan de résolution en 2015, qui n’a pas convaincu les deux pays. La proposition d’envoyer des forces russes de maintien de la paix au Haut-Karabakh est notamment refusée par les deux parties. Si les capacités du gouvernement russe de dialoguer avec Bakou et Erevan sont indéniables, il ne faut pas sous-estimer la méfiance des deux belligérants envers le Kremlin, ce qui ne favorise pas les négociations dans le cadre du Groupe de Minsk.
Pourquoi le groupe de Minsk est-il incapable de trouver une résolution pacifique au conflit ?
Le groupe du Minsk est co-présidé par la France, les États-Unis et la Russie. Il y a eu plusieurs phases de négociations au sein de ce groupe et la phase de la deuxième moitié des années 2000 a pu porter certains espoirs. L’un des principaux facteurs qui influe sur la capacité du Groupe de Minsk à trouver des solutions communes et viables réside dans la qualité des relations bilatérales entre les co-présidents. Or, depuis le début des années 2010, les relations entre la Russie d’un côté et les États-Unis et la France de l’autre se sont fortement dégradées.
Ces dernières années, la Russie a davantage été à l’initiative sur le dossier du Haut-Karabakh. Cela étant, la France pourrait profiter du moment de flottement autour du leadership américain et du fait que Moscou se heurte à la défiance conjointe de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan pour occuper cet espace diplomatique, afin de lancer une initiative. Il sera intéressant de voir si le président Emmanuel Macron profitera de son momentum international (s’il perdure) pour se risquer à relancer les négociations au sein du Groupe de Minsk.
Si certains commentateurs voient dans les dernières élections présidentielle et législatives une forme de renouveau de la Ve République, celui-ci s’inscrirait alors sur fond de profonde crise démocratique. Ce nouveau quinquennat renvoie en effet à une situation pour le moins paradoxale : d’un côté, le président Emmanuel Macron dispose d’une majorité parlementaire écrasante ; de l’autre, cette assise politique et institutionnelle ne saurait masquer le fait que la majorité présidentielle comme la majorité parlementaire procèdent d’une minorité du corps électoral. Le niveau record atteint par l’abstention à l’occasion du second tour des élections législatives confirme et aggrave une tendance structurelle.
Si le phénomène abstentionniste donne lieu à des interprétations diverses et contradictoires (acte passif ou actif, voire militant), il témoigne manifestement d’une réaction de rejet du politique et de «crise de foi civique». Outre l’ambiguïté autour de l’offre politique des candidats des principaux partis en lice, la défiance à l’égard de la classe politique et le sentiment que l’élection ne «changera rien» continuent en effet de dominer. Sur ce plan, «l’effet Macron» est pour le moins limité. Certes, les Français ne se désintéressent pas de la chose publique, loin s’en faut, mais ils ne sont pas convaincus ni de la réalité du principe d’alternance, ni de la capacité du politique à changer le réel.
En sus d’un déficit de représentativité politique et sociologique, la crise démocratique – confirmée plus que révélée par ce début de quinquennat – connaît un autre aspect : la situation de l’opposition parlementaire. Non seulement ce bloc est particulièrement hétérogène et fragmenté, mais au sein même des groupes ou franges de cette opposition parlementaire – de gauche comme de droite – les tensions risquent de réduire la lisibilité de l’échiquier parlementaire et de renforcer la porosité entre majorité et opposition. Dans ces conditions, c’est l’effectivité même de la fonction politique de l’opposition qui est posée.
«Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaire.» La célèbre apostrophe du député André Laignel soumet le droit et la démocratie à la loi de la majorité. Alexis de Tocqueville fustigea cette forme de «tyrannie de la majorité», ce mode de gouvernement où «la majorité d’un peuple a le droit de tout faire». Certes, la démocratie implique par définition que le pouvoir politique soit exercé par la majorité que le peuple a désignée.
Toutefois, le respect de la minorité politique – en général – et de l’opposition parlementaire – en particulier – est également inhérent à la théorie de la démocratie. Celle-ci inclut la faculté de concurrencer l’offre politique de la majorité et de contrôler son action au pouvoir. C’est précisément dans ce cadre que s’inscrit la fonction de contre-pouvoir de l’opposition parlementaire, comme représentation institutionnelle d’une minorité politique. Dans un régime présidentialiste régi par le fait majoritaire, la pratique politique aboutit à une fusion du «couple exécutif/législatif» qui rend partiellement fictif le principe de séparation des pouvoirs.
Plus précisément, le fait majoritaire et la solidarité instituée entre le gouvernement et la majorité parlementaire mettent à mal la pertinence du principe de séparation des pouvoirs, auquel se substitue la configuration incarnée par le couple «opposition/majorité gouvernementale». Autrement dit, la véritable «séparation» est la séparation entre pouvoir majoritaire qui d’un seul tenant est à la fois exécutif et législatif, et opposition. C’est pourquoi, «[u]ne démocratie […] c’est un exécutif appuyé sur la Nation et contrôlé par une opposition parlementaire» (G. Vedel, Le Monde, 20 juillet 1958).
L’opposition parlementaire est au cœur du jeu démocratique et de l’équilibre des pouvoirs. Outre sa fonction de représentation (celle d’une minorité du corps électoral), la raison d’être de l’opposition parlementaire réside, il est vrai, dans l’action de contrôler la majorité parlementaire/gouvernementale et de proposer des solutions politiques alternatives. En cela, elle a vocation à exercer un contre-pouvoir politique, qui tire sa légitimité du suffrage populaire. A contrario, l’absence d’opposition parlementaire effective (qui se serait en incapacité d’exercer des droits élémentaires tels que le dépôt d’une motion de censure et la saisine du Conseil constitutionnel) élèverait d’un cran le niveau de la crise démocratique d’une Ve République qu’on dit en perpétuelle renouveau…
La réintégration du Maroc au sein de l’Union africaine le 30 janvier 2017, ainsi que l’accord de principe de son adhésion à la CEDEAO les 5 et 6 juin 2017 au 51e sommet de la CEDEAO à Monrovia, sont deux grandes réussites diplomatiques pour le royaume. Elles ont été longuement préparées par les divers volets de la diplomatie marocaine qui combine diplomatie des voyages et du portefeuille, influence religieuse, accords de sécurité et coopération militaire, et surtout diplomatie économique avec les pays africains. Elles témoignent du retour de l’un des fondateurs de l’OUA en 1963 qui l’avait quitté en 1984. Cette réintégration modifie la donne vis-à-vis de l’Algérie, peut s’accompagner d’une intégration au sein de la CEDEAO et de l’UA, ainsi que peut-être participer au dénouement de l’impasse du Sahara occidental.
Nous rappellerons dans cet article : (I) les différents volets de la diplomatie marocaine et l’histoire des relations entre le Maroc et l’OUA devenue UA, notamment concernant le Sahara occidental ; avant de présenter (II) les principaux enjeux régionaux africains de cette réintégration au sein de l’UA et de son adhésion à la CEDEAO ; puis dessinerons (III) quelques perspectives.
Les liens entre le Maroc et l’UA et la question du Sahara occidental
Le Sahara occidental est longtemps resté le caillou dans la chaussure marocaine, représentant à la fois un facteur majeur de tension avec l’Algérie et de blocage de l’UMA.
Le Maroc a été actif dans la création de l’OUA. Le principe d’intangibilité des frontières a été alors adopté pour éviter d’ouvrir la boîte de Pandore concernant le caractère arbitraire des frontières, cicatrices de la violence de l’histoire, ainsi que pour réduire les risques des guerres de sécession. Il y a toutefois eu de nombreux contentieux. La question s’est posée de savoir quelle était la définition des frontières spécifiques au Sahara espagnol en 1975 : un rattachement au Maroc ou une autonomie ? Lors de son indépendance en 1956, le Maroc a demandé le respect des droits sur le Sahara espagnol antérieurs au protectorat français. Ultérieurement, la Mauritanie a réclamé le rattachement du Sahara occidental au nom de la continuité territoriale. En 1973, le front Polisario a réclamé l’indépendance soutenue par l’Algérie. En 1975, après le retrait de l’Espagne, une administration tripartite Espagne- Mauritanie-Maroc était envisagée lorsque la marche verte de 35 0000 Marocains a conduit au maintien du Sahara occidental dans l’espace national du Maroc. En 1976, la République arabe sahraouie démocratique (RASD) est reconnue par 72 États des Nations unies (40 aujourd’hui). En 1984, 26 des 50 États membres de l’UA ont admis la République sahraouie (RASD) au sein de l’UA. Le Maroc a alors décidé de quitter cette organisation et des affrontements armés ont eu lieu jusqu’en 1992. L’Algérie a fait de la question sahraouie et du soutien au Polisario un cheval de bataille. La force des Nations unies MINURSO est présente depuis 26 ans (1991), avec pour mandat de surveiller le cessez-le-feu, de vérifier le départ des troupes marocaines et initialement d’organiser un référendum. La bataille juridique a été menée par le Maroc et de fortes tensions sont apparues en 2016 entre le royaume et Ban Ki Moon, qui avait parlé d’occupation. Le Polisario a, quant à lui, perdu de sa capacité armée, tout en présentant un risque de liaison avec les trafiquants, les djihadistes et de non contrôle de la sécurité des frontières.
Les Nations unies ont préconisé une autonomie mais pas une indépendance du peuple sahraouie (25 0000 pour 540 000 habitants). Le principe d’un référendum a été accepté mais avec contentieux pour savoir si les Marocains présents avaient un droit de vote. La donne a toutefois changé avec le temps. On note une lassitude des Nations unies face au coût de la MINURSO ; tandis que le Maroc a intégré de fait le Sahara occidental dans son espace territorial par des infrastructures et des implantations de population et d’entreprises.
Le Maroc a surtout changé de stratégie via quatre principaux volets de diplomatie :
– par les ambassades, les voyages et les accords diplomatiques. Il a patiemment noué des liens avec la majorité des États africains par une diplomatie des voyages et un élargissement des alliances. Le roi Mohamed VI a ainsi effectué plus de 40 voyages en Afrique.
– par le soft power religieux et une lutte contre le salafisme et le wahhabisme. De nombreuses relations ont ainsi été mises en œuvre dans le champ religieux (mosquées, formations d’Imam dont 500 au Mali, confréries Tidjane avec le Sénégal, islam malékite).
– par une coopération sécuritaire renforcée. Le « roi Africain » a su trouver la majorité des alliés lui permettant de réintégrer l’UA contre les positions de l’Algérie, de l’Afrique du Sud, de l’Angola ou du Nigeria. Il n’a plus posé comme condition de sa réintégration le départ de la RASD. Certains opposants considèrent toutefois que le loup était rentré dans la bergerie pour éliminer ensuite le mouton noir.
Les enjeux internationaux et régionaux
Une diplomatie Sud/Sud
Le Maroc a une diplomatie Sud/Sud qui se situe dans la longue histoire de l’État Maghzen, tout en intégrant les changements de la donne nationale, régionale et mondiale.
Le royaume s’insère dans un contexte mondial multipolaire caractérisé par un essoufflement du multilatéralisme, une montée du multi-partenariat et une prolifération des accords régionaux ou bilatéraux. Il s’insère dans les chaînes de valeur mondiale, tout en ayant une politique active d’industrialisation. Sa compétitivité résulte à la fois d’une politique territoriale (par exemple, les écosystèmes industriels de Tanger) ; d’avantages compétitifs transférés par les firmes multinationales (savoir-faire, brevets, licences, sous-traitance etc.) ; d’une stratégie d’attractivité des capitaux (la Place financière de Casablanca est devenue la première d’Afrique) ; et d’une construction d’avantages compétitifs par les holdings du roi et des firmes publiques (capitalisme d’État).
Sur le plan national, la nouvelle Constitution de 2011, le plan émergence et le poids du parti islamiste (le PJD) dominant face au parti du pouvoir royal (le PAM), traduisent un relatif consensus sur la politique internationale. Quant à la politique sociale, elle essay=ie d’atténuer les énormes inégalités et le très fort chômage, notamment chez les jeunes (plus de 30%).
Sur le plan régional, le Maroc combine une politique de fortes relations avec l’Union européenne (UE), bien qu’en déclin, avec une réorientation vers le Proche et Moyen-Orient, ainsi que vers l’Afrique. La demande d’intégration de l’UA se situe dans une nouvelle diplomatie Sud/Sud de la part de l’Empire chérifien, longtemps lié à l’Europe et au monde occidental. On note, en outre, une ouverture vers la Russie et plus récemment vers la Chine mais également vers les pays du Golfe, parallèlement à un certain relâchement avec l’UE. Le risque de rupture avec la Suède a été grand à propos du dépôt en septembre 2015 d’un projet de loi reconnaissant la République sahraouie démocratique, avant que ce projet soit retiré par Stockholm. Le Maroc a progressivement développé une politique de non alignement et, en tant que pays francophone et arabophone, il a noué des liens au sein de ces deux mondes. À la différence de son rival algérien, le Maroc accepte de s’engager hors de ses frontières et a une diplomatie active avec son Sud. Le Comité d’État-major opérationnel conjoint (CEMOC, regroupant l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) reste une coquille vide, même si l’Algérie a pesé dans les accords d’Alger sur le devenir du Mali.
Les enjeux régionaux
Le Maroc adopte une approche pluridimensionnelle du développement Sud/Sud qui a été initié il y a 10 ans en Afrique de l’Ouest et s’étend en Afrique orientale. Les projets sont sécuritaires, religieux et sociaux. Il importe de différencier le régionalisme – règles et appartenance à des organisations régionales – de la régionalisation – projets, coopération et acteurs.
Les organisations régionales
Le Maroc fait partie de deux organisations régionales : l’UMA et la Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD).
L’UMA est une coquille vide du fait des relations tendues entre l’Algérie et le Maroc. Elle traduit la paralysie de la construction maghrébine et la question du Sahara occidental ne fait que cristalliser ces antagonismes. Elle est également un prétexte qui n’a pas empêché la création de l’UMA en 1989 et une réouverture momentanée des frontières. On peut espérer que sa solution favorise la fin des blocages dont le coût est considérable pour le Maroc comme pour l’Algérie. Le Maroc reste le pays le plus intégré au sein de l’UMA. En revanche, son adhésion à la CEDEAO est le signe d’un désengagement vis-à-vis de l’organisation.
La CENSAD créée le 4 février 1998 comprend 28 Etats africains. Le Maroc y joue un rôle important.
Le royaume a demandé son intégration à la CEDEAO. Des liens institutionnels ont été noués depuis 2000 avec 24 visites dans onze des quinze pays membres. Le Maroc a fait sa demande d’adhésion après avoir intégré l’UA et le 24 février dernier, une lettre a été envoyée à la présidence de la CEDEAO pour passer du statut d’observateur à celui de membre à part entière. La décision a été prise les 5-6 juin 2017 à Monrovia d’un accueil de principe dont il reste à définir les modalités juridiques, alors que la Tunisie a obtenu un statut d’observateur et que la Mauritanie n’a pas été intégrée. Il fallait un accord à l’unanimité et donc lever la réserve du Nigeria. Cette intégration permet au Maroc de contourner l’échec de l’UMA et d’institutionnaliser son ancrage au Sahel et en Afrique de l’Ouest. Cependant, de nombreuses dispositions juridiques doivent être prises pour rendre cette décision effective ; tandis que plusieurs dossiers devront être réglés, notamment monétaires et commerciaux avec la mise en place d’un Tarif extérieur commun (TEC) pour un marché de 350 millions de consommateurs réels ou potentiels. La CEDEAO deviendrait avec le Maroc la 16e puissance économique mondiale
Concernant la prolifération des accords bilatéraux, on estime à 500 le nombre d’accords juridiques de coopération avec les pays africains, dont 14 accords commerciaux bilatéraux de type NPF (nation la plus favorisée).
La régionalisation de facto et le multi-partenariat
Le Maroc demeure largement polarisé sur l’Europe. Il bénéficie du statut avancé avec l’UE et est à la fois un interlocuteur privilégié des pays du Conseil de coopération du Golfe. Le commerce avec l’Afrique s’élève à 6% du commerce mais les échanges commerciaux avec le continent croissent rapidement, notamment du fait de la montée en puissance d’une classe moyenne : ils sont passés de 1 milliard de dollars (2004) à 4,4 milliards (2014) et l’Afrique de l’Ouest correspond à la moitié de ses exportations. Les indices d’intégration régionale (16 indicateurs dans cinq domaines : commerce, production, infrastructures, libre circulation des personnes, finance) sont élevés. L’essentiel du processus d’intégration régionale résulte des secteurs privé et public marocains. Le Maroc est ainsi devenu le second investisseur africain dans le continent via les holdings du palais et les firmes multinationales, tels Saham dans la santé, Maroc Telecom, Royal Air Maroc, les banques Attijariwafa Bank implantées dans 14 pays africains, la Banque centrale populaire dans les huit pays de l’UEMOA, le partenariat avec Commercial Bank of Ethiopia, l’hydraulique, la construction et les BTP…
Le Maroc se positionne comme intermédiaire dans la division internationale du travail. Il joue notamment le rôle de hub entre les investissements étrangers, notamment européens, vers les pays africains. Il a une position subordonnée envers les investissements européens mais dominante face aux pays africains. 1/3 des exportations vers l’Afrique sont à haute valeur ajoutée. Les groupes d’intérêt économique se constituent avec des pays comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire et des joint-ventures se développent.
Certains secteurs sont entraînants, notamment à partir de Tanger. Parmi eux, le secteur aéronautique marocain est au 15e rang mondial avec 121 entreprises, 11 000 emplois et 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires. Il participe de l’écosystème industriel de la zone de Tanger et doit doubler d’importance avec le récent accord avec Boeing. Le secteur automobile (avec une usine Renault/Nissan à Tanger) a permis le développement de sous-traitants (moteurs de transmission, câblage, batterie, etc.) et occupe la première place des exportations devant le phosphate et les produits agricoles. L’Office chérifien des phosphates (OCF) est à la conquête de l’Afrique avec une capacité de 1 million de tonnes d’engrais destiné au continent (Africa Fertilizer complex) ; 14 filiales ont ainsi été implantées, notamment au Rwanda et en Ethiopie. Le Maroc est aussi spécialisé dans l’offshoring et les activités liées au tourisme ; tandis que les grands chantiers structurants concernent le gazoduc Maroc-Nigeria ou l’autoroute Tanger-Lagos. Enfin, le Maroc est aussi en pointe dans les nouvelles technologies du numérique.
L’influence du royaume concerne également l’économie verte et les énergies renouvelables (cf. la COP 22 à Marrakech). Dépendant en énergies fossiles (97% est importée pour l’électricité), le Maroc a prévu que 42% de l’électricité proviennent d’énergies renouvelables en 2020 (solaire ou éolienne, cf. la centrale solaire de Noor à Ouarzazate pour un investissement de 9 milliards de dollars). L’objectif est de réduire de 32% les émissions de GES d’ici à 2030.
Par ailleurs, le Maroc est une terre d’asile pour les migrants et les réfugiés. En 2014, 30 000 migrants et réfugiés ont été régularisés malgré un taux de chômage de plus de 30% pour les jeunes. Le pays est aussi un lieu de transit pour les migrants cherchant à atteindre les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla.
Quelles perspectives ?
De nombreuses inconnues demeurent dans un pays où la monarchie assure l’unité politique et religieuse, où de nombreux secteurs émergent mais où les risques de sociétés à deux vitesses demeurent et les fractures sociales et territoriales sont grandes. La politique extérieure est également fonction de la stabilité politique et de la puissance économique. Les liens entre le Maroc et les pays d’Afrique subsaharienne remettent en question le clivage Afrique sub-saharienne et Afrique arabo-musulmane qui caractérise les découpages internationaux à commencer par l’UE qui différencie des accords de libre échange (processus de Barcelone) avec l’Afrique septentrionale et les APE post-Cotonou avec l’Afrique subsaharienne, exceptée l’Afrique du Sud.
Un rôle important au sein de l’UA
Le Maroc va jouer un rôle important au sein de l’UA. Il est un poids lourd qui modifie les équilibres et le rôle dominant de quelques États comme l’Afrique du Sud, le Nigeria et l’Algérie. L’UA, copie des institutions européennes, a été une avancée sur le plan institutionnel mais non un facteur important de régionalisation par les projets et les acteurs. Elle reste un syndicat de chefs d’État, dépendante financièrement et manquant de moyens et de volonté. Déchiré entre une intégration continentale ou régionale et la souveraineté nationale (point de vue algérien et sud-africain), le Maroc va peser pour une intégration régionale plus forte. Il va également renforcer le poids des pays francophones par rapport au poids des pays anglophones.
Dans l’architecture de paix et sécurité, le Maroc est la 45e puissance militaire mondiale et la première force aérienne africaine.
Dans le domaine diplomatique, le royaume joue un rôle d’intermédiaire entre le monde occidental et l’Afrique sub-saharienne.
Un dénouement de la question du Sahara Occidental ?
Le devenir du Sahara occidental est évidemment central. Il peut y avoir une évolution conduisant à une autonomie plus grande, même si les symboles de la souveraineté marocaine demeurent (drapeau, monnaie). Pour l’heure, le Polisario est sous perfusion caritative et algérienne. Les pays du Maghreb n’ont pas nécessairement intérêt à un vote d’autodétermination qui conduirait à l’indépendance d’un espace dominé par tous les trafics, alors que la menace terroriste a été relativement endiguée.
Trois scenarii sont envisageables : le moins probable est l’indépendance après référendum du Sahara occidental ; le second est le statu quo ; le troisième, favorisé par l’entrée du Maroc au sein de l’UA, est une autonomie accompagnée d’une politique de développement économique et social, qui affaibliraient les revendications indépendantistes et traduiraient une victoire du Maroc sur l’Algérie. Les solutions se jouent au sein de l’UA mais surtout des Nations unies. Pour le moment, un bras de fer entre l’Algérie, le Polisario et le Maroc a lieu dans la zone de Guerguerat. La route nationale allant de Tanger à la Mauritanie de 2379 km est coupée sur 4 km le long de la frontière mauritanienne. Cette zone de non-droit est au cœur des différents trafics. Récemment, l’ancien président du Mozambique, Joachim Chissano, soutenant le Polisario a été boycotté par le Maroc. Pour l’Algérie, la question sahraouie est coloniale et la demande reste celle d’un référendum d’autodétermination sous l’égide de l’ONU, comme le Maroc et la RASD s’y sont engagés. La RASD reste soutenue par une vingtaine d’États africains, dont deux francophones (Mali et Mauritanie) et douze anglophones.
Jean-Joseph Boillot est docteur en économie et co-fondateur de Euro-India Group. Il répond à nos questions à l’occasion de la sortie de son ouvrage « L’Inde au chevet de nos politiques : L’art de la gouvernance selon l’Arthashâstra de Kautilya », éditions du Félin (2017).
– En quoi ce traité indien du IVe siècle éclaire-t-il sur la « bonne gouvernance » d’un État ?
– Comment expliquer la crise de gouvernance que vivent les démocraties libérales aujourd’hui ?
– Comment analyser la politique de Narendra Modi ? Qu’entendez-vous par « despotisme oriental » ?
Face aux violences meurtrières perpétrées en RDC, l’armée locale et les forces onusiennes apparaissent inefficaces. Le point de vue de Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’IRIS et ancien ambassadeur en RDC.
Quelles sont les origines du conflit et de la dégradation de la situation politique ?
Aujourd’hui, la situation politique en RDC est bloquée. L’actuel président Joseph Kabila, arrivé au pouvoir en 2001 à l’âge de 29 ans, à la suite du décès de son père, a été conforté à ce poste à l’issue de deux scrutins électoraux, largement contestés. Son mandat aurait normalement dû s’achever fin 2016.
L’organisation matérielle et technique du processus électoral dans ce pays immense – quatre fois la superficie de la France, 70 millions d’habitants et des infrastructures défaillantes – est particulièrement compliquée. Le fichier électoral n’est pas tenu à jour. Il faut pourtant fournir une carte électorale à tous les nouveaux électeurs. Le matériel électoral doit aussi être installé. Or, le centre du pays est difficilement accessible – notamment la région du Kasaï et le cœur forestier – sans des moyens logistiques lourds. L’argument de la complexité matérielle est avancé par Joseph Kabila pour expliquer le retard du processus électoral. Il est réel.
Le deuxième facteur réside dans l’impossibilité pour l’opposition de s’organiser pour préparer ces élections et proposer une option alternative à Kabila. Ceci s’explique largement par l’importance du fait régional et ethnique. Les personnalités de l’opposition sont d’abord des représentants de leur fief : le Kasaï pour Felix Tshisekedi, le Kivu pour Vital Kamerhe ou le Katenga pour Moïse Katumbi. Ils ont une dimension régionale et peu nationale, ce qui n’était pas le cas Tshisekedi père, opposant de toujours et récemment décédé. Ainsi, par exemple, un kasaïen aura toujours du mal à voter pour un katangais à cause d’histoires anciennes et douloureuses entre ces communautés.
Les Églises jouent un rôle très important dans la vie politique. Le cardinal Laurent Monsengwo, personnalité charismatique, a joué un rôle clé depuis les années 2000 en tant que président de la Conférence nationale. Les Églises veulent éviter toute violence et sont parvenues in extremis avant le 1er janvier de cette année à un accord dit de la Saint-Sylvestre. Cependant, celui-ci n’arrive pas à se mettre en place. Il prévoyait que Kabila reste un an mais que l’opposition lui propose trois candidatures de Premier ministre. Il a au final choisi lui-même son Premier ministre au sein de l’opposition mais ce dernier n’est pas accepté par toute l’opposition, notamment à cause du fait régional.
Depuis son indépendance en 1960, marquée par l’assassinat de Patrice Lumumba, puis avec les 30 ans du régime dictatorial de Mobutu, suivis de l’occupation du pays par les forces rwandaises et ougandaises et enfin l’installation des Kabila, père et fils, l’histoire du Congo est une tragédie. Il n’empêche, vaille que vaille, le pays est toujours parvenu à sortir de ses impasses en trouvant des compromis plus ou moins stables. Des poches de violence existent toujours dans le pays mais la RD Congo demeure, coûte que coûte, dans ses frontières. Un miracle en quelque sorte !
Aujourd’hui, le cas congolais reste particulier en comparaison d’autres pays. En Afrique de l’Ouest, l’alternance est devenue un fait démocratique (Ghana, Sénégal, Gambie, Nigéria) avec l’élection comme processus exemplaire de maturité politique et la reconnaissance de l’opposition. Ce n’est par contre pas le cas en Afrique centrale, encore régie par des autocrates installés depuis une trentaine d’années pour certains (Paul Biya, Yoweri Museveni, Sassou Nguesso, Teodoro Obiang, Bongo père et fils). Au regard de ces derniers cas, la RD Congo, régulièrement montrée du doigt comme le mauvais élève, n’affiche pas une situation aussi pire qu’on le dit.
Peut-on envisager des négociations ? Avec quels acteurs ?
En réalité, les communautés internationale, américaine et européenne ont une faible influence en RDC. On aurait tort de penser que les résolutions de l’ONU ou les prises de positions de capitales du Nord puissent agir efficacement pour instaurer la stabilité du pays et établir un consensus politique. Les Belges, les anciens colonisateurs, suivent de près la situation et tentent d’interférer mais trop souvent de manière maladroite ; ils sont perçus comme des donneurs de leçons.
C’est plutôt en interne que les solutions doivent être trouvées. La balle est du côté du clan de Kabila et celui-ci doit se rendre compte de la nécessité de quitter le pouvoir fin 2017, en obtenant en contrepartie des garanties sur son immunité future.
Plutôt que les communautés européenne et internationale, c’est l’Union africaine qui peut être influente. En son sein, certains chefs d’États ont un poids incontestable comme Paul Kagamé (Rwanda) et Yoweri Museveni (Ouganda). Le problème est que ces deux pays ont occupé le Congo il y a une quinzaine d’années et sont les voisins malaimés de la population. Il faudrait plutôt trouver des personnalités du côté du Kenya, de la Tanzanie, du Mozambique… Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, a aussi un rôle à jouer en tant que voisin ; d’autant plus que son pays peut être directement affecté par la situation en RDC.
Comment expliquer l’impuissance de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO) ?
La RDC a toujours connu la présence des Casques bleus puisque certains pays occidentaux ont pratiquement envoyé des troupes depuis l’indépendance en 1960. Lors de l’arrivée de Kabila père en 1994 et surtout après son assassinat en 2001, les forces des Nations unies ont grossi pour assurer la sécurité du territoire, jusqu’à atteindre 20 000 personnes (militaires, policiers et administrateurs), pour un coût dépassant le milliard de dollars. Les Casques bleus sont principalement concentrés au Nord et au Sud Kivu mais l’insécurité est croissante dans le Kasaï, tandis que le Nord-Katanga n’est pas stabilisé. Dans les régions les plus fragiles, le conflit trouve surtout son assise dans l’exploitation des minerais (coltan, étain, or) et dans les intérêts fonciers.
Les forces de l’ONU sont globalement considérées comme inefficaces par la population. Lorsque celle-ci est victime de razzia d’un groupe Maï Maï ou de prédation de l’armée, elle juge que les Casques bleus tardent à intervenir. De son côté, l’armée nationale est particulièrement inopérante, mal payée, mal équipée, mal formée et mal nourrie. Elle représente un conglomérat d’une cinquantaine d’anciens groupes rebelles et on assiste à l’intérieur de l’armée à la reconstitution de fait de ces groupes rebelles, autour de leur ancien chef ayant obtenu un grade élevé. L’armée est donc fragmentée, inefficace et mal organisée avec des chefs menant parfois des actions pour leurs propres intérêts, parfois au détriment des populations (pillage, contrôle du marché des minerais…).
En parallèle, les Casques bleus sont trop souvent barricadés dans leur campement et ont peu de relations directes avec la population. Les seules forces onusiennes véritablement efficaces sont les troupes d’origine africaine car elles ont une plus grande proximité et une meilleure compréhension de la situation des Congolais. On se souvient que lorsque les forces de l’ONU étaient dirigées par le général sénégalais Babacar Gaye, elles étaient probablement plus efficaces.
L’éternelle question, dans une zone d’insécurité et de grande vulnérabilité de la population, est de savoir si l’on peut engager des combats préventifs pour neutraliser des rebelles. Le pouvoir d’intervention des Casques bleus a certes été étendu mais ils restent encore très réticents à aller au combat sans la garantie d’une forte protection, ce qui entrave leur efficacité.
A ce stade, quels facteurs pourraient empêcher le processus de paix avec les FARC d’aboutir ?
La Colombie a une longue tradition de culture de la violence, qui s’alimente elle-même. L’obstacle principal à ces accords est que les acteurs de la violence dans le pays ne se limitent pas aux FARC. L’ELN [armée de libération nationale, guévariste], la deuxième guérilla de Colombie après les FARC, a refusé de participer aux accords de paix initiaux, bien qu’elle soit, maintenant, en négociation de son côté.
Mais ce sont surtout les bandes mafieuses qui posent problème. Elles investissent les territoires ruraux laissés derrière par les FARC, notamment la côte pacifique colombienne. Mêlés à des trafics de drogue, de voitures ou encore de minerais, ces groupes ont des intérêts privés économiques et ne sont aucunement politisés, contrairement aux FARC ou à l’ELN. Ces groupes de délinquants agissent par appât du gain, mais ils parviennent à s’afficher comme de véritables opposants au processus de paix.
La réforme agraire est l’un des principaux points de l’accord de paix. Elle pourrait permettre de restituer leurs terres aux paysans expropriés par un demi-siècle de conflit. Sauf que les groupes mafieux se sont positionnés contre ces paysans, en défendant les intérêts des actuels occupants, allant jusqu’à assassiner certains. Le processus de paix se poursuit, mais il prend du retard et est indiscutablement handicapé par toute cette violence.
Un demi-siècle de conflit ; 7,1 millions de personnes déplacées ; 260 000 morts et plus de 60 000 disparus… Trois années de tractations entre le gouvernement du président Juan Manuel Santos (centriste) et les FARC sont-elles vraiment suffisantes pour réunifier le pays et réintégrer les FARC dans la société ?
Certainement pas. Les Colombiens en périphérie des villes sont ceux qui ont le plus souffert de la guerre durant toutes ces décennies. Eux veulent la paix. C’est pour cela que les campagnes ont bien plus voté en faveur du référendum sur l’accord de paix en octobre 2016 que ne l’ont fait les villes. Ce sont les habitants de ces dernières qui ont finalement fait gagner le « non » à l’issue de ce référendum. La Colombie devient de plus en plus urbaine et les habitants les villes voient les FARC comme des criminels avec qui il n’y a pas de raison de faire la paix.
Cet accord est aussi influencé par un phénomène d’opposition à la politique globale du président Santos. Nous nous retrouvons dans une situation étrange où ce processus de paix avec les FARC est bien plus populaire à l’internationale qu’à l’intérieur de la Colombie. Juan Manuel Santos est véritablement le seul en ce moment à défendre l’accord de paix dans son pays. Et tout cela est en partie à cause d’un agenda politique dû à l’élection présidentielle en 2018.
Cette élection présidentielle pourrait-elle vraiment mettre en péril le processus de paix ?
Historiquement, les élections présidentielles ont toujours entravé les processus de paix en Colombie. Chaque accord trouvé entre un groupe armé et le gouvernement finit par être conspué à la présidentielle suivante, et la violence se perpétue par le biais d’autres groupes armés. L’élection de 2018 pourrait ne pas faire exception. L’ex-président Alvaro Uribe (2002-2010) de la droite conservatrice ne cesse de se montrer critique envers les accords avec les FARC. Les petits partis de gauche ne disent rien, alors qu’ils sont pour la paix. Mais ils ne veulent pas faire de publicité au camp du président Santos.
En fait, on ne parle de l’accord de paix à l’intérieur du pays que pour en dire du mal, ce qui n’est pas pour aider son acceptation par une population urbaine de moins en moins intéressée par le sujet. Le 20 juin est une étape supplémentaire, mais sans réel impact. Cet accord de paix, nous saurons s’il avance, ou recule, après l’élection présidentielle colombienne.
Samedi 18 juin a eu lieu un attentat à la bombe dans capitale Bogota, qui a fait trois victimes, dont une Française. Les auteurs de cet acte n’ont toujours pas été identifiés. Mais le gouvernement semble penser que c’était bel et bien le processus de paix qui était visé à travers cet attentat…
Il faut analyser le déroulement de cet attentat. Il a eu lieu dans des toilettes réservées aux femmes dans un centre commercial. L’acte était ciblé. Les personnes visées étaient clairement des femmes urbaines, issues de classes aisées. Je suis d’accord avec les suppositions du gouvernement colombien. Cet attentat visait à réintégrer un contexte de violence dans les villes et le timing permet de faire le lien avec l’avancée du processus de paix. Cet acte a pour but de créer une instabilité, donc d’instiller l’angoisse au sein des électeurs urbains qui sont, comme je le disais, les plus opposés à l’accord.
Perpétrer un attentat sans le revendiquer permet de garder la population dans une zone de brouillard et de faire passer l’idée qu’un accord de paix avec des « criminels » va ramener la violence dans les villes. Nous savons à qui cette angoisse pourrait profiter : les groupes mafieux et ceux qui pensent que la place des FARC est en prison.
Propos recueillis par Camille Mordelet
Les dirigeants d’Israël, de Chypre et de Grèce se sont réunis à Thessalonique le 15 juin. Ils y ont évoqué le projet de gazoduc sous-marin East Med devant relier la Méditerranée orientale au sud de l’Europe. L’analyse de Nicolas Mazzucchi, chercheur associé à l’IRIS.
Ce projet de gazoduc East Med est-il vraiment « révolutionnaire » dans le secteur énergétique, comme l’annonce le Premier ministre israélien ?
Tout dépend sous quel angle nous entendons le terme « révolutionnaire ». Les grandes nouveautés du gazoduc East Med sont majoritairement d’ordre technique. Il s’agira du gazoduc le plus profond jamais vu et également l’un des plus longs gazoducs sous-marins au monde. Poser un gazoduc à une telle profondeur représente donc une évolution majeure, plutôt qu’une révolution.
En revanche, d’un point de vue purement énergétique, il n’y a aucune révolution compte-tenu de la taille modeste de ce gazoduc. En effet, lorsque sa première phase – pour l’instant la seule annoncée – sera achevée, il présentera un volume de seulement 10 milliards de mètres cube de capacité annuelle. À titre de comparaison, en Europe, le gazoduc Nord Stream en provenance de Russie et qui passe sous la Baltique fait déjà 55 milliards de mètres cube. Et lorsqu’il sera étendu en deuxième phase avec la signature des accords Nord Stream 2, il fera alors 110 milliards de mètres cube, soit une capacité dix fois plus grande que le gazoduc East Med.
S’agit-il pour l’Europe de diminuer sa dépendance au gaz russe ? Le prix de ce dernier n’est-il pourtant pas imbattable ?
Il s’agit plutôt d’une réflexion de long-terme, davantage d’ordre politique que de questions réellement économiques. On observe une volonté très claire de la part de l’Europe de diversifier ses approvisionnements. Depuis 2008 et les différents projets se rattachant au grand plan communautaire du Corridor Sud-européen, l’Europe s’est effectivement lancée dans une diversification des routes depuis l’Est, au sens large (Asie centrale, Caucase, Méditerranée orientale). Il s’agit ainsi de contourner la Russie par le flanc Sud-Est du continent.
Le gazoduc East Med ne fait certes pas directement partie des projets de ce corridor gazier sud-européen – puisqu’il n’appartient pas aux projets financés dans l’Europe dans ce cadre – mais il reste financé par l’UE dans le cadre des Projets d’intérêt commun, tout au moins pour l’étude de faisabilité qui s’est terminée il y a peu. East Med s’intègre donc dans cette stratégie globale de l’Union européenne initiée depuis la deuxième moitié des années 2000 de diversifier ses sources de gaz.
Pour en revenir à la question de la taille, un premier projet appartenant au corridor sud-européen Trans Adriatic Pipeline (TAP) fera lui aussi 10 milliards de mètres cube. En ajoutant cette capacité à celle du gazoduc East Med, on atteint 20 milliards de mètres cube. En comparaison, le volume global en provenance de Russie – en considérant tous les projets russes en cours de développement (Nord Stream 1 et 2, TurkStream, gazoducs terrestres, etc.) – s’élève à plus de 200 milliards de mètres cube annuels. La diversification gazière de l’Europe au travers des gazoducs reste donc très lente.
Quel rôle joue la coopération énergétique pour la paix et la stabilité dans la région de Méditerranée orientale ?
La coopération énergétique représente le point majeur de coopération pour nombre de ces pays. Sur ces questions, on pourrait réussir à trouver des clefs d’entente entre des pays qui s’évitent beaucoup. Au travers de ce projet East Med, on voit par exemple un partenariat qui se dessine entre Israël et Chypre. La situation des frontières maritimes entre ces deux pays n’a été fixée qu’en 2010, grâce notamment aux questions gazières. Par ailleurs, en octobre 2016 lors du Congrès énergétique mondial à Istanbul, la Turquie voulait pousser à un rapprochement entre la République turque de chypre du Nord (RTCN) et Chypre, sous couvert de questions énergétiques pour donner à Istanbul une place prépondérante dans les projets de Méditerranée orientale.
Néanmoins, énormément de problématiques demeurent ouvertes. Les gisements de gaz impliqués dans le East Med Gas Pipeline font partie du bassin levantin, qui se trouve au beau milieu d’une problématique de frontières maritimes, notamment avec le Liban. Des problèmes de frontières maritimes existent en effet entre Israël, le Liban, Chypre et éventuellement la Syrie. Et si par exemple, demain, les territoires de Gaza devenaient des États avec des frontières maritimes, la question des droits de tirage dans des champs gaziers offshore se poserait également.
La coopération énergétique est donc à la fois un facteur d’entente pour des pays qui sont relativement peu opposés mais, pour des pays très antagonistes (comme Israël et le Liban), ces questions peuvent au contraire jeter de l’huile sur le feu.
Serge Pautot est avocat au Barreau de Marseille. Diplômé de droit et d’économie des pays d’Afrique (Paris-Panthéon), il participe à la construction de l’Algérie postindépendance. Fondateur de l’excellent site legisport (www.legisport.com), il répond à mes questions à l’occasion de la parution de l’ouvrage « France-Algérie : du côté des deux rives », aux éditions L’Harmattan.
Peut-on qualifier la relation France-Algérie de passionnelle ?
Oui, bien sûr. La longue Histoire (avec un grand H) de notre pays avec l’Algérie est riche et ne fut pas un long fleuve tranquille. La colonisation, même si on ne peut pas la qualifier de « crime contre l’humanité » au sens historique et juridique du terme, fut réalisée au prix de combats difficiles et meurtriers et constitua un système inégalitaire qui ne pouvait aboutir, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu’à une lutte pour l’indépendance. Cette dernière, acquise au prix du sang, fut assortie des Accords d’Evian en 1962 en vue d’une coopération entre les deux pays : économique, politique, culturelle, financière… Ces accords n’ont pas tous été exécutés « à la lettre », d’où la persistance de nombreux sujets de conflits et d’oppositions jusqu’à ce jour. Les exemples ne manquent pas : nationalisations des biens vacants laissés par les pieds noirs sans indemnisation, décision unilatérale de nationaliser le gaz et le pétrole, indemnisation des victimes des essais nucléaires au Sahara en attente, arabisation de l’enseignement au détriment du français, querelles politiques voire diplomatiques (Maroc – Algérie), instauration du 49 – 51 dans les relations de partenariat économique…
La France est toujours soucieuse de rester le premier partenaire de l’Algérie sur le plan économique, ainsi que vient de le rappeler le président Emmanuel Macron. La relation passionnelle/frictionnelle qui lie les deux pays l’est également sur le plan de la coopération militaire, sécuritaire et défense dans le Sahel, même si celle-ci est aujourd’hui forte.
Le sport est-il un vecteur de rapprochement des deux pays ?
Qu’il soit individuel ou collectif, le sport constitue d’abord un moyen d’éducation des jeunes, de préparation à la vie en société et aussi de promotion sociale. Le sport a été introduit en Algérie par la colonisation mais très rapidement, dans le football et la boxe notamment, malgré des pratiques discriminatoires – clubs de colons moins accessibles aux musulmans – des sportifs ont émergé et sont devenus des champions. Le football, sport le plus populaire d’Algérie, a eu de grands champions comme Rachid Mekhloufi et Rabah Madjer qui ont joué en France. Il y a aussi l’épopée de l’équipe du Front de libération nationale (FLN) où, cette fois, les joueurs ont quitté les clubs français dans lesquels ils évoluaient pour constituer « l’équipe de la Révolution ».
Aujourd’hui, des footballeurs algériens sont en Ligue 1 même si l’Algérie n’est pas le pays le plus représenté dans nos championnats et nous sommes comme beaucoup favorables à la libre circulation des joueurs. Notre jeunesse issue de l’immigration doit trouver dans le sport un moyen de promotion sociale et d’affirmation de soi en gagnant. Nous ne pouvons pas oublier le fabuleux parcours du français Zinedine Zidane, joueur puis entraîneur. Un jeune des cités qui nous déclare après un match de boxe « j’ai gagné » ou un footballeur qui exprime sa joie après avoir marqué un but rappelle que le sport est facteur de rapprochement. Les deux fédérations de football devraient ainsi organiser un nouveau match amical entre les deux équipes.
La France a-t-elle un problème particulier avec l’islam ?
La France a toujours du mal à assumer son héritage colonial et, avec l’arrivée d’une immigration massive au cours des trente-quarante dernières années, l’islam est devenu la deuxième religion dans notre pays. Nos gouvernants se sont privés d’une véritable réflexion sur leur conception de la pratique religieuse et de la laïcité. La République brandit « à tout bout de champ » le concept de laïcité alors que les enjeux culturels et cultuels de notre société nécessitent des solutions concrètes qui ne soient pas le calque de l’Eglise catholique mais qui ne soient pas non plus l’application de textes de droit interdisant telles ou telles pratiques d’habillement ou autres
La France comptera bientôt – ou déjà – plus de dix millions de musulmans. Elle ne peut plus proposer sa propre culture et rejeter toutes les pratiques, us et coutumes de l’islam. Chaque citoyen de notre pays doit avoir la possibilité (liberté, égalité et fraternité) d’exprimer son identité dans la sphère privée, individuelle et familiale (liberté et possibilité de pratique du culte…) alors que nos gouvernants ne voient dans l’espace public, avec l’expression d’une autre religion, qu’un affaiblissement de l’État. En brandissant, trop souvent, le concept et la règle de droit de la laïcité, nous ressentons constamment des attaques contre la religion.
Aujourd’hui, dans quelle structure un adolescent, issu de l’immigration, hormis la pratique sportive, peut-il s’exprimer ? Pas d’espace, pas de structure donc pas de parole alors qu’un jeune recherche avant tout une expérience valorisante et de la reconnaissance. Nous savons aujourd’hui où se tourne une partie de cette jeunesse pour s’exprimer et trouver ce qu’elle croie être un idéal. On découvre chaque jour les résultats de cette politique d’exclusion et la lutte des pouvoirs publics contre la radicalisation qui en découle.
Jeudi 15 juin, de nouvelles négociations se sont déroulées entre la Grèce, les ministres des Finances de l’Eurogroup et le Fond monétaire international. L’analyse de Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l’IRIS.
Cette réunion marque-t-elle une avancée dans la résolution de la crise en Grèce ? L’appel d’Aléxis Tsípras pour un allègement de la dette grecque peut-il enfin être entendu ?
À court terme, le but de cette réunion était de débloquer la prochaine tranche d’aide dans le cadre du troisième programme, de 86 milliards d’euros, qui avait été mis en place en 2015. La négociation a ainsi abouti à l’allocation de 8,5 milliards d’euros.
La question d’un allègement de la dette a toujours été source de problème. Cependant, par rapport aux négociations antérieures, la nouveauté aujourd’hui est que le Fond monétaire international (FMI) avance vraiment l’idée de cet allègement de dette. Mais, dans le même temps, il s’est retiré du programme et n’accepte de le réintégrer qu’à condition que les Européens, notamment l’Allemagne, reconnaissent la nécessité d’un allègement de dette. Or, pour Berlin, il est important que le FMI soit inclus dans l’accord de façon à ménager le Bundestag.
La solution trouvée est donc alambiquée. Le FMI reviendrait dans le programme en échange d’une promesse de prendre en compte la question de l’allègement de la dette l’an prochain. Pour autant, le FMI ne participe pas financièrement pour l’instant mais seulement en termes d’expertise ; il a certes accepté de contribuer à hauteur d’un peu moins de 2 milliards mais c’est un accord suspendu, pour plus tard. Autrement dit, à court-terme le FMI ne contribue pas financièrement mais participe à l’accord d’un point de vue institutionnel.
L’Allemagne est-elle ouverte à revoir sa position inflexible face aux pressions du FMI, voire de la France ? Le sort de la Grèce dépendra-t-il des élections fédérales allemandes de septembre prochain ?
Quasiment tout le monde est en faveur d’un allègement de la dette grecque, d’un niveau actuel d’environ 180% du PIB du pays. Au vu de la situation économique grecque, il est évident que cette dette n’est pas finançable à long terme.
Le problème est que la question de l’allègement est un tabou fondamental en Allemagne, aussi bien au sein de la population, très critique des plans de sauvetage, qu’au sein d’une large partie du monde politique. Le gouvernement allemand souhaite ainsi repousser cette question au lendemain des élections fédérales de septembre. L’insistance du FMI sur la question de l’allègement de la dette a évidemment influencé Berlin, qui a dû quelque peu transiger pour débloquer à court-terme la tranche d’aide à la Grèce. L’Allemagne a donc trouvé une sorte de compromis avec le FMI et les autres responsables européens, consistant à aborder concrètement la question de l’allègement de la dette en 2018.
Précisons que l’idée d’un effacement d’une partie de la dette est totalement rejetée par l’Allemagne. On parle donc plutôt d’un abaissement supplémentaire des taux d’intérêts payés aux créditeurs européens et d’un allongement des maturités. C’est déjà ce qui a été fait à plusieurs reprises mais à chaque fois, les négociations étaient dramatiques. D’où l’idée de la France de rendre cela plus systématique en liant le montant des remboursements à la situation économique de la Grèce, notamment son niveau de croissance, afin d’éviter des négociations de dernière minute, souvent aussi théâtrales que chaotiques.
Après plusieurs années de coupes budgétaires drastiques, dans quelle situation se trouve aujourd’hui la Grèce au niveau économique et politique ?
La situation est globalement très mauvaise pour la Grèce. Depuis le début de la crise, elle a perdu un quart de son activité économique, ce qui rend le poids de la dette d’autant plus insupportable. Le gouvernement actuel est arrivé sur la base d’un rejet des mesures d’austérité liées aux plans d’aide. Toutefois, après avoir gagné un référendum contre les conditions européennes, Alexis Tsipras avait dû capituler en acceptant des mesures d’austérité supplémentaires.
Aujourd’hui, on observe une amélioration, à la marge. La Grèce est revenue à la croissance économique et elle a réussi à afficher un excèdent budgétaire primaire – c’est-à-dire en dehors des paiements d’intérêts sur la dette – de l’ordre de 4%, soit un montant très supérieur à ce qui était attendu. Ce sont donc des signaux positifs. Le problème est que ce redressement fragile provoque un jugement trop optimiste de la part de l’Allemagne quant aux capacités de remboursement de la Grèce. Ainsi, paradoxalement, la relative amélioration de la situation économique grecque a rendu les négociations d’autant plus compliquées.
Les signaux de redressement restent ancrés sur une base d’affaiblissement économique extrême. En dépit de l’accord actuel et des projets d’allègement de dette à partir de 2018, la Grèce restera sous forte pression politique et financière. Il s’agit donc plutôt de lisser ses remboursements pour éviter des négociations trop dures qui nuisent à la crédibilité européenne.
Le 14 juin 2017, au cours de la visite du président français au Maroc, l’Élysée a indiqué que ce dernier recevrait séparément l’émir du Qatar et le prince héritier d’Abu Dhabi à Paris, en vue de faire baisser les tensions dans la région.
L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et Bahreïn ont décrété un blocus à l’encontre de l’émirat du Qatar, lui reprochant de soutenir le terrorisme. Cette décision est lourde de conséquences, bien plus importantes encore que la rupture des relations diplomatiques. Cela faisait très longtemps qu’une telle sentence internationale n’avait pas été prononcée. Une dégradation de la situation dans une région où les tensions sont déjà très fortes serait extrêmement négative, non seulement pour les pays concernés, mais également pour le reste du monde.
Quelle est l’origine du conflit entre l’Arabie saoudite et le Qatar ? Paradoxalement, c’est le fait qu’ils soient tous deux des pays sunnites et wahhabites qui les oppose. Le petit émirat a toujours voulu se distinguer de son voisin plus grand et plus puissant et a donc cultivé une politique différente pour exister sur la scène internationale. Ainsi depuis plus de vingt ans, l’émirat multiplie les initiatives pour exister face aux Saoudiens, qui se sentent à leur tour défiés par ce qu’ils considèrent comme une simple extension de leur royaume.
Dans cet esprit, le Qatar a lancé la chaîne Al Jazeera qui agace les monarchies du Golfe. L’émirat a également soutenu les printemps arabes, alors que les monarchies du Golfe y étaient opposées. De plus le Qatar soutient les Frères musulmans, tandis qu’aux yeux du royaume saoudien, l’islam politique est une aberration, voire une menace. Enfin, les Saoudiens reprochent aux Qataris d’entretenir de bonnes relations avec l’Iran, alors qu’eux voient en Téhéran une menace existentielle. Le Qatar a effectivement de bonnes relations de voisinage, entre autres raisons parce qu’il partage un gigantesque champ de gaz naturel avec l’Iran, mais y voit là également une façon de se distinguer de l’Arabie saoudite.
Les accusations de soutien au terrorisme sont très graves et largement exagérées. Les Frères musulmans constituent un mouvement politique que l’on peut éventuellement combattre politiquement mais ce n’est en aucun cas un mouvement terroriste. Quant à l’Iran, bien que l’on puisse avoir des différends sur la nature du régime, il est faux de dire que Téhéran soutient le terrorisme. Ces accusations n’ont en réalité que pour but de disqualifier les Qataris.
Pour expliquer cette crise, l’élément le plus récent reste la visite de Donald Trump en Arabie saoudite. Les Saoudiens étaient très critiques à l’égard du président Barack Obama pour trois raisons majeures. Tout d’abord, ils lui reprochaient d’avoir lâché très rapidement Hosni Moubarak, sapant de la sorte la garantie de sécurité américaine. La monarchie estimait notamment que le pacte du Quincy – selon lequel les Américains, en échange de l’accès au pétrole saoudien abondant et bon marché, garantissaient la sécurité du régime -, était remis en cause par le fait qu’un allié aussi solide et docile qu’Hosni Moubarak ait été abandonné si rapidement par Washington. Ensuite, la découverte de gisements importants de gaz de schiste et de pétrole aux États-Unis rendait ces derniers moins dépendants des matières premières énergétiques saoudiennes, remettant donc encore en question le pacte du Quincy. Enfin et surtout, l’accord sur le nucléaire iranien et la réconciliation qu’Obama a entamé avec l’Iran était insupportable pour les Saoudiens.
Dès lors, les Saoudiens, conscients de l’aversion de D. Trump à l’égard de l’Iran, s’étaient réjouis de son arrivée au pourvoir. Ce dernier a effectué sa première visite bilatérale en Arabie saoudite, alors qu’habituellement, un président américain l’accorde au Canada ou au Mexique. À cette occasion, D. Trump a signé d’importants contrats, dont 110 milliards de contrats d’armements, relançant ainsi les tensions et la course aux armements dans la région. Les Saoudiens ont toutefois été rassurés et confortés, ce qui n’est pas sans lien avec la mise en place d’une politique relativement agressive à l’égard du Qatar.
Le problème majeur de cette politique est qu’elle risque de ne produire in fine que des perdants. Il est en effet peu probable que le Qatar change complètement de position et cède aux injonctions saoudiennes, au risque de perdre son indépendance. Les Qataris seront en effet poussés davantage dans les bras iraniens. En agissant de la sorte, les Saoudiens créent donc une prophétie auto-réalisatrice…
D’autre part, ces événements prouvent que la thèse souvent répandue selon laquelle le clivage majeur dans la région résiderait dans l’opposition sunnites/chiites n’est pas aussi exacte. Le Qatar et l’Arabie saoudite sont en effet deux puissances sunnites. L’émirat a des bonnes relations avec Téhéran et est soutenu non seulement par le Koweït et Oman mais également par la Turquie. On voit donc deux blocs pouvant éventuellement se constituer, ce qui serait très dangereux. Une fois encore, ces profondes divisions montrent bien que l’unité arabe si souvent évoquée n’est qu’un mythe.
Il est d’une importance capitale que les tensions diminuent. Pour cela, le blocus doit être suspendu et un accord doit voir le jour entre les Saoudiens, les émiratis et les Qataris, afin que chacun puisse sortir de la crise la tête haute. En ce sens, l’initiative du président français, E. Macron, de servir d’intermédiaire est excellente – Oman pourrait également jouer ce rôle, de même que le secrétaire général de l’ONU -. C’est donc honorable pour la France de tenter cette médiation sans avoir de certitudes d’y parvenir. Le clivage entre l’incendiaire Trump et le pompier Macron ne pouvait pas mieux s’illustrer.